b) Un bilan décevant
Plusieurs rapports ont récemment souligné l'insuffisante accessibilité de la cité dans notre pays.
M. Vincent Assante, dans un avis du Conseil économique et social 41 ( * ) , a bien mis en relief les limites de cette politique en dressant un bilan sévère de « l'inaccessibilité au quotidien ». M. Michel Fardeau, dans un rapport plus récent 42 ( * ) , insiste pour sa part sur l'important retard de notre pays, notamment en matière d'accessibilité des transports, et sur la « mise en oeuvre laborieuse » des principes de la loi de 1975.
Votre rapporteur ne s'étendra donc pas sur un constat désormais bien établi et se permet de renvoyer le lecteur à ces rapports ou, plus simplement, à une rapide visite de nos villes et de nos réseaux de transports en commun.
Il se contentera ici d'insister sur quelques points qui donnent un éclairage particulier sur une situation souvent édifiante.
S'agissant du cadre bâti , votre rapporteur relève que la réglementation est lacunaire et que son application est défaillante.
Une réglementation lacunaire
Le principe d'accessibilité posé par l'article L. 117-1 du code de la construction et de l'habitation vise théoriquement les locaux d'habitation, les lieux de travail et les bâtiments recevant du public. Il est censé s'appliquer lors de la construction mais aussi lors d'opérations de rénovation.
En pratique toutefois, les règlements d'application ne concernent que les bâtiments d'habitation collectifs neufs et les bâtiments recevant du public. Et encore faut-il observer que la plupart des bâtiments recevant du public en sont largement exonérés 43 ( * ) , comme l'indiquait M. Hasni Jeridi à votre commission : « les établissements de 5 ème catégorie, c'est-à-dire les commerces, ne sont pas concernés par cette obligation, ce qui constitue une grave lacune ».
En outre, ils prévoient de larges possibilités de dérogations à ce principe d'accessibilité, dérogations qui sont d'ailleurs très largement accordées, comme l'observait là encore M. Hasni Jeridi toujours devant votre commission : « Nous constatons que ces demandes de dérogations interviennent presque systématiquement : la dérogation devient la règle et la mise aux normes l'exception ».
Un contrôle défaillant
Le décret du 26 janvier 1994 a institué un contrôle du respect de cette obligation d'accessibilité à la fois a priori (pour la délivrance du permis de construire ou pour l'autorisation des travaux) et a posteriori (pour l'autorisation d'ouverture au public). Ce contrôle est confié à la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité (CCDSA) qui est chargée de donner un avis préalable à la décision de l'autorité compétente (maire ou préfet).
Or ce contrôle, en apparence strict, se révèle défaillant dans les faits.
Ainsi, il n'est pas prévu de contrôle a posteriori pour les établissements de 5 ème catégorie qui sont pourtant de loin les plus nombreux.
Plus fondamentalement, comme l'a souligné M. Hasni Jeridi, les règles de contrôle ne sont pas appliquées : « le contrôle a posteriori des logements neufs reposait sur un tirage au sort et représentait 7 % des opérations réalisées. Or, sur ces 7 %, le taux d'irrégularité était de 40 %, ce qui est énorme ».
Et, quand bien même ces irrégularités sont avérées, il est encore loin d'être évident que les mises en conformité soient ensuite réalisées. M. Hasni Jeridi constate ainsi que « nous ne disposons d'aucun chiffre concernant la remise aux normes de ces aménagements non conformes ».
S'agissant de la voirie , l'article 2 de la loi du 19 juillet 1991 pose le principe de son accessibilité aux personnes handicapées. Mais force est de « déplorer sa très inégale et très imparfaite application ». 44 ( * )
Là encore, notre réglementation apparaît en effet lacunaire et mal appliquée. Lacunaire, car elle vise principalement les handicaps moteurs et ignore largement les autres handicaps, notamment sensoriels. Mal appliquée également, comme chacun peut le constater.
S'agissant des transports , le bilan est également bien sombre. Les analyses de MM. Vincent Assante et Michel Fardeau ont ainsi mis en évidence le « retard considérable » en matière d'accessibilité des transports.
Ce retard concerne en premier chef les transports en commun urbains.
Une enquête d'avril 1999 de l'Association des paralysés de France a montré que, sur les 38 villes de plus de 60.000 habitants hors région Ile-de-France, 25 n'offraient aucun transport adapté.
Une enquête de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France de 1998, concluait, de son côté, que seules 9 villes de plus de 60.000 habitants de la région parisienne étaient équipées d'au moins un transport en commun accessible aux personnes à mobilité réduite. Ainsi, à Paris, le réseau de transport en commun reste difficile pour environ 20 % de la population et impraticable pour 5 à 7 % de la population.
A contrario , on rappellera qu'en Suède existait, en 1998, un service spécialisé de transport pour personnes handicapées dans 279 des 284 communes.
Ce retard concerne également le transport ferroviaire et le transport aérien.
Les trains restent, pour la très grande majorité, inaccessibles de plain-pied et ne disposent, pour les TGV et les grandes lignes, que d'une seule place pour les personnes handicapées.
Si les aéroports sont, pour la plupart, largement accessibles, l'accès à bord des avions reste encore très discriminant, notamment en raison du coût et des formalités imposées.
Au total, l'accessibilité de la cité reste donc aujourd'hui largement illusoire.
Votre rapporteur y voit principalement un manque de volonté politique.
S'abritant derrière une réglementation ambiguë et mal appliquée, les pouvoirs publics ont jusqu'à présent privilégié des solutions quelque peu dilatoires fondées sur la création de multiples structures de réflexion et de proposition 45 ( * ) , sur l'élaboration de « codes de bonne conduite » 46 ( * ) dépourvue de portée normative ou sur des mesures incitatives dénuées d'efficacité et à la logique incertaine 47 ( * ) .
Ainsi, par exemple, le Fonds interministériel pour l'accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments anciens ouverts au public qui appartiennent à l'Etat (FIAH) ne peut apparaître comme une solution crédible. Il a vocation à compléter les efforts consentis par les différents ministères en co-finançant les travaux de mise en accessibilité. Mais, en 2001, seules 30 opérations devaient faire l'objet d'un tel cofinancement pour un montant total dérisoire au regard des enjeux : 1,3 million d'euros...
* 41 « Situations de handicap et cadre de vie », 2000.
* 42 « Personnes handicapées : analyse comparative et perspective du système de prise en charge », 2001.
* 43 L'obligation ne porte que sur les conditions d'accès aux bâtiments, et non sur les bâtiments eux-mêmes.
* 44 Comme l'observait M. Vincent Assante dans son rapport précité.
* 45 Ainsi, le comité de liaison pour l'accessibilité des transports et du cadre bâti (COLIAC), créé en 2000, qui a vocation à donner des avis et à formuler les recommandations sur l'adaptation de la réglementation et dont on attend toujours la concrétisation...
* 46 On songe par exemple au « code de bonnes pratiques », élaboré en 2001, par les compagnies de transport aérien.
* 47 La réglementation prévoit curieusement que le non-respect de la loi en matière d'accessibilité prive les opérateurs de toute aide de l'Etat en matière d'habitat et en matière de transports collectifs...