36. Audition de MM. André Radier, président de l'Ordre des géomètres experts, Pierre Bibollet, membre du Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts et Jean Godfroid, ancien préfet, secrétaire général de l'Ordre des géomètres experts (2 juillet 2002)
M.
Auguste Cazalet -
Je vous prie de bien vouloir nous excuser pour le
léger retard que nous avons pris. Je voudrais aussi vous demander
d'excuser l'absence de Monsieur Jacques Blanc, Président de cette
Commission, et de Jean-Paul Amoudry, son rapporteur général, qui
vient d'être appelé pour assister à l'hommage rendu
à la championne de ski Régine Cavagnoud.
M. André Radier -
Je suis géomètre expert à
Montpellier et Président du Conseil supérieur de l'Ordre des
géomètres experts (OGE). J'ai été nommé par
Jacques Blanc à l'Agence méditerranéenne de
l'environnement, qui dépend directement du Conseil régional. Je
suis également Président d'AFIGéo, l'Association
française d'information géographique qui dépend de la
Commission nationale d'information géographique.
M. Pierre Bibollet -
Je suis également membre du Conseil
supérieur de l'OGE et de la Commission d'urbanisme de l'Ordre. J'exerce
à Thônes en Haute-Savoie, dans le département du
sénateur Jean-Paul Amoudry.
M. Jean Godfroid -
Préfet en service détaché, je
suis Secrétaire général de l'OGE.
M. Auguste Cazalet - V
ous avez reçu une grille de questions sur
lesquelles nous aimerions sans plus attendre connaître vos
réponses.
M. André Radier -
Vous nous avez proposé quatre questions.
Nous passerons rapidement sur les deux premières qui visaient à
présenter l'Ordre des géomètres experts.
La profession de géomètre expert remonte aussi loin que la
connaissance de la terre et l'aménagement du territoire. C'est en France
que fut créé il y a 125 ans la Fédération
internationale des géomètres experts. Elle a pour but de
définir ce qu'est la terre et d'essayer de la restituer sous toutes ses
composantes. L'OGE a été institué en 1946, et
malgré ce que peuvent croire certains, il ne doit pas sa création
au régime de Vichy. Une mission bien spécifique lui a
été confiée. Traditionnellement, le profil de
géomètre, la représentation de la terre et
l'aménagement du territoire primaient dans notre métier. Mais
depuis 1946 revient à l'OGE la mission de service public de
« dire la propriété ». Nous avons donc avant
tout, en France, la délégation de service public de la
délimitation foncière, dont nous avons le monopole. Vient ensuite
une fonction d'aménagement du territoire, vocation des
géomètres experts partout dans le monde.
Sans aller trop loin dans le passé, il faut savoir que les
géomètres experts ont été tour à tour ceux
qui ont été en charge de la cartographie de la terre, en tant
qu'officiers ministériels durant la Renaissance, pour disparaître
ensuite complètement pendant la Révolution et refaire surface
dans les années 1850 après la refonte du cadastre
décidée par Napoléon.
La profession est libérale avec des caractéristiques
connues : responsabilité, indépendance et qualité du
professionnel. Nous sommes très attachés à ces trois
critères, symboles de notre caractère libéral. L'Ordre
n'est pas un syndicat : nous sommes au service du citoyen pour la
délégation de service public. Nous sommes attentifs au travail du
législateur qui définit la nature et les fonctions de l'Ordre.
Notre Secrétaire général pourra vous donner quelques
chiffres qui vous permettront de vous faire une idée plus précise
de l'Ordre.
M. Jean Godfroid -
Vous avez devant vous un document qui vous
décrit l'organisation de l'OGE. Ce dernier s'articule autour de Conseils
régionaux, d'un Conseil supérieur et d'un Commissaire du
gouvernement.
Que représente la profession en termes économiques ?
Les géomètres experts ne sont pas très nombreux puisque
nous comptons 2 000 inscrits à l'Ordre, ce qui représente le
travail de 9 000 salariés en tout. Le chiffre d'affaires global de la
profession est de 600 millions d'euros. Ces professionnels exercent une
activité dans des domaines divers, que l'on peut regrouper sous quelques
grands chapitres :
l'aménagement, qui représente 27 % du chiffre
d'affaires des cabinets, qu'il s'agisse d'aménagement rural, urbain, ou
de travaux, puisque les géomètres experts sont également
des ingénieurs maîtres d'oeuvre ;
la topographie et l'information géographique, qui
représentent 30 % de l'activité ;
la gestion immobilière, dans ses parties expertise et
copropriété, représente 15 %, essentiellement en
Ile-de-France et dans l'Ouest de la France.
En ce qui concernent les donneurs d'ordre, critère de première
importance, plusieurs catégories se dégagent.
Les collectivités territoriales sont les principaux donneurs
d'ordre de la profession, avec 27 % des commandes passées, contre 25 %
pour les particuliers et 13 % pour l'Etat et les organismes parapublics.
Les autres professions, qui sont en quelque sorte des donneurs d'ordre
délégués à travers leurs activités comme les
notaires ou les architectes, représentent 13 % de l'activité.
Les commandes des clients privés et des aménageurs
privés s'élèvent à respectivement 12 % et 10 %
du total.
M. André Radier -
Pour définir la profession du
géomètre expert, il importe de revenir sur notre formation.
Chaque géomètre expert dispose d'une formation de sept
années après le baccalauréat : cinq années
pour obtenir un titre d'ingénieur et deux années de stage dans la
vie professionnelle qui seront ensuite validées par les Conseils
régionaux de l'Ordre. Les diplômés par le gouvernement,
reprennent tout à fait les mêmes filières.
L'OGE a défini également une obligation de qualité fournie
dans les prestations grâce à une formation continue obligatoire de
40 heures au minimum par an. Cette obligation distingue les
géomètres experts des autres professions car la formation est
essentielle dans un domaine où les évolutions sont
nombreuses : nous y reviendrons tout à l'heure quand nous
évoquerons la loi SRU.
La formation est donc d'un niveau relativement élevé et nous
avons à cet égard besoin de l'intervention politique. Nous
souhaitons en effet que la qualité caractéristique de la
profession en France résiste à l'harmonisation
européenne : elle doit se retrouver dans les autres pays
européens et ne pas subir un nivellement par le bas opéré
par la reconnaissance mutuelle des diplômes. L'Allemagne ou l'Autriche
ont le même niveau de formation et d'exigences que la France en la
matière, mais les Britanniques souhaiteraient voir leur niveau de
qualité, inférieur au nôtre, devenir le label de
reconnaissance. La délégation de service public ne peut
être attribuée qu'à des professionnels très
compétents. Le législateur doit être ferme sur ce risque
d'alignement par le bas. Le message est passé.
Si vous souhaitez avoir des éclaircissements sur l'OGE et l'organisation
de la profession, nous pourrons y revenir, mais nous allons pour le moment
poursuivre avec les deux autres questions, les plus importantes, qui
concernaient les niveaux d'intervention des géomètres experts et
les enjeux d'une réforme du droit de l'urbanisme en zone de montagne.
Comme vous l'avez compris dans la présentation de la profession de
géomètre expert, nous sommes constitués de petites
structures présentes sur l'ensemble du territoire et sommes donc
très sensibles aux problèmes d'aménagement du territoire.
Nous exerçons dans l'urbanisme rédactionnel, mais aussi et
surtout dans ce que j'appellerais « l'urbanisme
opérationnel » : nous intervenons pour toutes les
constructions dans le détachement de la propriété
foncière. Nous accompagnons de près les collectivités
locales, essentiellement celle de petite et moyenne taille, qui comptent
jusqu'à 15 00 habitants. En effet, les maires de ces communes n'ont pas
à leur disposition de services techniques développés et
doivent donc faire appel aux professionnels qui exercent à
proximité : géomètres experts, ingénieurs ou
architectes. L'urbanisme de proximité constitue donc l'un de nos
domaines de prédilection : la connaissance de la topographie du
terrain et des relations humaines au sein de ces communes nous permettent
d'exercer de façon plus humaine.
Nous adaptons également qualitativement des lois, telles la loi SRU, qui
ont été établies grâce à des modèles
numériques et des projections quantitatives. Elles oublient la
réalité du terrain et les spécificités de chaque
périmètre d'agglomération. Aucune attention n'a
été donnée aux périmètres et à leur
pertinence actuelle et réelle. L'une des qualités du
géomètre expert est cette proximité avec les
décisions quotidiennes de la commune, en particulier dans le cadre de
l'opérationnel urbain, des ZAC, des abords de ville et de l'urbanisme
rural. Preuve de cette spécificité, la loi oblige à faire
appel à nous pour les opérations de remembrement et
d'aménagement rural.
J'aimerais à ce sujet répondre à certaines critiques
adressées à tort aux géomètres experts.
Actuellement, la notion de lotissement est souvent
décriée et les géomètres experts sont la cible
de ces critiques. Ils n'ont pourtant fait qu'appliquer des règles
d'urbanisme rigides et mauvaises. Le travail à faire en commun est
important pour améliorer l'application de certaines lois votées
quelque peu hâtivement. Certains aménagements conçus
dès le départ selon une approche globale de l'urbanisation d'une
commune sont, il est vrai, dénués de toute échelle
humaine. Mais les lotissements réussissent l'intégration de leurs
habitants à la vie collective de la cité, pour peu que leur
réalisation soit entourée d'efforts pour comprendre ces habitants
et leurs préoccupations. En ce qui concerne les lotissements dortoirs
à la périphérie des grandes villes, les documents
d'urbanisme en amont sont à revoir, plus que le principe du lotissement
lui-même. Il est également bon de garder à l'esprit que
l'opération d'aménagement d'un département ne sera pas
identique en région parisienne et dans le Languedoc-Roussillon : un
schéma uniforme s'appliquant sur tout le territoire n'existe pas. Il
faut là encore y réfléchir ensemble. Nous sommes
prêts à avoir une telle approche avec les parlementaires ici
présents.
M. Pierre Bibollet -
En ce qui concerne la loi Montagne, je voudrais
simplement, sans entrer dans les détails, me concentrer sur les points
prééminents des enjeux d'éventuelles modifications du Code
de l'urbanisme.
Le premier est l'article L.145-3 du Code de l'urbanisme, règle dite de
constructibilité limitée. Deux constats s'imposent.
L'empilement des textes aboutit à des contradictions dans l'application
des lois sur le terrain. La loi Montagne, par exemple, prône le
rapprochement et le regroupement des bâtiments, alors que la loi
d'orientation agricole demande au contraire leur éloignement pour
libérer de l'espace pour les exploitations agricoles. La loi SRU et la
loi Montagne divergent également sur l'entrée en application de
la PVNR. La PVNR voudrait que les frais de viabilisation des terrains soient
répartis sur des bandes de 80 mètres de part et d'autres des
viabilités existantes. Or la jurisprudence considère une route
comme une rupture d'urbanisation dans les hameaux. Cela nous empêche de
répartir ces frais sur la globalité de la zone, ce qui revient
à mettre les aménagements en partie à la charge de la
commune.
La jurisprudence qui découle de cet article est très restrictive.
Elle part de cas très particuliers pour opérer des
généralisation abusives. Les services de contrôle de
légalité en particulier s'y fient de manière excessive.
J'ai ainsi vu récemment dans une commune un préfet utilisant
cette jurisprudence pour refuser des petites extensions de hameaux existants,
ce sous prétexte que la vallée présentait suffisamment de
capacités d'accueil.
Comment améliorer la situation pour permettre à ces communes de
faire vivre ces petits hameaux sans tomber sous le couperet strict de
l'application de cet article ? Plusieurs solutions sont envisageables.
Je viens de vivre la révision de deux POS dans des communes de montagne.
La loi SRU met en valeur de véritables projets d'aménagement et
de développement durable qui prendraient en compte l'ensemble des
préoccupations paysagères, agricoles, et environnementales
(sauvegarde des espaces naturels, plans de prévention des risques,
etc.). On s'aperçoit alors que certains lieux offrent la
possibilité de créer des hameaux nouveaux sans remettre en cause
l'équilibre de la nature. Mais l'article précité nous
l'interdit. Nous sommes alors en droit de nous interroger sur
l'intérêt des études d'aménagement et de
développement durable si un tel article empêche leurs conclusions
d'être concrétisées. N'y aurait-il pas lieu de
considérer que cet article de constructibilité limitée
n'est pas applicable quand l'élaboration de documents d'urbanisme
s'appuie sur un véritable projet de développement durable ?
Si néanmoins cet article devait perdurer, il devrait être
assoupli, notamment sur le point des ruptures d'urbanisation. Pourquoi une
route ou un ruisseau constitueraient-ils une telle rupture dans tous les
cas ? De même, la définition du hameau implique la fixation d'un
seuil en nombre de bâtiments, et la proposition du professeur Servain
pourrait être utilement reprise à condition de bien définir
les critères retenus. Ceci permettrait de mieux cerner ce qu'est un
hameau et d'éviter une jurisprudence trop stricte qui pourrait conduire
à un blocage généralisé du développement de
ces hameaux de montagne.
La conservation des espaces agricoles et leur préservation de
l'urbanisation sont d'importance en zone de montagne, mais ils sont
gagnés d'année en année par les friches et la forêt.
Ne serait-il pas possible de prendre des dispositions pour aider à
l'entretien de cet espace agricole ? Une disposition d'aides aux
agriculteurs ou aux collectivités pourrait peut-être les aider
à entretenir ces espaces. Nous avons l'occasion dans nos
activités d'urbanisme de superposer les plans cadastraux des cultures
existant il y a vingt ou trente ans avec des photos aériennes : la
rapidité de progression de ces friches est impressionnante.
Deuxièmement, nous ressentons constamment une forte pression
foncière et une population aisée recherche aujourd'hui ces
propriétés agricoles, prête à en proposer des prix
exorbitants. Cela concourt à la disparition de l'espace agricole. La
règle de constructibilité limitée vise à
préserver cet espace agricole mais on le laisse d'un autre
côté disparaître du fait de ces rachats fonciers. La
création d'un conservatoire de la montagne pourrait aider les
collectivités à acquérir ces propriétés pour
préserver leur caractère agricole, et empêcher qu'elles ne
deviennent des résidences secondaires, parfois de touristes
étrangers.
Nous pourrions également faire des propositions sur les ORIL : cet
outil pourrait peut-être être utilisé pour procéder
au logement des pluriactifs qui, du fait de la pression foncière ,
commencent à avoir du mal à se loger sur leur territoire.
M. Pierre Jarlier -
Monsieur le Président, j'aimerais apporter un
éclairage sur votre propos liminaire concernant le problème de la
contradiction des textes. Vous expliquiez que la législation voudrait
à la fois recentrer et écarter les constructions agricoles dans
deux différentes lois. Je crois justement que la loi SRU a
apporté une réponse à cette question, puisqu'elle a enfin
autorisée - sous réserve de certaines précautions et
notamment de la consultation de la Chambre d'agriculture - la dérogation
aux distances obligatoires entre les bâtiments agricoles et les
bâtiments d'habitation.
Vous avez abordé le problème de la constructibilité
limitée, qui est au coeur de nos préoccupations à chacune
de nos auditions. Nous nous sommes attachés - en particulier
vis-à-vis du rapporteur de la loi SRU Noël Tapet - à trouver
des adaptations à ce dispositif, qui est à la fois contraignant
et gage d'une certaine protection. Cet article existe car le passé
fournit de nombreux exemples d'excès et la situation exigeait que l'on
mette un frein à une urbanisation sauvage, surtout dans les secteurs
soumis à une forte pression foncière. Malheureusement, la moyenne
montagne en souffre car la pression foncière y est inexistante.
L'arrivée d'un habitant ou d'un agriculteur nouveau dans une commune en
pleine désertification est une chance et il est vrai que ce dispositif
extrêmement restrictif empêche de répondre favorablement
à ces nouvelles installations. Nous avions donc trouvé des
solutions quelque peu dérogatoires, qui ont réglé le
problème dans les zones rurales où l'on peut désormais
déroger à la règle de constructibilité
limitée sous réserve de l'intérêt du projet et de
l'accord du conseil municipal. En revanche, pour ce qui est des zones de
montagne, la loi Montagne prime sur ce nouveau dispositif, ce qui nous
ramène au début de notre problème. Comment va-t-on
pouvoir, dans les propositions que nous allons faire, retrouver un angle qui
autoriserait une souplesse d'adaptation - rendue nécessaire par la
diversité des reliefs, des paysages, des configurations des hameaux -
au-delà de ce qui existe déjà, puisque peu de communes ont
recours à des cartes communales comme outils d'urbanisme ? Vous
avez proposé que l'on trouve ces adaptations dans les documents
d'urbanisme.
Voilà un vrai débat, évoqué déjà
plusieurs fois au sein de nos commissions. Je dois vous avouer que nous aurons
du mal à faire passer ces modifications uniquement par le document
d'urbanisme. Il existe en fait une autre ouverture présente dans la loi
SRU, qui semble intéressante : la prescription de massifs. Je
crois que l'on ne raisonne pas dans les Pyrénées comme dans le
Massif Central ou dans les Alpes. Ce dispositif offre peut-être le moyen
d'acquérir une crédibilité auprès des protecteurs
de la montagne permettant de mener une réflexion à
l'échelle d'un massif. Les comités de massif peuvent avoir
à jouer un rôle important pour appuyer ce dispositif. Une fois que
la prescription de massif est définie, c'est le document d'urbanisme qui
peut nous permettre d'appliquer l'adaptation - il est préférable
de parler d' « adaptation » car l'usage du terme
« dérogation » soulèverait trop de
réticences. C'est ainsi que nous sommes parvenus à faire
réhabiliter les bâtiments anciens. Je voudrais avoir votre
sentiment sur la prescription de massif qui semblait être une bonne
orientation dans la loi SRU.
M. Pierre Bibollet -
J'avais aussi pensé aux SCOT.
M. Pierre Jarlier -
La prescription de massif pourrait évidemment
se décliner à l'échelle d'un SCOT.
M. Pierre Bibollet -
Ces prescriptions permettraient en effet de
s'adapter aux spécificités de chaque région, car l'habitat
dispersé ou le mitage par exemple ne sont pas les mêmes d'un
endroit à l'autre. La définition de hameau serait affinée
selon le type de région ou de massif, et les caractéristiques
ainsi définies retranscrites au niveau des SCOT. L'identification de ces
zones de hameaux serait ensuite retranscrite dans les POS. Je suis donc
partisan de décliner SCOT et POS à partir des prescriptions de
massif, pour, d'un contexte général, arriver à des
finesses dans le plan local d'urbanisme. Il s'agit là d'une
possibilité.
M. Gérard Bailly -
Concernant la loi Montagne, le problème
d'urbanisme autour des lacs pose de réels problèmes puisqu'il est
impossible de construire dans la zone des 300 mètres environnants. Or
lorsqu'il s'agit d'un lac encaissé, les constructions respectant ces
limites sont plus visibles et gênantes que celles situées à
proximité du lac, ce qui plaiderait pour une révision de la
législation dans ce domaine.
De plus, j'ai apprécié vos propos sur la nécessité
de faire vivre les petits bourgs en ajoutant des constructions
supplémentaires, et en même temps en apportant des restrictions
qui empêcheraient certains de vendre ces terres très cher dans des
buts d'urbanisation. Je crois tout de même que l'objectif dans ces petits
hameaux est le développement et la lutte contre la
désertification. Il faut non seulement pousser les gens à
s'installer dans les lotissements mais aussi mieux les répartir dans les
hameaux pour y maintenir de la vie.
M. Pierre Bibollet -
Il est certain que les hameaux doivent pouvoir
vivre et s'étendre surtout lorsqu'il n'existe aucun enjeu agricole ou
naturel. Certains hameaux pourraient très bien être étendus
sans remettre en cause un équilibre naturel. Par contre, lorsque j'ai
évoqué la vente à des prix très
élevés de certains espaces agricoles, c'était pour la
défense de leur usage agricole, préférable à leur
transformation en résidence secondaire. Je ne faisais pas allusion
à la construction sur ces terrains, mais à leur
préservation pour qu'ils soient remis à disposition des
agriculteurs.
Par ailleurs, l'opposition entre l'extension des hameaux et le regroupement
dans les vallées est source d'incohérence : d'un
côté on nous interdit de construire autour des hameaux sur des
terrains ne présentant pourtant aucun enjeu agricole et, de l'autre,
lorsqu'un bourg existe dans la vallée, on nous demande de construire
autour de ce bourg, même s'il est entouré de très beaux
terrains agricoles. Un équilibre doit être trouvé
grâce à l'adaptation de l'article de constructibilité
limitée.
Quant à la règle des 300 mètres, je rappellerais que nous
sommes confrontés au même problème avec l'amendement Dupont
en zones de montagne qui prévoit qu'aucune largeur de terrain ne soit
disponible à la construction en cas de cumul des risques en fond de
vallée. Une règle de 300 mètres figés autour des
lacs n'a vraiment aucun sens : selon la topographie des lieux, 50
mètres suffisent parfois.
M. André Radier -
Nous en revenons toujours au même
débat, c'est-à-dire la définition de règles
générales en gardant à l'esprit la dimension humaine et la
spécificité de chaque territoire auquel elles doivent
s'appliquer. Une loi qui entre dans le détail se heurte
nécessairement à la diversité de la France et des
Français. C'est aussi en raison de ces réglementations que la
profession de géomètre expert est en train de devenir de plus en
plus urbaine, délaissant les territoires ruraux où les
règles sont inadaptées. On ne peut appliquer une loi de la
même façon en Ardèche, où les bourgs sont
traditionnellement disséminés et mitent de façon
harmonieuse le territoire, et dans des lieux où les points d'eaux
constituaient des pôles de rassemblement autour de gros bourgs. Une
loi-cadre nationale doit descendre par palier dans les particularités du
cadre territorial, qui possède ses propres enjeux.
M. Pierre Jarlier -
Ces territoires spécifiques doivent d'autant
plus être pris en compte en montagne que ces zones sont soumises aux
contraintes de la loi Montagne, mais aussi de la loi Littoral si la zone
comporte des lacs. Cumuler ces deux contraintes, c'est être
condamné à l'immobilisme. D'où la nécessité
de ces adaptations, pour sortir de situations totalement bloquées et
agir sur des territoires porteurs de développement qui, s'ils doivent
être protégés, n'en doivent pas moins être
valorisés. Cela passera bien par un document d'urbanisme, soit à
l'échelle du SCOT comme vous le mentionniez, soit par la prescription de
massif.
Je voudrais vous poser une question sur un sujet qui n'a pas été
abordé jusque-là mais qui doit faire partie de votre
métier de géomètre expert : le problème des
biens de section. Comment le vivez-vous sur le terrain ? Nous sommes
pour notre part très concernés dans le Massif Central.
M. André Radier -
Nous ne rencontrons pas de problèmes
particuliers à cet égard, tout du moins pas dans la région
où j'exerce.
M. Pierre Jarlier -
Est-ce que des difficultés
particulières dues à l'évolution des
propriétés remontent vers vous à partir des
adhérents de l'OGE répartis dans toute la France ?
M. André Radier -
Nous venons de sortir d'un congrès qui
s'est déroulé à Lyon et dont le thème était
« Dire la propriété ». Notre prochain
congrès qui se tiendra à Lille dans deux ans portera sur la
propriété publique. Vous voyez donc que nous abordons tout
à fait les problématiques que vous soulevez.
Le drame de la propriété aujourd'hui en France, c'est la nature
du cadastre, qui date de Napoléon et reste essentiellement fiscal, sans
vraiment chercher à définir les propriétaires des
terrains, les règles applicables à l'ensemble de ces territoires,
propriétés privées ou collectives, et l'usage de ces
propriétés. La profession s'est penchée sur ces sujets,
qui constituent le coeur d'une réflexion dépassant de beaucoup le
cadre national. En effet, le problème se pose avec une grande
acuité dans les PECO qui ont demandé leur adhésion
à l'Union Européenne, car aucune économie ne peut se
développer sans disposer au préalable d'un état
précis de la propriété.
Vous mentionnez l'impossibilité d'agir, de construire et de travailler
dans certaines zones où les lois Montagne et Littoral se combinent pour
étouffer toute activité. A ce sujet, j'estime que les
géomètres experts ont pour rôle de préserver dans
ces régions l'activité humaine et la présence de
populations. Les priorités ne doivent pas être perdues de
vue : aujourd'hui le souci de la préservation de la nature aboutit
à ne plus maintenir la présence et le travail de l'homme sur ces
espaces. Cette dérive qui vide de leur substance ces territoires, qui
ont été faits par l'homme et non par la nature, contrairement aux
clichés ressassés continuellement. N'oubliez pas ce point
important. Vous êtes le législateur. La loi SRU est en train de
générer de l'urbanisation de concentration, en vidant certaines
zones au lieu de procéder à une répartition harmonieuse
des populations. Toutes nos lois devraient être bâties avec ce
souci premier de l'homme.
M. Auguste Cazalet -
Je vous remercie, plus particulièrement
encore pour ces dernières paroles. Vous avez raison de donner la
priorité à l'homme.