3. L'évolution des modes de distribution et de consommation
a) Le poids croissant de la grande distribution
En France, la mise en marché des vins a longtemps été caractérisée, par la prédominance du négoce dans l'Ouest et des coopératives et groupements de producteurs dans le Sud Est.
Depuis quelques années, la grande distribution est devenue en France le débouché principal pour la commercialisation du vin. En 2000, les grandes et moyennes surfaces (GMS) assurent 75 % des ventes de vin aux ménages en France, contre seulement 46 % en 1990.
Cette tendance s'observe sur la plupart des grands marchés européens : la grande distribution représente 70 % des ventes de vin en Grande-Bretagne et 67 % en Allemagne.
Or, comme le souligne un rapport 8 ( * ) de l'ONIVINS sur la compétitivité de l'offre française, ce circuit présente l'inconvénient d'être peu prescripteur . Les consommateurs sont placés devant une offre variée et peu lisible, sur laquelle ils ont peu de prise en l'absence de conseillers à l'achat.
Ce mode de distribution rend, par conséquent, indispensable de toucher les consommateurs par de nouveaux moyens, tels qu'une stratégie de communication directe et un packaging attrayant.
Les conséquences sur les achats de vin
La grande distribution met en oeuvre des politiques d'achat particulières, qui bouleversent les relations traditionnellement nouées par les producteurs et les négociants avec l'aval.
Ces politiques se caractérisent, tout d'abord, par un intérêt fort pour les produits marquetés , susceptibles d'être fournis en grande quantité et générateurs de marges conséquentes.
D'autre part, les grandes surfaces s'efforcent de répondre aux attentes des consommateurs en matière de diversité et d'exotisme , en leur proposant des vins du nouveau monde.
En France, ces derniers occupent encore un espace relativement réduit dans les linéaires. Selon les chiffres transmis au groupe de travail lors d'un déplacement dans deux grandes surfaces de la région parisienne, à l'invitation de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), les vins du nouveau monde représenteraient un tiers des vins étrangers vendus par Auchan, qui ne constituent eux-mêmes que 2 % des vins tranquilles commercialisés par cette enseigne.
Il n'en reste pas moins que les choix conduits par la grande distribution se traduisent par une réduction du nombre de références, au détriment des vins de milieu de gamme, peu différenciés et non soutenus par un effort commercial . Les vins de pays du Sud Est souffrent particulièrement de cet effet d'éviction.
Une autre tendance relevée est le développement de l'intégration qui répond au souci de la grande distribution de maîtriser son approvisionnement.
Cette stratégie se traduit, en premier lieu, par le développement des marques de distributeurs (MDD) dans le rayon des vins tranquilles.
Les MDD représentent une part significative, en constante augmentation, des ventes de vin des GMS : 30 % des volumes de vin vendus toutes catégories confondues. Leur place est particulièrement importante sur le segment des vins de pays (38 % des volumes commercialisés), mais régresse sur celui des vins de table (29 % des volumes vendus). En outre, 23 % des volumes de VQPRD sont vendus sous MDD.
Les MDD assurent, en moyenne, 22,5 % du chiffre d'affaire des enseignes.
Les volumes de vins vendus sous MDD sont :
- à 42 % des VQPRD ;
- à 30 % des vins de table ;
- à 28 % des vins de pays.
La distribution de produits sous marques de distributeur vise à fidéliser une clientèle sur des produits de qualité régulière , grâce à des marques facilement identifiables.
Sur le marché des vins, les MDD n'ont pas été créées pour contrebalancer le poids d'autres grandes marques, à l'image de ce qui ce passe pour d'autres produits. Elles ne font qu'occuper un champ libre.
Elles parviennent d'autant mieux à s'imposer qu'elles sont très discrètes. Le nom de l'enseigne n'apparaît le plus souvent que sur la collerette. Les vins commercialisés sous la marque Champion comportent même une collerette amovible, qui peut être retirée au moment où la bouteille est mise sur la table. De même, le groupe Auchan utilise un nom -Pierre Chanau- qui est l'anagramme de cette enseigne et qui pourrait être la signature de n'importe quel négociant.
Il reste que l'absence de marques puissantes issues du monde vitivinicole conduit à abandonner à la grande distribution les marges que ce support commercial est susceptible de générer.
Parfois, l'intégration va plus loin que la simple commercialisation de vins sous marque de distributeur. Elle consiste, par exemple, en l'établissement de contrats de filière .
Cette pratique est mise en oeuvre par le groupe Carrefour. Les contrats qui lient cette enseigne à des fournisseurs -producteurs ou négociants-, visent à lui garantir une régularité de l'approvisionnement. Ils sont aussi une garantie de qualité puisque la contractualisation est fondée sur un cahier des charges définissant les zones de production, les cépages utilisables, et établissant des préconisations en matière de conduite de la vigne, de vinification voire de conditionnement. Elle s'accompagne d'un contrôle annuel sur l'exploitation. Carrefour a ainsi signé une quinzaine de contrats dans le cadre de sa filière qualité.
Cette évolution, guidée par le souci de « coller au mieux à la demande », constitue une forme de pilotage par l'aval qui, trouvant sa source en dehors de la filière, risque à terme d'installer le monde vitivinicole dans une forme de dépendance . Elle devrait pourtant servir d'exemple au développement de démarches similaires au sein de la filière.
* 8 Etude sur la position de l'offre française et de la compétitivité à terme, Cabinet Ernst and Young pour l'ONIVINS, 15 octobre 2001