2. Audition de M. Gilles Bazin, professeur de politique agricole à l'Institut national agronomique Paris-Grignon, rapporteur de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat général du Plan (3 avril 2002)
M.
Gilles Bazin -
Mon propos n'est pas de faire une conférence, mais de
dégager quelques caractéristiques de l'évolution des zones
de montagne. Vous m'auditionnez aujourd'hui en ma qualité de Rapporteur
de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat
général du Plan. Cette politique se fonde sur quatre grands
objectifs :
- la dynamique démographique des zones de montagne ;
- la maîtrise et le développement des activités
économiques, par une mise en valeur équilibrée des
ressources disponibles, c'est-à-dire un développement
durable ;
- la parité des revenus et des conditions de vie entre les zones de
montagne et les autres régions ;
- la préservation de l'environnement et la gestion des sites et paysages
montagnards.
C'est donc au regard de ces quatre grands objectifs que nous avons
cherché à évaluer cette politique. Nous avons
analysé l'évolution socio-économique de la montagne et des
massifs et évalué le rôle des politiques agricoles,
touristiques et d'aménagement du territoire dans ses évolutions.
La politique de restauration des terrains de montagne, qui date de la fin du
XIXe siècle, a également été prise en compte.
Il en a été de même pour d'autres aspects comme la
pluriactivité, les politiques environnementales (cinq des six parcs
nationaux et la moitié des parcs régionaux se trouvent en
montagne). Agro-économiste de formation, spécialiste des
questions de développement agricole et de développement rural, je
traiterai principalement des questions agricoles.
Le constat général que l'on peut dresser est celui d'un renouveau
démographique de la montagne : entre 1968 et 1990, la population de
la montagne est passée de 4 178 000 à
4 338 000 habitants (+ 3,8 %) et elle a encore
crû de 110 000 personnes entre 1990 et 1999. Ce constat doit
cependant être immédiatement nuancé, dans la mesure
où 2 900 communes des 6 100 communes de montagne continuent de se
dépeupler, soit environ une commune sur deux. Les petites communes sont
naturellement les plus affectées par ce phénomène.
Cependant, il n'en demeure pas moins que les zones de montagne attirent les
hommes, notamment dans les Alpes et en haute montagne ; en outre, on
observe dans tous les massifs des zones de renouveau démographique,
à l'image de la bordure sud-est du Massif central, la bordure et les
extrémités pyrénéennes.
Les évolutions socio-économiques montrent de très fortes
disparités en matière socio-économique. Nous avons
tenté d'établir une typologie cantonale de ces évolutions
socio-économiques.
Il s'agit d'une analyse multi-critères qui combine des
éléments démographiques, socio-économiques
(l'évolution de l'agriculture, les taux de chômage, l'installation
des jeunes...). Cette analyse a été établie par la SEGESA
sur la période 1980-1990. Même si ces chiffres mériteraient
d'être réactualisés, ils montrent bien néanmoins la
diversité de ces zones , réparties en sept groupes :
- zones de tourisme confirmé (plutôt la haute montagne) ;
- zones de développement diversifié (plusieurs
activités) ;
- zones économiquement et démographiquement fragiles ;
- zones placées sous une forte influence urbaine ;
- zones de conversion touristique sur les piémonts , en particulier le
sud du Massif central et des Alpes ;
- zones industrielles en difficulté (ensemble des Vosges,
également dans le Jura et certaines zones de Savoie, pôles dans le
Massif central, voire Pyrénées : vallée de l'Aude,
zone des Hautes-Pyrénées) ;
- zones agricoles en crise (essentiellement dans le Massif central).
Une évolution très intéressante est à
souligner : les zones de haute montagne, autrefois
considérées comme les plus sinistrées et à
l'origine de la politique agricole de la montagne, s'en tirent aujourd'hui
plutôt bien. Les zones les plus fragiles sont celles des hauts plateaux
(Massif central et certaines zones de piémont) qui, si elles ne
souffrent pas de gros handicaps naturels, ne disposent pas non plus de beaucoup
d'atouts à valoriser. Ceci signifie, que face à une
diversité de situations, nous nous sommes demandés si le discours
classique, uniforme, de compensation des handicaps était toujours
valable. Les pouvoirs publics vont devoir développer des interventions
territoriales de plus en plus différenciées et de mieux en mieux
ciblées. La notion même de handicap a considérablement
évolué : la neige, qui était le handicap majeur dans
les années soixante pour l'agriculture de montagne est aujourd'hui
l'atout essentiel de ces zones.
Le taux d'activité en montagne est identique à la moyenne
nationale (43 %), le taux de chômage est inférieur de deux points.
Le nombre d'emplois se maintient entre 1982 et 1990, bien que cette
période corresponde par ailleurs à une période de fort
exode agricole (perte de 70 000 emplois agricoles, soit 30 %). On
constate également une baisse de 42 % des exploitations agricoles de
montagne en l'espace de 16 ans (1980-1995), ce qui paraît
considérable, mais demeure néanmoins dans la moyenne nationale.
J'insiste donc sur le constat d'une relative bonne résistance de
l'agriculture de montagne.
En ce qui concerne les exploitations agricoles de montagne, il est très
difficile d'évaluer l'impact spécifique de la politique de
compensation des handicaps naturels dans un cadre général
où la Politique agricole commune (PAC) est déterminante. Sur les
cinquante milliards de francs d'aides directes à l'agriculture fournis
par la PAC, environ deux milliards et demi vont à l'agriculture de
montagne. Il demeure donc délicat de bien évaluer cet impact
quand il est noyé dans une politique générale, la PAC, qui
n'est pas favorable à ces zones.
On dénombre en 2000 environ 95 000 exploitations agricoles en montagne,
soit 14 % des exploitations françaises. La surface agricole utile
(SAU) est estimée à 3,7 millions d'hectares (soit 13 % de la
SAU française), les pâturages collectifs représentant quant
à eux une surface d'un million d'hectares. Le cheptel de montagne est
relativement bien situé dans le palmarès français :
16 % des vaches laitières, 20 % des vaches allaitantes et 40 %
des brebis, produisant 117 000 tonnes de fromage AOC, soit 70 % de la
production nationale. De même, malgré la mise en place de quotas
laitiers au niveau national en 1984, la montagne a augmenté sa
production fromagère d'AOC. Il y a eu dans ce domaine une co-gestion
entre l'administration et la profession agricole, qui a plutôt
été favorable à la montagne : cette dernière a
augmenté son quota laitier de 10 % dans les années
quatre-vingt-dix, alors que la plaine diminuait de 8 %. Des directives
européennes ont ainsi rendu la montagne prioritaire en matière de
produits laitiers. Malgré cela les quotas par exploitation restent
inférieurs de un-tiers en montagne.
Sur ces 95.000 agriculteurs, 60.000 touchent l'indemnité compensatrice
de handicap naturel (ICHN), mise en place en 1971. Cette indemnité
correspondait à la fameuse prime à la vache tondeuse, suite
à la loi pastorale de la même année, prime qui a ensuite
été étendue en 1975 à l'ensemble des zones de
montagne et défavorisées communautaires. En conséquence,
le tiers des agriculteurs est exclu de cette politique de soutien, pour des
raisons de taille (si l'exploitation est inférieure à trois
hectares), des raisons d'âge (s'ils sont âgés de plus de 60
ans), des raisons de production (les productions animales sont soutenues
partout mais les productions végétales ne sont soutenues qu'en
zone de montagne sèche).
Sur les années 1979-1995, l'évolution du nombre d'exploitations
est la même en montagne que pour le reste de la France (- 42 %).
Pendant cette période, il n'y a pas eu de forte déprise agricole
en montagne. La prime à l'herbe, accompagnant la réforme de la
PAC en 1992 a eu un impact important, touchant tous les éleveurs
herbagers extensifs montagnards. Prime d'un faible montant (300
francs/hectare), elle a néanmoins permis de reconquérir un
certain nombre d'espaces jusque là en voie d'abandon. La montagne a
perdu 3 % de sa surface agricole utile (SAU) en seize ans, conquis par la
forêt ou la friche.
Toute la politique agricole de la montagne a porté sur le maintien de
l'élevage d'herbivores, qui contribue à entretenir la montagne.
L'évolution de l'élevage est donc un paramètre
d'évaluation de cette politique. Le nombre de vaches laitières en
montagne a diminué moins vite qu'au niveau français. En revanche,
le nombre de vaches allaitantes a augmenté plus rapidement que dans le
reste de la France, le nombre de brebis s'étant par ailleurs maintenu.
Il y a donc eu un remarquable maintien de l'élevage en montagne,
certainement lié au soutien apporté par animal.
L'avenir des exploitations reste très préoccupant. Dans les zones
de montagne, le pourcentage de chefs d'exploitation âgés de moins
de cinquante ans est supérieur à la moyenne nationale. Ce
rajeunissement est sans doute lié au renforcement de la dotation jeune
agriculteur (DJA) en montagne, qui atteint environ 175.000 francs contre 85.000
francs en plaine. En revanche, le taux de renouvellement est moins bon en
montagne puisque 28 % des agriculteurs de plus de cinquante ans
déclarent ne pas avoir de successeurs. A ce rythme, il ne devrait plus y
avoir qu'entre 75 000 et 80 000 exploitations en montagne en
2005, contre 95 000 actuellement.
En ce qui concerne la politique de soutiens publics, en 2000, la politique
agricole de la montagne a mobilisé environ 2,3 milliards de francs
dont 1,9 milliard pour l'indemnité spéciale montagne (ISM) et 300
millions pour l'aide à l'installation, le soutien à la
construction de bâtiments d'élevage et la mécanisation.
L'ICHN, qui a représenté 31 700 francs par exploitation qui la
touche en 2000, est variable d'un massif à l'autre.
Répartition de l'ISM selon les massifs en 2000
|
Vosges |
Jura |
Alpes du Nord |
Alpes du Sud |
Massif central |
Pyrénées |
Corse |
Nombre de bénéficiaires de l'ISM |
913 |
3.280 |
7.453 |
2.664 |
36.768 |
6.896 |
365 |
Montant (en millions de francs) |
13,3 |
123,6 |
189,8 |
122 |
1.153,7 |
131 |
37,7 |
Montant par bénéficiaire (en francs) |
14.580 |
37.680 |
25.470 |
45.800 |
31.880 |
19.000 |
27.580 |
Source : Ministère de l'agriculture
Les agriculteurs des Alpes du Sud (grands troupeaux ovins de haute montagne)
touchent, en moyenne, 45 800 francs au titre de l'ISM, alors que ceux des
Vosges, où dominent des petits troupeaux laitiers de moyenne montagne,
reçoivent 14 580 francs. Il y a donc malgré tout un
problème avec l'ISM : les petits troupeaux sont
défavorisés par rapport aux plus grands.
Le budget de l'ICHN a crû de manière spectaculaire ces trois
dernières années (+ 30 % entre 1999 et 2002), sans que cela
ne coûte à l'Etat, étant donné que ces mesures qui
étaient éligibles à 25 % le sont désormais à
50 %.
Du point de vue des revenus et de la parité des conditions de vie des
montagnards par rapport au reste de la nation, le bilan reste assez
négatif. La montagne, qui était la zone bénéficiant
le plus d'aides en 1990, est aujourd'hui celle qui est la plus dépourvue
en aides directes. Pour les zones défavorisées, notamment celles
périphériques à la montagne, l'ensemble du revenu des
exploitants est égal au soutien qu'ils perçoivent
réellement. En effet, la réforme de la PAC a
particulièrement favorisé ces zones. En revanche, la montagne est
la zone où les revenus sont les moins élevés et les
soutiens publics à l'agriculture les plus faibles. Contradictoirement,
la PAC aide donc davantage les régions les plus riches.
Revenu courant avant impôts et aides directes en 2000
|
Zones de montagne |
Zones défavorisées |
Zones normales |
Total |
Revenu (en francs) |
138 500 |
170 800 |
197 400 |
181 900 |
Aides directes (francs) |
98 600 |
165 000 |
122 700 |
128 700 |
Dont ICHN |
31 700 |
7 300 |
_ |
6 900 |
Aides/revenu |
71 % |
62 % |
_ |
71 % |
Aides/hectare (en francs) |
1 680 |
1 990 |
1 950 |
1 930 |
Source : Réseau d'information comptable
agricole
Le revenu des exploitants de montagne reste inférieur de 30 % à
la moyenne nationale. L'ICHN en montagne représente aujourd'hui le tiers
des aides et environ 20 à 25 % du revenu. Un élément doit
être pris en compte pour l'avenir : la disparition de la prime
à l'herbe en 2003, remplacée par les contrats territoriaux
d'exploitation (CTE). Actuellement le ministère de l'Agriculture a
signé 25 000 CTE dont 20 % en montagne ; la montagne conserve
ici son rôle de « laboratoire » en matière de
politique agricole, comme cela avait été le cas pour la dotation
jeunes agriculteurs, inaugurée en montagne. Cependant, si la prime
à l'herbe est supprimée pour les 30 000 éleveurs
de montagne, il n'y aura pas le même nombre de CTE. Que sera-t-il fait
pour poursuivre le soutien à ces éleveurs extensifs qui
gèrent les espaces montagnards et notamment les plus
menacés ? Il faut absolument que le ministère de
l'Agriculture prenne un relais entre la prime à l'herbe qui va
disparaître et ces CTE qui se mettent en place lentement.
Le rapport d'évaluation de la politique montagne avait ainsi
formulé huit recommandations.
revaloriser le plafond européen de l'ISM
Cette revalorisation était une des premières recommandations de
notre rapport. De fait, les modalités d'attribution de l'ISM ont
été modifiées : lorsque le ministère de
l'Agriculture a demandé une reconduite de cette mesure dans le cadre du
nouveau plan rural national en 2000, la Commission européenne a
exigé de changer le dispositif. Ainsi, d'un dispositif de soutien par
UGB (unité de gros bétail), le soutien se fait désormais
par hectare (plafonné à 50 hectares), afin de se conformer
aux dispositions de l'OMC.
rechercher un dispositif de compensation des handicaps naturels plus proche
des handicaps réels de chaque exploitation en montagne
Aujourd'hui l'altitude est un des paramètres essentiels pour mesurer
effectivement ce handicap (zonages de haute montagne, montagne et
piémont). En outre, le fait de prendre en compte la pente, comme le font
les Suisses et les Autrichiens, aurait permis de compenser les handicaps
véritables rencontrés par chaque exploitant. Ainsi, il se serait
agi d'utiliser un indice synthétique permettant de tenir compte de la
spécificité de chaque exploitation, ce qui était
réalisable compte tenu des informations dont disposent les DDA. Cette
mesure n'a cependant pas été retenue par le ministère de
l'Agriculture, qui a estimé qu'elle aurait trop compliqué les
modalités de calcul.
soutenir la modernisation et la diversification des exploitations
En effet, l'ISM s'apparente aujourd'hui plus à un soutien aux revenus
qu'à une simple compensation : il est vrai que ce soutien
équivaut à un soutien de l'investissement puisque le revenu
correspond à un investissement futur. En conséquence, le fait
qu'il y ait un tel différentiel de revenus entre les zones de montagne
et les zones de plaine pose des questions de différentiel de
productivité à long terme : moins on investit, plus les
écarts vont s'accroître. Il y a donc une nécessité
de soutenir l'investissement en montagne, ce qui a été
jusqu'à présent négligé dans la politique de la
montagne : exceptés les soutiens à la mécanisation et
quelques soutiens renforcés à l'installation, on dénombre
très peu d'aides accordés aux bâtiments. Or, le
surcoût d'un bâtiment en montagne est patent : celui-ci
coûte deux fois plus cher par vache logée en Savoie, à 1
200 mètres d'altitude, qu'en Bretagne. Il conviendrait ainsi de
prolonger l'effort engagé à ce titre par le ministère de
l'Agriculture.
rééquilibrer les soutiens publics à l'agriculture dans
le cadre de la réforme de la PAC
Le cadre était celui de l'Agenda 2000 et de la loi d'orientation
agricole. Le renforcement des soutiens à l'élevage extensif est
certes intervenu, au même titre que le déplafonnement de l'ISM.
Néanmoins, cela concerne des sommes relativement faibles : le
deuxième pilier de la PAC représente aujourd'hui 15 % des
crédits à l'agriculture. Le soutien de la PAC reste ainsi
l'élément primordial qui influence le développement des
exploitations au niveau individuel ou régional.
renforcer les droits à produire et les droits à la prime
Cette politique doit en effet être poursuivie, dans la mesure où
les exploitations de montagne produisent 30 % moins de litres de lait que les
exploitations de plaine. Néanmoins, chaque région est aujourd'hui
crispée sur son droit à produire, ce qui rend des transferts de
quotas, d'une région à l'autre, improbables voire impossibles. En
revanche, si la prochaine réforme de la PAC organise l'attribution de
quotas supplémentaires, la montagne devrait être
considérée comme prioritaire.
mieux valoriser les atouts de l'agriculture de montagne
Ceci concernait notamment les CTE, qui ont bien progressé en montagne.
soutenir le développement des filières agroalimentaires de
qualité
réhabiliter l'appellation montagne
Cette réhabilitation est intervenue récemment.
Mme Josette Durrieu, Président -
Concernant la population, vous
avez souligné la diversité des situations selon les
régions. Pouvez-vous donner des informations plus précises pour
les Pyrénées, au sujet d'un éventuel transfert d'une
partie de la population rurale vers les villes ? Par ailleurs, vous n'avez
pas abordé le thème des politiques de massifs lors de votre
exposé. Enfin, la lecture de journaux et de documents semble indiquer
que les CTE ne se développent pas de manière harmonieuse. Quel
est votre avis sur la question ?
M. Gilles Bazin -
Les Pyrénées pris dans leur
totalité fournissent l'exemple d'un renversement démographique.
Ainsi, la population déclinait jusqu'en 1982, date à partir de
laquelle une légère augmentation est intervenue et se maintient.
Cette augmentation est essentiellement due au solde migratoire, car le solde
naturel demeure négatif.
D'une manière générale, le solde migratoire des Alpes, des
Pyrénées est désormais positif, grâce à
l'arrivée de jeunes actifs, mais également de retraités.
En revanche, la région la plus marquée par des soldes naturels et
migratoires négatifs est incontestablement le Massif central, qui
correspond à la moitié de la zone de montagne française en
termes de surface.
Concernant les politiques de massifs, le rapport a également
évalué les modalités de fonctionnement des institutions
spécifiques de massifs mises en place par la loi
« montagne ». Nous nous sommes ainsi aperçus que ces
institutions, notamment les comités de massifs, ne disposaient pas d'un
pouvoir réel. Certes, ces modalités de fonctionnement sont
variables d'un massif à l'autre. Je pense néanmoins que les
institutions mises en place par la politique de la montagne n'ont pas vraiment
fait leur preuve. Ainsi, le Conseil national de la montagne, ne s'est pas
réuni pendant trois années consécutives et certains
dossiers majeurs n'ont jamais été tranchés (notamment les
difficultés financières de certaines stations de sport d'hiver).
Enfin, la mise en place des CTE s'effectue à l'échelle
départementale. Si l'administration, mais surtout la profession
agricole, font du CTE un outil prioritaire dans le développement des
exploitations, ils se développeront. Ainsi, dans les
Pyrénées audoises, la moitié des techniciens agricoles ont
été affectés au développement des CTE : plus
de 100 CTE ont par exemple été créés dans la
région de Quillan. En revanche, certains départements ont
initialement rechigné à instaurer des CTE. Ils sont aujourd'hui
en train de combler ce retard, dans la mesure où l'essentiel des
soutiens passera désormais par les CTE.
M. Pierre Jarlier -
Votre exposé souligne bien le paradoxe entre
les montants alloués aux exploitations de montagne et ceux
accordés aux exploitations de plaine, alors même que les handicaps
y sont moins prégnants. Le fait que 66 % des revenus agricoles de
montagne soient constitués d'aides pose la question de la
pérennité de l'agriculture en montagne par la régulation
de la prime. Il s'agit là d'un danger imminent : si d'autres
critères ne sont pas mis en place lors de la modification du dispositif,
il y aura un impact direct sur le nombre d'agriculteurs montagnards. C'est sans
doute là que de nouveaux dispositifs, intégrés aux CTE,
pourraient prendre en compte le handicap spécifique et permettre des
réponses adaptées. En effet, les modes d'exploitation
créateurs de valeur ajoutée s'en trouveraient valorisés,
afin de sortir de cette spirale infernale du revenu lié à la
prime directe.
Ceci peut constituer une orientation intéressante pour le futur, car
l'on sait très bien qu'avec l'évolution des politiques
européennes, le montant de ces primes risque de baisser,
entraînant mécaniquement une baisse du nombre d'agriculteurs. Ne
pensez-vous pas qu'il serait pertinent d'établir un dispositif
spécifique montagne sur les CTE pour inciter fortement les agriculteurs
à vivre de leurs produits ?
Le second aspect que je souhaite aborder a trait à l'évolution
entre le soutien à l'ISM, à l'UGB et le soutien à
l'hectare. Ce dernier favorise certes un mode de production respectueux de
l'environnement, mais il provoque également une course à
l'agrandissement des exploitations. Or, dans des secteurs démographiques
déjà fragilisés et où le nombre des agriculteurs
est essentiel pour le maintien d'une vie locale, cette course à
l'agrandissement accroît le risque de désertification.
M. Gilles Bazin -
Concernant la question de la dépendance de
l'agriculture aux aides directes, il convient de souligner que les montagnards
ne sont pas les plus dépendants en matière d'aides. Ainsi, 100 %
des revenus des céréaliers sont aujourd'hui constitués
d'aides ; dès lors ce sont eux les plus exposés à la
prochaine réforme de la PAC. Il faut en effet s'attendre à un
transfert du premier au deuxième pilier de la PAC, à une
dégressivité des aides à l'hectare, et surtout à un
éco-conditionnalité de ces aides. Dans ce contexte, je ne pense
pas que les montagnards figurent parmi les plus menacés : en termes
d'éco-conditionnalité, ils remplissent généralement
les meilleures conditions de mise en valeur du point de vue
agro-environnemental.
Ensuite, il est certain qu'un des effets pervers des soutiens à
l'hectare est de favoriser l'agrandissement plutôt que l'installation, et
d'augmenter les fermages et le prix de la terre. Cependant, l'ISM demeure
plafonné à 50 hectares. Il est néanmoins exact que
dans des massifs de petites structures comme les Vosges, les
Pyrénées, les Alpes de Nord, cette pression foncière
s'exerce inévitablement. Cela me semble en revanche moins évident
pour le Massif central.
Faudrait-il créer des CTE de montagne ? Jusqu'à
présent, les CTE contiennent deux mesures nationales : la
conversion à l'agriculture biologique d'une part, et d'autre part la
conversion des terres arables en élevage. Pour ma part, je ne pense pas
qu'il y soit nécessaire de créer des CTE spécifiques
à la montagne. De plus, les professionnels agricoles veillent à
ce que les mesures de compensation de handicaps demeurent bien limités
à leur champ de compétence initial.
Dans les départements exclusivement montagnards, les éleveurs se
sont très bien adaptés à cette situation. Dans les
départements où la montagne ne constitue qu'une petite partie du
territoire, il est sans doute plus difficile d'établir un CTE
dévolu à une région de montagne. Néanmoins, les
Pyrénées audoises ont réussi cet effort, ce qui confirme
bien que la réussite des mesures dépend de la volonté
professionnelle et administrative locale. Dès lors, je réaffirme
qu'il n'y a pas vocation à avoir de CTE nationaux comprenant des mesures
spécifiques à la montagne.
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous avez proposé des perspectives au
sujet du maintien des quotas laitiers, qui contribuent tant à la
vitalité relative de l'agriculture en montagne. Comment voyez-vous
l'avenir de ces quotas ?
D'autre part, les CTE semblent se heurter ici ou là à des
problèmes institutionnels, là où existent des sections de
communes. Que pensez-vous de cette situation ?
Enfin, malgré l'aide à l'installation, il est aisé de
constater que le nombre d'exploitations diminue de manière
conséquente. Une aide à l'installation organisée de
manière plus intégrale, plus horizontale a-t-elle
été envisagée ?
M. Gilles Bazin -
Dans le domaine des quotas laitiers, nous sommes
confrontés à une véritable interrogation. Les quotas
étaient menacés en 1999, dans le cadre de l'Agenda 2000 qui
envisageait leur suppression en 2007. Aujourd'hui, les pays qui prônaient
cette suppression (les Pays-Bas, le Danemark, la Grande-Bretagne) tendent
à revenir sur leur position. Ainsi, les Néerlandais, qui ont
acheté très cher leurs quotas laitiers (jusqu'à 3,05 euros
le litre de lait), perdraient beaucoup si les quotas disparaissaient.
Je pense effectivement que la mise en place des quotas laitiers a
constitué un atout indéniable pour conserver une production
laitière en montagne. Le dispositif risque d'être un peu
allégé à l'avenir, en laissant une part plus importante au
marché. Une des solutions consisterait selon moi à agir de la
même manière que pour la betterave : établir un quota
européen correspondant à la consommation de l'Europe, le surplus
étant valorisé par le marché au prix mondial, ce qui
éviterait de subventionner les exportations de beurre et de poudre.
Sur la question des problèmes institutionnels et des CTE, je ne me sens
pas compétent en la matière pour pouvoir répondre
Enfin, environ 1 000 DJA sont attribuées dans les zones de montagne
chaque année et environ 400 installations hors DJA intervenant
également sur la même période. Je pense qu'il faudrait
effectivement davantage différencier les politiques d'installation en
montagne. L'installation a en effet toujours été pensée
comme l'installation des fils ou des filles d'agriculteurs. Or, de plus en plus
de jeunes, dont les familles ne sont pas agricoles, souhaiteraient s'installer
en montagne. Cependant, ils éprouvent les plus grandes
difficultés à pouvoir le réaliser. Il pourrait être
pertinent de mettre en place des politiques différenciées : une
politique pour les enfants d'agriculteurs d'une part, et d'autre part une
politique permettant à des personnes qualifiées mais sans
patrimoine agricole, de s'installer.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous renouvelle tous nos remerciements, de la
part de la mission. Je souhaiterais que vous fassiez parvenir au
secrétariat de la mission les éléments écrits qui
permettront de nourrir notre travail.