2. Audition de M. Gilles Bazin, professeur de politique agricole à l'Institut national agronomique Paris-Grignon, rapporteur de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat général du Plan (3 avril 2002)

M. Gilles Bazin - Mon propos n'est pas de faire une conférence, mais de dégager quelques caractéristiques de l'évolution des zones de montagne. Vous m'auditionnez aujourd'hui en ma qualité de Rapporteur de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat général du Plan. Cette politique se fonde sur quatre grands objectifs :

- la dynamique démographique des zones de montagne ;

- la maîtrise et le développement des activités économiques, par une mise en valeur équilibrée des ressources disponibles, c'est-à-dire un développement durable ;

- la parité des revenus et des conditions de vie entre les zones de montagne et les autres régions ;

- la préservation de l'environnement et la gestion des sites et paysages montagnards.

C'est donc au regard de ces quatre grands objectifs que nous avons cherché à évaluer cette politique. Nous avons analysé l'évolution socio-économique de la montagne et des massifs et évalué le rôle des politiques agricoles, touristiques et d'aménagement du territoire dans ses évolutions. La politique de restauration des terrains de montagne, qui date de la fin du XIXe siècle, a également été prise en compte. Il en a été de même pour d'autres aspects comme la pluriactivité, les politiques environnementales (cinq des six parcs nationaux et la moitié des parcs régionaux se trouvent en montagne). Agro-économiste de formation, spécialiste des questions de développement agricole et de développement rural, je traiterai principalement des questions agricoles.

Le constat général que l'on peut dresser est celui d'un renouveau démographique de la montagne : entre 1968 et 1990, la population de la montagne est passée de 4 178 000 à 4 338 000 habitants (+ 3,8 %) et elle a encore crû de 110 000 personnes entre 1990 et 1999. Ce constat doit cependant être immédiatement nuancé, dans la mesure où 2 900 communes des 6 100 communes de montagne continuent de se dépeupler, soit environ une commune sur deux. Les petites communes sont naturellement les plus affectées par ce phénomène.

Cependant, il n'en demeure pas moins que les zones de montagne attirent les hommes, notamment dans les Alpes et en haute montagne ; en outre, on observe dans tous les massifs des zones de renouveau démographique, à l'image de la bordure sud-est du Massif central, la bordure et les extrémités pyrénéennes.

Les évolutions socio-économiques montrent de très fortes disparités en matière socio-économique. Nous avons tenté d'établir une typologie cantonale de ces évolutions socio-économiques.

Il s'agit d'une analyse multi-critères qui combine des éléments démographiques, socio-économiques (l'évolution de l'agriculture, les taux de chômage, l'installation des jeunes...). Cette analyse a été établie par la SEGESA sur la période 1980-1990. Même si ces chiffres mériteraient d'être réactualisés, ils montrent bien néanmoins la diversité de ces zones , réparties en sept groupes :

- zones de tourisme confirmé (plutôt la haute montagne) ;

- zones de développement diversifié (plusieurs activités) ;

- zones économiquement et démographiquement fragiles ;

- zones placées sous une forte influence urbaine ;

- zones de conversion touristique sur les piémonts , en particulier le sud du Massif central et des Alpes ;

- zones industrielles en difficulté (ensemble des Vosges, également dans le Jura et certaines zones de Savoie, pôles dans le Massif central, voire Pyrénées : vallée de l'Aude, zone des Hautes-Pyrénées) ;

- zones agricoles en crise (essentiellement dans le Massif central).

Une évolution très intéressante est à souligner : les zones de haute montagne, autrefois considérées comme les plus sinistrées et à l'origine de la politique agricole de la montagne, s'en tirent aujourd'hui plutôt bien. Les zones les plus fragiles sont celles des hauts plateaux (Massif central et certaines zones de piémont) qui, si elles ne souffrent pas de gros handicaps naturels, ne disposent pas non plus de beaucoup d'atouts à valoriser. Ceci signifie, que face à une diversité de situations, nous nous sommes demandés si le discours classique, uniforme, de compensation des handicaps était toujours valable. Les pouvoirs publics vont devoir développer des interventions territoriales de plus en plus différenciées et de mieux en mieux ciblées. La notion même de handicap a considérablement évolué : la neige, qui était le handicap majeur dans les années soixante pour l'agriculture de montagne est aujourd'hui l'atout essentiel de ces zones.

Le taux d'activité en montagne est identique à la moyenne nationale (43 %), le taux de chômage est inférieur de deux points. Le nombre d'emplois se maintient entre 1982 et 1990, bien que cette période corresponde par ailleurs à une période de fort exode agricole (perte de 70 000 emplois agricoles, soit 30 %). On constate également une baisse de 42 % des exploitations agricoles de montagne en l'espace de 16 ans (1980-1995), ce qui paraît considérable, mais demeure néanmoins dans la moyenne nationale. J'insiste donc sur le constat d'une relative bonne résistance de l'agriculture de montagne.

En ce qui concerne les exploitations agricoles de montagne, il est très difficile d'évaluer l'impact spécifique de la politique de compensation des handicaps naturels dans un cadre général où la Politique agricole commune (PAC) est déterminante. Sur les cinquante milliards de francs d'aides directes à l'agriculture fournis par la PAC, environ deux milliards et demi vont à l'agriculture de montagne. Il demeure donc délicat de bien évaluer cet impact quand il est noyé dans une politique générale, la PAC, qui n'est pas favorable à ces zones.

On dénombre en 2000 environ 95 000 exploitations agricoles en montagne, soit 14 % des exploitations françaises. La surface agricole utile (SAU) est estimée à 3,7 millions d'hectares (soit 13 % de la SAU française), les pâturages collectifs représentant quant à eux une surface d'un million d'hectares. Le cheptel de montagne est relativement bien situé dans le palmarès français : 16 % des vaches laitières, 20 % des vaches allaitantes et 40 % des brebis, produisant 117 000 tonnes de fromage AOC, soit 70 % de la production nationale. De même, malgré la mise en place de quotas laitiers au niveau national en 1984, la montagne a augmenté sa production fromagère d'AOC. Il y a eu dans ce domaine une co-gestion entre l'administration et la profession agricole, qui a plutôt été favorable à la montagne : cette dernière a augmenté son quota laitier de 10 % dans les années quatre-vingt-dix, alors que la plaine diminuait de 8 %. Des directives européennes ont ainsi rendu la montagne prioritaire en matière de produits laitiers. Malgré cela les quotas par exploitation restent inférieurs de un-tiers en montagne.

Sur ces 95.000 agriculteurs, 60.000 touchent l'indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN), mise en place en 1971. Cette indemnité correspondait à la fameuse prime à la vache tondeuse, suite à la loi pastorale de la même année, prime qui a ensuite été étendue en 1975 à l'ensemble des zones de montagne et défavorisées communautaires. En conséquence, le tiers des agriculteurs est exclu de cette politique de soutien, pour des raisons de taille (si l'exploitation est inférieure à trois hectares), des raisons d'âge (s'ils sont âgés de plus de 60 ans), des raisons de production (les productions animales sont soutenues partout mais les productions végétales ne sont soutenues qu'en zone de montagne sèche).

Sur les années 1979-1995, l'évolution du nombre d'exploitations est la même en montagne que pour le reste de la France (- 42 %). Pendant cette période, il n'y a pas eu de forte déprise agricole en montagne. La prime à l'herbe, accompagnant la réforme de la PAC en 1992 a eu un impact important, touchant tous les éleveurs herbagers extensifs montagnards. Prime d'un faible montant (300 francs/hectare), elle a néanmoins permis de reconquérir un certain nombre d'espaces jusque là en voie d'abandon. La montagne a perdu 3 % de sa surface agricole utile (SAU) en seize ans, conquis par la forêt ou la friche.

Toute la politique agricole de la montagne a porté sur le maintien de l'élevage d'herbivores, qui contribue à entretenir la montagne. L'évolution de l'élevage est donc un paramètre d'évaluation de cette politique. Le nombre de vaches laitières en montagne a diminué moins vite qu'au niveau français. En revanche, le nombre de vaches allaitantes a augmenté plus rapidement que dans le reste de la France, le nombre de brebis s'étant par ailleurs maintenu. Il y a donc eu un remarquable maintien de l'élevage en montagne, certainement lié au soutien apporté par animal.

L'avenir des exploitations reste très préoccupant. Dans les zones de montagne, le pourcentage de chefs d'exploitation âgés de moins de cinquante ans est supérieur à la moyenne nationale. Ce rajeunissement est sans doute lié au renforcement de la dotation jeune agriculteur (DJA) en montagne, qui atteint environ 175.000 francs contre 85.000 francs en plaine. En revanche, le taux de renouvellement est moins bon en montagne puisque 28 % des agriculteurs de plus de cinquante ans déclarent ne pas avoir de successeurs. A ce rythme, il ne devrait plus y avoir qu'entre 75 000 et 80 000 exploitations en montagne en 2005, contre 95 000 actuellement.

En ce qui concerne la politique de soutiens publics, en 2000, la politique agricole de la montagne a mobilisé environ 2,3 milliards de francs dont 1,9 milliard pour l'indemnité spéciale montagne (ISM) et 300 millions pour l'aide à l'installation, le soutien à la construction de bâtiments d'élevage et la mécanisation. L'ICHN, qui a représenté 31 700 francs par exploitation qui la touche en 2000, est variable d'un massif à l'autre.

Répartition de l'ISM selon les massifs en 2000

 

Vosges

Jura

Alpes du Nord

Alpes du Sud

Massif central

Pyrénées

Corse

Nombre de bénéficiaires de l'ISM

913

3.280

7.453

2.664

36.768

6.896

365

Montant (en millions de francs)

13,3

123,6

189,8

122

1.153,7

131

37,7

Montant par bénéficiaire (en francs)

14.580

37.680

25.470

45.800

31.880

19.000

27.580

Source : Ministère de l'agriculture

Les agriculteurs des Alpes du Sud (grands troupeaux ovins de haute montagne) touchent, en moyenne, 45 800 francs au titre de l'ISM, alors que ceux des Vosges, où dominent des petits troupeaux laitiers de moyenne montagne, reçoivent 14 580 francs. Il y a donc malgré tout un problème avec l'ISM : les petits troupeaux sont défavorisés par rapport aux plus grands.

Le budget de l'ICHN a crû de manière spectaculaire ces trois dernières années (+ 30 % entre 1999 et 2002), sans que cela ne coûte à l'Etat, étant donné que ces mesures qui étaient éligibles à 25 % le sont désormais à 50 %.

Du point de vue des revenus et de la parité des conditions de vie des montagnards par rapport au reste de la nation, le bilan reste assez négatif. La montagne, qui était la zone bénéficiant le plus d'aides en 1990, est aujourd'hui celle qui est la plus dépourvue en aides directes. Pour les zones défavorisées, notamment celles périphériques à la montagne, l'ensemble du revenu des exploitants est égal au soutien qu'ils perçoivent réellement. En effet, la réforme de la PAC a particulièrement favorisé ces zones. En revanche, la montagne est la zone où les revenus sont les moins élevés et les soutiens publics à l'agriculture les plus faibles. Contradictoirement, la PAC aide donc davantage les régions les plus riches.

Revenu courant avant impôts et aides directes en 2000

 

Zones de montagne

Zones défavorisées

Zones normales

Total

Revenu (en francs)

138 500

170 800

197 400

181 900

Aides directes (francs)

98 600

165 000

122 700

128 700

Dont ICHN

31 700

7 300

_

6 900

Aides/revenu

71 %

62 %

_

71 %

Aides/hectare (en francs)

1 680

1 990

1 950

1 930

Source : Réseau d'information comptable agricole

Le revenu des exploitants de montagne reste inférieur de 30 % à la moyenne nationale. L'ICHN en montagne représente aujourd'hui le tiers des aides et environ 20 à 25 % du revenu. Un élément doit être pris en compte pour l'avenir : la disparition de la prime à l'herbe en 2003, remplacée par les contrats territoriaux d'exploitation (CTE). Actuellement le ministère de l'Agriculture a signé 25 000 CTE dont 20 % en montagne ; la montagne conserve ici son rôle de « laboratoire » en matière de politique agricole, comme cela avait été le cas pour la dotation jeunes agriculteurs, inaugurée en montagne. Cependant, si la prime à l'herbe est supprimée pour les 30 000 éleveurs de montagne, il n'y aura pas le même nombre de CTE. Que sera-t-il fait pour poursuivre le soutien à ces éleveurs extensifs qui gèrent les espaces montagnards et notamment les plus menacés ? Il faut absolument que le ministère de l'Agriculture prenne un relais entre la prime à l'herbe qui va disparaître et ces CTE qui se mettent en place lentement.

Le rapport d'évaluation de la politique montagne avait ainsi formulé huit recommandations.

revaloriser le plafond européen de l'ISM

Cette revalorisation était une des premières recommandations de notre rapport. De fait, les modalités d'attribution de l'ISM ont été modifiées : lorsque le ministère de l'Agriculture a demandé une reconduite de cette mesure dans le cadre du nouveau plan rural national en 2000, la Commission européenne a exigé de changer le dispositif. Ainsi, d'un dispositif de soutien par UGB (unité de gros bétail), le soutien se fait désormais par hectare (plafonné à 50 hectares), afin de se conformer aux dispositions de l'OMC.

rechercher un dispositif de compensation des handicaps naturels plus proche des handicaps réels de chaque exploitation en montagne

Aujourd'hui l'altitude est un des paramètres essentiels pour mesurer effectivement ce handicap (zonages de haute montagne, montagne et piémont). En outre, le fait de prendre en compte la pente, comme le font les Suisses et les Autrichiens, aurait permis de compenser les handicaps véritables rencontrés par chaque exploitant. Ainsi, il se serait agi d'utiliser un indice synthétique permettant de tenir compte de la spécificité de chaque exploitation, ce qui était réalisable compte tenu des informations dont disposent les DDA. Cette mesure n'a cependant pas été retenue par le ministère de l'Agriculture, qui a estimé qu'elle aurait trop compliqué les modalités de calcul.

soutenir la modernisation et la diversification des exploitations

En effet, l'ISM s'apparente aujourd'hui plus à un soutien aux revenus qu'à une simple compensation : il est vrai que ce soutien équivaut à un soutien de l'investissement puisque le revenu correspond à un investissement futur. En conséquence, le fait qu'il y ait un tel différentiel de revenus entre les zones de montagne et les zones de plaine pose des questions de différentiel de productivité à long terme : moins on investit, plus les écarts vont s'accroître. Il y a donc une nécessité de soutenir l'investissement en montagne, ce qui a été jusqu'à présent négligé dans la politique de la montagne : exceptés les soutiens à la mécanisation et quelques soutiens renforcés à l'installation, on dénombre très peu d'aides accordés aux bâtiments. Or, le surcoût d'un bâtiment en montagne est patent : celui-ci coûte deux fois plus cher par vache logée en Savoie, à 1 200 mètres d'altitude, qu'en Bretagne. Il conviendrait ainsi de prolonger l'effort engagé à ce titre par le ministère de l'Agriculture.

rééquilibrer les soutiens publics à l'agriculture dans le cadre de la réforme de la PAC

Le cadre était celui de l'Agenda 2000 et de la loi d'orientation agricole. Le renforcement des soutiens à l'élevage extensif est certes intervenu, au même titre que le déplafonnement de l'ISM. Néanmoins, cela concerne des sommes relativement faibles : le deuxième pilier de la PAC représente aujourd'hui 15 % des crédits à l'agriculture. Le soutien de la PAC reste ainsi l'élément primordial qui influence le développement des exploitations au niveau individuel ou régional.

renforcer les droits à produire et les droits à la prime

Cette politique doit en effet être poursuivie, dans la mesure où les exploitations de montagne produisent 30 % moins de litres de lait que les exploitations de plaine. Néanmoins, chaque région est aujourd'hui crispée sur son droit à produire, ce qui rend des transferts de quotas, d'une région à l'autre, improbables voire impossibles. En revanche, si la prochaine réforme de la PAC organise l'attribution de quotas supplémentaires, la montagne devrait être considérée comme prioritaire.

mieux valoriser les atouts de l'agriculture de montagne

Ceci concernait notamment les CTE, qui ont bien progressé en montagne.

soutenir le développement des filières agroalimentaires de qualité

réhabiliter l'appellation montagne


Cette réhabilitation est intervenue récemment.

Mme Josette Durrieu, Président - Concernant la population, vous avez souligné la diversité des situations selon les régions. Pouvez-vous donner des informations plus précises pour les Pyrénées, au sujet d'un éventuel transfert d'une partie de la population rurale vers les villes ? Par ailleurs, vous n'avez pas abordé le thème des politiques de massifs lors de votre exposé. Enfin, la lecture de journaux et de documents semble indiquer que les CTE ne se développent pas de manière harmonieuse. Quel est votre avis sur la question ?

M. Gilles Bazin - Les Pyrénées pris dans leur totalité fournissent l'exemple d'un renversement démographique. Ainsi, la population déclinait jusqu'en 1982, date à partir de laquelle une légère augmentation est intervenue et se maintient. Cette augmentation est essentiellement due au solde migratoire, car le solde naturel demeure négatif.

D'une manière générale, le solde migratoire des Alpes, des Pyrénées est désormais positif, grâce à l'arrivée de jeunes actifs, mais également de retraités. En revanche, la région la plus marquée par des soldes naturels et migratoires négatifs est incontestablement le Massif central, qui correspond à la moitié de la zone de montagne française en termes de surface.

Concernant les politiques de massifs, le rapport a également évalué les modalités de fonctionnement des institutions spécifiques de massifs mises en place par la loi « montagne ». Nous nous sommes ainsi aperçus que ces institutions, notamment les comités de massifs, ne disposaient pas d'un pouvoir réel. Certes, ces modalités de fonctionnement sont variables d'un massif à l'autre. Je pense néanmoins que les institutions mises en place par la politique de la montagne n'ont pas vraiment fait leur preuve. Ainsi, le Conseil national de la montagne, ne s'est pas réuni pendant trois années consécutives et certains dossiers majeurs n'ont jamais été tranchés (notamment les difficultés financières de certaines stations de sport d'hiver).

Enfin, la mise en place des CTE s'effectue à l'échelle départementale. Si l'administration, mais surtout la profession agricole, font du CTE un outil prioritaire dans le développement des exploitations, ils se développeront. Ainsi, dans les Pyrénées audoises, la moitié des techniciens agricoles ont été affectés au développement des CTE : plus de 100 CTE ont par exemple été créés dans la région de Quillan. En revanche, certains départements ont initialement rechigné à instaurer des CTE. Ils sont aujourd'hui en train de combler ce retard, dans la mesure où l'essentiel des soutiens passera désormais par les CTE.

M. Pierre Jarlier - Votre exposé souligne bien le paradoxe entre les montants alloués aux exploitations de montagne et ceux accordés aux exploitations de plaine, alors même que les handicaps y sont moins prégnants. Le fait que 66 % des revenus agricoles de montagne soient constitués d'aides pose la question de la pérennité de l'agriculture en montagne par la régulation de la prime. Il s'agit là d'un danger imminent : si d'autres critères ne sont pas mis en place lors de la modification du dispositif, il y aura un impact direct sur le nombre d'agriculteurs montagnards. C'est sans doute là que de nouveaux dispositifs, intégrés aux CTE, pourraient prendre en compte le handicap spécifique et permettre des réponses adaptées. En effet, les modes d'exploitation créateurs de valeur ajoutée s'en trouveraient valorisés, afin de sortir de cette spirale infernale du revenu lié à la prime directe.

Ceci peut constituer une orientation intéressante pour le futur, car l'on sait très bien qu'avec l'évolution des politiques européennes, le montant de ces primes risque de baisser, entraînant mécaniquement une baisse du nombre d'agriculteurs. Ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent d'établir un dispositif spécifique montagne sur les CTE pour inciter fortement les agriculteurs à vivre de leurs produits ?

Le second aspect que je souhaite aborder a trait à l'évolution entre le soutien à l'ISM, à l'UGB et le soutien à l'hectare. Ce dernier favorise certes un mode de production respectueux de l'environnement, mais il provoque également une course à l'agrandissement des exploitations. Or, dans des secteurs démographiques déjà fragilisés et où le nombre des agriculteurs est essentiel pour le maintien d'une vie locale, cette course à l'agrandissement accroît le risque de désertification.

M. Gilles Bazin - Concernant la question de la dépendance de l'agriculture aux aides directes, il convient de souligner que les montagnards ne sont pas les plus dépendants en matière d'aides. Ainsi, 100 % des revenus des céréaliers sont aujourd'hui constitués d'aides ; dès lors ce sont eux les plus exposés à la prochaine réforme de la PAC. Il faut en effet s'attendre à un transfert du premier au deuxième pilier de la PAC, à une dégressivité des aides à l'hectare, et surtout à un éco-conditionnalité de ces aides. Dans ce contexte, je ne pense pas que les montagnards figurent parmi les plus menacés : en termes d'éco-conditionnalité, ils remplissent généralement les meilleures conditions de mise en valeur du point de vue agro-environnemental.

Ensuite, il est certain qu'un des effets pervers des soutiens à l'hectare est de favoriser l'agrandissement plutôt que l'installation, et d'augmenter les fermages et le prix de la terre. Cependant, l'ISM demeure plafonné à 50 hectares. Il est néanmoins exact que dans des massifs de petites structures comme les Vosges, les Pyrénées, les Alpes de Nord, cette pression foncière s'exerce inévitablement. Cela me semble en revanche moins évident pour le Massif central.

Faudrait-il créer des CTE de montagne ? Jusqu'à présent, les CTE contiennent deux mesures nationales : la conversion à l'agriculture biologique d'une part, et d'autre part la conversion des terres arables en élevage. Pour ma part, je ne pense pas qu'il y soit nécessaire de créer des CTE spécifiques à la montagne. De plus, les professionnels agricoles veillent à ce que les mesures de compensation de handicaps demeurent bien limités à leur champ de compétence initial.

Dans les départements exclusivement montagnards, les éleveurs se sont très bien adaptés à cette situation. Dans les départements où la montagne ne constitue qu'une petite partie du territoire, il est sans doute plus difficile d'établir un CTE dévolu à une région de montagne. Néanmoins, les Pyrénées audoises ont réussi cet effort, ce qui confirme bien que la réussite des mesures dépend de la volonté professionnelle et administrative locale. Dès lors, je réaffirme qu'il n'y a pas vocation à avoir de CTE nationaux comprenant des mesures spécifiques à la montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Vous avez proposé des perspectives au sujet du maintien des quotas laitiers, qui contribuent tant à la vitalité relative de l'agriculture en montagne. Comment voyez-vous l'avenir de ces quotas ?

D'autre part, les CTE semblent se heurter ici ou là à des problèmes institutionnels, là où existent des sections de communes. Que pensez-vous de cette situation ?

Enfin, malgré l'aide à l'installation, il est aisé de constater que le nombre d'exploitations diminue de manière conséquente. Une aide à l'installation organisée de manière plus intégrale, plus horizontale a-t-elle été envisagée ?

M. Gilles Bazin - Dans le domaine des quotas laitiers, nous sommes confrontés à une véritable interrogation. Les quotas étaient menacés en 1999, dans le cadre de l'Agenda 2000 qui envisageait leur suppression en 2007. Aujourd'hui, les pays qui prônaient cette suppression (les Pays-Bas, le Danemark, la Grande-Bretagne) tendent à revenir sur leur position. Ainsi, les Néerlandais, qui ont acheté très cher leurs quotas laitiers (jusqu'à 3,05 euros le litre de lait), perdraient beaucoup si les quotas disparaissaient.

Je pense effectivement que la mise en place des quotas laitiers a constitué un atout indéniable pour conserver une production laitière en montagne. Le dispositif risque d'être un peu allégé à l'avenir, en laissant une part plus importante au marché. Une des solutions consisterait selon moi à agir de la même manière que pour la betterave : établir un quota européen correspondant à la consommation de l'Europe, le surplus étant valorisé par le marché au prix mondial, ce qui éviterait de subventionner les exportations de beurre et de poudre.

Sur la question des problèmes institutionnels et des CTE, je ne me sens pas compétent en la matière pour pouvoir répondre

Enfin, environ 1 000 DJA sont attribuées dans les zones de montagne chaque année et environ 400 installations hors DJA intervenant également sur la même période. Je pense qu'il faudrait effectivement davantage différencier les politiques d'installation en montagne. L'installation a en effet toujours été pensée comme l'installation des fils ou des filles d'agriculteurs. Or, de plus en plus de jeunes, dont les familles ne sont pas agricoles, souhaiteraient s'installer en montagne. Cependant, ils éprouvent les plus grandes difficultés à pouvoir le réaliser. Il pourrait être pertinent de mettre en place des politiques différenciées : une politique pour les enfants d'agriculteurs d'une part, et d'autre part une politique permettant à des personnes qualifiées mais sans patrimoine agricole, de s'installer.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous renouvelle tous nos remerciements, de la part de la mission. Je souhaiterais que vous fassiez parvenir au secrétariat de la mission les éléments écrits qui permettront de nourrir notre travail.

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