L. AUDITION DE MME NICOLE GARGAM, PRÉSIDENTE DE L'UNION NATIONALE POUR L'INSERTION SOCIALE DES DÉFICIENTS AUDITIFS (UNISDA)

M. Nicolas ABOUT - Nous allons à présent recevoir Mme Nicole Gargam.

Mme Nicole GARGAM - Je vais tout d'abord présenter mon association et ensuite, je répondrai à vos questions.

L'UNISDA est une association qui a été créée en 1974. C'est une union d'associations qui regroupe à la fois les parents d'enfants sourds, les sourds de naissance et les « devenus sourds ».

Il faut savoir que le monde de la surdité est complexe et conflictuel, et nous sommes vraiment la seule union d'associations à avoir réuni ces différentes composantes.

Pour les parents d'enfants sourds, l'association qui adhère à l'UNISDA est l'ANPEDA. Cette association regroupe 2.500 familles d'enfants sourds. Il existe également l'association pour le langage parlé complété qui est partenaire de l'UNISDA. Pour les «devenus sourds» , il existe le bureau de coordination des «devenus sourds», qui est une très importante association. Enfin, pour les sourds de naissance, il existe le mouvement des sourds de France et des associations très anciennes comme la Société centrale d'éducation et d'aide aux sourds muets en France.

Je précise qu'il existe différents types de surdités. Généralement, on estime à 3 ou 4 millions le nombre de personnes sourdes en France. Sur ce total, on note une grande majorité de personnes devenues sourdes, et les sourds sévères et profonds de naissance ne représentent que 300.000 personnes sur ces 3 à 4 millions.

Or la surdité sévère et profonde de naissance a des conséquences extrêmement importantes sur la vie et sur le développement. Il faut en effet savoir qu'un sourd sévère et profond de naissance, sans rééducation ni prise en charge dès le plus jeune age, n'aura pas accès à la parole. J'ajoute que, même avec une prise en charge importante, il subsiste de grandes difficultés pour l'acquisition de la parole, du langage, de l'écriture, etc. Je précise que ce sont ces sourds de naissance qui revendiquent, à juste titre, la langue des signes française.

La problématique des «devenus sourds» est complexe et spécifique car il est très difficile, quand on devient sourd, de garder par exemple son travail.

M. Paul BLANC, rapporteur - La loi de 1975 vous donne-t-elle satisfaction actuellement ? Sinon, comment souhaiteriez-vous la voir modifiée ?

Mme Nicole GARGAM - En ce qui me concerne, je suis parent d'enfant sourd.

M. Paul BLANC, rapporteur - Parmi toutes les associations que vous représentez, je suppose que certaines d'entre elles souhaitent voir apportées des modifications à la loi de 1975...

Mme Nicole GARGAM - S'agissant de la situation des enfants sourds au niveau de la scolarité, j'ai dit précédemment qu'il fallait une prise en charge importante dès le plus jeune âge. Je trouve regrettable que les établissements spécialisés, en grand nombre sur le territoire, soient Si mal répartis. En définitive, je considère qu'il n'y a pas suffisamment de solution de proximité pour les familles et les parents d'enfants sourds. Si on habite dans une grande ville, on aura pratiquement à disposition toutes les solutions possibles et imaginables; mais dans certaines régions, il existe une pénurie d'établissements. Pour information, je rappelle que 40 % des enfants sourds sont en internat, loin de chez eux. Il s'agit pour nous d'une situation inacceptable. Nous souhaiterions qu'il y ait davantage de solutions de proximité mises en place à partir des établissements existants ou par création de services de soins nouveaux existants. Ce peut être des classes d'intégration scolaire initiées par l'Education nationale. Je précise que les enfants sourds de naissance ont quand même besoin, en plus de la prise en charge de l'Education nationale, d'une prise en charge spécifique et spécialisée. Certes, cela existe déjà, mais la démarche aurait le mérite d'être généralisée. Je pense qu'il faudrait décloisonner davantage tout ce qui concerne la prise en charge de l'Education nationale et la prise en charge médico-sociale. A titre d'exemple, il existe toujours deux types d'enseignants pour les personnes sourdes : les enseignants issus de l'Education nationale et les enseignants issus de la Santé. Nous souhaiterions une plus grande harmonie entre ces deux systèmes, ce qui permettrait une prise en charge plus efficace.

Pour les tout-petits, on note l'importance de la prise en charge et de la rééducation dès le plus jeune âge. Actuellement, les tests pour les petits enfants sourds ne sont pas systématiques, ce qui a pour conséquence que la surdité est souvent dépistée tardivement. Pourtant, ce point est inscrit dans la loi...

M. Paul BLANC, rapporteur - Que faut-il ajouter à la loi de 1975 ?

Si vous me permettez une réflexion, à la fin de cette journée qui a été particulièrement dense, j'en viens à me poser, après l'audition de certains intervenants, la question suivante: faut-il modifier ta loi de 1975 ?

Heureusement que nous avons reçu, au cours de cette journée, Mme Simone Veil qui a été la première à nous dire qu'il fallait y apporter des aménagements et des amendements.

Aujourd'hui, on constate que, dans beaucoup de domaines, la loi de 1975 avait prévu un certain nombre de mesures qui ne sont malheureusement pas appliquées aujourd'hui. Quand on parle d'accessibilité, d'intégration scolaire (et à ce niveau aujourd'hui, on aurait quelques raisons d'interpeller l'Education nationale), il faut savoir qu'un certain nombre d'actions auraient pu être menées dans le cadre de la loi telle qu'elle existe aujourd'hui.

Mme Nicole GARGAM - Je voulais poursuivre mon propos sur les adultes et l'accessibilité.

Pour avoir participé à plusieurs groupes ministériels, j'ai souvent l'impression que l'on redit un peu toujours la même chose : nous avons des lois plutôt bien faites, mais qui ne sont pas toujours suffisamment appliquées.

En ce qui concerne les personnes adultes, la loi de modernisation sociale a introduit le droit à compensation. Que peut-il recouvrir pour des personnes sourdes ? Comme je l'ai rappelé précédemment, il existe différents types de surdités. Nous souhaitons que ce droit à compensation soit tout à fait individualisé en fonction du type de surdité auquel on a affaire. Ce procédé est complexe à mettre en place. Les équipes labellisées qui existent actuellement et les circulaires qu'elles appliquent ne sont pas du tout adaptées à la problématique spécifique des personnes sourdes. Nous souhaitons, en définitive, la création d'équipes labellisées avec des professionnels qui connaissent bien le problème de la surdité et qui indiquent les moyens de compensation que l'on peut mettre en oeuvre pour les personnes sourdes.

Il n'existe que très peu d'aides techniques pour les personnes sourdes. Il est possible d'installer des boucles magnétiques dans les salles, mais ce système ne fonctionne que si la personne entend déjà un peu avec sa prothèse. Pour un sourd profond, ce système est donc très insuffisant.

Le sous-titrage constitue une autre solution technique, mais c'est un procédé qui coûte très cher et qui n'est pas suffisamment utilisé. Il pourrait être utilisé dans les lycées, les universités, pour l'accès à la culture, etc. Nous souhaitons ardemment que le sous-titrage se développe davantage.

Les aides humaines peuvent être de différentes natures. Pour les sourds de naissance qui utilisent par choix la langue des signes française, les aides humaines peuvent résider dans l'emploi d'interprètes en langue des signes.

Il faut savoir que la langue des signes française est une langue à part entière qui n'est pas encore reconnue comme langue officielle, même si une certaine reconnaissance commence à se faire jour au sein de l'Education nationale.

Comme cette langue n'est pas officielle, elle n'est pas enseignée. En définitive, nous avons besoin de cette officialisation pour pouvoir faire avancer les choses et créer un corps d'interprètes en langue des signes qui puissent être à même d'aider les personnes sourdes. Cela existe déjà dans d'autres pays et la France a du retard à rattraper dans ce domaine.

Une autre technique a pour nom le langage parlé complété. Il s'agit d'une technique de visualisation de la parole par des signes autour de la bouche. Cette technique est exclusivement basée sur l'oralisme et constitue une aide à la compréhension de l'oral et de la lecture labiale. J'ajoute qu'il existe des codeurs en langage parlé complété, mais le diplôme de codeur n'est pas reconnu officiellement.

Les autres aides humaines concernent les interfaces de communication. Ce sont des personnes qui connaissent bien les sourds et les différentes techniques de communication avec les sourds. Ces personnes ont des notions de langue des signes, elles connaissent un peu le langage parlé complété, elles ont des habitudes de communication avec les sourds, etc. Ce sont des métiers qui existent dans certaines associations, mais qui ne sont pas reconnus officiellement.

En conclusion, toutes ces aides humaines, indispensables pour la compensation du handicap, sont tout à fait insuffisamment développées et dépendent de la reconnaissance de la langue des signes en particulier.

M. André LARDEUX - La population des sourds de naissance est-elle stable ou a-t-elle tendance à diminuer grâce au dépistage prénatal ?

D'autre part, les médias télévisés appliquent-ils la loi telle qu'elle existe actuellement ?

Mme Nicole GARGAM - On a longtemps pensé, avec le dépistage (qui est insuffisant) et la vaccination (en particulier contre la rubéole), qu'on verrait progressivement le nombre de personnes sourdes diminuer. Or, on s'aperçoit que le nombre de sourds sévères et profonds de naissance est toujours le même. Par ailleurs, on note que de nombreuses causes de surdité jusqu'alors inconnues s'avèrent être des causes génétiques. Cela constitue d'ailleurs la majorité des cas de surdité de naissance.

J'ajoute qu'il existe une nouvelle technique pour les enfants très sourds qui est celle des implants cochléaires. Cette technique donne d'excellents résultats dans certains cas . Pour une personne qui devient sourde , cette implantation a des chances de réussite très importantes .

Pour les enfants sourds les conditions médicales sont très rigoureuses, mais nous constatons cependant qu'il existe des listes d'attentes dans les hôpitaux car les demandes sont très nombreuses, s'agissant de cette technique qui apporte beaucoup.

S'agissant des médias, le sous-titrage est présent à la télévision et au cinéma. Le sous-titrage à la télévision s'impose de lui-même. Or, les émissions sous-titrées systématiquement sont en nombre insuffisant et nous avons l'impression qu'on progresse peu en ce domaine nous avons l'impression qu'il y en a de moins en moins. Les personnes sourdes en sont souvent réduites à ne regarder que les films étrangers sous-titrés en version originale. Ce qui leur manque, ce sont en fait des émissions en direct sous-titrées. Cette technique existe, mais rien n'a vraiment été fait jusqu'à présent alors qu'il s'agit pourtant d'un facteur d'intégration à la société et d'accès à la culture extrêmement important.

M. Nicolas ABOUT, président - Les dispositions de la loi sont-elles précises et rigoureuses à ce sujet ou s'agit-il de simples déclarations d'intention ? En effet, la loi est souvent déclarative et peu nominative.

Mme Nicole GARGAM - La loi s'applique aux chaînes publiques et depuis 1975, celles-ci ont beaucoup évolué cependant elle n'est pas suffisamment contraignante et l'augmentation considérable du nombre de chaînes donne aux personnes sourdes le sentiment qu'elles sont laissées de côté.

Nous rencontrons le même problème avec le téléphone. Les sourds se servaient jusqu'à présent du service 36 18 du Minitel. Or, dorénavant France Télécom fait disparaître progressivement les Minitels au profit d'Internet. Et on nous demande de faire nous-mêmes la démarche auprès des opérateurs de télécommunication. J'ajoute que ces mêmes opérateurs ne sont soumis à aucune obligation en la matière.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous allons étudier ce point.

Par correction, il faudra envoyer notre rapport à tous ceux que nous avons entendus afin de les faire réagir, et au moment où nous en serons au stade des propositions, avoir leurs réactions en amont.

Sachez que vos propositions d'amendements à la loi de 1975 sont les bienvenues.

Dans la mesure où il n'y a pas d'autres questions, je clos cette journée en remerciant tous ceux qui ont accepté de participer à cette troisième journée.

Nous nous retrouverons à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet pour la publication de ce rapport.

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