Rapport d'information n° 35 (2002-2003) de M. Joseph KERGUERIS , fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 29 octobre 2002
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B. LES MESURES DE RÉGULATION CONJONCTURELLE DE L'INVESTISSEMENT SEMBLENT PEU EFFICACES
Les pouvoirs publics ont régulièrement tenté d'utiliser l'instrument fiscal à des fins de régulation conjoncturelle de l'investissement. L'objectif est de lisser les évolutions de l'investissement grâce à des mesures fiscales temporaires.
On peut citer, à titre d'illustration, les mesures suivantes : en 1975, était décidée une aide fiscale exceptionnelle représentant 10 % de la commande de biens d'équipements passée par l'entreprise pendant la période aidée (30 avril - 31 décembre) ; en 1982, a été institué un mécanisme de déduction de l'impôt sur les sociétés d'un pourcentage de l'investissement réalisé par chaque entreprise ; en 1979-1980, la déduction fiscale portait sur le supplément d'investissement réalisé par rapport à l'exercice précédent ; de 1983 à 1985, a été appliqué un régime d'amortissement exceptionnel (un amortissement exceptionnel supplémentaire de 40 % était accordé la première année suivant l'investissement).
Les travaux effectués 43 ( * ) pour évaluer ces mesures d'incitation suggèrent que leurs effets sont limités, et que le rapport coût-efficacité de ces mesures est peu favorable.
Les mesures fiscales temporaires conduisent, en effet, davantage à un phénomène d'anticipation des investissements qu'à un véritable surcroît d'investissement. Une étude économétrique réalisée par l'INSEE, pour le Conseil national des impôts, indique que 80 % des commandes passées dans le cadre d'une déduction fiscale auraient été passées en tout état de cause. Une étude de la Direction de la prévision suggère que l'incitation de 1975 n'expliquerait que 5 % de l'investissement effectué au cours de la période. Le Conseil national des impôts ajoute : « Ce résultat ne témoigne pas d'une grande efficacité de la mesure si l'on considère que son coût budgétaire s'est élevé à 5,3 % de la formation brute de capital fixe des sociétés et entreprises individuelles sur l'ensemble de l'année 1976 ».
L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) s'est efforcé de comparer systématiquement le supplément d'investissement engendré par les incitations fiscales, mises en oeuvre entre 1966 et le milieu des années 1980, avec leur coût budgétaire.
Il semble que l'impact sur l'investissement de ces procédures ait toujours été inférieur à la dépense fiscale correspondante. En moyenne, le surcroît d'investissement représenterait 80 % du coût budgétaire de la mesure. Le rapport est plus favorable pour la mesure de 1979-1980, calculée sur l'accroissement de l'investissement. Le coût des incitations fiscales temporaires apparaît donc disproportionné par rapport à leurs effets.
Par ailleurs, au-delà même de la question de leur efficacité, les incitations fiscales à l'investissement altèrent la neutralité et l'équité de l'impôt. Trois effets pervers ont pu être identifiés :
- Les incitations fiscales profitent principalement aux grandes entreprises ; les PME sont, d'une manière générale, moins bien informées des évolutions de la législation et peuvent, de ce fait, omettre de tirer partie d'incitations fiscales ; de plus, seules les grandes entreprises investissent de manière régulière, et procèdent à une programmation pluriannuelle de leurs investissements, qui permet des anticipations.
- Elles privilégient également les investissements physiques par rapport aux investissements immatériels. Cet effet est une conséquence de la définition retenue de l'investissement, assimilé aux commandes de biens d'équipement. Au niveau macroéconomique, l'amélioration de la formation brute de capital physique peut ainsi s'accompagner d'une baisse non désirée des dépenses en recherche et développement, marketing, formation...
- Enfin, l'avantage fiscal consenti est indépendant de la rentabilité avant impôt des projets d'investissement. Ce sont donc les projets dont la rentabilité avant impôt est la plus faible qui sont proportionnellement les plus aidés.
Ces analyses formulées en 1987 par le Conseil national des impôts ne semblent pas devoir être démenties par les expériences récentes. En 1996, une mesure, temporaire, d'aide à l'investissement des entreprises a été instaurée. Elle prenait la forme d'un amortissement dérogatoire : les entreprises pouvaient amortir plus vite, et pour des montants plus importants, les biens d'équipement achetés pendant cette année. Or, c'est en 1996 que l'évolution de la FBCF s'est retournée, accusant une baisse de 0,2 %, après une hausse de + 4,8 % en 1995.
En conclusion, les mesures d'incitation temporaires à l'investissement échouent à stimuler, de manière significative, la FBCF, parce qu'elles tiennent insuffisamment compte de la nature des décisions d'investissement : investir représente un pari sur l'avenir, qui se situe dans une perspective de moyen-long terme. Les marges de manoeuvre budgétaires doivent donc être employées pour financer des mesures durables, et générales, d'allégement de l'impôt sur les sociétés ou de la fiscalité locale, de préférence à des mesures de régulation conjoncturelle de l'investissement.
* 43 Le Rapport du Conseil national des Impôts de l'année 1987 présente une synthèse des évaluations réalisées en la matière.