C. DES SITUATIONS JURIDIQUES ET ADMINISTRATIVES DIVERGENTES
1. Jeu et service public
a) les casinos
Chargé par le ministère de l'Intérieur de
préciser la nature juridique des concessions d'exploitation des casinos
dans les stations classées, le Conseil d'Etat, conformément
à sa jurisprudence précédente
précitée
29(
*
)
, a
affirmé, dans un avis du 4 avril 1995, qu'il s'agissait :
- de concessions de service public ;
- et, dès lors, de contrats de délégation de service
public auxquels la « loi Sapin » était applicable.
Toutefois, cette qualification juridique résulte non pas de
l'activité ludique des casinos elle-même, mais de leur
contribution à l'animation culturelle ou touristique de la commune.
b) la Française des Jeux
La
même haute juridiction a, en revanche, infirmé sa décision
antérieure « Angrand » de 1948, qui mentionnait le
« service public de la loterie nationale » en estimant
récemment que la mission dévolue à la Française des
Jeux ne revêt pas le caractère d'une mission de service public
(C.E. Rolin du 27 octobre 1999).
Il a néanmoins été ultérieurement reconnu que
c'était « une raison impérieuse d'intérêt
général », liée à la protection de
l'ordre public, qui justifiait le monopole de cette société en
matière de jeux de loterie, dans la mesure où il s'agissait d'un
moyen d'en assurer la limitation et le contrôle (C.E. 15 mai 2000 -
confédération des professionnels en jeux automatiques).
c) les sociétés de courses
Comme
pour la Française des jeux, le Conseil d'Etat a jugé, en 1979,
que les sociétés de courses, en tant qu'elles sont
chargées d'organiser les courses de chevaux elles-mêmes et le pari
mutuel correspondant, ne sont pas investies d'une mission de service public.
Les casinos semblent donc se distinguer des deux autres opérateurs,
Française des Jeux et sociétés de courses, par le
rattachement à l'exécution d'un service public des obligations
des contrats par lesquels les communes leur concèdent le droit
d'exploiter leurs établissements. Mais cette différence est moins
importante qu'il n'y paraît puisque le jeu n'est qu'une de leurs trois
activités distinguées par l'article premier de
l'arrêté du 23 décembre 1959 qui vise aussi la
restauration et le spectacle, donc l'animation culturelle. C'est cette
dernière qui emporte, comme on l'a vu, la qualification de service
public (qui choque parfois certains élus, comme l'a relevé la
Cour des Comptes).
2. Des statuts et des relations avec l'administration hétérogènes
a) les statuts et les structures
Les
statuts des trois catégories d'opérateurs sont très
différents :
- les casinos sont exploités par des groupes ou des
sociétés familiales de droit privé, sous un contrôle
cependant très rigoureux de l'Etat.
Le secteur est affecté par un mouvement rapide de concentration (voir
plus loin).
Les cinq entités les plus importantes sont les groupes Partouche,
Barrière, Accor, Européenne de Casinos et Tranchant.
Cinq sociétés également sont cotées à la
Bourse de Paris : on y trouve, outre les groupes Partouche et
l'Européenne des Casinos, précités, la
société des hôtels et casinos de Deauville, la
Fermière du casino de Cannes et la société des bains de
mer de Monaco.
Jusqu'en 1996, la majorité des casinos français étaient
possédés par des entreprises familiales.
Quelques années plus tard, 60 % étaient exploités par
un groupe touristique, hôtelier ou financier (parmi lesquels figure l'un
des leaders mondiaux de la gestion de fonds : Providential, dont une
filiale, Leisure Holding, a repris en 1999 les casinos du groupe Moliflor).
Aujourd'hui, moins de 20 % des 166 casinos autorisés en France
sont des indépendants. Et la situation évolue très
rapidement...
- La Française des jeux, pour sa part, est une société
d'économie mixte, créée par un décret de
1978
30(
*
)
, et constitué
sous la forme d'une société anonyme. L'Etat en détient 72
% du capital
31(
*
)
.
Elle a succédé à la Société de la Loterie
Nationale et du Loto National (SLNLN), société, elle aussi,
anonyme d'économie mixte qui avait pris en 1979 la relève de la
Loterie nationale, administration dépendant du ministère des
Finances, en raison du succès spectaculaire du Loto National,
créé en 1976.
- Le système des sociétés de courses, en comparaison de la
structure, très intégrée de la Française des jeux,
semble beaucoup plus décentralisée, tout en étant bien
coordonné.
Les sociétés de courses (au nombre de 249) sont des associations
sans but lucratif (ce qui les distingue à la fois des casinos et de la
française). Deux d'entre elles sont
sociétés-mères : France Galop et, pour le trot, la
Société d'Encouragement à l'élevage du cheval
français (cf. organigramme ci-après).
La Fédération nationale des courses françaises
définit la politique commune de l'institution et coordonne
l'activité des sociétés de courses et des
fédérations régionales.
Aux termes de l'article 27 du décret du 5 mai 1997, les
sociétés de courses autorisées à organiser le pari
mutuel hors des hippodromes dans les conditions fixées par la loi du 2
juin 1891
32(
*
)
, en
confèrent la gestion pour leur compte à un GIE (groupement
d'intérêt économique), dénommé Pari Mutuel
Urbain (PMU) qu'elles constituent entre elles.
Siègent désormais, avec voix délibératrice, aux
assemblées générales du Groupement, l'ensemble des
sociétés de courses de province (53) qui organisent au moins une
course par an faisant l'objet d'un pari mutualisé au niveau national.
b) les relations avec les pouvoirs publics
- Le
secteur des courses
se distingue des autres domaines par le rôle
du ministère de l'agriculture et par une relative autonomie.
• Aux termes des dispositions de la loi du 2 juin 1891 et du
décret du 8 mai 1997, le ministère de
l'Agriculture :
- arrête les statuts types des sociétés de course,
agrée les sociétés mères et approuve leurs statuts
ainsi que les codes des courses (trot et galop) proposés par les
sociétés mères, et agrée après enquête
de la sous-direction des courses et des jeux du ministère de
l'Intérieur, les commissaires et les juges des courses ;
- participe au contrôle et à la surveillance des courses et du
pari mutuel (aux côtés de fonctionnaires des haras, de la Police
et du Trésor...).
La sous-direction du cheval de ce département ministériel
comprend deux bureaux chargés, respectivement, des courses et du pari
mutuel, de l'élevage et de l'équitation (y compris la tutelle sur
les haras nationaux).
• Mais les sociétés de courses disposent d'une relative
autonomie : les sociétés mères rédigent les
codes des courses qui réglementent minutieusement tout ce qui
conditionne le déroulement des compétitions et aussi, en ce qui
concerne le trot, l'autorisation d'entraîner.
Elles délivrent seules (après enquête et avis favorable,
cependant, des services de l'Intérieur), les autorisations de faire
courir, d'entraîner, de monter ou de conduire des attelages
(« driver » : dans le jargon des courses au trot).
Les pouvoirs des commissaires et des juges de courses, auxquelles leur
bénévolat confère une indépendance incontestable,
sont très importants.
On constate, par ailleurs, que les représentants de l'Etat
33(
*
)
sont minoritaires au sein du conseil,
nommé par l'assemblée, qui administre le PMU.
• Concernant les prélèvements publics, le PMU
bénéficie
34(
*
)
d'une exonération de l'impôt sur les sociétés, en
raison du caractère non lucratif de ses activités, ainsi que de
l'affectation à des dépenses à caractère social
d'une partie du produit des gains non réclamés.
- Les spécificités de la situation des
casinos
,
tiennent, en grande partie, à leurs relations avec les communes, aux
procédures particulières d'autorisation de leurs
activités, ainsi qu'à la surveillance comptable plus
étroite dont ils font l'objet.
• La surveillance des casinos est exercée conjointement par les
représentants des ministres de l'intérieur et des finances qui
possèdent les mêmes prérogatives et droits de
contrôle.
Le ministère de l'intérieur a compétence pour ce qui
concerne :
L'instruction des autorisations d'exploitation (premières demandes,
renouvellements, extensions), assurées, en collaboration avec les
préfectures, par la direction des Libertés publiques et des
affaires juridiques.
Les décisions appartiennent au ministre après avis d'une
commission supérieure des jeux
35(
*
)
dont la Cour des Comptes vient de
critiquer le manque de transparence et de cohésion des positions.
La sous-direction des courses et des jeux de la direction centrale des
renseignements généraux est chargée d'une mission de
police. Elle veille ainsi à la préservation de la moralité
et de l'ordre public.
Au sein du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie,
outre la direction du budget et celle des impôts, la direction
générale de la comptabilité publique joue un rôle
important. Elle centralise les rapports de vérification annuelle des
trésoriers payeurs généraux et établit une
synthèse de l'évolution du produit brut des jeux et des
prélèvements publics. Elle s'assure de l'encaissement des
recettes exigibles au niveau local et effectue sur place les contrôles
nécessaires.
Comme le souligne la Cour des Comptes, l'importance des flux d'argent qui
transitent par les casinos ainsi que l'absence de factures ou de pièces
justificatives correspondantes nécessitent une surveillance très
vigilante.
Pour cette raison, les personnels des jeux sont agréés et les
directeurs d'établissement soumis à des contraintes
particulières (résidence, dans la situation, présence dans
les salles...).
• Les relations des casinos avec les communes conduisent à
l'établissement d'un cahier des charges fixant leurs obligations et sont
régies par la « Loi Sapin » du
29 janvier 1993.
En vertu de cette loi, l'octroi ou le renouvellement des concessions
d'exploitation devraient donner lieu à une mise en concurrence de
plusieurs candidats.
Il incombe, en outre, aux collectivités locales de définir les
caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations fournies
par les casinos et les conditions de tarification des services rendus à
leurs usagers (article L. 1411-1 du code général des
collectivités territoriales).
Or, la Cour des Comptes a observé que ces règles n'étaient
pas toujours respectées et se révélaient difficiles
à appliquer.
L'existence de prélèvements au profit des communes
36(
*
)
, qui s'ajoutent à ceux de
l'Etat, constitue la deuxième particularité marquante de la
situation des casinos par rapport aux autres opérateurs.
• Par comparaison, les relations de la Française des Jeux avec les
pouvoirs publics sont beaucoup plus simples.
La tutelle de l'Etat, actionnaire principal, est exercée principalement
par la Direction du Budget ;
Une convention passée avec le ministère correspondant
37(
*
)
précise les modalités
d'exercice de la mission dont est chargée la société.
C'est ce même département qui décide, par
arrêté, des affectations des enjeux.
La moitié des membres du conseil d'administration sont des
représentants de l'Etat.
Le Président, qui a pouvoir d'établir le règlement des
jeux, est nommé, sur proposition du conseil d'administration par
décret du Président de la République.
*
* *
Les
différences, qui viennent d'être recensées, entre les
régions des trois principales catégories d'opérateurs de
jeux en France, paraissent nombreuses et importantes.
Pourtant, leurs situations respectives comportent aussi certaines similitudes,
souvent anciennes et profondes, et tendent à converger, à
plusieurs égards, d'une façon qui en accentue le caractère
concurrentiel.
Les éléments de dissemblances peuvent se révéler en
même temps des facteurs de ressemblances. Par exemple, les
différentes affectations des produits des divers jeux autorisés
procèdent d'un seul et même principe : celui de la
justification par l'affectation à de nobles causes, des
dérogations à l'interdiction de principe de ces activités.