M. le général de division Gaubert,
général commandant la zone défense Nord à
Lille,
Gouverneur militaire de Lille
M. Jacques LARCHÉ, président
Je souhaite la bienvenue au Général de division Gaubert. La Commission des Lois a choisi de vous entendre. Vous êtes commandant de la zone défense Nord à Lille et gouverneur militaire de Lille. Nous souhaitons obtenir de vous des informations sur les récents événements de Vimy. Vous nous direz si ce qui a été fait assure une certaine sécurité.
M. le général GAUBERT
Je vous remercie de m'avoir convié. Cette audition va vous éclairer. Elle est significative à plusieurs titres. Dans un premier temps, l'opération menée à Vimy a présenté des caractères de danger considérable, qui ont d'ailleurs justifié l'évacuation de la population. Des contraintes de temps extrêmement importantes ont été fixées par le Premier ministre au travers de la déclaration du ministre de l'Intérieur, M. Daniel Vaillant. En outre, cette opération a été très intéressante parce qu'elle a mis en oeuvre des moyens civils et militaires considérables de l'Etat. Enfin, en termes de relations, elle a été menée conjointement par l'Armée et la Sécurité civile. Je parlerais d'une coopération militaro-civile, avec une coordination de services de différente nature.
Cette opération a également présenté un niveau de confidentialité important avant son déclenchement. Au-delà des risques mêmes, ses conséquences en termes politiques auraient pu être très graves aux niveaux national et international. De fait, si la France n'avait pas été capable de conduire cette affaire dans de bonnes conditions, je suis persuadé que l'Europe et le Monde l'auraient su. Tous ces paramètres ont été à la base de l'action que j'ai menée en étroite collaboration avec les responsables de la Sécurité civile. D'emblée, nous avons ressenti la mobilisation complète des services de l'Etat, du fait de mes très nombreuses communications téléphoniques avec le cabinet militaire à Matignon, le Ministère de la Défense et le SGDN.
Dans cette opération, ont été mis en oeuvre deux types d'emplois, relativement classiques, des moyens militaires. Le premier a été de participer à la sécurisation de zone. Cela est peu pratiqué en métropole, mais est courant en opérations à l'extérieur. Je pense notamment à ce qui a été pratiqué en Bosnie et au Kosovo. Il s'agit de prendre en charge la sécurité des personnes et des biens. Cette mission de sécurisation de la zone de Vimy a impliqué environ 400 militaires, en complément des moyens de police et de gendarmerie. La deuxième mission classique a été d'assurer un soutien logistique pour l'ensemble des acteurs. Il s'est agi notamment de la fourniture de moyens aériens (cf. évacuation sanitaire...), de la fourniture de moyens spécialisés (cf. tenues lourdes de protection, masques à gaz...) au profit des démineurs et des unités civiles engagées (police, pompiers).
A cela, se sont ajoutés d'autres emplois des moyens des armées que je qualifierais « d'originaux ». Tout d'abord, cette opération à Vimy nous a permis de travailler en étroite coordination avec la Sécurité civile, du fait de l'imbrication des tâches. Je me permets d'insister sur les bons aspects liés à la professionnalisation de l'Armée, qui se sont traduits en termes de réactivité par des délais extrêmement brefs dans la mise en place des moyens. Par exemple, dès le début, il s'est avéré que nous étions en présence d'émission de phosgène et d'ypérite lors de la manipulation des obus les démineurs. Or les moyens de la Sécurité civile n'étaient pas opérants car trop modernes. De fait, l'ordinateur permettant d'identifier ces toxines avait en charge des données concernant des toxiques récents. A Vimy, les produits avaient environ 80 ans d'ancienneté. Les démineurs ne pouvaient donc plus travailler. Par chance, les Armées disposent du matériel adéquat, conséquence de la Guerre du Golfe, les Irakiens utilisant encore certains gaz toxiques très anciens. Ainsi, en moins de quatre heures, lorsque le besoin s'en est fait sentir, j'ai pu avoir à ma disposition des moyens provenant de Draguignan. Nous avons donc pu identifier les gaz et lever l'alerte dans de bonnes conditions.
Dans cette opération, l'Armée a utilisé d'autres moyens originaux. Aujourd'hui, la Sécurité civile dispose d'éléments de décontamination de personnes, mais n'a pas les moyens de décontaminer des véhicules ou des superficies importantes. Là encore, les Armées ont su pallier ce manque puisqu'elles disposent d'un matériel adapté qui a aussi été disponible extrêmement rapidement.
Je citerai un autre élément peu classique. Nous avons été contraints par des délais. De fait, lors des questions orales à l'Assemblée nationale, le Premier ministre a annoncé que le retour des populations se ferait à l'occasion du week-end, ce qui raccourcissait le délai initial de 10 à 7 jours. Nous devions donc disposer rapidement de moyens de mise en oeuvre pour assurer la sécurité de l'ensemble du dépôt. Nous avons fait appel à toutes nos connaissances en matière de relations extérieures. Nous avons notamment fait intervenir l'attaché des forces terrestres à Londres, pendant le week-end de Pâques, sachant que les Britanniques fabriquaient ce type de matériel déjà utilisé dans les Balkans. Il a été passé commande auprès du patron de l'entreprise concernée le lundi matin. La livraison des matériels a eu lieu le soir même à Arras. Cette coopération internationale n'est pas classique pour une opération de ce type.
Enfin, en complément des actions des démineurs, le site a dû être sécurisé en réalisant un damier de caisses de munition intercalées avec des caisses de sable, afin d'éviter une réaction en chaîne du dépôt. Pour cela, nous avons fait appel à une unité spécialisée du Génie de l'Air qui, à mon sens, était la seule capable de réaliser ces travaux dans les délais. Les conditions ont été extrêmement difficiles et dangereuses puisque tout s'est passé de nuit, en tenue de protection complète (masque à gaz) et sous une pluie mélangée à de la neige fondue.
Je tenais à vous faire part de cette coopération militaro-civile telle que je l'ai perçue. J'aimerais souligner un dernier point : la mise en place d'une planification composée de planificateurs militaires au profit des autorités civiles. Nous avons pris en compte la totalité de cette planification, depuis la mise en oeuvre des moyens militaires et civils jusqu'à la communication.
Après cette opération à Vimy, j'ai été directement impliqué pour ce qui concerne les inondations qui ont eu lieu dans la Somme. Dans ce cadre, nous avons participé à la mise en place d'une cellule de planification interministérielle.
M. Jacques LARCHÉ, président
J'ai suivi l'opération de Vimy avec grande attention dans les médias. J'ai noté la satisfaction des populations après l'intervention militaire. Si je comprends bien, on a pris conscience à un certain moment qu'il y avait un danger à Vimy et qu'il fallait y mettre fin par des moyens appropriés. La décision a donc été prise de transférer les caisses dans lesquelles reposaient les obus.
M. le général GAUBERT
Tous les obus n'ont pas été transférés. Certains sont restés à Vimy.
M. Jacques LARCHÉ, président
Nous savons que le risque zéro n'existe pas. Mais les dangers ont-ils été réduits dans des proportions raisonnables, grâce au transfert et à une meilleure conservation ?
M. le général GAUBERT
Le niveau de danger était extrêmement important. J'ai voulu le constater par moi-même, sachant que je mettais en jeu la vie des personnes qui étaient placées sous mes ordres et qui ont travaillé avec les démineurs. L'ensemble du dépôt était globalement satisfaisant, mais certaines caisses, en particulier celles du fond, étaient très dangereuses. De fait, les caisses ont été transférées et stockées dans un ensemble réfrigéré, ce qui annihile la nocivité du produit.
Pour information, il a été constaté que lorsqu'il faisait froid, les armes chimiques n'étaient plus employées. A une température inférieure à-6°C, elles ne sont plus opérantes. Pour en revenir à l'opération de Vimy, certaines munitions identifiées comme chimiques ont été transférées à Suippes. Selon les spécialistes, il n'y a plus de danger.
Un deuxième risque était présent à Vimy : certaines munitions étaient et sont toujours non identifiées. Nous ne savons pas si elles sont chimiques ou explosives. Ces munitions sont restées à Vimy, mais elles ont été mises au sol. Elles ne risquent donc plus de tomber d'une hauteur de 2 mètres 50 comme c'était le cas lorsqu'elles étaient entassées les unes sur les autres. Si une caisse était tombée, parce que fragilisée par le temps, le choc aurait fendu le plastique dans lequel sont placées ces caisses. Elle pouvait déclencher une réaction en chaîne. C'est d'ailleurs ce qui a justifié l'évacuation de la population. Les 100 tonnes d'explosifs et les 50 tonnes de munitions chimiques auraient pu affecter un rayon de 2 kilomètres et un nuage chimique aurait pu aller vers Arras, Lens ou même Lille. Aujourd'hui, ces caisses sont au sol et le risque est donc moindre. En outre, elles ont été entourées de caisses remplies de sable de sorte que, si une caisse d'obus classique ou non venait à exploser, le reste du dépôt ne serait pas concerné.
Je voulais insister sur la cohérence des mesures prises et des actions réalisées.
M. Jacques LARCHÉ, président
Pendant combien de temps avez-vous travaillé avant de lancer l'opération ? Quand avez-vous été averti de ce danger ? Quand vous a-t-on demandé ce qu'il fallait faire ?
M. le général GAUBERT
La chronologie des événements est très claire. Il faut savoir que l'opération a commencé le vendredi 13. Le lundi précédent, le Premier ministre était présent dans la Somme. J'y étais également lorsque l'on m'a averti d'urgence, le mardi soir, de me rendre à Lille et de ne pas en bouger. J'ai demandé si cela concernait les inondations de la Somme. On m'a répondu par la négative. Je ne savais donc rien. Le mercredi matin, j'ai téléphoné au préfet du Nord, mon interlocuteur habituel. On m'a fait savoir qu'il venait de partir pour Paris. J'ai alors demandé à parler au préfet délégué. Mais lui aussi était parti à Paris. J'ai ensuite pu parler au préfet du Pas-de-Calais qui m'a dit qu'il allait partir à Paris mais qu'il pouvait me rencontrer à midi. C'est alors qu'il m'a informé d'un problème à Vimy, mais sans connaître les détails. Le jeudi, à la suite d'une réunion interministérielle, le ministre de la Défense a décidé de mettre en place un état-major civilo-militaire de crise à partir de jeudi 14 heures. Je l'ai su ce jour à 8 heures, soit 6 heures auparavant. Le vendredi à 10 heures, M. Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur, a fait une déclaration à ce sujet. Ainsi, nous avons pu travailler du jeudi 14 heures au vendredi 11 heures. Ce sont les délais dont j'ai disposé après avoir été informé 6 heures avant la mise en place de l'état-major. Je n'ai donc pas pu donner mon estimation sur les délais nécessaires avant cette prise de décision. Dès lors, nous avons dû réaliser l'opération de Vimy en 10 jours, délai qui a été ramené à 7 jours après la déclaration du Premier ministre à l'Assemblée nationale.
M. Jacques LARCHÉ, président
Ainsi, personne ne vous a demandé au préalable ce qu'il fallait faire et n'a sollicité votre avis.
M. le général GAUBERT
Effectivement.
M. Jacques MACHET
Monsieur Sappin a déjà répondu à un certain nombre de mes questions. Mais j'aimerais vous interroger sur la sécurité, qui est davantage votre domaine. Vous n'avez pas parlé de Suippes, lieu où ont été transférés les obus chimiques de Vimy. Des risques peuvent-ils être encourus sur les personnes et sur l'environnement ? Je pense notamment aux risques d'incendie liés au stockage à l'air libre ou liés à des catastrophes naturelles. La population de Suippes s'interroge. Pourquoi le site de Suippes n'a-t-il pas été placé en alerte ? Pourtant, vous connaissez le contexte dans lequel s'est passé le transfert des munitions. Etant sénateur de cette région, j'ai appris l'arrivée des camions par la télévision. Et qui surveille le site ? En cas de problème, qui serait prévenu et dans quel délai ? Quelles sont les modalités d'information et d'évacuation éventuelle de la population ? Nous ne savons rien de ce que nous risquons.
M. le général GAUBERT
Je ne veux pas esquiver vos interrogations, mais Suippes n'est pas dans ma zone. Je ne peux donc pas en parler. Je sais simplement que la destination de Suippes a été déterminée au cours de l'opération. Il est clair que de telles munitions ne pouvaient être stockées que sur un site militaire sécurisé. Nous savions qu'un transfert aurait lieu en toute sécurité vers un terrain militaire, mais nous n'en connaissions pas le lieu exact au déclenchement de l'opération, compte tenu de sa soudaineté, dès la prise de conscience d'un danger. En effet, les spécialistes ont estimé ce danger à un dixième. Cela signifie que, s'il y avait dix sites strictement identiques à celui de Vimy, un site aurait certainement explosé. C'est ainsi qu'a été prise la décision gouvernementale d'évacuation, décision sur laquelle je n'ai pas à porter de jugement. Parmi les sites militaires, celui de Suippes a été retenu car sa sécurité d'ensemble est bien meilleure que celle d'autres dépôts.
J'ai eu l'occasion de contacter les spécialistes et les scientifiques. Ils m'ont affirmé qu'il n'y avait plus aucun risque dès lors que les munitions chimiques étaient dans un camion réfrigéré. De fait, à -6°C, l'ypérite est un liquide qui ne présente aucun danger.
M. Jacques MACHET
Je ne conteste pas le fait que l'opération a été sécurisée au maximum. Nous avons été voir sur place et avons été rassurés. Mais il est question de construire l'usine SECOIA de traitement des obus dans cinq à six ans. La sécurité actuelle sera-t-elle maintenue jusqu'à ce que cette usine fonctionne ?
M. le général GAUBERT
Je ne peux pas le dire. Je peux toutefois vous apporter un élément de réponse qui concerne le nouveau Vimy. Aujourd'hui encore, des munitions arrivent tous les jours sur ce site. On estime entre 20 et 150 kilos la charge de munitions chimiques ou explosives découvertes quotidiennement dans cette région. Il faut savoir qu'un quart de ce dépôt-tampon de Vimy est rempli. A l'heure actuelle, celui-ci ressemble davantage à un dépôt de tri performant où les obus chimiques sont mis de côté. Ainsi, dans un ou deux mois, un convoi frigorifique sera organisé et transfèrera ces munitions à Suippes. Vous pouvez donc constater que le suivi sera permanent. Il aurait été dangereux que Suippes devienne un deuxième Vimy avant les premiers travaux il y a trois ans. De fait, les populations s'étaient habituées à cette situation et en avaient oublié le danger. Ce ne sera pas le cas à Suippes. Je précise que la Sécurité civile évacue ces munitions sans couper la circulation des autoroutes, en organisant un transport de matières dangereuses comme il s'en fait tous les jours sur le territoire. Aujourd'hui, des esprits sont en alerte depuis la collecte jusqu'au stockage, en passant par le transport. Des personnes sont dédiées à ces missions. Le danger de la banalisation n'existe donc plus.
M. Jacques LARCHÉ, président
Dans cette situation délicate qui aurait pu mal se terminer avant et pendant l'opération, les services de l'Etat et de l'Armée ont fonctionné de manière harmonieuse et avec efficacité. Notre sentiment est renforcé par vos indications sur les délais qui vous ont été laissés pour mettre en place un système relativement complexe.
Je vous remercie de nous avoir éclairé sur cette opération.