35. Audition de M. Didier Borotra, sénateur, maire de Biarritz, président de l'Association nationale des maires des stations classées et des communes touristiques (ANMSCCT), accompagné de Mme Géraldine Leduc, directrice générale et M. Renaud Colin, chargé de mission (2 juillet 2002)
M.
Auguste Cazalet -
En tant que Président de la Mission commune
d'information sur la montagne, je suis très heureux de recevoir mon
collègue et ami Didier Borotra, sénateur maire de Biarritz et
Président de l'Association Nationale des Maires des Stations
classées Communes Touristiques (ANMSCCT). Il est accompagné de
Madame Géraldine Leduc, directrice générale de l'ANMSCCT
et de Renaud Colin, chargé de mission.
Notre collègue Jean-Paul Amoudry est rapporteur de la présente
mission commune d'information. Nous avons déjà effectué
plusieurs auditions et déplacements : nous serons d'ailleurs la
semaine prochaine dans les Pyrénées, afin de visiter en trois
jours les Pyrénées-Orientales, les Hautes-Pyrénées,
Andorre, et enfin les Pyrénées-Atlantiques.
Nous vous laissons donc la parole.
M. Didier Borotra
- Je suis tout d'abord content d'être
auditionné par la Commission Montagne, même si ma commune n'est
pas, comme chacun sait, située en altitude. Je suis ici en tant que
Président de l'ANMSCCT qui regroupe non seulement les communes du
littoral mais également les communes de montagne, les stations thermales
et les communes de tourisme intérieur. Elle regroupe au total plus de 1
200 communes et elle a fêté l'an dernier son
soixante-dixième anniversaire, ce qui en fait la plus ancienne
association de maires en France.
Je commencerai par l'essentiel : les relations entre le tourisme et les
zones de montagne. J'ai siégé longtemps au conseil
général des Pyrénées-Atlantiques,
département qui a la chance de posséder stations
balnéaires et stations de montagne, et au conseil régional
d'Aquitaine, en tant que responsable du tourisme. Dans ces deux fonctions, j'ai
souvent eu l'occasion d'entendre exprimer les espoirs que constitue le tourisme
pour le développement des zones de montagne. Je voudrais toutefois
apporter un témoignage d'optimisme très raisonné, car je
pense que beaucoup se font, à cet égard, des illusions. Nous
sommes en droit de nous interroger sur la légitimité des
investissements très lourds qui ont été
décidés, sans prendre en compte les réalités de
plus en plus contraignantes du développement touristique. Le
problème du tourisme en montagne n'est pas fondamentalement
différent de celui du tourisme en général et
particulièrement du tourisme de la zone littorale, qui concentre plus de
70 % des touristes. Mon rôle est de rappeler ces contraintes qui
éclairent les limites du développement touristique en montagne et
mettent en garde contre des illusions qui ont coûté cher à
de nombreux conseils généraux et communes.
Il convient tout d'abord de rappeler que les contraintes du
développement touristique sont celles du marché.
L'évolution actuelle du marché touristique s'articule autour
d'une logique de produits et d'une logique de destination. La tentation
naturelle est de privilégier la seconde car c'est bien connu :
« le lieu où l'on habite est le plus beau. », chacun
s'efforçant d'en convaincre l'autre. La logique de produit est
délaissée, car plus ardue et basée sur la concurrence. Des
activités touristiques ont été créées autour
de ces logiques de destination en oubliant que si les démarches
n'étaient pas compétitives, elles étaient vouées
à l'échec. Les investissements touristiques ne peuvent
générer un retour sur investissement qu'à partir de
durées d'utilisation suffisantes. Créer des stations de montagne
dans des lieux non enneigés, une année sur deux, débouche
sur des difficultés majeures et des déficits qui pèsent
sur les chances de développement de l'ensemble de la région.
J'ajoute qu'un développement touristique est impossible sans la mise en
place d'hébergements adaptés. J'y reviendrai lorsque
j'évoquerai la problématique de l'environnement et
particulièrement l'absence de projet global cohérent, auquel on
laisse se substituer une confiance excessive accordée aux investisseurs
privés. Tout cela a conduit à la destruction de certains sites et
à la présence d'hébergements fortement
dégradés qui nuisent à l'image des zones touristiques,
d'où la mise en place des ORIL (Opérations de rénovation
de l'immobilier de loisir) et du dispositif VRT (Villages résidentiels
de tourisme).
Cette contrainte du marché est la contrainte la plus lourde. Mon
expérience du tourisme me conduit à penser qu'il est dangereux de
laisser croire que le tourisme peut être développé
n'importe où et n'importe comment.
Il existe un deuxième type de contraintes, financières
celles-là. Il fut un temps où les conseils généraux
faisaient montre d'une grande générosité. Dans mon conseil
général, cette situation a perduré. Les investissements
réalisés ne généraient pas des
bénéfices suffisants pour payer les annuités des emprunts
pris en charge par les contribuables. On mesure les conséquences de
telles décisions : soit il faut appliquer aux impôts des
hausses qui auraient été inutiles dans d'autres circonstances,
soit ces ressources sont utilisées pour combler des déficits,
alors qu'elles auraient pu l'être de manière plus productive.
Le domaine du tourisme, en France du moins, se caractérise par une
organisation très partenariale, reposant sur la participation des
pouvoirs publics, en particulier des collectivités
locales (communes, départements, régions), de
l'investissement privé, qui souvent suit les efforts financiers de la
puissance publique, et du monde associatif, qui se charge en
général de la promotion et de l'animation. Cette économie
partenariale met au premier rang les financements publics, surtout en montagne
mais également dans les zones littorales.
Les ressources spécifiques dont disposent les collectivités
territoriales pour mener une vraie politique touristique sont totalement
inadaptées. Elle sont au nombre de deux : la dotation touristique
et la taxe de séjour.
La dotation touristique représente globalement environ 183 millions
d'euros, et la taxe de séjour plus de 12 millions d'euros. La dotation
touristique est verrouillée, puisqu'elle a été
intégrée à la dotation globale de fonctionnement (DGF) et
que les communes n'en bénéficiant pas avant cette
intégration ne peuvent plus y avoir droit. Cette dotation touche environ
1 600 communes, 2 300 si l'on inclut les structures intercommunales, dont
font partie certaines communes de montagne.
La taxe de séjour représente quant à elle une recette
spécifique qui aurait dû permettre de payer les charges
spécifiques au développement touristique, mais la manière
dont elle a été conçue est critiquable et sa perception
par les communes pose de redoutables difficultés. Je voudrais à
cet égard rappeler à mes collègues ici présents que
la loi Pasqua prévoyait l'obligation de déclarer les
meublés qui constituent la base nécessaire, pour s'assurer que
toutes les locations donnaient lieu aux taxes de séjour correspondantes.
La Loi Voynet a récemment supprimé cette obligation, condamnant
ainsi la taxe de séjour à n'être perçue pour
l'essentiel que sur les lits banalisés et les opérateurs
professionnels, c'est-à-dire les hôtels et les agences
immobilières. Cette insuffisance de réglementation est bien
évidemment un obstacle considérable à la politique de
développement touristique. En effet, le système mis en place ne
garantit pas de retours suffisants de recettes aux collectivités locales
pour assurer les annuités d'emprunts.
Les contraintes sont également d'ordre environnemental. Elles sont
particulièrement importantes en montagne, mais également sur le
littoral où la loi de protection est très stricte. Je suis
favorable à ces réglementations, qui sont le seul moyen
d'empêcher des dérives. Je le dis crûment : nous avons
analysé au sein de l'ANMSCCT les conséquences de la loi Littoral.
Des modifications sont sûrement à apporter à cette
dernière, mais son équilibre général doit
être maintenu. Je rappelle que le touriste, venant en montagne est
rarement motivé par un but unique. Le ski est le principal, mais ce ne
peut être la seule raison du choix d'une destination. Je crois à
l'importance de paramètres tels que l'identité des
régions, la beauté des sites et l'équilibre
écologique. La destruction des sites exceptionnels atteint en profondeur
les chances d'un développement touristique équilibré. De
ce point de vue, la réglementation au plan national est une
nécessité absolue et tous les pays qui s'en sont privés
ont détruit leurs plus beaux sites. Ceci ne signifie d'ailleurs pas
qu'ils n'y ont pas gagné des richesses temporaires. La
fréquentation des zones qui n'ont pas légiféré sur
les contraintes environnementales a toutefois fini par diminuer. Dans le
département des Pyrénées-Atlantiques, Auguste Cazalet et
moi-même connaissons les problèmes de la vallée d'Aspe ou
de la vallée d'Ossau, liés à la construction d'une route.
Je passe sur les détails, mais il est certain que des équilibres
généraux doivent être préservés. Par
conséquent l'augmentation de la capacité d'accueil ne peut
être un objectif à atteindre à n'importe quel prix.
J'ajouterais que nous vivons aussi les difficultés liées à
la directive européenne Natura 2000. Pour vous donner un exemple des
différences d'appréciation, la ville de Biarritz dont je suis le
maire a accepté le classement en Natura 2000 de certains de ses sites,
alors qu'en montagne, la plupart des communes ont refusé, craignant
qu'une mauvaise application de cette directive n'engendre l'interdiction de
toute activité. L'idée même de la directive est selon moi
bonne, mais ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas doit être
précisé, sinon il faut accepter le risque d'une levée de
boucliers des populations contre cette réglementation européenne.
Lever le flou des contraintes est une nécessité absolue,
rapidement.
Le développement touristique est inconcevable sans un projet global de
station. Le risque, sinon, est de croire que la seule vérité est
dans l'accueil d'un nombre toujours croissant de gens, donc dans le
développement du nombre de lits de la station. C'est à mon sens
une erreur lourde et une logique de laquelle il est difficile de sortir une
fois qu'elle a été choisie. Le tourisme est communément
considéré comme une solution privilégiée pour
créer de l'emploi, de l'activité et de la richesse, mais en
raison d'un déficit de moyens financiers au niveau communal - exception
faite des aides des conseils généraux et régionaux -,
l'appel aux investisseurs privés est inévitable. La pression pour
construire toujours plus est donc grandissante. Evidemment, les retours
économiques sont incontestables mais l'absence d'un projet limitant les
perspectives de développement de la station se traduit la plupart du
temps par des excès. Nous avons pu les observer davantage dans les Alpes
que dans les Pyrénées pour des raisons qui tiennent notamment
à l'enneigement, mais également à l'attachement culturel
des montagnards, à leurs sites et aux équilibres naturels. Mon
expérience me pousse à dire qu'il n'est pas de grands projets
touristiques qui ne se fixent leurs propres limites. Autrement dit, il est
préférable d'opter pour un développement
équilibré avec une capacité d'accueil
limitée : ce choix est plus durable que la dérive consistant
à augmenter d'année en année le nombre de lits, à
créer les équipements publics et donc à provoquer les
nuisances correspondantes qui finiront un jour par altérer l'image de la
destination.
La difficulté du tourisme en montagne par rapport aux stations
littorales tient à leur difficile accessibilité. L'accès
par train ou par route est chose facile sur l'ensemble du territoire mais pas
toujours dans les zones de montagne. La tentation est donc de créer
toujours plus de routes, avec les conséquences qui en résultent.
On observe depuis des années la tendance au fractionnement des vacances.
La RTT (réduction du temps de travail) n'est pas à l'origine de
ce phénomène mais le favorisera grandement. Il est
vérifié partout : la logique touristique est unique,
même si des spécificités se dégagent pour certaines
zones. Ce fractionnement des vacances joue en faveur des lieux faciles
d'accès, car un temps de parcours d'une journée pour
accéder à une station est bien trop important lorsque la
durée des vacances n'excède pas quatre ou cinq jours. Je suis
très frappé de constater les conséquences rapides de
l'ouverture d'une ligne TGV sur une destination qui dispose d'un potentiel
touristique considérable, comme Marseille. Le développement des
infrastructures de transports influence directement et sensiblement le
développement touristique : dans ma région des
Pyrénées-Atlantiques par exemple, le développement
touristique a été directement lié à la
création des liaisons aériennes. L'autoroute relie cette
région à Paris depuis de longues années, mais sept heures
sont nécessaires pour effectuer le trajet en voiture, ce qui
représentait un obstacle au tourisme de week-end ou au tourisme
fractionné.
Enfin, il n'y a pas de développement touristique sans des animations,
lorsque les stations sont fréquentées. De ce point de vue, il est
vrai que les petites communes, même si elles reçoivent de nombreux
touristes, pêchent souvent par des structures inadaptées.
L'animation touristique passe en France par le monde associatif, le
bénévolat et un professionnalisme qui n'est qu'additionnel. Le
problème est flagrant pour les petites communes. Par exemple,
Gourette-les-Eaux-Bonnes, commune d'à peine 600 ou 700 habitants,
dispose d'une capacité d'accueil de 7 ou 8 000 lits :
l'inadéquation est donc totale entre la capacité d'accueil et les
possibilités de créer des animations permanentes à
l'intérieur de la station. Les évolutions actuelles montrent que
les touristes ne sont pas motivés par des offres mono-produit,
même lorsqu'ils viennent pour faire du ski. Ils apprécient au
contraire une offre de services multiple, qui est directement liée
à l'idée qu'ils se font de leurs vacances.
Mes propos ont pour objectif d'expliquer que tout n'est pas possible en
matière de tourisme : même lorsque des investissements
immenses sont réalisés pour des remontées
mécaniques et la mise en place de structures d'hébergement, on
s'aperçoit que les durées de fréquentation sont
relativement faibles. Ces investissements, analysés du seul point de vue
de la rentabilité, s'avèrent être du gaspillage de fonds
publics, même si dans une perspective d'aménagement du territoire,
ils ne sont pas infondés. Dans les années qui viennent, ils
seront de plus en plus difficiles à assumer. Je regrette de dire devant
Auguste Cazalet que si des investissements lourds ont été
effectués dans les années 70, ils ne seraient plus possibles
aujourd'hui car les priorités sont ailleurs. Cette situation nouvelle
doit nécessairement conduire à une réflexion sur les
politiques volontaristes, consistant à créer à tout prix
le développement touristique, quel que soit le coût de l'entretien
et du renouvellement des structures. Il en résultera, certes, des
emplois, mais avec des dépenses publiques lourdes qui ne seraient en
définitive pas réellement justifiées. Pardonnez ce qui
pourrait vous sembler présomptueux, venant d'un élu d'une commune
de littoral, mais j'encourage la Commission Montagne à ne pas s'en tenir
simplement aux affirmations de réussite exprimées par les
décideurs, mais plutôt à en faire une véritable
évaluation. Des surprises sont à attendre...
Il est évident que l'image touristique des zones de montagne
françaises est assez forte dans le monde, en raison du dynamisme et de
l'organisation qui existent chez nous depuis longtemps, contrairement à
beaucoup d'autres pays. Les stations sont reconnues comme exemplaires, sans que
l'on se préoccupe de leur coût. Leur image est
indéniablement associée aux notions de sport et de santé,
très prégnantes aujourd'hui dans les motivations des touristes.
Mais une fois encore, le danger est de ne pas voir que ces motivations ne sont
plus uniformes.
J'ai le sentiment que la promotion du tourisme français à
l'étranger, et particulièrement du tourisme d'hiver, est
insuffisante. Je reviendrai sur le caractère multi-saisons du tourisme
de montagne, mais pour l'instant les sports d'hiver représentent
l'essentiel de ce tourisme. L'ouverture aux étrangers est une
nécessité, ce qui suppose une forte promotion qui n'est pas
suffisamment assumée à l'heure qu'il est. Les stations de sports
d'hiver sont dans ce domaine mieux organisées que les autres sites
touristiques. Mais les budgets de la promotion du tourisme de montagne à
l'étranger sont en cause. Maison de la France dispose de crédits
limités, même si les départements et les régions les
ont considérablement augmentés. Sa réussite tient en fait
à sa capacité à nouer des partenariats, mais les
dépenses de promotion du tourisme français à
l'étranger par rapport à nos voisins espagnols sont trois, voire
quatre fois moindres. Il n'y a pas de secret. J'ai la chance de voyager un peu
partout dans le monde et la présence à l'étranger ne va
pas de soi. Il ne faut pas penser que les Français sont les meilleurs et
les plus aimés.
Vous me dispenserez de commentaires sur la position de la France comme
première destination touristique au monde : c'est une
manière de voir les choses. Le vrai débat pour un Ministre est de
savoir si une augmentation d'un million de touristes pourra être
annoncée à la fin de l'année. Mais au niveau des
Pyrénées-Atlantiques, nous voyons passer les voyageurs allemands
ou belges se rendant en Espagne ou au Portugal : ceux-ci seront
comptabilisés comme des touristes dans notre pays ! Pourtant ils ne
s'arrêteront chez nous que sur les aires d'autoroutes, et non pas dans
nos villes. Ce n'est pas le nombre de touristes mais le chiffre d'affaires
généré par le tourisme qui compte vraiment. Et la France
est de ce point de vue largement dépassée par les USA. L'Europe
d'une manière générale perd du terrain au niveau mondial,
et la France stagne, par rapport à ses deux principaux concurrents
l'Espagne et l'Italie.
Le tourisme de sports d'hiver doit être davantage soutenu que le tourisme
littoral, compte tenu des mouvements naturels que l'on observe toute
l'année à partir des grandes destinations françaises et
particulièrement de Paris. Après avoir visité la capitale
et l'une ou l'autre grande ville, les touristes étrangers se rendent
ailleurs, là où ils sont attirés par la promotion. Celle
des stations de sports d'hiver ne se fera pas toute seule. Des progrès
ont certes été observés, mais l'heure est à la
stabilisation.
Comme mentionné plus haut, un nombre de gens, en constante progression,
partent pour quatre ou cinq jours, par périodes. Au niveau des stations
littorales, ce phénomène constitue une modification profonde des
habitudes et se traduit par la présence très importante de
touristes dans des résidences secondaires tout au long de
l'année. Il était communément admis que la période
de haute saison - juillet et août - s'étendait jusqu'à
quatre mois pour les résidences secondaires. Mais une catégorie
particulière de touristes fait son apparition. Ceux qui possèdent
une seconde résidence : ils vivent six mois dans une grande ville
et viennent régulièrement dans leur résidence secondaire,
ce qui pose le problème du développement éventuel de
telles résidences en montagne.
Je pense qu'elles représentent des opportunités très
intéressantes à condition que leur développement soit
strictement maîtrisé. Rien ne serait pire que le mitage des
montagnes par des lotissements. A cet égard, l'élaboration d'un
projet de station s'impose. Il s'agit de définir ce que l'on veut faire
de sa ville et où les constructions sont autorisées ; la
démarche imposée par les nouvelles réglementations et le
plan local d'urbanisme (P.L.U.) relèvent d'une bonne vision prospective.
Il n'en va pas ainsi pour la loi solidarité et renouvellement urbains
(SRU) : elle devra impérativement être modifiée, pas
seulement pour l'obligation des 20 % de logements sociaux qu'elle comporte,
mais également parce qu'elle est motivée par le principe de la
densification. La solution choisie devrait au contraire être la
qualité, incompatible en général avec la densification. Je
prends un exemple : lorsque vous avez déjà appliqué
la totalité du coefficient d'occupation des sols (COS) à un
terrain, vous avez la possibilité, après en avoir vendu une
partie, d'appliquer à nouveau le même COS à ce terrain
fractionné. Voilà des schémas de densification bien
adaptés à la politique d'agglomération mais qui
hélas ! sont applicables à des communes dont la
problématique est différente. Il faut mettre un terme à
ces procédures extrêmement dangereuses car un
développement touristique pérenne doit s'appuyer sur une
très grande qualité urbaine : aménagements d'espaces
publics, densité contrôlée, qualité architecturale.
Reste enfin le problème de l'activité plurisaisonnière.
Quel avenir touristique pour les communes de montagne en dehors de la saison
d'hiver ? Les communes littorales ont une certaine avance en ce domaine,
car une saison étalée sur toute l'année est, depuis
longtemps, un rêve pour tous les maires. La réussite est plus
mitigée. La capacité à mettre sur le marché des
produits répondant à l'attente d'une population très
diversifiée n'est en effet pas uniforme. Beaucoup ont, certes, des sites
ouverts à la promenade et aux sports, à une approche culturelle
spécifique, mais il reste à imaginer des produits adaptés
à la clientèle qui ne vient pas seulement rechercher un moment de
tranquillité. L'étude au cas par cas doit être la
règle. Les obstacles sont les contraintes auxquelles j'ai fait allusion
tout à l'heure : naturelles bien sûr, celles du
marché, des finances, de l'équilibre de la nature, de
l'éloignement. Vous ne les ferez jamais totalement disparaître.
Alors rien ne sert de dépenser toujours plus pour une
multi-saisonnalité un peu illusoire, des possibilités de
développement touristique existent, mais il convient de ne pas les
exagérer.
Les relations entre environnement et tourisme constituent un sujet essentiel
qui me touche également ; ces relations ne relèvent pas
d'une problématique propre aux zones de montagne. La question
aujourd'hui est la suivante : notre pays doit-il défendre sa
culture, ses sites touristiques, son équilibre ou doit-il se laisser
entraîner dans une logique de développement non
maîtrisée ? La réponse est évidente pour peu
que l'on prenne conscience du fait que les touristes eux-mêmes
accepteront de moins en moins la remise en cause des grands équilibres
naturels. Cela ne signifie pas que la montagne devra être animée
par les bergers ou par les ours ! Simplement, nous devons avoir le courage de
considérer que le développement est impossible sans une certaine
modération. L'exemple du littoral mérite d'être
médité. La destruction d'une partie des côtes espagnoles, -
notamment la Costa del Sol à Marbella -, l'acquisition de lotissements
entiers par des étrangers, les avions déchargeant leur masse de
touristes doivent servir de repoussoirs. Je vous assure que d'ici dix ans ou
vingt ans, la fréquentation de ces zones aura considérablement
fléchi, car le soleil ne sera plus une motivation suffisante : les
touristes aspireront de plus en plus à une autre qualité de vie.
Je souhaite aborder rapidement quelques sujets supplémentaires comme
l'hôtellerie, les services publics et les ressources spécifiques
liées au tourisme.
Concernant l'hôtellerie, malgré les investissements
réalisés, certains établissements ne sont plus entretenus
et la dégradation de l'image de la station suit de près celle des
bâtiments. Nous avons beaucoup travaillé au sein de l'ANMSCCT pour
la mise en place des opérations de réhabilitation de l'immobilier
de loisir (ORIL) que j'estime être une très bonne initiative,
à condition qu'elles trouvent un relais financier auprès des
régions et des départements. L'enjeu est énorme, comme le
montre l'exemple de stations thermales où le patrimoine exceptionnel se
détruit en même temps que la réputation de la station. Les
chances d'un développement de l'activité économique et
touristique disparaissent alors. Face à cet enjeu actuel, des
opérations de réhabilitation ont été mises en place
mais elles ont fonctionné quand des financements étaient
disponibles, notamment de la part de l'ANAH. L'un des défis est
aujourd'hui de savoir si l'on pourra, à l'avenir, continuer à
trouver de tels financements.
Autre sujet, les services publics. Une station touristique, même de
moyenne importance, a besoin du maintien des services publics. Voilà une
contribution que l'Etat peut apporter dans le cadre de véritables
projets de développement, conçus en partenariat avec lui, la
région et le département. Sans ces services publics minima, tout
développement d'une activité touristique devient très
difficile.
Concernant les ressources spécifiques liées au tourisme, il
convient de bien prendre conscience des dépenses spécifiques
liées à la fréquentation touristique d'une commune :
l'augmentation de la population pendant une partie de l'année
entraîne un équipement surdimensionné, par rapport à
la population permanente. Au sein de l'ANMSCCT, nous plaidons pour la
création d'une taxe spécifique levée volontairement par
les communes, ce qui avait été prévu par le code des
collectivités locales et annulé par un amendement voté par
l'Assemblée nationale. Il s'agit d'élargir ce qui existe
actuellement avec la taxe de séjour pour les hébergements ou la
taxe de remontée mécanique, à des activités
commerciales qui se limitent à la période de haute
fréquentation.
Il convient de rechercher un juste équilibre entre l'argent que gagnent
ces opérateurs publics et le retour minimum de recettes que justifient
les investissements publics. Je tiens à vous rappeler que ce type de
taxes existe déjà en Autriche ou aux Etats-Unis sous la forme de
la «
city tax
», dont les recettes, très
importantes, permettent d'établir une relation claire entre la
dépense publique et les effets économiques. Il est normal que
l'on fasse payer des taxes aux contribuables, mais il est aussi normal que l'on
fasse payer des taxes par ceux qui viennent dans les stations et profitent des
efforts publics. Cette taxe touristique était prévue par les
textes mais selon une tradition de l'administration française, elle est
restée vingt ans dans le code des collectivités locales sans
recevoir les décrets d'application correspondants, avant d'être
supprimée un jour.
On peut constater à ce niveau une carence lourde de la part des hommes
politiques. Nous avons voté les lois, c'est à nous de veiller
à ce qu'elles soient appliquées. Il nous a été
objecté pendant longtemps l'argument de l'harmonisation fiscale
européenne et autres difficultés, mais chacun sait que, lorsque
le Ministère des finances veut freiner un projet, la faute de l'Europe
est traditionnellement mise en avant, alors que ce même ministère
parvient parfaitement à s'arranger avec les réglementations
européennes lorsqu'il s'agit de ses propres revendications.
Concernant la dotation touristique, nous plaidons pour une approche plus
typologique de la répartition de la DGF qui reconnaîtrait le
caractère spécifique d'un certain nombre de communes, à
travers leurs dépenses. Ceci se fait déjà dans un autre
domaine, avec la dotation de solidarité urbaine pour les villes ayant
des quartiers en difficulté. Une réflexion est menée dans
ce sens au sein du comité des finances locales.
Je suis en outre partisan, à partir de la part forfaitaire de la DGF, de
permettre l'ouverture de la dotation touristique à de nouvelles communes
qui réalisent d'importants efforts de développement touristique,
en montagne ou ailleurs, et qui aujourd'hui ne disposent d'aucune ressource
spécifique pour accompagner ce développement.
M. Auguste Cazalet -
Nous remercions Didier Borotra de son intervention.
Avant de passer aux questions, j'aimerais lui dire que je suis
entièrement d'accord avec lui concernant la situation des
Pyrénées-Atlantiques.
Mes collègues sénateurs, Messieurs Besse et Jarlier, Madame
André, désirez-vous poser des questions ? Madame Leduc peut
également intervenir.
Mme Géraldine Leduc -
Après un exposé aussi
complet, je serai brève. J'insisterai sur les évolutions du
tourisme. Il s'agit d'une activité de plus en plus soumise à la
concurrence étrangère et nous nous rendons compte qu'un certain
nombre de Français se rendent à l'étranger durant la
saison d'hiver, préférant à la neige des destinations plus
lointaines et exotiques. Il y a, je crois, un véritable effort à
faire en matière de diversification des produits. J'ai pu le constater
la semaine dernière lors des premières rencontres du marketing
français. Les touristes sont de plus en plus demandeurs de
packaging : ils ne vont plus au sports d'hiver uniquement pour le produit
« ski » mais également pour les sports de glisse, le
parapente, la randonnée, etc. Des efforts ont été
réalisés dans ce dernier domaine avec la mise en place de
sentiers de randonnée et l'installation de bancs pour ceux qui ne skient
pas. De même, des animations ont été mises à
disposition des touristes, comme la possibilité de passer des nuits
à l'intérieur d'igloos. Ces touristes ont besoin de
« packs » de produits qui peuvent avoir une certaine
lisibilité sous la forme de cartes commerciales.
M. Roger Besse -
Je souhaite poser une question. Elu d'un
département de moyenne montagne, je m'inquiète des
investissements réalisés dans une station de ski de moyenne
altitude et en particulier après la lecture d'un article publié
ces jours-ci par l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques qui fait apparaître des changements extrêmement
rapides du climat au cours des dernières décennies. Ce climat se
traduit par un réchauffement d'environ deux degrés en cinquante
ans avec des conséquences significatives sur le niveau de la mer et le
recul du littoral, mais également, en montagne, sur le nombre de jours
d'enneigement par an, qui diminue entre trente et soixante jours. Je
m'interroge sur la pérennité de ces stations : avez-vous un
avis à ce sujet ?
M. Didier Borotra
- Je commencerai ma réponse par une petite
précision. Lorsqu'une régie exploite une remontée
mécanique en déficit et que ce déficit doit être
comblé par le Conseil général, il est soumis à la
TVA. C'est donc une subvention soumise à la TVA ! J'avais
trouvé une solution, qui nous avait d'ailleurs valu un rappel à
l'ordre strict de la part de la Chambre régionale des comptes ;
elle consistait à considérer la régie en cessation de
paiement par le jeu de la caution du Conseil général. Cette
pratique a été sanctionnée. Cela montre combien il est
anormal de devoir subventionner une régie pour payer les annuités
d'un emprunt.
En ce qui concerne votre question sur le climat, je peux vous dire que
l'érosion des falaises, due aux mouvements de la mer, est très
fluctuante. L'observation de l'érosion des falaises sur les 150
dernières années montre qu'alternent des périodes
où la mer monte et attaque les falaises, et des périodes
où le mouvement est moins sensible. Alors je ne sais pas si
l'augmentation de la température de deux degrés aura vraiment une
quelconque influence sur le développement touristique. Ce chiffre me
semble élevé et je préfère me méfier de ce
que l'on peut lire dans les journaux.
De toute façon, Monsieur le Président, il n'importe pas en
matière de tourisme de savoir si les investissements sont
pérennes parce que la durée de vie des investissements lourds en
question est sans rapport avec les conséquences réelles des
phénomènes climatiques que vous évoquez. Je veux à
nouveau insister sur le fait que le tourisme n'est plus un artisanat et que le
manque de compétitivité dans un marché croissant est
synonyme de condamnation. Aujourd'hui, au risque de vous faire sourire, un
aller-retour Paris/Biarritz en avion est plus cher que
Paris/New York : la distance n'existe donc plus. Il faut être
aussi bon et même meilleur que les autres.
Mme Michèle André -
Vous expliquiez que la France n'est
pas forcément la destination touristique que l'on imagine. Comment se
fait-il alors que le contraire soit annoncé de façon
permanente ? En tant qu'élue du Puy-de-Dôme, je peux vous
dire que le classement qui place le Puy-de-Dôme comme le douzième
site visité en France est faux. Tout le monde est aveuglé et
continue de le répéter, malgré nos rectifications.
M. Didier Borotra
- Votre question est intéressante. Tout
d'abord, la France est une extraordinaire destination touristique mais les
ministres du tourisme ont tellement peu de moyens qu'ils doivent sans cesse
revenir vers les conseils généraux et les conseils
régionaux. Ce transfert de responsabilités de l'Etat vers les
collectivités locales devenues les vrais promoteurs des projets de
stations est inquiétant. L'idée selon laquelle la France est la
première destination touristique du monde et que tout va bien avec le
système actuel dispense l'Etat d'assumer ses responsabilités.
La vérité est un peu différente : l'Europe perd du
terrain sur le marché touristique mondial et la position de la France ne
s'améliore pas en Europe. De plus, j'ai le sentiment que
l'équipement public touristique est en baisse depuis plusieurs
années. Or, ces investissements commandent directement la
compétitivité du tourisme français, pour les années
à venir. Il est probable toutefois qu'ils aient repris grâce aux
engagements des départements et des régions au travers des
Contrats de Plan Etat-Région. A cela il faut rajouter l'extrême
difficulté à mobiliser les crédits européens,
notamment à destination des zones les plus compétitives qui ont
été totalement exclues des zones d'intervention communautaire. Or
ceux-ci constituaient auparavant la participation traditionnelle de l'Etat.
M. Pierre Jarlier -
Nous avons évoqué la
compétitivité, mais nous ne pouvons dissocier la
compétitivité de la qualité en particulier en
matière d'habitats de loisir. Certaines expérimentations sont en
cours avec les ORIL. J'aurais aimé avoir votre sentiment sur ces
expérimentations qui sont inscrites dans la loi SRU : comment
percevez-vous ce type d'opération ? Peuvent-elles être
généralisées et portées par des structures
intercommunales de proximité ? Peut-on imaginer un travail en
parallèle pour les ORIL, afin d'obtenir un système plus
opérationnel pour des structures relativement lourdes ? J'aimerais,
en somme, savoir comment adapter ce dispositif qui peut être efficace
pour améliorer la qualité de l'habitat de loisir.
M. Didier Borotra
- L'ANMSCCT a participé avec l'AMSFHSE et
l'Association nationale des élus de montagne à la mise au point
de ce dispositif. D'abord, je reste persuadé qu'aujourd'hui, un certain
nombre de stations sont menacées par la dégradation de leur
immobilier et que cette réhabilitation est nécessaire au
redémarrage de l'économie touristique. Il n'est pas question
seulement d'immobilier mais plus largement d'aménagement public, ces
deux domaines nécessitant l'établissement de plans d'ensemble
afin de restaurer par exemple les centres-villes de certaines stations. Le
problème posé est celui du financement, car le niveau
d'engagement des département et régions dans cette
démarche est variable.