II. L'AUTONOMIE DES CORPS UNIVERSITAIRES CONTRE L'AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS ?
La
gestion du système universitaire vise à coordonner trois
pouvoirs :
- l'Etat
, à qui il revient de définir les principes d'une
politique nationale de recrutement des enseignants-chercheurs et d'être
le gardien du respect des règles procédurales qui en
découlent ;
- les
corps universitaires
, qui doivent être les garants de
la qualité scientifique des lauréats des concours de recrutement
et dont la liberté d'appréciation est confortée par le
principe d'indépendance des professeurs d'université reconnu par
le Conseil constitutionnel ;
- les
universités
autonomes, qui doivent pouvoir adapter
leurs recrutements aux services d'enseignement qu'elles proposent à
leurs étudiants et à leurs axes de recherche.
Or le choix fait par la France au XIX
ème
siècle de ne
pas créer de véritables universités et de s'en tenir au
système des facultés a longtemps permis un face à face et
une coexistence pacifiques entre l'Etat et les corps universitaires, le pouvoir
politique s'interdisant toute immixtion dans le choix des hommes
opéré par le comité consultatif des universités,
qui n'avait de ce fait de consultatif que le nom, ou les jurys
d'agrégation.
La donne a changé avec l'émergence des universités
pluridisciplinaires.
Le doyen Georges Vedel est à l'origine de la distinction, devenue
célèbre, entre « l'autonomie des
universités » et « l'autonomie des corps
universitaires ». Or, la seconde est beaucoup plus accomplie que la
première, et a même tendance à l'étouffer.
En effet, l'autonomie actuellement la plus affirmée, celle dont on
perçoit le plus les conséquences, est celle des corps
universitaires. Face à elle, l'autonomie des universités n'existe
quasiment pas. Il résulte de ce face-à-face bancal un
déséquilibre qui se retrouve, notamment, dans la gestion des
personnels universitaires.
Ainsi, peu d'universités ont su mettre en place une véritable
politique d'établissement en matière de gestion de leurs emplois,
même si des progrès sensibles sont constatables, ce qui n'est pas
sans entraîner une grande diversité de situations locales. Cette
situation est d'autant plus compréhensible qu'au sein des conseils
restreints aux enseignants chargés d'élaborer cette politique,
siègent les représentants des diverses disciplines dont la
préoccupation première est très logiquement au moins la
protection, au mieux le développement de celles-ci.
Ainsi, en France, contrairement à ce qui se passe par exemple aux
Etats-Unis, les universités n'ont pas la possibilité d'adopter
une stratégie d'employeur.
Non seulement, elles n'ont pas de
capacités de négociation, notamment en matière salariale,
mais encore elles choisissent moins leurs candidats qu'elles ne sont choisies
par eux.
Dans son rapport, consacré à la réforme de l'enseignement
supérieur des sciences économiques, M. Jean-Paul Fitoussi note
que, de ce point de vue, la France se distingue très nettement des
grands pays industrialisés : «
toutes les
universités
[étrangères]
considérées,
qu'elles soient publiques ou privées, ont une totale liberté de
recrutement et, mis à part en Belgique, sont libres de déterminer
les salaires des enseignants
». Cette spécificité
française nous porte d'ailleurs préjudice puisque, comme le fait
remarquer le président de l'OFCE, le
« marché » des universitaires est aujourd'hui
mondialisé, par exemple en économie, les principes de la
concurrence s'appliquant donc, d'autant plus que l'obtention de crédits
de recherche est souvent liée aux performances des équipes
pédagogiques ainsi constituées.
S'il faut voir dans cette situation une limite à l'autonomie des
universités, il s'agit aussi d'une
limite acceptée, et parfois
souhaitée, par le système universitaire lui-même
qui
s'exonère ainsi de prendre le risque que constitue la décision de
recruter des enseignants-chercheurs. Les universités
préfèrent s'en remettre à la caution scientifique
qu'apporte le CNU mais, ce faisant, elles contribuent à asseoir ce
dernier dans sa fonction de garant de l'autonomie des corps universitaires au
détriment de leur propre autonomie.
Cette situation ne fait que mettre en évidence le
problème de
fond auquel sont confrontés les établissements d'enseignement
supérieur, celui des modalités de leur régulation
collective
. Les universités, éprouvant d'
extrêmes
difficultés à s'autoréguler
et à parvenir entre
elles à une harmonisation des formations sur le plan régional,
souffrent par ailleurs de l'
inexistence d'une instance supérieure
d'arbitrage
, rôle normalement dévolu à l'Etat.