D. LA FAIBLE EFFICACITÉ DES SERVICES DÉCONCENTRÉS DE L'ETAT
Un des maillons faibles de la MILDT reste le fonctionnement des services déconcentrés de l'Etat dans la mise en oeuvre de la politique de lutte contre la drogue ainsi que l'incapacité de la MILDT à exercer un véritable contrôle sur ces services.
Dans son rapport sur le dispositif de lutte contre la toxicomanie de juillet 1998, la Cour des comptes relevait l'ambiguïté caractérisant le partage des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales dans ce domaine : en matière de prévention, une circulaire de 1992 incite les structures de soins spécialisés à solliciter le concours financier des collectivités territoriales pour leurs actions de prévention ; l'aide médicale pour les toxicomanes comme pour les autres personnes à faible niveau de ressources est financée par les départements, alors qu'en théorie elle est du ressort de l'Etat.
De nombreuses collectivités territoriales jugeant l'action locale de l'Etat insuffisamment efficace se sont mobilisées pour définir les principes et les modalités de leur engagement dans la lutte contre la toxicomanie. Tandis que les régions restaient en général peu impliquées, certains conseils généraux ont, dans les départements les plus touchés, mis en place des missions spécialisées, chargées d'impulser et de coordonner des actions de prévention et de formation. Les services déconcentrés de l'Etat ne paraissent pas jouer un rôle suffisamment actif dans ces initiatives. Les chefs de projet départementaux font parfois preuve d'un manque de réactivité sur le terrain et d'une inadaptation aux évolutions des phénomènes toxicomanes. Dans son rapport de juillet 1999, le Conseil économique et social en arrivait d'ailleurs à cette conclusion : « l'absence d'une coordination et d'une planification des besoins et des moyens au niveau départemental favorise le développement anarchique de structures parfois concurrentes, alors que certains départements restent notoirement sous-équipés. (...) Les initiatives des collectivités locales et des associations ne sont pas toujours convenablement soutenues, restent trop souvent mal coordonnées et planifiées, et leurs effets trop rarement évalués . »
E. DES ASPECTS DE LA LUTTE CONTRE LA DROGUE ET LA TOXICOMANIE ENCORE INSUFFISAMMENT PRIS EN COMPTE
Au-delà de ces dysfonctionnements institutionnels, la MILDT connaît aussi des faiblesses d'ordre conceptuel.
Certains aspects de la lutte contre la drogue restent encore insuffisamment pris en compte, notamment l'influence de la consommation de drogues sur les accidents de la route . A cet égard la loi n° 99-105 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs prévoit l'instauration d'un dépistage systématique des stupéfiants pour les conducteurs impliqués dans un accident mortel de la circulation (nouvel article L. 3-1 du code de la route). Les résultats de ces analyses sont transmis au procureur de la République du lieu de l'accident. Mais il n'existe encore aucun système de contrôle systématique de l'usage de drogues au volant similaire à l'alcootest. En outre, lors de l'adoption de la loi précitée, dite « Gayssot », il n'était pas apparu opportun de prévoir un dispositif répressif spécifique pour les automobilistes conduisant sous l'influence de drogues. En effet, l'article L. 342-1 du nouveau code de la santé publique (qui punit d'un an d'emprisonnement et de 25.000 francs d'amende l'usage illicite de stupéfiants) peut servir de fondement aux poursuites engagées. En outre, avec les résultats d'une analyse, le juge peut tenir compte de l'état du conducteur au moment de l'accident.
Une enquête d'envergure nationale devrait être menée entre janvier 2001 et janvier 2003 afin de mettre le Parlement en mesure de décider s'il souhaite faire de l'usage de la drogue au volant une circonstance aggravante. Cette prise en compte des impératifs de sécurité routière est aujourd'hui primordiale à l'heure où les effets des drogues dites « douces » (notamment le cannabis) sont de plus en plus banalisés et où l'on assiste à une consommation addictive de médicaments psychotropes détournés de leur usage. La MILDT désirerait d'ailleurs recruter auprès du ministère de l'Équipement un chargé de mission compétent sur cette question de l'usage de drogues au volant et de ses implications en matière de sécurité routière.
Le 28 août 2001, le ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement, M. Jean-Claude Gayssot, ainsi que le ministre délégué à la santé, M. Bernard Kouchner, ont présenté un décret relatif au dépistage systématique des stupéfiants pour les conducteurs impliqués dans un accident mortel 7 ( * ) . Ce décret complète donc le dispositif de la loi du 18 juin 1999 et doit entrer en application le 1 er octobre 2001. Une recherche nationale coordonnée par l'OFDT et financée par le ministère de la Santé, doit être mise en oeuvre à partir du 1 er octobre 2001 afin de recueillir, pendant deux ans, l'ensemble des données relatives au dépistage de la consommation de stupéfiants après un accident mortel, qui seront exploitées dans le cadre d'une étude épidémiologique. Les conclusions de cette étude devraient servir à instaurer une législation spécifique sur la conduite automobile sous l'influence de stupéfiants. La recherche portera sur les conducteurs de véhicules impliqués dans des accidents mortels et concernera environ 9.500 personnes par an.
Si l'on sait que l'alcool est en cause dans plus d'un tiers des accidents de la route, le nouveau dispositif de dépistage des stupéfiants devrait permettre de mettre en évidence et de préciser le risque lié à la consommation de substances psychoactives.
Si la présence de stupéfiants est vérifiée ou avérée, les analyses seront complétées par la recherche de médicaments psychoactifs pour éviter des interprétations erronées. Quatre familles de stupéfiants sont concernées : les opiacés, le cannabis, les amphétamines et la cocaïne.
Votre rapporteur spécial ne peut qu'approuver cette initiative, mais il déplore cependant les délais qui auront été nécessaires pour mettre en place une vraie politique de prévention et de répression de l'usage de stupéfiants au volant.
Enfin, toujours sur le plan conceptuel, se pose la question du ciblage des populations à risque par la MILDT. Là encore il s'agit d'un point sur lequel la MILDT n'a pas assez insisté. Les types de consommation ont évolué et, avec eux, les populations à risque. La MILDT ne semble pas encore s'être adaptée à ces évolutions, ses nouvelles campagnes d'information restent souvent trop généralistes et parfois simplistes.
Au total, votre rapporteur spécial ne peut que se féliciter de voir la France dotée d'une structure interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie qui semble s'être dotée d'objectifs clairs et dirigée par une présidente à plein temps. Cependant il ne peut que constater l'ampleur du chantier et des questions à régler qui exigent décisions mais aussi consensus.
LA CONDUITE SOUS L'EMPRISE DE PRODUITS STUPÉFIANTS
En France, la conduite d'un véhicule automobile sous l'emprise de stupéfiants ne fait l'objet d'aucune interdiction explicite. L'article 9 de la loi du 18 juin 1999 sur la sécurité routière, dite loi Gayssot, soumet à un dépistage systématique des stupéfiants tout conducteur automobile impliqué dans un accident mortel. Le refus de se soumettre aux analyses et autres examens est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 F d'amende. En revanche, aucune sanction n'est prévue en cas de test positif. Pour l'application de cet article, le décret du 27 août 2001, entré en vigueur le 1 er octobre 2001, met en place des tests de dépistage suivis, le cas échéant, d'un examen clinique, d'un prélèvement biologique urinaire ou sanguin, ainsi que d'une recherche et d'un dosage de stupéfiants. Les stupéfiants recherchés sont les opiacés, le cannabis, les amphétamines et la cocaïne. Ce décret prévoit également que les données recueillies à cette occasion seront transmises à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies durant les deux prochaines années. Le ministère de la Santé a, en effet, chargé cet organisme de réaliser une étude épidémiologique sur la conduite sous l'influence de stupéfiants, qui devrait servir de base à l'élaboration de nouvelles règles. Malgré l'absence d'infraction spécifique, l'article L 3421-1 du nouveau code de la santé publique, qui prévoit que « l'usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d'une peine d'emprisonnement et de 25 000 F d'amende », peut servir de fondement aux poursuites dirigées contre un conducteur automobile sous l'emprise de stupéfiants. En revanche, l'article 223-1 du code pénal, relatif à mise en danger de la vie d'autrui, qui incrimine « le fait d'exposer autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence » s'applique difficilement au cas des personnes qui conduisent sous l'emprise de stupéfiants. La présente étude examine les mesures prises par certains de nos voisins pour empêcher la conduite sous l'emprise de stupéfiants. Seules, les dispositions relatives à l'utilisation non professionnelle des véhicules de tourisme ont été retenues. Pour chacun des pays retenus, l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Grande-Bretagne, l'Italie, les Pays-Bas et la Suisse , on a analysé, d'une part, le dispositif répressif et, d'autre part, les contrôles qui peuvent être pratiqués sur les automobilistes. L'examen des dispositions étrangères fait apparaître que : - la conduite sous l'emprise de stupéfiants constitue une infraction spécifique dans tous les pays sous revue sauf en Suisse ; - les différentes législations étudiées ainsi que le projet de loi suisse prévoient des dispositifs de contrôle. 1) La conduite sous l'emprise de produits stupéfiants constitue une infraction spécifique dans tous les pays sauf en Suisse a) L'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et les Pays-Bas ont érigé la conduite sous l'emprise de stupéfiants en infraction spécifique Dans tous ces pays, la conduite sous l'emprise de stupéfiants constitue une infraction spécifique, distincte de la conduite en état d'imprégnation alcoolique. Alors qu'au Danemark, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Italie et aux Pays-Bas, tous les stupéfiants sont concernés par cette interdiction, les lois allemande et belge énumèrent les substances interdites (cannabis, cocaïne, morphine, héroïne, amphétamines, ainsi que les dérivés amphétaminiques contenus dans l'ecstasy). La loi belge est la seule à fixer des seuils à partir desquels la présence des substances interdites est considérée comme significative. Dans tous les autres pays, ce point est laissé à l'appréciation du juge ou de l'administration, selon que la sanction est pénale ou administrative. La conduite sous l'emprise de stupéfiants est sanctionnée de façon similaire à la conduite en état d'imprégnation alcoolique : les contrevenants sont passibles d'une amende, voire d'une peine de prison ou des deux peines cumulées dans les cas les plus graves. Seul, le code de la route italien prévoit le cumul des deux peines en toute circonstance. En outre, d'autres sanctions sont généralement appliquées : interdiction de conduire pendant quelques mois (Allemagne, Espagne, Italie) ou retrait du permis de conduire (Belgique, Danemark, Grande-Bretagne et Pays-Bas). Dans le dernier cas, l'intéressé, pour pouvoir conduire à nouveau, doit démontrer son aptitude à la conduite, voire solliciter un nouveau permis. Par ailleurs, la loi anglaise fait de l'homicide par imprudence commis par un conducteur sous l'emprise de stupéfiants une infraction spécifique b) La Suisse n'a pas défini de dispositif spécifique pour sanctionner la conduite sous l'emprise de stupéfiants Si la loi sur la circulation routière édicte seulement une interdiction générale de conduire pour toutes les personnes qui ne sont pas en mesure de le faire, quelle que soit la cause de leur état, l'ordonnance prise pour son application interdit la conduite à toutes les personnes qui se trouvent sous l'emprise de stupéfiants. Toutefois, comme il n'existe aucune sanction particulière de cette disposition, les juges appliquent les peines (prison ou amende) prévues pour qui viole les règles de circulation ou crée un danger pour autrui. Le projet de révision de la loi fédérale sur la circulation routière, actuellement en discussion au Parlement, prévoit que l'interdiction de la conduite sous l'emprise de stupéfiants figure dans la loi . Cette infraction serait passible d'une peine de prison ou d'une amende. En outre, elle entraînerait un retrait automatique du permis de conduire d'au moins trois mois. 2) Les différentes législations étudiées ainsi que le projet de loi suisse prévoient des dispositifs de contrôle Pour vérifier l'existence de l'infraction que constitue la conduite sous l'emprise de stupéfiants, il existe des dispositifs de contrôle. Ils reposent non seulement sur des analyses biologiques, mais aussi sur des procédures de suivi des conducteurs. a) Les analyses biologiques Toutes les législations prévoient des analyses biologiques, mais elles ne s'effectuent pas partout dans les mêmes circonstances. Ces contrôles peuvent être inopinés en Allemagne, en Belgique et en Espagne. En revanche, au Danemark, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, il faut que la police ait des soupçons sur la consommation de stupéfiants. En Italie, ils peuvent être pratiqués, soit lorsque le conducteur présente des signes qui laissent supposer qu'il est sous l'emprise de stupéfiants, soit après un accident. En Suisse, où les dispositions relatives aux tests biologiques figurent actuellement seulement dans les codes de procédure cantonaux, le projet de loi prévoit d'instituer un dispositif applicable dans tout le pays, mais qui ne concernerait que les automobilistes soupçonnés de conduire sous l'emprise de stupéfiants b) Le suivi des conducteurs Dans tous les pays où le permis de conduire n'est délivré que pour quelques années et où il doit être périodiquement renouvelé (Espagne, Italie et Pays-Bas), la toxicomanie constitue l'un des motifs qui empêchent le renouvellement du permis de conduire . En Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas, la police peut, lorsqu'elle a des doutes sur l'aptitude d'un conducteur, déclencher une procédure de contrôle qui peut entraîner un retrait , provisoire ou définitif, du permis de conduire. En Grande-Bretagne, c'est le conducteur lui-même qui doit signaler toute modification de son état de santé et donc, le cas échéant, sa dépendance à l'égard des stupéfiants. L'agence qui gère les permis de conduire peut alors prendre une décision de retrait d'au moins six mois. À l'issue de la période de retrait, l'intéressé doit prouver qu'il remplit les conditions, notamment médicales, requises pour l'obtention du permis. Le non-respect de l'obligation de déclaration constitue une infraction. En Suisse, d'après la loi fédérale sur les stupéfiants, les services administratifs doivent dénoncer auprès des autorités cantonales responsables de la délivrance des permis de conduire les toxicomanes qui constituent un danger potentiel pour la circulation routière. En pratique, cette disposition n'est guère appliquée. Comparée aux dispositions en vigueur dans les pays qui nous entourent, l'absence, en France, d'une répression spécifique liée à la conduite sous l'emprise de stupéfiants et des contrôles correspondants constitue une exception. |
Source : Service des affaires européennes du Sénat
* 7 Décret n° 2001-751 du 27 août 2001 relatif à la recherche de stupéfiants pratiquée sur les conducteurs impliqués dans un accident mortel de la circulation routière, modifiant le décret n° 2001-251 du 22 mars 2001 relatif à la partie réglementaire du code de la route et modifiant le code de la route.