b) Maintien d'une influence déterminante de l'Etat
Même si l'Etat -pour assurer, rappelons-le, la réussite d'un grand projet d'entreprise- devait perdre ses prérogatives de propriétaire majoritaire, il aurait à conserver un rôle majeur dans l'accompagnement de notre champion national.
D'abord, la définition des missions de service public de l'opérateur continuerait à lui incomber. Il lui appartiendrait, en particulier, de garantir l'égalité de traitement des usagers.
Ensuite, son abandon de la majorité n'équivaudrait pas à son retrait du capital de France Télécom. Bien au contraire, selon votre commission, il devrait continuer à détenir au moins une minorité de blocage.
Enfin, votre rapporteur propose que soit attribuée à l'Etat une action préférentielle (golden share) lui permettant notamment de s'opposer à des orientations stratégiques qui ne seraient pas conformes à l'intérêt national et de protéger l'entreprise contre les risques d'OPA hostiles .
c) Poursuite d'un véritable projet social
Conjoncture favorable, bilan consolidé, projet d'entreprise ambitieux et viable, maintien de l'Etat dans un rôle central ne seraient toutefois pas des conditions suffisantes pour une privatisation si celle-ci ne reposait pas sur un projet social à la fois mobilisateur et sécurisant pour les personnels.
Ce projet social devrait comporter un volet associant, à des conditions privilégiées, les salariés à la nouvelle ouverture du capital. Il devrait aussi apporter des réponses limpides aux questions que susciterait la sortie de l'entreprise du secteur public et, surtout, garantir leurs droits aux personnels, notamment fonctionnaires.
Gouvernance de l'entreprise
Actuellement, la gouvernance de l'entreprise est organisée en vertu de la loi relative à l'entreprise nationale France Télécom (article 3) et de la loi relative à la démocratisation du secteur public 50 ( * ) . Ceci entraîne notamment que l'information des personnels sur les orientations arrêtées se fait non pas au sein du comité d'entreprise, comme dans les sociétés de droit commun, mais au conseil d'administration, au travers de sept représentants élus par le personnel.
En droit, une telle structure ne s'imposerait plus dès lors que France Télécom ne relèverait plus, stricto sensu, du secteur public. La question se pose donc de savoir s'il conviendrait de la maintenir.
Sur ce point, le Président de France Télécom a fait observer 51 ( * ) que les représentants du personnel siégeant au conseil d'administration étaient placés, de facto, dans une position ambiguë puisque tenus à un devoir de confidentialité, en tant qu'administrateurs, mais devant -légitimement- rendre des comptes aux salariés en tant que représentants élus. Il a estimé que, dans ces circonstances, le conseil d'administration jouait son rôle de contrôle du management mais n'était pas à même de remplir sa deuxième fonction, celle d'être une enceinte pour les réflexions stratégiques de l'entreprise. Il a, de ce fait, considéré qu'un éventuel passage de l'Etat sous la barre de la majorité du capital devrait, logiquement, s'accompagner d'un alignement des modalités de fonctionnement du conseil d'administration sur le droit commun.
Force est de constater qu'en cas de privatisation, la conservation du dispositif actuel ne serait pas satisfaisante. Entièrement immergée dans le bain concurrentiel, sortie du secteur public, l'entreprise continuerait à fonctionner selon des règles dont le maintien n'aurait pour seule raison que la fidélité à un passé révolu. Il faut le reconnaître, tel qu'il est, le système ne favorise pas la transparence : les fonctions d'anticipation stratégique ne sont pas assurées par le conseil d'administration selon des procédures connues ; elles se trouvent dévolues à des instances informelles quelque peu opaques. En outre, les dispositions en vigueur n'apparaissent pas garantir la meilleure information des salariés.
Ainsi, certaines des organisations syndicales reçues par votre rapporteur ont regretté que des réformes aient été faites « à la hâche sans consultation préalable ». A notamment été citée la réduction du nombre des directions régionales, passées de 48 à 30 sans négociation sociale.
C'est pourquoi, des responsables syndicaux ont déclaré « revendiquer désormais la création d'un comité d'entreprise ».
Comité d'entreprise
Le fait que la loi de 1996 n'ait pas érigé de comité d'entreprise ne signifie pas que le conseil d'administration soit le seul lieu d'expression collective des intérêts du personnel. L'article 5 de ladite loi institue un comité paritaire auprès du Président de France Télécom.
Ce comité est informé et consulté notamment sur l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise ainsi que sur les questions relatives au recrutement des personnels et les projets de statuts particuliers. Outre des représentants de l'entreprise, il comprend un collège représentant les agents fonctionnaires et un collège représentant les agents relevant de la convention collective ainsi que les agents non titulaires, de droit public.
Cependant, ce comité paritaire ne dispose pas des prérogatives d'information attribuées à un comité d'entreprise.
Ainsi, un comité d'entreprise est obligatoirement consulté sur : l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise ; les projets de compression d'effectifs ; la modification de l'organisation économique ou juridique de l'entreprise ; la politique de recherche et de développement technologique ; l'emploi (évolution, qualifications, prévisions, formation...) ; les projets importants d'introduction de nouvelles technologies susceptibles d'avoir des conséquences sur l'emploi ; les problèmes généraux concernant les conditions de travail ; la durée et l'aménagement du temps de travail ; les garanties collectives (mise en place ou modification d'une garantie collective de prévoyance ou de retraite complémentaire)....
Interrogé sur l'éventualité de la création d'un comité d'entreprise à France Télécom, le Président de l'entreprise 52 ( * ) , a indiqué qu'il serait, certes, envisageable de constituer des organes représentatifs du personnel selon les modalités prévues dans les sociétés de droit privé, mais qu'un tel système devrait se substituer à l'organisation actuelle et ne lui semblait pas souhaitable tant que la société compterait une large majorité de fonctionnaires.
Votre commission et son groupe d'étude n'en estiment pas moins qu'une soumission des organes de France Télécom aux règles de droit privé ne saurait varier selon qu'il s'agit des organes de décision ou des organes sociaux.
C'est pourquoi, ils sont favorables à ce que -si l'Etat renonçait à sa majorité- l'assujettissement au droit commun du conseil d'administration soit accompagné de la création d'un comité d'entreprise, quitte à ce que celui-ci soit organisé selon un modèle dérogatoire pour prendre en compte le nombre important de fonctionnaires et les modes particuliers de gestion des oeuvres sociales hérités du passé commun avec La Poste.
Droit des personnels
Pour les personnels de droit privé de l'opérateur public, sa privatisation n'entraînerait pas de changement majeur. La convention collective des télécommunications continuerait à leur être applicable et leur contrat de travail ne serait en rien modifié.
En revanche, pour les personnels fonctionnaires, ceci ne serait pas sans incidence puisque, nous l'avons déjà souligné, pour qu'il soit constitutionnellement possible de placer directement des corps de fonctionnaires de l'Etat auprès d'une société anonyme, cette société anonyme doit demeurer majoritairement détenue par l'Etat 53 ( * ) .
Or, pour votre commission et votre groupe d'étude, il est exclu que le renoncement à la majorité d'Etat conduise d'une façon ou d'une autre à une remise en cause des droits de ces personnels.
C'est pourquoi le projet social sur lequel devrait reposer une éventuelle privatisation aurait impérativement à affirmer une solution juridique incontestable permettant de garantir les droits que confère leur statut aux fonctionnaires employés par France Télécom.
* 50 Respectivement loi déjà citée n° 96-660 du 26 juillet 1996 et loi n° 83-675 du 26 juillet 1983.
* 51 Lors de son audition du 30 janvier 2002 par la Commission des Affaires économiques et le groupe d'étude « Poste et télécommunications ».
* 52 Lors de l'audition précitée.
* 53 Avis précité du Conseil d'Etat en date du 18 novembre 1993.