Rapport d'information n° 35 (2002-2003) de M. Joseph KERGUERIS , fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 29 octobre 2002
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B. DES CONTRAINTES DE FINANCEMENT PLUS FORTES POUR LES PETITES ENTREPRISES
La caractéristique la plus frappante des comportements d'investissement des entreprises est leur forte hétérogénéité. Une des explications les plus souvent avancées tient compte de l'interaction forte entre la décision d'investissement d'une entreprise et les conditions auxquelles elle peut se financer, conditions qui dépendent étroitement de ses caractéristiques propres.
Plusieurs travaux récents traitent explicitement du lien entre l'investissement et son financement. Duhautois (2001) teste un modèle théorique de contraintes financières. Cet auteur aboutit à trois conclusions intéressantes.
1) Pour les plus petites entreprises, le taux de marge et le taux d'intérêt ne jouent pas de la même façon sur l'investissement dans la période de croissance (1985-1990), où leur rôle est limité, et dans la période de récession (1990-1996) où leur influence est forte.
2) D'une façon générale, le rôle de ces variables financières est d'autant plus fort que les entreprises sont petites.
3) Ce rôle est enfin plus important pour les entreprises du secteur tertiaire que pour les entreprises du secteur industriel.
Au total, les plus petites entreprises ont été plus touchées que les grandes par le resserrement de la politique monétaire depuis le milieu des années 1980, car elles n'ont pas accès à d'autres modes de financement que les crédits bancaires.
C. LE CANAL DU CRÉDIT SUR LES PETITES ENTREPRISES
Beaudu et Heckel (2001) s'attachent à étudier l'impact des politiques monétaires sur l'économie réelle en Europe (dont la France), via un de leurs canaux de transmission : le canal du crédit 96 ( * ) . Ce dernier met en jeu des mécanismes liés à l'existence d'asymétries d'information sur les marchés financiers et vient modifier les conditions de financement des agents.
La thèse du canal du crédit prédit que la sensibilité de l'investissement à l'épargne ( cash-flow ) va augmenter à la suite d'une période de restriction monétaire, en particulier pour les petites entreprises : en période de taux d'intérêt élevés, certaines entreprises (les plus petites) ne peuvent s'endetter qu'en payant des primes de risques élevées 97 ( * ) .
Leurs estimations montrent que les réactions de l'investissement aux conditions de financement sont cohérentes avec les prédictions du canal du crédit, et que l'impact des chocs monétaires en Europe par ce canal serait source d'asymétrie entre pays 98 ( * ) et entre entreprises de taille différentes. Vermeulen (2000) obtient des résultats équivalents sur un grand nombre de pays européens dont la France et concluent à une plus grande vulnérabilité des entreprises allemandes.
A partir des estimations effectuées, Beaudu et Heckel obtiennent une idée de l'ordre de grandeur des effets macroéconomiques du canal du crédit, relativement aux effets traditionnels du taux d'intérêt. Une hausse de 1 point du taux d'intérêt diminue directement le taux d'investissement de 1,5 % via le canal classique (baisse de la profitabilité). Quant au canal du crédit (la prime de risque associée au coût de l'endettement), son impact est estimé à 3,25 % pour les petites entreprises. Cet effet serait est donc substantiel, surtout comparé à celui du canal classique.
Kremp et Stöss 99 ( * ) (2001) trouvent des résultats semblables qui distinguent les plus petites entreprises. Ils trouvent qu'en 1995, les petites entreprises françaises avaient un coût de financement apparent de 7 %, contre 4,4 % pour les plus grandes ; pour l'Allemagne, ces chiffres sont respectivement de 8 % et 5,8 %. L'ampleur de la « prime » que paieraient les plus petites entreprises est donc de l'ordre de 2 à 2,5 %.
Au total, de nombreuses études attestent que le coût d'emprunt varie pour chaque entreprise en fonction de sa taille, de son taux d'endettement et du taux d'intérêt ambiant de l'économie. La façon dont le taux d'intérêt subi varie avec l'endettement de l'entreprise peut dépendre de sa taille (les modèles de contraintes financières voudraient que l'effet soit plus fort pour les petites entreprises que pour les grandes) et de l'année considérée (les mêmes modèles voudraient que l'effet soit plus fort lorsque la politique monétaire est restrictive). Dans ces études, le niveau des garanties rend effectivement compte de différences significatives dans le comportement d'investissement. La prime de financement qui en résulte pour les petites entreprises apparaît importante, de l'ordre de 2 % en 1994, et ce, en dépit de l'assainissement de leur situation financière, alors qu'elle est inférieure à 1 % pour les grandes entreprises.
* 96 En fait, deux approches se sont développées dans la littérature sur ce sujet : celle du canal strict du crédit et celle du canal large du crédit. Alors que le canal strict du crédit fait jouer un rôle particulier aux banques, le canal large du crédit se concentre essentiellement sur le financement des entreprises et des ménages et sur leurs problèmes d'information avec l'ensemble de leurs créanciers sans distinction. Par la suite, sauf précisions, nous nous intéressons uniquement au canal large du crédit.
* 97 En fait, le niveau de capital dont disposent les entreprises sert de garantie pour leurs prêts et permet ainsi de réduire le taux auxquelles elles se financent. Lors de sa décision d'investissement, une entreprise doit donc tenir compte, pour actualiser ses profits futurs, du coût de financement externe lié aux conditions sur le marché du crédit mais également du fait que le capital étant gage de son propre financement, son accumulation réduit la prime de financement bancaire.
* 98 Les petits pays étant plus sensibles que les grands.
* 99 Pour ces auteurs, le taux d'endettement des entreprises françaises serait indépendant de la taille des entreprises : les contraintes financières que subiraient les plus petites entreprises passeraient donc essentiellement par les conditions de financement auxquelles elles ont accès et pas nécessairement par des plafonds d'endettement plus bas que ceux pratiqués pour les plus grandes entreprises.