Santé animale : la lutte contre la fièvre aphteuse, du risque sanitaire à l'enjeu économique - Tome II - Auditions
EMORINE (Jean-Paul)
RAPPORT D'INFORMATION 405 (2000-2001) - Tome II - COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES
Rapport au format Acrobat ( 1117 Ko )Table des matières
- 1. Audition de Madame Isabelle Chmitelin, Directeur général adjoint de l'Alimentation, accompagnée d'une délégation composée de Mmes Véronique Bellemain, adjointe au sous-Directeur chargé de la santé et de la protection des animaux à la Direction générale de l'Alimentation, Brigitte Arbelot, chargée de mission à la sous-Direction de la santé et de la protection des animaux, MM. Benjamin Le Chatelier, responsable de la mise en oeuvre des mesures relatives aux produits au sein de la sous-Direction chargée de l'hygiène des aliments, Gérard Coustel, responsable de la cellule de crise fièvre aphteuse.
- 2. Audition de M. Frédéric Gueudar Delahaye, Directeur de l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL)
- 3. Audition de François Dufour, responsable de la commission sanitaire de la Confédération paysanne
- 4. Audition de MM. Jean-Jacques Rosaye, Président Henri Cassagne, Directeur, Thibault Delcroix, vétérinaire-conseil, de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS)
- 5. Audition de M. Pierre Chevalier, Président de la Fédération Nationale Bovine, Vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)
- 6. Audition de Thierry Geslain, Chef du Service Scientifique et Réglementaire de l'ANIA
- 7. Audition de Bernard Martin, Président de la Fédération Nationale Ovine
- 8. Audition du Docteur François Moutou, Chef de l'Unité épidémiologique de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments
- 9. Audition de M. Benoît Assemat, président du Syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration (SNVIA)
- 10. Audition de M. René Bailly, président du Syndicat national des Vétérinaires d'Exercice Libéral
- 11. Audition de M. Bernard Toma, professeur de maladies contagieuses à l'Ecole vétérinaire d'Alfort.
- 12. Audition de Marc Savey, Directeur de la santé animale à l'Agence française de sécurité sanitaire et alimentaire
- 13. Audition du Général Edouard Talieu, Vétérinaire biologiste, Chef des services de la Direction centrale du service de santé des armées du Ministère de la Défense
- 14. Audition du Docteur Bernard Vallat, Directeur général de l'Office international des épizooties (OIE)
- 15. Audition de M. Dominique Grange, Directeur de la Fédération Française des Commerçants en Bestiaux
- 16. Audition de M. Georges Bedes, président de la première section du Conseil Général Vétérinaire
- 17. Audition de Mme Marie-José Nicoli, Présidente de l'Union fédérale des Consommateurs Que Choisir
- 18. Audition de M. François Toulis, Président de la Fédération Nationale des Coopératives de Bétail et Viande, membre du Bureau de la Confédération Française de la Coopération Agricole
- 19. Audition de M. Régis Chevalier, Secrétaire général de la Fédération des producteurs de lait
- 20. Audition de M. Daniel Gremillet, membre du Bureau de l'APCA
- 21. Audition de M. Bernard Godard, adjoint au conseiller technique au ministère de l'Intérieur
- 22. Audition de M. Douzain, Directeur de la Fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV)
- 23. Audition de Mme Chmitelin, directrice générale adjointe de l'alimentation du Ministère de l'Agriculture et de la Pêche
- 24. Audition de Jean-Luc Duval, Président du Centre national des jeunes agriculteurs
- 25. Audition de François Lucas, Président national de la coordination rurale
- 26. Audition de M. Rousseau et de Mme Pascale Poiron, Président et Secrétaire générale de la Fédération française des marchés de bétail à vif
- 27. Audition de Jean-Pierre Tillon, Directeur scientifique et technique de l'Union des coopératives agricoles
- 28. Audition de MM. Michel Lombard et Max Gauphichon, Directeurs des entreprises « Grandes Prophylaxies » et « Animaux de production »
- 29. Audition du docteur Henry Gilbert et du docteur Yves Moreau, vétérinaires ; Directeur des projets spéciaux et Vice-Président assurance qualité de Merial
- 30. Audition de Jacques Lemaitre, Président de la Fédération Nationale Porcine
- 31. Audition de Vincent Perrot, Directeur Scientifique de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie
- 32. Audition d'Yves Cheneau, Chef du Service de la Santé Animale à la Food & Alimentation Organisation (FAO), et d'Yves Le Forban, Secrétaire à la commission européenne de lutte contre la fièvre aphteuse
- 33. Audition de Gérard Coustel, Chef du Bureau de la Santé Animale au Ministère de l'Agriculture et de la Pêche
- 34. Audition de Guy Malher, Ancien Président de Rhône-Mérieux
- 35. Audition de Madame Guittard, directrice adjointe à la Direction des Politiques Economiques Internationales du Ministère de l'Agriculture et de la pêche
- 36. Audition du Docteur Dalil Boubakeur, Recteur de la Mosquée de Paris
- 37. Audition de Jean Glavany, Ministre de l'agriculture
- 38. Audition de M. Jean-Louis Porry, ingénieur général du génie rural et des eaux et forêts
N°
405
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 21 juin 2001
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) par la mission d'information (2) sur la lutte contre l'épizootie de fièvre aphteuse ,
Par M.
Jean-Paul ÉMORINE,
Sénateur.
Tome II : Auditions
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Jean
François-Poncet,
président
; Philippe François,
Jean Huchon, Jean-François Le Grand, Jean-Paul Émorine, Jean-Marc
Pastor, Pierre Lefebvre,
vice-présidents
; Georges Berchet,
Léon Fatous, Louis Moinard, Jean-Pierre Raffarin,
secrétaires
; Louis Althapé, Pierre André, Philippe
Arnaud, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot,
Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme
Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard César, Marcel-Pierre
Cleach, Gérard Cornu, Roland Courteau, Charles de Cuttoli,
Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Christian Demuynck,
Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Paul Dubrule,
Bernard Dussaut
,
Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre,
Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge
Godard, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis,
MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain
Journet, Philippe Labeyrie, Gérard Larcher, Patrick Lassourd,
Gérard Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber
Malécot, Louis Mercier, Aymeri de Montesquiou, Paul Natali, Jean
Pépin, Daniel Percheron, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas
Poniatowski, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger
Rinchet, Josselin de Rohan, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, MM. Michel
Teston, Pierre-Yvon Trémel, Jean-Pierre Vial.
(2) Cette mission d'information est composée de :
MM.
Philippe Arnaud,
président
; Gérard César,
Paul Raoult,
vice-présidents
; Bernard Joly, Gérard Le
Cam,
secrétaires ;
Dominique
Braye, Mme Yolande
Boyer, MM. Gérard Cornu, Roland Courteau, Michel Doublet, Jean-Paul
Émorine, Louis Grillot, Louis Moinard, Bernard Piras.
Agriculture. |
1. Audition de Madame Isabelle Chmitelin, Directeur général adjoint de l'Alimentation, accompagnée d'une délégation composée de Mmes Véronique Bellemain, adjointe au sous-Directeur chargé de la santé et de la protection des animaux à la Direction générale de l'Alimentation, Brigitte Arbelot, chargée de mission à la sous-Direction de la santé et de la protection des animaux, MM. Benjamin Le Chatelier, responsable de la mise en oeuvre des mesures relatives aux produits au sein de la sous-Direction chargée de l'hygiène des aliments, Gérard Coustel, responsable de la cellule de crise fièvre aphteuse.
M.
Philippe Arnaud, président
- Je donne la parole à Madame
Chmitelin, qui est Directrice générale adjointe de
l'alimentation. Madame, je vous demanderai de nous présenter les
personnes qui vous accompagnent. Vous avez eu l'obligeance de nous transmettre
un rapport exhaustif, qui serait susceptible d'être
complété à l'avenir. Vous pourriez nous faire part d'une
synthèse de vos premières analyses en nous exposant votre
position face à la fièvre aphteuse, la manière dont vous
appréhendez ce problème ainsi que les réponses que vous y
avez apportées.
Mme Isabelle Chmitelin
- Monsieur le Président, je vous remercie.
Je vous présente la délégation qui m'accompagne.
Véronique Bellemain est l'adjointe au sous-Directeur chargé de la
santé et de la protection des animaux à la
Délégation générale de l'alimentation.
Brigitte Arbelot est chargée de mission à la même
sous-Direction, et plus spécifiquement en charge des plans de lutte
contre les épizooties au sein de la sous-Direction.
Benjamin Le Chatelier appartient à la sous-Direction chargée de
l'hygiène et des aliments et a été responsable de la mise
en oeuvre des mesures relatives aux produits. En effet, vous avez probablement
connaissance de la transmission de la fièvre aphteuse par le biais des
produits. Par conséquent, nous avons élaboré un certain
nombre de mesures qui ont été appliquées aux produits.
Enfin, Gérard Coustel est le chef du bureau de la santé animale.
Les quatre représentants de l'Administration ainsi que moi-même
sommes vétérinaires inspecteurs du Ministère de
l'agriculture.
Je souhaiterais vous rappeler les différentes étapes du
dispositif français de lutte contre la fièvre aphteuse. Ce
dispositif a été mis en place au moment de la crise que nous
avons eue à vivre depuis la fin du mois de février. Mon
exposé distinguera, très schématiquement, quatre
étapes. Les grandes lignes de ces étapes vous seront
proposées, sans pour autant rentrer dans le détail des chiffres,
qui vous seront transmis si vous le souhaitez. Je tiens à vous signaler
que les données sont présentées dans le document qui vous
a été remis.
La première phase correspond au début de la crise. Il s'agit de
constater comment nous avons appréhendé cette crise et d'analyser
les mesures que nous avons mises en place afin de nous organiser.
La deuxième étape coïncide avec l'application de mesures de
prévention.
La troisième phase s'est enclenchée lorsque deux foyers ont
été décelés en France, se traduisant par
l'apparition de la maladie sur notre territoire. Par conséquent, des
mesures de lutte ont été mises en place.
La quatrième étape est relative à la sortie de la crise,
et correspond à la levée progressive des mesures. Toutefois, la
vigilance reste de mise dans la mesure où la maladie continue à
sévir de l'autre côté de la Manche, d'une manière
relativement aiguë.
Le début de la crise correspond à une période d'une
semaine s'étant écoulée entre le 20 février et le
27 février. Nous avons été informés par les
autorités du Royaume-Uni, un fax nous étant parvenu dans la nuit
du 20 au 21 février. Cette information nous a été
confirmée par un représentant à Rome de la Commission
Européenne de lutte contre la fièvre aphteuse, qui nous a
téléphoné le 21 février au matin. Les mesures
immédiates qui ont été prises ont consisté à
fermer la frontière avec le Royaume-Uni. Cette mesure a très
rapidement été entérinée par une clause de
sauvegarde de la Commission Européenne, qui a isolé le
Royaume-Uni du reste de l'Union Européenne. Nous avons
procédé immédiatement à une réactivation des
plans de luttes nationaux et départementaux qui devaient être en
place depuis 1991, date à laquelle nous nous étions
engagés sur un programme de lutte contre la fièvre aphteuse
basé sur le non-recours à la vaccination. Ces plans de luttes ont
donc été réactivés tant au niveau national que dans
l'ensemble des départements français, l'information ayant
été envoyée à chaque département.
Cette crise s'est également traduite par la mise en place de mesures
spécifiques tant au niveau national qu'au niveau local afin de
répondre aux interrogations engendrées par cette situation, en
particulier aux demandes d'informations émanant non seulement de nos
services mais également des opérateurs privés, de la
presse et des citoyens. Une cellule fièvre aphteuse a été
mise en place au niveau national. Elle regroupait 15 à
20 équivalents emplois, issus d'un redéploiement des
structures de notre Administration centrale. Par conséquent, il faut
noter que certaines tâches ont été mises entre
parenthèses au cours de cette situation de crise. Fort heureusement,
nous n'avons pas vécu plusieurs crises simultanées. Ces 15
équivalents emplois ont travaillé d'arrache-pied, quasiment jour
et nuit, pendant un mois. Des lignes téléphoniques ont
été installées, une salle et des ordinateurs ont
été dédiés à cette cellule afin de
répondre au mieux aux demandes d'information émanant des services
et des opérateurs.
Au plan départemental, des cellules de crises ont été
mises en place, sous l'égide du Préfet. Enfin, au niveau
supranational, la Commission s'est organisée de la même
manière puisque sa cellule de crise était joignable près
de 24 heures sur 24. Je souhaiterais vous faire part d'une anecdote. Le matin
de l'annonce du premier foyer de fièvre aphteuse en France, j'ai
personnellement joint le chef de l'unité chargé de la
santé animale à la Commission Européenne à 6 heures
du matin, ce qui a permis de mettre en place l'ensemble des mesures dans un
laps de temps réduit. La communication communautaire est
organisée de manière à faciliter l'échange rapide
d'informations. Il faut noter que face à une maladie aussi contagieuse
que la fièvre aphteuse, plus les délais sont courts dans la
transmission de l'information, plus les mesures sont susceptibles d'être
mises en place rapidement et plus le résultat escompté peut
être bénéfique.
Un Comité national de lutte contre la fièvre aphteuse s'est
réuni, son existence ayant été instaurée par
arrêté ministériel en 1994. Ce Comité rassemble non
seulement les représentants des différentes Administrations,
qu'il s'agisse notamment du Ministère de l'Agriculture, du Budget, de
l'Equipement, de l'Intérieur, de la Défense mais également
des organisations professionnelles agricoles, les représentants de la
profession vétérinaire, des laboratoires et l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments. Le
Comité national de lutte contre la fièvre aphteuse, qui est un
lieu de dialogue, d'échange et d'informations, s'est réuni
à quatre reprises depuis le début de cette crise.
La première mesure prise au début de la crise correspond à
la fermeture de la frontière avec le Royaume-Uni. En outre, nous avons
immédiatement procédé au recensement des animaux des
espèces sensibles, qui avaient pu être introduit sur le territoire
français en provenance du Royaume-Uni au cours de la période dite
à risque, soit la période s'étant déroulée
entre le 15 janvier et le 21 février. Par ailleurs, il faut signaler que
l'ensemble des animaux dont l'origine anglaise ne pouvait être
écartée a également été recensé. Nous
reviendrons probablement sur le problème d'identification et de suivi
des animaux de l'espèce ovine, qui s'est avéré être
une difficulté importante. Nous avons frappé large. Pour
procéder à ce recensement, nous avons utilisé le
réseau européen dit « ANIMO », qui permet un
suivi des échanges intra-communautaires légaux d'animaux. De
plus, nous avons demandé à nos services
vétérinaires départementaux de mettre sous surveillance
l'ensemble des cheptels et des lieux dans lesquels des animaux originaires du
Royaume-Uni ou susceptibles de provenir de ce pays étaient
détenus. Ils ont procédé à un suivi clinique des
animaux pour, éventuellement, identifier des signes de la fièvre
aphteuse.
Cette première étape a duré une semaine approximativement.
La deuxième étape consistait à mettre en place des mesures
de prévention. Nous avons réagi pour faire face aux incertitudes
concernant la situation du Royaume-Uni, la fièvre aphteuse se
répandant rapidement. Nous avons également tenu compte de
l'hyper-contagiosité de cette maladie animale qui n'est pas
transmissible à l'homme mais qui est plutôt une zoonose mineure.
En effet, la maladie peut transmettre des aphtes aux personnes qui sont au
contact des animaux, mais les symptômes rétrocèdent
spontanément.
M. Philippe Arnaud, président
- Je souhaiterais connaître
votre position concernant les informations alimentant la presse et les radios
sur un individu qui serait atteint de la fièvre aphteuse.
Mme Isabelle Chmitelin
-Il se peut qu'un individu soit atteint.
L'ensemble des écrits sur cette maladie, qui est connue depuis des
siècles, affirme que la fièvre aphteuse est susceptible de se
transmettre à l'homme, mais apparaît sous des formes d'aphtes
bénins qui rétrocèdent spontanément.
M. Philippe Arnaud, président
- Le cas est tout de même
préoccupant.
Mme Isabelle Chmitelin
- Certes. Toutefois, il faut noter que la
fièvre aphteuse sévit dans de nombreux pays, en particulier dans
les pays en voie de développement. S'il existait des formes graves de
fièvre aphteuse humaine, j'estime que ces maladies auraient d'ores et
déjà fait l'objet de publications. L'information à
laquelle vous faites référence est récente et nous
souhaitons bénéficier de plus de recul afin de l'analyser
finement. En outre, dans le contexte actuel d'hyper-émotionalité
des populations face à ce qui touche à la santé animale et
publique, le recul est d'autant plus nécessaire.
M. Philippe Arnaud, président
- Lorsque vous disposerez
d'informations supplémentaires issues de l'analyse de cette situation,
pourriez-vous les communiquer à la mission chargée de
l'épizootie de fièvre aphteuse ?
Mme Isabelle Chmitelin
- Bien entendu.
La deuxième étape s'est enclenchée dans un climat
d'incertitudes et a dû tenir compte de l'hyper-contagionalité de
la maladie et de la faible expression chez les moutons. Un très grand
nombre d'animaux ont été introduits en France en provenance du
Royaume-Uni au cours de la période à risque. En effet, je
rappelle à la Commission que nous nous trouvions à un mois de la
fête de l'Aid El Kebir qui avait engendré des flux importants de
moutons en provenance du Royaume-Uni. Ces flux n'étaient pas des flux
traditionnels et impliquaient des opérateurs qui travaillaient durant
cette période pour cette opération particulière. Face
à cette situation, nous avons conseillé au Ministre de prendre
des mesures de prévention qui passaient par l'abattage et la destruction
des animaux britanniques ou supposés britanniques ainsi que des cheptels
qui avaient été en contact. Cela représentait
approximativement 50.000 animaux, dont 20.000 étaient originaires ou
supposés originaires du Royaume-Uni et 30.000 avaient été
au contact. De plus, 10.000 carcasses ont été détruites.
Il s'agissait soit de carcasses d'animaux importés vivants et
transformés au cours d'un abattage en France soit de carcasses
importées du Royaume-Uni.
Parallèlement à ces décisions, nous avons
procédé à une enquête sérologique sur un
pourcentage représentatif de chaque lot d'animaux importés du
Royaume-Uni ayant été abattu. Cette décision avait pour
but de mieux appréhender la situation épidémiologique
réelle à laquelle nous avions été
confrontés. Nous aurions pu procéder à l'abattage des
animaux sans pour autant effectuer de contrôle sérologique dans la
mesure où aucun texte communautaire ne nous y contraignait. Toutefois,
dans un souci de recherche de la vérité et de connaissance de
l'exposition réelle au risque, nous avons procédé à
ces contrôles sérologiques. Nous avons mis en évidence un
certain nombre de résultats positifs. En conséquence, nous avons
décidé de prendre des mesures de précaution autour des
sites dans lesquels avaient été détenus des animaux dont
le test s'est révélé positif. Nous n'avons pas
adopté de mesures similaires à celles que nous prendrions en cas
de foyer. Cependant, des mesures très proches ont été
décidées, un périmètre de trois kilomètres
ayant été déterminé autour des exploitations dans
lesquelles des cheptels avaient été détenus ou en contact
avec des animaux britanniques. Nous avons également mis en place un
contrôle du mouvement des animaux et des personnes autour de ces lieux
afin d'essayer d'enrayer une diffusion de la maladie.
En parallèle, le 6 mars, une décision générale
d'interdiction des mouvements des animaux d'espèce sensible sur
l'ensemble du territoire français a été prise. L'objectif
du blocage des animaux consistait à essayer d'enrayer le
développement éventuel de la maladie dans l'hypothèse
d'une introduction sur notre territoire. Au niveau communautaire, une mesure
identique a été instaurée le 8 mars.
Au cours de cette deuxième phase, nous avons abattu 50.000 animaux
au total, principalement des ovins. Nous avons déterminé 22
périmètres de surveillance dans 12 départements
français, autour des exploitations dans lesquelles des sérologies
positives étaient apparues. En outre, nous avons enregistré 102
suspicions cliniques sur une période d'un mois et demi puisque le
renforcement de notre réseau d'alerte en matière de fièvre
aphteuse a engendré une vigilance supplémentaire non seulement
des éleveurs mais également des vétérinaires. En
année normale, moins d'une dizaine de cas sont décelés sur
notre territoire.
Nous sommes alors rentrés dans une troisième étape, que
nous aurions bien évidemment souhaité éviter. Cette
étape coïncide avec la découverte de deux foyers de
fièvre aphteuse sur le sol français. Fort heureusement, nous
avons connu deux foyers seulement et espérons que l'ensemble des mesures
prises permettra d'éviter l'émergence de nouveaux foyers. Chaque
jour qui s'écoule nous conforte dans cette espérance mais nous
restons extrêmement vigilants.
Le premier foyer a été déclaré dans la nuit du 12
au 13 mars. L'éleveur était basé à moins de
500 mètres d'un lieu dans lequel avaient été
détenus des animaux d'origine britannique et pour lesquels des
sérologies positives avaient été enregistrées.
L'élevage se situait donc d'ores et déjà dans un
périmètre de protection. Le propriétaire a
décelé des signes cliniques sur deux de ses animaux. Le temps que
le vétérinaire arrive, six animaux avaient été
infectés. Très rapidement, les animaux concernés ont
été abattus et un prélèvement a été
effectué. Ce dernier a été conduit dans les plus brefs
délais dans le laboratoire national de référence de
Maisons-Alfort pour analyse. Quelques heures plus tard, dans la nuit, nous
disposions des résultats. Toutefois, il a été
décidé de procéder à l'abattage total du cheptel
sans attendre les résultats pour diverses raisons. Nous avons
considéré le contexte épidémiologique très
particulier, le troupeau étant très proche d'un lieu ayant
accueilli des moutons britanniques, ainsi que la symptomatologie
rencontrée sur ces animaux et l'explosion du nombre d'animaux
touchés en l'espace de quelques heures. En relation avec les experts, et
en particulier avec le Professeur Gouraud de l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments, il a été
décidé de procéder à l'abattage immédiat de
la totalité du cheptel. Très rapidement, nous disposions d'une
forte suspicion clinique. Le matin même, le foyer a été
déclaré simultanément au Comité
vétérinaire permanent dans lequel je siégeais, à
l'Office internationale des épizooties, et à la population par
communiqué de presse. En définitive, les animaux concernés
ont été abattus, de même que les deux élevages de
porcs situés dans la proximité immédiate du nuage de
diffusion du virus ainsi qu'un certain nombre d'animaux ayant été
au contact du cheptel.
M. Philippe Arnaud, Président
- La première
réaction consiste en l'abattage pour motif de précaution.
Existe-t-il un fondement juridique permettant cette décision ?
Mme Isabelle Chmitelin
- L'article L. 221 du code rural nous permet
de prendre un certain nombre de mesures d'urgence en cas de risque grave pour
la santé animale. Toutefois, il faut reconnaître que ces actes
auraient normalement dû être fondés sur un
arrêté conjoint du Ministre de l'Agriculture et du Ministre du
Budget, conformément à la loi actuelle. Face à la
situation dans laquelle nous nous trouvions, si nous avions dû attendre
un arrêté conjoint des deux Ministres, la maladie se serait
diffusée beaucoup plus largement et se serait traduite par les
conséquences que l'on peut imaginer. Quoi qu'il en soit, il peut
m'être reproché de ne pas avoir tenu compte du fondement
juridique, mais l'éleveur était totalement conscient et
consentant lorsqu'il a constaté l'apparition des symptômes sur ses
animaux.
M. Dominique Braye
- Nous pouvons également vous
féliciter.
Mme Isabelle Chmitelin
- J'estime qu'il s'agit d'une des leçons
que nous pourrons tirer de cette crise à la lumière de
l'expérience à laquelle nous avons été
confrontés, y compris au plan du dispositif juridique.
M. Gérard Cornu
- Les porcs ont-ils été
abattus ?
Mme Isabelle Chmitelin
- Les porcs ont effectivement été
abattus lorsque le foyer a été confirmé. Le cheptel a
été supprimé dans la nuit, en raison du contexte
épidémiologique, de l'explosion de la maladie et de la forte
suspicion. L'analyse a simplement corroboré une suspicion
extrêmement forte. En revanche, l'abattage des porcs environnants s'est
effectué dans les jours qui ont suivi, lorsque nous avons eu
connaissance par l'AFSSA du nuage de diffusion possible du virus compte tenu
des conditions climatiques.
Le deuxième foyer a été déclaré le 22 mars.
Il a fait suite à une information qui nous a été transmise
par la gendarmerie de la Mayenne. L'enquête conduite sur le
négociant à bestiaux qui avait importé des ovins
britanniques s'était révélée positive. Ce cheptel
se trouvait à 500 mètres du premier foyer. L'enquête de
gendarmerie a fait apparaître, à la lecture du facturier, une
livraison d'animaux au cours de la période à risque à un
dénommé Monsieur Pochon, qui se situe dans la Seine et Marne.
Dès le 22 mars, les services vétérinaires de la
Mayenne ont prévenu leurs collègues de Seine et Marne, qui,
immédiatement, ont dépêché une
délégation de deux vétérinaires sur place. Un des
animaux du cheptel présentait des symptômes
caractéristiques de la fièvre aphteuse. On peut s'étonner
que l'éleveur n'ait pas lui-même signalé ces
symptômes. Toutefois, l'élevage s'avérait être
quelque peu cosmopolite. En effet, il comprenait 114 ovins, 118 bovins, 4
sangliers et 6 porcs. Des prélèvements ont immédiatement
été effectués et ont été amenés
l'après-midi même à l'Agence française de
sécurité des aliments. L'intégralité des mesures a
été prise : l'abattage de tous les animaux des espèces
sensibles et mise en place des périmètres de 3 et 10
kilomètres prévus dans la réglementation communautaire et
nationale.
Parallèlement à ces deux foyers et à la mise en place des
mesures françaises qui sont, je vous le rappelle, fondées sur le
droit communautaire, il faut également signaler que la Communauté
Européenne a imposé à la France des mesures
supplémentaires dites de sauvegarde, qui se sont appliquées
à l'ensemble des départements français. Ces mesures
permettaient, en fait, de distinguer deux zones : les départements
autour desquels s'étaient constitués des foyers et le reste de la
France. Dans un premier temps, le transport des animaux vivants sur l'ensemble
du territoire français ainsi que le mouvement des animaux et des
produits au sein des départements concernés étaient
bloqués. Dans un second temps, ces mesures ont progressivement
été levées. Je rentrerai dans les détails de ces
opérations si vous le souhaitez mais je considère que la presse a
relativement bien relaté le phénomène.
Je souhaiterais aborder la troisième phase de la crise, qui correspond
à la levée progressive des mesures, même si la vigilance
reste de mise. Cette étape se scinde en quatre volets.
Tout d'abord, je vous rappelle que nous avions mis en place des
périmètres de restriction autour des endroits où
étaient détenus des animaux britanniques s'étant
révélés positifs à l'analyse. Ces mesures ont
touché 22 exploitations dans une dizaine de départements.
Très rapidement, nous avons levé un certain nombre de ces
restrictions parce que les résultats se sont
révélés négatifs. Vous savez que les analyses
portant sur la fièvre aphteuse peuvent être de différents
ordres. Il y a d'abord la recherche du virus en tant que tel, puis des
recherches sérologiques au cours desquelles des anticorps sont
recherchés. Pour ce faire, plusieurs techniques sont possibles,
notamment deux, mais aucune n'est infaillible. Dans la première phase de
la crise, nous avions recours à un test uniquement, l'AFSSA ne pouvant
développer le second. Le fait de n'utiliser qu'un seul test s'est
traduit par de nombreux cas positifs, qui se sont été ensuite
révélés négatifs lorsque nous avons demandé
à l'AFSSA d'effectuer un test différent sur ces sérums. De
22 exploitations, seules six sont demeurées positives aux deux
tests.
En outre, lorsque la période d'observation de 30 jours des zones
déterminées autour des foyers séropositifs, dans un
périmètre de trois kilomètres, ne laissait pas
apparaître de signe clinique de la maladie, les mesures ont
été progressivement levées.
Par ailleurs, d'autres mesures traditionnelles prévues par le droit
communautaire ont également été levées. A l'issue
de 15 jours, la zone de trois kilomètres se fond dans la zone des dix
kilomètres et 30 jours après l'abattage et la désinfection
de l'exploitation affectée, la zone des dix kilomètres peut
être levée. Il faut préciser, à ce stade, que des
mesures additionnelles nous avaient été demandées par la
Communauté Européenne. Il s'agissait de contrôles
sérologiques dans la zone des dix kilomètres sur les animaux des
espèces sensibles afin de vérifier que la maladie ne se soit pas
diffusée. Nous avons procédé à ces contrôles.
Compte tenu de l'expiration du délai et des résultats
négatifs, nous avons été en mesure de lever l'ensemble des
mesures autour du foyer de la Mayenne dès hier. Cette décision
devrait être prise en décalé pour le foyer situé
dans le département de la Seine et Marne.
Enfin, il est important de signaler que des mesures additionnelles persistent
dans les départements voisins des foyers. Ces mesures sont
également imposées par la Communauté Européenne, et
prévoient des restrictions au mouvement des animaux dans les
départements de l'Orne, de la Mayenne, et des trois départements
de la région parisienne jouxtant la Seine et Marne. Ces mesures
continueront à s'appliquer pour une période de 20 jours
après la levée des périmètres de restriction.
Le troisième volet de la gestion de la crise s'est alors
enclenché. Dès le 3 mars, l'Union Européenne a
imposé des restrictions très importantes au mouvement d'animaux
des espèces sensibles sur l'intégralité du territoire
communautaire, y compris dans les régions qui n'avaient pas eu à
connaître de foyer de fièvre aphteuse. Cette décision a
été mal perçue par certains éleveurs, mais je
tenais à rappeler qu'elle a été imposée à
l'ensemble des pays de l'Union Européenne. Le 8 mars, une disposition
très restrictive a été décidée, dans la
mesure où seul était permis le transport direct des animaux
à destination d'un abattoir ou d'un élevage sous réserve
d'accord de l'élevage destinataire et des autorités sanitaires.
Au fur et à mesure que la situation épidémiologique
était plus maîtrisée, les règles communautaires se
sont progressivement assouplies. Ainsi, le 26 mars, la collecte des animaux
à destination des abattoirs a été autorisée, ces
derniers ne pouvant plus fonctionner. Le 2 avril, nous avons dû instaurer
l'obligation de résidence des animaux dans les élevages et
l'obligation relative à la non-introduction des animaux pendant une
certaine période avant tout mouvement d'animaux au sortir d'une
exploitation. Cette restriction forte accompagnait l'assouplissement des
mesures de collecte, qui ont été introduites le 11 avril, avec la
collecte possible des animaux à destination d'un élevage. Il
s'agissait d'une mesure très importante, notamment pour nos exportations
d'animaux en direction de l'Italie, l'organisation de ce marché reposant
sur un centre de rassemblement. Compte tenu de la décision communautaire
et malgré la levée des mesures qui frappaient la France au 12
avril, si nous n'avions pas obtenu, au niveau du Comité
vétérinaire permanent, un assouplissement de cette mesure, il
n'aurait pas été possible d'ouvrir à nouveau nos
marchés à l'exportation en raison d'un problème
d'organisation matérielle.
D'autres mesures ont également permis de desserrer le dispositif. Notre
but, au sein des discussions communautaires du Comité
vétérinaire permanent, consistait à faire preuve d'une
extrême transparence vis-à-vis de nos collègues
européens. Ainsi, nous avons, systématiquement, non seulement
divulgué l'ensemble des données concernant la situation
épidémiologique sur notre territoire mais également
présenté les mesures dont nous disposions. Un travail important
de préparation des réunions a été fourni, en
collaboration avec les services de la Commission européenne. Il visait
à donner l'information directe aux comités
vétérinaires permanents ainsi qu'à nos collègues
des autres Etats membres. J'estime que cette collaboration et cette
transparence totale nous ont permis d'une part de gagner la confiance de nos
partenaires et d'autre part d'assouplir progressivement le dispositif mis en
place. J'ai conscience des reproches de certains sur le manque de
rapidité, mais il faut comprendre que nous étions dans une
situation relativement difficile au niveau communautaire. En effet, nous
comptions parmi les Etats membres les plus exposés au risque puisque
nous avions reçu un lot très important d'animaux en provenance du
Royaume-Uni pendant la période à risque. Par ailleurs, nous
avions connu deux foyers sur notre territoire. Par conséquent, il nous
était très difficile de demander la levée de mesures
s'appliquant à l'ensemble des Etats membres. Nous avons essayé de
procéder au mieux, compte tenu de ces contraintes.
Le quatrième volet est relatif aux restrictions des échanges
intra-communautaires et à l'exportation des animaux vivants. Il s'agit
de notre quatrième cheval de bataille car nous nous engageons
maintenant, compte tenu de l'évolution favorable de notre situation
sanitaire, à nouer des négociations non seulement avec nos
collègues européens qui, parfois, adoptent des mesures plus
restrictives que celles permises par le droit communautaire, mais
également avec nos collègues des pays tiers. Ces discussions
visent à leur démontrer que nous maîtrisons la situation
sanitaire et que nous pourrons leur donner de réelles garanties
sanitaires afin que reprennent les échanges d'animaux et des produits.
Je ne vous cache pas que nous faisons face à une situation
extrêmement difficile sur les marchés internationaux.
En guise de conclusion, je tiens à rappeler que nous ne sommes pas
sortis de cette crise. La vigilance reste de mise. La situation n'est pas
maîtrisée au Royaume-Uni et celle des Pays-Bas suscite de grandes
incertitudes. Nous souhaitons que l'ensemble des acteurs reste vigilant. En
effet, les opérateurs et les éleveurs sont en première
ligne et doivent sonner l'alarme. S'il s'avère que cet épisode
est derrière nous, ce que nous souhaitons tous, nous estimons que nous
serons tenus de tirer l'ensemble des leçons de cette crise. A cet effet,
nous avons d'ores et déjà, et peut-être
prématurément, organisé un retour d'information de la part
de nos services qui ont été fort mis à contribution au
cours de cette crise. Je vous rappelle qu'ils avaient déjà
été exposés au début de l'année 2001
à la mise en place des tests systématiques dans les abattoirs
pour la recherche de l'ESB. La crise de la fièvre aphteuse vient
s'ajouter à une crise quasiment permanente gérée par nos
services. Nous avons soumis un questionnaire à chaque service, dont
l'objectif est d'essayer d'organiser le retour d'expérience et tirer les
leçons de l'expérience que nous avons vécue. S'il
s'avère que des modifications d'ordre législatif,
réglementaire ou organisationnel s'imposent, nous en tirerons les
conséquences. Nous interviendrons afin d'améliorer le dispositif
à venir, en matière de lutte contre la fièvre aphteuse et
contre d'autres maladies animales qui peuvent s'introduire sur notre territoire
national. Nous espérons tirer profit de cet épisode qui a
durement mis à l'épreuve nos services. J'espère que
l'avenir nous démontrera que nous avons géré correctement
cette crise.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie. Ce rappel
historique fut très précis et nous a indiqué quelles
avaient été les premières mesures ainsi que celles qui
sont entrées en vigueur et ont été diligentées par
vos services. Je vous propose d'ouvrir les questions.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Votre exposé a clairement
montré que, durant la période à risque, des animaux en
provenance du Royaume-Uni, des ovins en l'occurrence, ont été
introduits. Comment ces ovins étaient-ils identifiés ? Nous
vivons une période sensible. Dans le cadre de l'Union européenne,
il n'est pas envisageable de considérer que des animaux circulent sans
disposer d'identification individuelle. En outre, les négociants
important ces animaux disposaient-ils de toutes les compétences requises
et de l'environnement susceptible d'assurer des conditions de
sécurité ? L'affaire de la fièvre aphteuse fait
clairement apparaître que l'absence de vaccination fait courir des
risques permanents, compte tenu de l'importance des échanges d'animaux.
Je vous rappelle ma première question. Comment les animaux
étaient-ils identifiés ? Vous nous avez déclaré que
des prélèvements sanguins ont été effectués,
mais ils ne donnent pas nécessairement les meilleurs renseignements sur
la provenance des animaux.
Mme Isabelle Chmitelin
- Monsieur le Sénateur, je vous remercie.
Votre question a de multiples facettes.
Je souhaiterais tout d'abord apporter une précision concernant la
découverte du premier foyer dans la Mayenne. J'ai omis de
préciser un élément épidémiologique :
le négociant en bestiaux se trouvant à 500 mètres du foyer
avait importé sept lots d'animaux en provenance d'un foyer du
Royaume-Uni. Ces mouvements nous ont été notifiés par le
système « ANIMO », et les autorités
britanniques nous ont signalé plus tard que la maladie s'est
déclarée a posteriori dans ce cheptel. Par conséquent, un
suivi du mouvement des animaux existe. Il s'agit certes d'un suivi par lot, et
non individuel. Il n'en demeure pas moins que le système communautaire
nous a permis d'avoir connaissance des premiers endroits dans lesquels se
trouvaient les animaux.
Cela étant dit, vous posez, Monsieur le Sénateur, une vraie
question concernant l'identification des animaux, en particulier des ovins. Il
est clair que ce système n'est pas aussi développé que le
système d'identification et de traçabilité des bovins.
Cela tient très certainement en partie à la faible durée
de vie économique de ces animaux ainsi qu'aux coûts de la mise en
place d'un système de traçabilité individuelle des ovins.
Le système existant dans le cadre communautaire, qui est
transposé au niveau français, ne repose pas sur un numéro
d'identification individuel qui fait l'objet d'un enregistrement dans une base
de donnée nationale, comme tel est le cas pour les bovins, mais sur une
identification des ovins et un enregistrement au niveau des registres
d'élevage. Les mouvements sont donc consignés uniquement dans les
registres de chaque élevage et il n'existe pas de système nous
permettant de connaître les mouvements d'animaux d'un élevage
à un autre. Par ailleurs, étant considérées les
failles du dispositif, qui concerne uniquement les éleveurs, les
négociants ne sont pas inclus dans le système. Notre service
ainsi que le Ministère sont conscients des problèmes qui peuvent
être consécutifs à l'absence de traçabilité
parfaite des animaux en question.
Je suis en mesure de vous déclarer, Monsieur le Sénateur, qu'un
projet de décret sur l'identification des ovins est en cours. Il sera
présenté à la Commission nationale d'identification le 9
mai et devrait ensuite être proposé au Conseil d'Etat. Le
gouvernement a donc conscience des failles du dispositif actuel. Il ne faut pas
pour autant conclure que ce défaut d'identification nous a
empêché de réagir. En effet, nous avons été
en mesure non seulement d'effectuer un certain nombre de contrôles du
mouvement des cheptels mais également de procéder à une
localisation des animaux importés.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Je souhaiterais vous soumettre une
deuxième interrogation. En 1991, une décision de non-vaccination
a été prise. Au regard des articles parus dans la presse à
l'époque, je constate que, même au niveau européen, les
communautés scientifiques avaient à peine été
consultées, cette décision s'appuyant sur des motifs
économiques favorisant l'exportation. Tout au long de
l'épidémie, l'argument économique était
évoqué. L'examen des données concernant les exportations
des animaux en provenance de l'Union Européenne permet de constater que
trois pays sont concernés : la Nouvelle-Zélande,
l'Amérique du Nord et l'Australie. Le bilan révèle que les
échanges vers ces zones ont été très faibles. Je
considère que la question qui va être posée aujourd'hui
consiste à se demander si l'on perpétue ce principe de
non-vaccination afin de répondre à des problèmes
d'exportations qui sont, peut-être, imaginaires. Ne serait-il pas
opportun de rétablir la vaccination ?
D'après les documents que j'ai pu étudier, il serait possible de
mettre au point, d'ici peu, un vaccin qui permettrait de protéger soit
l'ensemble des espèces dominantes, soit les bovins par exemple, dans la
mesure où il a été constaté qu'une vaccination de
ces animaux se traduit par une protection des autres races, qu'il s'agisse des
porcins ou des ovins. Aujourd'hui, vous allez être confrontée, au
niveau français mais également européen, à un
nouveau choix et je souhaiterais connaître votre sentiment sur cette
éventualité. Vous avez souligné qu'après la crise
de l'ESB, qui avait plongé le consommateur dans un manque de confiance
et dans l'incertitude, est apparue la fièvre aphteuse, qui s'est
accompagnée de tous les clichés, notamment liés à
la destruction des animaux. Si nous ne nous engageons pas par la suite dans la
vaccination et que de tels épisodes sont amenés à se
reproduire, je ne vois pas comment nous pourrions encourager nos concitoyens
à manger de la viande bovine.
Je souhaiterais donc savoir quelle est la position du Ministère de
l'Agriculture vis-à-vis d'une éventuelle vaccination. En outre,
quel est votre sentiment par rapport aux exportations ?
Mme Isabelle Chmitelin
- Monsieur le Sénateur, votre question
porte essentiellement sur la vaccination et la politique instaurée en
1991. Je vous rappelle que cette décision a été prise dans
la perspective de l'ouverture du marché unique en 1993. Dans ce
contexte, il était indispensable que les Etats membres s'accordent sur
une politique sanitaire commune vis-à-vis d'un certain nombre de risques
sanitaires et, en premier lieu, face à la fièvre aphteuse. En
effet, l'Union Européenne regroupait deux politiques différentes.
Trois Etats membres basaient leur politique sanitaire uniquement sur
l'abattage : le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark. Les autres Etats
membres avaient quant à eux recours à une vaccination
systématique et annuelle de l'ensemble du cheptel bovin. En 1991, cette
décision a fait l'objet de débats importants pour des raisons non
seulement sanitaires, les maîtrises de fabrication des vaccins
étant moins développées qu'aujourd'hui, mais
également pour des raisons économiques et commerciales. Le choix
de recours à une politique sanitaire au niveau européen a
été préconisé, en estimant que le nombre de foyers
avait été limité. Il faut reconnaître que le foyer
que nous connaissons actuellement en Europe est exceptionnel tant par son
ampleur que par le fait qu'il touche un pays qui n'a jamais vacciné et
qui reste un fervent opposant à la politique vaccinale. La crise que
nous venons de vivre est donc en tout point exceptionnelle et appelle à
une réflexion. C'est la raison pour laquelle nous sommes très
ouverts à débattre de nouveau de cette politique. J'estime qu'une
politique, quelle qu'elle soit, doit périodiquement faire l'objet d'une
réévaluation à la lumière des évolutions des
connaissances scientifiques, d'un certain nombre de données
économiques et de l'évolution de l'opinion publique. Vous avez
fort justement fait état de ce dernier point, l'opinion publique de 2001
est différente de celle de 1991. Les préoccupations sociales de
nos concitoyens doivent nécessairement être prises en
considération. Nous sommes ouverts, et je puis vous assurer qu'une
réflexion aura effectivement lieu au niveau non seulement national mais
également communautaire, voire international.
Je souhaiterais vous apporter une précision quant à l'absence
d'effet commercial positif de l'arrêt de la vaccination. De nombreux
éléments ont circulé dans la presse, considérant
que nous n'avons jamais exporté un plus grand nombre d'animaux ou de
viande du fait de l'arrêt de la vaccination. Cette réflexion n'est
pas totalement fondée. Mais le problème réside dans le
fait que cela ne concernait pas la filière bovine mais essentiellement
la filière porcine. Ainsi, le chiffre d'affaires à l'exportation
vers trois pays d'Asie (le Japon, la Corée et Singapour) s'est
établi à 250.000 francs pour l'année 1990 et s'est
élevé à plus d'un milliard de francs en 2000. La mesure
adoptée en 1991 s'est donc traduite par un effet très fort. Le
secteur porcin est pleinement conscient de cet effet positif. Il est vrai que
la filière bovine n'a pas bénéficié de l'ouverture
des marchés escomptés, très certainement en raison de
l'apparition de l'ESB. J'ai souvenir d'une délégation
américaine qui s'est rendue en France en 1991 pour la reconnaissance du
statut indemne de fièvre aphteuse, sans vaccination, de notre pays.
Cette délégation était pleinement satisfaite de l'ensemble
des éléments que nous leur avions présentés.
Toutefois, à l'issue de la visite, l'expert américain nous a
déclaré, sur un ton quelque peu ironique, que nous allions
être reconnu indemnes de fièvre aphteuse mais que nous ne
pourrions toujours pas exporter en raison de l'ESB.
M. Bernard Joly
- Madame, j'aurais souhaité vous poser deux
questions. Vous nous avez fait un exposé très rassurant, mais
votre conclusion a suscité mon inquiétude. Il est possible que je
n'aie pas saisi l'intégralité de vos propos. Il me semble que
vous avez déclaré que les éleveurs maîtrisaient la
situation mais que tel n'était pas le cas des négociants. Si
c'est effectivement le cas, j'estime que la situation est extrêmement
préoccupante dans la mesure où les négociants sont
l'endroit où le contact entre les animaux est le plus important en
France. Si nous ne les surveillons pas, j'estime que cela pourrait se traduire
par des surprises de taille. Ma deuxième question est relative à
la détérioration de l'image de marque des éleveurs
français vis-à-vis des consommateurs. Après l'ESB, la
fièvre aphteuse fait son apparition. Tenez-vous des discours rassurants
à la presse, en annonçant les mesures prises telles que vous
l'avez fait aujourd'hui ?
Mme Isabelle Chmitelin
- S'agissant de mon intervention faisant suite
à l'intervention de Monsieur le Sénateur Emorine sur l'absence de
traçabilité parfaite des ovins, la question avait trait à
l'identification. En ce qui concerne la situation sanitaire, j'ai
déclaré qu'il fallait rester vigilant pour deux raisons. D'une
part parce que la menace persiste de l'autre coté de la Manche, et qu'il
existe des mouvements possibles de personnes et de produits. D'autre part, du
fait de l'absence de traçabilité parfaite, nous avons
identifié (au sens de « localisé ») la
quasi-totalité des animaux qui avaient fait l'objet d'une introduction
au cours de la période à risque. Toutefois, je tiens à
être particulièrement claire, nous ne sommes pas certains d'avoir
répertorié l'ensemble des animaux. En effet, nous avons
été confrontés à une période
particulièrement agitée en raison de la fête de l'Aid El
Kebir, les animaux étant passés par des négociants qui ne
sont pas traditionnels. En conséquence, nous pouvons espérer
qu'une partie importante de ces animaux a été consommée
à l'occasion de la fête musulmane mais nous n'en sommes pas
persuadés. Compte tenu de la faible manifestation clinique de la maladie
sur ces animaux, nous appelons à la vigilance. Nous continuerons
à procéder à un certain nombre de contrôles
sérologiques afin de nous assurer de l'absence de circulation du virus
sur notre territoire.
Deux éléments doivent être différenciés. Le
problème des négociants est d'ordre général. Dans
le domaine sanitaire, nous suivons ces négociants. En ce qui concerne
l'identification bovine, les négociants sont inclus dans le
système général de traçabilité. S'agissant
des ovins, de nombreuses mesures doivent être adoptées, nous y
procéderons et traiterons de la question des intermédiaires.
Toutefois, nous rencontrerons de grandes difficultés. Qui, dans sa
propre famille, n'a pas quatre brebis qui tondent le gazon du jardin ?
L'identification des ovins est un vaste problème.
M. Bernard Joly
- Qu'en est-il de la diffusion de l'information
auprès des consommateurs et des journalistes ?
Mme Isabelle Chmitelin
- En ce qui concerne les consommateurs et les
journalistes, quatre points presse ont été organisés
depuis le début de la crise, le 21 février. Nous avons
également mis en ligne un site Internet que nous tenons
régulièrement à jour en diffusant l'ensemble des
informations, par souci de recherche de la transparence. 19 communiqués
de presse ont été diffusés par le Ministère sur
cette question de la fièvre aphteuse. Des dossiers techniques ont
été distribués par le cabinet du Ministre. La Directrice
générale de l'alimentation, qui regrette d'ailleurs de ne pouvoir
assister aujourd'hui à vos travaux, et moi-même avons
participé à de nombreuses interviews
télévisées sur le sujet. Par conséquent, j'estime
que nous avons beaucoup communiqué sur la fièvre aphteuse.
Toutefois, nous nous demandons si le fait de parler ne finit pas par
générer une crainte plus importante de la part des consommateurs.
Le manque d'information se traduit par une inquiétude des citoyens, qui
craignent qu'on leur cache quelque chose. Si nous divulguons un trop grand
nombre d'informations, ils considèrent que nous tentons de les rassurer
mais que la situation est plus grave. En définitive, je pense que notre
travail est assez difficile.
M. Philippe Arnaud, président
- Je souhaiterais prolonger la
question de Monsieur Joly. Existe-t-il des conditions particulières
d'agrément pour être négociant ? Un quidam peut-il se
déclarer négociant ?
M. Bernard Joly
- Les propriétaires de moutons tondeurs de gazon
sont-ils considérés comme des négociants ?
Mme Isabelle Chmitelin
- Il est clair que ces personnes ne sont pas des
négociants. Les négociants qui accueillent des animaux dans le
cadre d'échanges intra-communautaires doivent faire l'objet d'un
agrément. Au niveau des mouvements nationaux, tel n'est pas le cas.
M. Dominique Braye
- Je souhaiterais vous remercier, Madame, pour votre
exposé. Je tiens à signaler qu'en tant que
vétérinaire et sénateur, j'ai particulièrement
apprécié votre intervention, et ce même si j'appartiens
à la majorité sénatoriale, qui ne désire pas
forcément donner des gages au gouvernement. En dépit de cela,
j'ai, pour ma part, particulièrement apprécié la
manière dont la crise de la fièvre aphteuse a été
traitée par notre pays. J'ai exercé la profession de
vétérinaire durant 25 ans et fus responsable d'un abattoir.
Un point de votre exposé a suscité mon étonnement. Vous
avez déclaré que l'avenir nous dira si nous avons eu raison. Je
m'inscris en faux contre cette remarque. Le présent nous a
confirmé que, jusqu'à ce jour, vous avez eu raison d'agir de la
sorte. La situation actuelle est ce qu'elle est, personne ne peut
préjuger de quoi demain sera fait. Il serait nécessaire de
prendre d'autres dispositions si la situation évoluait d'une
façon que nous ne souhaitons pas.
Je tiens à rappeler à mes collègues que, manifestement, le
débat sur la vaccination engagé par Monsieur le Rapporteur
Emorine est un sujet d'actualité. Nous allons procéder à
des auditions de personnes prônant la vaccination, et je pense notamment
à Monsieur Bailly, le Président du syndicat national des
vétérinaires. En qualité de sénateurs, nous
disposons d'une vision extérieure. Il sera difficile de nous faire une
opinion si chacun défend sa vision parcellaire du problème. Il
serait opportun qu'au sein de cette Commission, nous puissions avoir une vision
globale de ce problème et non des avis émis au titre des
éleveurs de bovins, de porcs, de moutons et des
vétérinaires, ce qui nous empêcherait d'avoir une vision
globale de la situation. Dans un tel contexte, nous ne remplirions pas notre
rôle.
En outre, le gouvernement a, jusqu'à ce jour, su résister
à l'émotionnel et trouver une position issue des connaissances
scientifiques et d'une véritable réflexion sur le sujet.
Je souhaiterais poser une question concernant la vaccination. Dans
l'état actuel des choses, est-il possible d'envisager au niveau mondial
l'éradication à terme de la fièvre aphteuse ? Par
ailleurs, j'estime que la position de 1991 consistant à interdire la
vaccination a été adéquate, même si elle se heurtait
aux positions des vétérinaires, notamment Monsieur Bailly, qui
avait pris une position contraire au nom du SNVEL. Les dix années qui se
sont écoulées ont confirmé la justesse de la position qui
avait été prise contre l'avis d'un certain nombre de personnes,
qui n'étaient pas forcément les mieux placées pour prendre
les bonnes décisions. En effet, nul ne peut être à la fois
juge et partie. Je tiens à rappeler que l'Europe a donné, me
semble-t-il, l'autorisation à la Grande Bretagne de vacciner ses animaux
compte tenu de la propagation de la maladie mais que ce pays membre s'y refuse
toujours. Cela devrait nous interpeller d'autant plus que nous avons seulement
connu, à ce jour, deux foyers de fièvre aphteuse.
Les relations entre le Ministère et la profession
vétérinaire posent un véritable problème. A mon
sens, la profession vétérinaire défend parfois certaines
positions afin d'assurer sa survie matérielle. N'oubliez-pas, mes chers
collègues, que le gouvernement bénéficie actuellement d'un
véritable réseau d'épidémio-surveillance gratuit
sur le territoire français qui est constitué de
vétérinaires libéraux. Il leur est demandé de
délivrer des laissez-passer sans pour autant ausculter les animaux pour
qu'ils ne soient pas payés, ce qui est dramatique. Des
vétérinaires doivent se lever à 4 heures 30 du matin
pour aller faire des inspections ante-mortem dans les abattoirs et sont
rémunérés 85 francs de l'heure. Il est normal qu'ils
soient désappointés. J'interpellerai le Ministre sur ce sujet, et
souhaite qu'un nouveau contrat social, moral et économique entre l'Etat
et la profession vétérinaire soit instauré.
Enfin, il faut garder en mémoire que la quasi-totalité des
vétérinaires ruraux survit actuellement par le biais de leur
activité canine. Pour autant, nous les mettons à rude
épreuve à travers ce réseau
d'épidémio-surveillance. En parallèle, il est important de
rappeler que l'Etat ne fait absolument pas respecter la législation sur
la pharmacie vétérinaire, ce qui porte un lourd préjudice
aux vétérinaires ci-nommés. On ne peut demander aux
vétérinaires d'effectuer un certain nombre de tâches pour
lesquelles on les paie de façon indécente et compter sur eux de
manière permanente pour assurer ce rôle
d'épidémio-surveillance, qui a été, me semble-t-il,
déterminant au moment de cette crise, comme lors des
précédentes.
Mme Isabelle Chmitelin
- Concernant votre dernière question, qui
est certes collatérale mais néanmoins importante, je souhaiterais
rappeler que la propagation de la maladie en France a été
maîtrisée (nous n'avons eu à déplorer que deux
foyers) grâce à l'intervention de tous, non seulement des agents
des services vétérinaires, mais également des
vétérinaires sanitaires et des GDS. Nous ne sommes rien les uns
sans les autres. Le système sanitaire français fonctionne parce
qu'il repose sur ce réseau, qui implique différents acteurs de
terrain. Je puis vous assurer, pour avoir travaillé à
l'international, que ce type d'organisation nous est envié. Au niveau du
Ministère de l'Agriculture, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir
pour tenter de maintenir ce réseau de relations. Il faut
reconnaître que ces dernières ne sont pas toujours aisées
mais les acteurs se parlent entre eux, tant au niveau des départements
qu'au niveau central. En effet, nous avons des réunions
régulières avec la FNDS, le SNVEL ou la SNGTV. Le futur
réseau sanitaire bovin, en cours de constitution, formalisera ce
réseau d'épidémio-surveillance. Nous espérons qu'il
sera opérationnel à l'occasion de la prochaine campagne de
prophylaxie. Je tiens à ce que vous sachiez, Monsieur le
Sénateur, que vos préoccupations sont également les
nôtres. Le maillage national en matière vétérinaire
sanitaire est une préoccupation quotidienne de nos services. Nous savons
pertinemment que la suppression de la présence sur le territoire nous
rendrait faibles. Dès lors, la situation rencontrée aujourd'hui
par le Royaume-Uni pourrait exister en France si nous ne parvenons pas à
maintenir ce réseau actif. Vos préoccupations coïncident
avec les nôtres et nous travaillons en ce sens. Je puis vous affirmer
qu'un certain nombre de décisions dans le domaine sanitaire, autant au
niveau de l'ESB que pour la fièvre aphteuse, est pris de manière
à maintenir le réseau actif. Nous avons adopté de
nombreuses mesures afin de maintenir ce réseau. En outre, je me suis
personnellement rendue à l'Assemblée générale de la
SNVEL il y a un mois et j'ai tenu le même discours. Nous allons tenter de
maintenir les relations avec la profession vétérinaire.
En tant que membre de la profession vétérinaire, comme tel est
également mon cas, vous avez connaissance de la difficulté de
gestion de cette profession dans la mesure où elle est composée
d'individus éprouvant des difficultés à travailler
ensemble car il s'agit d'une profession libérale. Le fait de disposer
d'un retour actif de l'ensemble des actions sanitaires globales est un
défi pour la profession vétérinaire, mais également
pour nos services. Le contact avec ce corps de métier est maintenu.
Concernant la politique vaccinale dont vous faisiez état, je me
félicite de constater que vous avez supporté la politique mise en
place à l'occasion de cet épisode. Je souhaiterais ajouter un
point que je n'ai pas abordé lors de mon exposé. Si nous nous
étions trouvés en 2001 dans la situation d'avant 1991, nous
aurions tout de même été confrontés à un
problème. En effet, les ovins, qui n'étaient pas vaccinés
en 1991, auraient dû être abattus. En outre, les bovins ont
révélé la maladie. S'ils avaient été
vaccinés, nous n'aurions pas pu découvrir l'apparition de la
maladie. Par ailleurs, ces animaux auraient éventuellement pu participer
à la circulation du virus.
M. Dominique Braye
- Pourriez-vous indiquer à la Commission les
avantages économiques découlant de l'attribution de pays
indemne ?
Mme Isabelle Chmitelin
- Il existe différents statuts au regard
du droit international et en particulier au niveau du code zoosanitaire de
l'OIE. Un pays peut être soit infecté par la fièvre
aphteuse, soit indemne avec vaccination, soit indemne sans vaccination. Il
existe donc une gradation dans les possibilités d'échange entre
les pays. Un état appartenant à la catégorie indemne sans
vaccination est en droit de n'importer que des animaux et des produits
originaires d'un pays présentant la même caractéristique.
Comme le monde est divisé entre ces différentes
catégories, l'accès à un certain nombre de marchés
est limité pour un pays indemne avec vaccination ou infecté.
Cette différenciation est établie par le code zoosanitaire de
l'OIE mais est susceptible d'évoluer. J'espère que votre
Commission accueillera son Directeur général basé à
Paris, qui vous expliquera, avec force de détails et avec le franc
parler qui le caractérise, les conséquences de cette graduation.
S'agissant des chiffres et de l'impact économique, Monsieur Gueudard, le
Directeur de l'OFIVAL, fera preuve de compétence pour vous exposer les
raisons pour lesquelles certains marchés se sont fermés.
Je puis toutefois vous indiquer que le fait de déclarer un foyer se
traduit par une fermeture des marchés, non seulement sur les produits
des espèces sensibles mais également pour d'autres produits, tels
que la volaille ou la pêche dans la mesure où certains pays ont du
mal à intégrer un certain nombre de règles
internationales.
Vous aviez également une autre question portant sur la
possibilité d'éradication de la maladie au niveau mondial. Cet
objectif est certes très ambitieux, mais il est envisageable sur le long
terme sous réserve de dégager les moyens économiques qui
s'imposent. En qualité de vétérinaire, vous avez
connaissance de l'existence des plans d'éradication qui passent par
l'application d'une politique vaccinale puis qui s'engagent dans une politique
sanitaire, qui correspond à l'absence de vaccination et
l'élimination des animaux positifs. Toutefois, cette politique a un
coût. La fièvre aphteuse sévit malheureusement dans de
nombreux Etats, principalement dans les pays en développement, qui
auront du mal à s'engager dans cette voie sans disposer d'un soutien
fort de la part des pays industrialisés. L'Union Européenne
contribue à ce projet par souci d'assistance technique et de protection.
En effet, la Commission européenne de lutte européenne contre la
fièvre aphteuse, siégeant à la FAO à Rome, a
développé des programmes pour éradiquer la fièvre
aphteuse au sein de l'Europe et aider les pays à lutter contre la
maladie. Grâce à des fonds communautaires, la Commission met en
place des programmes de vaccins dans les régions
périphériques de l'Europe. Je souhaiterais néanmoins
ajouter un bémol à cette possibilité d'éradication
au niveau mondial de la maladie. L'existence de réservoir sauvage dans
certaines espèces est possible. En définitive, tout est
envisageable, mais il s'agit de s'en donner les moyens sur le long terme.
M. Philippe Arnaud, président
- Votre conclusion me permet de
revenir sur le sujet des porcins. En effet, nous avons traité des bovins
et des ovins, et non des porcins. Cette espèce est sensible et je
souhaitais vous demander quelles étaient les mesures qui pourraient
éventuellement être envisagées si un plan
d'éradication était mis en oeuvre pour traiter les espèces
sauvages qui, par définition, sont des vecteurs incontrôlables.
Mme Isabelle Chmitelin
- J'estime qu'il faut avant tout éviter
que la maladie ne se transmette à la population sauvage. Dans un tel cas
de figure, la situation serait catastrophique. Afin de ne pas faire face
à cette éventualité, il s'agit de mettre en oeuvre des
mesures de précaution ou des battues. De nombreuses solutions sont
envisageables.
M. Philippe Arnaud, président
- Qu'en est-il de la
traçabilité des porcins ?
Mme Isabelle Chmitelin
- Le porcin est très sensible et
extrêmement excréteur, ce qui nous incite à porter une
attention particulière à l'évolution de la situation au
Royaume-Uni. Le fait que le virus n'ait pas atteint la filière porcine
dans ce pays est une source de soulagement dans la mesure où cette
espèce participe activement à la diffusion des virus. Je tiens
à relativiser le problème en indiquant que l'organisation
actuelle de l'élevage porcin se traduit par une faible liberté de
mouvement des animaux, l'élevage étant intégré et
hors sol.
M. Gérard Cornu
- Les sangliers sont toutefois en liberté.
Mme Isabelle Chmitelin
- Les échanges commerciaux de sangliers
sont faibles. Les porcins circulent, mais l'atmosphère des
élevages est relativement confinée, au sein d'exploitations hors
sol. Il faut noter que nous devrons adapter notre politique de lutte aux
nouveaux modes d'élevage qui se développent, comme les
élevages en plein air ou bio.
M. Gérard Cornu -
Je ferai preuve de candeur. La fièvre
aphteuse n'est apparemment pas dangereuse pour l'homme. Dès lors,
pourquoi l'être humain ne consomme-t-il pas de la viande infectée
? Pour quelle raison des mesures draconiennes sont-elles prises ? En outre, le
virus est très contagieux mais est-il également résistant
? Vous aurez constaté que je me place du côté du
consommateur.
Mme Isabelle Chmitelin
- En ce qui concerne le consommateur, vous avez
clairement résumé le problème. La fièvre aphteuse
n'est pas un problème de santé publique mais de santé
animale. La maladie pourrait être véhiculée par les
produits. La commercialisation de viande d'animaux infectés de
fièvre aphteuse se traduirait d'une part par une certaine
réticence des consommateurs ; d'autre part, cela conduirait
également à la multiplication des foyers potentiels si des
déchets de cuisine sont, par inadvertance, donnés à un
cochon ou jetés dans un champ dans lequel passe un sanglier. Le risque
vis à vis de la santé animale limite les possibilités de
commercialisation des produits non traités.
En ce qui concerne votre seconde question, le virus est connu depuis de
nombreuses années. Il n'est pas résistant aux traitements
thermiques et chimiques, mais persiste dans les cadavres. Par
conséquent, les animaux sont détruits.
M. Gérard César
- Votre exposé me paraît
assez complet. Je m'interroge sur l'Europe. J'ai lu que les Länder
allemands envisageaient de procéder à la vaccination. Quel est
leur statut exact ? Si une région d'Espagne, comme la Catalogne, qui
dispose d'une puissance financière colossale et qui est très
indépendante vis-à-vis de son gouvernement, décide de
recourir à la vaccination, qu'en est-il des autres pays européens
? Quels seraient les moyens utilisés pour mettre en oeuvre une politique
vaccinale, au regard du principe d'harmonisation ? Par ailleurs, pensez-vous
possible qu'un nouveau foyer soit décelé en France ?
Mme Isabelle Chmitelin
- S'agissant de la politique vaccinale, la presse
a effectivement indiqué que certains Länder allemands, notamment
ceux qui sont situés à la frontière avec les Pays-Bas,
avaient demandé la possibilité d'un recours à la
vaccination. Cette requête a fait l'objet d'un débat important, y
compris au sein même de l'Allemagne. Un débat assez houleux s'est
instauré entre les deux Ministres de l'Agriculture, celle au niveau
fédéral et celle au niveau du Land de Westphalie, ainsi qu'avec
les autres Länder. Le niveau fédéral et les autres
Länder avaient conscience que le fait que certaines régions aient
recours à la vaccination serait susceptible de remettre en cause la
totalité du statut du pays et de poser des problèmes à des
exportateurs de porcs situés en Bavière par exemple. Le
débat n'est pas tranché. Les Allemands devaient,
théoriquement, soumettre leur requête au Comité
vétérinaire permanent. Toutefois, la situation était assez
insolite dans la mesure où le délégué allemand au
Comité vétérinaire permanent était contre la
vaccination mais devait demander au Comité la possibilité pour ce
Land de vacciner. Le débat a été si intense en Allemagne
que la question a été retirée de l'ordre du jour du
Comité vétérinaire permanent.
S'agissant de l'Espagne, la Catalogne ne suscite, à mon sens, aucune
inquiétude. J'estime que cette province a développé de
grands élevages porcins destinés à l'exportation. Par
conséquent, je ne pense pas qu'ils demandent que la possibilité
de vacciner leur soit accordée.
Pour conclure sur ce sujet, je tiens à signaler qu'un pays membre de
l'Union Européenne ne peut décider de lui-même de recourir
à la vaccination. Il doit nécessairement engager une
procédure communautaire. A l'heure actuelle, l'ensemble des Etats
membres ont réaffirmé dans les conclusions du dernier Conseil
agricole qu'il n'y avait pas de dogme face à la vaccination mais qu'un
temps de réflexion était nécessaire. Elle sera
menée au niveau communautaire à la lumière des
résultats de la crise et de l'évolution des connaissances
scientifiques. Il faut également souligner que l'Europe a un certain
poids dans le domaine de l'agriculture.
Concernant votre deuxième question, je vous confie que l'apparition d'un
nouveau foyer est mon angoisse quotidienne ainsi que celle de mes
collègues. Pour cette raison, nous ne pouvons pas plaider à
l'heure actuelle en faveur d'une levée de l'intégralité
des mesures, en particulier de la libéralisation totale des mouvements
des animaux. Nous souhaitons continuer à maintenir un système
relativement directif, administratif selon certains, permettant de
réagir dans les plus brefs délais en cas d'apparition d'un foyer
pour retracer l'ensemble des mouvements et agir de manière chirurgicale
et non pas de manière large. Cela permet d'éviter les abatages
massifs.
M. Gérard César
- Les mesures n'ont-elles pas de
délais ?
Mme Isabelle Chmitelin -
Les moutons importés qui sont
susceptibles d'avoir échappé à notre vigilance sont
guéris. En revanche, ils ont été en contact avec d'autres
animaux et sont susceptibles d'avoir transmis la maladie à d'autres
animaux en particulier dans la population ovine, ce qui est notre crainte. Je
céderai la parole à Monsieur Coustel, qui maîtrise
davantage ce sujet.
M. Gérard Coustel
- Je tiens à nuancer vos propos. Le
temps qui passe nous rassure quelque peu. Depuis fin février, aucun
mouton d'origine britannique n'a été introduit sur notre
territoire. Nous pouvons supposer que le relais qui aurait permis
d'extérioriser la maladie aurait d'ores et déjà
été décelé. Nous faisons donc preuve d'une
sérénité relative. En revanche, nous pouvons nous
inquiéter de l'évolution de la fièvre aphteuse en
Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas. Il serait envisageable qu'une réelle
augmentation de la contamination provienne des vecteurs de mouvements de
marchandises ou de personnes en direction de notre pays, qui seraient porteurs
passifs du virus.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Comment les éleveurs sont-ils
indemnisés dans le cadre d'un abattage des troupeaux ? De quelle
manière l'immobilisation des animaux est-elle prise en compte pour les
élevages qui sont à la périphérie des foyers ?
L'indemnisation des éleveurs porte sur les cheptels. Le manque à
gagner au cours de la période de reconstitution des cheptels est-il pris
en compte dans l'indemnisation ?
Mme Isabelle Chmitelin
- L'Etat indemnise les pertes directes
liées à l'application de l'ensemble des mesures de police
sanitaire dans les foyers. Ainsi, les mesures d'abattage, de
désinfection, de destruction, les frais d'analyse, les frais
vétérinaires, la rémunération des experts
procédant à l'évaluation du coût des animaux ainsi
que le dédommagement des éleveurs pour la perte des animaux sont
pris en charge par l'Etat. L'indemnisation des pertes directes des
différents acteurs a été définie dans le cadre d'un
arrêté ministériel et se concrétise sous forme de
délégation de crédit par le biais de nos services.
M. Gérard César
- Ces indemnisations sont-elles
effectives ?
Mme Isabelle Chmitelin
- Les indemnisations ont d'ores et
déjà commencé. Il faut également préciser
que la Communauté Européenne participe à hauteur de
60 % à l'indemnisation des pertes directes.
Pour ce qui concerne les pertes indirectes liées aux foyers, soit les
pertes de production ou de commercialisation liées à
l'immobilisation des animaux dans les périmètres de surveillance,
les éleveurs étaient conscients de cette difficulté lors
de la mise en place de la politique sanitaire en 1991. Par conséquent,
ils ont constitué une caisse de péréquation qu'ils ont
abondé pendant trois ans. Cette caisse est gérée par la
FNGDS au niveau national et par les GDS au niveau de chaque département.
Les éleveurs s'organisent et font appel à cette caisse pour
l'indemnisation liée à l'immobilisation autour des foyers.
S'agissant des abattages et des mesures préventives prises autour des
lieux dans lesquels des animaux ont été importés en
provenance du Royaume-Uni, nous n'avions pas défini cette mesure
d'abattage préventif dans le cadre d'un texte. Nous nous
attèlerons à cette tâche afin de formaliser la situation.
Toutefois, nous disposons d'ores et déjà d'un arrêté
ministériel en date du 7 mars, qui a fixé les conditions
d'indemnisation pour les pertes directes liées à l'abattage de
ces animaux. Cet arrêté fixe un certain nombre de critères
en fonction de la valeur des animaux et détermine un plafonnement pour
les ovins. Cela pose un certain nombre de problèmes dans la mesure
où les moutons importés et destinés à la fête
de l'Aid El Kebir n'étaient pas onéreux à l'achat au
Royaume-Uni. En outre, leur qualité sanitaire était
également réduite, nos collègues s'étant rendu sur
le terrain ont observé des animaux dans un piètre état au
niveau physiologique mais qui, à la revente au destinataire final,
valaient très cher.
M. Louis Grillot
- Je vous remercie, Madame, de nous avoir
présenté cet exposé. Je souhaiterais vous soumettre une
interrogation. Les animaux sauvages sont-ils aussi sensibles à la
fièvre que les animaux domestiques ? J'avais 20 ans en 1952, date
à laquelle l'épizootie de fièvre aphteuse touchait la
quasi-totalité des élevages. A l'époque, notre territoire
contenait une forte population de sangliers que nous chassions. Il ne me semble
pas avoir eu connaissance d'informations selon lesquelles des chiens
rattrapaient les sangliers affaiblis par la fièvre aphteuse. Nous
n'avions pas réalisé que les animaux sauvages pouvaient
développer la maladie aussi aisément que les animaux domestiques.
Mme Isabelle Chmitelin
- Vous avez tout à fait raison. Il
semblerait, jusqu'à présent, que les espèces sauvages
soient beaucoup moins sensibles et relaient très peu l'infection.
Mme Brigitte Arbelot
- Concernant les animaux sauvages, l'ONC (Office
national de la chasse) nous a communiqué un document. Depuis le
début du siècle et malgré les grandes épizooties en
France, nous n'avons jamais observé de cas dans les réservoirs
sauvages. Les espèces concernées sont les buffles africains et
asiatiques. En fait, depuis le début des années 80, une
enquête sérologique de l'ONC sur les animaux sauvages
français a été menée. La contamination de la
fièvre aphteuse par le biais de ces espèces n'a pas
été mise en évidence. Il semble que ce mode de
transmission de la maladie puisse a priori être écarté en
Europe.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous avez rappelé que
certaines mesures étaient prises en charge, par exemple pour les
éleveurs, au niveau de leur groupement secondaire. Une mutualisation
existe. Les négociants bénéficient-ils de ces dispositifs ?
Mme Isabelle Chmitelin
- A ma connaissance, tel n'est pas le cas. Seuls
les adhérents bénéficient de la caisse de
péréquation.
M. Philippe Arnaud, président
- Les négociants ne sont pas
adhérents des GDS et ne font donc l'objet d'aucune mesure.
Mme Isabelle Chmitelin
- Il est clair qu'un certain nombre
d'opérateurs économiques ont subi des pertes d'exploitation
très importantes en raison de l'épisode que nous venons de vivre.
Nous pouvons évoquer les négociants mais également les
transporteurs d'animaux, les abattoirs etc... Ces conséquences
économiques font l'objet d'une analyse au sein des services du
Ministère de l'Agriculture afin de déterminer dans quelle mesure
un dispositif approprié de dédommagement pourrait être mis
en place. J'estime que d'autres intervenants s'exprimant à cette tribune
seront plus à aptes à répondre à cette question,
qui est davantage d'ordre économique que sanitaire.
M. Philippe Arnaud, président
- Il est évident qu'une
telle épizootie a des effets non seulement sur les éleveurs mais
également sur l'ensemble de la filière économique
(abattoirs, négociants...). Aujourd'hui, une partie de la filière
n'est pas prise en compte dans les perspectives d'indemnisation.
Mme Isabelle Chmitelin
- La Direction à laquelle j'appartiens
décide des mesures sanitaires appropriées afin d'endiguer au plus
tôt une maladie et éviter qu'elle ne se développe. En ce
qui concerne les conséquences directes des mesures que nous prenons, les
modalités d'indemnisation sont prévues par les textes sanitaires.
Toutefois, s'agissant des pertes indirectes, les textes n'apportent pas
d'élément de réponse.
M. Louis Moinard
- A titre d'exemple, concernant la fabrication des
fromages, des pertes de clientèle durables sont imaginables, car il est
possible de s'approvisionner ailleurs. Ce type de situation n'est actuellement
pas pris en compte.
Mme Isabelle Chmitelin
- Nos textes et dispositions sanitaires ne
tiennent effectivement pas compte de ces conséquences indirectes.
Toutefois, j'ai connaissance d'un certain nombre de demandes qui sont
remontées auprès des services du Ministère de
l'Agriculture, et qui sont actuellement à l'étude.
M. Philippe Arnaud, président
- A combien d'années
estimez-vous la reconstitution d'un cheptel, dans l'hypothèse d'une
recrudescence de l'épizootie au Royaume-Uni et de propagation en France
? Si nous ne disposons pas d'actions préventives par le biais de la
vaccination, le cheptel sera fortement détruit. Quel est le laps de
temps nécessaire pour reconstituer ce cheptel ?
Mme Isabelle Chmitelin
- Cette question est très difficile car
cela dépendrait de l'étendue de la destruction dudit cheptel
ainsi que d'autres éléments. Vous savez que nous abattons des
troupeaux en raison de l'ESB. Si la moitié du cheptel français
venait à disparaître, la perte serait durable car un certain
nombre d'éleveurs abandonneraient leur activité.
M. Dominique Braye
- J'estime que l'on peut considérer que la
situation actuelle et les réactions des pouvoirs publics sont
susceptibles d'évoluer du jour au lendemain. Des auditions porteront sur
la vaccination, notamment « en anneau ». Il sera
éventuellement nécessaire de nous fournir un éclairage sur
ces positions. Il faudrait que nos collègues soient informés de
ces questions et de leurs répercussions. Si nous souhaitons demeurer
dans un statut de pays indemne, la vaccination « en
anneau » devra entraîner un abattage massif des animaux.
Mme Isabelle Chmitelin
- La vaccination en anneau s'effectue lorsque les
capacités de destruction rapide dans les foyers sont jugées
insuffisantes. Cette vaccination permet d'enrayer la diffusion du virus en
faisant un écran de feu autour de la zone dans laquelle les animaux
seront abattus. Au final, l'ensemble des animaux sera abattu, y compris de ceux
qui ont été vaccinés. Il s'agit donc d'une vaccination
suppressive.
M. Louis Moinard
- Je considère que les orientations et les
objectifs doivent s'adapter à la situation. Vu la densité de
l'élevage en France, si nous étions confrontés à la
situation de l'Angleterre, d'autres méthodes devraient être
organisées.
Mme Isabelle Chmitelin
- L'épizootie est véhiculée,
au Royaume-Uni, par les moutons. Il faut noter que l'élevage moutonnier
anglais est très spécifique. Je pense qu'il serait
intéressant que votre Commission recueille les informations des
contrôleurs généraux du Ministère de l'Agriculture
qui se sont rendus au Royaume-Uni et ont constaté un certain nombre
d'éléments sur le terrain. L'élevage des bovins au
Royaume-Uni correspond à un élevage cueillette, les moutons
étant clairsemés sur l'ensemble du territoire. La structure de
l'élevage dans ce pays a peu de points communs avec la nôtre. Les
structures de populations animales sont très différentes. Par
conséquent, je ne pense pas que nous aurions été
confrontés à un problème similaire à celui du
Royaume-Uni.
M. Philippe Arnaud, président
- Face à cette explication,
et Monsieur Braye l'a très clairement exprimé, le problème
du recours à la vaccination se pose dans les esprits. Il convient de
disposer de l'ensemble des éclairages nécessaires afin d'y
répondre. Nous entendrons de plus en plus d'interventions sur les
vaccins marqués. Nous disposons d'ores et déjà de
littérature sur ce sujet. Avez-vous un avis et quelques
réflexions à nous soumettre sur les vaccinations marquées,
qui seraient susceptibles d'éviter les confusions ? Je rappelle que
l'épizootie de fièvre aphteuse ne se traduit pas par des
problèmes de santé humaine.
Mme Isabelle Chmitelin
- Les vaccins marqués, tout comme les
tests qui y sont associés et qui permettent de distinguer les anticorps
vaccinaux des anticorps infectieux, sont une perspective
particulièrement intéressante pour l'avenir. Cet
élément devra être pris en considération à
l'occasion de la réévaluation du dispositif de lutte contre la
fièvre aphteuse, qui devra être engagé à l'issue de
cet épisode. Ceci étant dit, pour l'heure, ces vaccins sont en
cours de développement. Ils n'ont pas, à ma connaissance, fait
l'objet de reconnaissance au niveau international. Monsieur le Directeur
général de l'OIE vous indiquera que les laboratoires
développant ces vaccins n'ont toujours pas déposé de
dossier de reconnaissance. Pour qu'ils puissent être utilisés et
qu'ils présentent un bénéfice par rapport aux vaccins
utilisés actuellement, leur reconnaissance internationale est
indispensable. Il est également important que l'on soit en mesure de
faire évoluer les conditions du commerce mondial en disposant d'une
reconnaissance particulière pour les pays utilisant ce type de vaccin.
Les perspectives sont donc intéressantes, mais la reconnaissance
internationale est nécessaire.
M. Dominique Braye
- Les vaccins marqués permettent aux animaux
de ne pas être des porteurs sains de la fièvre aphteuse et donc
les empêchent de diffuser la maladie.
Mme Isabelle Chmitelin
- Cette question devra être abordée
à l'occasion de l'évaluation scientifique des vaccins.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- J'ai lu que l'Union Européenne
a décidé par le biais d'un vote du Parlement européen de
demander la vaccination massive. Madame, en qualité de conseiller du
Ministre, si un vaccin fabriquant des anticorps différents était
susceptible d'être détecté, conseilleriez-vous au Ministre
de s'engager sur la voie de la vaccination ou souhaiteriez-vous maintenir la
situation actuelle ? La question se pose au niveau non seulement
européen mais également national.
Mme Isabelle Chmitelin
- La question se pose au niveau national,
communautaire et international. Ces trois stades doivent être
considérés. Nous ne pouvons pas changer de politique sans avoir,
au préalable, évalué les conséquences du
changement. Je peux vous répondre en vous indiquant que nous nous
engagerons à réévaluer l'ensemble du dispositif, y compris
en tenant compte de cette nouveauté scientifique qui nous permettrait
éventuellement de revoir notre politique et de réintroduire la
vaccination. Vous rappeliez fort justement que l'ensemble des espèces
sensibles n'avait pas été vacciné. En effet, les porcins
et les ovins n'étaient pas concernés. Dans le département
du Finistère, aucune vaccination n'était appliquée. Tous
ces éléments devront être réévalués.
La position de notre service, tout comme celle du Ministre, est ouverte. Nous
voudrions réaffirmer notre crainte au début de la crise, la
polémique sur la vaccination lorsque nous avons appliqué des
mesures sanitaires nous ayant mis dans une situation fort délicate.
J'avais déclaré que je ne souhaitais pas que cette
polémique induise une non-application ou une mauvaise application de la
politique sanitaire. Face à la situation à laquelle nous
étions confrontés en France, nous estimions que les mesures de
police sanitaire étaient pleinement justifiées et nous voulions
qu'elles soient appliquées. Nous avions le sentiment que le débat
sur la vaccination n'était pas opportun à ce moment précis
et qu'il était susceptible d'engendrer un certain nombre de
comportements qui auraient été contre-productifs en terme de
maîtrise de la maladie.
M. Dominique Braye
- Je suis tout à fait d'accord avec votre
analyse, et ce même si je suis souvent assailli par les
vétérinaires, qui sont soumis à la détresse
psychologique et matérielle des éleveurs sur le terrain, ce qui a
des conséquences très fortes sur leur situation personnelle.
C'est la raison pour laquelle je déclare que l'Etat, qu'il soit de
droite ou de gauche, ne rémunère pas cette profession à sa
juste valeur. Un contrat moral a été élaboré en
1991, le Ministre de l'époque avait signifié qu'il donnerait aux
vétérinaires des objectifs plus nobles. Aucun de ces engagements
n'a été tenu. Vous savez aussi bien que moi que la profession
vétérinaire est dans une situation, à mon sens
légitime, de non-reconnaissance.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Nous constatons que les souches de la
fièvre aphteuse sont différentes. Pensez-vous qu'une souche
évolue d'une année sur l'autre ? Plusieurs années
sont-elles nécessaires pour qu'une nouvelle souche apparaisse ?
Mme Isabelle Chmitelin
- Je pense que vous pourrez poser cette question
aux représentants de l'Agence française de sécurité
sanitaire des aliments, en particulier au Docteur Moutou qui est le
scientifique compétent dans ce domaine. A ma connaissance, plusieurs
souches de virus circulent au niveau mondial. Elles sont
répertoriées au sein du laboratoire britannique de Pirbright, car
les souches doivent être envoyées dans ce centre. Cela crée
un certain nombre de difficultés dans la mesure où ce laboratoire
est non seulement le laboratoire mondial de référence mais
également le laboratoire national du Royaume-Uni. Actuellement, ses
actions sont davantage tournées sur le Royaume-Uni que sur le reste du
monde. Il a du mal à répondre, notamment lorsque nous lui
demandons de nous fournir un certain nombre de réactifs pour
procéder à nos propres analyses. Je pense que cette question sera
abordée par d'autres intervenants au sein de votre Commission. Il s'agit
d'une difficulté que nous avons rencontrée et qui a
retardé l'obtention de résultats fiables, qui ont conduit
à la mise sous surveillance de zones qui se sont avérées
être négatives. Le laboratoire britannique recense
l'intégralité des souches qui circulent dans le monde et nous
remet un descriptif de l'ensemble de ces souches. Il faut signaler que ces
dernières ne sont pas assimilables au virus de la grippe, par exemple,
qui sévit sur l'ensemble du territoire mondial au cours d'une
année puis change de forme l'année suivante. Les virus de la
fièvre aphteuse, rencontrés en Afrique du Sud ou en Asie, sont
clairement établis.
M. Philippe Arnaud, président
- Au nom de mes collègues,
il me reste à vous remercier, Madame, de votre contribution. Nous avons
beaucoup apprécié la franchise de vos réponses concernant
le dispositif qui a été mis en oeuvre. Nous vous sommes
également reconnaissant d'avoir soulevé quelques points.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Pourrions-nous disposer de notes
émanant de vos services, qui seraient mises à disposition au sein
de notre secrétariat ?
Mme Isabelle Chmitelin
- Vous m'aviez demandé une liste des
personnalités ayant été en contact direct avec la
problématique de la fièvre aphteuse. Je m'étais
engagée à vous diffuser ce document. Vous trouverez sur cette
liste l'ensemble des membres du Comité national de lutte contre les
épizooties, ainsi que les personnalités au niveau communautaire.
M. Philippe Arnaud, président
- Mesdames, Messieurs, je vous
remercie de votre participation.
2. Audition de M. Frédéric Gueudar Delahaye, Directeur de l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL)
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous accueillons d'abord
MM. Gueudar Delahaye et Angot qui représentent l'OFIVAL. Je vais
maintenant laisser la parole à M. Gueudar Delahaye afin qu'il nous
expose son opinion sur l'épizootie de fièvre aphteuse qui frappe
la France. Quelles sont les incidences de cette maladie sur l'agriculture
française pour l'OFIVAL ? Comment les percevez-vous ?
Estimez-vous que nous avons pris les mesures appropriées pour lutter
contre cette épizootie ? Faut-il prendre des mesures
complémentaires, pour gérer la fin de la crise et empêcher
qu'elle ne sévisse à nouveau ?
M. Gueudar Delahaye
- Je suis accompagné de M. Angot,
Directeur-adjoint de l'OFIVAL, en charge de la Mission d'Assistance à
l'Exportation. Je vous rappelle que l'OFIVAL est chargée d'assurer le
suivi économique des filières des viandes. Depuis le début
de la crise de la fièvre aphteuse, c'est-à-dire depuis la fin du
mois de février 2001, nous avons observé, en partenariat avec les
organismes professionnels, l'impact de la crise sur le marché des
viandes et l'incidence des mesures prises par le gouvernement. Je
précise que nous avons mené cette analyse économique dans
le cadre d'une cellule de crise, qui avait été mise en place
à partir du mois de novembre 2000 afin de suivre la crise bovine
liée à l'ESB. Nous avons jugé utile de confier le suivi
des deux crises à une cellule unique, car les effets de la crise de la
fièvre aphteuse se sont cumulés avec ceux de la crise de l'ESB,
pour la filière bovine. En outre, pour les filières ovines et
porcines, la fièvre aphteuse est apparue dans un contexte
différent.
Je vous propose de dresser un bilan de la situation économique des
différentes filières et des impacts économiques de la
fièvre aphteuse sur le marché des viandes.
Les conséquences de la fièvre aphteuse sur les abattages :
Les abattages de bovins
Je vous rappelle que le premier cas de fièvre aphteuse est apparu, en
France, durant la 11ème semaine de l'année 2001,
c'est-à-dire entre le 12 et le 18 mars. L'apparition de
l'épizootie s'est immédiatement accompagnée d'une baisse
des abattages de bovins, alors que, durant les semaines
précédentes, l'abattage des bovins était en très
forte hausse, malgré la crise de l'ESB. Après le
18 mars 2001, nous avons constaté que les abattages de bovins
augmentaient de nouveau. Actuellement, le niveau d'abattage est
supérieur à celui du mois d'avril 2000.
La baisse des abattages de bovins enregistrée durant la 11ème
semaine de l'année 2001 résulte des difficultés
d'approvisionnement des abattoirs. Ces derniers ont dû mettre en place
des circuits spécifiques d'approvisionnement, car les rassemblements
d'animaux étaient interdits dès que le premier cas de
fièvre aphteuse a été découvert sur le territoire
national.
Les abattages de porcs et d'ovins
Force est de constater que l'apparition de l'épizootie a eu un effet
direct sur l'abattage des porcins et des ovins. En effet, l'abattage des porcs
a régressé de 14 % au mois de mars 2001 par rapport au
mois de mars 2000. En effet, les animaux sont restés plus longtemps
dans les élevages en attendant de pouvoir être abattus. Quant aux
ovins, le niveau d'abattage a baissé de 6 % par rapport au mois de
mars 2000.
Les conséquences de l'épizootie sur la consommation
Nous avons constaté une baisse de la consommation de viande de mouton
particulièrement importante, dès le mois de
février 2001, c'est-à-dire dès l'apparition de la
fièvre aphteuse en Europe. Cette évolution ne résulte pas
d'une désaffection des consommateurs pour la viande ovine, mais d'une
carence en viande de mouton sur le marché français. En effet, la
moitié de la viande ovine consommée en France provenant de
Grande-Bretagne, l'interdiction d'importation de viande ovine britannique a
induit une raréfaction de l'offre sur le marché français,
provoquant une hausse des prix et une chute de la consommation.
Les cours de la viande ovine ont considérablement augmenté entre
l'apparition de l'épizootie en Grande-Bretagne et le premier cas de
fièvre aphteuse en France. Ensuite, les cours ont
légèrement baissé, car les images des bûchers de
mouton, en Grande-Bretagne, ont dévalorisé l'image de cette
viande auprès des consommateurs français. Par ailleurs, les cours
des viandes des autres espèces n'ont pas été
influencés par la crise de la fièvre aphteuse, y compris pour la
viande de boeuf, dont la fluctuation du cours est imputable à la crise
de l'ESB.
Les conséquences de la fièvre aphteuse sur les échanges
Les exportations d'animaux vivants
Si l'apparition de l'épizootie n'a pas eu d'impact significatif sur la
consommation, hormis de viande de mouton, elle a eu des conséquences
non-négligeables sur les exportations d'animaux français vers les
marchés européens. Je vous rappelle qu'entre le 14 mars et
le 12 avril 2001, toutes exportations de boeufs et de moutons vivants ont
été suspendues par les autorités européennes. Je
vous signale d'ailleurs que l'Italie et l'Espagne n'ont toujours pas
réouverts leur marché aux importations de viandes
françaises. Les échanges entre ces deux pays et la France sont
suspendus jusqu'au 18 mai 2001. Le marché italien étant
le principal débouché pour nos exportations de viande bovine, nos
échanges sont encore fortement pénalisés par
l'épizootie. En outre, les échanges de porcs vivants entre la
France et les pays européens ont légèrement baissé.
Les exportations de viande
Les exportations de viandes françaises ont également
été suspendues entre le 23 mars et le
12 avril 2001. En mars 2000, les exportations de viandes bovine
s'élevaient à 24 500 tonnes. Ensuite, elles ont
été affectées par la crise de l'ESB. Bien que celle-ci ait
atténué les effets de la fièvre aphteuse sur les
exportations, nous estimons que la baisse des exportations de viande bovine
induite par l'épizootie est de 6 000 tonnes.
Par ailleurs, les entreprises de transformation ont été
obligées de modifier leurs approvisionnements, pour s'adapter aux
perturbations des échanges de viande entre les états membres de
l'Union européenne. Les entreprises de transformation de viande de porc
ont, par exemple, recentré leur politique d'approvisionnement sur la
production nationale. Ainsi, les effets négatifs de la crise de la
fièvre aphteuse sur les exportations de veaux et de porcs ont
été en partie compensées par l'accroissement de la demande
intérieure. La baisse du cours du veau, survenue durant les mois de
février et de mars 2001, a été enrayée
à la fin du mois de mars, avant de s'orienter à la hausse lorsque
les autorités françaises ont interdit les importations de veaux
néerlandais, à la suite de la découverte de cas de
fièvre aphteuse au Pays-Bas. En définitive, nous avons
constaté l'existence d'une renationalisation du marché
français de la viande plus ou moins marquée en fonction du niveau
de dépendance des filières à l'égard des
importations et des exportations.
Enfin, la fermeture des marchés des pays tiers, toujours en vigueur, a
des conséquences significatives sur les exportations de porcs, dont le
niveau était particulièrement élevé avant la crise
de la fièvre aphteuse.
J'ai achevé de dresser le panorama des conséquences
macroéconomiques de l'épizootie sur l'ensemble des
filières nationales. Je vais maintenant laisser la parole à
M. Angot, qui va revenir sur les conséquences de la crise de la
fièvre aphteuse sur les échanges.
M. Angot
- Les exportations de viande bovine
Force est de constater qu'il existe une grande interdépendance entre la
crise de l'ESB et celle de la fièvre aphteuse. Lorsque cette
dernière a éclaté, les Etats membres de l'Union
européenne et les pays tiers ayant déjà
décrété des embargos totaux ou partiels sur les
exportations de viande, nous rencontrons davantage de difficultés pour
évaluer l'impact direct de l'épizootie sur la consommation et sur
les exportations.
Après l'apparition du premier cas de fièvre aphteuse en France,
le 13 mars 2001, les exportations de viandes ont faiblement
baissé, car l'épizootie n'a touché que les
départements de l'Orne et de la Mayenne. Par ailleurs, les
échanges d'animaux vivants étant déjà
limités par la crise de l'ESB, l'impact de la fièvre aphteuse sur
ces derniers a été faible. Je vous signale, par exemple, que
l'Italie, la Grèce et l'Espagne avaient restreint leurs importations en
fonction de l'âge des animaux importés de France.
Le second cas de fièvre aphteuse, survenu le 23 mars, en Seine-et-Marne,
a été suivi de l'interdiction nationale d'exportation des viandes
françaises dans la Communauté européenne.
Après la fin des embargos relatifs à l'ESB, conformément
aux dispositions communautaires relatives à la fièvre aphteuse,
les exportations de viande bovine française ont repris, notamment vers
l'Italie et vers la Grèce. Néanmoins, de nouvelles mesures
communautaires imposant le retrait des colonnes vertébrales afin de
prévenir tout risque lié à l'ESB limitent la reprise des
échanges de viande bovine entre la France et l'Italie, la Grèce
et l'Espagne. J'insiste sur le fait que nos exportations de viandes
pâtissent d'une interdépendance étroite entre la crise de
l'ESB et celle de la fièvre aphteuse.
Enfin, les Italiens, les Espagnols et les Grecs ont annoncé que les
importations de bovins vivants français reprendraient à partir du
18 mai 2001. Je vous rappelle que les autorités européennes
avaient autorisé la reprise des échanges à partir du
12 avril 2001. Toutefois, cette date étant indicative, les
pays importateurs de viande bovine française peuvent choisir librement
la date de reprise des échanges d'animaux vivants avec la France.
L'impact de la fièvre aphteuse sur les exportations de viande bovine
vers les pays tiers est faible, car ces derniers étaient
déjà fermés à nos exportations dans le cadre des
mesures préventives liées à l'ESB. Je vous signale que le
principal pays importateur de viande bovine française est la Russie.
2. Les échanges de viande de porc
Les échanges de viande porcine ont été fortement
pénalisés par l'interdiction du 23 mars 2001 d'exporter
des viandes françaises. Cette mesure a eu un impact significatif sur nos
exportations de viande porcine vers l'Italie et l'Allemagne, qui sont nos deux
principaux états clients au sein de l'Union européenne,
ainsi que vers le Japon, la Corée et la Russie qui sont nos principaux
débouchés dans les pays tiers. La crise de la fièvre
aphteuse a, en effet, arrêté brutalement le développement
des échanges de viande porcine avec le Japon et la Corée
amorcés depuis déjà deux ou trois ans. Les exportations
vers le Japon et la Corée, par exemple, représentaient (en
cumulé) environ 2 milliards de francs. Celles-ci
portaient essentiellement sur la poitrine de porc (Corée) et le coeur de
longe (Japon).
Si la France respecte scrupuleusement les règles édictées
par l'Office International des Epizooties (OIE), le statut « indemne
de fièvre aphteuse », qui conditionne la reprise des
exportations de viande de porc, sera retrouvé, au plus tôt, trois
mois après le dernier cas de fièvre aphteuse sur le territoire.
Par conséquent, nous devrons attendre le 23 juin 2001 pour
envisager la reprise de nos exportations de viande porcine vers les
marchés russe, japonais et coréen. Néanmoins, la mission
coréenne que nous avons reçue au début de la semaine
envisageait d'attendre la réunion de la Commission Fièvre
Aphteuse de l'OIE, qui se tiendra au mois de septembre 2001, pour
autoriser la reprise des importations de viande porcine française. Si
les exportations reprennent à partir du 23 juin 2001, nous
évaluons le manque à gagner à 320 millions de francs.
Or la reprise des échanges interviendra vraisemblablement plus tard.
Par ailleurs, je vous signale que si nous avions vacciné les animaux,
nous aurions retrouvé le statut « indemne de fièvre
aphteuse » seulement deux ans après le dernier cas.
J'ajouterais enfin que l'interdiction d'exporter la viande porcine au sein de
l'Union européenne n'ayant duré que 15 jours, son incidence
commerciale a été faible.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie. Nous allons
maintenant vous posez quelques questions complémentaires.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Vous avez établi que les
conséquences économiques de la fièvre aphteuse se
conjuguaient à celles de l'ESB. Néanmoins, l'OFIVAL a-t-il
dressé une estimation précise des conséquences
économiques uniquement induites par la fièvre aphteuse ? Je
pense qu'il est possible d'évaluer les ventes qui auraient pu être
réalisées depuis le mois d'octobre ou de novembre 2000 en
l'absence d'ESB et de fièvre aphteuse et de les comparer aux ventes
réelles. Vous pourriez ainsi apprécier la chute des ventes
entraînée par l'apparition de l'ESB et par les restrictions
relatives à l'épizootie. Je pense qu'il est impératif
d'évaluer l'incidence économique de ces deux maladies sur le
monde l'élevage, afin de soutenir les éleveurs, qui se trouvent
actuellement dans une profonde détresse. En effet, les jeunes
agriculteurs qui se sont endettés ne disposent plus de trésorerie
suffisante pour assurer le fonctionnement de leur exploitation. La mission
d'information sur l'épizootie de fièvre aphteuse doit donc
connaître les conséquences économiques de cette
épizootie sur notre agriculture.
Par ailleurs, M. Angot, qui s'occupe plus particulièrement des
exportations, a indiqué que si nous avions vacciné nos animaux,
la France n'aurait pas eu le droit d'exporter ses animaux durant deux ans.
Je ne vais pas vous demander immédiatement votre opinion sur la
vaccination des animaux contre la fièvre aphteuse. Toutefois,
pourriez-vous vous me confirmiez que seuls les pays d'Amérique du Nord,
l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont interdit les importations
d'animaux vaccinés, notamment des bovins ? Par conséquent,
si nous disposions d'un vaccin traçable, pourrions-nous autoriser la
vaccination des animaux d'élevage contre la fièvre aphteuse ?
M. Frédéric Gueudar Delahaye
- Je vais
répondre à votre première question. Vous avez
effectivement rappelé que l'évaluation des conséquences
économiques de la fièvre aphteuse sur le monde de
l'élevage français n'est pas aisée à dresser, car
la crise de la fièvre aphteuse s'est superposée à celle de
l'ESB. Par conséquent, les conséquences de ces deux crises se
sont cumulées.
En outre, les filières porcine et ovine, qui n'étaient pas
affectées par la crise de l'ESB, ont enregistré une baisse de
14 % des abattages. Je précise néanmoins que cette baisse ne
réduit pas les revenus des éleveurs, car leurs animaux seront
abattus après la crise. En revanche, nous avons constaté que les
prix ont baissé de 2 francs par kilo sur le marché au Cadran
de Plévin, qui sert de référence au marché national
du porc. Les prix du porc y sont effectivement passés de 12,6 francs le
kilo, avant les mesures de prévention contre la fièvre aphteuse,
à 10,5 francs. Aujourd'hui, le prix du kilo de porc est stabilisé
autour de 10,5 francs. Je vous rappelle que le cours du porc était
tombé à 5 francs en 1999. Par conséquent, une baisse
de recette de 15 % est peu significative, car le cours du porc avait
fortement augmenté lorsque les échanges de viande bovine ont
été perturbés par la crise de l'ESB. Enfin, pour
répondre à votre première question, la crise de la
fièvre aphteuse a induit une baisse de 15 % des cours de la viande
de porc.
Pour les ovins, le contexte est différent. Malgré une
légère baisse du nombre d'abattages induite par les
problèmes de collecte d'animaux vivants, les cours de la viande ovine
ont fortement augmenté à cause de l'interdiction d'importer des
moutons britanniques. La Grande-Bretagne étant le principal concurrent
de la France sur le marché européen des ovins, l'arrêt des
exportations de moutons britanniques a induit une hausse des prix de cette
denrée, notamment à l'approche des fêtes pascales qui ont
provoqué une forte augmentation de la demande. Par conséquent,
l'impact macroéconomique de la crise de la fièvre aphteuse sur le
marché de la viande ovine est globalement positif. Je précise
néanmoins que cette analyse ne permet pas d'appréhender l'impact
de l'épizootie sur la situation individuelle de chaque éleveur,
en fonction de leur localisation géographique et des difficultés
particulières auxquelles ils sont confrontés. En effet, les
négociants ont plus ou moins hésité à collecter les
animaux en fonction de la distance qui sépare l'exploitation de
l'abattoir et en fonction de la taille de l'élevage. Ainsi, un
élevage disposant d'un important cheptel n'a pas été aussi
affecté qu'un petit élevage par les mesures de restriction de
rassemblement et de collecte des animaux.
Par ailleurs, l'analyse macroéconomique des conséquences de la
crise de la fièvre aphteuse est plus difficile à mener sur la
filière bovine. Nous avons enregistré une baisse de 7 % des
abattages par rapport à l'année précédente, durant
la première semaine qui a suivi le premier cas de fièvre aphteuse
sur le territoire national, de 10 % la deuxième semaine et de
7 % la troisième semaine. Or durant cette période, certaines
interventions utilisées dans la gestion du marché ayant
été suspendues, nous ne pouvons pas déterminer si ces
baisses résultent de la crise de la fièvre aphteuse ou de la
crise bovine. Nous constatons une baisse des abattages de bovins de 10 %
par semaine, par rapport à l'an 2000, durant les trois semaines qui ont
suivi l'apparition du premier cas de fièvre aphteuse en France, sans
pouvoir en déterminer les causes exactes. Je vous rappelle que durant
les deux semaines précédant l'apparition de l'épizootie,
le taux d'abattage des bovins avait progressé respectivement de
+ 7 % et de + 17 %. Après trois semaines
consécutives de baisse du niveau d'abattage, ce dernier a
enregistré une nouvelle croissance oscillant entre +5 % et
+ 10 % par semaine.
En outre, nous avons essayé d'évaluer les pertes
supportées, d'une part, par les éleveurs et, d'autre part, par
l'ensemble de la filière, notamment par les négociants et par les
entreprises d'abattage. Nous avons chiffré les pertes d'activité
des marchés directement liées à l'épizootie
à environ 560 000 francs par semaine, car ces derniers ont
été fermés. Nous avons également enregistré
une perte de chiffre d'affaires sur les exportations, car celles-ci ont
été interdites durant la crise. Pour évaluer les
répercussions de l'interdiction totale d'exporter des viandes bovines
françaises, nous avons préalablement déterminé un
chiffre d'affaires annuel moyen, qui s'élève à environ
4,9 milliards de francs. Par conséquent, l'arrêt
total des exportations correspond à 1/52ème du chiffre d'affaires
annuel moyen, auquel nous devons ajouter les frais fixes pesant sur les
négociants. Néanmoins, nous émettons quelques
réserves sur la valeur des chiffres que nous obtenons par cette
méthode de calcul, car nous comparons une situation de crise à
une période d'activité normale et nous ne pouvons donc pas isoler
la part de la perte liée à la fièvre aphteuse de celle
liée à la crise préexistante de l'ESB.
Enfin, les répercussions économiques de la fièvre aphteuse
sur les abatteurs sont plus difficiles à estimer, car certaines
entreprises d'abattage bénéficiaient d'un environnement plus
favorable que leurs concurrentes pour collecter des animaux, ou étaient
spécialisées sur des produits facilement collectables. Plus les
acteurs se trouvent en aval de la filière bovine, plus nous rencontrons
de difficultés pour estimer les pertes induites par la crise de la
fièvre aphteuse, car celles-ci sont diluées dans d'autres
paramètres.
J'ajouterais que nous ne pouvons pas chiffrer l'impact de cette
épizootie sur le ramassage, car il est très variable, en fonction
de la situation économique antérieure de l'entreprise, de sa
situation géographique et des modes d'organisation retenus.
En définitive, l'approche macroéconomique globale des
conséquences de la fièvre aphteuse sur la filière bovine
est imprécise, car la situation est très variable en fonction des
entreprises et des opérateurs.
M. Angot
- Votre deuxième question concernait la
vaccination. Je vous rappelle que la principale raison qui a poussé
l'Union européenne à l'interdire est la conquête de la zone
dite « propre », c'est-à-dire la possibilité
d'exporter de la viande vers les pays qui ne sont pas touchés par la
fièvre aphteuse et qui ne vaccinent pas leurs animaux, comme les pays
d'Amérique du Nord, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, le Japon et
la Corée.
En outre, grâce à l'arrêt de la vaccination, la
filière bovine française a gagné des parts de
marchés dans les domaines de la génétique animale et de la
viande bovine. Malheureusement, la crise de l'ESB a pénalisé les
exportations de viande bovine. Ainsi, les pays que nous avions conquis entre
1992 et 1996 ont été perdus à cause de l'ESB. En revanche,
nous avons poursuivi nos exportations de semences bovines et d'embryons bovins,
car l'ESB ne se transmet pas par ces produits. Nous évaluons les
exportations annuelles de semences et d'embryons à 120 millions de
francs. Bien que le chiffre d'affaires réalisé par ces
exportations ne soit pas très élevé, celles-ci ont
incité les éleveurs français à développer la
sélection des bovins. La France est ainsi l'un des pays les plus
avancés dans ce domaine. D'ailleurs, de nombreux taureaux
français figurent dans les premiers rangs du classement international
des taureaux. Ce résultat est le fruit de nombreuses années de
sélections qui ont été financées, en partie, par
les exportations de semences, d'embryons et de reproducteurs.
De plus, l'arrêt de la vaccination a permis de conquérir les
marchés japonais et coréen, qui rapportent 1 milliard de
francs par an à la France. Je ne parlerais pas du marché russe
que nous avons également conquis, mais qui ne se trouve pas dans la zone
indemne de fièvre aphteuse. En outre, je vous signale que les gains
générés par les exportations sont plus importants pour le
secteur porcin que pour le secteur bovin.
Par ailleurs, la France n'ayant recensé que deux cas de fièvre
aphteuse sur son territoire, nous ne pouvions pas envisager de mettre en place
une vaccination répressive, comme les autorités britanniques et
néerlandaises l'ont envisagé. La France ayant
maîtrisé la propagation de l'épizootie, nous ne souhaitons
pas vacciner nos cheptels. En outre, je vous rappelle que si nous recourions
à la vaccination répressive, la législation nous
obligerait également à abattre les animaux vaccinés pour
retrouver le statut de territoire indemne de fièvre aphteuse. Par
conséquent, la vaccination répressive ne résoudrait pas le
problème de l'abattage des animaux.
En revanche, le débat sur la vaccination préventive va se
rouvrir, notamment lorsque nous disposerons d'un vaccin marqué qui nous
permettra de faire la différence entre les anticorps
développés suite à la vaccination et les anticorps
développés par l'animal atteint de la fièvre aphteuse. La
semaine dernière, une commission de la fièvre aphteuse s'est
réunie à l'OIE pour aborder le problème de la vaccination
préventive. Il semblerait que lorsque nous disposerons d'un vaccin
marqué, dans trois ans, nous pourrons modifier les normes
internationales, car nous saurons différencier les anticorps
générés par le vaccin et ceux qui seront produits par les
animaux atteints de la maladie.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie pour les
précisions que vous venez de nous apporter. Je voudrais revenir sur
quelques points. L'Union européenne a interdit la vaccination des
animaux d'élevage afin de rivaliser avec les pays qui sont indemnes de
fièvre aphteuse. Disposons-nous des moyens nécessaires pour
certifier que les Etats d'Amérique du Nord, l'Australie et la
Nouvelle-Zélande sont réellement indemnes de fièvre
aphteuse ? Par ailleurs, les textes législatifs, les
règlements et les directives européennes imposent aux
autorités sanitaires d'abattre les animaux qui ont été
vaccinés. C'est pourquoi la vaccination ne résoudrait pas le
problème de l'abattage des animaux. Or cette disposition est-elle
pertinente ? Je vous rappelle que si elle n'était pas
fondée, nous aurions le devoir de la modifier. En d'autres termes,
comment justifiez-vous scientifiquement l'abattage des animaux
vaccinés ? Ces questions sont cruciales pour lutter contre
l'apparition d'une éventuelle épizootie.
M. Angot
- Je précise que ces questions s'adressent plus aux
services vétérinaires qu'à l'OFIVAL. Néanmoins,
pour répondre à votre première question, je pense qu'il
est facile de dissimuler des cas d'ESB, notamment en Amérique du Nord
où la maladie circule parmi les cervidés, mais qu'il est
difficile de cacher des cas de fièvre aphteuse, car cette
épizootie est très contagieuse. En outre, le réseau
d'informations et les missions mis en place par l'Office International des
Epizooties, ainsi que les missions diligentées par les services
sanitaires de l'Union européenne permettent de vérifier les
déclarations des pays qui se prétendent indemnes de fièvre
aphteuse. Il me semble donc difficile de cacher des cas de fièvre
aphteuse à la communauté internationale.
Quant à votre seconde question, je vous rappelle que l'abattage des
animaux vaccinés est une mesure de précaution, car nous ne sommes
pas en mesure de distinguer les anticorps d'origine vaccinale et les anticorps
liés à la maladie. Cependant, lorsque les évolutions
scientifiques permettront de produire des vaccins marqués, la
réglementation pourra évoluer afin de ne plus abattre les animaux
vaccinés. Au préalable, nous devons être sûr de la
qualité de ces vaccins et de leur efficacité à plus ou
moins long terme.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie. Avant de donner
la parole à M. Cornu, je souhaiterais apporter mon point de vue sur
la vaccination des bovins. Nous savons que la fièvre aphteuse ne
présente aucun risque pour la santé humaine. Par
conséquent, la vaccination des animaux contre cette épizootie
n'aurait aucun impact sur l'Homme. Par ailleurs, la vaccination permettrait de
ne pas recourir à l'abattage systématique des troupeaux porteurs
de la maladie, dont les images de charniers nuisent à la consommation de
viande. D'ailleurs, avez-vous mené des études sur l'impact de la
vaccination sur le comportement des consommateurs à l'égard de la
viande ?
M. Gueudar Delahaye
- Nous n'avons pas mené d'études
comparatives pour tester la réaction du consommateur à
l'égard des images de charniers et à vis-à-vis de la
consommation de viande malade. L'expérience acquise durant les
précédentes crises sanitaires montre que le consommateur est plus
sensible aux risques perçus en matière de sécurité
sanitaire qu'aux risques réels. Par conséquent,
l'hypothèse de commercialiser la viande d'animaux potentiellement
malades effrayera plus les consommateurs que les images de charniers,
même si nous certifions que la fièvre aphteuse ne présente
aucun risque pour l'Homme. Néanmoins, nous devons renforcer les
campagnes d'information sur la mise en place des politiques de
prévention de l'épizootie afin de rassurer les consommateurs.
M. Philippe Arnaud, président
- En brûlant la
sorcière, nous avons calmé les esprits !
M. Dominique Braye
- Force est de constater qu'avant de parvenir au
consommateur, la viande subit de nombreuses opérations de
transformations, et les animaux circulent beaucoup sur le territoire,
favorisant la dissémination du virus et l'extension de la maladie. Vous
avez d'ailleurs rappelé que le virus de la fièvre aphteuse
était particulièrement contagieux. Je pense que cet
élément est également déterminant pour lutter
contre la propagation de l'épizootie sur le territoire.
M. Gérard Cornu
- Vous avez dit que l'Amérique du Nord
était indemne de fièvre aphteuse, mais vous n'avez pas
parlé de l'Amérique du Sud, notamment de l'Argentine, qui est un
gros pays producteur et exportateur de viande. Bien que je me méfie des
rumeurs, car ces dernières sont facilement colportées, il
semblerait l'Argentine vaccinerait ses boeufs contre la fièvre aphteuse.
Si cette rumeur est avérée, pourquoi de nombreux pays, dont
l'Europe, continueraient-ils d'importer de la viande de ce pays ? Pourquoi
ne décrétons-nous pas d'embargo contre la viande argentine
vaccinée ? Enfin, cette rumeur est-elle fondée ?
M. Angot -
Effectivement, l'Argentine ayant été
touchée par l'épizootie de fièvre aphteuse, comme le sud
du Brésil, elle a recouru à la vaccination de son cheptel.
Toutefois, il me semble que la France a interdit les importations de viandes en
provenance d'Argentine. Cette information devrait être
vérifiée, mais je crois que le gouvernement a interdit les
importations de viande argentine.
M. Dominique Braye
- Il me semble que la France a effectivement interdit
les importations de viande bovine en provenance d'Argentine, mais pas des
produits transformés.
M. Angot
- En effet, l'Office International des Epizooties autorise les
exportations de produits ayant subi un traitement susceptible de
détruire le virus de la fièvre aphteuse, comme les traitements
par la chaleur.
M. Gérard Cornu
- J'ai effectué récemment un voyage
en Malaisie et à Singapour, pendant la crise affectant la viande
européenne. J'ai alors constaté que les autorités locales
recommandaient d'importer de la viande bovine argentine pour remplacer la
viande bovine européenne. Nous pourrions peut-être informer nos
partenaires commerciaux que les exportations des pays producteurs de viande qui
vaccinent leurs animaux ne sont pas pénalisées. Nous devrions
notamment informer le monde entier que la viande exportée par
l'Argentine est vaccinée contre la fièvre aphteuse.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous demanderais d'effectuer,
d'une part, une analyse des répercussions économiques de la
fièvre aphteuse sur les exportations françaises
intracommunautaires et, d'autre part, une analyse des répercussions
économiques de la fièvre aphteuse sur les exportations
françaises en-dehors de l'Union européenne.
M. Gueudar Delahaye
- Nous pouvons effectivement faire un bilan des
exportations, mais nous n'avons pas suffisamment de recul pour que ce bilan
porte sur la période concernée par la crise de la fièvre
aphteuse. En revanche, nous dresserons un panorama des exportations en
période normale.
M. Philippe Arnaud, président -
Il serait, par exemple,
injustifié que certains pays réduisent leurs importations de
viandes européennes pour importer de la viande vaccinée en
provenance d'Argentine.
M. Gueudar Delahaye
- Je vous rappelle néanmoins que l'engouement
des pays tiers pour la viande argentine succède à la crise de
l'ESB en Europe. En effet, ces pays préfèrent importer de la
viande de cheptels vaccinés plutôt que de la viande de cheptels
susceptibles d'être contaminés par l'ESB, car ils
considèrent que le problème de l'ESB est plus grave que celui de
la fièvre aphteuse pour la santé humaine.
M. Dominique Braye
- Je souhaite vous rappeler qu'il existe trois
catégories de pays :
- les pays atteints par l'épizootie de fièvre aphteuse ;
- les pays indemnes qui vaccinent leurs animaux ;
- les pays indemnes qui ne vaccinent pas leurs animaux.
Nous pouvons ainsi répertorier tous les pays du monde dans ces trois
catégories.
En outre, Monsieur le Président, pourrions-nous demander à
l'OFIVAL de dresser un tableau récapitulatif des échanges
commerciaux de viandes, en volumes et en chiffres d'affaires. Certes
nous sommes confrontés à un problème sanitaire, mais
nous rencontrons également un problème économique. Cet
outil permettrait d'informer tous les membres de la Commission sur les
conséquences engendrées par les décisions prises par les
pouvoirs publics, comme la mise en place d'une éventuelle vaccination
dans notre pays qui empêcherait alors toute exportation vers les pays
indemnes ne procédant pas à la vaccination.
Enfin, je vous signale que l'Union européenne a autorisé le
gouvernement britannique à vacciner ses animaux contre la fièvre
aphteuse pour éradiquer l'épizootie de son territoire, mais que
ce dernier n'y a pas encore eu recours. Je pense que cette situation devrait
tous nous faire réfléchir.
M. Philippe Arnaud, président
- Il serait effectivement
souhaitable d'affiner le tableau récapitulatif dressé par
l'OFIVAL afin de faire apparaître le volume et la valeur des exportations
françaises de viandes en fonction des pays importateurs. Vous pourriez
également dresser un bilan des importations françaises de viandes.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Que pensez-vous de l'afflux massif
d'ovins en provenance de Grande-Bretagne avant les fêtes
musulmanes ? Quels contrôles avez-vous mis en place pour
vérifier l'état sanitaire d'animaux importés par des
négociants plus ou moins agréés ?
M. Gueudar Delahaye
- Bien que je ne sois pas directement
compétent pour contrôler les importations d'animaux, force est de
constater que les importations d'animaux anglais sont une
réalité. La France importe, en effet, 58 % de sa
consommation de viande ovine. Par ailleurs, nous avons enregistré un
accroissement des importations de viande ovine et de moutons vivants durant les
fêtes pascales et durant l'Aïd el Kebir.
En outre, les circuits de commercialisations étant complexes, l'origine
de ces animaux peut parfois échapper aux contrôles. Depuis la
crise de la viande bovine, survenue en 1996, nous avons déployé
des efforts considérables en matière de
traçabilité. La crise de la fièvre aphteuse a
incité la filière ovine à prendre conscience qu'elle
devait mettre en place les mêmes méthodes de
traçabilité que la filière bovine.
M. Dominique Braye
- Je vous rappelle que les boeufs britanniques ont
quelquefois été importés dans
l'Union européenne, par l'intermédiaire de la Belgique
où leur origine était modifiée. Ainsi de la viande bovine
britannique était « naturalisée » en viande
bovine belge. Dans le cadre de mes fonctions de vétérinaire, j'ai
pu constater un cas de fraude sur des animaux d'origine britannique qui avaient
été « continentalisés ». J'ai alors
signalé ce cas aux autorités compétentes.
M. Philippe Arnaud, président
- Pourrions-nous avoir une liste
des pays qui ont fait l'objet d'une interdiction d'exporter leurs animaux,
suite à des problèmes sanitaires survenus durant les cinq
dernières années ? Nous pourrions ainsi savoir s'il existe
des distorsions entre les règlements et leur application.
M. Gueudar Delahaye
- Vous souhaiteriez obtenir une liste des pays qui
ont été interdits d'exporter leurs animaux sur le marché
communautaire ?
M. Philippe Arnaud, président
- Nous souhaiterions effectivement
disposer de cette liste.
M. Gueudar Delahaye
- Nous nous rapprocherons de la DGAl pour vous
fournir ces informations, car cet organisme est chargé de suivre les
échanges commerciaux d'animaux.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous souhaiterions obtenir un
tableau récapitulatif des flux commerciaux d'animaux entre la France et
les autres pays du monde, ainsi qu'une analyse économique des mesures
d'interdiction d'exporter les animaux sur les pays concernés.
3. Audition de François Dufour, responsable de la commission sanitaire de la Confédération paysanne
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous accueillons maintenant
M. Dufour, qui est responsable de la Commission sanitaire de la
Confédération paysanne. Vous disposez d'une heure pour nous
exposer la position de cet organisme à l'égard des
problèmes économiques engendrés par la fièvre
aphteuse pour les éleveurs français. En outre, quelles sont vos
propositions pour surmonter ces problèmes ? Ensuite, les membres de
la Mission d'information sur la fièvre aphteuse vous poseront quelques
questions.
M. François Dufour
- Je vous remercie, Monsieur le
Président, de permettre à un représentant de la
Confédération paysanne de s'exprimer dans cette instance. En
outre, je souhaiterais vous rappeler quelques principes fondamentaux que nous
avons relevés lors de nos rencontres avec les représentants du
Ministre de l'Agriculture, dans le cadre de la gestion de cette
épizootie.
J'insiste sur le fait que la fièvre aphteuse n'a pas d'incidence sur la
santé humaine. Par ailleurs, le virus agit différemment selon les
espèces animales qu'il affecte. Ce dernier est très contagieux
pour les moutons, mais il l'est moins pour les bovins. En outre, le
délai d'incubation du virus étant de cinq jours, la maladie
se répand très rapidement. Par conséquent, les services
sanitaires doivent être vigilants afin de réagir dès que le
premier cas d'épizootie apparaît sur le territoire.
1. Les causes de la propagation de l'épizootie de fièvre aphteuse
en Grande-Bretagne
Des services sanitaires inexistants
La gestion libérale de la crise de la fièvre aphteuse par la
Grande-Bretagne a été catastrophique. Les informations que nous
avons pu obtenir sur le fonctionnement des services sanitaires britanniques
dès le début de la crise nous ont conduit à adopter une
position très critique à l'égard de la politique
menée par ce pays pour lutter contre l'épizootie. En effet, les
services sanitaires britanniques ne comptent que
220 vétérinaires sanitaires. Or ces derniers ont dû
traiter une centaine de foyers dès les premiers jours de la maladie.
Aujourd'hui, l'épizootie touche environ 1450 foyers.
L'épidémie risque de se poursuivre durant tout
l'été dans ce pays à cause de la faillite du service
public. Cet exemple démontre que la France ne doit pas démanteler
le service public sanitaire comme la Grande-Bretagne.
L'extension des transports d'animaux sur le territoire
La fermeture des abattoirs de proximité et les concentrations
intervenues dans le secteur des entreprises d'abattage oblige les
négociants à transporter les animaux sur des distances de plus en
plus longues. Or la fièvre aphteuse est une maladie du transport, car la
contagion provient de la circulation d'animaux malades sur le territoire. Je
pense que la virulence de l'épizootie en Grande-Bretagne est
également liée à la concentration des entreprises
d'abattage. Je vous signale, en effet, que ce pays compte moins
d'abattoirs que la Suisse.
Le refus d'appliquer la vaccination répressive
Nous nous étonnons que les organisations syndicales britanniques
refusent d'appliquer la vaccination périfocale pour des motifs
commerciaux alors que l'épizootie continue de sévir. Bien que le
gouvernement britannique affirme que la progression de la maladie ait ralenti,
nous considérons que l'apparition d'un nouveau cas de fièvre
aphteuse par jour serait encore un cas de trop.
De plus, il semblerait que le gouvernement anglais ait
révélé l'existence de la maladie plusieurs jours
après le début de l'épidémie sur le sol
britannique. Cette information nous a été confirmée par
des éleveurs anglais, par des journalistes de la BBC et par la DGAL.
L'absence de services sanitaires efficaces, en Grande-Bretagne, ne permet pas
de venir en aide aux éleveurs. Tant que les éleveurs
travailleront sur du vivant, la Confédération paysanne
considère qu'ils devront être soutenus par des services sanitaires
performants.
Les mesures de prévention appliquées en France
Les contrôles à la frontière
Je me suis rendu, avec d'autres membres de la Confédération
paysanne, dans les points de contrôle des personnes ayant
séjourné en Grande-Bretagne. Je vous rappelle que, durant
l'été, des milliers de touristes britanniques viennent passer les
vacances sur le territoire français. Résidant dans le
département de la Manche, je me suis rendu à Cherbourg, où
j'ai constaté que les moyens de prévention sont insuffisants.
Certes, les autorités ont installé des pédiluves dans les
ports pour nettoyer les pneus des voitures et les chaussures des piétons
qui descendent des ferries, mais personne ne désinfecte, par exemple,
les chaussures qui se trouvent dans les sacs de voyage. Après avoir
constaté cette défaillance le 20 avril 2001, je l'ai
signalé à trois reprises au
Ministère de l'Agriculture, c'est-à-dire à
l'occasion des deux réunions sur la fièvre aphteuse auxquelles
j'ai participé, ainsi qu'à la DGAL.
En outre, la Confédération paysanne redoute la propagation de
l'épizootie dans les campagnes françaises avec le début de
la saison touristique. Etant propriétaire d'un petit camping à la
ferme, j'ai installé un pédiluve à l'entrée de mon
exploitation pour nettoyer les pneus du camion laitier qui vient deux fois par
jour, ainsi que les pneus des voitures de touristes. J'ai également
invité mes voisins qui reçoivent des touristes britanniques dans
leurs gîtes de prendre des mesures de précaution similaires. Les
agriculteurs doivent rester vigilants dans leurs exploitations afin de pallier
les défaillances des mesures de prévention mises en place par
l'Etat. Je souhaiterais, par exemple, que les agents des douanes ouvrent les
sacs pour passer les chaussures qui s'y trouvent dans le pédiluve. Nous
demandons également que la SNCF prenne des mesures de prévention
dans l'Eurostar.
En outre, l'Angleterre, l'Irlande et même la Belgique devraient mettre en
place des politiques de veille sanitaire aussi efficaces que la France. La DGAL
reconnaît qu'il existe toujours un risque de propagation de
l'épizootie de fièvre aphteuse en France. En outre, elle rappelle
que son objectif consiste à atteindre le risque zéro. La
Confédération paysanne partage entièrement son avis et
elle insiste auprès des instances gouvernementales pour qu'elles
renforcent leur vigilance.
La suspension des concours de pigeons voyageurs
J'ajouterais que les représentants de la Confédération
paysanne sont intervenus lors des deux réunions ministérielles
sur la fièvre aphteuse pour exiger l'arrêt des concours de pigeons
voyageurs. Des colombophiles nous ont effectivement informés au mois de
mars 2001 que ces concours reprendraient au milieu du mois d'avril. Ils
nous ont expliqué que tous les week-ends des organisateurs envoyaient
des pigeons de France en Grande-Bretagne pour préparer les concours.
J'insiste sur ce point, car ces animaux pourraient véhiculer la maladie
au-dessus de la Manche. J'ajouterais également que nous pourrions
étendre les mesures de prévention aux animaux de compagnie que
les touristes britanniques transportent dans leur véhicule. En France,
la gendarmerie avait des consignes très strictes concernant le transport
des animaux de compagnie dans les périmètres de
sécurité. Je connais des personnes qui ont été
réprimandées pour n'avoir pas observé ces strictes
décisions. Je pense que la Grande-Bretagne devrait appliquer des mesures
identiques.
Les conditions de mise en place de la vaccination périfocale
En outre, nous partageons les objectifs des autorités françaises
qui veulent revenir rapidement au statut de territoire indemne pour ne plus
pénaliser les exportations. Bien que les problèmes sanitaires
soient utilisés dans la guerre commerciale qui oppose
l'Union européenne aux pays d'Amérique du Nord, la
Confédération paysanne a accepté la vaccination
périfocale des animaux, si l'épizootie se propageait sur le
territoire.
En revanche, les producteurs de lait et les éleveurs de bovins
déplorent que les autorités sanitaires ne cherchent pas à
renforcer immunité naturelle des animaux. Lorsque j'ai
étudié cette question, en tant que responsable de la Commission
sanitaire de la Confédération paysanne, en collaboration avec des
nutritionnistes et avec des vétérinaires, j'ai constaté
que les soins préventifs alimentaires, comme le chlorure de
magnésium, permettaient aux animaux de mieux résister à
l'épidémie. La prévention de la fièvre aphteuse est
d'autant plus importante que la taille des troupeaux s'est
considérablement accrue durant les cinquante dernières
années, passant d'une dizaine de têtes à plusieurs
centaines, voire à plusieurs milliers d'animaux.
Par conséquent, nous ne devons pas nous résigner à abattre
et à brûler nos animaux pour lutter contre les
épidémies de fièvre aphteuse. Bien que les animaux
constituent une source de revenus pour les paysans, nous entretenons avec eux
des liens affectueux. Nous ne nous contenterons pas de voir décimer des
troupeaux que nous avons soignés durant 20 ou 30 ans.
Nous espérons trouver d'autres moyens de lutte contre cette
épizootie.
De plus, les mesures de prévention de la maladie nécessitent de
maintenir des services sanitaires de qualité, en France. J'ajouterais
que la gestion de l'épidémie dépend du civisme de tous les
citoyens.
L'abattage systématique des animaux
Les membres de la Confédération paysanne s'interrogent sur
l'abattage systématique des troupeaux qui vivent autour des
périmètres de sécurité. Dans le cas de l'ESB, par
exemple, nous pensons que l'abattage systématique n'est plus
justifié. C'est pourquoi nous demandons aux autorités de
procéder à l'abattage sélectif des animaux malades. Dans
le cadre de la fièvre aphteuse, l'abattage systématique des
troupeaux sains qui se trouvent autour du périmètre de
sécurité ne viserait-il pas à réduire les
excédents de viande rouge ? Or nous pourrions peut-être
envisager de gérer ce problème différemment, car
l'abattage des troupeaux sains nourrit la désaffection des consommateurs
à l'égard de la viande. Ces derniers pensent que nous tuons les
troupeaux, car ces derniers sont tous atteints de la maladie et que les animaux
sont porteurs d'un virus dangereux pour l'Homme. En définitive, ces
mesures préventives profitent à l'élevage hors sol, alors
que nous cherchons à préserver un élevage respectueux de
l'environnement où les animaux sont élevés en
pâture. Nous avons donc informé le Ministère de
l'Agriculture et les instances qui nous ont auditionné que nous
étions hostiles à l'abattage systématique des troupeaux
sains vivant autour du périmètre de sécurité.
La restriction de la circulation des animaux
En outre, la circulation des animaux vivants engendrée par l'ouverture
des marchés constitue un facteur de propagation des
épidémies sur la planète, comme la brucellose, la
tuberculose. Pourquoi faire voyager des animaux à travers le monde alors
qu'il faut réduire les coûts de production ? Je ne comprends
pas que les négociants achètent les animaux à 30 % ou
40 % en dessous de leur prix de revient aux éleveurs, alors que les
animaux effectuent parfois des centaines ou des milliers de kilomètres
pour se faire abattre, avant de repartir vers une autre destination où
ils seront commercialisés. Je pense que ces opérations ne sont
pas fondées économiquement.
De plus, nous insistons sur la nécessité d'harmoniser les
politiques sanitaires nationales au sein de l'Union européenne. Lorsque
nous organisons des visites de fermes dans les pays de la Communauté,
nous constatons qu'il existe des différences de traitement entre les
agriculteurs et que les législations ne sont pas systématiquement
appliquées. Par exemple, en Grande-Bretagne n'a pas mis en place de
mesures de traçabilité du cheptel ovin et que les contrôles
PAC étaient inefficaces, car les services sanitaires et de
contrôle ont disparu. Lorsque l'épidémie de fièvre
aphteuse sera terminée, le commerce ovin reprendra entre la
Grande-Bretagne et le continent européen, car ce pays commercialise les
moutons provenant d'Australie et de Nouvelle-Zélande. De plus, la France
ayant perdu environ 60 % de sa production ovine durant les quinze
dernières années, nous importerons de nouveau des moutons dont
nous ignorerons l'origine réelle. Si l'Europe n'organise pas les
échanges communautaires, nous devrons envisager de fermer nos
frontières afin de préserver le consommateur. Néanmoins,
avant de mettre en place des mesures aussi radicales, je pense que nous devons
organiser les échanges européens de manière transparente.
Enfin, nous constatons que les négociants anglais ne s'émeuvent
pas de la disparition du cheptel ovin national, car ils poursuivent leur
commerce avec les moutons d'origine australienne et
néo-zélandaise.
Les propositions de la Confédération paysanne pour sortir de la
crise de la fièvre aphteuse
Nous avons fait des propositions pour sortir de la crise.
La France doit renforcer davantage ses services sanitaires et le dispositif de
traçabilité des animaux, afin de ne pas prendre exemple sur la
Grande-Bretagne.
Nous refusons l'abattage total et préventif des troupeaux, qui est
insupportable tant sur le plan éthique que sur le plan
économique, social et psychologique.
Bien que dans la situation actuelle, la vaccination curative ne se justifie
pas, nous pourrions y recourir si l'épizootie se propageait sur le
territoire.
L'Etat doit promouvoir les soins alimentaires, car nous ne pouvons plus
gérer ce type de crise uniquement en abattant les animaux. Enfin, les
pouvoirs publics doivent impliquer les paysans dans la gestion des crises.
Nous avons rédigé deux communiqués de presse sur la
gestion de cette crise. Le premier rappelle que la vaccination avait
été interdite dans l'Union européenne, en 1991, pour des
motifs sanitaires, budgétaires et commerciaux. Nous y réclamons
une harmonisation des pratiques entre les pays de l'Union, car la France ne
devrait pas être la seule à réintroduire la vaccination. Le
refus des autres pays de la Communauté européenne de vacciner
leurs animaux pour des raisons commerciales, serait alors perçu par les
paysans français comme une distorsion de concurrence. Bien que les
animaux vaccinés développent des anticorps dans les mois qui
suivent la vaccination, nous refuserions qu'ils soient abattus. La
législation devrait prendre en compte que des animaux vaccinés ne
peuvent plus être indemnes d'anticorps contre la fièvre aphteuse.
En outre, nous souhaiterions que la France mène des études sur la
toxicité des fumées rejetées dans l'atmosphère par
les charniers britanniques. Les autorités européennes devraient
veiller à uniformiser les pratiques d'incinération des animaux
sur le territoire communautaire.
L'indemnisation des éleveurs
Je souhaiterais maintenant intervenir sur les indemnisations des
éleveurs fixées par les arrêtés du 30 mars et
du 11 avril 2001. Dès le début de la crise de la
fièvre aphteuse, la Confédération paysanne avait
demandé aux autorités que les indemnisations des éleveurs
tiennent compte de l'ensemble des pertes, c'est-à-dire de la valeur du
cheptel abattu et des pertes d'exploitation. En outre, nous avions
demandé à aboutir, dans les meilleurs délais, à un
traitement équitable des éleveurs, quelle que soit la maladie
réputée contagieuse. En effet, nous constatons des écarts
d'indemnisation intolérables entre l'ESB, la brucellose ou la
salmonelose.
L'arrêté du 30 mars 2001 précise les conditions
d'indemnisation des éleveurs en cas d'abattage total de leur troupeau
sur l'ordre de l'Administration. Cet arrêté stipule que
l'éleveur peut choisir deux experts sur une liste départementale
établie par le préfet, pour établir le montant de son
indemnisation. L'arrêté du 30 mars 2001 prévoit
également une procédure de contre-expertise et de recours
auprès de la DGAl en cas de dépassement des maxima fixés
en annexe pour le cheptel bovin. Nous constatons que cet arrêté
offre un cadre national pour l'indemnisation des agriculteurs, quelles que
soient les espèces animales concernées. En effet, ce dernier fixe
le montant maximal des indemnisations versées aux éleveurs, non
seulement pour les bovins, afin de pallier les dérives relatives
à l'indemnisation de l'ESB, mais aussi sur les autres espèces
animales. Nous avions effectivement demandé au gouvernement d'harmoniser
le montant des indemnisations accordées aux éleveurs, car nous
assistions, depuis quelques mois, à une discrimination de traitement
entre les exploitants, en fonction des qualités de reproduction des
bovins. De plus, certains éleveurs considéraient que
l'indemnisation de l'ESB permettrait de compenser le marasme actuel induit par
la crise bovine.
Néanmoins, cet arrêté induit des effets négatifs,
car l'indemnisation est établie en fonction de la valeur de remplacement
des animaux abattus en cas d'abattage total du troupeau. Bien que
l'arrêté du 11 avril 2001 concernant l'abattage partiel
du troupeau, résolve en partie les imperfections du
précédent arrêté, ce dernier ne prend pas
suffisamment en compte toutes les conséquences de l'abattage d'un
troupeau sur un élevage. L'indemnisation doit, par exemple, prendre en
compte les pertes relatives à l'arrêt de la vente de lait pendant
les deux ou trois mois nécessaires à la réhabilitation du
troupeau, ainsi que les frais d'élevage, comme les frais sanitaires.
L'éleveur qui reconstitue un troupeau doit, d'une part, acheter des
bêtes dans différentes exploitations et, d'autre part, investir
dans un contrôle sanitaire très pointu des animaux qu'il a
achetés. Or l'éleveur est souvent contraint de renvoyer certaines
bêtes qui ne présentent pas de garanties sanitaires suffisantes
pour la réhabilitation de l'élevage.
En outre, nous devons harmoniser les méthodes d'indemnisation des
éleveurs en fonction des départements, car certains, par exemple,
remboursent trois mois de perte de production de lait, alors que d'autre ne
remboursent que deux mois. De plus, la valeur de remplacement des animaux est
trop basse et ne respecte pas le travail de l'agriculteur qui a passé
quinze ans de sa vie à constituer un troupeau. Enfin, l'Etat doit
laisser une marge de négociation aux agriculteurs pour fixer la
durée du report fiscal relatif à l'indemnisation, car certains
éleveurs doivent poursuivre leur activité au-delà de leur
départ en retraite pour supporter la charge supplémentaire qui
pèse sur leurs revenus.
Par ailleurs, nous constatons que les experts sont choisis par
l'éleveur, mais qu'ils agissent pour le compte de l'Etat. Or nous
pensons que les experts doivent aussi agir pour le compte de l'agriculteur et
pas seulement pour l'Administration afin de faire évoluer les
méthodes d'indemnisation en fonction des besoins des éleveurs.
Enfin, nous espérons que l'Etat indemnisera l'ensemble des pertes
relatives à l'embargo sur les produits alimentaires. La
Confédération paysanne estime que ce dernier a été
maintenu trop longtemps, car la fermeture des commerces de produits
alimentaires dans les départements concernés engendre une
suspicion des consommateurs à l'égard de ces produits. Ces
derniers s'interrogent, en effet, sur les raisons qui ont conduit les
autorités à maintenir si longtemps un embargo sur des produits
alimentaires alors qu'ils étaient prétendus sains. Les
autorités ne se rendent pas toujours compte de l'impact sur les
consommateurs des mesures draconiennes de prévention. De même, il
est désormais inutile de d'abattre un troupeau dont un animal est
atteint de l'ESB, car la nourriture à base de farines animales est
interdite, des tests sont effectués sur les animaux de plus de
30 mois et les parties à risques sont retirées du commerce
depuis plusieurs mois. Si malgré ces mesures préventives, nous
continuons à abattre de jeunes animaux, le consommateur doute de la
qualité de la viande.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie de cet
exposé. Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous réagir ?
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Comment pouvons-nous identifier les
ovins qui circulent dans l'Union européenne afin de prévenir une
nouvelle épizootie ? Par ailleurs, la fièvre aphteuse
peut-elle être perçue comme un élément de
concurrence dans le cadre de l'internationalisation des marchés ?
M. François Dufour
- Pour répondre à votre
première question, je vous informe que nous avons indiqué
à la DGAL que nous souhaitions mettre en place une identification totale
des animaux. En outre, j'ai constaté, que dans le secteur
équin, par exemple, la traçabilité des chevaux permettait
aux autorités françaises de renvoyer des maquignons belges qui
présentaient, sur une foire, des animaux non-identifiés et en
mauvais état de santé. Or j'ai toujours vu mon père
déclarer aux Haras nationaux les chevaux qui naissaient dans son
exploitation. Je pense que les mesures d'identification devraient être
étendues à tous les pays de l'Union européenne.
En outre, nous devons appliquer aux troupeaux ovins, dans tous les Etats de la
Communauté européenne, des mesures d'identification similaires
à celles que la France a instaurées pour les chevaux, sans charge
de travail supplémentaire. Je suis, en effet, interloqué lorsque
j'entends des négociants en bestiaux prétendre que
l'identification des animaux nécessiterait une charge de travail
supplémentaire. Il est facile d'identifier et de tracer les animaux dans
leurs élevages.
Par ailleurs, nous proposons d'interdire tout transport d'animaux provenant de
Grande-Bretagne qui ne serait pas bagué, afin de nous prémunir
contre l'irresponsabilité de ce pays. Force est de constater qu'un
arrêté du mois de décembre 1999, sur l'ESB, stipulant
que les veaux de huit jours importés de Grande-Bretagne devaient
être abattus dans un délai de six mois, n'est pas appliqué
correctement. Bien que tous ces animaux auraient du figurer sur les bordereaux
des abattoirs et des équarrissages dans les six mois qui suivirent leur
importation, certains animaux n'ont été abattus qu'à
l'âge de 5 ans. En effet, le 3 et le 4 juillet 2001, le Tribunal de
Coutances organisera un procès sur le trafic des veaux de huit jours,
car 7 000 animaux provenant de Grande-Bretagne ont été
naturalisés français, espagnol ou italien pour contourner
l'obligation de les abattre. Certains ont seulement été
tués en 1995, à l'âge de cinq ans. D'autres sont
peut-être encore vivants. Lorsque nous avions contrôlés les
camions qui transportaient des veaux de huit jours, en 1996, nous avions
constaté qu'environ 30 % d'animaux provenaient de Grande-Bretagne
et n'étaient pas bagués. Je préconise donc de renforcer la
législation européenne pour prévenir ces trafics. Si les
maquignons acceptent d'acheter des animaux non identifiés, ils doivent
être sanctionnés. Si l'Angleterre refuse d'identifier ses animaux,
elle ne doit plus pouvoir les exporter sur le continent.
Pourriez-vous préciser le contenu de votre seconde question ?
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- La fièvre aphteuse est-elle
utilisée comme une arme par les pays producteurs pour remporter des
parts de marchés au détriment de leurs concurrents ?
M. François Dufour
- L'épizootie de fièvre aphteuse
est effectivement utilisée comme une arme économique par les pays
producteurs pour conquérir des parts de marché. Par exemple, une
journaliste de la BBC nous a confié que les autorités
britanniques avaient étrangement réquisitionné le bois,
dans les zones ravagées par la tempête, pour dresser des
bûchers, 15 jours avant qu'elles ne déclarent officiellement
la présence de l'épizootie sur leur territoire. L'Union
européenne doit trouver des moyens de rétorsion pour punir les
pays qui dissimulent l'apparition d'une épidémie sur leur
territoire afin de poursuivre leur commerce.
En outre, les partisans du productivisme effréné se livrent une
guerre sans précédent dans l'histoire de l'agriculture, qui est
apparue durant l'épidémie de peste porcine survenue en 1995-1997
aux Pays-Bas. Les pays producteurs de viande compensent les baisses de prix par
une hausse de 5 à 10 % des volumes échangés
sur le marché. Non seulement cette situation nuit à la
qualité de l'élevage, mais elle incite les agriculteurs à
parier sur les épidémies qui pourraient survenir dans les pays
voisins pour conquérir leurs parts de marchés. Lors de
l'épidémie de peste porcine survenue aux Pays-Bas en 1995-1997,
par exemple, les éleveurs bretons espéraient
récupérer les parts de marché perdues par ce pays dans le
secteur porcin, alors que l'environnement, en Bretagne est déjà
menacé par l'excès de matière fécale.
Nous assistons actuellement à des guerres qui conduisent à
déplacer un même système de développement d'un
territoire à un autre, au gré des épidémies. Ce
modèle nous paraît inquiétant, car il attise les
rivalités entre les pays de l'Union européenne alors que ces
derniers devraient harmoniser leurs pratiques agricoles.
M. Dominique Braye
- Après avoir écouté
attentivement l'exposé de M. Dufour, je ne partage pas toujours son
analyse de la gestion de la crise. Par ailleurs, j'ai relevé quelques
contradictions dans ses propos que je souhaiterais éclairer.
Je partage l'analyse de M. Dufour sur les déficiences de
l'immunosurveillance en Grande-Bretagne, faute de services sanitaires
suffisants, alors que la France bénéficie d'un système
d'immunosurveillance animé par l'ensemble des vétérinaires
sanitaires installés sur le territoire national. Je pense que nous
devons prendre toutes les dispositions nécessaires pour conserver ce
système de très grande qualité et qui a depuis longtemps
prouvé son efficacité. En outre, même si la France doit
figurer parmi les pays les plus avancés en matière
d'immunosurveillance, elle ne doit pas succomber à l'excès de
zèle.
Parce que je suis un ardent défenseur de l'agriculture française,
je ne partage pas votre proposition de fermer nos frontières aux
importations, car cette mesure nuirait plus à l'agriculture
française qu'elle ne la protégerait. Par ailleurs, je
désapprouve votre condamnation de l'abattage systématique des
animaux atteints de fièvre aphteuse. Je vous rappelle que les plans
d'abattage, qui ont été établis en-dehors des
périodes d'épidémie, sont enseignés dans les
écoles vétérinaires pour prévenir la propagation
des épizooties. De plus, j'estime que, jusqu'à présent, le
gouvernement a très bien géré la crise engendrée
par l'épizootie de la fièvre aphteuse. Nous devons expliquer les
plans d'abattage des animaux aux citoyens au lieu de faire appel à leur
émotivité pour contester des mesures scientifiquement
justifiées. Je comprends que les citoyens soient choqués par les
scènes d'abattages qui sont diffusées à la
télévision, mais notre devoir est de leur en expliquer
l'utilité.
Par ailleurs, le renforcement de l'immunité naturelle des animaux par le
chlorure de magnésium ne les préservera pas de la maladie. Je
pense que nous devons effectivement pallier l'immunodéficience des
animaux. Néanmoins, les recherches scientifiques démontrent que
des animaux particulièrement immunocompétents ne sont pas pour
autant protégés contre la fièvre aphteuse. Si vous
disposez d'informations que les scientifiques n'ont pas, je serais ravi que
vous nous les communiquiez !
En outre, la décision de revaccination des animaux contre la
fièvre aphteuse n'incombe pas aux autorités françaises,
mais à la Commission européenne. Or ces dernières imposent
aux pays de l'Union européenne des mesures communes.
Enfin, vous prétendez que l'abattage systématique heurte les
citoyens et les incite à ne pas consommer de viande. Au contraire, j'ai
constaté que l'abattage systématique des troupeaux
affectés par l'ESB ou par la fièvre aphteuse rassure les citoyens
plus qu'il ne les inquiète. Ces derniers sont, en effet, conscients que
les autorités doivent appliquer le principe de précaution dans le
cadre des crises sanitaires. En outre, bien que nous soyons conscients de la
toxicité des bûchers, nous sommes moins idéalistes que
vous, car les décisions visent à limiter les conséquences
les plus désastreuses d'une crise. Nous avons abondamment débattu
pour déterminer s'il était préférable d'enterrer ou
d'incinérer les animaux. Il ressort de ces débats que les animaux
doivent être traités le plus près possible de l'endroit
où ils ont été abattus pour limiter la propagation de la
maladie. Nous rencontrons effectivement des difficultés pour faire
admettre aux citoyens qu'ils n'ont pas le droit de brûler leurs branches
et leurs herbes le dimanche pour ne pas incommoder leurs voisins, alors que les
autorités dressent des bûchers dans la campagne.
Je pense que nous ne pouvons pas nous féliciter de tout et de son
contraire comme cela nous arrange. Nous devons avoir une vision globale et
responsable de la situation. En définitive, je partage bon nombre de vos
positions, notamment lorsque vous affirmez que l'agriculture productiviste est
dangereuse. Je pense que les agriculteurs devront revenir progressivement
à des modes de production plus respectueux de l'environnement. Je vous
remercie de nous avoir fait part de votre avis sur les problèmes
inhérents à l'épizootie de fièvre aphteuse.
M. François Dufour
- J'ai effectivement indiqué que
l'abattage total des troupeaux inquiétait les membres de la
Confédération paysanne et que nous préférions la
mise en place d'un abattage sélectif dans le cadre de l'ESB.
Néanmoins, dans le cas de la fièvre aphteuse, nous cautionnons
l'abattage total des animaux dans le périmètre de
sécurité, mais nous contestons l'abattage des troupeaux dans la
zone périfocale, car cette mesure nous paraît excessive.
Les éleveurs considèrent que nous devons effectivement abattre le
troupeau où un animal est atteint de la fièvre aphteuse, mais
qu'il faut protéger ceux qui se trouvent dans la zone périfocale.
Nous nous sommes aperçus que le renforcement des
oligoéléments dans l'alimentation animale permettait de lutter
contre l'IBR. Les témoignages des éleveurs qui ont subi les
précédentes épidémies de fièvre aphteuse
démontrent qu'ils ont pu lutter contre l'épizootie dans leurs
élevages sans abattre systématiquement les troupeaux.
M. Dominique Braye
- Je pense que les éleveurs ne sont pas les
mieux placés pour parler des mesures à prendre pour lutter contre
l'épizootie de fièvre aphteuse, car on ne peut pas être
à la fois juge et partie. Par ailleurs, les vétérinaires
qui ont connu les précédentes épidémies de
fièvre aphteuse m'ont expliqué que lorsqu'ils soignaient les
animaux malades, la morbidité animale augmentait
énormément dans les cinq années suivant
l'épidémie et que la production de lait chutait
considérablement. Par conséquent, dans le contexte de
l'agriculture moderne, les éleveurs n'ont pas intérêt
à conserver des troupeaux qui ont été contaminés
par l'épizootie, car ils ne leur permettraient plus d'assurer une
rentabilité économique.
M. Paul Raoult
- J'ai été sensible aux propos que M.
Dufour a tenus sur l'insuffisance des contrôles entre la France et la
Grande-Bretagne. Après avoir séjourné à
Boulogne-sur-Mer, j'ai malheureusement constaté que les contrôles
des voyageurs étaient légers. Or nous ne devrions pas
relâcher nos efforts pour éviter que la maladie ne gagne de
nouveau notre territoire.
En revanche, je ne comprends pas que la Confédération paysanne
tienne un discours contradictoire sur l'abattage systématique des
troupeaux atteints par la fièvre aphteuse. En situation de crise, nous
devons prendre des mesures draconiennes et brutales pour éradiquer la
maladie. Or je constate que votre discours est irresponsable. Nous avons
réussi à enrayer la propagation de l'épizootie en France,
car nous avons mis en place des mesures très dures.
Je vous citerai le cas d'un pseudo-éleveur de Maubeuge qui importait des
moutons anglais en toute illégalité pour engranger de
substantiels bénéfices. Ce dernier s'exclame désormais
qu'il a perdu son bétail et qu'il n'a toujours pas été
indemnisé alors qu'il a adopté une attitude criminelle. Je pense
que la Confédération paysanne doit adopter une attitude
responsable vis-à-vis de l'opinion publique afin de ne pas jeter le
doute sur les mesures de précautions prises par les autorités.
Vous ne devez pas toujours contenter l'opinion publique pour vous attirer sa
sympathie. Je ne supporte pas cette attitude. Je me souviens que dans les
années 1950, la fièvre aphteuse mettait en péril la
santé des troupeaux à long terme, d'autant plus que cette maladie
est extrêmement contagieuse.
M. Dominique Braye
- Pourquoi M. Dufour dit-il que nous pourrions
limiter le nombre de bêtes abattues ?
M. Paul Raoult
- J'ajouterais que si nous n'avions pas
procédé à l'abattage des animaux atteints de la
brucellose, nos troupeaux seraient décimés.
M.
François Dufour
- Vous me faites un procès
d'intention. J'ai indiqué que nous acceptions d'abattre les troupeaux
infectés par la fièvre aphteuse, ainsi que les troupeaux
où vivent des animaux britanniques, mais que nous devions soigner les
animaux qui se trouvent dans le périmètre de protection et qui ne
sont pas affectés par la maladie afin qu'ils ne soient pas
contaminés. Par ailleurs, j'ai précisé que je n'acceptais
pas de tuer tous les jeunes animaux vivants autour d'une bête atteinte
par la maladie, car cette mesure incite l'opinion publique à penser que
cette maladie serait transmise par d'autres voies que par les farines
carnées.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie, M. Dufour, de
votre intervention.
M. Gérard César
- Je constate que le discours de M. Dufour
ne correspond pas à celui que tiennent ces collègues de la
Confédération paysanne. Ces derniers affirment, en effet, qu'il
est scandaleux d'abattre tous les animaux d'un troupeau lorsqu'une bête
est atteinte de l'ESB.
M. François Dufour
- Tous les membres de la
Confédération paysanne ne partagent pas les mêmes opinions
sur les mesures à prendre pour lutter contre l'ESB. Les organisations
départementales ont effectivement des avis partagés sur les
mesures mises en place pour lutter contre la fièvre aphteuse. Les
agriculteurs des zones d'élevage sensibles, qui élèvent
des races locales, n'ont pas le même point de vue que les éleveurs
qui se trouvent dans des zones d'échanges avec la Grande-Bretagne. Bien
que les divergences d'opinion constituent, à mon sens, la richesse d'une
organisation, le discours que nous tenons sur la gestion de la crise de la
fièvre aphteuse a toujours été cohérent.
M. Dominique Braye
- Vous ne devriez pas affirmer qu'il est possible de
soigner les animaux malades, car si la fièvre aphteuse est une maladie
qui souvent n'est pas mortelle, elle entraîne une morbidité
élevée qui empêche toute rentabilité de cette
activité agricole.
M. François Dufour
- Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas
dit ! J'ai précisé que nous devions abattre les troupeaux
affectés par l'épizootie de fièvre aphteuse, mais que nous
devions renforcer l'immunité des animaux qui vivent dans les zones
périfocales.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous sommes arrivés au
terme de cette audition. Je vous prie de nous excuser d'avoir eu des
échanges mouvementés. Je vous remercie d'avoir répondu
à notre invitation.
4. Audition de MM. Jean-Jacques Rosaye, Président Henri Cassagne, Directeur, Thibault Delcroix, vétérinaire-conseil, de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS)
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous allons auditionner M. Rosaye,
qui est le Président de la Fédération nationale des
groupements de défense sanitaire du bétail, ainsi que
M. Cassagne, qui est le Directeur de la FNDGS, et M. Delcroix, qui
est vétérinaire-conseil au sein de cet organisme. Je vous
propose, Messieurs, de nous présenter votre analyse des problèmes
et des conséquences de la fièvre aphteuse sur l'agriculture
française. Je vous demanderais de synthétiser vos propos afin que
les membres de la Mission puissent vous poser leurs questions après
votre exposé.
M. Jean-Jacques Rosaye
- Je vous remercie Monsieur le Président
de nous recevoir. Je ne présenterais pas les Groupements de
Défense Sanitaire (GDS), qui sont présents dans tous les
départements et que tous les agriculteurs connaissent.
L'évolution de la crise de la fièvre aphteuse
Les épidémies de fièvre aphteuse jusqu'en 1981
Avant l'arrêt de la vaccination, survenu en 1992, la fièvre
aphteuse frappait l'ensemble du pays par vagues successives. Les
autorités sanitaires ont parfois relevé plus de
300 000 foyers en France. La dernière épidémie
importante date de 1957. De 1961 à 1990, les autorités
françaises ont mis en place la vaccination des bovins sur l'ensemble du
territoire national. Néanmoins, la vaccination n'a pas
empêché la France d'être touchée par
l'épizootie de fièvre aphteuse en 1974 en Bretagne, en 1979 en
Normandie et en 1981 en Bretagne. L'épidémie de 1974 a
affecté une centaine de foyers et elle a nécessité
d'abattre 35 000 animaux. Cette crise avait coûté environ
60 millions de francs. En 1979, nous avions recensé 21
foyers et 3 000 animaux abattus. Cette crise avait coûté
20 millions de francs. Enfin, en 1981, nous avions relevé 15 foyers
et 10 000 animaux abattus. Le coût de la crise s'était
élevé à 19 millions de francs.
Pourquoi avoir supprimer la vaccination des animaux ?
Un coût élevé
La vaccination coûtait, en effet, 200 millions de francs par an
à la France. Néanmoins, d'autres raisons ont conduit les
autorités françaises à supprimer cette mesure.
Les raisons sanitaires
La vaccination n'interdit ni le portage du virus ni sa circulation. Cette
pratique engendrait un sentiment de sécurité sanitaire chez les
éleveurs, alors qu'un animal vacciné peut porter le virus. De
plus, nous ne vaccinions que les bovins, alors que ce ne sont pas les animaux
les plus sensibles à la fièvre aphteuse. Un porc, par exemple,
rejette dix fois plus de virus dans l'air qu'un boeuf. Or nous n'avons jamais
vacciné les ovins et les porcins alors que ces animaux sont
particulièrement sensibles à la maladie. Seuls 45 % des
animaux potentiellement contaminables par l'épizootie étaient
vaccinés, alors qu'une campagne de vaccination n'est efficace que si au
moins 80 % des animaux sont traités.
En outre, les autorités sanitaires avaient découvert, hors de
France, des foyers primaires de fièvre aphteuse provoqués par des
vaccins qui avaient été mal activés.
En 1990-1991, lorsque la France a ouvert le débat sur
l'opportunité de la vaccination, les éleveurs ont abondamment
discuté sur l'arrêt de la vaccination. Une majorité
d'éleveurs étaient opposés à cette mesure.
Malgré le fait que certains d'entre eux ne vaccinaient pas leurs
animaux, ils bénéficiaient de la couverture vaccinale des autres
cheptels. D'autres pensaient que la vaccination constituait une assurance
contre le retour de la maladie en France. En définitive, la
Communauté européenne a décidé d'arrêter la
vaccination.
La caisse d'indemnisation de la fièvre aphteuse
La Fédération nationale des groupements de défense
sanitaire a alors pris des mesures d'accompagnement, exposées dans un
document édité le 13 juin 1990, pour apporter la meilleure
sécurité possible aux éleveurs contre le retour de la
fièvre aphteuse. Nous avons ensuite créé un fonds
d'indemnisation de la fièvre aphteuse, qui a été mis en
place en 1992, pour aider les éleveurs bloqués lors de
l'apparition d'un foyer. La caisse d'indemnisation a permis de faire acter que
toutes les pertes directes et indirectes subies par les éleveurs dans
les foyers de fièvre aphteuse soient prises en charge totalement par
l'Etat. Malheureusement, l'arrêté du 30 mars 2001 remet
en cause le principe de l'indemnisation totale des éleveurs.
En outre, la caisse d'indemnisation est unique en France et en Europe, car il
s'agit d'un fonds privé qui indemnise les éleveurs. La
quasi-totalité des GDS ont souscrit à cette caisse, hormis trois
départements de l'Ouest de la France, la Corse et les
Bouches-du-Rhône. Par ailleurs, une large majorité
d'éleveurs cotise au fonds d'indemnisation. La caisse d'indemnisation
fonctionne sur le principe de la mutualisation des fonds dont les caisses
départementales restent propriétaires. La caisse nationale ne
prélève que 10 % des fonds perçus par les caisses
départementales afin de verser une indemnisation rapide en cas
d'apparition de la maladie.
En outre, l'indemnisation correspond à un forfait versé par en
fonction du nombre de jours de blocage des animaux dans les élevages. De
plus, nous présentons, lors de notre assemblée nationale
annuelle, un rapport sur l'état de la caisse d'indemnisation afin que sa
gestion soit transparente. Une commission nationale, composée de cinq
membres de la Fédération nationale des groupements de
défense sanitaire, d'un membre de l'Association permanente des Chambres
d'Agriculture et de deux membres de la Confédération nationale de
l'élevage, est chargée de contrôler le dispositif. Le
montant de l'indemnisation, fixé à 120 millions de francs,
soit 6,20 francs par bovin, a été établi en fonction des
dernières épizooties de fièvre aphteuse survenues en 1979
et en 1981. De plus, les ovins et les porcins sont indemnisés de selon
la même méthode.
Les épidémies de fièvre aphteuse depuis l'arrêt de
la vaccination
Depuis l'interdiction de vacciner les animaux contre la fièvre aphteuse,
l'Europe n'a subi que trois épidémies, une en Italie et deux en
Grèce, qui ont toutes trois été enrayées sans
recourir à la vaccination. Le nombre d'épidémies est
inférieur aux prévisions de la Commission européenne, qui
s'attendait à subir 13 foyers primaires en 10 ans. Le coût de ces
13 foyers avait alors été estimé à 13 millions
d'écus, alors que le coût de la vaccination, sur 10 ans, aurait
été de 1,135 million d'écus. Par conséquent, le
coût de cette dernière aurait été plus
élevé que le traitement de la maladie.
En outre, les GDS ont continué à se mobiliser autour de la
fièvre aphteuse durant les 10 dernières années, bien que
les communications se soient progressivement estompées faute de cas
d'épizootie sur notre territoire. Force est de constater que les
réunions départementales et régionales se sont peu
à peu espacées. Lorsque l'épizootie est apparue en
Grande-Bretagne, nous avons constaté que les plans départementaux
et nationaux de lutte contre la maladie n'avaient pas été mis
à jour. Nous avons donc mis en place des plans d'urgence pour organiser
les abattages, si l'épizootie gagnait la France. De plus, nous avons
remarqué que les services vétérinaires manquaient de
moyens pour travailler dans l'urgence.
Je ne reviendrais pas sur le déroulement événementiel de
la crise de la fièvre aphteuse en France, car il a été
abondamment relaté par les média. Néanmoins, il est
important de souligner que les pouvoirs publics français n'ont pas
attendu que la fièvre aphteuse ne touche le territoire national pour
mettre en place un dispositif de lutte contre l'épizootie. Nous
pourrions cependant nous interroger sur la pertinence des mesures prises dans
l'urgence, afin de mettre en place un nouveau dispositif officiel de lutte
contre la fièvre aphteuse. En outre, le dispositif mis en place au
début des années 1990 n'a heureusement pas été
appliqué. En effet, le Ministère de l'Agriculture a
décidé d'abattre tous les animaux en provenance de la
Grande-Bretagne, ainsi que les animaux qui avaient été en contact
avec ceux-ci. Cette politique de prévention a permis d'enrayer
rapidement la propagation de l'épizootie sur le territoire national,
grâce à la collaboration efficace entre les
vétérinaires libéraux, l'Administration sanitaire et les
Groupements de défense sanitaire. Ces derniers ont notamment mis en
place les pédiluves et informé les éleveurs des mesures
à prendre pour prévenir l'épizootie.
Le GDS de la Mayenne a, par exemple, dépensé plus de 2 millions
de francs en quelques semaines pour prévenir l'expansion de la maladie,
en achetant des tonnes de soude, en installant les pédiluves, en
préparant les dossiers d'indemnisation. Ces activités ont
mobilisé le personnel du GDS nuit et jour, y compris les week-ends. En
outre, les départements du Cher, de l'Allier, et de l'Oise ont
procédé à des abattages préventifs.
Néanmoins, nous avons constaté que l'AFSA avait pris trop de
temps pour communiquer les résultats d'analyse des animaux. Je saluerais
enfin le comportement responsable des éleveurs, notamment des
agriculteurs du bassin allaitant, qui a été
particulièrement touché par la crise de l'ESB et par les
restrictions imposées pour la circulation des animaux dans le cadre de
la crise de la fièvre aphteuse.
Crise européenne ou crise de l'Europe ?
Nous avons relevé des dysfonctionnements au sein des institutions
européennes, car les dispositions prises par la Commission
européenne ne sont pas toujours appliquées par tous les pays. Une
meilleure coordination des politiques de prévention et de lutte contre
l'épizootie permettrait de gérer plus efficacement la crise.
En outre, nous déplorons la faiblesse des services sanitaires et des
services de contrôle vétérinaire européens. Ces
derniers ne disposent pas, en effet, de moyens d'investigations suffisants.
Je vous signale que la FNGDS envisage de rédiger une analyse pointue de
la crise de la fièvre aphteuse, dans le cadre d'un livre blanc. Nous y
proposerons notamment des idées pour modifier le plan de lutte contre la
fièvre aphteuse.
M. Henri Cassagne
- J'ajouterais que nous avons tiré trois
leçons de la crise de la fièvre aphteuse :
- l'insuffisance des moyens des services vétérinaires ;
- l'adaptation les dispositifs de lutte contre l'épizootie ;
- le renforcement de la surveillance épidémiologique,
notamment en appliquant la loi votée au mois de janvier 2001 sur le
réseau sanitaire bovin ;
- le renforcement de la traçabilité sanitaire, notamment en
utilisant le logiciel Marcassin en rapport avec le registre d'élevage et
en renforçant l'identification des ovins, des caprins et des porcins.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie. Monsieur le
rapporteur, avez-vous des questions à poser aux représentants de
la FNGDS ?
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous avez cherché à
déterminer si l'épizootie de la fièvre aphteuse a
révélé une crise européenne ou une crise de
l'Europe. En outre, vous indiquez que le Ministère de l'Agriculture a
rapproché les contrôles des animaux provenant de Grande-Bretagne.
Je pense que le Ministère aurait dû prendre cette mesure plus
tôt. Les 15 Ministres de l'Agriculture auraient notamment pu s'interroger
avant la crise sur le renforcement de la traçabilité des ovins.
Nous aurions ainsi évité que des animaux atteints du virus de la
fièvre aphteuse ne circulent dans l'Union européenne. Comment
envisagez-vous la nouvelle mission qui a été confiée aux
GDS par le législateur ? Le gouvernement ne doit pas se
décharger de ses responsabilités en matière
d'épidémiosurveillance sur les GDS. Vous avez d'ailleurs
souligné l'insuffisance du nombre de vétérinaires dans le
réseau d'épidémiosurveillance français. En outre,
vous avez en partie répondu à ma question en préconisant
le renforcement de la sécurité alimentaire et l'identification
des animaux au sein de l'Union européenne. A défaut, ce type de
crise risque de renforcer un sentiment anti-européen chez certains
Français.
Par ailleurs, nous avons constaté que l'opinion publique a
été émue devant les images de charniers. Quelle est votre
position sur la mise en place d'un vaccin dont les antigènes seraient
marqués ? Bien que les pays d'Amérique du Nord, la
Nouvelle-Zélande et l'Australie refusent d'importer des animaux
vaccinés, l'OIE précise que ces derniers peuvent être
exportés, car ils ne présentent aucun risque pour la santé
humaine et ils ne véhiculent pas la maladie.
M. Jean-Jacques Rosaye
- Bien que le législateur nous ait
confié de nouvelles attributions dans le réseau
d'épidémiosurveillance, nous sommes toujours placés sous
la tutelle des autorités sanitaires. Par ailleurs, nous ne pourrons pas
mener des actions de prévention sanitaire sans mettre en place une
identification efficace des animaux. Je pense que la traçabilité
des bovins est effective, mais que nous devons encore faire de gros efforts
pour améliorer l'identification d'autres espèces animales, comme
les moutons. Bien que la France apparaisse comme un pays précurseur en
matière de traçabilité des animaux, notre système
ne sera parfaitement efficace qu'en harmonisant les pratiques d'identification
au sein de l'Union européenne. En effet, actuellement, lorsque nous
importons des animaux étrangers qui ne sont pas correctement
identifiés, nous les baguons en France. Or cette méthode conduit
les services sanitaires à « nationaliser » des
animaux étrangers dont la provenance demeure inconnue.
Par ailleurs, l'Etat ne doit pas se décharger sur les GDS pour
prévenir les épidémies de fièvre aphteuse et pour
mettre en place le dispositif de lutte. Nous avions déjà
demandé à l'Etat de mettre en place des contrôles
réguliers des animaux, dans le cadre de la crise de l'ESB.
J'espère que notre demande sera entendue.
Enfin, l'opinion publique et les éleveurs se sont souvent
interrogés durant la crise de la fièvre aphteuse sur l'absence de
vaccination des animaux. Je vous rappelle que cette décision incombe aux
autorités européennes. En outre, si ces dernières
décident de revacciner les troupeaux, nous devrons préparer des
arguments solides pour convaincre nos partenaires commerciaux d'importer nos
animaux. Nous devrions également faire valider par l'OIE la
possibilité de vendre des animaux vaccinés avec des
antigènes marqués. Je pense que nous nous engagerons alors dans
une longue bataille pour convaincre nos partenaires commerciaux de revenir sur
leur décision de ne pas importer des animaux vaccinés. Je vous
signale enfin que le coût de la vaccination est significatif.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous avez attiré notre
attention sur les carences de notre système d'identification des
animaux. Quelles mesures concrètes proposez-vous pour renforcer la
traçabilité des cheptels en France et en Europe ?
M. Jean-Jacques Rosaye
- Lorsqu'un animal est importé, nous
devons être en mesure de retrouver facilement son lieu de naissance,
ainsi que son cheminement avant de parvenir en France. Pour mettre en place
cette mesure simple, nous devons utiliser des moyens techniques
différents en fonction des espèces. En effet, nous ne
pouvons pas utiliser les mêmes méthodes d'identification pour les
ovins que pour les bovins, car la valeur de ces animaux est différente.
M. Philippe Arnaud, président
- Quelles mesures
préconisez-vous concrètement pour identifier les ovins ?
M. Jean-Jacques Rosaye
- Nous envisageons de mettre en place un
système complet d'identification élaboré avec le
Ministère de l'Agriculture. Je vous signale que l'identification ne
consiste pas seulement à poser un identifiant sur l'animal, mais aussi
de créer une base de données nationale recensant tous les animaux
vivant en France, intégrée dans une base de données
européenne. En outre, cette base sera bientôt achevée pour
les moutons, mais n'existe pas encore pour les autres espèces.
Par ailleurs, notre objectif est de tracer les déplacements de l'animal
en les notifiant auprès des services sanitaires français. C'est
pourquoi nous envisageons d'étendre l'utilisation du logiciel Marcassin,
qui ne gère actuellement que l'identification des bovins, à celle
des caprins, des porcins et des ovins. Nous prévoyons également
de compléter la base d'identification d'une base de données
sanitaires afin que les services vétérinaires puissent retracer
rapidement le cheminement d'un lot d'animaux ou d'un animal, en cas
d'épidémie.
Alors que la traçabilité des animaux nécessite une
harmonisation des procédures d'identification en Europe, la
Grande-Bretagne ne développer ces procédures sur son territoire.
Force est de constater que les éleveurs français sont toujours
les premiers à supporter la mise en place de nouvelles dispositions en
Europe.
Par ailleurs, les obligations relatives à l'identification des animaux
ne concernent que les éleveurs, alors que les dispositions de la
directive européenne 64-432 et du règlement 1760-2000, concernant
les intermédiaires, ne sont toujours pas appliquées en France.
Nous imposons encore des sticks sur les passeports, mais nous n'appliquons pas
ces mesures.
M.
Philippe Arnaud, président
- Vous affirmez que la
prévention des épizooties de fièvre aphteuse repose sur
une politique d'identification européenne des animaux qui soit fiable.
Pensez-vous que le système qui est appliqué pour les bovins
puisse être transposé aux ovins ?
M. Jean-Jacques Rosaye
- La France dispose d'un système
d'identification des ovins nés et vivant sur le territoire national, qui
est assez performant. Malheureusement, ce système n'intègre pas
les ovins qui sont importés en France pour y être abattus. Nous
sommes confrontés au problème de l'identification des animaux
nés à l'étranger.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous affirmez que la France
dispose d'un système de traçabilité des ovins qui est
assez performant, mais que vous rencontrez des difficultés pour
identifier les animaux qui proviennent de l'étranger.
M. Henri Cassagne
- J'ajouterais que l'identification des ovins porte
également sur les contrôles de l'origine des animaux. Or ces
contrôles sont insuffisants dans notre pays.
M. Philippe Arnaud, président
- Je donne la parole à M.
Braye.
M. Dominique Braye
- Estimez-vous que le gouvernement a agi efficacement
pour lutter contre la fièvre aphteuse ?
M. Henri Cassagne
- Oui, je considère que le gouvernement a mis
en place rapidement tous les moyens nécessaires pour prévenir la
propagation de l'épizootie dès que l'annonce du premier foyer de
fièvre aphteuse en Grande-Bretagne. Si le gouvernement n'avait pas pris
aussi rapidement des mesures de prévention, nous aurions certainement
enregistré davantage de foyers en France.
M. Dominique Braye
- J'ai également noté que vous aviez
prévu de publier un livre blanc analysant le déroulement de la
crise de fièvre aphteuse. Je considère que la rédaction de
cet ouvrage est plus instructive pour les éleveurs, qui
considèrent trop souvent que la vaccination protège leurs
troupeaux contre la fièvre aphteuse. Ce type d'ouvrage permettra
d'améliorer l'information des éleveurs sur cette épizootie
et sur le fonctionnement du dispositif de prévention.
En outre, je considère, comme vous, que la France dispose d'un
réseau d'épidémiosurveillance performant, reposant outre
les services vétérinaires, sur les très nombreux
vétérinaires sanitaires libéraux répartis sur la
totalité de notre territoire national, alors que la Grande-Bretagne ne
possède pas de réseau équivalent. Néanmoins,
j'attire votre attention sur le manque de moyens humains des services
vétérinaires français, qui sont souvent palliés par
ces vétérinaires libéraux spécialisés dans
le domaine sanitaire. Malheureusement, ces vétérinaires
sanitaires sont aujourd'hui découragés, car leur travail n'est
pas rémunéré à sa juste valeur. Je vous rappelle
qu'un vétérinaire perçoit 85 francs pour pratiquer
à l'abattoir une inspection ante-mortem. Partagez-vous cette analyse de
la situation ? Que proposerez-vous dans votre livre blanc pour conserver
ce réseau d'épidémiosurveillance
français particulièrement performant et qui a fait ses
preuves depuis très longtemps ?
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous propose de
répondre à la question de M. Braye par une note adressée
à la Mission afin de libérer la salle. J'invite également
les sénateurs à formuler leurs questions par écrit afin
que nous vous les transmettions. Enfin, si vous souhaitez nous communiquer de
plus amples informations, je vous propose de nous les adresser par écrit.
Je vous remercie de votre intervention.
5. Audition de M. Pierre Chevalier, Président de la Fédération Nationale Bovine, Vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous avons le plaisir d'accueillir
M. Pierre Chevalier, Président de la Fédération
Nationale Bovine et Vice-Président de la Fédération
Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA), qui va nous
présenter son point de vue sur les conséquences de
l'épizootie de fièvre aphteuse et nous faire part de ses
éventuelles propositions.
M. Pierre Chevalier
- Monsieur le Président, je vous
remercie de m'avoir invité à participer à vos travaux sur
la fièvre aphteuse. Toutes les personnes qui composent votre Commission
me donnent le sentiment d'être des experts qui ont une parfaite
connaissance de la fièvre aphteuse. En conséquence, je pense que
nous devrons nous livrer à une réflexion commune sur ce
problème.
Comme vous le savez, la fièvre aphteuse est une maladie animale
très contagieuse qui affecte les ruminants (bovins, ovins et caprins)
ainsi que les porcs et les sangliers. Elle ne présente pas de danger
pour l'homme mais génère des pertes économiques
importantes pour les filières animales touchées.
L'épisode aphteux que la France a traversé s'est
déroulé dans un contexte particulier. En effet, à quelques
jours de la fête musulmane de l'Aïd-el-Kébir, les
expéditions d'ovins britanniques étaient évaluées
à environ 20.000 têtes. Différentes personnes qui sont
déjà intervenues devant votre Commission vous ont sans doute
informé de pratiques d'abattage clandestin, dans des lieux surprenants
comme des centres de traitement des métaux ferreux, et sans couverture
vaccinale. Je voudrais donc commencer mon audition en saluant l'esprit de
grande responsabilité des autorités religieuses musulmanes qui
ont contribué, grâce aux messages qu'elles ont diffusés,
à la maîtrise des risques.
Dans ce contexte, à la fin du mois de février, aucune alternative
crédible à une politique d'abattage préventive ne
s'offrait aux autorités sanitaires françaises : il fallait
aller plus vite que le virus et éviter la contagion. Les organisations
professionnelles de l'élevage de notre pays estiment que la mobilisation
des services de l'Etat a été exemplaire. La Grande-Bretagne, qui
a supprimé ses services de sécurité de santé
animale, a quant à elle rencontré des grandes difficultés
pour gérer l'épizootie de fièvre aphteuse.
Malgré les diverses prises de position qui ont été
exprimées, et le grand désarroi des éleveurs, les
organisations professionnelles de l'élevage (la FNSEA, le CNJA, la
Fédération Nationale Bovine) ont soutenu la stratégie de
la DGAL et du Ministère de l'Agriculture. Les résultats obtenus,
au regard de l'extrême contagiosité de la maladie, confirment que
les moyens mis en oeuvre ont été efficaces. Ce satisfecit ne
saurait cependant pas nous faire oublier la nécessité de tirer
les enseignements de cette crise, traumatisante moralement et terriblement
éprouvante financièrement pour les éleveurs et l'ensemble
des opérateurs de la filière des viandes, d'autant plus que
l'épisode aphteux est survenu alors que la filière subissait les
effets de la crise de l'encéphalite spongiforme bovine.
Les enseignements à tirer de l'épizootie de fièvre aphteuse
La protection vaccinale
Pour comprendre la problématique de la protection vaccinale, il convient
de se replacer dans le contexte de la fin des années 80. La construction
d'un marché unique exigeait une harmonisation communautaire des
politiques sanitaires. Il a alors été décidé de
cesser la vaccination, parce que les caractéristiques du vaccin
anti-aphteux ne répondaient plus à la situation
épidémiologique. Le vaccin vise en effet à réduire
la circulation virale : il était donc parfaitement adapté
lorsque la France enregistrait des dizaines de milliers de foyers par an. Il
faut ajouter que seuls les bovins étaient vaccinés, ce qui
représentait un taux de couverture vaccinale de seulement 45 % des
animaux sensibles, alors que ce taux devrait avoisiner 75 % pour une
totale efficacité. Les études épidémiologiques
conduites par les autorités communautaires en coordination avec l'Office
International des Epizooties (OIE) avaient par ailleurs mis en évidence
le fait que sur les dix dernières années de vaccination,
près du tiers des foyers avaient pour origine des vaccins mal
inactivés voire des fuites de virus en laboratoire.
Ces aspects purement techniques, associés aux études
économiques et aux problématiques commerciales internationales,
avaient donc conduit l'Union Européenne à opter pour la
non-vaccination. Le premier enseignement que nous en tirons est qu'il faut
favoriser la recherche pour mettre au point une nouvelle technique de
protection des espèces sensibles à la fièvre aphteuse.
L'Office National des Epizooties devrait coordonner ces efforts de recherche.
Les abattages préventifs
L'épisode aphteux de l'année 2001 a démontré que
les méthodes de lutte prévues dans les textes
réglementaires des années 90 ne répondent pas à la
problématique dans le cadre d'une politique de non-vaccination.
L'abattage préventif des troupeaux, avec un financement communautaire,
n'est pas prévu dans les textes. L'instauration de zones de surveillance
autour des élevages dont les cheptels sont abattus préventivement
pour cause d'introduction d'animaux potentiellement contaminés
(sérologie confirmée positive), conduit à des restrictions
draconiennes du commerce et de la circulation des animaux : aucun
dispositif d'accompagnement financier n'est pourtant prévu pour ces
périmètres protégés. Il y a donc lieu de
procéder à une réévaluation des textes
réglementaires français et communautaires, mais aussi des
dispositions du Code zoo-sanitaire de l'Office National des Epizooties.
L'acceptation sociale
L'opinion publique participe de plus en plus aux débats techniques, en
privilégiant une approche morale. Euthanasier des animaux sains pour des
raisons préventives est jugé scandaleux, voire immoral. Les
pouvoirs publics doivent prendre en compte l'acceptation sociale pour la
définition des politiques sanitaires. Les images des brasiers, qui ont
été largement diffusées à la
télévision, ont profondément affecté l'opinion
publique, ce qui a eu des répercussions sur la consommation. La
consommation de viande bovine était en effet remontée à -
25 % par rapport au 20 novembre 2000, mais la diffusion des images de
brasiers nous a fait perdre à nouveau entre 5 et 10 points de
consommation pendant plusieurs semaines.
Les modalités de production et de circulation des animaux
Il convient de réévaluer les modalités de production et de
circulation des animaux et de mettre en place une harmonisation.
L'épizootie britannique aurait en effet pour origine l'emploi des restes
des plateaux-repas non stérilisés. De telles pratiques en France
conduiraient à la fermeture de l'élevage incriminé. En
effet, la sécurité sanitaire et l'utilisation des déchets
sont extrêmement réglementées dans notre pays.
Outre les distorsions de concurrence qu'induit l'absence d'harmonisation
communautaire des pratiques de production, la Grande-Bretagne fait peser des
risques considérables sur des secteurs économiques entiers. Les
conditions d'apparition et de diffusion de l'ESB conduisent au même
constat. En France, lorsqu'un plateau-repas arrive en provenance d'Afrique du
Sud, par exemple, il est incinéré comme les déchets
ménagers : il n'entre pas dans l'alimentation des animaux. Nous
disposons de services de santé animale et de sécurité
alimentaire qui sont extrêmement vigilants à ce sujet.
La libre circulation des animaux vivants et des marchandises ne doit pas
s'accompagner d'une libre circulation des maladies. En matière de
traçabilité des mouvements, le système informatique
européen ANIMO a fait preuve de son efficacité. Il convient de
renforcer encore au niveau national cette traçabilité, notamment
dans le secteur ovin pour lequel nous avons pu constater un déficit
d'identification des animaux en provenance de Grande-Bretagne.
Le point de vue d'un éleveur
Je souhaiterais vous présenter ma situation en tant qu'éleveur de
Charolais dont 100 % du chiffre d'affaires provient de la viande bovine
charolaise et qui exporte vers l'Italie 70 % de sa production : je
suis aujourd'hui dans une situation dramatique, comme tous les éleveurs
spécialisés en races à viande (Charolaise, Limousine,
Salers, Aubrac, Blonde d'Aquitaine) qui exportent la majorité de leur
production vers l'Italie. Sur les 4,5 millions bovins produits en France
chaque année, nous exportons 1,5 million bovins, du broutard
jusqu'au jeune bovin : 1,2 million de bovins vers l'Italie et 300.000
bovins vers l'Espagne et l'Allemagne.
Alors que la France a été exemplaire en matière de
traitement de l'épizootie de fièvre aphteuse, il est anormal que
pour des raisons électorales l'Italie nous empêche aujourd'hui
d'exporter nos animaux, d'autant plus que les engraisseurs italiens souhaitent
venir acheter leurs animaux en France. Les broutards, c'est-à-dire les
jeunes veaux de 8 à 12 mois (jusqu'à 15 mois pour le Charolais),
sont majoritairement exportés vers l'Italie. Le sort des
350.000 broutards dont nous disposons aujourd'hui est suspendu à la
décision des pouvoirs publics italiens de rouvrir leur frontière.
Nous souhaitons reprendre cette exportation même nous devions vendre ces
broutards moitié prix par rapport à la situation
antérieure à la crise de l'ESB. J'ai vendu mes premiers Charolais
entre16 et 17 francs alors que je ne pourrais les vendre, si la
frontière italienne était rouverte, qu'entre 8 et 10 francs.
Je ne sais que faire de mes broutards : dois-je les mettre dans le
pré, les castrer ou les enterrer ? La situation est vraiment
dramatique.
Dans les régions de mono-production, de zone herbagère
inconvertible, il existe peu de diversification, peu d'ateliers hors sol, de
volailles ou de porcs : nous sommes donc contraints à
l'exportation. Le marché italien a besoin de nos animaux, l'Italie
n'étant autosuffisante qu'à 50 % pour la viande bovine. Je
ne vois pas comment ces exploitations en mono-production vont pouvoir survivre.
La consommation française de viande bovine avait augmenté de
1,6 % par rapport au 20 mars 1996, c'est-à-dire avant la crise
de la vache folle : nous avions donc réussi à
reconquérir la totale confiance des consommateurs. Nous avions su
gérer la crise de l'ESB et le développement raisonné de la
production de viande bovine en France et en Europe : en effet, les
frigorifiques de la Communauté Economique Européenne ne
contenaient plus un seul kilogramme de viande bovine. La situation était
donc saine et favorable : pas d'excédent communautaire, pas
d'excédent français, 1,5 million de tonnes de viande bovine
consommées en France, en augmentation de 1,6 % par rapport à
1996, 7 à 8 millions de tonnes de viande bovine consommées
en Europe. En raison de l'épizootie de fièvre aphteuse et de la
crise ESB, l'excédent structurel sera compris entre 350.000 et 500.000
tonnes en 2001. Ces chiffres sont faciles à calculer : 1,5 million
de tonnes étaient consommées avant la crise, mais nous avons subi
une baisse de consommation comprise entre 20 et 30 %. En Europe, la
consommation a chuté de 40 à 50 % en Italie et de 40 %
en Allemagne. Sur 7 à 8 millions de tonnes de viande bovine
consommées en Europe, une baisse de la consommation européenne de
30 % aurait pour conséquence un excédent structurel de 2
à 3 millions de tonnes de viande bovine sur l'année 2001.
M. Philippe Arnaud, président
- Avant de donner la parole
à notre rapporteur, je souhaiterais revenir sur votre dernière
réflexion. Vos propos permettraient-ils d'accréditer la
thèse de certains selon laquelle les abattages massifs
réalisés préventivement participeraient à la
réduction d'excédents structurels ?
M. Pierre Chevalier
- Vous voulez insinuer que la Grande-Bretagne
aurait contribué à la propagation de l'épizootie de
fièvre aphteuse.
M. Philippe Arnaud, président
- Je n'ai pas dit cela.
M. Pierre Chevalier
- Ces propos ne sont pas si
déplacés : je les entends sur l'ensemble du territoire
français depuis de nombreuses semaines.
Le plan qui a été appliqué en France pour traiter
l'épizootie de fièvre aphteuse me semble avoir été
efficace, même s'il a pu paraître excessif aux Français. Il
est évident qu'un tel plan a été difficile à
expliquer dans le département de la Mayenne et les trois
départements qui l'entourent. Je ne peux pas croire que les
décisions des pouvoirs publics français, les mesures prises en
Grande-Bretagne et les orientations données par Bruxelles, par le
Comité Scientifique Européen, aient eu pour objectif, à
travers l'abattage des animaux dans les périmètres proches des
foyers à sérologie positive, de gérer les excédents
structurels de production de viande bovine. Ce serait aller un peu trop loin.
Je vous rappelle que certains avaient insinué que les Etats-Unis, ayant
des comptes à régler avec l'Europe à propos des hormones,
avaient fait en sorte que l'ESB se développe... Ce n'est donc pas la
première fois que ce genre d'allégations circule.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous avez insisté sur la
gravité de l'épizootie de fièvre aphteuse qui est survenue
à la suite de la crise de l'ESB. Vous avez évoqué les
problèmes d'exportation ou, pour être plus exact, les
problèmes d'échanges intra-communautaires. Nous avons bien
compris par ailleurs que l'abandon de la vaccination a été
décidé au niveau européen, en fonction de plusieurs
éléments que vous nous avez présentés. Selon une
récente publication, il semble que le Docteur Claude Murier, qui
était Président du Comité Scientifique
Vétérinaire de l'Union Européenne, n'ait pas
été consulté pour la décision d'abandonner la
vaccination. Je suis un européen convaincu, mais nous ressentons tous
aujourd'hui les faiblesses de l'Europe. Je ne voudrais pas que cette crise
continue à « fabriquer » des anti-européens.
S'agissant de la libre circulation des animaux, nous constatons qu'il suffit de
l'afflux d'animaux, destinés à être consommés pour
une fête musulmane et d'échanges intra-communautaires pour
perturber complètement l'état sanitaire des cheptels. En tant que
professionnel, que pensez-vous de l'identification des ovins ? Un
système d'identification existe en France, mais d'autres pays ont des
identifications plutôt
« légères » : on se demande même
si les cheptels y sont référencés... Comment percevez-vous
une évolution de l'identification des ovins ?
Pour revenir à la protection vaccinale, je vous ai entendu dire que le
Gouvernement n'a pas trop mal géré l'épizootie. Je pense
cependant que cette bonne gestion est due au fait qu'il n'y a eu que deux cas
en France : si nous avions été dans la situation de la
Grande-Bretagne, je ne sais pas si un gouvernement français, quel qu'il
soit, aurait pu s'honorer d'avoir bien géré la crise. Il existe
en France des races bovines dont les effectifs sont très faibles. Si
l'épizootie avait eu la même ampleur qu'en Grande-Bretagne, des
races entières auraient ainsi pu disparaître.
Comme vous l'avez souligné, l'opinion publique se manifeste de plus en
plus, à travers les médias. L'incinération des carcasses
d'animaux est apparue comme une pratique insupportable. Je pense que l'on ne
pourrait pas faire accepter à la population l'idée d'abattre un
tiers du cheptel français pour lutter contre la fièvre aphteuse.
Face à cette situation, quelle solution pourriez-vous préconiser
à notre Ministre de l'Agriculture ? Pensez-vous que ce qui a
été mis en place est suffisant pour l'avenir ou faut-il
approfondir la recherche au niveau européen ? Faut-il créer
une agence européenne ? Les chercheurs européens doivent-ils
orienter leurs efforts vers un nouveau vaccin qui serait
« tracé », c'est-à-dire
différencié de la maladie ?
En résumé, je souhaiterais que vous vous exprimiez sur
l'identification des ovins et que vous nous donniez votre point de vue sur ce
qui a été décidé en 1991 et ce qui pourrait
être la solution de l'avenir dans le cadre des échanges
européens et mondiaux. J'évoque les échanges mondiaux,
mais je vous rappelle que ces derniers, hors Union Européenne, sont
très faibles.
M. Pierre Chevalier
- La France est le seul Etat membre qui a fait
des efforts en matière d'identification bovine, même si tout n'est
pas encore parfait dans notre pays. Vous savez tous que nous rencontrons deux
difficultés. La première est que les moutons qui servent de
« tondeuses à gazon » sont complètement
inconnus des services vétérinaires et ne sont donc pas
recensés. Pour illustrer la deuxième difficulté à
laquelle nous devons faire face, je vais vous raconter une anecdote. Je me suis
rendu dans les Alpes-de-Haute-Provence pour connaître la production ovine
de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur dans laquelle le mouton
joue un rôle très important en matière de politique
d'aménagement du territoire, de politique d'entretien de l'espace et de
politique de soutien du tourisme. J'ai découvert que 30 % de la
commercialisation de la production de cette région était
effectuée en dehors des circuits traditionnels. Les ovins ne
transitaient ni par les groupements de producteurs ni par les
coopératives et ne passaient pas par les abattoirs agréés
CEE. J'ai constaté que les pouvoirs publics français avaient
rouvert l'abattoir de Marseille qui était entièrement
désaffecté pour éviter de voir des peaux de moutons et
d'abattage dans les baignoires marseillaises...
M. Gérard Larcher
- Nous connaissons bien ce
phénomène. Dans le département des Yvelines, il existe
à Mantes-La-Jolie un haut lieu d'abattage au moment des fêtes
traditionnelles de la deuxième communauté religieuse de France. A
cette période, nous ne sommes pas certains que le commerce des moutons
respecte l'ensemble de la traçabilité sanitaire. Les services
vétérinaires ne font pas preuve alors de la même observance
dans leurs contrôles que ce qu'ils feraient dans le Cantal à une
autre période... La question est donc de savoir si l'on ne prend pas des
risques sanitaires parce que l'on ne veut pas aborder cette question de
manière claire, comme on a pu le faire avec d'autres communautés,
notamment de tradition israélite. A l'occasion de
l'Aïd-El-Kébir, nous constatons des flux trans-Manche qui sont
erratiques, qui s'effectuent dans des conditions de contrôle sanitaire
non-satisfaisants. Je pense qu'il faut vraiment se pencher sur la
réalité de ces flux parallèles. On ne veut pas parler de
ces sujets avec la transparence républicaine qu'il
conviendrait d'avoir !
S'agissant des races de faibles effectifs, que devrons-nous faire si les
quelques exploitations qui maintiennent la diversité
génétique se trouvent dans un périmètre de
fièvre aphteuse ? Le sujet n'a pas été abordé.
Devons-nous fabriquer et utiliser des vaccins pour les populations
inférieures à 200 têtes ? Il s'agit d'une
véritable question.
M. Pierre Chevalier
- Vous avez tout à fait raison. Nous
pourrions assister en quelques heures à la disparition de certaines
races.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur Larcher, je sais
que vous êtes un spécialiste des équidés. Quelle est
la sensibilité de ces animaux à la fièvre aphteuse ?
Le suivi sanitaire des équidés étant beaucoup plus
difficile, ne peuvent-ils pas être vecteurs de la maladie ?
M. Gérard Larcher
- Les équidés peuvent
être porteurs de la maladie, mais ils ne souffrent d'aucune traduction de
la maladie. Le problème est que ces animaux se déplacent
beaucoup, ce qui peut être un facteur de diffusion importante de la
maladie. Des mesures temporaires d'immobilisation ayant été
prises, le problème posé a été celui de la
nécessité pour l'Etat de compenser les pertes dans le domaine des
courses. Les mesures d'immobilisation ont rapidement été
levées. Nous avons alors pris des mesures sanitaires sur les champs de
course, mais il faut reconnaître que ces mesures correspondaient
davantage au rituel du lavement des pieds du Jeudi Saint qu'à la
réalité de la lutte contre la fièvre aphteuse !
M. Pierre Chevalier
- Cela a d'ailleurs généré
des tensions parmi les éleveurs...
Je crois que nous avons largement évoqué le problème de
l'identification ovine. S'agissant de la vaccination, je vous ai
expliqué dans mon propos introductif la position que nous avons
arrêtée. Je me suis exprimé sur le secteur de la production
de la viande bovine. Lorsque le deuxième cas de fièvre aphteuse
est apparu dans notre pays, le communiqué du Ministère de
l'Agriculture et de la DGAL a été publié à 22
heures. Une heure plus tard, Europe 1 m'a téléphoné
pour connaître ma réaction. J'ai alors indiqué que si notre
pays devait connaître un développement de la fièvre
aphteuse dans les mêmes proportions qu'en Grande-Bretagne, il est
évident qu'il ne faudrait pas écarter l'hypothèse d'une
vaccination des 21 millions de bovins français ainsi que des ovins
et des porcins. J'ai précisé cependant que cette mesure ne
pourrait être que communautaire. Si la France procédait à
des vaccinations de manière isolée, un tiers de sa production de
viande bovine ne pourrait plus faire l'objet d'échanges
intra-communautaires : la décision de reprise de la vaccination ne
pouvait donc être que communautaire. Dès ce soir-là, j'ai
par ailleurs considéré que le Ministre de l'Agriculture devait
attirer l'attention du Comité Scientifique Vétérinaire et
que toutes les dispositions devaient être prises à Bruxelles pour
que nous puissions bénéficier des vaccins nécessaires pour
l'ensemble des espèces sensibles en Europe.
Il est vrai que les échanges extra-communautaires dans le secteur de la
production de viande bovine ne représente pas des tonnages qui
pourraient déséquilibrer la production de viande bovine
européenne. Nous devrions toutefois être attentifs quant aux
conséquences que la crise pourrait avoir sur les produits laitiers, qui
représentent de fortes exportations. Nous devrions expertiser
également les exportations des produits porcins, qui s'effectuent vers
des pays qui sont solvables ou des pays en voie de développement :
nous exportons par exemple vers le Japon et la Chine.
Je suis irrité de constater que l'Office International des Epizooties
nous oblige à ne pas vacciner pour que la France soit
considérée comme une zone propre, tout pays qui procède
à des vaccinations étant considéré comme une zone
sale. Je me suis rendu récemment au Brésil et en Argentine :
je sais que la moitié du territoire argentin, par exemple, est encore
soumise à des campagnes de vaccination en raison d'épizooties de
fièvre aphteuse. Or ces pays sont considérés comme des
zones propres ! Ils exportent vers l'Europe de la viande qui est
soi-disant de qualité, produite dans de grands espaces verts ! Il
faut une totale transparence !
M. Philippe Arnaud, président
- Qui a la
responsabilité du contrôle ?
M. Pierre Chevalier
- C'est dans le cadre de l'Organisation
Mondiale du Commerce, au travers de l'Office International des Epizooties, que
l'Europe doit se faire entendre en faisant en sorte qu'une totale transparence
soit faite. Nous avons découvert récemment que des vaccinations
étaient encore pratiquées en Amérique du Sud, alors que
cela nous était jusqu'à présent caché.
M. Jean-Paul Emorine
,
rapporteur
- Je dispose d'une note de
l'Office International des Epizooties : il est avéré que la
fièvre aphteuse était présente le 30 mars 2001 en
Argentine, mais aussi au Royaume-Uni, bien sûr, au Japon et au
Brésil le 19 janvier 2001. Or les viandes de ces pays ont
continué à être exportées : c'est tout de
même incroyable !
M. Pierre Chevalier
- Cela fait partie du grand débat au
sein de l'OMC, qui a commencé à Seattle et qui va se poursuivre
dans les mois qui viennent. Je serai vendredi à Genève :
même si la médiatisation n'est pas aussi importante qu'à
Seattle, nous continuons à négocier. Je crois que la Commission
doit intervenir pour exprimer une position forte à ce sujet.
M. Gérard Larcher
- Cela me paraît en effet essentiel. En
Argentine, nous savons qu'il existe des foyers permanents. Nous sommes
confrontés à une sorte d'hypocrisie collective. Nous ne pourrons
pas continuer à tenir ce débat sous le boisseau. L'OMC n'a de
sens que si les conditions sanitaires et vétérinaires sont
partagées : dans le cas contraire, la concurrence serait
biaisée et nous prendrions des risques. Nous appliquerions une politique
de non vaccination alors même que nous vivrions dangereusement !
Cela pourrait être comparé à l'attitude que nous aurions
vis-à-vis du Sida si nous continuions à considérer que
8 % de la population de l'Afrique du Sud n'est pas porteuse du
virus ! Je crois qu'il faut que nous puissions affirmer haut et fort notre
point de vue. C'est l'un des rôles de notre Commission. Nous ne pouvons
pas pratiquer l'omertà collective !
M. Philippe Arnaud, président
- Nous sommes bien d'accord.
Avez-vous d'autres questions à poser au Président Chevalier ?
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Monsieur Chevalier, vous avez
évoqué les indemnités qui pourraient être
prévues pour les éleveurs dont les cheptels ont été
incinérés. L'indemnisation des éleveurs des cheptels
« périphériques » semble poser des
difficultés.
M. Pierre Chevalier
- Il faut en effet réévaluer les
modalités d'indemnisation. Dans le cadre de l'ESB, c'est une Commission
départementale sous la tutelle du préfet, composée
d'experts professionnels, d'experts administratifs, du Directeur des Services
Vétérinaires, de représentants des éleveurs, de
commerçants et de coopératives, qui effectue une estimation du
préjudice lié à l'abattage total d'un cheptel. Je n'ai
jamais eu de retour négatif de ces indemnisations. En revanche, la
fièvre aphteuse est soumise à l'abattage traditionnel
prévu dans les textes législatifs, avec une indemnisation qui
n'est pas à la hauteur de la valeur génétique des animaux.
Je pense que les pouvoirs publics doivent donc prendre des mesures
d'adaptation. L'Europe doit également prendre ses
responsabilités : la Commission ne doit pas se défausser sur
ce dossier.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Faut-il créer une agence
européenne compétente en matière de santé
animale ? Si l'on veut que toutes les décisions soient
coordonnées, il faut s'appuyer sur l'Europe.
M. Pierre Chevalier
- Dès l'affaire de l'encéphalite
spongiforme bovine et les distorsions de concurrence qui sont apparues avec les
positions de l'AFSSA en France et celles du Comité Scientifique
Vétérinaire Européen, nous n'avons pas cessé de
dire qu'il faudrait mettre en place une agence européenne de
sécurité sanitaire des aliments ainsi qu'une harmonisation
communautaire en matière de sécurité sanitaire des
aliments. La fièvre aphteuse ne serait peut-être pas apparue si
une telle agence avait existé, si elle avait appliqué à la
Grande-Bretagne la même rigueur que dans notre pays. De la même
façon, il n'existerait peut-être pas de telles distorsions de
concurrence si les Etats européens étaient soumis aux mêmes
conditions d'élevage. Vous connaissez sans doute les problèmes
que nous rencontrons avec les différences de conditions d'élevage
et de coûts des bâtiments pour la production porcine dans les Etats
membres.
Il est donc absolument nécessaire de mettre en place une agence
européenne de sécurité sanitaire des aliments, à
l'image de l'AFSSA en France. Il faut également que les positions des
différents ministères qui sont représentés à
l'AFSSA soient concordantes et qu'il n'y ait pas de surenchère
médiatique, comme cela a été le cas pour la vache folle,
entre la DGAL et l'AFSSA...
M. Louis Moinard
- Je pense que nous sommes tous d'accord pour la
mise en place d'une agence européenne sur la sécurité
alimentaire. Le problème est plutôt de savoir comment les
règles qui seraient définies pourraient être effectivement
appliquées dans les différents pays. Les fabricants de foies gras
doivent respecter des règles strictes en France, alors que nous
importons de Hongrie ou de Roumanie des foies gras dans les conditions
d'hygiène que je vous laisse deviner... Comment faire en sorte qu'il n'y
ait pas des pays qui appliquent strictement la réglementation alors que
d'autres sont plus laxistes ? Comment pourra-t-on harmoniser l'application
des règles mises en place ?
M. Pierre Chevalier
- L'harmonisation des règles sera
peut-être difficile à réaliser : lorsque 15 pays sont
représentés autour d'une table à Bruxelles, les
discussions ne sont pas toujours faciles. Je le constate au sein du
Comité des Organisations Professionnelles Agricoles (COPA).
S'agissant de l'application de ces règles, je suis convaincu que les
dispositions environnementales relatives à la production porcine, par
exemple, doivent être identiques dans l'ensemble des Etats membres :
elles sont aujourd'hui définies par des textes, mais elles ne sont pas
appliquées. Les productions porcines espagnoles ne disposent pas de plan
d'épandage et ne répondent à aucune préoccupation
en matière de stockage du lisier. La porcherie se situe souvent sur une
butte, le lisier s'écoulant naturellement sur ses flancs ! Ces
pratiques irritent les éleveurs français !
Je remarque que vous avez bien travaillé puisque le Ministre des
Finances a conseillé au Premier Ministre d'attendre un peu avant
d'appliquer la taxe sur les activités polluantes (TGAP). J'espère
qu'à l'occasion de l'application de cette taxe, qui concernera
l'agriculture, nous n'allons pas encore connaître une distorsion de
concurrence intra-communautaire Il ne faudrait pas qu'il existe en France une
taxe qui ne serait appliquée dans aucun autre pays
européen ! Nous ne serons plus compétitifs ! Je vous
assure que je suis favorable à la construction européenne et
à l'euro : cela me sera plus pratique pour mes déplacements
dans les Etats membres... Mais si l'on met en place une taxe, elle doit
s'appliquer sur l'ensemble de l'Europe pour que les coûts de production
soient identiques pour tous les éleveurs !
M. Jean-Paul Emorine
,
rapporteur
- Vous avez parlé
des exportations de produits laitiers vers le Japon et la Chine. Je ne pense
pas que des problèmes d'environnement surviennent :
l'élevage laitier, même s'il est quelque peu concentré, est
accepté par l'opinion publique. En revanche, en matière de
production porcine, doit-on continuer à laisser construire des
porcheries ? Si nous voulons développer des politiques de
qualité, toutes ces productions hors sol seront remises en cause.
M. Pierre Chevalier
- La France est le deuxième pays
exportateur de denrées agricoles, ce qui génère un
excédent de 60 milliards de francs pour la balance agroalimentaire
française. Je crois que la France doit rester forte. Nous
détenons 40 à 50 % du troupeau européen. Sur
11 millions de vaches allaitantes en Europe, de races à viande,
4,2 millions sont élevées en France. Le consommateur demande
aujourd'hui en priorité des races à viande. Le troupeau
français est équilibré : nous avons 4 millions
de vaches laitières (21 millions de vaches laitières en
Europe) et à peu près autant de races à viande.
Il faut que la France reste forte. Nous sommes le pays le plus agricole
d'Europe, et nous devons le rester. J'admets pourtant que nous sommes
allés trop loin : on concentre par exemple 60 % de la
production porcine sur 4 départements ! Je ne dis pas qu'il
faut produire moins de porcs, mais qu'il faut mieux répartir les
élevages sur l'ensemble du territoire. Je pense que nous sommes
allés trop loin. 2.000 personnes ont défilé dans les
rues de Rennes avec une bouteille à la main pour dire que l'eau contient
trop de nitrates. Dans mon département, on apporte en moyenne
pondérée 40 ou 50 unités d'azote à l'hectare,
contre 400 ou 500 unités d'azote à l'hectare dans le
département du Finistère : nous sommes clairement
allés trop loin. Je n'ai pas honte à le dire, même si je
fais partie des personnes qui ont peut-être cautionné cet
état de fait. Mais lorsque je vois dans mon département de la
Corrèze, où la production porcine est quasi inexistante, que le
projet de construction d'une porcherie sur le plateau des Millevaches, qui ne
compte que 3 habitants au kilomètre carré, provoque des
manifestations d'écologistes, je ne comprends plus. Si nous ne voulons
pas que 60 % de la production porcine soit située dans
4 départements, il faut que l'on nous donne les moyens de
répartir les exploitations. Cela fait partie de la politique
d'aménagement du territoire : l'élevage est le pilier de
l'économie rurale.
Si la France n'assure pas la production porcine, d'autres Etats de l'Union
Européenne, comme la Hollande, prendront notre place. Ce sera au
détriment de notre économie nationale.
Je vais arrêter là mon intervention. Je vous remercie
sincèrement de m'avoir invité. Au-delà de l'aspect
scientifique des questions que vous m'avez posées sur la fièvre
aphteuse, je voudrais attirer votre attention sur le fait que l'élevage
traditionnel français des races à viande bovine est en danger de
mort. Cet élevage est le pilier de l'économie rurale : s'il
disparaît, dans l'Allier, en Saône et Loire, en Bourgogne, en
Auvergne, dans l'Aveyron, en Lozère, dans l'Indre et en Vendée,
les artisans, les commerçants, les professions libérales
disparaîtront également dans les communes. Vous connaissez bien
ces communes rurales où l'on ne trouve plus aucun artisan ou
commerçant : seuls les agriculteurs contribuent au financement du
budget de la commune. S'ils disparaissent, le tourisme sera affecté
puisque le territoire ne sera plus entretenu. Nous nous dirigeons vers une
situation vraiment dramatique.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le
Président, je vous remercie. Nous vous remercions de nous communiquer
toute information, documentation, analyse ou étude que vous pourriez
obtenir dans vos différentes fonctions.
6. Audition de Thierry Geslain, Chef du Service Scientifique et Réglementaire de l'ANIA
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur
Geslain,
nous souhaiterions connaître votre point de vue de scientifique notamment
sur les conséquences de l'épizootie de fièvre aphteuse.
M. Thierry Geslain
- L'Association Nationale des Industries
Agroalimentaires (ANIA) a vécu cette crise avec du recul. En revanche,
je peux vous faire part du point de vue des syndicats des produits laitiers, de
la charcuterie, de la viande et des produits surgelés qui sont
représentés à l'ANIA, ainsi que celui de d'une alliance
regroupant 7 syndicats de produits animaux dans les secteurs de la biscuiterie,
de la confiserie, de la chocolaterie, de la biscotterie et des baby food.
L'ANIA a été touchée par les conséquences
économiques de la fièvre aphteuse. J'ai rencontré ce matin
toutes les professions que je viens de vous citer les unes après les
autres. On m'a expliqué que la fièvre aphteuse ne
représente pas un danger comparable aux risques de Listéria dans
la charcuterie. En effet, les entreprises n'ont pas dû mettre en place
des mesures de traitement des produits adaptées à la
fièvre aphteuse.
Toutes les mesures de prévention qui ont été mises en
place au mois de février pour éviter la dissémination du
virus ont été globalement bien ressenties par les professions
adhérentes de l'ANIA. Comme dans toute crise, ce sont surtout les
premiers jours, et notamment les premières 24 heures, qui ont
posé des difficultés. Mais par rapport aux crises
précédentes (dioxine, ESB), les 5 professions que je vous ai
citées ont globalement retenu un net progrès dans leurs rapports
avec les pouvoirs publics en ce qui concerne les échanges
d'informations. Au moment des problèmes de dioxine, l'ANIA avait
exprimé son souhait d'une meilleure gestion quotidienne de l'information
en cas de crise. Pour la fièvre aphteuse, les 5 professions
concernées, ainsi que l'ANIA, ont reçu systématiquement
les circulaires et lettres d'information. Entre la mi-février et la fin
du mois d'avril, nous avons reçu 24 notes par courrier
électronique ou par fax. Les fédérations, et donc les
industriels, étaient ainsi parfaitement informés des
décisions de gestion de crise qui avaient été prises, ce
qui leur permettait de réagir rapidement.
L'ANIA est très peu intervenue en tant que telle, si ce n'est pour
signaler des problèmes sur le terrain que certaines
fédérations nous ont remontés. Dans les heures qui ont
suivi le cas de fièvre aphteuse en Mayenne, l'Allemagne a par exemple
appliqué à tous les départements français les
mêmes contraintes que pour le département de la Mayenne : il
a fallu que nous alertions rapidement les services centraux de ce
problème pour qu'ils le résolvent avec les autorités
allemandes.
En tant qu'industriels, nous étions concernés par l'importation
de matières premières et par la nature des traitements subis par
les denrées pour pouvoir circuler, les critères applicables
étant issus de règlements communautaires. Nous avons
rencontré un problème d'adaptation, qui a
été résolu au cas par cas avec les services
vétérinaires. En ce qui concerne la charcuterie, les textes
permettaient de faire circuler des jambons ayant subi une cuisson de 70
degrés pendant un certain temps. Or dans la pratique, de nombreux sites
avaient recours à une température légèrement
inférieure, à 68 ou 69 degrés, mais pendant un temps
beaucoup plus long. Si l'on appliquait les textes de manière stricte,
ces produits ne pouvaient plus sortir du département concerné.
Cette situation n'avait pas été prévue parce que ce type
de danger n'était pas celui sur lequel avaient été
établis les barèmes de cuisson. Les règlements
communautaires étaient par ailleurs très rigides et n'avaient
peut-être pas suivi les évolutions technologiques, comme le pense
la fédération de la charcuterie. La profession a dû changer
rapidement ses méthodes de cuisson pour pouvoir répondre à
ce texte qu'elle trouvait pourtant artificiel : on pouvait en effet penser
que le fait de diminuer légèrement la température en
laissant cuire le jambon un peu plus longtemps était équivalent
aux exigences du texte. Des solutions ont cependant dû être
trouvées au cas par cas pour tous les produits de la charcuterie.
Même si un chiffrage est difficile à réaliser, il semble
que le secteur de la charcuterie n'ait pas rencontré d'importantes
difficultés économiques, contrairement au secteur des produits
laitiers. En Mayenne, Célia a par exemple dû faire face à
la fermeture du marché algérien. Dans l'Orne, un
établissement a dû faire fondre 400.000 camemberts au lait
cru. Les bries de Meaux en Seine et Marne ont également
été affectés par la crise, même si les
opérateurs ont réussi à trouver un écoulement sur
le marché français. Globalement, le secteur des produits laitiers
attend donc davantage des pouvoirs publics en matière d'indemnisation.
Le secteur de la viande est quant à lui en train de recenser toutes les
conséquences économiques par site. 3 établissements sont
notamment concernés en Mayenne. Ce secteur a mal ressenti
l'arrêté du 3 mars 2001 prévoyant une indemnisation
pour les animaux importés. Si ma mémoire est bonne, cet
arrêté prévoit une indemnisation pour les ovins de
500 francs pour les animaux vivants et de 300 francs pour les
carcasses. Le secteur a assez mal compris qu'une distinction soit faite entre
l'animal vivant et la carcasse. Je crois qu'il va falloir plaider la cause de
ce secteur auprès des pouvoirs publics.
Globalement, c'est donc le secteur laitier qui a été le plus
touché. Le secteur charcutier a dû faire face à des
problèmes d'approvisionnement mais a réussi à
« survivre » : la fièvre aphteuse a
peut-être été vécue comme une
« mini-crise » par rapport aux crises
précédentes. Pour tous les secteurs, le problème le plus
crucial, parce qu'il n'est pas chiffrable, est relatif aux exportations qui
sont encore bloquées pour certains pays comme le Japon, la Corée
et la Russie. Il apparaît des problèmes très difficiles au
quotidien puisque les positions des pays étrangers sont très
différentes : des pays acceptent certains produits mais pas
d'autres, exigent des certificats, etc... Le secteur laitier se demande si un
système de certification au niveau européen ne devrait pas
être mis en place. Nous n'avons pas vraiment réfléchi
à ce sujet au sein de l'ANIA, mais cette piste méritera
peut-être d'être suivie dans l'avenir. Une autre conclusion commune
à tous les secteurs concerne la bonne communication avec les services
centraux qui a permis de prévoir la manière de gérer la
crise. Cela n'a pas forcément toujours été le cas avec les
DSV locales qui étaient assez débordées. Plusieurs
entreprises ont joué un rôle d'information vis-à-vis des
DSV en leur signalant par exemple qu'elles allaient recevoir une circulaire
leur permettant de libérer un produit déterminé. Cette
situation n'est pas très bien vécue par les DSV, mais il faut
passer par là pour pallier les écarts
d'interprétation d'une DSV à l'autre. Ces problèmes ont
globalement été solutionnés, grâce à
l'information qui existait au niveau des entreprises et qui provenait des
décisions prises en central. Il était possible de convaincre les
DSV de vérifier leurs informations auprès des services centraux.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Pendant cette période,
vos entreprises ont-elles continué dans le cadre de leurs relations
commerciales à importer des viandes en provenance d'Argentine ou du
Brésil ?
M. Thierry Geslain
- Il n'y a pas eu à ma connaissance
d'obstacles à ces importations.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Une note de l'Office
International des Epizooties évoque une déclaration de
fièvre aphteuse au Brésil en date du 19 janvier 2001 et une
déclaration pour l'Argentine datée du 30 mars 2001. Je n'ai
pourtant jamais entendu les médias dire que ces viandes étaient
interdites à l'importation. Avez-vous des informations à ce
sujet ?
M. Thierry Geslain
- Je préférerais que ce soit le
secteur des viandes qui s'exprime devant vous. Je n'ai pour ma part pas eu
connaissance d'un arrêt des importations, sauf pendant une courte
période pour les pays que vous avez cités. Je ne connais pas les
mesures qui ont été prises vis-à-vis de ces pays. Il est
vrai que tous les secteurs ont remarqué une prévention
extrême de la part des pays européens, et notamment la France, par
rapport à ce qui se passe dans les pays tiers. Je ne peux cependant pas
porter de jugement sur les cas particuliers du Brésil et de l'Argentine
parce que je ne dispose pas de suffisamment d'éléments
d'information.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Pourriez-vous disposer de ces
informations ?
M. Thierry Geslain
- Bien évidemment. Je peux tout à
fait me tourner vers les trois fédérations que sont la viande,
les produits laitiers et la charcuterie pour obtenir des renseignements
supplémentaires.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous comprendrez que des
informations de cette nature sont d'autant plus importantes, que la
santé humaine n'est pas concernée par cette crise.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous avez évoqué
la cuisson des jambons : quel serait le risque que pourrait faire courir
un jambon moins cuit sur la santé humaine ?
M. Thierry Geslain
- Le problème n'a jamais concerné
la santé humaine. C'était parfaitement clair au niveau des
services centraux français. Les entreprises, préoccupées
par leurs produits finis, ont rencontré des difficultés
vis-à-vis des services départementaux qui cherchaient, pour la
préservation de la santé animale, à éviter que la
maladie se dissémine. Le problème n'était pas celui de la
santé humaine mais plutôt de savoir si un jambon cuit à une
température légèrement inférieure pouvait
véhiculer le virus non inactivé. De nombreux travaux ont
été réalisés sur les barèmes à
appliquer pour éviter les risques bactériens, mais peu
d'études ont porté sur les virus. Les syndicats se sont
appuyés sur une information de l'AFSSA selon laquelle le virus pouvait
être considéré comme inactivé au dessus de 56
degrés. Les industriels qui cuisaient les jambons à 68
degrés n'ont alors pas compris qu'on exige une cuisson à 70
degrés.
Il n'existait pas de risque pour la santé humaine, ce qui explique le
fait que l'ANIA soit restée quelque peu en retrait, mais plutôt
une crainte qu'un jambon moins cuit puisse véhiculer le virus lors de
son transport en infectant non pas l'homme mais les animaux de manière
indirecte. L'épizootie de fièvre aphteuse ayant probablement
trouvé son origine dans la restauration, il ne fallait pas qu'un produit
de nos usines puisse en bout de chaîne contaminer un élevage.
Voilà le seul danger que nous avons perçu.
M. Jean-Paul Emorine
,
rapporteur
- Vous avez parlé de
certification de l'Union Européenne. Pensez-vous à une AOC, une
indication géographique protégée ou une marque de
produits ?
M. Thierry Geslain
- Il existe toujours des problèmes
administratifs pendant les crises. Pour pouvoir continuer à exporter, il
faut demander un certificat attestant que le produit a subi les traitements
recommandés. Face aux « encombrements » locaux qui
peuvent apparaître, le secteur laitier s'est demandé s'il
n'était pas possible que la Commission fournisse ces certificats
sanitaires et vétérinaires pour résoudre les
problèmes d'exportation, les barèmes étant les mêmes
dans tous les pays de l'Union Européenne. Je ne sais cependant pas si
cette solution est réalisable compte tenu de l'éloignement
géographique de la Commission et de l'absence de contrôleurs de la
Commission (contrôleurs que nous n'attendons pas
particulièrement...)
M. Gérard César
- Vous êtes Chef du Service
Scientifique et Réglementaire de l'ANIA. Quel est votre rôle par
rapport aux différentes branches qui composent l'ANIA ? Quel a
été votre rôle dans la crise ?
M. Thierry Geslain
- Mon rôle a finalement été
assez minime dans cette crise. Au sein de l'ANIA, je suis chargé des
problèmes scientifiques et techniques qui seraient communs à au
moins deux branches. Mon travail ne concerne pas directement les crises et leur
prévention mais consiste plutôt à jouer un rôle
d'interface auprès des pouvoirs publics. Il s'agit d'éviter que
15 ou 20 syndicats posent le même type de questions aux pouvoirs publics.
Dans cette crise l'ANIA a donc eu davantage un rôle d'observateur et de
vigie qu'un rôle d'acteur.
M. Gérard César
- Quel a été le
rôle de l'ANIA dans la crise en ce qui concerne la restauration
collective ? Dans la restauration collective, scolaire ou
hospitalière, remarquez-vous une reprise de la consommation, en
particulier pour les produits surgelés ?
M. Thierry Geslain
- Le secteur des produits surgelés a
effectivement été particulièrement touché. Selon
les dernières informations dont je dispose, le marché ne s'est
pas vraiment rouvert. Je crois que des précautions sont toujours prises
au niveau de la restauration scolaire, même si elles vont parfois
au-delà de ce qui serait raisonnable. Je pourrai vous transmettre des
informations plus précises sur l'évolution de la restauration de
manière générale.
M. Louis Moinard
- Les problèmes dans la restauration
collective sont-ils dus à la fièvre aphteuse ou à
l'ESB ?
M. Thierry Geslain
- Les problèmes datent de l'apparition de
l'ESB.
M. Louis Moinard
- Ont-ils été aggravés par la
fièvre aphteuse ?
M. Thierry Geslain
- A ma connaissance, ces problèmes ne
sont dus qu'à l'ESB. Mais il faudrait effectivement étudier si la
fièvre aphteuse n'a pas aggravé la situation. Cela fera partie
des réponses que je vous transmettrai ultérieurement.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous avez
évoqué votre rôle de vigie. Cela signifie que vous
travaillez en amont et que vous participez sans doute à
l'évolution des réglementations par vos préconisations.
J'imagine que vous êtes très attentifs à la bonne
application de ces textes, dans l'intérêt des industries
agroalimentaires françaises. Missionné par les industries
agroalimentaires, vous évoluez dans un monde économique.
Disposez-vous d'une cellule de suivi de la réglementation applicable
dans les pays tiers ? Pouvez-vous vérifier que les industries
agroalimentaires qui importent soumettent leurs importations aux mêmes
règles, avec la même vigilance ? Si l'on ne peut pas
commercialiser ou traiter les produits français mais que l'on importe
des animaux vaccinés que l'on traite en France, il est certain qu'il
existe un problème ! Disposez-vous d'une cellule de cette
nature ?
M. Thierry Geslain
- La veille de la réglementation et des
pratiques des pays tiers est essentiellement assurée profession par
profession. Il ne s'agit pas d'une mission de l'ANIA, excepté pour
quelques pays comme les Etats-Unis et le Japon où nous nous appuyons sur
les ambassades locales. Pour les autres pays, le suivi n'est pas
effectué par l'ANIA mais filière par filière. Il n'existe
pas d'entité globale qui assurerait une veille sur l'ensemble des
pays d'importations.
S'agissant de l'évolution des réglementations, nous effectuons un
suivi, notamment grâce à la Confédération des
Industries Agroalimentaires de l'Union Européenne, mais ce suivi n'est
pas systématique. Nous travaillons beaucoup en réseau :
lorsqu'une information parvient à un syndicat, elle est
rediffusée très rapidement aux autres organisations syndicales.
Il ne s'agit cependant pas d'un réseau réellement
formalisé, aucune personne n'étant missionnée pour
effectuer un suivi permanent.
La situation est très différente au niveau des secteurs :
celui des produits laitiers suit par exemple de très près les
évolutions réglementaires des marchés du Proche et
Moyen-Orient.
M. Philippe Arnaud
,
président
- Avez-vous le
sentiment qu'il existe une relation et une solidarité très fortes
entre les industries agroalimentaires et les producteurs ?
M. Thierry Geslain
- On ne peut parler ni de relations difficiles
ni de solidarité. Disons plutôt que chacun a traité les
problèmes à son niveau. Dans cette crise, les relations entre les
producteurs et les transformateurs n'ont pas révélé des
difficultés particulières. La première réaction des
transformateurs que je représente a été de me dire qu'il
ne faut pas que j'oublie de signaler qu'il s'agit à nouveau d'une crise
qui vient de l'élevage : ils doivent faire face à des
problèmes économiques importants mais savent qu'ils n'en seront
pas indemnisés une fois de plus. Ils ont pensé que
l'indemnisation aurait pu être partagée entre les éleveurs
et les transformateurs. Imaginez que l'on annonce aux éleveurs que leurs
troupeaux ont été abattus mais que seule une moitié leur
sera remboursée... La solidarité s'arrête là !
M. Philippe Arnaud, président
- Certaines industries
n'ont-elles pas eu l'opportunité de recourir à l'importation de
viandes à des coûts plus bas alors même que ces produits, en
provenance d'Argentine par exemple, ne bénéficiaient pas de
toutes les garanties nécessaires ?
M. Thierry Geslain
- Je dispose de peu d'informations sur les cas
argentins et brésiliens.
M. Philippe Arnaud, rapporteur
- Il existe un véritable
problème, qui n'est pas seulement économique.
M. Thierry Geslain
- S'agissant d'un éventuel
problème sanitaire, les opérateurs des filières s'appuient
avant tout sur les décisions prises par les pouvoirs publics, qui sont
davantage informés Des risques d'importation que les entreprises
elles-mêmes. Si aucune restriction n'a été
préconisée, c'est alors le cours qui joue, les problèmes
de santé publique étant du ressort des services
vétérinaires.
Je suis quelque peu gêné pour répondre à votre
question. A ma connaissance, les échanges avec l'Argentine ont
été interrompus pendant une période qui m'a semblé
assez courte. Mais je préfère ne pas me prononcer sur un sujet
que je ne maîtrise pas suffisamment.
M. Louis Moinard
- La réaction des consommateurs n'est-elle pas
due à une amplification des médias ? Dans d'autres pays, le
problème de la fièvre aphteuse pourrait en effet être
comparable voire plus important. Je pense par exemple à l'Argentine,
pays qui procède à des vaccinations et dans lequel plusieurs cas
de fièvre aphteuse ont été découverts.
M. Thierry Geslain
- Je suis embarrassé pour vous
répondre. Je me heurte à nouveau à la situation
épidémiologique de ces pays-là. Les approvisionnements
français n'ont pas connu de modifications pendant la crise, à
l'exception des animaux qui venaient des départements de la Mayenne, de
l'Orne ou de Seine-et-Marne. Les opérateurs français ne se sont
pas rabattus sur des produits importés pour compenser le manque de
produits français : c'est plutôt l'inverse qui s'est produit.
Les charcutiers, comme les abattoirs, recevant moins de produits
importés d'autres Etats membres, ont dû se rabattre sur des
approvisionnements français. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait eu des
approvisionnements auprès des pays tiers au détriment des
productions françaises. Quoi qu'il en soit, les importations en
provenance du Brésil et de l'Argentine n'ont jamais
représenté des volumes très importants, même si l'on
en parle beaucoup.
M. Philippe Arnaud, président
- Avez-vous effectué
des estimations de pertes dans vos industries ?
M. Thierry Geslain
- Le chiffrage est en cours. Pour le secteur de
la viande, l'estimation devrait être prête à la fin de la
semaine. Les 4 établissements les plus touchés dans l'Orne
et la Mayenne ne disposaient jusqu'à présent que de
données partielles. J'aurai rapidement les données du secteur
laitier, je pourrai vous les communiquer. L'entreprise Célia, qui a
été très touchée dans la Mayenne, a dû
effectuer un chiffrage.
Je reprendrai contact avec ces deux principaux secteurs pour vous fournir des
renseignements. Le secteur de la charcuterie n'aura pas à mon avis de
chiffrage à me communiquer, ce secteur n'ayant pas subi de pertes
importantes, que ce soit pour les matières premières ou les
produits finis.
Pour être plus rapide, je demanderai même au secteur laitier et au
secteur de la viande de vous transmettre directement leurs estimations.
M. Philippe Arnaud, président
- Des mesures d'indemnisation
ont-elles été prévues ou êtes-vous actuellement en
négociation ?
M. Thierry Geslain
- Les indemnisations sont encore en cours de
négociation pour le secteur laitier et le secteur de la viande. Pour les
pertes commerciales, les opérateurs savent très bien qu'ils
n'obtiendront rien des pouvoirs publics. Les discussions portent en fait sur
l'ensemble des produits consignés. Ces produits n'ont pas
forcément été détruits puisque les produits au lait
cru ont pu être fondus et incorporés dans des fromages fondus.
Cette incorporation dans des fromages fondus représente une perte qui
doit être chiffrée par les entreprises.
M. Gérard César
- Des pertes directement liées
à la production sont donc survenues. Mais les entreprises
concernées ont-elles dû recourir au chômage technique ?
M. Thierry Geslain
- Il faudra que je demande des précisions
aux différents secteurs. Je sais que l'entreprise Célia a
dû se résoudre à du chômage technique pendant
plusieurs jours.
M. Gérard César
- Qu'entendez-vous par
« plusieurs jours » ?
M. Thierry Geslain
- Il me semble que le chômage technique a
duré une semaine.
M. Gérard César
- Ce chômage technique est
dû à la crise de la fièvre aphteuse, est-ce bien cela ?
M. Thierry Geslain
- Effectivement. Il s'agit de poudre de lait
produite dans le Maine-et-Loire et conditionnée dans la Mayenne. Le
marché algérien ayant cessé ces commandes dès
l'annonce du cas mayennais, le site de l'entreprise Célia, qui
travaillait surtout pour l'Algérie, a dû arrêter son usine
pendant plusieurs jours.
M. Gérard César
- Le travail a-t-il repris dans cette
usine ?
M. Thierry Geslain
- Le travail a repris, mais je ne crois pas que
les volumes aient retrouvé leur niveau antérieur. Il est
très difficile de dire que l'on est définitivement sorti de la
crise. Nous avions cru par exemple que les exportations vers la Russie
pourraient reprendre vendredi, mais l'information a été
infirmée. Les marchés japonais et coréens nous sont
toujours fermés, comme la Chine si je ne m'abuse. Même si ces
marchés ne représentent pas des volumes très importants,
le fait qu'ils soient fermés en même temps nous pénalise
fortement.
M. Philippe Arnaud, président
- Avez-vous un avis sur la
façon dont cette affaire a été gérée, non
sur le plan sanitaire, mais au niveau médiatique ?
M. Thierry Geslain
- L'ANIA n'a pas ressenti la
nécessité de communiquer sur le fait que la fièvre
aphteuse représente un risque pour la santé animale et non
humaine. Le CIV a publié de tels communiqués dans les
médias, mais je ne pense pas que c'était nécessaire :
c'était même peut-être contre-productif. En effet, les
pouvoirs publics ont bien présenté la fièvre aphteuse
comme une épizootie, sans risque pour l'homme. A l'occasion de
micro-trottoirs, on a pu constater que la population avait très bien
compris ce message. En reparler à l'aide de publicités dans
différents quotidiens présente selon moi un risque de
confusion : il est dangereux de reparler d'un sujet alors que tout
était clair dans les esprits. Nous avons donc
préféré ne pas communiquer, les interventions publiques
ayant été efficaces.
Même si les mesures de gestion de la crise ont pu paraître
extrêmes et ont été mal vécues par les producteurs,
ce que nous comprenons, nous estimons que les pouvoirs publics ont
assuré une bonne communication auprès du public.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie et vous
invite à nous transmettre ultérieurement les informations
complémentaires que vous pourriez obtenir.
7. Audition de Bernard M artin, Président de la Fédération Nationale Ovine
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur
Martin,
je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous
souhaiterions que vous nous présentiez vos réflexions, vos
analyses, vos commentaires sur la façon dont l'épizootie de
fièvre aphteuse a été gérée. Nous voudrions
savoir si vous pensez que des améliorations pourraient être
apportées aux dispositifs mis en place, en vous projetant
éventuellement dans l'avenir. Vous pourrez bien sûr nous parler
plus particulièrement du secteur ovin, pour lequel un chantier est
semble-t-il ouvert sur la traçabilité et l'identification.
M. Bernard Martin
- Je vous remercie de m'accueillir et de
m'auditionner sur la situation générale de la fièvre
aphteuse et ses aspects annexes comme l'identification.
De manière générale, l'épizootie a
été bien gérée. Les éleveurs et les
responsables professionnels que nous sommes, avons été tenus en
permanence informés de la situation, de son évolution, des
mesures prises et des raisons de ces mesures. Cette information s'est
effectuée en étroite liaison avec nos organismes
départementaux et les services vétérinaires. Nous avons
été informés au niveau national grâce aux
réunions officielles du comité de suivi de l'épizootie,
mais aussi au travers de rencontres hebdomadaires sous l'égide du
Ministre ou de son Directeur de cabinet pour dresser un état des lieux.
Nous avons été par ailleurs de manière normale en relation
avec les services de la DGAL qui ont toujours été disponibles.
Nous avons donc pu apprécier l'efficacité du dispositif. Cela a
permis de répondre aux préoccupations de personnes qui faisaient
remarquer que l'épizootie s'est déclarée à partir
de moutons issus d'échanges communautaires. Les éleveurs ovins se
sont d'abord sentis accusés, mais les explications qui ont
été données leur ont permis de mieux gérer la
situation.
Je pense que nous devons retenir que la coordination a été
efficace, avec une bonne contribution des uns et des autres et de nombreux
échanges. La leçon que j'en tire est qu'il faut « dire
et tenir les gens informés ».
M. Gérard César
- Où en êtes-vous avec
le Ministère de l'Agriculture au sujet de l'identification des ovins ?
L'établissement d'une banque de données est-il prévu,
comme pour les bovins ? Cette banque de données sera-t-elle
fondée sur un traçabilité individuelle ou sur une
traçabilité par lot ? Enfin, des registres sanitaires
vont-ils être mis en place ?
M. Bernard Martin
- S'agissant de l'identification ovine, il
convient de rappeler que deux directives communautaires nous demandent
d'assurer un suivi sanitaire au travers d'une identification (directives 91/108
et 92/102). La directive 92/102 a été transposée
uniquement en France en 1996 ou 1997, les pouvoirs publics mais aussi la
profession ovine ayant souhaité mettre en place cette identification
pour atteindre deux objectifs :
- assurer un suivi sanitaire, par rapport au réseau
d'épidémio-surveillance mis en place pour la tremblante
(première crise d'ESB au mois de mars 1996) ;
- permettre la traçabilité et l'étiquetage de la
viande ovine dans les magasins.
Nous n'avons cependant pas réussi à obtenir que l'identification
soit mise en oeuvre dans tous les Etats membres. En France, nous disposons
désormais d'un système d'identification officiel, avec une boucle
qui est distribuée par l'EDE et qui mentionne le numéro de
l'exploitation, le numéro du département, le numéro de la
commune et les lettres FR. Nous avions la possibilité d'utiliser deux
supports pour l'identification officielle : une boucle orange ou ce que
l'on appelle un « tip-tag », c'est-à-dire une petite
boucle, qui se perd beaucoup plus facilement. L'identification a donc
été mise en place avec une gestion par les EDE de la diffusion de
ces boucles à la demande. Dans le même temps, il était
prévu que les animaux issus d'échanges intra-communautaires
disposent d'une boucle de transit, disponible à l'EDE. Cette boucle n'a
cependant pas été utilisée, ou si elle l'a
été, cela a été très rare. Les animaux
britanniques qui entrent en France portent seulement une boucle
métallique qui leur est apposée au moment de l'embarquement.
Un registre d'élevage a été mis en place
parallèlement et nous a permis de gérer la notion de
« mère à enfant ». Lorsqu'une brebis met bas,
une boucle est apposée sur l'agneau : cette opération est
mentionnée sur le registre d'élevage. Vous m'avez posé une
question relative au registre sanitaire : ce dernier est obligatoire
depuis le 1er juillet 1999. Il faut savoir que ces deux registres sont
moyennement tenus. Les faits marquants de l'exploitation sont notés,
mais les éléments concernant l'identification et les aspects
sanitaires font souvent défaut.
Le deuxième objectif que s'était fixé la FNO concernait
l'étiquetage. Nous avons réussi à obtenir dans ce domaine
un accord interprofessionnel, c'est-à-dire un accord réunissant
l'ensemble de la filière ovine. La liaison a donc été
faite entre la barquette ou la carcasse (les agneaux sont
généralement traités par carcasse avant d'être
découpés, à la différence du boeuf) et les animaux.
Les pouvoirs publics devaient élargir cet accord avec l'autorisation de
Bruxelles, mais la Commission n'a pas accepté.
Pour répondre à une autre de vos questions, notre
traçabilité ne s'effectue que par lot. Nous suivons seulement le
numéro d'exploitation. L'objectif était qu'en cas de
problème sanitaire on puisse au moins remonter à l'exploitation.
Alors que les bovins ont deux boucles, les ovins n'en disposent que d'une
seule : si elle se perd, l'identification est impossible. C'est le
reproche qui nous est fait et qui est à l'origine du projet de
décret. Mais les troupeaux d'agneaux étaient jusqu'à
présent gérés par lot. Lorsqu'un problème
survenait, on pouvait retrouver sans difficulté le numéro
d'exploitation et remonter jusqu'à la bête grâce au
numéro d'ordre figurant sur la boucle.
M. Gérard César
- A combien de têtes correspond
un lot ?
M. Bernard Martin
- Le lot correspond au troupeau dans sa
totalité, mais chaque boucle mentionne un numéro d'ordre
spécifique.
M. Gérard César
- Quel est le coût de la
boucle ?
M. Bernard Martin
- La boucle qui est utilisée le plus
fréquemment coûte 1,30 francs si elle est achetée en gros.
M. Gérard César
- Est-ce l'EDE qui fournit ces
boucles ?
M. Bernard Martin
- C'est l'EDE qui est le seul habilité
à commander des boucles aux fabricants avec le numéro
d'exploitation et le numéro d'ordre qui a été
demandé par l'éleveur.
Il convient de se rappeler que cette directive, ou ce décret, concerne
les ovins mais aussi les caprins.
On nous propose aujourd'hui de transposer la directive en recourant à un
décret. Il en résultera une obligation pour tout le monde de
respecter le texte. J'estime qu'il s'agit d'une avancée très
positive. Comme nous l'avions souhaité, il est proposé que
l'animal qui n'est pas identifié à son arrivée à
l'abattoir soit saisi : l'éleveur concerné recevra ainsi une
bonne leçon et veillera à l'identification pour les fois
suivantes. Actuellement, ni le Directeur de l'abattoir ni un service
vétérinaire ne peut en effet exiger que l'animal soit
éliminé. Il est envisagé d'apposer deux boucles sur
l'animal moins de 7 jours après la naissance, alors que le délai
était auparavant d'un mois. Les bergers de Salon-de-Provence qui font
transhumer leurs bêtes ont des agneaux qui naissent à la montagne
et qu'ils ne revoient qu'à l'automne lorsque les animaux redescendent.
Ces bergers devront désormais veiller sur leur troupeau pour attraper
les agneaux en montagne dans les 7 jours de leur naissance. Tout le monde devra
donc respecter la règle d'identification, même pour les animaux
issus d'échanges intra-communautaire, ce qui est très important
à noter. En toute bonne foi, je ne vois cependant pas ce qui va obliger
un commerçant à déclarer les animaux qu'il fait venir de
Grande-Bretagne ou de Belgique et à leur apposer une deuxième
boucle. Cela est préoccupant. Les services vétérinaires
nous expliquent que grâce à leur programme informatique ANIMO ils
pourront gérer les transferts d'animaux : j'en suis d'accord, mais
à la condition que les animaux soient déclarés...
Une banque de données nationale est envisagée pour enregistrer
les mouvements. Nous avons demandé à la DGAL si le principe de
gestion serait identique à celui des bovins. En effet, on ne gère
pas de la même façon un bovin et un ovin qui a une durée de
vie moyenne limitée à 5 ou 6 mois. La DGAL nous a répondu
qu'il ne s'agit que d'enregistrer les mouvements extérieurs, les animaux
français étant uniquement soumis à une gestion des
boucles. Ce qui est proposé correspond donc à une superposition
des données départementales plutôt qu'à une grande
banque de données nationale.
M. Gérard César
- Quel est le délai de mise en
place de cette banque de données ?
M. Bernard Martin
- Je ne peux pas vous répondre dans
l'immédiat parce qu'un autre élément entre en ligne de
compte. Vous n'êtes pas sans savoir que dans une notification parue
à la mi-février et qui concerne les ovins, l'AFSSA a
suggéré d'écarter la cervelle, la moelle
épinière et l'intestin notamment, non plus à partir de 12
mois mais à partir de 6 mois. Or le Comité
Vétérinaire permanent de la Communauté estime qu'aucun
élément nouveau n'impose d'appliquer cette mesure
supplémentaire. La France souhaite pourtant qu'elle soit mise en place
immédiatement. Je ne vous cache pas que nous sommes très
réservés quant à cette mesure. Pourquoi choisir un
âge de 6 mois au lieu de 12 mois ? Pour mettre en place une
telle mesure, il faut par ailleurs que l'identification soit fiable. Pour un
bovin de 3 ans, ce n'est en effet pas grave si l'on perd une semaine. Mais les
moutons sont traditionnellement abattus à 120 jours, c'est-à-dire
4 mois : un écart d'une semaine est donc important. Nous ne sommes
même pas certains qu'une identification à double boucle puisse
résoudre le problème. La DGAL a en plus indiqué que si
l'âge de 6 mois ne peut pas être assuré, ce sera le poids de
la carcasse qui sera pris en compte ! On n'enlèvera pas les
intestins et la moelle épinière des carcasses de moins de
14 kilogrammes, mais on retirera ces produits pour les carcasses dont le
poids est supérieur ! Cela signifie qu'une brebis britannique de
5 ans dont le poids de carcasse est inférieur à
14 kilogrammes sera favorisée par rapport à mon agneau Label
rouge de moins de 90 jours et de 17 kilogrammes de carcasse ! Il
me semble que l'objectif est complètement manqué... La DGAL veut
cependant faire passer cette mesure très rapidement, contre l'avis de
Bruxelles, et uniquement en France.
L'identification et la notification AFSSA avec application en France sont donc
prises en compte dans un décret qui doit passer devant le Conseil d'Etat
en procédure d'urgence, pour une parution à la fin du mois de
juin au plus tard. J'ai essayé de faire valoir mes arguments, mais on en
a conclu que je ne suis pas favorable à l'identification : ce n'est
pas du tout le cas. Je veux que nous allions vers l'identification, mais il
faut que ce soit tous ensemble, sans tout confondre. On met en évidence
l'effet miroir de la Communauté : j'attends de voir le jour
où les moutons anglais seront identifiés comme les miens... Nous
sommes favorables à une amélioration de l'identification, mais il
faut que tous les pays européens appliquent les mêmes
règles. Le Ministre de l'Agriculture a signalé à deux
Conseils des Ministres que des mesures européennes devront
impérativement être prises. Mais nous connaissons suffisamment nos
collègues anglais, hollandais ou espagnol : aujourd'hui, leur seule
marque est un coup de crayon bleu, un coup de crayon rouge ou un coup de crayon
noir sur les marchés... La seule attestation que l'animal a moins d'un
an, pour se conformer aux normes actuelles, résulte du Directeur de
l'abattoir ou du Directeur du marché qui appose les boucles
métalliques en vue de l'export !
Nous importons environ 60 % des 275.000 tonnes de viande ovine
consommées en France. Ce sont donc 170.000 tonnes de viande ovine qui se
répartissent de la façon suivante selon leur pays d'origine :
- Royaume-Uni : 79.000 tonnes ;
- Irlande : 39.000 tonnes ;
- Nouvelle-Zélande : 21.000 tonnes (congelées) et
16 500 tonnes de produit frais (viande conditionnée sous vide qui est en
pleine croissance sur le marché français) ;
- Espagne : 4.500 tonnes.
Notre préoccupation n'est pas de faire de la résistance mais de
signaler aux pouvoirs publics le problème des 80.000 tonnes de carcasse
qui viennent du Royaume-Uni sans que personne ne sache si l'animal avait moins
de 6 mois...
Environ 760.000 animaux vivants entrent en France. Contrairement à
certaines idées reçues, seulement 170.000 de ces animaux viennent
directement du Royaume-Uni alors que 410.000 viennent des Pays-Bas. Avez-vous
vu de nombreuses productions ovines en Hollande ? Il est clair que les
animaux passent de la Grande-Bretagne aux Pays-Bas pour pouvoir entrer plus
facilement en France ! C'est ce qui explique que les animaux ont
été difficilement retrouvés dans la crise la fièvre
aphteuse. Heureusement que c'est un veau qui a contracté la maladie en
Seine-et-Marne : les ovins peuvent en effet être porteurs de la
maladie, mais ils la développent beaucoup plus difficilement. Si la
maladie s'était abattue sur un ovin, nous n'aurions peut-être pas
su où se situait le foyer et la maladie se serait diffusée sans
difficulté...
M. Gérard César
- Les éleveurs français
ont-ils acheté des ovins anglais pour les élever ?
M. Bernard Martin
- Les éleveurs français (disons
plutôt ceux que je considère comme des éleveurs)
utilisent pour la reproduction des animaux essentiellement français ou
éventuellement des animaux anglais mais après le respect d'une
quarantaine.
En revanche, on découvre certaines pratiques à l'occasion de la
fête de l'Aïd-El-Kébir. Un animal qui a une valeur marchande
normale de 500 ou 600 francs a pu être commercialisé cette
année 1.200 francs, et même jusqu'à 1.800 francs
à Paris. Vous imaginez bien qu'à ce niveau de prix certains se
découvrent des vocations... D'autant plus que le commerce est
facile : le mouton peut être transporté dans la malle d'une
voiture et il peut être payé en cash ! Il existe des
organisations à Paris qui utilisent des circuits étrangers. Nous
sommes sollicités chaque année par le Ministère de
l'Intérieur un mois avant la fête de l'Aïd-El-Kébir,
avec les services du Ministère de l'Agriculture et les responsables
musulmans : nous rappelons sans cesse qu'il faut que les animaux passent
dans des circuits normaux, qu'ils soient abattus dans des abattoirs
agréés. C'est à chaque fois le Ministère de
l'Intérieur qui nous dit qu'il faut laisser faire et comprendre les
traditions ! Nous nous trouvons à chaque fois face à un mur.
M. Gérard César
- Ces problèmes sont-ils
spécifiques à la région parisienne ?
M. Bernard Martin
- Ils sont très connus en région
parisienne. Certains de mes collègues connaissent bien les circuits et
les bergeries qui existent à Paris. Des hangars servent de bergeries
dans plusieurs quartiers à l'occasion de la fête musulmane.
Le même phénomène existe dans le Midi, mais il
présente une moindre ampleur. Le Marocain qui a monté ma bergerie
vient chaque année pour me demander que je lui vende un mouton, ce que
j'accepte. Cette personne travaille dans une propriété viticole
du Sud. Chaque année, parce qu'il amène des gâteaux, parce
que nous avons tissé des liens, je lui fournis un mouton. Le Midi est
donc concerné, avec notamment la région
Provence-Alpes-Côte-d'Azur, mais aussi les Vosges et le Jura,
régions où habitent plusieurs familles turques.
Je ne me permettrais pas de porter un jugement sur une tradition musulmane, qui
d'ailleurs ne me pose aucun problème personnel. Le seul ennui est que du
jour au lendemain n'importe qui peut détenir des moutons. Vous pouvez
avoir des moutons dans votre garage, personne ne vous dit rien, personne ne
vous demande rien : vous pouvez vendre vos moutons, la TVA ne vous est pas
appliquée, etc... Il faut qu'il y ait eu un événement
comme l'épizootie pour que l'on prenne conscience de cet état de
fait.
M. Louis Moinard
- Les clients ne connaissent même pas la
qualité du mouton qu'ils achètent. Pour eux, le plus important
est qu'il s'agisse d'un mouton : ils ne cherchent pas plus loin...
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le
Président, quel est votre correspondant au Ministère de
l'Intérieur ?
M. Bernard Martin
- Je ne me souviens pas de son nom. Je pourrai
vous communiquer cette information ultérieurement.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous pourrez
également nous donner le nom de votre correspondant à la
Mosquée de Paris.
M. Bernard Martin
- Je vous le dirai.
M. Gérard César
- Monsieur le Président, cette
crise que nous venons de traverser aura-t-elle une incidence sur le futur, sur
la consommation française ? Voyez-vous des obstacles au
développement de cette tradition française d'élevage de
moutons ? La crise ne va-t-elle pas pénaliser ce
développement ?
M. Bernard Martin
- L'élevage du mouton est affecté
depuis longtemps par un problème de revenus. Vous avez tous soutenu
à vos différents niveaux les éleveurs pendant
l'opération des « moutons de l'espoir », lorsque
nous avons monté une bergerie dans les Jardins du Luxembourg au mois de
septembre. Vous n'êtes donc pas sans savoir qu'il existe un
problème de revenus.
Le secteur ovin est soumis à une OCM datant de 1980. Je vous rappelle
que nous étions à cette époque autosuffisants à
80 % alors que nous ne le sommes plus aujourd'hui qu'à 40 %.
Nous avons sollicité le Gouvernement pour qu'il nous soutienne dans des
actions de développement, de reconstruction, etc... Jean Glavany a
annoncé un plan au mois de février 2000. Ce plan a cependant du
mal à être mis en oeuvre parce qu'il est lié à la
mise en place des contrats de plan. Il prévoit des aides à
l'investissement, mais aussi une démarche qualité. En France, on
consomme l'équivalent d'environ 15 millions de carcasses d'agneau
alors que nous n'en abattons dans nos abattoirs que 5,5 millions. Sur ces
5,5 millions d'animaux français, 3 millions environ
proviennent de groupements de producteurs, c'est-à-dire
d'éleveurs qui se sont groupés pour les parties techniques ou de
commercialisation. Parmi ces 3 millions d'agneaux, 1,5 million
répondent aux appellations « agneaux de nos
bergers », « agneaux de qualité
bouchère », selon les actions soutenues par l'Office des
Viandes. Sur ces 1,5 million d'animaux, 500.000 bénéficient
du Label Rouge. Le plan Glavany prône le renforcement de ce genre de
démarches. Si nous y mettons les moyens, avec 40 %
d'autosuffisance, nous pouvons parfaitement parvenir à segmenter le
marché. Je reconnais que je copie ce qui est fait avec les AOC pour les
vins : j'utilise l'appellation « Pays d'Oc » en Label
Rouge.
L'image des ovins a été affectée par les diffusions
télévisées de bûchers. Je vous rappelle ce qui s'est
passé durant la semaine du Salon :
- le lundi, notification AFSSA, avec un niveau normal de prix et de
consommation ;
- le mercredi, début de baisse ;
- le jeudi, annonce de fièvre aphteuse, augmentation des prix et de
la demande d'agneaux français.
Deux ou trois semaines plus tard, la consommation a baissé de 60 %.
La seule explication est les images qui ont été diffusées.
Les démarches qualité ont toujours eu du succès :
j'ai vendu encore ce matin mes produits labellisés. Mais tout le reste
est en difficulté. Les ventes continuent, le prix est satisfaisant, mais
la consommation est insuffisante. Heureusement que nous n'avons pas les Anglais
dans les GMS... Pour faire face à cette situation, nous avons mis en
place plusieurs opérations. Nous avons ainsi lancé une
opération de réassurance avec les communications CIV. Nous allons
également mener une grande campagne d'affichage, financée par les
fonds de l'interprofession, pour réassurer la notion d'éleveur.
Pour améliorer notre image auprès de la clientèle, nous
devons rebondir sur une identification sérieuse, une
traçabilité et un étiquetage. Avec des démarches
qualité à l'appui, nous pourrons continuer à avoir de
l'espoir pour l'élevage du mouton.
Enfin, la Communauté proposera le 8 mai au collège des
commissaires une évolution de l'OCM ovine. Des discussions auront lieu
par la suite. Nous espérons que la Communauté engagera un budget
conséquent pour réussir à rebondir sur la politique ovine.
Nous pensons mettre en place dès l'été, dans chaque
département ou région, un Comité de développement
ovin qui regroupera l'ensemble de la filière. Il s'agira d'une
démarche de reconquête de l'élevage ovin, en nous appuyant
sur des démarches de qualité. Comme pour vendre des paquets de
lessive, nous devons impérativement faire du marketing. J'ai l'espoir
que l'élevage ovin rebondisse. Observons ce qui se passe dans les autres
secteurs :
- le secteur bovin est soumis à une OCM dont l'objectif est de
maîtriser la production ;
- il existe des quotas laitiers, mais je ne suis pas devin : je ne
sais pas quelles en seront les conséquences ;
- pour les céréales, on parle de plus en plus du fait que le
budget communautaire s'oriente vers une réduction des
« acquis ».
Pour les personnes qui veulent se battre, l'élevage du mouton reste donc
l'un des moyens de travailler et de vivre. Je pense que l'on peut vivre
normalement de l'élevage ovin, même si la situation est
très différente à celle qui existait il y a 40 ans. Il
faut que l'OCM et les plans d'accompagnement nationaux
réussissent : je pense que nous pourrons alors mettre en place un
plan de reconquête.
M. Philippe Arnaud
- Merci Monsieur le Président. Nous
sommes parvenus au terme de notre rencontre. Ce serait très aimable
à vous de bien vouloir nous transmettre toute documentation ou analyse
qui nous serait utile.
M. Bernard Martin
- Je vous communiquerai les chiffres de la
consommation et de l'importation des produits ovins, les principales
dispositions de la directive sur l'identification, les contacts dont nous
disposons au Ministère de l'Intérieur et à la
Mosquée.
M. Gérard César
- Vous avez parlé de votre
rôle en tant que Président de la Fédération ovine.
Avez-vous des relations avec des fédérations homologues, en
Angleterre ou en Allemagne par exemple ? Je pense que le Ministre de
l'Agriculture français doit pouvoir s'appuyer sur les professionnels
européens.
M. Bernard Martin
- J'ai omis de vous dire que pour que les
discussions sur l'OCM ovine soient réengagées, nous avons
organisé un colloque le 20 novembre à Bruxelles. Ce colloque a
été une réussite grâce à l'appui de Jean
Glavany. Pour répondre à votre question, nous avons des contacts
permanents FNOE, avec nos collègues britanniques, irlandais et
espagnols. Pour mener à bien notre colloque, nous avons pris des
contacts, en accord avec l'équipe de Jean Glavany, avec les cabinets des
Ministres européens : quatre Ministres étaient donc
présents au colloque : Jean Glavany ainsi que ses homologues
irlandais, espagnol et anglais. J'ai rencontré le Directeur de cabinet
du Ministre espagnol à Madrid quelques jours auparavant, le 30 octobre,
pour le convaincre de la nécessité d'apporter son soutien au
Ministre français.
Ce devrait être une parlementaire européenne irlandaise qui
présentera l'évolution de l'OCM.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le
Président, nous vous remercions.
8. Audition du Docteur François Moutou, Chef de l'Unité épidémiologique de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments
M. Philippe Arnaud, président
- Nous
accueillons
le Docteur Moutou, de l'AFSSA, qui devrait nous faire part de nombreux
éléments intéressants sur le problème de
l'épizootie de fièvre aphteuse, du point de vue scientifique.
Docteur François Moutou
- Je vais tout d'abord vous
présenter comment l'AFSSA suit le problème de la fièvre
aphteuse, de façon générale et dans le contexte actuel.
Auprès de la DGAL, l'AFSSA est l'organe technique et scientifique
chargé du laboratoire national de référence pour cette
maladie. Le laboratoire de Maisons-Alfort où je travaille actuellement a
été créé il y a maintenant un siècle
grâce ou à cause de la fièvre aphteuse. Cette
spécificité se remarque encore aujourd'hui, même si le
laboratoire abrite désormais le siège de l'AFSSA : nous
avons depuis toujours une certaine compétence en matière de
fièvre aphteuse. Du point de vue épidémiologique, nous
essayons de comprendre les sources de la maladie, son évolution et ses
modes de transmission : il s'agit d'être capables de mieux
réagir par rapport aux menaces que pose la maladie. Notre
compétence concerne également la virologie c'est-à-dire le
virus lui-même, la façon de l'isoler, le diagnostic direct ou
indirect, viral ou sérologique. Nous avons récemment (pour cet
épisode) travaillé en plus grande collaboration que d'habitude
avec la DGAL. Nous avons en effet été fréquemment
conviés à participer à des réunions techniques.
Nous avons élaboré un certain nombre de plans en commun. Il est
arrivé que je me rende à la demande de la DGAL dans des
départements qui faisaient face à des problèmes
particuliers pour essayer d'aider les services vétérinaires
départementaux à mieux réagir.
Voilà le contexte dans lequel nous nous situons. Nous sommes au service
du Ministère, appelés à réagir à sa demande
en fonction des circonstances. Il existe parallèlement un réseau
européen de laboratoires de référence, au niveau de
l'Union européenne mais également de l'Europe au sens
géographique. Nous avons par ce biais des contacts réguliers avec
nos collègues d'autres pays, ce qui nous permet de mieux connaître
la situation dans d'autres régions pour pouvoir mieux anticiper,
échanger des expériences et confronter des résultats.
M. Philipe Arnaud, président
- Quelle a été la
position de l'AFSSA, ou votre position personnelle, sur la façon dont le
problème a été géré en France et en
Grande-Bretagne ?
Docteur François Moutou
- Je ne parlerai qu'en mon nom, sans
engager personne d'autre. Je serai sans doute plus à l'aise pour parler
de ce qui s'est passé en France. Je ne pourrai évoquer la
Grande-Bretagne qu'en tant que témoin extérieur, sans vouloir
juger qui ou quoi que ce soit.
Je pense qu'il n'existait pas beaucoup d'autres solutions que ce qui a
été mis en place en France. Nous avons appris la situation en
Grande-Bretagne le matin du 21 février. Tous les départements ont
été informés le jour même et ont reçu pour
consigne de recenser tous les animaux en provenance de Grande-Bretagne
arrivés au cours du mois de février. Pour les animaux vivants,
les services vétérinaires départementaux devaient
prévoir des méthodes de destruction le plus rapidement possible.
Le 26 février, nous connaissions déjà le nombre d'animaux
issus de Grande-Bretagne. Dans les départements, les
vétérinaires ont vérifié que ces animaux
étaient bien présents à l'endroit où ils
étaient localisés officiellement. Il était en effet
possible que certains aient été vendus et aient encore
circulé. Nous avons remarqué que seuls des moutons étaient
concernés : seulement un cochon a circulé. Le reste
correspondait à 30.000 moutons entrés directement en France,
ou via d'autres pays de l'Union Européenne.
Je pense personnellement que les mesures qui ont été
appliquées et la manière avec laquelle elles ont
été mises en oeuvre étaient les seules qui pouvaient
être prises. Il me semble que l'abattage préventif des animaux
était la seule chose à faire pour éviter une circulation
du virus en France. Cet épisode nous a permis de confirmer que la
fièvre aphteuse est extrêmement difficile à identifier
cliniquement chez les moutons. Selon les chiffres de nos collègues de
Grande-Bretagne, seulement 5 % des moutons malades ont des signes
cliniques repérables. Il donc possible de ne pas voir en toute
honnêteté les symptômes de la fièvre aphteuse sur un
mouton qui est porteur du virus. Pour obéir à la consigne, tous
les moutons abattus ont été examinés. Personne ne
prétend avoir passé une heure par mouton, mais il est certain
qu'ils ont tous été examinés au niveau de la bouche et des
pattes. Personne, dans aucun département, n'a repéré un
mouton présentant des signes de fièvre aphteuse.
M. Gérard César
- Etes-vous vétérinaire
ou docteur en médecine ?
Docteur François Moutou
- Je suis vétérinaire.
M. Gérard César
- Cette précision est
importante. Pourriez-vous nous présenter rapidement l'historique de la
maladie ? Comment cette maladie se caractérise-t-elle ?
Présente-t-elle des risques pour l'homme ?
La fièvre aphteuse est une maladie que les éleveurs et les
vétérinaires connaissent bien. Plusieurs textes anciens y font
référence, même si l'on peut les discuter. On a de bonnes
raisons de penser que la fièvre aphteuse est apparue à
l'époque de la domestication des ruminants. Il a toujours
été difficile d'y faire face.
Il s'agit du premier virus pour lequel on a mis en évidence la notion de
« type sérologique ». Il existe en effet sept
séro-types différents de virus de la fièvre aphteuse,
sachant qu'au niveau immunitaire, un type ne peut protéger que contre
lui-même : c'est le premier exemple de virus pour lequel cette
particularité a été mise en évidence. Le virus de
la fièvre aphteuse évolue par ailleurs au cours du temps au sein
même des différents types : cette notion d'instabilité
ou de « quasi-espèce » est apparue en partie
grâce à ce virus. Les virologues ont toujours
apprécié la fièvre aphteuse pour la richesse des
études qu'elle permet.
Comme son nom français l'indique, la maladie s'exprime par de la
fièvre et des aphtes. En anglais ou en allemand, elle est appelée
« la bouche et les pieds », ce qui localise les aphtes. La
fièvre aphteuse est la plus contagieuse des maladies animales connues.
Elle se transmet en particulier par voie respiratoire. Il faut noter que les
porcs sont beaucoup plus excréteurs au niveau respiratoire que les
ruminants. L'expérience nous permet de dire que tant que seuls des
ruminants sont touchés par la maladie, la marge de
sécurité est plus importante pour agir. En Grande-Bretagne, ce
sont ainsi des porcs qui ont été à l'origine de la
diffusion du virus, alors que par la suite seuls des ruminants ont
été touchés. C'est donc par contact que la transmission du
virus d'un troupeau à un autre s'est effectuée pour l'essentiel
en Grande-Bretagne.
S'agissant des aspects médicaux, un animal en bonne santé qui
contracte le maladie récupère correctement dans un délai
de huit ou dix jours. Les jeunes animaux peuvent cependant mourir en raison de
problèmes cardiaques. Dans les conditions actuelles d'élevage, il
faut noter par ailleurs qu'un animal qui est resté huit jours sans se
nourrir, ce qui est le cas, ne récupèrera jamais son niveau
antérieur. L'élevage devant être source de produits et de
rentabilisation des investissements de l'éleveur, ces animaux ne sont
plus viables économiquement. Dans ces conditions, la seule solution est
de s'en débarrasser, d'autant plus que les animaux qui guérissent
peuvent devenir porteurs sains et être ainsi en permanence des sources de
virus.
M. Gérard César
- Vous avez peut-être lu la presse
d'aujourd'hui qui évoque le cas d'une personne en Angleterre qui serait
atteinte de fièvre aphteuse.
Docteur François Moutou
- Jusqu'à présent, les
allégations de ce type ont toutes été démenties.
M. Gérard César
- L'article dont je vous parle est paru
aujourd'hui.
M. Louis Moinard
- Lors des précédentes épizooties,
notamment celles qui se sont déclarés pendant les années
50, il était arrivé que l'on annonce qu'une personne avait
contracté la maladie.
Docteur François Moutou
- Jusqu'à ce jour, toutes ces
affirmations ont été démenties. Il ne reste à ma
connaissance que deux cas qui font l'objet de tests au laboratoire
ultérieurement démentis eux-aussi. A ce jour, aucun cas humain
n'a été recensé au Royaume-Uni. On n'a recensé pour
l'instant que 46 cas humains, dans toute l'histoire de l'humanité, que
l'on peut rapporter de façon certaine à la fièvre
aphteuse. Les derniers datent de 1966. En 1967, 2.000 foyers ont
été dénombrés en Grande-Bretagne, sans qu'aucun cas
humain n'apparaisse. Des dizaines de foyers se sont développés en
Europe depuis lors, mais personne n'a été affecté.
Le problème est que les aphtes sont banals chez l'homme. Il convient de
ne pas faire l'amalgame entre un simple aphte et la fièvre aphteuse. Le
virus doit donc être mis en évidence pour que l'on soit certain
d'être en présence d'un cas de fièvre aphteuse. Les noix ou
certains fromages peuvent provoquer des aphtes. Certains virus sont par
ailleurs à l'origine d'une maladie tout à fait comparable, mais
il s'agit de virus humains différents de celui de la fièvre
aphteuse.
Jusqu'à présent, je n'ai pas reçu confirmation pour un
seul des cas évoqués que les aphtes ou les lésions quelles
qu'elles soient, sont liées à la fièvre aphteuse. Les cas
anciens s'expliquent en général par la consommation de lait cru,
plus rare actuellement. Il faut noter par ailleurs qu'une vache en pic de
maladie ne produit plus de lait. Le risque semble donc limité.
J'estime que la fièvre aphteuse est une maladie anecdotique et
bénigne pour l'homme, même si elle reste citée dans les
manuels de zoonose.
M. Philippe Arnaud, président
- D'un point de vue scientifique de
sécurité sanitaire animale, que pensez-vous de la vaccination ou
de la non-vaccination ?
Docteur François Moutou
- La prophylaxie contre la maladie inclut
un certain nombre de paramètres, dont la vaccination : on ne peut
pas résumer la prophylaxie à la vaccination. La vaccination a
été obligatoire en France pendant 30 ans, de 1961 à 1991.
Il existait déjà auparavant un vaccin, d'efficacité
correcte, mais il n'était utilisé que sur la base du volontariat.
On procédait à des vaccinations que lorsque des risques
apparaissaient, lorsqu'une vague de fièvre aphteuse venait par exemple
de l'Est. Ce système étant assez protecteur, on arrêtait
alors de vacciner. Quelques années après, lorsque la maladie
revenait, les animaux étaient donc à nouveau sans protection
immunitaire.
La vaccination est alors devenue obligatoire, d'abord prise en charge par
l'Etat, puis par les éleveurs dans les années 70. L'Etat se
contentait d'assurer le remboursement des dégâts en cas de foyer.
L'objectif était d'atteindre l'éradication de la maladie et du
virus. Cela allait de pair avec l'abattage de tous les animaux d'un foyer, la
désinfection du foyer avant repeuplement (avec un délai d'un mois
entre la désinfection et le repeuplement) et le contrôle de tous
les mouvements d'animaux. Comme la médecine n'a pas pour but de vacciner
indéfiniment tout le monde contre tout, on a réfléchi au
bout d'un certain temps à l'adéquation entre le risque tel qu'on
le connaissait et les outils utilisés pour s'en protéger. Bien
évidemment, le contexte de cette époque, à la fin
années 80, était particulier avec la perspective du
marché unique européen. Trois Etats, l'Irlande, la Royaume-Uni et
le Danemark, ne pratiquaient pas la vaccination, contrairement aux neuf autres
membres de la Communauté. Il fallait donc résoudre ces
divergences pour le marché unique de 1993.
Il convient de noter par ailleurs qu'il arrive toujours un moment où
l'on n'a plus que les inconvénients du protocole préventif :
puisque la maladie a disparu, on est alors seulement confronté aux
incidents ou accidents qui peuvent survenir. Il existait entre 20 et 50
dossiers contentieux par an sur des accidents liés à
l'avortement, à des allergies, etc... Toutes les espèces,
même la nôtre, peuvent avoir en effet des réactions à
des produits médicamenteux ou à des vaccins. Ces réactions
peuvent parfois être extrêmement dramatiques.
Entre 1975 et 1990, une quinzaine de foyers dans l'Union Européenne ont
été clairement associés au vaccin. Certains de ces cas
étaient liés à la fuite du virus du laboratoire où
il était manipulé avant son inactivation. D'autres étaient
dus au vaccin lui-même : c'est sans doute ce qui s'est passé
en 1981 pour le dernier foyer français. On avait vacciné des
bovins dans un élevage et trois jours après les porcs du
même exploitant avaient contracté la maladie. Aucun autre facteur
de risque que le passage du vaccinateur n'a jamais été mis en
évidence.
A partir du moment où la maladie n'est pas présente mais que l'on
doit faire face aux accidents de la vaccination, il est certain que des
réflexions approfondies doivent être conduites. Il est amusant de
constater que certaines personnes qui étaient défavorables
à la vaccination dans le passé, tiennent aujourd'hui le discours
inverse ! En fonction du contexte, la situation est en effet perçue
différemment.
Le fait qu'un pays n'ait pas de cas de fièvre aphteuse tout en
n'utilisant pas de vaccin, ce qui est l'un des critères internationaux
reconnus notamment par l'OIE (Office international des épizooties),
permet par ailleurs d'avoir des échanges commerciaux beaucoup plus
importants que si le pays évite la fièvre aphteuse grâce
à un vaccin.
M. Gérard César
- Les Anglais procèdent-ils
à des vaccinations actuellement ?
Docteur François Moutou
- Non, les éleveurs anglais ont
refusé le recours à la vaccination. Les conséquences
économiques auraient été selon eux si importantes qu'ils
ont préféré assumer les mesures actuelles, avec des
abattages d'animaux.
M. Philippe Arnaud, président -
Pourrait-on envisager de
reprendre la vaccination si des progrès étaient effectués
dans les vaccins ?
Docteur François Moutou
- On commence déjà à
se poser la question. Le laboratoire privé qui produisait le vaccin en
France n'a pas réinvesti dans ce domaine puisque le marché de
l'Europe n'existait plus. Il lui faudrait aujourd'hui deux ou trois ans pour
pouvoir mettre sur le marché un produit qui permettrait par exemple de
distinguer de manière précise un animal ayant des anticorps
liés au vaccin et un animal ayant des anticorps liés à la
maladie.
Le problème est que la France est un pays exportateur. Au sein
même de l'Union Européenne, notre position n'est pas
partagée par tous. Or le pays qui exporte est forcément
dépendant du pays qui achète. Si nous souhaitons continuer
à exporter dans les domaines des productions liées aux bovins,
aux petits ruminants et aux porcs, il faut que nous prenions en compte les
conséquences de nos décisions par rapport aux acheteurs
potentiels de nos produits. Cela nous met par exemple dans une position
particulière avec l'Italie, pays avec lequel nous avons de nombreuses
relations : l'Italie nous achète 80 % de nos broutards. Le
marché italien nous étant actuellement fermé, 80 %
des exportations de bovins vivants français sont bloquées. Si
l'Italie décide de n'acheter que les animaux sans anticorps, quels que
soient les anticorps, nous serons obligés de réfléchir
avant de prendre une décision. Il faut intégrer le fait que la
France est un pays exportateur et que le client a une partie de la
réponse.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Dans le cadre de la prophylaxie,
l'incinération des animaux semble insupportable. Un article dans un
journal anglais a annoncé que la pollution engendrée par les
incinérations a peut-être été supérieure
à la pollution industrielle annuelle de toute l'Angleterre !
L'opinion publique n'est pas prête à accepter la solution de
l'incinération, même si elle peut être justifiée,
notamment par les exportations. Vous nous avez déjà
apporté une réponse en nous disant que certains laboratoires
sont peut-être prêts à fabriquer un nouveau vaccin.
Certains pays sont touchés par la fièvre aphteuse mais continuent
à exporter. L'OIE a publié récemment un document indiquant
que l'Argentine est atteinte par cette maladie. Lorsque l'on pose la question
à certains organismes professionnels, il semblerait qu'il y ait eu des
importations de viande d'Argentine et du Brésil malgré la
présence de foyers de fièvre aphteuse. Les déclarations de
fièvre aphteuse dans ces deux pays datent des mois de janvier et mars
2001. Vous nous avez parlé des échanges internationaux et de
l'intérêt de ne pas vacciner, mais il est insupportable de
constater que des pays qui ne procèdent pas à des vaccinations
mais qui sont atteints par la maladie continuent à exporter dans le
monde entier ! En tant que scientifique, pensez-vous pouvoir orienter nos
décideurs, qu'ils soient français ou européens, vers une
vaccination ?
Docteur François Moutou
- Lorsque la France a cessé les
vaccinations en 1991, un calcul intégrant un certain nombre de
paramètres, dont les conséquences économiques, a
été effectué. Il était bien évident qu'une
partie de l'économie simplement liée à l'achat du vaccin
devait être réinvestie dans la surveillance. On a donc
renforcé tout ce qui concernait la formation et l'information sur la
fièvre aphteuse. Tous les éleveurs de France ont reçu un
courrier les informant du changement de prophylaxie. Des réunions
d'information ont été organisées dans tous les cantons.
Depuis 1992, nous mettons en place deux ou trois fois par an avec nos
collègues de Maisons-Alfort à la demande de la DGAl, des stages
de formation pour les personnes des services vétérinaires afin de
remettre à jour leurs connaissances.
Lorsque nous avons commencé à réfléchir au
problème de la vaccination par rapport à l'ouverture des
frontières intra-européennes, nous n'avions pas du tout
imaginé que le Mur de Berlin allait s'effondrer en 1989. La
conséquence immédiate a été que tous les flux
commerciaux, y compris d'animaux, qui partaient d'Europe centrale vers l'URSS,
se sont aussitôt retournés vers l'Europe de l'Ouest. Ces pays de
l'Est ont vidé leur cheptel, avec des conséquences
économiques pour eux et des conséquences sanitaires pour nous,
qui ont été extrêmement discutables. Je crois que certaines
personnes ont profité du système. Il est certain que nous avions
de bonnes raisons d'être plus vigilants sur les achats : ce n'est
pas parce que les produits ne sont pas chers qu'ils sont forcément
excellents. Certaines personnes ont parfois des comportements que j'estime
irresponsables.
La vigilance que nous essayons de mettre en place concerne non seulement les
pays immédiatement voisins de la France, mais aussi tous les pays de la
planète, et surtout ceux avec lesquels nous commerçons.
S'agissant de l'Argentine, je pense qu'il faut se méfier des rumeurs,
sans pour autant fermer les yeux. Si nous commençons à être
méfiants avec tout le monde, il est certain que nos partenaires seront
également méfiants à notre égard. Il faudrait
qu'une certaine transparence et une certaine confiance puissent s'installer. Je
pense que l'Union Européenne dispose d'informations assez fiables sur
tous les pays avec lesquels nous échangeons. Ce serait dommage de ne pas
être capables d'infirmer ou de confirmer des rumeurs...
Je rappelle qu'en Europe de l'Ouest nous n'avons vacciné que les bovins.
Je pense que si le virus était arrivé en Grande-Bretagne en 1990,
par exemple, le schéma aurait été pratiquement comparable
à ce qui s'est passé en 2001. Les moutons n'étaient pas
davantage identifiés à l'époque qu'aujourd'hui. C'est un
point que nous devrons certainement améliorer. Les mouvements
étaient à peu près les mêmes et nous ne vaccinions
que les bovins. Pour avoir personnellement vacciné des bovins il y a
quelques années, je peux vous assurer que dans les exploitations,
même si on ne le dit pas toujours, tous les bovins ne pouvaient pas
vaccinés : il ne fallait pas trop
« embêter » la vache qui venait de vêler parce
que cela faisait chuter le lait, celle qui était à terme de
gestation et qui risquait d'avorter, celle qui était un peu nerveuse et
qui pouvait donner un coup de corne si on la vaccinait, etc... Ce
n'était donc pas 100 % des animaux qui étaient vaccinés.
La proportion était plutôt de 80 %, peut-être moins dans
certaines régions. Il convient de rester réaliste et de se
rappeler ce qui se faisait dans le passé. J'ai été quelque
peu surpris d'entendre les éleveurs de race camarguaise faire beaucoup
de bruit pour que l'on vaccine leur race. Lorsque mes confrères venaient
procéder à la vaccination de leurs troupeaux, je vous assure que
la démarche était relativement symbolique...
L'effet pervers de la vaccination est d'oublier les gestes de base de
prévention. On oublie le bon sens, on oublie de ne pas acheter n'importe
quoi n'importe où sous prétexte que le prix n'est pas très
élevé, on oublie de vérifier que l'animal est bien
identifié et que l'on sait d'où il vient, etc... Dans cette
affaire, deux professions sont très liées mais devraient mieux
s'organiser : je veux parler des éleveurs et des
commerçants. Si l'on ne prend pas conscience que le commerce ne peut pas
se faire sans veiller au sanitaire, il subsistera toujours des
problèmes. Le pire serait d'arriver à une situation où
l'on vaccinerait sans savoir ce qui se passe réellement chez nous. Nous
avons voulu jusqu'à présent éliminer la maladie et le
virus. Mais si l'on encourageait la vaccination sans être capable de
faire attention au commerce, on nivellerait par le bas. Je pense qu'à
terme l'élevage n'en sortirait pas gagnant.
M. Jean-Paul Emorine -
J'ai été attentif à ce que
vous avez dit sur la vaccination dans les élevages. Il se trouve que je
suis propriétaire d'un élevage. Lorsque la vaccination
était obligatoire, aucun de mes animaux n'y a échappé. Je
crois que vous nous avez présenté une caricature. De l'avis de
certains experts, à partir du moment où le matelas vaccinal
représentait entre 80 et 90 %, il existait une certaine protection.
Pendant ces 30 années, des cas de fièvre aphteuse sont survenus
en Italie ou dans d'autres pays, mais pas en France. Certains reconnaissent que
d'avoir vacciné les bovins a permis de préserver l'ensemble des
autres espèces. Le problème vient plutôt des
échanges. Je regrette beaucoup qu'on laisse circuler n'importe comment
des moutons au sein de l'Union Européenne. On ne sait même pas
où ces moutons sont abattus ! 25 ou 30 % sont abattus dans des
conditions que l'on ignore ! Cela me choque ! En tout cas, je vous
assure que dans mon département, tous les animaux, sauf peut-être
les rares bêtes qui n'avaient pas pu être rentrées, ont
été vaccinés. Votre argument ne tient pas.
Docteur François Moutou
- J'ai le souvenir de l'épizootie
de 1974 en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-d'Armor. 80 foyers se
sont déclarés peu après la vaccination annuelle. Nous
avons procédé à de nouvelles vaccinations dans plusieurs
exploitations en périphérie (vaccination périfocale en
annexe), et nous avons constaté 30 % de bovins
supplémentaires !
Il est sûr que l'on ne vaccinera jamais les moutons parce que le
coût serait trop important. Les cochons ont quant à eux une vie
économique de 6 mois : ils n'auront donc pas le temps de
bénéficier d'une immunité durable. Les bovins ne
représentent que 50 % du cheptel sensible en France. Il est
sûr que l'on n'atteindra jamais une vaccination de 100 % des bovins.
Dans les analyses que nous avons effectuées en 1990, nous avons
simplement mis en évidence le fait que sans vaccination on augmente le
risque d'un premier foyer seulement d'un facteur 2. L'avantage de la
vaccination est plutôt d'éviter l'extension d'un foyer.
Je serai très modeste par rapport à ce que nos collègues
de Grande-Bretagne ont vécu. Je ne sais pas ce qui ce serait
passé chez nous. La Grande-Bretagne a en effet cumulé trois
malchances (avec une faible probabilité qu'elles se reproduisent) :
- de la viande en provenance d'Extrême-Orient qui n'a pas
été contrôlée ou qui est entrée en
fraude ;
- des restes de cuisine (eaux grasses) donnés à des cochons
alors qu'ils n'avaient pas été traités thermiquement parce
que la machine de l'éleveur était en panne ;
- un délai de trois semaines avant que la maladie ne soit
repérée dans le foyer primaire (l'éleveur n'a jamais rien
signalé. C'est l'enquête épidémiologique qui a
permis de le repérer).
M. Philippe Arnaud, président -
Vous avez évoqué
une étude conduite en 1990. Pourriez-vous nous la transmettre ?
Docteur François Moutou
- Nous disposons d'un rapport interne que
nous pourrons vous communiquer.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Le laboratoire international de
référence est situé en Grande-Bretagne. Est-ce une preuve
d'objectivité, de viabilité, ou pouvons-nous nous interroger
à ce sujet ? On peut en effet se demander si l'apparition de la
fièvre aphteuse, sans vouloir accuser personne, serait apparue dans le
cadre d'une guerre économique.
Docteur François Moutou
- Venir en France avec un tube contenant
le virus nous semble être tellement facile que nous sommes même
étonnés que personne ne l'ait jamais fait ! Un tube en verre
peut passer n'importe quelle frontière. Il serait possible, sans menacer
la vie de la population, de désorganiser l'économie d'un pays. Je
crois qu'il s'agit d'un exemple de terrorisme biologique sans risque pour la
santé publique qui est utilisé comme modèle d'exercice
(pas en réalité !) par l'armée.
Lorsque l'on a réfléchi à la situation du laboratoire de
référence mondial, on a mis en avant le fait que la position
insulaire de la Grande-Bretagne la protégeait depuis toujours des vagues
de virus qui venaient de l'Est. Ce raisonnement était valable au
début du siècle, alors que les moyens de transport, leur rythme
et leur rapidité, étaient très différents. Lorsque
le premier pays touché par la maladie est celui qui héberge le
laboratoire mondial de référence, il est certain que cela pose un
véritable problème aux pays qui en dépendent. Nous avons
contacté plusieurs fois nos collègues de Grande-Bretagne pour
obtenir les réactifs qu'ils sont chargés de distribuer. Mais ils
étaient tellement submergés par leur propre travail quotidien
qu'un véritable problème d'approvisionnement du continent est
apparu.
Les représentants des laboratoires de référence nationaux
se sont réunis le 26 mars à Bruxelles : nous avons
remarqué que la plupart des laboratoires utilisent désormais leur
propre méthode. Il est difficile de prétendre ensuite que les
résultats sont directement comparables !
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Ne faudrait-il pas créer un
laboratoire européen de référence ? L'agriculture est
l'un des premiers éléments de la construction européenne.
Il semblerait naturel, pour éviter des approches particulières
dans chaque pays, que l'on puisse avoir une vision européenne. De
nouveaux élargissements vont survenir, avec peut-être des pays
où la fièvre aphteuse est présente. Ce que vous venez
d'évoquer ne correspond plus à de la construction
européenne puisque chacun se replie sur son analyse personnelle !
Lorsqu'il faudra définir une prophylaxie, il y aura des divergences
d'appréciation...
Docteur François Moutou
- Il est vrai que la fièvre
aphteuse, comme l'ESB, a fait apparaître des comportements
individualistes. Le paradoxe est cependant que la Grande-Bretagne, qui est
laboratoire mondial de référence, était également
dans le passé laboratoire européen de référence. Le
contrat n'a toutefois pas été reconduit en 1995, notamment en
raison de divergences avec Bruxelles et la FAO. Je pense que le contrat devrait
être signé en 2001 : l'Angleterre serait alors à
nouveau laboratoire européen de référence.
Lorsque l'on a dû décider à partir de 1993 quel pays serait
laboratoire européen de référence, il y a eu une certaine
concurrence entre les Pays-bas, la France et la Grande-Bretagne. Cela s'est
finalement soldé par un « non-lieu » : aucun
état n'a été nommé.
M. Philippe Arnaud, président -
S'agissant de la
résistance du virus, les mesures prises par le Gouvernement, notamment
les bûchers, la pasteurisation du lait, et la maturation de la viande
étaient-elles justifiées ?
Docteur François Moutou
- Le virus de la fièvre aphteuse
est réputé être résistant : il a tout de
même des limites de survie. Il est fait mention de fortes
résistances dans les cours des écoles vétérinaires,
mais il s'agit d'exceptions, qui ne correspondent pas vraiment à l'image
qu'il convient de retenir. La pasteurisation élimine le virus. La
maturation lactique de la viande après abattage, si elle faite pendant
48 heures à la réfrigération, et non à la
congélation, élimine également le virus du muscle. Il est
ensuite possible de congeler les carcasses. Il faut cependant noter que la
matière grasse et la moelle osseuse ne sont pas touchées par
cette maturation lactique qui fait descendre le pH à 6 environ.
C'est pour cela que l'Afrique Australe, par exemple le Botswana, qui exporte
beaucoup de viande vers l'Union Européenne, utilise la forme
désossée : dans ces conditions, le muscle n'est pas
dangereux, il ne peut pas transmettre le virus. La chaîne serait
bouclée si les restes de cuisine non cuits se retrouvaient dans l'auge
de cochons. On recycle des produits organiques de forte valeur nutritive, mais
le risque est que des virus puissent s'y trouver et se développer
ensuite.
Y a-t-il un lien direct avec les bûchers ? Dans le plan d'urgence
français, et européen, il était prévu que les
animaux morts soient détruits le plus rapidement possible et le plus
proprement possible. Il se trouve que pour des raisons qui n'ont rien à
voir avec notre problème, les équarrissages, qui sont la
destination habituelle des cadavres, sont complètement saturés.
Ces équarrissages n'étant pas très nombreux en France,
cela aurait pu imposer des déplacements d'animaux assez importants
à travers le pays. Ces déplacements font toujours peur. Les
Préfets ont parfois du mal à admettre que des camions même
étanches, puissent traverser leur département jusqu'à
l'équarrissage. Ce problème, qui est peut-être
psychologique, est encore plus aigu lorsqu'il faut agir très rapidement.
Une enquête hydro-géologique a été menée
à l'échelle du pays par département pour savoir où
l'on pourrait creuser et enfouir, où cela serait impossible et où
il conviendrait d'aller étudier sur place la situation. Dix ans
après cette enquête, on se rend compte que plusieurs
éléments ont évolué, notamment la perception de
l'environnement par le public et les autorités. L'enfouissement est a
priori mal perçu : les gens n'en veulent pas, pour des raisons qui
sont sans doute excellentes mais qui étaient différentes il y a
dix ans. Pour éliminer les cadavres, il ne reste donc qu'une
solution : les bûchers. J'avoue que j'ai été
étonné lorsque j'ai vu ces images de bûchers britanniques
à la télévision : je pensais qu'il s'agissait
d'images de 1967 ou 1968 !
Je n'ai aucun élément qui me permettrait de me positionner par
rapport à cette solution. Je sais que de nombreuses personnes cherchent
des arguments contre ces bûchers. Sont-ils justifiés ? Je ne
peux répondre à cette question. Je n'ai pas la possibilité
d'apprécier par exemple la pollution dont certains parlent.
Le paramètre nouveau depuis 1981 est le renforcement des médias.
Honnêtement, je n'ai pas trouvé qu'ils ont apporté une
information toujours adaptée aux circonstances.
M. Philippe Arnaud, président -
S'agissant des aspects
hygiénique et sanitaire, le fait d'enfouir des carcasses ne pose-t-il
pas des problèmes ? Existe-t-il des protocoles à ce
sujet ?
Docteur François Moutou
- Il existe en effet des protocoles.
M. Philippe Arnaud, président -
L'enfouissement des carcasses ne
présenterait-il pas certains risques ?
Docteur François Moutou
- Il existe un plan d'urgence en dix
points qui correspondent à des circulaires du Ministère.
S'agissant de l'enfouissement, les éléments suivants sont
prévus :
- la profondeur de la tranchée ;
- la façon de creuser la tranchée ;
- le volume de tranchée à prévoir par nombre
d'animaux à enfouir ;
- le volume de chaux à mettre en dessus et au-dessous avant de
recouvrir de terre ;
- la hauteur minimale de terre à mettre au-dessus de l'animal le
plus haut ;
- le devenir du terrain pendant les années qui suivent
(période sans pâturage, période sans culture,
période sans construction).
Je pourrai vous fournir ces éléments d'information. Certaines
fiches sont régulièrement mises à jour par la DGAL.
L'enfouissement se heurte à des problèmes d'ordre psychologique.
La France est un pays qui reste relativement grand, même si sa superficie
n'a rien à voir avec celle des Etats-Unis ou de la Russie : nous
disposons donc de suffisamment d'espace pour réaliser les
enfouissements. En revanche, les Pays-Bas, par exemple, sont dans une situation
difficile puisqu'ils ne peuvent ni creuser ni brûler, ne serait-ce que
parce que la population est trop importante sur tout leur territoire.
M. Philippe Arnaud, président -
Souhaitez-vous nous apporter
d'autres éléments d'information ?
Docteur François Moutou
- Je note en particulier le
décalage qui a existé entre ce qui se faisait soi-disant et ce
qui était fait en réalité. J'ai trouvé que les
éleveurs avaient été très courageux face à
cette crise, d'autant plus qu'ils venaient de traverser la période
difficile de l'ESB. Je pense que mes confrères ont également
effectué un travail efficace. Il me semble qu'il faut que nous arrivions
à parler de la vaccination de manière sereine, comme un
élément parmi d'autres. Certains disent : « On
vous avez prévenu ! C'est parce que nous avons arrêté
la vaccination que nous connaissons les difficultés
actuelles ». Je pense qu'il est malhonnête d'oser faire de
telles affirmations. Il est cependant vrai qu'il faudra surmonter un jour le
paradoxe qui existe entre le libre-échange et le sanitaire.
M. Philippe Arnaud, président -
Avez-vous des propositions
concrètes ou avez-vous ouvert des réflexions au sein de l'AFSSA
pour que soit appliquée de la même façon, avec la
même rigueur, une réglementation au niveau européen ?
Il ressort en effet des auditions que nous avons déjà
effectuées que les différences de réglementations ou les
divergences d'application de réglementations identiques posent de
sérieux problèmes.
Docteur François Moutou
- Je suis parfaitement d'accord. Pour
pouvoir lancer la discussion au niveau européen, je crois qu'il faut
déjà que nous soyons irréprochables à notre niveau.
M. Philippe Arnaud, président -
La France est déjà
le meilleur élève...
Docteur François Moutou
- Je ne sais pas. Je ne pense pas en
effet que nous soyons le plus mauvais... Mais il est difficile de dire à
nos partenaires que nous sommes les meilleurs: ce serait perçu comme de
l'arrogance. Il faut veiller à la manière avec laquelle on
présente les choses pour pouvoir être entendu. Avec les
éléments techniques et objectifs dont nous disposons, nous avons
peut-être quelques raisons de demander à la Commission que tous
les Etats membres appliquent la même réglementation. Notre
position est cependant rendue difficile par le fait que notre pays est
exportateur, à la différence de nos partenaires européens.
M. Philippe Arnaud -
Docteur, nous vous remercions d'avoir
répondu à notre invitation.
9. Audition de M. Benoît Assemat, président du Syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration (SNVIA)
M.
Philippe Arnaud, président
- M. Assemat, vous êtes
Président du Syndicat National des Vétérinaires
Inspecteurs de l'Administration. Nous vous remercions d'avoir répondu
à notre invitation. Notre mission cherche à obtenir des
éclairages sur la problématique de la fièvre aphteuse,
d'un point de vue scientifique, sanitaire et économique. Nous
souhaiterions que vous nous donniez votre sentiment sur cette épizootie,
sur la façon dont elle a été gérée et que
vous en tiriez peut-être certaines conséquences en mettant en
perspective ce qui pourrait se passer demain.
M. Benoît Assemat
- Je vous remercie Monsieur le Président.
Je vais débuter mon intervention en rappelant quel est le rôle des
vétérinaires inspecteurs au sein de l'administration. Il s'agit
d'un corps de vétérinaires de formation, qui ont de plus
reçu une formation spécifique en matière administrative et
en matière juridique pour assurer la direction et l'encadrement des
services vétérinaires français. Le Syndicat National des
Vétérinaires Inspecteurs de l'Administration (SNVIA), que je
représente, est fortement majoritaire au sein de ce corps puisqu'il
représente plus de 80 % des voix aux élections.
J'aimerais, lors de cette présentation, effectuer tout d'abord un rappel
sur l'organisation de l'administration vétérinaire face à
l'épizootie de fièvre aphteuse puis évoquer les
difficultés qui sont à surmonter dans la mise en oeuvre des
mesures de lutte et enfin étudier les évolutions des
modalités de prévention et de lutte face à la
fièvre aphteuse.
I - L'organisation de l'administration vétérinaire face à
l'épizootie
Je souhaite souligner que l'organisation de l'administration
vétérinaire bénéficie d'atouts indéniables,
mais souffre également de certaines faiblesses structurelles.
1. Les atouts de l'administration vétérinaire
a) Une administration unifiée
Le premier atout qui singularise l'organisation vétérinaire en
France est l'unification des services vétérinaires : de la
surveillance des animaux vivants dans les élevages jusqu'à la
remise des denrées d'origine animale aux consommateurs, une organisation
vétérinaire unique existe, et prend en charge, tant au niveau
central qu'au niveau déconcentré sous l'autorité des
préfets, l'ensemble du contrôle sanitaire. Il s'agit d'une
singularité française : dans de nombreux pays, il existe une
coupure entre les services s'intéressant aux animaux vivants, qui
relèvent le plus souvent du Ministère de l'Agriculture, et les
services s'occupant du contrôle sanitaire des denrées
alimentaires, qui relèvent du Ministère de la Santé.
Pour la fièvre aphteuse, le fait que les services soient unifiés
entraîne un effet direct : en période de crise, nous
bénéficions d'un « effet de masse » (même si les
effectifs sont loin d'être pléthoriques). En effet, une telle
crise exige à la fois une importante présence sur le terrain et
dans les services. Il est alors possible, en France, de faire appel aux
personnels qui travaillent dans le domaine de l'hygiène alimentaire pour
aider les services de santé animale. Cet effet de masse est un atout
indéniable de notre organisation.
b) Le maillage de l'ensemble du territoire par les vétérinaires
sanitaires
Les vétérinaires sanitaires sont des vétérinaires
praticiens, et non fonctionnaires, qui sont, sur le terrain, placés sous
l'autorité du Directeur des Services Vétérinaires pour
leurs fonctions d'épidémio-vigilance et de surveillance
sanitaire. Il existe plus de 8.000 vétérinaires qui disposent de
ce mandat, et il s'agit là aussi d'un atout très important, car
ces vétérinaires sont les vigies sanitaires de notre dispositif,
et leur action est relayée, d'un point de vue professionnel, par les
Groupements de défense sanitaire. Cette habitude de travailler ensemble
existant entre l'administration vétérinaire, les
vétérinaires praticiens et les représentants des
éleveurs dans leurs organisations sanitaires permet au dispositif
français d'être particulièrement efficace.
2. Les faiblesses structurelles de l'administration vétérinaire
Notre syndicat, le SNVIA, dénonce depuis 16 ans les faiblesses
structurelles de l'administration vétérinaire, et
considère qu'il existe un certain manque de vision concernant ce que
devraient être les services vétérinaires.
l Les ambiguïtés permanentes dans l'organisation des services
déconcentrés
Le rattachement des Directions des Services Vétérinaires (DSV)
aux Directions Départementales de l'Agriculture (DDA) est une question
sur laquelle de nombreuses commissions parlementaires, la Cour des comptes et
la Commission européenne se sont exprimées : il est
nécessaire que soit mise en place une véritable identification du
contrôle sanitaire, lequel doit être clairement
séparé du rôle d'appui économique et de
contrôle de l'économie.
2 Des effectifs très insuffisants
Il n'est plus possible, nous pouvons le dire sans excès, de demander aux
mêmes services en plus de leur mission de contrôle permanent de la
chaîne alimentaire, de gérer des crises sanitaires à
répétition : la fièvre aphteuse est ainsi venue
après deux grandes crises d'ESB. Ces crises exigent une forte
mobilisation des personnels au-delà du seul contrôle sanitaire. Le
Gouvernement a annoncé des mesures : 300 personnes, actuellement en
formation, vont rejoindre les services vétérinaires. Cet effort
devra être poursuivi et amplifié si nous souhaitons que notre pays
dispose de services vétérinaires à la hauteur de son
élevage et de sa filière alimentaire.
3. L'absence d'un échelon intermédiaire entre l'administration
centrale et les services départementaux
Nous disposons en effet d'un échelon central, la Direction
Générale de l'Alimentation qui conçoit la politique
sanitaire, et un échelon départemental qui la met en oeuvre sous
l'autorité des préfets. L'absence d'un échelon
intermédiaire fait défaut, notamment pour la gestion des crises :
il existe ainsi un défaut de pilotage de l'activité des services.
Des réflexions sont menées depuis plusieurs années en vue
de créer cet échelon intermédiaire. La crise de la
fièvre aphteuse a clairement démontré qu'il s'agissait
d'une véritable nécessité.
II - Les difficultés à surmonter dans la mise en oeuvre des
mesures de lutte
1. La difficulté croissante de faire accepter les abattages totaux
préventifs
Les éleveurs, qui connaissent pourtant depuis très longtemps
cette pratique de la prophylaxie sanitaire, sont désormais très
sensibles à leur environnement. Or l'opinion publique a fortement
dénoncé la mise en oeuvre des abattages totaux préventifs.
Ces derniers ne sont pourtant pas une nouveauté, puisque la pratique de
l'abattage total est un des principes de base de l'organisation sanitaire.
Celui-ci n'est pas forcément bien compris et bien connu, et nous devons
en tirer les conséquences. Nous devons en particulier consentir
d'importants efforts pour expliquer ce principe de la prophylaxie sanitaire en
matière vétérinaire, et expliquer à l'opinion
publique que ces principes de police sanitaire vétérinaire n'ont
bien évidemment aucun rapport avec les principes relatifs à la
médecine humaine.
2. La difficulté de mise en oeuvre des plans d'intervention
départementaux
Ces plans d'intervention existent depuis très longtemps et ont
été réactivés il y a dix ans, au moment de
l'arrêt de la vaccination de la fièvre aphteuse. Ils s'appuient
sur des services de l'Etat (la DDE, la gendarmerie, l'armée, les
services d'incendie et de secours), lesquels ont montré qu'ils
atteignaient eux aussi les limites de leurs moyens. Si une épizootie de
fièvre aphteuse se développait actuellement dans un
département, ce dernier serait certainement très vite
débordé pour la mise en oeuvre, très lourde, de ces
mesures.
Nous faisons donc la suggestion suivante : il faudrait pouvoir faire appel
au Préfet de zone, qui a lui la capacité de faire appel aux
moyens de l'Etat sur l'ensemble de la zone de défense, et dont le
rôle est justement, lorsqu'il faut faire face à des situations de
crise ou à des événements qui dépassent le cadre
d'un département, de coordonner les moyens de l'Etat. Cette suggestion
rejoint le constat que nous effectuions tout à l'heure concernant le
défaut de pilotage et de lien entre l'échelon central et
l'échelon déconcentré.
III - L'évolution des modalités de prévention et de lutte
contre la fièvre aphteuse
Depuis 1991, date d'arrêt de la vaccination préventive, le monde a
considérablement changé : les échanges entre pays, en
Europe et dans le monde, se sont considérablement accrus, et augmentent
dans la même proportion les risques d'introduction dans notre pays de
cette maladie particulièrement contagieuse.
Je crois que le débat sur la reprise de la vaccination préventive
de tous les animaux dépasse le cadre national et même
communautaire. En effet, s'il faut réévaluer les règles
sanitaires, notamment en raison des progrès de la recherche en
matière de vaccins annoncés pour les années prochaines, il
faudra tenir compte de ce contexte. Il ne faudra notamment pas oublier le
rôle de l'Office International des Epizooties, qui a son siège
à Paris et a justement pour mission de fixer ces règles
sanitaires.
En guise de conclusion, je voudrais profiter de ma présence devant vous
pour insister très fortement sur le fait suivant : les crises sanitaires
à répétition que nous traversons, et la manière
dont les services vétérinaires, et les vétérinaires
inspecteurs qui sont à leur tête (mais qui ne sont pas les seuls
à y travailler : à côté des 500
vétérinaires fonctionnaires, 3.000 agents interviennent) y font
face, doivent conduire la collectivité nationale à prendre en
compte l'impérieuse nécessité de renforcer les services
vétérinaires de notre pays. Ce renforcement doit à la fois
se situer sur le plan quantitatif (en renforçant les différents
échelons existant actuellement) et qualitatif, car il convient de doter
cette administration de l'autonomie dont elle a besoin, sous l'autorité
du Préfet, pour mettre en oeuvre le contrôle sanitaire dont
l'économie agroalimentaire et la culture alimentaire de notre pays ont
besoin. Il faut que ces crises servent à faire évoluer notre
organisation. C'est ce que nous réclamons de façon continue
depuis 16 ans.
M. Philippe Arnaud, président
- M. Assemat, nous vous remercions
pour cette intervention. Je laisse la parole à M. Emorine, qui est notre
rapporteur.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Merci Monsieur le Président.
M. Assemat nous a parlé du rôle des vétérinaires
inspecteurs et nous a dit qu'ils n'étaient pas assez nombreux pour
assurer leur mission. Toutefois, si nous ramenons leur nombre, qui est de 500,
au territoire français, nous nous rendons compte qu'ils sont cinq par
département, ce qui semble permettre un encadrement sérieux. Vous
avez de plus parlé, dans les faiblesses structurelles, de l'unification
des services sanitaires. Il s'agit d'un débat que je connais depuis fort
longtemps. Dans les départements où les relations sont bonnes
entre DDA et DSV, il n'existe pas toutefois de problèmes majeurs.
Nous sommes, après l'ESB et avec la fièvre aphteuse, dans un
contexte particulièrement tendu. Nous sentons bien que la France a
été fragilisée, en ce qui concerne la fièvre
aphteuse, par l'introduction de moutons provenant d'Angleterre. En particulier,
une fête musulmane a entraîné l'importation d'animaux qui ne
sont pas toujours abattus dans des abattoirs reconnus. Ma question est la
suivante : comment contrôlez-vous, dans le contexte européen de
libre circulation, les importations ? Comment êtes-vous intervenus dans
le cadre de cette importation massive d'animaux pendant la période de la
fête musulmane, puisqu'il semble qu'il y ait eu une faiblesse à ce
moment-là ?
M. Benoît Assemat
- En ce qui concerne l'organisation du
contrôle des mouvements d'animaux, des changements très importants
ont eu lieu depuis le 1er janvier 1993 puisque nous sommes entrés dans
le Marché unique européen. La règle générale
est la suivante : les contrôles sanitaires se réalisent au
point de départ des marchandises, et ensuite de manière
aléatoire et non-discriminatoire sur les lieux de destination des
produits.
Il existe toutefois une exception à ce principe général de
la confiance mutuelle entre Etats membres, qui s'applique notamment en
matière de mouvements d'animaux vivants. Il s'agit d'un dispositif qui
s'appuie sur un système d'échange d'informations entre tous les
Etats membres et chaque point à l'intérieur des Etats membres. Ce
système se nomme ANIMO. Lorsqu'un certificat sanitaire est établi
pour des animaux vivants (les certificats sanitaires ont été
supprimés depuis le 1er janvier 1993 pour les denrées
alimentaires mais ont été conservés pour les animaux
vivants), notamment au Royaume-Uni, les services qui établissent ce
certificat doivent également remplir un certain nombre d'informations
qui vont parvenir aux services vétérinaires de destination par un
système de réseau, avec un serveur basé en Irlande.
Concrètement, chaque jour, le Directeur des Services
Vétérinaires du département, quand il consulte sa
messagerie ANIMO, dispose de l'ensemble des messages qui lui ont
été adressés. C'est à partir de ces informations
qu'il organise des contrôles aléatoires et non-discriminatoires.
Ces contrôles ne sont systématiques que lorsque des anomalies sont
rencontrées.
En ce qui concerne les moutons, une difficulté spécifique
existe : il s'agit du défaut d'identification et de
traçabilité existant dans cette filière. Des efforts sont
faits en la matière, et nous avons d'ailleurs réussi à
retrouver bon nombre des moutons importés pour réaliser un
abattage préventif. Il reste toutefois des progrès à
accomplir en matière d'identification.
Il est évident que tout système peut avoir des failles. En
particulier, si le système ANIMO n'est pas utilisé, en raison
d'un dysfonctionnement ou d'une panne informatique, il peut exister une
période pendant laquelle des certificats sanitaires sont établis
sans que les autorités sanitaires du pays d'accueil puissent en avoir
connaissance. Toutes sortes de dysfonctionnements, telles des erreurs
d'adressage, sont bien sûr possibles.
En ce qui concerne les effectifs, j'aimerais préciser que je ne parle
pas uniquement de ceux des vétérinaires inspecteurs : ces
derniers sont environ quatre par département, puisque certains
travaillent au niveau central, et ils ont en charge l'ensemble du
contrôle sanitaire. Au-delà, et surtout, les effectifs sont avant
tout constitués par des techniciens et des agents administratifs. Le 1er
janvier 1968 a été mis en place le service d'Etat
d'hygiène alimentaire et les services vétérinaires tels
que nous les connaissons aujourd'hui.
Les parlementaires ayant voté à cette époque la loi de
modernisation du marché de la viande ont exprimé une très
grande ambition pour ce service public : il s'agissait de créer un
véritable service de contrôle de la chaîne alimentaire, de
l'animal vivant au consommateur, et ceci pour toutes les catégories
animales (et donc pour tous les types de produits : produits
carnés, produits laitiers et produits de la pêche), le
contrôle concernant tant la transformation, le transport que la
distribution. Alors que l'ambition était donc grande, les effectifs sont
restés très faibles par rapport aux autres pays d'Europe, et
surtout aucun service unifié ayant en charge toute la chaîne
alimentaire n'a été mis en place : les pouvoirs publics se
sont contenté d'organiser des contrôles dans les abattoirs et ont
donné compétence à plusieurs administrations, qui doivent
s'entendre pour bien faire fonctionner le dispositif. Or les rapports
parlementaires ainsi que celui de l'ENA ont clairement montré qu'il
était très positif de faire collaborer des services, à
condition qu'il soit possible de bien identifier leurs objectifs. Lorsqu'une
telle collaboration se fait dans la confusion et dans un total
enchevêtrement des compétences, la coopération n'est pas
efficace, même si les hommes s'entendent.
Il nous faut donc imaginer le service public sanitaire dont la France a besoin.
Nous avons trente années de retard dans cette prise de conscience :
il est nécessaire de disposer d'un contrôle sanitaire clairement
identifié. Lorsque le Ministère de l'Agriculture aura
réalisé cela, nous aurons accompli un grand pas pour moderniser
le service public.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- La seconde question que je souhaite
vous poser est relative à l'abattage. Vous nous avez dit que celui-ci
à toujours été couramment pratiqué. Il faut
toutefois signaler que les abattages consécutifs à la Brucellose
aboutissent à l'équarrissage. Or ce sont les bûchers qui
ont particulièrement choqué l'opinion publique. Ce sont des
prophylaxies, vous le voyez bien, qui ont aujourd'hui atteint leurs limites. La
question qui se pose désormais est donc la suivante : pouvons-nous
envisager de d'instaurer de nouveau, en Europe ou dans le monde, la vaccination
? Quel est votre point de vue sur la vaccination des différentes
espèces ?
M. Benoît Assemat
- Toute politique publique doit être
acceptée par l'opinion. Nous en avons parfaitement conscience. Il faut
toutefois souligner que l'alternative n'est pas entre abattage et vaccination :
les deux mesures ne s'opposent pas. La véritable alternative est celle
existante entre une vaccination préventive, et l'abattage en cas de
développement de foyers infectés d'une part, et des mesures
sanitaires strictes d'abattage. En 1970, 1974, 1979 et 1981, alors que la
vaccination était pratiquée, nous avons connu en France des
épizooties de fièvre aphteuse : les moutons et les porcs
n'étant pas vaccinés, la maladie pouvait partiellement être
introduite. De plus, les moutons et les porcs porteurs du virus pouvaient,
lorsque la vaccination des bovins était assurée, ne pas
révéler aussi vite la maladie qu'ils ne l'ont
révélée cette fois ci. Il faut de plus ajouter qu'un porc
atteint excrète 1.000 fois plus de particules virales qu'un bovin. Le
fait que des élevages de porcs soient atteints (et cela s'est produit en
Bretagne et en Normandie), justifie la mise en oeuvre de mesures d'abattages
drastiques, la vaccination venant s'ajouter comme outil de lutte
supplémentaire.
Pour nous, il n'existe aucun dogme en la matière : s'il
apparaît que l'évolution des techniques permet de faire
évoluer les mesures de prévention et de lutte, les
vétérinaires inspecteurs n'y verront bien évidemment aucun
inconvénient. Ce n'est bien sûr pas un plaisir pour les
vétérinaires de travailler dans les conditions dans lesquelles
nous avons travaillé. Il semble toutefois nécessaire d'analyser
la situation de façon raisonnable, en s'abstenant de réagir
à chaud. Les mesures prises en France depuis 10 ans ont
été d'une efficacité certaine. S'il existe des outils
nouveaux, il faudra les étudier et les utiliser. Je constate toutefois
que les professeurs des écoles vétérinaires les plus
réputés, comme Bernard Toma de l'Ecole vétérinaire
de Maisons-Alfort, ont défendu le système existant. En effet, le
passage d'une prophylaxie médicale, qui utilise des vaccins pour
maîtriser une maladie, à une prophylaxie médico-sanitaire,
qui associe la vaccination et l'abattage, puis à une prophylaxie
sanitaire, qui privilégie les mesures sanitaires pour supprimer toute
circulation du virus, est une évolution qui a été
enseignée dans les écoles vétérinaires du monde
entier. Il faut garder cela à l'esprit, tout en ajoutant que s'il existe
des outils nouveaux permettant d'utiliser un vaccin pour améliorer les
choses, il nous faudra bien évidemment les utiliser.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous avez beaucoup insisté
tout à l'heure sur la nécessité d'améliorer
l'organisation en France des services vétérinaires et sur les
intérêts résultants de l'existence d'une administration
unifiée. Vous représentez l'administration. Que pensez-vous des
réglementations nationales et des moyens mis en oeuvre sur le territoire
national et de leur articulation avec un éventuel dispositif
européen ? Quels sont vos moyens pour que nos partenaires
européens appliquent les mêmes règles que nous ? Vous
avez ainsi parlé d'ANIMO, mais en soulignant que le système
reposait sur la confiance mutuelle (avec un contrôle a priori strict au
départ et des contrôles aléatoires à
l'arrivée). Lorsque des arrivages d'animaux proviennent d'autres pays
européens, il me semble que vous êtes particulièrement
confiant. Ne faudrait-il pas accroître les contrôles existants
avant de réfléchir à toute mesure nouvelle de
prophylaxie ?
M. Benoît Assemat
-. Monsieur le Président, j'ai
parlé de confiance mutuelle car il s'agit des termes utilisés par
les Directives, lesquelles précisent qu'il revient aux Etats membres
d'organiser les contrôles.
Ceci étant, il faut tout d'abord préciser qu'il existe un Office
alimentaire et vétérinaire, qui a justement pour fonction de
contrôler et de vérifier que les autorités de
contrôle des Etats membres, qui sont des autorités
décentralisées, respectent les règles sanitaires
fixées au niveau communautaire. Il peut certes exister des
dysfonctionnements, dont la presse ne manque pas de se faire l'écho.
Ensuite, en ce qui concerne l'organisation du contrôle sanitaire en
France, une distinction très forte est faite entre les produits
provenant de pays tiers et ceux qui proviennent des échanges
intracommunautaires.
Pour les produits provenant des pays tiers, un contrôle
systématique est organisé dans les postes d'inspection
frontaliers, qui sont au nombre de 27 dans notre pays. Tous les lots de
marchandises y sont systématiquement contrôlés, sur les
plans physique et documentaire, pour veiller au strict respect des
règles sanitaires. Depuis le 1er janvier 1993, l'accent a d'ailleurs
été mis sur l'existence d'un tel contrôle pour
protéger les frontières de l'Union européenne, ce qui
n'était pas le cas auparavant.
Au sein de l'Union européenne, les échanges sont
particulièrement importants. La disparition des frontières
physiques signifie bien évidemment qu'il existe une libre circulation
des marchandises. Il se trouve qu'il existe, pour les animaux vivants, un
dispositif supplémentaire qui consiste en l'échange
d'informations entre les autorités des Etats membres. Les services, dans
les départements, organisent le contrôle sanitaire dans la limite
de leurs moyens qui, je le répète, sont insuffisants. Les
contrôles s'effectuent alors par sondages. Il serait d'ailleurs
totalement impossible de contrôler de façon systématique
tous les animaux provenant de pays de l'Union européenne : le
dispositif serait alors totalement paralysé.
En revanche, ma profonde conviction, forgée lors des difficultés
concernant l'ESB, est la suivante : vouloir prendre des mesures nationales dans
un cadre européen est une piste très difficilement praticable.
Ainsi, les mesures mises en oeuvre dès juillet 1996 dans le cadre de
l'ESB, étaient uniquement des mesures nationales. Ce n'est qu'en octobre
2000 que ces mesures ont été étendues à l'ensemble
de l'Europe. Prendre des mesures nationales dans un tel contexte ne peut donc
être qu'un pis-aller. Il est nécessaire, en matière
sanitaire, que la construction communautaire s'approfondisse en la
matière, étant précisé qu'il est nécessaire
de laisser la liberté au niveau local de s'organiser et de mettre en
oeuvre le dispositif : il ne faudrait pas décider qu'une immense
administration, à Bruxelles, gère tout dans le détail, car
cela manquerait totalement d'efficacité.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Rapporteur a tout
à l'heure insisté sur le cas des ovins. Nous savons tous qu'il
existe, à l'heure actuelle, un problème d'identification des
ovins, et il semble que nous soyons les seuls, en France, à disposer
d'un système d'identification à peu près efficace en la
matière. Si nous observons les chiffres, nous constatons que sur 760.000
ovins vivants en France, 130.000 proviennent de Grande-Bretagne et 410.000 des
Pays-Bas, alors que dans ces deux pays il n'existe pas de système
d'identification efficace. Comment cette situation est-elle gérée
?
M. Benoît Assemat
- J'aimerais tout d'abord indiquer que je ne
possède aucun élément pour dire que nous sommes les seuls,
en France, à disposer d'un système d'identification des ovins.
Ensuite, il est incontestable que le commerce triangulaire représente un
véritable problème, tant pour les moutons que pour d'autres
espèces. Nous savons en effet que, parmi les ovins de boucherie, et
peut-être les ovins d'engraissement, bénéficiant de
certificats sanitaires établis par les Pays-Bas, il est possible que des
ovins britanniques se soient glissés. D'ailleurs, la seule mention
portée sur les certificats est que ces ovins proviennent de l'Union
européenne. Il y a deux ou trois ans, des démarches avaient
été faites auprès des autorités des Pays-Bas pour
qu'il soit indiqué sur les certificats que les ovins proviennent du
Royaume-Uni. Des engagements avaient d'ailleurs été pris, mais
n'ont pas été tenus. Nous n'y pouvons pas grand-chose. Par
exemple, si nous décidons qu'il est nécessaire, pour les ovins
provenant du Royaume-Uni, de retirer le système nerveux central, il
faudra, pour que cette mesure soit efficace, l'appliquer à tous les
ovins provenant des Pays-Bas.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Nous devons parvenir à une
véritable traçabilité des produits, car cette
évolution est inéluctable. Il est donc nécessaire que la
législation européenne évolue, et exige que soit
mentionné non le pays de provenance mais le pays d'origine du produit.
Seule une telle mesure permettrait de parvenir à une véritable
confiance mutuelle.
En ce qui concerne les pays tiers, il faut remarquer que l'Argentine comme le
Brésil ont également été touchés par
l'épizootie de fièvre aphteuse. Nous n'en avons jamais entendu
parler, alors que l'OIE a déclaré que l'Argentine est
touchée depuis le 30 mars 2001 et le Brésil depuis le
19 janvier 2001. Depuis ces dates, des viandes ont pu continuer à
être importées en Europe par l'intermédiaire de pays moins
rigoureux que la France. Nous aimerions savoir ce qui s'est passé
pendant cette période.
M. Benoît Assemat
- J'imagine qu'au niveau européen,
dès que des événements d'une telle importance
apparaissent, des mesures sont immédiatement prises et
répercutées aux quinze pays et à tous les points de
contrôle. Il faudrait bien sûr le vérifier.
M. Dominique Braye
- Dès qu'un pays est touché par la
fièvre aphteuse, il a l'obligation de le déclarer dans les 24
heures à l'OIE. Son statut de pays indemne lui est alors retiré,
ce qui entraîne un embargo de fait.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Encore faut-il que le pays
lui-même sache qu'il existe chez lui un ou plusieurs cas de fièvre
aphteuse.
M. Louis Moinard
- La gestion des troupeaux est en effet très
différente en Argentine...
M. Benoît Assemat
- Il est de plus incontestable que l'OIE ne
dispose pas de pouvoirs très importants.
M. Philippe Arnaud, président
- Tout le problème se situe
à ce niveau. Nous évoquons de grands principes, tels les notions
de pays indemne et d'embargo. Pourtant, il semble se confirmer que les
importations continuent, et nous aimerions y voir clair. Pouvez-nous dire
où nous pouvons nous procurer des chiffres fiables concernant les
entrées d'animaux dans notre pays entre janvier et mars 2001.
Pouvez-vous également nous dire de quels outils les services
vétérinaires disposent pour que les éventuels embargos
décidés pour des raisons sanitaires soient effectivement
respectés ?
M. Benoît Assemat
- Le contexte est totalement différent
pour les importations provenant des pays tiers que pour celles provenant de
pays de l'Union européenne. En ce qui concerne les importations
provenant des pays tiers, des relations très étroites existent
entre les douanes et les services vétérinaires : pour un certain
nombre de produits, les douanes doivent, avant de permettre l'entrée de
ceux-ci sur le territoire, obtenir un certificat établi par les services
vétérinaires dans le poste d'inspection frontalier. Le
contrôle sanitaire est donc un préalable à toute
opération de dédouanement. Peut-être faut-il encore mieux
croiser les informations détenues par les douanes et celles
détenues par les services vétérinaires, pour éviter
toute fraude. En effet, une fraude (par exemple la falsification des
certificats vétérinaires) est toujours imaginable. Des liens
étroits existent donc, mais il faut peut-être les renforcer. Il
est également nécessaire de souligner l'existence du
problème des moyens humains : si vous allez visiter un grand centre
d'inspection frontalier comme celui de Roissy, vous verrez que des dizaines de
milliers d'opérations de contrôle doivent être
effectuées, alors que peu d'agents sont présents. Un
problème de moyens existe donc également.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Les postes d'inspection frontaliers
sont-ils placés sous l'autorité de l'Union
européenne ?
M. Benoît Assemat
- Non, cela avait été
proposé par les Etats membres et la Commission avait refusé de
piloter l'ensemble des postes d'inspection frontaliers. Ces postes sont donc
placés sous l'autorité des Etats membres. En France, ils
relèvent, au niveau administratif, de la Direction des Services
Vétérinaires du département sous l'autorité du
préfet mais, au niveau fonctionnel, directement de la Mission de
Coordination Sanitaire Internationale, c'est-à-dire de la Direction
Générale de l'Alimentation qui a des relations directes avec
chacun des 27 points.
J'aimerais rappeler que la confiance mutuelle est un principe sans lequel le
marché européen ne pourrait pas fonctionner. Il s'agit d'un
principe qui se construit : c'est en travaillant sur les éventuelles
défaillances constatées que nous instituerons peu à peu
une véritable confiance mutuelle.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous vous remercions de votre
contribution ainsi que d'avoir bien voulu répondre très
précisément à nos questions. Nous sommes
intéressés par tous les éléments statistiques ou
d'information sur le système ANIMO dont vous pourriez disposer.
M. Benoît Assemat
- Je vous les communiquerai. La Direction
Générale de l'Alimentation pourrait également vous fournir
de nombreuses informations.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous accueillons maintenant
M. René Bailly Président du Syndicat National des
Vétérinaires d'Exercice Libéral (SNVEL). Merci Monsieur
d'avoir répondu à notre invitation. Nous aimerions entendre vos
appréciations sur l'épizootie de fièvre aphteuse, sur ce
qui a fonctionné et sur ce qui n'a pas fonctionné, ainsi que sur
les enseignements à en tirer.
10. Audition de M. René Bailly, président du Syndicat national des Vétérinaires d'Exercice Libéral
M.
René Bailly
- Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de me permettre
d'être entendu par cette mission d'information du Sénat. Vous me
permettrez de m'exprimer à cette occasion à la fois en tant que
Président du Syndicat National des Vétérinaires d'Exercice
Libéral et en tant que praticien, puisque j'ai exercé ma
profession dans des régions d'élevage et que j'ai pu
connaître, en tant que praticien en clientèle rurale, l'affection
qui est toujours appelée la « cocotte ».
Je ne suis pas un spécialiste de la virologie, et je ne
m'étendrai donc pas sur les notions techniques et biologiques concernant
les sept souches virales à l'origine de la fièvre aphteuse, pas
plus que sur l'évolution clinique de cette maladie, dont les effets sont
connus depuis fort longtemps sur les espèces bovines, ovines, porcines,
caprines, domestiques et sauvages. Je m'attacherai donc uniquement aux effets
sur le cheptel de cette terrible maladie contagieuse.
I - L'arrêt de la vaccination
1. La décision
Il faut savoir que les vaccinations pratiquées de 1958 à 1991 sur
les bovins ont eu pour conséquence de faire disparaître totalement
cette maladie pour ces animaux, et par conséquence, d'empêcher sa
propagation sur tout le territoire. Pour des raisons essentiellement
économiques, la Commission des Communautés européennes a
décidé d'inciter les Etats membres a cesser cette vaccination
à compter du 1er janvier 1992. La Directive, qui s'inscrivait dans le
cadre de la Politique Agricole Commune, avait en effet pour objectif
d'améliorer les échanges internationaux vers les pays
importateurs indemnes de cette maladie. Devançant l'appel, le
Gouvernement français a pris la décision d'arrêter la
vaccination dès le 1er janvier 1991.
2. Les modifications intervenues depuis l'arrêt de la vaccination
Nous sommes passés à une politique exclusivement sanitaire
fondée sur les abattages massifs d'animaux lors d'épizooties. Or
plusieurs modifications de la situation ont eu lieu.
l Les modifications géopolitiques
L'intensification des échanges internationaux ainsi que des transits de
passagers dans le cadre de l'espace Schengen et l'augmentation des flux de
réfugiés ont rendu difficile le contrôle des maladies
animales.
l Les modifications des échanges commerciaux
L'apparition de l'ESB en Europe a empêché les exportations vers
des pays tiers, tels les Etats-Unis, alors que de telles exportations
étaient le but visé lors de la suppression de la vaccination.
l Les modifications scientifiques
Depuis la décision prise d'arrêter la vaccination, le génie
génétique s'est développé. Ce dernier permet de
développer de nouveaux vaccins dans des secteurs où il existe une
demande solvable. Ces vaccins ont la spécificité de susciter
l'apparition d'anticorps vaccinaux reconnaissables lors des examens
sérologiques.
l Les modifications sociologiques et juridiques
Le statut de l'animal a considérablement évolué, tant dans
l'opinion publique que dans les textes communautaires. D'objet, l'animal est
devenu un sujet, et un statut d'être sensible lui est désormais
conféré. De plus, les contraintes environnementales sont
désormais prises en compte par l'opinion et par les textes
communautaires et nationaux. Les zones d'enfouissement des cadavres lors des
épizooties, telles qu'elles ont été définies en
1991 par les plans départementaux « fièvre
aphteuse », n'ont pas été revues et sont donc
aujourd'hui inadaptées. L'incinération sur place, quant à
elle, pourrait dégager des émanations toxiques. Enfin, les
capacités d'équarrissage sont, en France, saturées en
raison des euthanasies de l'ESB et de la destruction des matières
à risque.
3. L'absence de toute action depuis 1991
Depuis 1991, rien n'a été fait en matière de fièvre
aphteuse. Aucune recherche sur la vaccination n'a été
effectuée, faute d'espoir de retour sur investissement pour les
industriels de la pharmacie, puisque le dogme est que la vaccination ne
reprendra jamais en Europe occidentale. Aucune actualisation de la formation
des vétérinaires praticiens en matière de fièvre
aphteuse n'a, de plus, été effectuée depuis 1991 :
les vétérinaires installés depuis cette date ne disposent
que de la formation dispensée par les écoles
vétérinaires, laquelle ne porte que sur la maladie
elle-même et non sur les modalités pratiques à observer en
cas d'épizootie. Enfin, le matériel d'intervention, qui est
contenu dans la « mallette fièvre aphteuse »,
distribuée en 1991 aux vétérinaires sanitaires, n'a pas
été renouvelé. De nombreux éléments sont
d'ailleurs périmés dans cette mallette. Les exercices d'alerte
qui devaient être régulièrement organisés aux termes
du décret du 27 décembre 1991 n'ont jamais eu lieu dans de
nombreuses régions.
En raison d'une confiance excessive, la résurgence de la fièvre
aphteuse était considérée comme improbable en Europe
occidentale et, en tout état de cause, aisée à juguler. Il
faut toutefois souligner que l'épizootie française, survenue
trois semaines après le début de l'épizootie au
Royaume-Uni, n'a eu à déplorer que deux foyer infectieux. Les
services vétérinaires centraux et départementaux ont fait
preuve d'une extrême efficacité, et les vétérinaires
sanitaires de terrain ont incontestablement rempli leur rôle. Il faut
néanmoins reconnaître que l'alerte a été
déclenchée avant même que le virus n'apparaisse sur le
territoire, et que l'espèce infectée a été
l'espèce ovine, chez laquelle la maladie est peu excrétrice de
virus et chez laquelle la maladie est plus longue à apparaître que
chez les ovins et les porcins. La vigilance et la chance ont donc
été les facteurs décisifs de l'arrêt du
développement de l'épizootie.
II - Les enseignements à tirer de l'épizootie et les mesures
qu'il conviendrait de prendre
1. Les enseignements à tirer de l'épizootie au Royaume-Uni
Une épizootie peut apparaître n'importe où en Europe
occidentale, et le Royaume-Uni présentait d'ailleurs a priori un risque
moindre en raison de son insularité. Le développement a
été très vite impossible à contrôler et n'a
pas été seulement la conséquence, contrairement à
ce qu'ont affirmé les autorités françaises, de la mauvaise
organisation britannique en matière sanitaire. La France a eu la chance
d'être mise en alerte par la naissance de la maladie au Royaume-Uni : les
élevages de porcs mal tenus qui ne sont jamais visités par les
autorités sanitaires, comme celui étant à l'origine de
l'épizootie britannique, abondent en effet également en France.
Le non-recours immédiat à la vaccination au Royaume-Uni
s'explique par la tradition britannique, les éleveurs de ce pays n'ayant
jamais vacciné leurs bêtes.
Avec 100 foyers en France, la pression eût été telle que le
Ministère de l'Agriculture aurait été obligé de
rétablir la vaccination. La place accordée à la protection
animale par les citoyens européens et le pouvoir des images
relayées par les médias condamnent sûrement les abattages
systématiques de bovins et le choix d'une politique exclusivement
sanitaire, tout comme l'irruption de la guerre dans les foyers
américains, par le biais de la télévision, avait
condamné la guerre du Vietnam. Un excellent article publié dans
Le Monde du 26 avril, et co-écrit par un vétérinaire
expert reconnu en matière de protection animale, illustre parfaitement
cette thèse.
2. Les actions à entreprendre
De nombreuses mesures doivent être prises d'urgence. Il convient tout
d'abord de réétudier l'ensemble des données dont l'analyse
conjuguée a conduit à l'arrêt de la vaccination en 1991. Il
faut ensuite reprendre d'urgence, si nécessaire à l'aide de fonds
publics, les recherches concernant la mise au point de vaccins marqués
contre la fièvre aphteuse. Il convient également de
rétablir des modalités de contrôle plus strictes des
mouvements d'animaux sensibles, en maintenant quand elles existent et en les
instaurant dans le cas contraire, les visites vétérinaires des
animaux ou des lots d'animaux introduits dans les élevages. Il faut, de
plus, revenir sur les mesures d'abandon du contrôle de l'Etat en
matière de surveillance sanitaire, au profit d'organismes à
vocation sanitaire dont la possibilité est instaurée par
l'article 5 de la loi du 4 janvier 2001. Il faut
également conforter, y compris par des mesures économiques
adaptées, le rôle assumé sous l'autorité directe de
l'Etat par des vétérinaires titulaires du mandat sanitaire en
épidémio-surveillance. Il est, de plus, nécessaire de
renégocier au niveau des organismes internationaux compétents le
statut et la capacité exportatrice des pays détenteurs d'animaux
porteurs d'anticorps marqués d'origine nécessairement vaccinale,
avant d'envisager à nouveau la possibilité d'une
éradication mondiale et définitive de la fièvre aphteuse,
car de trop nombreux foyers existent aujourd'hui dans le monde. Il convient
enfin de prendre en considération le concept de patrimoine
génétique animal français (animaux d'élite, races
à faible effectif, races en voie de disparition), qu'il convient de
protéger car il sera impossible à reconstituer.
Voici, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et
Messieurs les Sénateurs, les éléments que je voulais
exposer. Je n'avais l'ambition que de vous convaincre que les
vétérinaires praticiens resteront, sur le terrain, et à
condition que la possibilité leur en soit offerte, le premier rempart
contre développement des grandes maladies contagieuses de notre secteur,
ainsi que les protecteurs tant des animaux que des consommateurs.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur Bailly, nous vous
remercions pour cette intervention. Je laisse la parole à Monsieur le
rapporteur.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Merci Monsieur le Président.
Je remercie Monsieur Bailly de nous avoir tenu un discours différent de
tous ceux que nous avons entendus jusqu'à présent. Dans la
plupart des cas, il nous a en effet été expliqué que la
décision de 1991 était formidable, et que la situation sanitaire
française était parfaite. Or étant donné les
informations que vous nous avez communiquées, nous imaginons que si nous
avions eu à faire face à une épizootie du niveau de celle
atteinte au Royaume-Uni, la situation aurait dépassé les services
vétérinaires. En tant qu'éleveur et élu au Conseil
Général de mon département, je n'ai jamais entendu parler
d'exercice d'alerte ! Les organisations départementales auraient
bien sûr été impuissantes dans un cas de grave
épizootie.
Je voudrais que vous nous éclairiez, en tant que praticien, sur la
question suivante : devons-nous instaurer de nouveau la vaccination ?
La profession serait-elle prête dans une telle éventualité ?
M. René Bailly
-. Bien entendu. Nous l'avons d'ailleurs
réclamé dès les premières heures, en rappelant
toutefois que la vaccination en anneau a pour seul but d'éviter le
développement du virus sur tout le territoire. Lorsqu'une
épizootie est déclarée, la vaccination n'empêche pas
l'abattage. Si nous revenons dans une période de calme, la vaccination
généralisée doit être envisagée car nous
sommes en relation avec des pays infectés. Je me rendrai dans 15 jours
au Congrès de la Fédération vétérinaire
européenne à Budapest, et j'ai déjà des retours de
nos confrères anglais qui ont été sidérés
par le manque de réaction du Gouvernement anglais devant cette
épizootie, ce qui a permis au virus de se propager sur le territoire
anglais pendant trois semaines. Si 100 foyers, au lieu de deux,
s'étaient simultanément déclarés en France, cela
aurait été une catastrophe, et les éleveurs le savent.
J'ai d'ailleurs apporté avec moi une pétition des éleveurs
de la Creuse, qui réclament la vaccination. La profession
vétérinaire demande et réclame également cette
vaccination moderne. Nous pensons qu'il s'agit du seul moyen pour les
éleveurs de se prémunir contre la catastrophe que
représente un abattage massif. Je vous lis le texte de la
pétition : « Si vous estimez que les problèmes
sanitaires ne se résolvent pas uniquement par l'euthanasie des
animaux ; si vous trouvez inadmissible pour les éleveurs la
destruction de leur cheptel, leur interdisant toute solution de remplacement ;
si vous êtes choqués par la destruction d'animaux sains en vertu
du principe de précaution ; si vous trouvez anormal de ne pas utiliser
un vaccin qui est produit et stocké ; si vous pensez que l'utilisation
raisonnée de la vaccination permettrait de limiter l'épizootie de
fièvre aphteuse, nous vous remercions de signer cette pétition
».
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Au cours des auditions
précédentes, certains scientifiques nous ont affirmé que
l'une des raisons ayant motivé l'arrêt de la vaccination en 1991
était que celle-ci, telle qu'elle était pratiquée avant
cette date, ne couvrait même pas la totalité de l'espèce
bovine. Ils affirment que les praticiens ne pouvaient pas vacciner certains
animaux, et qu'une enquête réalisée démontrait que
seuls 70 % des bovins avaient été vaccinés. Ce n'est pas
mon avis car, dans mon département, je pense que les
vétérinaires s'acquittaient fort bien de leur tâche. Nous
aimerions avoir votre sentiment sur cet argument avancé par certains
scientifiques.
M. René Bailly
- Je vous ai apporté un document
établi en 1990, et contredisant cette affirmation. J'ai moi-même
pratiqué cette vaccination. Simplement, nous ne vaccinions que les
animaux âgés de plus de 6 mois. La vaccination concernait donc
beaucoup plus de 70 % des bovins.
Il me faut toutefois vous dire quelques mots sur le nombre de
vétérinaires. Il existe un problème : nos jeunes
confrères ne se destinent plus à la médecine rurale, et
une désertification des campagnes s'amorce. Il faut signaler que les
effectifs féminins sont en forte augmentation, et que nos consoeurs
préfèrent exercer en ville. Il faudra donc fixer les jeunes
générations sur le terrain et leur rendre leurs titres de
noblesse de véritables protecteurs de l'élevage.
Si nous repensons aujourd'hui la vaccination, avec l'aide de toutes les
organisations concernées, nous mobiliserons sans aucune doute 100 %
des effectifs, et nous n'aurons pas de difficulté pour vacciner les
23 millions de bovins existant en France.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Président,
vous parlez des bovins. Les ovins, les caprins et les porcins, qui sont
pourtant des vecteurs de la maladie, n'auraient en effet pas vocation à
être vaccinés. La vaccination ne trouve-t-elle pas ici sa
limite ?
M. René Bailly
- Les vaccins constituent un matelas de protection
qui évite le rebond du virus vers d'autres espèces. La seule
ombre au tableau est constituée par l'espèce porcine. En effet,
le porc est fortement excréteur de virus, avec une incubation
relativement courte. En contrepartie, un contrôle très strict est
aisé à organiser, en raison de la très importante
concentration de la production. Je pense ici tout particulièrement aux
départements bretons. Les éleveurs, les groupements de
défense sanitaires et les vétérinaires sont prêts.
D'ailleurs, en 1981, une épizootie était partie de l'Ile de Wight
et était parvenue en Bretagne. Elle a été jugulée
très rapidement, grâce à l'abattage des animaux malades et
à la vaccination d'urgence.
Au Royaume-Uni, l'épizootie est apparue chez un éleveur de porcs,
de moutons et de bovins. Cet éleveur utilisait des déchets de
cuisine. Les porcs ont été atteints et le virus a
été transmis aux moutons. Personne ne s'étant
aperçu de rien, les moutons sont ensuite partis dans tout le pays et ont
contaminé les bovins. Si une vaccination obligatoire avait eu lieu,
seuls les moutons auraient été atteints : les bovins auraient
été épargnés et l'épidémie porcine
aurait été très rapidement jugulée. Il n'est pas
question de vacciner les moutons, car cela n'en vaut économiquement pas
la peine.
Une autre question à évoquer est celle du coût de la
vaccination. Lorsqu'elle a été arrêtée, elle
coûtait 200 millions de francs pour tout le territoire, et
représentait un coût par bovin de 10,65 francs. En mars 2001,
le coût, direct et indirect, de l'épizootie de fièvre
aphteuse pour le Royaume-Uni a été évalué à
97 milliards de francs... En France, il est estimé que le
développement de la maladie dans notre pays aurait coûté
environ 200 millions par département. Le coût de la
vaccination n'est donc absolument pas un problème, et les
éleveurs sont d'ailleurs prêts à payer.
Enfin, d'un point de vue technique, les grands laboratoires sont prêts
à développer des vaccins marqués, mais ils ne le font pas
faute de marché : l'annonce d'une reprise de la vaccination
entraînerait donc de forts investissements dans la recherche et le
développement, et aboutirait très vite, comme cela a
été le cas pour d'autres maladies animales.
M. Philippe Arnaud, président
-. Monsieur le Président,
vous avez dit que la vigilance et la chance ont donc été les
facteurs décisifs dans l'arrêt du développement de
l'épizootie. Quelle a été la part de vigilance et quelle a
été la part de chance ?
M. René Bailly
- Nous avons certes une bonne connaissance des
mouvements d'animaux à travers l'Europe, mais il existe toutefois des
mouvements clandestins. Ainsi, dans le second foyer répertorié,
en Seine-et-Marne, il s'agissait d'animaux achetés et non
déclarés. Nous avons eu la chance que dix ou quinze affaires de
ce type n'aient pas eu lieu, surtout que nous étions dans la
période de l'Aïd-el-Kebir, et qu'un mouton acheté
400 francs pouvait se revendre 1.200 francs... Il faut d'ailleurs
souligner que ce n'est pas un hasard si l'épizootie s'est
développée à ce moment-là : les mouvements de
moutons étaient très nombreux, et nous avons importé des
moutons et des agneaux anglais en grande quantité. Les éleveurs
français s'en sont d'ailleurs étonnés...Le cas du morceau
de carcasse importé en Angleterre pourrait arriver en France de la
même façon. Dans ces conditions, pourquoi serions-nous
épargnés ?
M. Philippe Arnaud, président
- En dehors de la question fiscale,
sur quels fondements juridiques pourrions-nous poursuivre et condamner les
fraudeurs ? L'administration agit-elle ?
M. René Bailly
- La question du fondement juridique est une
question complexe. Une chose est claire : il est impossible de cacher
longtemps un foyer infecté. Les services vétérinaires
trouvent rapidement de tels foyers, avec l'aide de la gendarmerie. Il faut
impérativement contrôler et sanctionner les importateurs qui ne
respectent pas les règles sanitaires.
M. Philippe Arnaud, président
- En pratique, l'administration
agit-elle et des condamnations sont-elles prononcées ?
M. René Bailly
- Oui, je le pense, et c'est ce que souhaitent les
éleveurs.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous pensez donc que c'est
à l'échelon du commerce et du négoce que se situent les
défaillances ? Le contrôle sanitaire et le suivi seraient
donc déficients à ce niveau ?
M. René Bailly
-. Je vais essayer d'être quelque peu
normand dans ma réponse. Il est clair que nous disposons d'un bon
système de contrôle et de surveillance, qui s'est modernisé
et s'est adapté à l'intensification des échanges
commerciaux. Il me semble toutefois que nous nous sommes endormis sur nos
lauriers : les autorités pensaient que nous ne pouvions plus être
touchés par une épizootie de fièvre aphteuse. Le
non-renouvellement du matériel dans la mallette
« fièvre aphteuse », distribuée en 1991
à tous les vétérinaires sanitaires, démontre cet
état d'esprit : tout y est périmé... Nous avons donc eu de
la chance que l'épizootie ne se développe pas plus.
M. Philippe Arnaud, président
- Quel est le nombre de
médecins vétérinaires sous mandat sanitaire ?
M. René Bailly
- Une légère divergence concernant
ces chiffres existe entre l'administration et nous. Il existe 8 000
vétérinaires praticiens en exercice, et tous les
vétérinaires praticiens ont le mandat sanitaire. Toutefois, tous
les vétérinaires n'exercent pas en milieu rural. Dans les
départements ruraux, le nombre de vétérinaires sous mandat
sanitaire est donc compris entre 4.500 et 5.000. J'exerce pour ma part en
banlieue, et mon mandat sanitaire couvre trois départements. Le chiffre
de 4.500 à 5.000 est d'ailleurs satisfaisant. Lors de la crise, les
vétérinaires ont fait leur travail, sans être
rémunérés, ainsi que la Direction des Services
Vétérinaires et que nos collègues
vétérinaires inspecteurs. Je regrette d'avoir dû aller
demander au Ministre qu'il remercie les vétérinaires sanitaires.
Cela a finalement été fait.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Président,
nous vous remercions pour votre intervention. Nous sommes preneurs de toute
documentation. Pourrons-nous vous contacter à nouveau ?
M. René Bailly
- Je reste bien évidemment à votre
disposition, comme le sont également mes confrères
exerçant en zone rurale.
M. Philippe Arnaud, président
- Le sénateur Larcher, qui
aurait été heureux de vous rencontrer, vient de nous faire
parvenir un message : il est hélas bloqué dans les
embouteillages, et ne pourra arriver à temps. Il vous prie de l'excuser.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous recevons maintenant Bernard
Toma, professeur des maladies contagieuses à l'Ecole
vétérinaire de Maisons-Alfort. Merci Monsieur d'avoir
répondu à notre invitation. Ce que vous avez à nous dire
est d'importance pour notre mission d'information : je vous propose de
nous livrer votre analyse sur l'épizootie de fièvre aphteuse et
sur les leçons qu'il convient d'en tirer.
11. Audition de M. Bernard Toma, professeur de maladies contagieuses à l'Ecole vétérinaire d'Alfort.
M.
Bernard Toma
- Merci Monsieur le Président. Je vous remets deux
documents susceptibles de vous intéresser : le premier est un document
d'information générale sur la fièvre aphteuse et le second
s'intitule « les leçons d'une épizootie » et
est en cours de publication dans une revue professionnelle
vétérinaire.
J'aimerais, avant de commencer, vous demander sur quels points vous souhaitez
que j'axe plus particulièrement mon exposé, afin d'éviter
de vous dire des choses que vous savez déjà ou de passer à
côté d'éléments qui vous intéressent. En
particulier, vous intéressez-vous exclusivement à la situation
française ou désirez-vous que je traite également de la
situation telle qu'elle se présente à l'étranger ?
M. Philippe Arnaud, président
- Nous sommes bien
évidemment conscients, s'agissant d'une maladie extrêmement
contagieuse, qu'il ne serait pas sérieux de limiter notre
réflexion à la situation hexagonale ou européenne. Notre
mission souhaite en particulier savoir si les mesures mises en oeuvre en France
ont été efficaces (par exemple, l'abattage, les charniers et
l'enfouissement représentent-ils la seule solution, scientifiquement
parlant ?), si les mesures existantes dans d'autres pays sont
différentes ou meilleures et si la situation européenne est
cohérente. Nous aimerions également savoir quelles sont les
leçons à tirer de ce qui s'est passé et en particulier
s'il est pertinent d'envisager à nouveau le recours à la
vaccination, et quelles sont, derrière le problème sanitaire
posé, les dimensions économiques à envisager.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Ainsi, la décision
d'arrêter la vaccination a été prise au niveau
européen en 1991. La situation actuelle suscite des interrogations. Dans
le cadre actuel des échanges internationaux, que pouvons-nous faire pour
l'avenir ? Devons-nous revenir sur la décision de 1991 ou non ?
M. Bernard Toma
- Je vous remercie pour ces précisions. Je vous
parlerai donc de la situation en France, des mesures prises à l'heure
actuelle en Europe et, enfin, de la question de la vaccination.
I - La situation en France
Mon sentiment est que les mesures qui ont été appliquées
ces trois derniers mois ont été excellentes, dans la mesure
où elles ont permis de limiter considérablement l'extension de la
maladie. Grâce aux abattages préventifs, qui constituent sans
conteste la mesure la plus efficace du point de vue
épidémiologique, il a ainsi été possible
d'éviter ce qui se passe à l'heure actuelle aux Pays-Bas, et a
fortiori en Grande-Bretagne, c'est-à-dire le développement d'un
nombre non négligeable de foyers.
Le fait que nous n'ayons eu que deux foyers infectés constitue un
véritable tour de force, alors que le risque potentiel était d'en
compter plusieurs dizaines, voire davantage. En résumé et
globalement, nous pouvons donc être satisfaits des mesures prises en
France : les choses ont été vite faites et bien faites. Nous
sommes d'ailleurs allés au-delà de ce qui était
prévu par la réglementation nationale et européenne, ce
qui nous a permis d'effectuer cet abattage préventif, qui est la seule
façon de lutter de manière efficace contre les épizooties
les plus graves : il convient en effet de ne pas attendre que les foyers se
déclarent pour intervenir, et de faire en sorte, chaque fois qu'un foyer
se déclare, de déterminer quels élevages ont pu être
contaminés et d'agir avant que cette contamination ne se déclare
pour abattre les animaux dont on pense qu'ils ont été
contaminés. En agissant ainsi, on ne permet pas à la production
de virus de s'effectuer, et on bloque ainsi sa propagation. C'est ce qui a
été fait en France et est désormais effectué dans
les autres pays européens.
II - Les mesures prises à l'heure actuelle en Europe
Les mesures actuellement prises en Europe sont celles qui sont prévues
par la réglementation européenne. Cette application est plus ou
moins rapide, étant entendu que les anglo-saxons se sont aperçus
à leurs dépens que la notion de rapidité d'intervention
était capitale, alors qu'ils ont été surpris au
départ, comme l'aurait été tout pays européen, et
qu'ils ont mis un certain temps à réagir et à appliquer
les mesures nécessaires.
Dans le document que je vous ai distribué, je rappelle les délais
s'étant écoulés entre le moment où les
éleveurs ont donné l'alerte et le moment de la fin de l'abattage
lors des deux petites épizooties s'étant parallèlement
déclarées en 1981 en France (c'est-à-dire dans un pays qui
vaccinait) et au Danemark (c'est-à-dire dans un pays qui ne vaccinait
pas).
Au Danemark, ce délai a été de 1,25 jours.
En France, le délai a été de 3,5 jours. Fort heureusement,
à l'époque, la vaccination était obligatoire pour tous les
bovins de plus de 6 mois, ce qui a rendu moins grave ce long délai de
réaction, qui aurait été dramatique au Danemark comme dans
tous pays où les bêtes ne sont pas immunisées.
Depuis cette date, des travaux ont démontré que la
rapidité d'intervention est une donnée capitale : tout
retard est un facteur considérable d'augmentation du nombre de foyers
infectés qui peuvent apparaître. Il s'agit d'un des facteurs qui a
été mal maîtrisé au départ au Royaume-Uni et
qui est aujourd'hui en train d'être réglé, grâce aux
efforts effectués par les Anglais pour abattre les animaux le plus
tôt possible après la constatation de leur infection.
Actuellement, le nombre de cas de foyers de fièvre aphteuse apparus
quotidiennement est en baisse : le pire est derrière nous au
Royaume-Uni, sans que le moindre recours à la vaccination n'ait eu lieu,
malgré le nombre de foyers infectés (il en existe aujourd'hui 1
540).
M. Philippe Arnaud, président
- Pouvons-nous dire que le risque
est désormais écarté ?
M. Bernard Toma
- Nous pouvons dire, pour cette épizootie, que
l'évolution de la situation depuis la fin du mois de mars
démontre que l'épizootie est désormais
maîtrisée, et que le pic est passé grâce à
l'ensemble des mesures prises. Il faut rappeler que ces mesures ont
été particulièrement drastiques : 2,5 millions
d'animaux ont été abattus, ce qui représente 5 % du
cheptel anglais, ce qui est considérable, surtout qu'il reste de
nombreux animaux à abattre, en particulier dans le cadre
d'opérations de « bien-être »,
c'est-à-dire destinés à empêcher certains animaux de
souffrir.
La situation est donc maintenant en cours de contrôle et de
maîtrise. Il faudra encore attendre plusieurs semaines, voire plusieurs
mois, avant de constater la disparition du dernier foyer. Les mesures
appliquées à l'heure actuelle sont incontestablement beaucoup
plus efficaces que celles qui avaient été appliquées il y
a un mois et demi.
III - La vaccination
Les Anglais n'ont pas recours à la vaccination, bien qu'ils aient obtenu
l'autorisation de la Commission européenne de le faire. Les Pays-Bas,
eux, recourent à la vaccination en anneaux.
1. Le virus de la fièvre aphteuse et les vaccins existants
a) Les facteurs de complication
Il faut tout d'abord souligner qu'il existe sept types antigéniques
différents (O, A, C, Asia I, etc.), et que chacun des types ne
protège absolument pas contre les autres. Cela signifie que pour qu'un
animal soit protégé contre la fièvre aphteuse, il ne
suffit pas qu'il soit vacciné contre l'un de ces types, mais contre
l'ensemble des types qui peuvent survenir dans un pays. A l'heure actuelle, en
Europe de l'Ouest, c'est le type O qui est présent, mais cela aurait
très bien pu être un autre type. Il est d'ailleurs impossible de
prévoir lequel des sept types débarquera dans une région
géographique soit par l'intermédiaire d'un animal, soit par
l'intermédiaire d'un produit alimentaire introduit par un voyageur. Cela
complique très fortement les aspects de la vaccination : si on souhaite
mettre en place une protection préventive, il faudrait pouvoir
protéger les animaux contre plusieurs types. La situation est encore
compliquée par le fait qu'il existe plusieurs sous-types à
l'intérieur de chaque type. Cela signifie qu'il existe, au sein d'un
même type, des différences qui peuvent rendre la protection
inefficace...
M. Gérard César
- Quelle est la couverture des vaccins ?
M. Bernard Toma
- La couverture est nulle d'un type à l'autre. En
revanche, elle est comprise entre 30 et 70 % entre les sous-types, au sein d'un
type déterminé. Cela signifie qu'il ne s'agit que d'une
couverture partielle, ce qui explique l'importance d'avoir, dans le vaccin, une
souche du type de la souche qui circule sur le terrain, et une souche qui soit
la plus proche possible.
Une autre complication existe : le virus de la fièvre aphteuse
connaît une évolution antigénique permanente. Il
possède donc la particularité de se modifier au cours du temps.
Il faut donc s'adapter : il est impossible de conserver le même
vaccin, à la différence de maladies comme la rage, où il
existe une unicité et une stabilité antigénique. Cette
propriété du virus de la fièvre aphteuse complique
singulièrement les choses.
M. Gérard César
- Quelles solutions adoptent les pays qui
vaccinent ?
M. Bernard Toma
- Ces pays qui vaccinent préventivement le font,
comme nous le faisions en France avant 1991, avec un vaccin constitué
des souches probablement dangereuses (en France, il s'agissait des trois
souches universelles O, A et C). Il s'agit d'une combinaison plurivalente et
adaptée au cours du temps, en fonction des souches circulant sur leur
territoire.
b) Les différents vaccins qui existent dans le monde
Les différents vaccins qui existent dans le monde sont tous des vaccins
à virus inactivé, auquel est ajouté un adjuvant
d'immunité, qui varie selon les animaux à vacciner. Il n'existe
pas, pour l'instant, de vaccin
« délété », c'est-à-dire de
vaccin dont les caractéristiques sont telles qu'il permet de bien
distinguer un animal vacciné ne portant pas le virus sauvage d'un animal
vacciné puis infecté. C'est un point important : de tels vaccins
ont été développés pour d'autres maladies animales,
mais n'existent pas pour l'instant pour la fièvre aphteuse. Il s'agit
d'un handicap majeur, sur lequel nous reviendrons, pour la vaccination.
c) Les résultats de la vaccination
L'immunité résultant de la vaccination s'installe, donc devient
réellement efficace, en une quinzaine de jours (même si elle
commence souvent plus tôt). Cette immunité dure de 6 à 9
mois après la première injection, puis environ un an, ce qui
signifie qu'elle nécessite une injection annuelle pour les
espèces qui vivent plusieurs années.
La vaccination, lorsque le vaccin correspond bien sûr à la souche
qui existe sur le terrain, fournit une excellente protection clinique (les
animaux ne tombent pas malades s'ils entrent en contact avec le virus sauvage)
mais n'empêche pas, comme pour beaucoup de maladies virales, l'infection
de l'animal, c'est-à-dire le fait que l'animal puisse multiplier les
virus sur certaines de ses muqueuses, puisse l'excréter pendant quelques
semaines ou quelques mois, et puisse donc être un porteur sain,
vacciné, qui n'est pas malade mais est tout de même dangereux pour
les animaux non vaccinés. Il s'agit du problème central : les
animaux vaccinés sont protégés (ils ne tomberont pas
malades), mais ils peuvent multiplier et excréter le virus sauvage, et
demeurent donc dangereux sur le plan de la transmission du virus.
Comme nous ne disposons pas d'un vaccin
« délété », les animaux sont
marqués sérologiquement : à l'heure actuelle, il est
impossible de distinguer des animaux vaccinés et sains
(c'est-à-dire non infectés) d'animaux non vaccinés et
porteurs du virus sauvage. C'est le problème fondamental soulevé
par la vaccination : celle-ci apporte une garantie clinique, mais pas de
garantie vis-à-vis de la possibilité de transmission du virus par
des animaux vaccinés.
En résumé, nous pouvons tracer un bilan avantages /
inconvénients de la vaccination.
- Les avantages de la vaccination
L'avantage majeur de la vaccination est de conférer une protection
clinique aux animaux qui les empêche de tomber malades et réduit
les pertes dues à l'abattage ainsi que la transmission du virus (un
animal vacciné et infecté excrète moins de virus qu'un
animal non-vacciné).
- Les inconvénients de la vaccination
Tout d'abord, la vaccination et son administration ont évidemment un
coût. Ensuite, les animaux sont marqués sérologiquement.
Enfin, ce marquage empêche les exportations. Il s'agit évidemment
de l'inconvénient le plus important d'un point de vue économique
et financier. C'est cet inconvénient qui a justifié la
décision de l'Union européenne de 1991.
2. Les quatre stratégies possibles de vaccination
La vaccination peut être l'objet de quatre types de stratégies.
a) La vaccination peut être interdite
Il est logique que la vaccination soit interdite dans les pays indemnes,
surtout s'ils le sont depuis longtemps. C'est le cas du Japon, des Etats-Unis
et du Canada. Cette stratégie implique que soit mise en oeuvre,
parallèlement à cette interdiction, une application scrupuleuse
de mesures sanitaires, c'est-à-dire de précautions consistant
d'une part à interdire l'importation d'animaux ou de produits d'origine
animale provenant de pays infectés (ou de pays considérés
comme tels parce qu'ils pratiquent la vaccination) et d'autre part à
mettre en place un système d'épidémio-vigilance,
c'est-à-dire de surveillance, de façon à détecter
la moindre alerte.
b) La vaccination peut être libre et facultative
Certains proposent qu'une certaine latitude existe pour permettre aux
éleveurs qui souhaitent vacciner de le faire et à ceux qui ne le
souhaitent pas de s'abstenir. Il s'agit à l'évidence de la pire
solution envisageable : elle ne permet pas une protection suffisante du pays
qui applique cette stratégie, mais elle entraîne tout de
même le classement de ce dernier parmi les pays infectés, et
empêche donc ses exportations. Il est par conséquent impossible de
choisir cette stratégie.
c) La vaccination peut être systématique et obligatoire
La vaccination obligatoire est la stratégie actuellement
recommandée par un certain nombre de personnes ou de structures, sans
préciser un certain nombre de points. En effet, plusieurs questions se
posent.
- quelle(s) espèce(s) faudrait-il vacciner ?
Faudrait-il limiter, comme jusqu'en 1991 en France, la vaccination aux
bovins ? Si tel était le cas, cette stratégie serait peu
efficace. Ainsi, si une telle stratégie avait été
appliquée en Grande-Bretagne, la situation aurait été
quasiment la même qu'aujourd'hui : le premier foyer a en effet
concerné des porcs et le deuxième des moutons... Faut-il alors
envisager la vaccination obligatoire de toutes les espèces sensibles
(bovins, ovins, caprins et porcins) ? Cela concernerait donc, pour
l'Europe, plus de 300 millions d'animaux, ce qui aurait un coût
considérable...
- contre quel(s) type(s) de virus faudrait-il vacciner ?
Devrait-on uniquement vacciner contre le type O, qui est actuellement
présent ? Mais alors, dans six mois ou dans deux ans, un virus de
type A ou Asia I peut apparaître... Faut-il vacciner contre tous les
types ou contre une majorité d'entre eux ? Le coût de la
campagne de vaccination et ses implications dépendent de la
réponse à cette question...
- pendant combien de temps faut-il vacciner ?
Faut-il décider d'une vaccination pendant deux ou trois années,
puisque nous avons connu une alerte, ou faut-il opter pour une vaccination
permanente ? Dans ce dernier cas, le coût est important et, surtout, les
exportations vers les pays indemnes sont alors bloquées...
En conclusion, cette stratégie de vaccination obligatoire paraît
très difficilement concevable. Des réflexions vont se
dérouler sur ce thème en France et au sein l'Union
européenne, mais il me paraît très peu probable que les
autorités finissent par choisir cette stratégie.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Professeur, vous avez
fort bien expliqué que la vaccination fournit une protection clinique
mais n'empêche pas la maladie d'être portée par un animal
sain. Iriez-vous jusqu'à dire que la vaccination pourrait être un
facteur de développement de la maladie ?
M. Bernard Toma
- Bien sûr. Des statistiques ont été
publiées sur ce point. Ainsi, en vingt ans, sur une trentaine de foyers
primaires apparus, un tiers ont apparemment été
déclenchés soit par des vaccins mal inactivés
(c'est-à-dire des vaccins qui contenaient encore du virus vivant) soit
par des fuites de virus à partir de laboratoires ou d'instituts
travaillant sur les milliards de particules virales nécessaires à
la fabrication de millions de vaccins.
M. Philippe Arnaud, président
- Les cas que vous citez
relèvent d'accidents. Ma question portait plutôt sur l'usage
normal du vaccin : celui-ci peut-il être facteur du développement
de la maladie, tout simplement par le fait que les animaux peuvent être
atteints, porteurs et donc vecteurs de son développement ?
M. Bernard Toma
- Le vaccin peut en effet, dans certains cas,
déclencher l'apparition de la maladie dans un pays indemne. Cela a
été clairement démontré par plusieurs études
: il existe un risque potentiel et non négligeable. Ceci étant
dit, il faut préciser que le fait que les animaux soient vaccinés
n'est pas en soi dangereux. Ce qui est dangereux, en revanche, est la situation
suivante : si de tels animaux entrent en contact avec du virus sauvage, ils
peuvent s'infecter sans être malades, multiplier ce virus et
l'excréter. Il faut tout de même savoir que le niveau
d'excrétion d'un animal vacciné est sans commune mesure avec
celui d'un animal non-vacciné (le facteur est de 1.000 ou de 10.000).
Cela signifie qu'un animal vacciné puis infecté est infiniment
moins contagieux qu'un animal non-vacciné et infecté. Ainsi, si
un animal non-vacciné est infecté, il va produire du virus en
quantité 10.000, alors qu'un animal vacciné puis contaminé
ne sera pas malade et n'excrètera que 10, au lieu de 10.000... Un animal
vacciné puis infecté est donc infiniment moins dangereux qu'un
animal non-vacciné, mais le danger existe, et est plus insidieux :
l'animal vacciné n'ayant aucun symptôme, il est impossible de
savoir qu'il a été infecté.
La vaccination peut être pratiquée en anneau et être
associée à l'abattage
La vaccination en anneau associée à l'abattage est la solution
qui a été choisie par les Pays-Bas. Son avantage est bien
sûr la protection clinique qu'elle entraîne. Cette stratégie
n'est toutefois pas exempte d'inconvénients. Tout d'abord, le
délai d'installation est d'une quinzaine de jours, ce qui signifie que
les animaux déjà infectés ne sont pas
protégés avant cette période par le vaccin qui est
appliqué autour du foyer identifié. Ensuite, ces
opérations de vaccination, par les mouvements qu'elles entraînent,
risquent d'accroître la propagation du virus. Enfin, la vaccination, une
fois de plus, entraîne l'apparition chez les animaux vaccinés
d'anticorps qui les marquent sérologiquement et interdit la distinction
entre ceux qui sont vaccinés et ceux qui sont vaccinés et
infectés.
L'objectif étant d'obtenir le label de pays indemne sans vaccination, la
règle de l'Union européenne est donc la suivante : tous les
cheptels vaccinés doivent être abattus avant la fin de
l'épizootie, puisque le pays ne retrouvera son label indemne sans
vaccination que s'il n'existe plus de foyers et si les animaux vaccinés
ont tous été abattus. Le fait d'avoir ainsi à abattre les
animaux vaccinés est un facteur qui conduit à limiter la taille
de l'anneau de vaccination, pour en limiter le nombre. Toutefois, si cette zone
de vaccination est trop faible, cette vaccination en anneau risque de ne pas
être très utile.
Ce type de vaccination peut donc contribuer à réduire le nombre
de foyers, mais elle contribue également, à l'inverse, à
augmenter le nombre d'animaux abattus.
C'est la raison pour laquelle cette vaccination en anneau n'est pas,
contrairement à ce que certains imaginent, la solution à
appliquer automatiquement. Ce n'est une solution à envisager que si les
mesures sanitaires sont dépassées et si la maîtrise par les
simples mesures d'abattage et de désinfection ne suffisent pas pour
contenir le développement de l'épizootie. Cette décision
de mettre en place une vaccination en anneau est donc fonction d'un certain
nombre de facteurs :
- le nombre de foyers à partir duquel on considère que les
mesures sanitaires sont dépassées ;
- l'espèce atteinte, étant précisé que
l'espèce porcine est la plus dangereuse car elle excrète par voie
aérienne la plus grande partie des virus ;
- la densité des élevages dans la zone où se situent
les foyers.
Il s'agit donc d'une décision difficile à prendre.
En conclusion, nous constatons qu'il est facile de recommander de recourir,
sans autre précision, à la vaccination. Or il est impossible de
se lancer dans une politique de vaccination sans avoir au préalable
répondu à toute une série de questions. Il faut de plus
souhaiter que les différentes études effectuées vers 1985
sur le plan économique, qui comparaient le coût et les
bénéfices escomptés des différents scénarios
de lutte contre la maladie, soient actualisées. En effet, la situation a
profondément changé en 15 ans : la taille des
élevages a continué à évoluer et les
échanges, qui sont autant de facteurs de risques, se sont
intensifiés. L'actualisation de ces études permettrait de
démontrer à nouveau que la politique sanitaire exclusive demeure
bien celle qui est la meilleure sur le plan économique, y compris en cas
de scénario catastrophe, comme c'est le cas en Angleterre. Voilà
l'essentiel de ce que je voulais vous dire aujourd'hui.
M. Gérard César
- Qui pourrait mener de telles
études ?
M. Bernard Toma
- Il s'agit pour l'instant d'une recommandation.
Certains travaux ont toutefois déjà été
publiés, dont deux récemment. Ces derniers comparent, en cas
d'apparition de foyers, la politique d'abattage dans le seul foyer
infecté avec la politique d'abattage dans le foyer infecté et les
abattages se situant autour de celui-ci, c'est-à-dire la politique
d'abattage préventif, ainsi qu'avec la politique d'abattage
associé à une vaccination en anneau. Ces études ont donc
comparé ces différentes politiques en prenant en compte
l'ensemble des éléments d'information disponibles, pour juger
quelle est la solution la plus rentable économiquement. Dans les
différentes simulations effectuées, c'est à chaque fois la
politique d'abattage dans le foyer infecté et les abattages se situant
autour de celui-ci qui a été jugée la meilleure.
Il est certain que la décision sera prise dans le cadre de l'Union
européenne. Dans cette optique, il est nécessaire que la France,
pour appuyer la position qu'elle défendra, puisse disposer
d'études actualisées. C'est la confrontation de ces
différentes études qui permettra à l'Union
européenne d'arrêter sa politique.
En France, l'abattage préventif, appliqué depuis le mois de mars,
a été officialisé par un texte du 5 avril, paru au Journal
Officiel le 26 avril. Nous ne disposons donc pas d'une grande expérience
en la matière. Le point délicat, qui mériterait
d'être étudié et précisé, avec l'indication
de critères, est celui de savoir jusqu'où aller dans cet
abattage. Indépendamment du cas des élevages ayant reçu
des animaux en provenance du foyer infecté, faut-il se limiter aux
élevages en contact avec ce dernier ou faut-il délimiter un
rayon ? Dans ce cas, quelle doit être la longueur de ce rayon ?
Il s'agit d'un problème complexe car, dans certains pays, de très
nombreuses exploitations se trouvent dans un rayon très faible. Ainsi,
aux Pays-Bas, il y avait 60 exploitations dans un rayon d'un kilomètre
autour d'un foyer... Cela signifie que l'application de cet abattage
préventif dans un tel rayon entraîne l'abattage dans 60
exploitations... De tels cas prouvent la nécessité de
préciser sur le plan technique les critères, les principes et les
modalités de cet abattage préventif, qui est une nouveauté
dans nos pays.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Professeur, nous vous
remercions pour cet exposé très complet. Je passe la parole
à notre rapporteur, puis à Monsieur Larcher.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Monsieur le Professeur, votre
exposé nous a beaucoup éclairé sur la vaccination et ses
conséquences, et nous avons compris que votre inclination allait
plutôt vers la non-vaccination, principalement pour des raisons
d'exportation. Imaginons toutefois que la France ait été atteinte
comme l'a été la Grande-Bretagne. Selon vous, l'opinion publique
française aurait-elle aussi facilement accepté que l'opinion
publique britannique la destruction massive d'animaux ? J'aimerais avoir
votre opinion sur cet aspect. Ensuite, j'ai devant moi la liste de l'OIE des
déclarations de fièvre aphteuse de certains pays. Dans ces pays,
comme l'Argentine ou le Brésil, quelles sont les dispositifs qui sont
mis en place lorsqu'une épizootie se déclenche ?
M. Bernard Toma
- Chaque pays ou groupe de pays (comme l'Union
européenne) est amené à décider de la politique de
prévention ou de lutte contre la fièvre aphteuse en fonction
d'une certain nombre de facteurs (sociaux, économiques et autres) qui
lui sont spécifiques et ne permettent pas d'extrapoler d'une
région à une autre. Il est ainsi certain que la même
politique de prévention ou de lutte contre la fièvre aphteuse ne
peut être menée dans un pays en voie de développement et
dans ceux d'Europe occidentale ou d'Amérique du Nord. De plus, certains
facteurs géographiques font que le type d'élevage, les
difficultés liées aux distances, aux transports et aux
contrôles, notamment en Amérique du Sud, entraînent de
fortes spécificités. Il est par exemple patent que les distances
sont beaucoup plus courtes, et les structures sanitaires sont beaucoup plus
fortes, dans les pays d'Europe occidentale que dans ceux d'Amérique du
Sud. L'Argentine, qui vient d'être réinfectée, a d'ailleurs
choisi comme solution, non pas l'abattage, mais le recours à une
vaccination très large, parce que les conditions correspondant à
ce pays ne sont pas les mêmes que dans un pays très
organisé, avec des structures vétérinaires efficaces et un
maillage complet du territoire. Il me semble donc impossible de prendre
modèle sur un pays, car nous continuerons à voir dans le monde
des politiques et des attitudes face à la fièvre aphteuse qui
seront différentes d'un pays ou d'un continent à l'autre. Toute
extrapolation serait donc illusoire.
M. Jean-Paul Emorine, rapp
orteur - Je partage votre point de vue sur
cette analyse. Il semble toutefois clair qu'un pays comme l'Argentine souhaite
exporter de la viande... L'OIE, dans un document que je possède,
énonce que les exportations ne sont pas forcément interdites,
à condition que le pays concerné puisse prouver qu'il a recours
à la vaccination et qu'il existe un suivi.
M. Bernard Toma
- Une nuance doit être apportée : chaque
acheteur demeure libre de ses achats, et je doute fortement que des pays
indemnes, et qui souhaitent le demeurer (Amérique du Nord, Japon,
Australie, Europe occidentale dans quelques mois, etc.) prennent le risque
d'importer des animaux ou des produits d'origine animale à partir de
pays où la vaccination est effectuée. En effet, le risque de
contamination est alors faible, mais n'est pas nul. L'exemple de la
Grande-Bretagne démontre les conséquences considérables
pouvant découler de l'introduction du virus dans un pays : les
Anglais ont pour l'instant abattu 2,5 millions d'animaux, et évaluent
à 4 ou à 5 millions d'animaux abattus le nombre final qui
sera atteint à la fin de l'épizootie. Il suffit, pour arriver
à ces conséquences, qu'une carcasse ou qu'un produit
infecté soit introduit sur le territoire, et qu'il soit en contact avec
un animal réceptif. Je crois donc que la position enviée de pays
réellement indemnes de fièvre aphteuse entraîne
l'accomplissement justifié, par ces derniers, de mesures
extrêmement sévères de contrôle des importations.
Il me faut d'ailleurs préciser que peuvent seuls être
considérés comme véritablement indemnes de fièvre
aphteuse les pays n'ayant pas besoin de vaccination : tant qu'un pays continue
de recourir à la vaccination, cela signifie qu'il existe un danger
potentiel ou réel de circulation du virus sauvage dans ce pays. Cette
analyse se retrouve pour bien d'autres maladies virales, comme la peste porcine.
En ce qui concerne la question de l'acceptabilité des bûchers, il
me faut vous donner une précision. Pendant des décennies, en
France, nous avons recouru à l'enfouissement, car il est certain que
l'enfouissement de cadavres est, pour l'opinion publique, beaucoup moins
spectaculaire, frappant et inquiétant que l'image des bûchers. La
question qui se pose est de savoir s'il ne serait pas possible dans l'avenir,
si de telles situations se reproduisaient, de privilégier, comme par le
passé, des mesures d'enfouissement. Les risques de l'enfouissement,
soulignés par les Anglais, sont au nombre de deux.
- Le premier risque concerne la dissémination de l'ESB : le
prion est détruit par le feu, mais résiste à tout le reste
(à la différence du virus de la fièvre aphteuse, qui, lui,
ne présente aucune résistance particulière). Les Anglais
évitent donc, dans le cadre de la fièvre aphteuse, d'enfouir les
bovins car ils savent qu'il existe dans leur pays de nombreux bovins
infectés par le prion de la vache folle. En France, le risque d'ESB est
beaucoup plus faible qu'au Royaume-Uni, et ne justifierait donc pas le recours
aux bûchers.
- Le second risque est relatif à la pollution des nappes
phréatiques. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre du plan «
fièvre aphteuse » mis en place lors de l'arrêt de vaccination
en France, chaque département a eu à étudier un plan
d'urgence pour déterminer les zones permettant l'enfouissement sans
danger.
Il est donc clair que, vis-à-vis de l'opinion publique, le bûcher
n'est pas la solution la plus appropriée pour la destruction des
cadavres, surtout dans notre pays.
M. Gérard Larcher
- Monsieur le Professeur, je crois que la
question posée par le rapporteur est une question fondamentale : un
pays peut-il choisir sa politique sanitaire alors que l'Organisation Mondiale
du Commerce ne prend pas en compte celle-ci ? Quand, en 1991, nous avons
arrêté la vaccination, j'avais interrogé le
Ministère sur les justifications de cette décision. La
réponse qui m'avait été donnée était
essentiellement économique. Il est aujourd'hui important de
bénéficier du statut de pays indemne, mais nous savons bien que,
dans la décennie qui s'annonce, les mouvements du commerce, venant en
particulier d'Amérique du Sud, se poursuivront. Cela amène les
praticiens à dire que l'idéal serait bien sûr de
bénéficier du statut de pays indemne, mais à prôner
tout de même le retour à la vaccination pour éviter les
dangers créés par les mouvements erratiques d'animaux, comme nous
les avons récemment connus lors de la fête de
l'Aït-el-Kebir... Est-il crédible d'avoir une politique sanitaire
telle que vous l'avez décrite alors que cette dernière n'est pas
prise en compte dans le commerce international ? L'OMC sans mesure sanitaire
est-elle crédible ? Cette question ne devrait-elle pas faire partie des
négociations ? Il s'agit de ma première question.
Ma deuxième question concerne les vaccins marqués permettant une
traçabilité des animaux vaccinés. Le même
phénomène de porteurs sains existe-t-il également ?
Je crois savoir que la réponse est positive, mais j'aimerais avoir votre
avis sur cette question.
Ma dernière question consiste à vous interroger sur le point
suivant : ne devrions-nous pas mener des stratégies
différentes selon les régions ? Ainsi, en Bretagne, dans les
Côtes d'Armor, nous sommes dans une situation, en cas de problème
touchant les élevages porcins, qui est proche de la situation
néerlandaise. En revanche, dans les Alpes-de-Haute-Provence,
l'élevage est extensif... De plus, quel sera l'avenir des races à
très faible effectif ? Ne faudrait-il pas leur donner un statut vaccinal
particulier pour les protéger ?
M. Bernard Toma
- En ce qui concerne, tout d'abord, la question de la
différence de stratégies en fonction des régions, la
réponse est évidente dans le cas d'apparition de foyers
infectés : lorsque la maladie est présente, les modalités
de lutte doivent être adaptées en fonction des régions et
des situations. Ainsi, si deux foyers apparaissent dans deux grandes porcheries
situées du côté de Lamballe, les modalités
d'organisation de la lutte ne seraient pas les mêmes que dans une
bergerie infectée sur un causse semi-désertique : le risque de
diffusion, le nombre d'exploitations et la nature des espèces animales
menacées doivent évidemment être pris en compte. Il est en
particulier possible de recourir à la vaccination en anneau dans une
zone à forte densité d'élevage. Les mesures
décidées doivent être adaptées à la
situation, et les responsables français, dont le Ministre de
l'Agriculture, ont d'ailleurs affirmé qu'il n'existe pas de dogme du
refus de la vaccination, et que cette dernière serait utilisée si
elle s'avérait nécessaire. La position prise par le Comité
d'experts de Santé animale de l'AFSSA, auquel j'appartiens,
intègre parfaitement cette idée, en affirmant qu'il n'y a pas de
raison de refuser d'une manière systématique le recours à
la vaccination en anneau, mais que ce recours ne doit être conçu,
retenu et décidé que dans des conditions particulières
(forte densité d'élevages et présence d'élevages
porcins), c'est-à-dire dans des conditions dans lesquelles l'abattage et
la désinfection risquent d'être des mesures insuffisantes pour
empêcher la circulation et l'extension de la maladie.
Ensuite, la question que vous posez peut également concerner la
situation dans laquelle il n'existe aucun foyer infecté. Dans ce cas, la
régionalisation des stratégies au sein d'un pays comme la France
ne me paraît pas concevable. En effet, si certaines régions de
France avaient le droit de choisir un recours à la vaccination, cela
donnerait l'impression que la France est un pays qui vaccine. Cela causerait
alors un problème pour les autres pays de l'Union européenne. De
plus, cette formule serait alors d'une efficacité limitée (car on
ne peut pas prévoir dans quelle partie de France pourrait
apparaître, dans quelques années, un nouveau foyer de
fièvre aphteuse) et entraînerait des conséquences
fâcheuses pour l'ensemble du pays (en particulier pour les exportations).
De la même façon, au niveau de l'Union européenne, il ne
serait pas acceptable que certains pays optent pour la vaccination alors que
d'autres ne la pratiquent pas. Il me semble que seule une solution globale est
donc possible, malgré les pressions qu'exerceront certains groupes (en
particulier les écologistes ou les protecteurs des animaux).
Il existe toutefois un cas particulier qui pourrait permettre d'envisager une
exception à ce principe : il s'agit des espèces
menacées, qui pourraient faire l'objet de mesures vaccinales à
des conditions strictes qui restent à déterminer. Il s'agirait
alors d'une exception très limitée.
En ce qui concerne les vaccins marqués, il me faut souligner que ces
derniers ne sont pas plus efficaces que les autres : ils
n'empêcheront pas davantage le phénomène de porteurs sains.
Lorsque nous disposerons de tels vaccins, nous aurons en partie
réglé le problème consistant à distinguer les
animaux vaccinés des animaux vaccinés et infectés, mais
nous n'aurons pas réglé le problème résultant du
fait qu'un animal vacciné pourra devenir porteur du virus. Nous pourrons
toutefois déceler plus facilement qu'il est porteur de ce virus. De
plus, une précision doit être donnée. Les vaccins
marqués, accompagnés de leur coffret de détection des
animaux qui réagissent et qui sont donc infectés, ne nous
empêcheront pas de commettre certaines erreurs par défaut, que
nous connaissons dans d'autres maladies virales : certains animaux
vaccinés avec un vaccin marqué vont multiplier le virus de
façon limitée et de façon suffisamment faible pour ne pas
être repérés à l'aide d'un test de dépistage.
Il n'existe donc pas de garantie absolue en la matière, et ce risque de
« faux négatifs » est quasiment inéluctable.
Les vaccins marqueurs seraient donc un progrès indéniable dans ce
domaine, et nous pouvons souhaiter que les recherches reprennent en la
matière. Si elles l'étaient, il ne s'agirait néanmoins que
d'une solution partielle, car elle n'empêcherait pas les pays indemnes
sans vaccination à continuer de ne faire confiance qu'aux autres pays
indemnes sans vaccination, et de considérer avec une certaine
méfiance les pays indemnes vaccinant avec des vaccins, même
« délétés ».
Vous avez enfin, Monsieur le Sénateur, mentionné la question de
la compatibilité de la politique sanitaire avec les règles et les
pratiques du commerce international. Il est clair que l'intensification des
échanges crée des risques importants et qu'il est difficile
d'empêcher la circulation de produits et d'animaux. Je ne suis toutefois
pas sûr que cette réalité suffise à faire totalement
basculer la politique de vaccination, car je crois qu'aucun moyen terme n'est
envisageable en ce domaine, et qu'il n'existe donc qu'une seule alternative.
- L'Europe peut continuer d'appliquer, comme en Amérique du Nord,
et après une analyse des risques, une politique fondée sur des
mesures exclusivement sanitaires, avec des précautions vis-à-vis
des importations. Le risque qu'il existe de temps en temps des alertes et des
accidents est alors connu, et il faut mettre en place les systèmes les
plus efficaces possibles.
- L'Europe peut choisir de mettre en place une vaccination. Celle-ci
devrait alors concerner tous les animaux sensibles (soit 300 millions), devrait
également porter sur plusieurs types viraux et non seulement l'un
d'entre eux (ce serait un non-sens de mobiliser des
« armées » de vétérinaires pour
vacciner régulièrement tous les animaux contre un seul type).
Ces deux solutions totalement opposées sont envisageables, mais toute
voie médiane semble peu crédible. J'ai l'impression que,
malgré la pression grandissante qui est née avec cette
catastrophe sanitaire en Europe occidentale, l'Union européenne
poursuivra probablement dans les années qui viennent une politique de
lutte contre la fièvre aphteuse sous forme de prévention
uniquement sanitaire. En revanche, il serait particulièrement efficace
pour l'Union européenne et pour l'Amérique du Nord de participer
financièrement à la vaccination des animaux dans les pays qui,
dans le monde, sont de véritables réservoirs de virus aphteux (en
Asie, au Proche-Orient, en Afrique et en Amérique du Sud). Cela
permettrait de réellement diminuer le risque pour l'Union
européenne et pour l'Amérique du Nord... Nous assistons en effet
aujourd'hui à une « panzootie » de fièvre
aphteuse de type O dans le monde, et il est impossible de lutter contre une
telle maladie dans sa seule région. L'OMS a organisé la lutte sur
le plan mondial pour éradiquer la variole ; il faudrait agir de la
même façon en médecine vétérinaire. C'est
actuellement le cas pour la peste bovine, et cela devrait l'être
également pour la fièvre aphteuse, dont l'éradication sera
toutefois beaucoup plus difficile pour les raisons que nous avons
déjà mentionnées.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Professeur,
pouvez-vous, pour conclure, nous confirmer que la fièvre aphteuse n'est
pas transmissible à l'homme ?
M. Bernard Toma
- Ma réponse sera quelque peu différente,
car il n'est pas possible de dire que la fièvre aphteuse n'est pas
transmissible à l'homme. Ainsi, en Grande-Bretagne, il a existé
13 suspicions de cas de fièvre aphteuse, qui ont toutefois toutes
été infirmées. L'homme est sensible à la
fièvre aphteuse. Cela a été démontré de
façon irréfutable, notamment dans des cas où la
concentration du virus dans des lésions chez l'homme était telle
qu'il ne pouvait s'agir de contamination cutanée. Il faut
néanmoins immédiatement apporter la nuance suivante :
l'homme est certes sensible, mais exceptionnellement atteint. Cela signifie que
l'homme est globalement résistant et qu'il ne peut présenter des
symptômes de fièvre aphteuse que de façon tout à
fait rarissime. Signalons d'ailleurs qu'il n'est possible d'affirmer que
quelqu'un est touché par la fièvre aphteuse, même s'il a
été en contact avec des animaux infectés, que si des tests
de laboratoire l'ont démontré : il existe en effet un grand
nombre de syndromes et de symptômes ressemblant à la fièvre
aphteuse humaine (apparition d'aphtes dans la bouche, sur les mains et sur les
pieds).
L'homme est donc sensible à la fièvre aphteuse, mais est
très exceptionnellement atteint. Lorsqu'il l'est, c'est de façon
relativement bénigne. La fièvre aphteuse n'est donc ni un danger
pour le consommateur, ni un danger pour l'homme en général.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Professeur, nous vous
remercions pour votre intervention, qui nous a permis d'avoir accès
à la meilleure information scientifique disponible aujourd'hui.
12. Audition de Marc Savey, Directeur de la santé animale à l'Agence française de sécurité sanitaire et alimentaire
M.
Philippe Arnaud, président
- Je remercie Monsieur Marc Savey,
Directeur de la santé animale à l'AFSSA, d'avoir répondu
à notre invitation. Je vous donne la parole afin que vous nous fassiez
part de vos réflexions, de votre analyse de ce qui s'est passé et
peut-être des leçons que vous en avez déjà
tirées.
M. Marc Savey
- I. Caractéristiques de la fièvre aphteuse
Je vous remercie. Je vais d'abord tenter de replacer le dispositif des
laboratoires de santé animale de l'AFSSA vis-à-vis de la
fièvre aphteuse dans son contexte. Ensuite nous verrons comment celui-ci
peut évoluer. Vous avez déjà entendu de nombreux
spécialistes. Je ne vous dirais donc pas ce qu'est la fièvre
aphteuse. Simplement, du point de vue des laboratoires, il s'agit d'une maladie
très particulière, d'une part par sa durée d'incubation
extrêmement courte. En effet, un animal infecté montre les signes
de maladie en trois à huit jours en moyenne. La conséquence
immédiate est que toute action de détection des cas et de
confirmation en laboratoire doit être extrêmement rapide. Nous
pourrions dire que cette maladie est le contraire de l'ESB, la maladie de la
« vache folle », dont je me suis également beaucoup
occupé. La fièvre aphteuse est, d'autre part, une maladie pour
laquelle la connaissance scientifique est extrêmement abondante et
assurée. C'est le premier virus animal caractérisé en tant
que virus en 1897, donc depuis plus d'un siècle. C'est certainement le
mieux connu des virus animaux.
Il y a cependant une sorte de paradoxe. En effet, les recherches et
études scientifiques menées sur ce virus se sont beaucoup
ralenties depuis le début des années 80, particulièrement
en Europe. La raison est relativement simple à comprendre puisque,
dès cette époque, l'Europe est devenue pratiquement indemne de
fièvre aphteuse. Je parle surtout de l'Union européenne
continentale puisque les cas apparus çà et là
étaient soit extrêmement sporadiques, soit aux marges de l'Europe,
sur les îles grecques situées à quelques kilomètres
des côtes turques. Ces îles, en termes de
géoépidémiologie, appartiennent en fait à
l'ensemble moyen oriental.
Cette maladie est, par ailleurs, extraordinairement contagieuse et ce entre
trois grandes espèces domestiques de ruminants, les bovins, les ovins et
les caprins mais aussi les suidés, c'est-à-dire essentiellement
les porcs et les sangliers. Cette maladie concerne des animaux domestiques mais
peut se transmettre à des ruminants ou des suidés de la faune
sauvage. Une partie de la problématique britannique, au cours des
prochains mois, sera certainement alimentée par le rôle des
animaux sauvages dans la contagion, ces derniers pouvant jouer le rôle de
« porteurs sains » ; ils portent le virus et le
disséminent sans être eux-mêmes atteints.
La fièvre aphteuse une maladie extrêmement variable. A ce propos,
de nombreux contresens ont été entendus. La vérité
scientifique est que le taux d'atteinte des animaux, donc le taux de
morbidité, et le taux de mortalité sont extrêmement
variables, tout simplement parce que les souches de virus sont
extrêmement variables. A l'heure actuelle, nous sommes face à une
souche relativement virulente. En particulier, dans les cas
décelés en Mayenne, l'éleveur a constaté deux cas
en début de matinée, deux autres en fin de matinée et
encore deux autres dans l'après-midi. L'extrême contagion de cette
maladie n'est donc pas un mythe mais une réalité scientifiquement
établie et parfaitement vérifiée dans le cas qui nous
occupe. Il faut toujours garder à l'esprit ces caractéristiques
pour éviter de faire des contresens dans les débats qui nous
agitent, en particulier en matière de vaccination.
Comme vous le savez, la France et la plupart des pays de l'Union
européenne sauf l'Irlande, le Royaume-Uni et le Danemark, ont beaucoup
vacciné entre 1961 et 1991. Cette vaccination nous a permis
d'éradiquer la maladie et le virus sur la partie continentale de
l'Europe. Le Royaume-Uni bénéficiait de son insularité au
cours des années précédentes mais nous avons vu que cette
insularité a été brisée. Il y a donc eu trente ans
de vaccination systématique mais aussi de surveillance
systématique et de contrôle d'un certain nombre d'épisodes,
de moins en moins nombreux, par des mesures d'abattage des troupeaux atteints
et des troupeaux à risques (abattage périfocal) et des mesures de
désinfection. Le contrôle préventif (quand la maladie
n'existe pas) et curatif (lorsqu'un foyer est observé) s'est toujours
appuyé sur un ensemble de méthodes dont la combinaison et la
rapidité de mise en oeuvre ont abouti au succès ou à
l'échec. Je rappelle qu'en France, comme dans la plupart des pays
européens, n'étaient vaccinés que les bovins. Or j'ai dit
qu'il existait de nombreuses espèces sensibles, en particulier une
dizaine de millions d'ovins qu'il faut comparer aux vingt millions de bovins,
mais aussi les porcs, les chèvres, etc. La vaccination occupait donc une
place mais n'occupait pas toute la place.
II. Le dispositif des laboratoires de l'AFSSA
1. L'importance de la recherche appliquée ou recherche finalisée
Comment le système des laboratoires a-t-il été
construit ? La fièvre aphteuse fait partie des maladies dont le
diagnostic ne peut être assuré que par des laboratoires hautement
spécialisés mais aussi hautement sécurisés. Dans
les années 70 et 80, lorsque le nombre de cas a dramatiquement
chuté en Europe, un certain nombre de cas résiduels
étaient liés soit à des vaccins défaillants qui
transmettaient la fièvre aphteuse car ils n'étaient pas
suffisamment inactivés, soit à des fuites de laboratoires. Par
construction, ces laboratoires sont de niveau P3 ou BSL4, donc très
isolés à la fois de l'extérieur et à
l'intérieur, avec des systèmes de ventilation très
particuliers. Depuis une trentaine d'années, les cas de fièvre
aphteuse étaient très rares. L'expérience du diagnostic
était donc de plus en plus restreinte, ce qui explique la
spécialisation de celui-ci.
Ces laboratoires ont été coordonnés au niveau
européen par une série d'inspections et d'épreuves.
L'Europe s'est ainsi assurée que les laboratoires nationaux de
référence effectuaient convenablement leur travail. Cependant, un
laboratoire de référence ne peut avoir d'activité de
diagnostic sans une activité de recherche associée. Le diagnostic
du laboratoire de référence est appelé
« activité d'appui scientifique et technique ».
C'est l'activité des laboratoires de santé animale de l'AFSSA,
qui est d'ailleurs clairement prévue par un article de la loi du 1er
juillet 1998.
Ces laboratoires doivent impérativement développer une
activité de recherche. En effet, même dans le cas d'un virus aussi
bien connu, il existe toujours diverses incertitudes et difficultés. Par
exemple, l'une de nos équipes avait travaillé sur la
difficulté des méthodes de sérologie. En pratique, il
suffit d'effectuer une prise de sang et de rechercher la présence
d'anticorps. Nous le faisons pour des dizaines de maladies animales et nous
avons beaucoup progressé sur la fiabilité des diagnostics. Or il
se trouve que pour la fièvre aphteuse, paradoxalement, la
fiabilité des techniques de sérologie était relativement
faible. Nous savons qu'elle l'est depuis une vingtaine d'années et les
épisodes grecs de 1996 l'ont largement démontré. J'ai ici
les résultats d'une enquête réalisée en 1997 qui
démontre que, dans un pays exempt de fièvre aphteuse depuis plus
de quinze ans, un certain nombre d'animaux étaient
sérologiquement positifs. Nous ne savons toujours pas pourquoi ils
l'étaient. Il y a donc toujours un effort de recherche à
effectuer, notamment de recherche finalisée, ce qui est le travail de
nos laboratoires, au contraire des laboratoires dits de recherche fondamentale
ou académique. Cette activité de recherche est absolument
essentielle pour que les laboratoires de référence soient
toujours au niveau adéquat pour faire face à une menace qui, il y
a encore six mois, paraissait extraordinairement éloignée. Quand
je plaidais la cause de ces laboratoires, je voyais bien que mes interlocuteurs
considéraient la fièvre aphteuse comme une menace ancienne et
révolue.
Or l'épidémiologie nous dit que cette menace est permanente et
qu'elle s'est beaucoup intensifiée à partir du milieu des
années 90. C'est donc une menace devant laquelle il ne faut absolument
jamais lever le pied. Il est prévisible qu'elle restera une menace
permanente. En effet, trois continents constituent des réservoirs
permanents de la maladie : le continent asiatique et sa zone tampon moyen
orientale avec l'Europe, l'Amérique du Sud dont on a dit qu'elle
était pratiquement indemne mais où l'on a redécouvert,
quelles que soient les déclarations des autorités officielles,
qu'elle était atteinte de façon endémique, et enfin
l'Afrique qui constitue un vaste réservoir du virus de la fièvre
aphteuse, comme malheureusement de bien d'autres maladies exotiques qui
constituent autant de menaces permanentes.
2. Deux laboratoires de référence
Le dispositif comprend donc les laboratoires de l'AFSSA qui sont donc des
laboratoires de référence, d'appui scientifique et technique et
de recherche ainsi qu'un Comité d'experts pour la santé animale.
Ce Comité d'experts s'est réuni quatre fois, dont deux fois de
façon exceptionnelle, pour remettre un certain nombre d'avis, en
particulier sur la vaccination. Le débat sur la vaccination a beaucoup
agité les médias et l'ensemble des décideurs au
début du mois de mars. Nous y reviendrons peut-être.
Le système actuel comprend deux laboratoires. Le premier se trouve
à Maisons-Alfort. Il comporte une unité de virologie qui effectue
des recherches, en particulier en immunologie et en sérologie et qui
constitue le principal laboratoire de référence français.
Il s'occupe à la fois de la fièvre aphteuse et des maladies dites
vésiculo-aphteuses qui ressemblent beaucoup à la fièvre
aphteuse, en particulier la maladie vésiculeuse du porc qui constitue un
facteur de confusion maximal avec la fièvre aphteuse. Ce laboratoire
comporte également une unité d'épidémiologie qui a
réalisé des travaux remarquables, en particulier en termes de
réflexion sur les stratégies de prévention, de
contrôle et de modélisation. C'est cette unité qui a mis au
point un modèle permettant, à partir de données
géographiques et météorologiques, de prévoir ce qui
arrivera autour d'un foyer. Ce modèle est essentiel pour la politique
d'abattage préventif. Il a été activé durant cette
période mais aussi en 1994, lors des foyers italiens, avec d'excellents
résultats. L'unité épidémiologique compte quatre
personnes et le secteur de virologie aphteuse cinq.
Il existe un deuxième laboratoire, conformément à la
politique du Centre National d'Etudes Vétérinaires et
Alimentaires (CNEVA) que la loi du 1
er
juillet 1998 a
incorporé à l'AFSSA. Ce laboratoire se trouve à Lyon et
j'ai eu l'honneur de le diriger pendant trois ans. Il contribue
également à la veille diagnostique mais son effort de recherche a
été entièrement aspiré par un autre thème,
dont vous avez souvent débattu, celui de la maladie de la
« vache folle ».
3. Le dispositif stratégique
Le dispositif stratégique français distingue deux
périodes. En « temps de paix », la veille est
permanente. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, cette maladie étant
reconnue contagieuse au sens du code rural, tout éleveur qui a un
soupçon de fièvre aphteuse doit le déclarer au
vétérinaire sanitaire et au Directeur des services
vétérinaires. Des prélèvements sont
effectués et examinés dans l'un des deux laboratoires. Nous avons
choisi d'avoir deux laboratoires pour nous assurer qu'il y en ait toujours un
fonctionnel. Etant en partie responsable de ce choix, puisque j'avais beaucoup
insisté pour que les installations de Lyon soient
rénovées, je l'assume complètement. Il vaut mieux avoir
bretelles et ceinture si l'on veut que le pantalon tienne. Cependant, le
laboratoire de Lyon a vu ses forces, relativement limitées,
complètement aspirées par l'ESB pour des raisons que vous
comprenez aisément. L'essentiel des efforts a donc été
reporté sur le laboratoire de Maisons-Alfort qu'il convient donc de
protéger et de préserver, en particulier en termes de recherche.
En « temps de guerre », lorsqu'un foyer de fièvre
aphteuse éclate dans un pays qui n'est pas la France, il y a des
échanges commerciaux, donc des animaux qui ont quitté le pays
avant que le foyer ne soit identifié. Ils peuvent être en
incubation et donc transmettre la maladie. Il s'agit alors de combiner l'effort
de diagnostic à partir de cas suspects cliniques à l'effort
d'identification des risques par la pratique de la sérologie. Cela a
été fait dans des conditions très difficiles car nous
n'avions jamais eu, depuis que la maladie existe et depuis la création
dans ce but, en 1901, du laboratoire de Maisons-Alfort, à
réaliser près de dix mille examens sérologiques en moins
de cinq semaines. C'est un effort considérable et je rends hommage aux
équipes qui ont travaillé jour et nuit. Ces personnes sont des
fonctionnaires animés par une conscience très
élevée du service public qui n'étaient pas
forcément dans des conditions optimales lorsque l'épizootie s'est
déclarée.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Monsieur le Directeur, j'ai bien
écouté votre exposé. Lorsque vous évoquez un
paradoxe entre la bonne connaissance du virus de la fièvre aphteuse et
le ralentissement de la recherche de 1980 à 1991, date à laquelle
la décision d'arrêter la vaccination a été prise,
comment avez-vous été consulté, en tant que scientifique,
à cette époque et pour cette décision ? Nous voyons
bien, à la lecture de la documentation que nous possédons, que
les décisions prises au niveau européen étaient davantage
politiques que scientifiques, le docteur Meurier, Président du
Comité scientifique européen, n'ayant même pas
été consulté. Je voudrais savoir comment vous avez
été consulté par les autorités françaises et
quel avis vous avez donné pour l'arrêt de la vaccination.
Vous parlez tous librement de cette nouvelle prophylaxie en évoquant les
abattages systématiques. Je ne les conteste pas mais la limite de
ceux-ci est bien évidente. Je suis moi-même éleveur. Le
choc psychologique est tout de même considérable pour les
éleveurs ; nous en avons rencontré en Seine-et-Marne. En
France, nous avons quelques cas. Imaginons un seul instant que nous ayons une
situation similaire à celle que connaît le Royaume-Uni, quelle
aurait été la réaction des éleveurs français
qui ont peut-être une autre culture de l'élevage ? Enfin, il est
évident que ces prophylaxies apparaissent comme insupportables aux yeux
du public.
M. Marc Savey
- J'ai pris mes fonctions de Directeur du laboratoire de
Lyon en septembre 1990. La décision était déjà
prise. Je n'ai donc eu qu'à faire en sorte que le dispositif
français puisse y faire face. Je me souviens néanmoins qu'un
certain nombre d'inquiétudes avaient été exprimées
à l'époque et qu'elles ont alimenté la décision
prise par Monsieur Meurier, à l'époque Directeur
Général du CNEVA, d'avoir deux laboratoires. J'étais
auparavant professeur à l'Ecole vétérinaire de
Maisons-Alfort mais je ne m'occupais pas de fièvre aphteuse. Je ne peux
donc vous donner qu'une vision externe de la situation et vous parler de ce
qu'ont ressenti mes collaborateurs, en particulier François Moutou que
vous avez entendu. Je sais que les discussions se sont multipliées
à partir de 1985/1986 et que, comme souvent pour de telles
décisions finalement assez stratégiques, il existe des arguments
scientifiques, sur lesquels je peux revenir, mais aussi des arguments
sanitaires, économiques ou politiques. Nous préparions le grand
marché européen mais trois pays ne vaccinaient pas. Tous ces
arguments se sont mélangés à un niveau qui dépasse
mes responsabilités.
Du point de vue scientifique, les arguments échangés tenaient
d'une part à la logique de l'évolution du contrôle de la
maladie. La France était un pays d'enzootie de la fièvre
aphteuse. Nous « vivions avec la fièvre aphteuse »,
certainement depuis que l'élevage existe. Cependant, nous avons des
statistiques à partir des années 20 qui montrent que, chaque
année en France, jusqu'en 1952, il y avait environ cinq cents foyers
annuels et des pics, dont celui de 1952/1953 qui monta, il me semble, à
trois cent cinquante mille foyers. Beaucoup de pays « vivaient avec
la fièvre aphteuse », d'abord parce que nous n'avions pas de
vaccin efficace avant la fin des années 40. Des savants y travaillaient
mais nous n'avions pas de vaccin industriel. C'est l'Institut Mérieux
qui fabriqua au début des années cinquante les premiers vaccins
fiables, stabilisés, efficaces pour protéger les animaux et
suffisamment inactivés pour ne pas transmettre la maladie. Le travail
réalisé a été considérable.
Dès 1961, la généralisation de la vaccination
entraîne, en quelques années, une chute dramatique du nombre de
cas. La vaccination se poursuit et le nombre de cas devient de plus en plus
faible. Le dernier foyer date de 1981. Ainsi, comme nous l'avions fait pour
d'autres maladies comme la brucellose, la logique sanitaire conduisait à
arrêter la vaccination qui représente, tout de même, un
certain nombre de contraintes. Nous l'avons fait pour les bovins avec la
brucellose, il y a très longtemps. L'arrêt de la vaccination ne
signifie pas l'arrêt des contrôles sérologiques ou de
l'abattage des troupeaux infectés. Cette logique suppose, bien entendu
en compensation, de renforcer les mesures de contrôle, en particulier les
mesures permettant de diagnostiquer, le plus rapidement possible, un cas
émergent. En effet, le diagnostic rapide et précoce constitue
l'une des clés du contrôle de cette maladie. Nous savons
aujourd'hui que les ennuis britanniques sont essentiellement liés
à deux facteurs. Premièrement, la découverte du premier
cas a été très tardive puisqu'il faut parler de plusieurs
semaines de retard et qu'il s'agissait en fait du deuxième cas. Quinze
jours de retard pour une maladie dont la période d'incubation est de
trois à huit jours, c'est considérable. C'est comme si nous
faisions un diagnostic de l'ESB dix ans après son émergence.
Deuxièmement, il faut que les mesures d'abattage des troupeaux atteints
soient mises en oeuvre moins de trente-six heures après le diagnostic.
Or au début de l'épizootie britannique, il a fallu pratiquement
une semaine car les services vétérinaires n'étaient pas
prêts.
Vous connaissez les autres arguments, notamment économiques : tout pays
qui vaccine est sanctionné dans son commerce extérieur. En effet,
nous n'avons toujours pas les moyens, mais j'espère que nous les aurons
un jour, de distinguer, dans les animaux vaccinés, ceux qui sont
infectés et ceux qui sont sains. Je pense qu'un ensemble d'arguments
scientifiques et sanitaires justifiait, à l'époque, ces mesures.
La décision in fine n'était pas d'ordre scientifique mais d'ordre
politique et stratégique. J'insiste sur le fait qu'un grand nombre
d'arguments allaient dans ce sens. C'est pourquoi en 1997, avec mes
collègues, nous avons publié un document que je vous ai fourni,
qui résumait les règles de base pour le contrôle de la
fièvre aphteuse pour cette nouvelle période. Cette époque
était très calme pour la maladie. Nous avions jugulé
l'épisode italien de 1994 et les épisodes des Balkans de 1996. Il
faut toujours profiter des époques de réflexion sereine pour
rappeler les règles de base, c'est-à-dire rappeler que le danger
restait permanent et que le dispositif de détection précoce et
rapide était essentiel et qu'il fallait préparer, en aval, une
série de plans ORSEC, qui ont été préparés
et ont fonctionné.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Nous ne nous
désintéressons pas des arguments économiques mais je
trouve très intéressant que, en tant que scientifique, vous
n'étiez pas favorable à l'arrêt de la vaccination. Tous les
scientifiques que nous avons auditionnés nous ont dit que la vaccination
ne constituait pas la panacée. Or dans la période où la
couverture était maximale, ne serait-ce qu'au niveau des bovins, les
foyers étaient tout de même très limités. Nous
n'assistions pas aux explosions qui sont constatées aujourd'hui.
Pourtant, selon les scientifiques, la vaccination n'est pas parfaite. Les
vaccins ne sont pas suffisamment inactivés et peuvent, de temps en
temps, déclencher la maladie. Toutefois, depuis 1961 et jusqu'en 1991,
à part quelques cas en Italie, quelle était la situation dans le
reste du monde ? Je me suis rendu à plusieurs reprises en Argentine
où j'ai toujours entendu dire que la fièvre aphteuse y
était endémique. Ce pays s'étendant sur près de
quatre mille kilomètres du nord au sud, il peut y avoir des cas à
un endroit et pas à un autre. Au cours de cette période, les
importations de viande ont-elles été interdites depuis ces pays,
susceptibles de présenter la fièvre aphteuse ?
M. Philippe Arnaud, président
- J'aimerais insister sur cette
question. Nous avons effectivement entendu des personnalités
scientifiques qui nous ont démontré que la vaccination ne
constituait en aucun cas une solution scientifique fiable. Dans certains cas,
la vaccination, en générant des porteurs sains, pouvait
même constituer un facteur très pernicieux de diffusion de la
maladie. Par conséquent, la méthode ne doit pas être
retenue, d'autant plus qu'il existe différentes souches et une
évolution du virus. Or d'autres personnalités nous ont dit que la
vaccination avait éradiqué la maladie et entraîné,
à l'évidence, une chute radicale du nombre de cas de
fièvre aphteuse. En conclusion, la vaccination a bien
éradiqué la maladie. Le Béotien que je suis souhaiterait
avoir une explication.
M. Marc Savey
- Je comprends votre trouble et j'expliquerai pourquoi en
répondant à la deuxième question. D'un point de vue
scientifique, lorsque vous vous trouvez dans un pays où existent, en
permanence, des centaines de foyers, la seule façon de contrôler
cette maladie, lorsque vous disposez d'un vaccin, ce qui n'est pas toujours le
cas, c'est effectivement de pratiquer la vaccination. C'est une position de
principe mais il faut ensuite examiner la situation plus en détail. La
situation de l'élevage français dans les années 40 et 50
n'est pas du tout comparable à la situation actuelle. L'élevage
de porcs était encore largement artisanal et, finalement, c'était
les bovins qui payaient le plus lourd tribut à la maladie. Il se trouve
que nous avions un excellent vaccin très bien adapté à
l'espèce bovine. Nous avons donc vacciné les bovins. Cependant,
cette vaccination a toujours été associée à
d'autres mesures, parmi lesquelles les abattages des élevages comportant
des cas. Nous avons donc mené, parallèlement, une politique de
vaccination et une politique d'abattage, de destruction et
d'éradication. C'est cette politique globale qui a permis
d'éradiquer pratiquement la maladie en ce qui concerne les foyers
autochtones. Le pays restait toujours sous la menace des foyers externes qui
étaient à l'époque, compte tenu des limites du commerce
européen, concentrés sur quelques pays des frontières
orientale et méridionale. La politique vaccinale, à un moment
donné de l'histoire de la maladie, où celle-ci était
endémique, a donné d'excellents résultats.
Le vrai problème survient lors de l'étape durant laquelle un pays
n'a plus de cas, donc depuis 1981 en France. Après cinq ou dix ans, la
question se pose naturellement de savoir s'il faut continuer à vacciner.
A l'époque, si je me souviens bien, la vaccination coûtait deux
cents millions de francs par an. Comme tous les jeunes
vétérinaires, j'ai procédé à des
vaccinations contre la fièvre aphteuse. Je le sais d'autant mieux que je
suis fils d'éleveur, cette vaccination était vécue comme
une contrainte. Les animaux n'étaient pas toujours très dociles.
Je me rappelle avoir vacciné un troupeau de limousines, attachées
pour l'occasion. Je ne le ferais plus aujourd'hui car c'était assez
sportif. J'entendais que les éleveurs jugeaient la vaccination
extrêmement contraignante. Finalement, à quoi bon continuer
à vacciner ? Le problème a été posé
logiquement au milieu des années 80 où l'Europe était
pratiquement débarrassée de la maladie.
Ce qui n'a pas été pris en compte et qui, manifestement, pouvait
difficilement l'être mais qui devrait l'être à l'avenir
puisque nous allons en rediscuter, concerne deux éléments majeurs
qui ne sont pas d'ordre scientifique. Premièrement, l'Europe de l'Est
s'est dissoute et cette barrière fantastique que constituait le rideau
de fer est tombée. Deuxièmement, nous n'avons pas pris en compte
le formidable développement du transport aérien et des
échanges rapides d'animaux. Dans les années 70, pour
expédier cinquante génisses aux antipodes, il fallait les mettre
dans un bateau, ce qui laissait suffisamment de temps pour réagir en cas
de problème. A présent, les meilleurs reproducteurs prennent
l'avion et voyagent en quelques heures. Nous avons assisté à une
accélération fantastique, non seulement du transport des animaux
qui demeure toutefois relativement marginal, mais surtout du transport des
denrées alimentaires, qu'il s'agisse de denrées brutes ou de
restes de repas. Or vous savez que ce sont des déchets de cuisines issus
des aéroports, par exemple, qui exposent la terre entière aux
virus de la terre entière.
Enfin, il est un troisième fait dont nous tiendrons compte à
l'avenir mais qui n'est encore guère étayé, c'est celui de
disposer un jour d'un vaccin qui permette de distinguer les animaux
vaccinés infectés des animaux vaccinés sains. Le
débat est très largement ouvert et sera forcément
relancé mais il ne faut pas oublier que nous n'avons jamais
vacciné toutes les espèces sensibles, ce qui aurait
multiplié les coûts par deux ou trois, et que le virus est
extrêmement variable. De plus, la vaccination n'empêche pas
d'être soumis à une pression extérieure de contamination.
Le débat sur la vaccination est donc un vrai débat. Même si
nous vaccinions toutes les espèces, nous aurions quand même
à abattre des troupeaux. Enfin, ce n'est pas parce qu'un pays vaccine
qu'il ne doit pas surveiller la maladie. Ce que craignent les scientifiques qui
connaissent le sujet est l'absence d'équilibre entre vaccination et
contrôle. Je ne parle pas des conséquences économiques. Je
rappelle que l'Amérique du Nord ne vaccine plus depuis une cinquantaine
d'années et que la vaccination inclut un enjeu économique
essentiel.
Ainsi des efforts considérables ont été effectués
pour la brucellose et ont associé vaccination et abattage, dans un
premier temps puis uniquement l'abattage. A l'époque, les
vétérinaires praticiens informaient les éleveurs par le
biais de conférences dans lesquelles ils donnaient des explications.
Ainsi, lorsque nous avons commencé à détecter la
tuberculose, ce fut une véritable révolution dans mon village.
Sur vingt-cinq fermes, trois n'avaient plus de bovins du jour au lendemain. Une
campagne d'explication avait permis aux éleveurs de comprendre.
Aujourd'hui, dans une société très urbaine qui ne
connaît plus que les animaux de compagnie, je vois mal faire abattre
trois mille chiens en cas d'épidémie de rage. J'ai
redécouvert cela lors des abattages pratiqués pour l'ESB.
Evidemment, toute politique est discutable mais il est inutile de diaboliser
l'abattage comme cela a été fait avec des images de bûchers
; l'opinion ne peut que réagir en jugeant cette pratique affreuse et
moyenâgeuse. Je viens de répondre à une lettre
adressée au Directeur Général de l'AFSSA d'une dame qui
trouvait affreuses ces images de souffrance en lui précisant les
conditions d'euthanasie des animaux. Il y a eu un cas, en Angleterre, qui
n'était pas conforme aux règles communautaires dans ce domaine.
Si l'on transcrit, dans les médias, l'exception comme étant la
règle et sans expliquer, en outre, les raisons pour lesquelles la
règle a été édictée, je crains que les
réveils ne soient vraiment très douloureux. Ne pas abattre sera
une mesure très populaire dans un premier temps, au moins au journal
télévisé. Dans un second temps, des gens s'interrogeront
peut-être sur ce qui n'aura pas été, fait. Je crois que
l'expérience du Royaume-Uni, qui n'a pas vacciné mais qui est en
voie de contrôler la maladie, devrait être comparée à
la situation des Pays-Bas qui vaccinent, qui comptent aujourd'hui vingt-six cas
et qui continuent à découvrir, de façon sporadique, un cas
de temps en temps. Il me semble intéressant de verser l'exemple des
Pays-Bas, dans six mois, au dossier du débat sur la vaccination, sur
l'abattage, sur la précocité du diagnostic et la
déclaration des cas aussitôt constatés.
L'abattage est une solution collective, de même que la vaccination. Entre
1954 et 1961, nous avons procédé à des vaccinations
individuelles qui n'ont pas fait chuter le nombre de cas. Un certain nombre de
maladies, comme la fièvre aphteuse, par leur rapidité, leur
diffusion et leur contagion font l'objet de prophylaxie forcément
collective. C'est la collectivité nationale qui doit s'en charger.
L'abattage n'est que l'un des moyens de cette prophylaxie collective. Cela
suppose une parfaite entente et une parfaite explication. Plusieurs moyens de
sauvegarde collective impliquent en effet de nombreuses contraintes. Nous le
voyons en matière de sécurité aérienne ou de
sécurité publique, etc. Je pense que cette dimension collective
de la santé animale est essentielle. Après trente ans de calme,
certains problèmes vont réémerger. Nous avons eu un
premier avertissement avec la peste porcine, aux Pays-Bas, entre 1997 et 1998.
Il a fallu abattre tout de même quinze millions de porcs.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Cela suppose un abattage rapide qui
n'est pas évident pour les bovins.
M. Marc Savey
- C'est vrai. Néanmoins, quelle que soit la
politique retenue, elle devra d'abord être fondée
scientifiquement, ce qui signifie qu'il faudra examiner l'ensemble du
problème et qu'il faudra, en tout état de cause, qu'elle soit
expliquée, en particulier aux médias et à des populations
qui n'ont plus de contact avec l'élevage. J'ai constaté de
façon terrible avec l'ESB, que les gens réagissent souvent au
travers d'éléments qui laissent le scientifique pantois.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous avez dit qu'il y avait eu des
abattages durant la période de vaccination. Nous souhaiterions
connaître, durant cette période qui s'étend sur une
trentaine d'année, le nombre d'abattages annuels. Je partage votre
sentiment mais il y a une différence entre l'abattage de quelques
dizaines de troupeaux et les chiffres évoqués aujourd'hui pour le
Royaume-Uni. On parle de deux millions cinq cent mille animaux. Nous allons
peut-être même arriver à quatre millions. Il faut donc
connaître les proportions.
Par ailleurs, si la recherche, dont vous avez dit qu'elle s'était
pratiquement arrêtée depuis 1981, avait continué, ne
disposerions-nous pas de vaccins traçables et adaptables en fonction de
l'évolution du virus ? Je ne vous demande pas d'exprimer une
certitude mais nous avons tout de même perdu vingt ans de recherche.
Pensez-vous que la recherche doit être française ou prendre place
dans le cadre de l'Union européenne, l'agriculture comme plusieurs
autres facettes de l'économie se situant, aujourd'hui par
définition, dans le cadre communautaire ? Enfin, l'OIE peut-elle avoir
une influence sur un laboratoire anglais ?
M. Marc Savey
- Je peux vous fournir sans problème les
données statistiques historiques relatives à l'abattage. Je
voudrais simplement insister sur un point. La situation britannique est tout
à fait exceptionnelle et les abattages ne sont que des
conséquences d'une mauvaise maîtrise au départ. Il ne
s'agit pas d'accabler qui que ce soit puisque nous ne savons pas quel sera
l'avenir. En France, le nombre d'abattage de troupeaux est demeuré
extrêmement limité. Nous avons abattu essentiellement des ovins
importés du Royaume-Uni dont nous savons qu'un certain nombre d'entre
eux constituaient de véritables menaces. Il ne faut pas se laisser
impressionner par l'exemple britannique qui est tout à fait
exceptionnel, l'abattage n'étant qu'une conséquence.
Concernant le caractère national ou communautaire de la recherche, la
même question m'a été posée, il y a cinq ans,
à l'Assemblée nationale, pour l'ESB. Personnellement, du fait de
mon expérience, je pense que l'Europe a montré qu'elle pouvait
aider et financer largement la recherche dans des fédérations de
laboratoires européens. En effet, il faut réunir des laboratoires
d'au moins trois pays européens pour mettre en place un projet
européen. La suite n'est qu'une question de détermination des
axes. Par expérience, face à une crise de cette ampleur, qu'il
s'agisse d'ESB ou de fièvre aphteuse, qui sont différentes mais
caractérisées par leur ampleur, le pays qui n'a pas une certaine
forme d'autonomie, dans un contexte où l'opinion scientifique est
très importante, perd de sa capacité d'action et d'influence. Je
ne suis pas souverainiste mais réaliste. Pour suivre la recherche, il
faut y participer. La recherche nécessite des bras et des cerveaux. Elle
est tellement complexe que le pays qui n'y participe pas est
marginalisé. Il faut donc conserver une capacité de recherche
autonome.
Pour la fièvre aphteuse, il faut distinguer deux aspects.
Premièrement, la recherche sur les vaccins s'est poursuivie dans des
laboratoires privés disposant d'une capacité et d'un capital
scientifique. Fallait-il que les pouvoirs publics s'engagent dans la recherche
sur leurs vaccins ? Je suis incapable de répondre et je pense qu'il
faudra en rediscuter. Le deuxième aspect sur lequel la recherche
publique doit continuer à renforcer ses moyens concerne, globalement, la
technologie des diagnostics, c'est-à-dire la compréhension des
phénomènes, dont la sérologie atypique, qui ne sont pas
encore compris. Le CNEVA, aujourd'hui l'AFSSA, faute d'autres combattants, est
resté le seul organisme à développer une modeste recherche
dans ce domaine. Je plaide pour le renforcement de ses équipes qui ont
été tout de même menacées, à diverses
reprises, de disparition ou de non-renouvellement.
M. Philippe Arnaud, président
- Je souhaite revenir de nouveau et
rapidement sur une question que vous a posée le Rapporteur. Vous pourrez
probablement, au travers des données historiques et statistiques que
vous allez nous transmettre, alimenter notre réflexion. Vous avez
insisté sur le fait que les mesures prophylactiques devaient être
de nature collective. La question de notre rapporteur avait pour but de
signifier qu'une mesure nationale, sur un tel sujet, ne représentait
aucun intérêt et qu'il fallait au moins des mesures au niveau
européen. En outre, vous l'avez dit, il s'agit d'une maladie que
d'aucuns ont appelée une maladie du transport ou du déplacement.
Or les frontières s'ouvrent, nous sommes donc à la veille de
grands drames.
Avant de vous libérer, je souhaiterais connaître votre avis sur
les décisions scientifiques qui ont été prises
relativement aux produits laitiers, par exemple les fromages. Des mesures
draconiennes ont été prises sur des produits dont il n'est pas
scientifiquement démontré qu'ils puissent être porteurs.
Vous avez utilisé l'image de la ceinture et de la bretelle pour tenir un
pantalon. N'aurions-nous pas associé la ceinture et la bretelle pour
tenir un pantalon qui ne risquait pas de tomber ?
M. Marc Savey
- Un grand nombre de connaissances relatives à la
fièvre aphteuse sont codifiées depuis fort longtemps. J'ai
apporté le code zoosanitaire de l'OIE qui contient des prescriptions
techniques très claires qui ont été reprises dans des
directives européennes, en particulier la directive 2001-145 qui a
lancé l'action communautaire à ce sujet. Toutes ces directives
mentionnent un certain nombre de mesures qui tendent à faire en sorte
que les produits laitiers, au sens le plus large, ne puissent pas
disséminer la maladie. Nous savons qu'il s'agit d'une
éventualité possible. C'est un point de vue scientifique. Si vous
ne chauffez pas le lait à soixante-douze degrés pendant quinze
minutes, si vous ne traitez pas la viande de façon à faire
descendre le pH en dessous de 5,7, le virus est présent et risque de
contaminer. Sur cette base scientifique, il faut considérer la
traduction dans la législation des mesures qu'il convient de prendre ou
non.
En France, le cadre des opérations est le département. La
législation française, selon moi avec bon sens et
efficacité, a prévu que ces problèmes ne soient pas
traités au niveau du canton mais au niveau du département, que ce
soit pour la réglementation ou la législation (Code rural,
décrets, arrêtés...). Ainsi, les plans de lutte contre la
fièvre aphteuse sont pensés au niveau départemental. Cela
me paraît scientifiquement justifié, compte tenu de la
rapidité de la contagion et du fait que celle-ci peut être
massive. Lorsqu'un foyer se déclare dans un département, celui-ci
rejoint le plan d'action. Evidemment, si nous ne trouvons qu'un seul foyer,
vous penserez que nous aurions pu restreindre les mesures mais nous ne savons
jamais si, derrière ce premier foyer, il ne se cache pas un
deuxième foyer, un troisième, un dixième, un
cinquantième...
M. Philippe Arnaud, président
- La mise en température et
la fermentation sont censées détruire le virus.
M. Marc Savey
- Le virus n'est pas très fragile. Le Professeur
Toma a dû vous dire que ce virus était relativement
résistant. Il y a des virus bien plus résistants et d'autres bien
plus fragiles. Il peut persister, de façon passive, par exemple sur les
roues d'un camion, pendant deux à trois semaines. Je sais que le fromage
entraîne de vraies préoccupations. Pour la viande, nous savons
scientifiquement que le passage d'un pH neutre de 7, à un pH
inférieur à 6,2 ou 6,3 a pour effet d'inactiver pratiquement le
virus. Il se trouve que ce virus possède une courbe d'inactivation
particulière que nous connaissons grâce aux vaccins. En fait, nous
parvenons très facilement à inactiver 99,9 % mais il reste
parfois 0,01 %. Or ce diable de virus étant très contagieux et
diffusible, il vaut mieux un pH de 5,1. Cela signifie qu'une viande qui mature
pendant trois jours atteint, par maturation lactique, un pH de 5,6 ou 5,7 et ne
présente donc aucun danger scientifiquement. Toutefois, en pratique, les
viandes maturent moins longtemps. Nous avons donc pris de telles mesures pour
se protéger de tout risque de diffusion.
M. Philippe Arnaud, président
- Ne serait-ce pas la recherche du
risque zéro ? N'y a-t-il pas excès de précaution ?
M. Marc Savey
- Il revient au pouvoir de contrôle, au pouvoir
réglementaire, d'interpréter les données scientifiques
dont nous disposons et de prendre les mesures qui conviennent. Cette
législation est très ancienne. Ainsi, la législation
européenne repose sur une directive de 1989. Toutes les bases
réglementaires, comme le Code zoosanitaire, ont été
réfléchies en termes de gestion du risque collectif et non du
danger. Le problème est le même que les limitations de vitesse sur
l'autoroute. Je possède une bonne voiture et je pense être bon
conducteur, je pourrais donc rouler à cent cinquante kilomètres
par heure mais la vitesse est limitée pour réduire le risque
collectif.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous nous avez dit que le cadre
était celui du département. Nous nous sommes rendus en
Seine-et-Marne et nous avons constaté tout de même une anomalie.
En effet, le foyer principal se trouvait à la limite du
département. Le département voisin était bien plus
sensible à une exposition au virus que le sud du département
concerné. Les agriculteurs du sud se sont sentis pénalisés
par cette limite par rapport à leurs voisins. Les plans sont
départementaux mais une approche plus fine est tout de même
nécessaire.
M. Marc Savey
- Il faut en parler avec le Ministère de
l'Agriculture et les services de contrôles. J'attire simplement votre
attention. Selon mon point de vue d'épidémiologiste qui s'occupe
des questions sanitaires à un niveau global, le pire n'est pas
d'être bloqué pendant trois semaines mais d'avoir dix foyers. Je
ne connais pas la situation géographique en détail. Je peux dire
que la fièvre aphteuse, après avoir été
éradiquée en France, a donné lieu à des mesures de
contrôle très dures qui ne me choquent pas.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous n'êtes pas
obligé de répondre à ma dernière question. Vous
avez insisté sur le fait que cette maladie était bien connue mais
qu'elle avait souffert d'une absence de recherche. La réglementation
actuelle a montré sa pertinence mais elle a peut-être besoin
d'être réadaptée puisqu'elle a été mise en
oeuvre, à une certaine époque et en l'état de certaines
connaissances. Pensez-vous que la communauté scientifique, à la
lumière des connaissances scientifiques actuelles, serait favorable
à faire évoluer la réglementation et la législation
?
M. Marc Savey
- Très franchement, je ne pense pas que ce soit
à la communauté scientifique de répondre.
M. Philippe Arnaud, président
- Bien entendu, il revient aux
politiques de répondre mais la décision politique doit se fonder
sur un certain nombre d'éléments objectifs, comme vous l'avez
très bien rappelé tout à l'heure. Parmi ces
éléments se trouvent des éléments scientifiques que
les politiques ne maîtrisent pas. Ensuite, il y a des
éléments économiques ou sociologiques et c'est la
synthèse de tous ces éléments qui fonde la décision
politique. S'ils étaient questionnés, par exemple au sujet des
produits laitiers, les scientifiques pourraient-ils aujourd'hui
considérer qu'il y a excès et que nous pourrions peut-être
adapter la réglementation ?
M. Marc Savey
- C'est un peu le travail qui a été
réalisé par le Comité d'experts. Mon expérience de
ces débats est qu'ils nécessitent véritablement une
expertise collective. Cela signifie que n'importe quel aspect que nous
pourrions soulever provoquera inévitablement une discussion et des
échanges. Rien n'est clair et net mais les scientifiques peuvent
certainement nourrir cette discussion. J'ajouterai en outre qu'il ne faut pas
dire qu'il n'y a pas eu de recherche en France durant vingt ans. La recherche
était limitée mais de bonne qualité. J'ai justement
apporté divers documents rédigés par mes collaborateurs
qui prouvent que nous avons continué à nous en préoccuper.
Ces équipes sont bien seules alors qu'elles y travaillent depuis dix
ans. Il faudrait les aider à continuer et je serais heureux qu'on leur
rende hommage.
M. Gérard César
- Vous parlez probablement d'une aide
financière. Avez-vous les moyens de continuer cette recherche ?
M. Marc Savey
- Aucun Directeur d'un établissement public ne vous
répondra qu'il dispose de moyens suffisants. Je veux dire qu'il faut
d'abord conforter les équipes existantes et les renouveler car elles
vieillissent. Elles n'ont pas été renouvelées depuis vingt
ans. Certains de mes collaborateurs, qui sont âgés de
cinquante-six ans, connaissent bien la fièvre aphteuse mais il faut
penser à leur remplacement et reconnaître qu'ils ont eu raison de
persister.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie, Monsieur le
Directeur. Nous sommes preneurs de toute documentation statistique, historique
et scientifique.
M. Marc Savey
- Je ne les ai pas sur moi mais des travaux statistiques
très pertinents ont été réalisés.
13. Audition du Général Edouard Talieu, Vétérinaire biologiste, Chef des services de la Direction centrale du service de santé des armées du Ministère de la Défense
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous recevons le Général
Talieu, chef des services de la Direction centrale du service de santé
des armées. Mon Général, je vous remercie d'avoir
répondu à notre demande. Notre préoccupation est de faire
le point sur l'épizootie et d'en tirer des leçons pour l'avenir.
Général Talieu
- Je vais vous présenter la
façon dont nous avons renforcé les équipes
vétérinaires en Angleterre qui se sont retrouvées face
à des problèmes relativement aigus dus, en partie, au sous
effectif de leurs structures. En effet, le territoire comptait au départ
environ deux cent vingt vétérinaires sur le territoire assurant
les missions habituelles de santé animale et d'hygiène des
aliments. Ce nombre était largement insuffisant pour faire face à
une crise de cette ampleur.
I. Le corps des vétérinaires biologistes
1. Organisation du corps
Le corps des vétérinaires biologistes des armées
dépend de la Direction centrale du service de santé depuis 1977.
Auparavant il était totalement autonome. Nous avons subi des
aléas d'effectifs. En 1996, nous n'étions plus que quarante-huit
militaires d'active. Suite à la professionnalisation des armées
et à la perte de la ressource des vétérinaires biologistes
aspirants qui effectuaient leur service militaire, il a été
décidé d'augmenter notre nombre de manière significative.
Nous sommes aujourd'hui soixante-cinq et notre objectif est de passer à
quatre-vingt-trois pour 2003. Malgré cette augmentation, la perte des
vétérinaires aspirants, pour assurer un travail égal, nous
a contraints à procéder d'une part au recrutement de personnels
civils TSEF (techniciens supérieurs d'études et de fabrication)
que nous avons formés aux techniques vétérinaires,
notamment avec un stage à l'INFOMA de Lyon qui forme les techniciens du
Ministère de l'Agriculture, et d'autre part à la formation de
quelques sous-officiers du service de santé. En effet, nous avons, parmi
nos missions, des opérations extérieures, ce qui exige de pouvoir
envoyer à l'étranger une grande partie de nos effectifs. Sans
cela, il serait inutile d'avoir un corps particulier de militaires.
L'organisation actuelle comprend cinq structures régionales dont une
correspond à l'Ile-de-France. Notre corps est à vocation
interarmées ; nous assurons donc le soutien de toute unité des
armées, quelle que soit son appartenance (Marine, DGA, Gendarmerie,
Armée de terre ou Armée de l'air). Ces cinq groupes de secteurs
vétérinaires (GSVI) sont associés à dix-huit
secteurs vétérinaires qui couvrent l'ensemble du territoire
national. Nos effectifs seront pratiquement au complet d'ici 2002/2003. En
effet, il n'est pas évident de recruter. C'est un problème
courant dans la fonction publique et nous ne parvenons pas toujours à
recruter parmi un nombre de candidats suffisant.
2. Les missions du corps
Nos missions s'articulent essentiellement autour de trois pôles :
l'hygiène des aliments et de la restauration collective
représente 80 % de nos activités, la santé animale
représente 18 % en raison des effectifs canins et équins
présents dans les armées. Enfin la recherche représente
2 %. Des vétérinaires sont présents dans les
différents centres de recherche des armées et travaillent dans
des disciplines comme la physiologie, la microbiologie ou la radioprotection.
Parallèlement à la Métropole, nous avons également
une organisation outremer. Il existe en effet des Directions Interarmées
du service de santé dans les DOM TOM ainsi qu'à Dakar et
Djibouti. Autrefois, ces postes étaient essentiellement occupés
par des aspirants. Nous avons commencé à professionnaliser et
nous y affectons aujourd'hui des vétérinaires d'active. Enfin,
nous menons des opérations extérieures. Ainsi, des
vétérinaires sont présents en permanence en Bosnie, au
Kosovo et au Tchad. Ces activités représentent une lourde
tâche. Les séjours durent quatre mois, il faut donc assurer une
relève tous les quatre mois. Cependant, ces séjours nous
permettent d'avoir des personnels disponibles ayant une bonne pratique de
l'anglais, pratiquement obligatoire pour ces opérations
extérieures, et qui, parfois, ont déjà été
confrontés à la fièvre aphteuse. Ce fut le cas en Bosnie
en 1996. Une épidémie importante nous avait contraints à
prendre des dispositions, non seulement pour éviter de disséminer
la maladie en Métropole mais aussi sur place, alors que nous
étions en période de conflit.
II. L'épizootie en Angleterre
La demande de renforts par l'Angleterre nous est parvenue fin mars, au moment
où les autorités anglaises se sont senties
dépassées. Je ne sais pas si la diffusion de
l'épidémie en Angleterre vous a été
présentée en détail.
M. Philippe Arnaud, président
- En tant qu'intervenant
opérationnel au Royaume-Uni, vous avez peut-être pu repérer
quelques éléments qui n'auraient pas été
relayés.
Général Talieu -
La contamination s'est répandue
à partir de l'importation, depuis Carlyle, de denrées
contaminées. Depuis cet endroit, les exportations en direction des
autres marchés de Grande-Bretagne sont importantes et, à partir
de la Grande Bretagne, nous avons retrouvé des traces de contamination
en Mayenne. Nous savons aussi que le virus est passé de la Mayenne aux
Pays-Bas.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Je pensais que la contamination en
Mayenne provenait, au contraire, des Pays-Bas.
Général Talieu
- Non, il semble que le virus venant
d'Angleterre soit reparti vers les Pays-Bas après un passage en Mayenne.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- C'est la souche de la Mayenne qui a
également contaminé la Seine-et-Marne.
Général Talieu
- Au 23 avril, les cas se
répartissaient sur les deux foyers français, les Pays-Bas, la
République d'Irlande (l'Irlande du Nord n'avait qu'un cas au
départ mais a brusquement connu une expansion) et bien sûr le
Royaume-Uni avec 1.441 foyers. Nous verrons que ce chiffre est largement
dépassé. Le pôle important est celui de Carlyle. C'est
là que nous avons été conduits à intervenir.
M. Philippe Arnaud, président
- Etes-vous intervenus avant ou
après le dépassement des 1 400 foyers ?
Général Talieu
- Nous sommes arrivés le 27 mars.
Nous avions envoyé quatre vétérinaires et le
Ministère de l'Agriculture une dizaine, dont deux sont arrivés en
même temps que les nôtres.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- D'autres pays européens
ont-ils envoyé des renforts ?
Général Talieu
- Diverses nationalités
étaient représentées, surtout des anglophones :
Américains, Canadiens, Australiens et Néo-zélandais. Des
pays comme la Finlande ont envoyé de l'aide mais se sont rapidement
découragés en raison des difficultés de communication.
D'autres n'ont pas supporté l'action, c'est-à-dire le sacrifice
de ces animaux, et même l'environnement de travail.
Nous avons été contactés le 23 mars par
l'intermédiaire du cabinet du Premier Ministre qui demandait la
participation du Ministère de l'Agriculture et de
vétérinaires militaires, en renfort. En effet, les
vétérinaires du Ministère de l'Agriculture étaient
déjà confrontés à des problèmes relatifs
à l'ESB. Dès le 27, nos équipes étaient en place et
le renfort a été installé au niveau de Carlisle, dans le
comté de Cumbria, à la frontière entre l'Ecosse et
l'Angleterre. L'évolution des cas, depuis le début de l'enzootie
est visible sur la carte. Nous avons oeuvré dans un climat proche de la
panique.
Les personnes envoyées ont été sélectionnées
selon leurs antécédents. Toutes étaient déjà
parties en opération extérieure. Le détachement
était commandé par le vétérinaire en chef
Polvèche, déjà intervenu à Sarajevo et au Kosovo.
Les Anglais ont demandé de fournir le diplôme de docteur
vétérinaire et nos vétérinaires ont
été inscrits à l'ordre des vétérinaires
britanniques et sont devenus des fonctionnaires de la Reine, investis de tous
les pouvoirs de police ou même financiers. Ils ont été
accueillis à l'Aéroport de Newcastle, logés mais non
nourris. Heureusement, grâce à notre propre structure que nous
appelons « bioforce », nous avons obtenu une avance de quarante mille
francs sans laquelle nos hommes auraient eu quelques difficultés. Le
contrat est que les Anglais nous rembourseront sur la base de vingt et une
livres par jour pour les frais de nourriture. Nous avons fourni une copie du
permis de conduire, chaque officier ayant reçu un véhicule ainsi
qu'un téléphone portable. Tous ont été logés.
Ils ont reçu une formation accélérée d'une
journée, commune à l'ensemble des vétérinaires
étrangers mais aussi aux professionnels anglais venus en renfort. En
effet, les effectifs du Ministère anglais de l'Agriculture étant
faibles, il a fallu faire appel aux praticiens et aux
vétérinaires des écoles. Les élèves
vétérinaires ont également été
réquisitionnés pour servir de mentors aux extérieurs car
il n'est pas évident de se retrouver dans un milieu totalement
étranger. Cette formation avait pour objet de présenter des films
sur la pathologie de la fièvre aphteuse mais surtout de fournir aux
arrivants tous les éléments nécessaires du point de vue
administratif. En effet, ayant été investis de tous les pouvoirs,
les vétérinaires devaient pouvoir remplir les documents
administratifs nécessaires.
Dès le lendemain, ils sont partis sur le terrain. Au début de
l'action, jusqu'à quarante nouveaux foyers étaient
signalés chaque jour. Sur un coup de téléphone, ils
partaient en direction des fermes suspectes pour procéder au
dépistage dans un premier temps. Le planning était
élaboré par l'autorité locale dépendant du
Ministère de l'Agriculture. Si un cas de fièvre aphteuse
était constaté, ils rendaient immédiatement compte au
Ministère à Londres, puis à l'instance locale de Carlisle.
Ensuite, ils recevaient l'ordre de faire abattre le troupeau mais, tant que la
ferme était suspecte, ce sont eux qui surveillaient la mise en
quarantaine de l'exploitation. Ils devaient également accueillir les
abatteurs. Evidemment, il a fallu faire appel aux professionnels des abattoirs
mais aussi, très rapidement, aux chasseurs et au corps des bouchers
militaires. En effet, il semble que l'armée anglaise dispose encore de
bouchers professionnels tandis qu'ils ont disparus depuis fort longtemps en
France, l'armée française ne s'approvisionnant plus qu'en
produits désossés sous pellicule plastique sous vide.
M. Philippe Arnaud, président
- Concrètement, comment se
passait l'abattage ?
Général Talieu
- L'abattage se faisait soit au merlin soit
au pistolet. Pour les agneaux, ils utilisaient le T61 qui est un produit
euthanasiant injectable. Le week-end de Pâques, le chef de mission m'a
indiqué qu'il y avait pratiquement trois conteneurs de vingt pieds
remplis de cadavres d'agneaux. Nous sommes aujourd'hui à deux millions
quatre cent mille bêtes abattues. Nous arriverons vraisemblablement
à deux millions cinq cent mille sur un cheptel global de cinquante-cinq
millions. En valeur absolue, le chiffre semble considérable mais il ne
représente en fait que quelques pour-cent du total.
La surprise des vétérinaires présents et de ceux qui les
ont relevés fin avril vint du fait que la population était
anxieuse et même bouleversée, l'abattage représentant un
certain traumatisme, mais gardait cependant un comportement très
civique. Une fois l'abattage décidé, la population l'acceptait.
Je dirais que le travail des vétérinaires étrangers
était même plus facile que celui des vétérinaires
anglais auxquels la population ne manquait pas de faire part de
récriminations internes, politiques ou économiques.
Vis-à-vis des étrangers, ce ne fut jamais le cas. Je peux citer
l'exemple d'un vétérinaire qui fut invité à
dîner le soir chez des éleveurs, après avoir
décidé d'abattre l'ensemble du troupeau, ce qui est plutôt
surprenant.
Outre le dépistage, la mission concernait également les
indemnisations. Ce sont eux qui confirmaient le montant des indemnisations que
les éleveurs allaient recevoir. Le fait que celles-ci soient
relativement correctes a probablement aidé à faire passer la
pilule. Les autorités envisagent actuellement de les diminuer pour les
animaux au potentiel moindre, par exemple âgés.
M. Philippe Arnaud, président
- Connaissez-vous le montant de ces
indemnisations ?
Général Talieu
- L'indemnisation peut être
supérieure à mille livres pour un boeuf et d'environ cinq
à sept cents francs pour un mouton.
M. Philippe Arnaud, président
- Les autorités ont-elles
prévu des indemnisations pour les pertes d'exploitation ?
Général Talieu
- Je ne le pense pas. Pour l'instant, les
montants sont forfaitaires. Je sais qu'ils ont déjà versé
environ six milliards de francs, ce qui est tout de même
considérable. Ce sont encore les vétérinaires qui
autorisaient les mouvements d'animaux ou de personnes. Lorsqu'ils
découvraient un cas de fièvre aphteuse, la zone était
déclarée « dirty » (par distinction avec les
zones « clean »). Les inspecteurs ayant été
en contact avec le virus étaient mis en repos pendant deux jours
après désinfection afin d'éviter tout risque de
contamination ultérieur pour d'autres exploitations.
La zone de départ se trouve donc à la frontière
écossaise, près des villes de Carlisle et Newcastle. La
frontière est matérialisée par le mur d'Hadrien. Nos
vétérinaires sont d'abord intervenus essentiellement dans ce
secteur. La zone montagneuse du Cumbria présentait apparemment moins de
problèmes. Nous avons à présent deux
vétérinaires à Carlisle et deux autres à Newcastle,
en raison de problèmes dans ce secteur correspondant au Northumberland.
Nous avons donc maintenant deux pôles d'exercice.
A l'ouest, le nombre de cas a diminué ; nous n'en comptons plus que
trois ou quatre par jour. La diminution est encore plus marquée à
l'est où nous n'en comptons plus que deux ou trois. Après la
phase d'abattage systématique de tous les animaux, dans une zone de
trois kilomètres autour des fermes infectées, les
autorités commencent à assouplir les mesures. Ainsi, les bovins
ne seront plus abattus. En revanche, l'abattage des ovins et des porcins reste
systématique. De toute façon, il ne reste pratiquement plus de
porcins puisqu'ils ont été abattus les premiers. En effet, ce
sont les porcins qui transmettent surtout la maladie.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Quel est le pourcentage de bovins et
de porcins dans les deux millions cinq cent milles animaux ?
Général Talieu
- Je l'ignore. Ce sont en majorité
des moutons et ensuite des bovins. Le nombre de porcins était moins
important, l'Angleterre n'étant pas un grand producteur de porcins.
L'équipe poursuit ses activités de dépistage et de conseil
auprès des éleveurs de l'ouest. A l'est, elle a entamé les
procédures de dépistage sérologique. En effet, nous sommes
maintenant dans une phase où l'Angleterre prépare son retour
à l'état « indemne ». Pour ce faire, il faut
dépister tous les animaux éventuellement positifs
sérologiquement afin de les éliminer.
La vaccination a été envisagée à plusieurs reprises
et même autorisée par l'Union européenne. Nous aurions pu
vacciner les bovins sans aucun problème mais il y a toujours eu un
consensus pour ne pas recourir à la vaccination, même au niveau
local, les syndicats agricoles préférant un abattage
systématique et massif. Cela serait de toute façon revenu
à reculer pour mieux sauter puisque tous les animaux immunisés
auraient dû être abattu à un moment donné. L'aspect
économique a donc été primordial dans les mesures prises
par le gouvernement.
Du fait de leur intégration dans les services britanniques, nos
vétérinaires ont dû signer un document intitulé
Official secrets act
. Ils se sont donc engagés à ne pas
divulguer en détail ce qu'ils auraient vu ou fait.
M. Philippe Arnaud, président
- Cela me pose un problème
puisque j'avais l'intention de vous demander si nous pouvions disposer du
rapport de mission.
Général Talieu
- Nous étudierons la question. Nous
y sommes allés dans un esprit de collaboration et d'aide
immédiate. Nous étions là-bas pour travailler et non pour
critiquer. Il y a pu avoir des hiatus dans le système mais les
autorités britanniques ont fait un effort extraordinaire. Nous avons un
bel exemple du pragmatisme anglais. Ils n'hésitent pas à faire
appel à l'extérieur et à donner des pouvoirs. J'ignore si,
en France, nous aurions donné le même blanc-seing à des
vétérinaires étrangers. Il faut souhaiter n'être
jamais confrontés, à notre tour, à un tel problème.
Effectivement, nous en sommes arrivés là en raison d'un retard
initial. Les Anglais n'ont pas mesuré à sa juste valeur le
problème lors des premiers cas. En outre, il s'agit d'une population
animale essentiellement constituée d'ovins pour lesquels le
dépistage n'est pas évident. La maladie peut passer tout à
fait inaperçue. Il faut examiner les moutons un à un pour
déterminer la présence de lésions. En revanche, l'examen
des porcins ou des bovins est bien plus aisé.
Au 6 mai, la courbe du nombre de cas cumulés et des cas quotidiens
montre que nous sommes en phase descendante. L'épidémie pourrait
se raviver du côté de l'Irlande. Dans l'immédiat, les
autorités tiennent le bon bout. Malgré le fait qu'ils ont
été débordés, les Anglais se sont montrés
fort sympathiques. Le Ministère de l'Agriculture nous a officiellement
demandé de poursuivre cette collaboration jusqu'à la fin du mois
de juin. Dans leur courrier, ils saluent la qualité de notre travail. La
relève a été difficile à mettre en place, compte
tenu de nos effectifs déjà en place à l'étranger.
Nous trouvons toujours quelques bonnes volontés et de telles missions
justifient notre rôle opérationnel.
M. Philippe Arnaud, président
- Pourrions-nous avoir des copies
de ces cartes ?
Général Talieu
- Je vous les fournirai. Fin mars, environ
cent vingt vétérinaires étrangers soutenaient l'action
anglaise. Ils étaient deux cent cinquante début mai. Le
Royaume-Uni compte normalement deux cent vingt vétérinaires. En
avril, le total des renforts représentait mille cinq cent vingt-deux
vétérinaires. Le secteur de Carlisle compte normalement onze
vétérinaires et quarante techniciens. Avec les renforts, le
secteur a compté jusqu'à trois cents vétérinaires.
Nos personnels ont surveillé l'abattage de quatre mille ovins, huit
cents bovins et vingt porcins. Les abattages étaient organisés
sur une ancienne base aérienne. Nous avons compté jusqu'à
quarante cas identifiés par jour et treize mille ovins abattus par jour.
Deux millions quatre cent soixante-quatorze mille bêtes ont
été abattues au 8 mai, soit 4 à 5 % du cheptel, pour
un total de mille cinq cent soixante-trois foyers. Plus de six milliards
d'indemnités ont déjà été accordées.
Au début de la crise, environ quatre mille examens sérologiques
ont été pratiqués. A ce jour, environ quarante mille ont
été réalisés. Un nouveau laboratoire doit
être mis en service pour traiter vingt mille prélèvements
par semaine. Après l'éradication, nous sommes donc
déjà dans la deuxième phase de contrôle de
l'état du cheptel.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous avez bien décrit votre
intervention au Royaume-Uni. Dans le cadre du territoire français,
à l'occasion d'une visite en Seine-et-Marne, nous avons constaté
que tous les services de l'Etat avaient été mobilisés pour
un seul cas. Ils auraient été dépassés s'il y avait
eu d'autres cas. Comment auriez-vous pu apporter votre concours et comment
auriez-vous pu être sollicités en cas d'évolution de
l'épizootie en France ?
Vous répondrez à ma deuxième question si vous pensez que
vous le pouvez. Vous qui suivez l'épizootie pour le compte des
armées, pensez-vous que la fièvre aphteuse peut être
considérée comme une arme bactériologique ou
économique ?
Général Talieu
- Notre participation avait
déjà été sollicitée pour l'épizootie
d'ESB pour le stockage des farines, sur le choix des sites de stockages
notamment. La participation des armées était envisagée.
Les vétérinaires militaires, dans le cadre de l'exercice courant
de leurs activités, ont donc été sollicités. Nous
devions éventuellement intervenir pour les abattages d'urgence durant
les week-ends mais, finalement, le Ministère de l'Agriculture est
parvenu à faire face avec ses propres moyens et nous n'avons donc pas
été sollicités. Ce n'est pas la première fois que
nous participons à des mesures prophylactiques. Nous l'avons fait pour
la rage pendant des années ou, il y a trois ou quatre ans, pour un foyer
de brucellose dans les Alpes, mais c'était le temps où nous
avions des vétérinaires aspirants. A présent, chaque
personne que nous détachons crée un trou dans nos structures.
Certes, nous pouvons reporter nos missions relatives à l'hygiène
des aliments. Ce n'est pas un drame si nous effectuons une visite d'organisme
de restauration avec un mois de retard.
Nous avons un renfort en Seine-et-Marne. Un vétérinaire militaire
a été mis à disposition de la DSV avec son
véhicule, il s'agit du chef du secteur vétérinaire de
Palaiseau. Son action s'est essentiellement concentrée sur le volet
épidémiologique et sur le suivi des examens sérologiques.
La demande émanait du préfet du département et a
été répercutée auprès de l'Etat-major de la
RTIDF par le préfet de Zone de Défense.
Votre deuxième question me permet d'aborder un sujet que je n'ai pas eu
le temps d'évoquer. A l'origine de l'épizootie, l'importation de
déchets de repas d'avions en provenance d'Orient ou
d'Extrême-Orient pour l'alimentation de certains porcs a
été incriminée. Ensuite, ce fut le cas d'un restaurant
asiatique de Carlisle qui aurait importé de la viande avariée. Le
problème est que la viande avariée est potentiellement moins
dangereuse que la viande parfaitement saine, le pH de la viande avariée
n'étant pas favorable au développement du virus. C'est donc de la
viande vraisemblablement importée qui serait à l'origine de la
contamination. C'est le point le plus fiable sur le plan
épidémiologique. Récemment, les armées britanniques
ont été suspectées d'avoir importé de la viande
d'Argentine. Toutefois, le virus argentin n'étant pas du même
sérotype que celui à l'origine de l'épizootie en
Angleterre ou en France, elles ont donc été rapidement
disculpées.
Des rumeurs ont également couru, accusant les Iraqiens d'avoir introduit
le virus. Il est vrai que le virus de la fièvre aphteuse pourrait faire
partie des virus qui pourraient être utilisés comme une arme,
essentiellement économique. Nous avons considérablement
renforcé les consignes nationales ainsi que les études
biologiques. Autrefois, on parlait de risque NBC : nucléaire, biologique
et chimique. La priorité est aujourd'hui au BCN. Des
vétérinaires biologistes ont donc été
affectés, en renfort, aux structures de recherche des armées pour
étudier ces aspects de la guerre biologique. Certains ont
évoqué l'utilisation de l'ESB comme arme biologique. Compte tenu
des délais d'incubation, cette hypothèse est peu probable,
même sur le plan économique. En revanche, la fièvre
aphteuse est une zoonose dont l'extension est suffisamment rapide pour
présenter un danger très important sur le plan économique.
Il y a un parallèle en médecine humaine avec la variole pour
laquelle nous avons aussi arrêté la vaccination.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- De jeunes parents s'interrogent
à ce propos.
Général Talieu
- En effet, il faudrait peut-être
consentir un effort de vigilance dans ce domaine.
M. Philippe Arnaud, président
- Mon Général, je
vous remercie de votre contribution. Je vous remercie de nous transmettre le
rapport de votre mission, si vous en avez la possibilité, ainsi que les
documents que vous nous avez montrés.
14. Audition du Docteur Bernard Vallat, Directeur général de l'Office international des épizooties (OIE)
M.
Philippe Arnaud, président
- Je pense que nous avons beaucoup
à apprendre de la part du Docteur Vallat, notamment concernant l'analyse
de ce que nous venons de vivre chez nous mais aussi dans le monde. Enfin, nous
souhaitons connaître, selon vous, les leçons que nous pouvons
tirer de cet épisode.
M. Bernard Vallat
- I. L'Office international des épizooties
Je dirige l'Office international des épizooties depuis janvier 2001.
Auparavant, j'ai travaillé cinq ans à la Direction
Générale de l'Alimentation en tant que Directeur
général adjoint et chef des services vétérinaires
français. J'ai tenu à m'impliquer, tant au niveau national que
communautaire, dans la prévention de la fièvre aphteuse mais
aussi, dans les discussions sanitaires relatives aux importations et
exportations de produits animaux et à gérer le risque lié
à la fièvre aphteuse.
Je voudrais rappeler en quelques mots l'histoire et les objectifs de
l'organisation que je dirige. Elle a été créée en
1924, à l'époque où la peste bovine causait la mort
d'environ dix mille bovins par jour en Europe. A l'époque, cette
épizootie avait incité vingt-huit pays à mettre sur pied
cet office. La France l'a emporté, devant l'Allemagne et l'Italie, dans
la négociation concernant la localisation du siège de
l'organisation. La date de la signature du traité (1924) explique que
l'OIE ne fasse pas partie de l'Organisation des Nations Unies. Elle fait en
effet partie des organisations internationales nées après la
première guerre mondiale. Son statut est donc parfaitement autonome par
rapport à l'ONU.
Son premier objectif concerne l'information sanitaire mondiale, les pays
membres tenant absolument à obtenir des informations sur les maladies
animales. En adhérant, les pays membres s'obligent à
déclarer les maladies animales présentes chez eux et figurant sur
une première liste élaborée à l'époque.
L'OIE était chargée de collecter et diffuser immédiatement
l'information aux autres pays. Cette mission a rapidement évolué.
Aujourd'hui, cent cinquante-sept pays sont officiellement membres et quatre
sont en voie d'adhésion. L'objectif premier est toujours l'information
sanitaire et s'y est ajoutée l'information scientifique. L'OIE est donc
reliée à cent trente-sept laboratoires de référence
mondiaux qui effectuent des recherches et étudient notamment les
méthodes de lutte contre les maladies animales. Ils fournissent
l'information scientifique à l'OIE qui l'analyse, la résume et la
transmet aux pays membres en constituant ainsi un outil de conseil
auprès de la communauté mondiale pour lutter contre les
principales maladies animales.
Le troisième objectif découle des accords de l'Organisation
Mondiale du Commerce signés à Marrakech en 1994. Ceux-ci
reconnaissent l'OIE comme référence mondiale quant aux
préconisations relatives aux importations d'animaux vivants et de
produits animaux. Ils permettent d'éviter non seulement d'importer des
pathogènes animaux susceptibles de se développer sur les
territoires de certains pays mais aussi des pathogènes humains
transmissibles par les animaux (zoonoses). Les accords ont également
pour but d'éviter des mesures protectionnistes abusives liées
à des préoccupations sanitaires qui iraient au delà des
préconisations de bon sens, préoccupations
désignées selon des codes établis par l'OIE. Un code
regroupe les préconisations générales pour les services
vétérinaires chargés de lutter contre les maladies. Il
permet d'établir des certifications à l'exportation fiables et
fondées sur une organisation fiable et crédible. Ce code
édicte également le détail des précautions à
suivre, pour chaque maladie animale, à l'exportation.
Enfin, le dernier objectif est un objectif de solidarité internationale.
En effet, la communauté mondiale a intérêt à
éradiquer les maladies animales. Or celles-ci sont surtout
endémiques dans les pays pauvres qui n'ont pas les moyens de financer
des programmes de contrôle ou d'éradication. L'OIE joue donc un
rôle d'expertise et de conseil auprès de ces pays et sert
également de référence aux organisations de
solidarité internationale spécialisées en aidant à
définir des projets d'éradication.
L'organe suprême de l'OIE est le Comité International qui regroupe
les délégués des pays membres et se réunit une fois
par an à Paris. La prochaine réunion aura lieu à la fin du
mois. Contrairement à d'autres organisations, ces
délégués ne sont pas des diplomates. Nous avons la chance
d'avoir comme délégués les responsables des services
vétérinaires des pays membres. Ceux-ci ont
généralement le pouvoir de proposer des législations
à leur hiérarchie et aux élus et de la mettre en oeuvre.
Cette double fonction permet à l'OIE de travailler avec des personnes
qui sont autonomes en matière de prise de décision et qui n'ont
pas besoin de se référer systématiquement à des
structures nationales qui pourraient retarder les prises de décision.
Elles sont mandatées, bien entendu, par le pouvoir politique, mais
peuvent donner leur opinion immédiatement, sans en référer
à d'autres instances. Cela donne à notre organisation son
caractère opérationnel.
L'OIE dispose de cinq commissions régionales, une par continent, et de
collaborateurs régionaux permanents. Des commissions
spécialisées élues préparent les décisions
du Comité International. L'ensemble de l'organisation repose sur les
délégués et les décisions se prennent souvent dans
un consensus très large, ce qui a l'avantage d'impliquer toujours la
majorité de la communauté internationale qui s'approprie ensuite
les décisions. Nous avons donc moins de mal que d'autres à
concrétiser ces décisions. Enfin, le Directeur
Général est élu par l'assemblée
générale, ce qui me donne une légitimité pour
prendre des décisions en principe peu contestées.
II. Le rôle de l'OIE face à l'épizootie de fièvre
aphteuse
1. L'objectif d'éradication de la maladie
La fièvre aphteuse est une maladie bien connue, contrairement à
l'ESB pour laquelle il demeure des zones d'ombre scientifiques. Ainsi, nous
sommes en mesure d'affirmer que la fièvre aphteuse n'est pas
transmissible à l'homme. Lorsque c'est le cas, ces transmissions sont
exceptionnelles et n'ont jamais revêtu un caractère de
gravité. Nous pouvons l'affirmer sans le moindre doute. La fièvre
aphteuse a longtemps été considérée comme une
maladie bénigne, au regard des dégâts qu'elle provoquait
sur les animaux. Son caractère dramatique est apparu après la
guerre.
Il y a un lien entre la rusticité des races animales et la
gravité de la maladie. En effet, les effets de la maladie sont
relativement bénins lorsqu'elle s'attaque à des races rustiques.
Cela explique que certains pays en développement qui n'utilisent pas les
races génétiquement améliorées qu'utilisent les
pays riches, ne considèrent pas la fièvre aphteuse comme
prioritaire dans les programmes de lutte qu'ils mettent en oeuvre. Cela
explique partiellement le fait qu'elle soit encore endémique dans
environ deux pays sur trois. La gravité de la fièvre aphteuse sur
les races améliorées revêt un caractère
économique en raison des baisses de production que la maladie
entraîne, qu'il s'agisse de bovins ou de porcins. Ce n'est pas le cas
pour les ovins et les caprins qui, certes, diffusent le virus et sont donc
contagieux pour les autres races. Cependant, les dommages provoqués sur
ces deux espèces sont relativement peu importants. En revanche, nous
pouvons affirmer que les conséquences économiques sur les races
améliorées de bovins et de porcins sont importantes. Les marges
bénéficiaires d'un éleveur dont le troupeau est atteint
par la maladie sont réduites à néant. Les baisses de
production laitière, par exemple, sont non seulement
considérables mais, dans la plupart des cas, irréversibles. Un
animal atteint ne récupère donc jamais sa production initiale, ce
qui explique le degré de gravité attribué aujourd'hui
à la maladie par les pays développés.
Ce caractère de gravité entraîne naturellement des mesures
de protection à l'importation par ces mêmes pays. L'OIE a donc
inclus dans le code zoosanitaire international des mesures reconnues par l'OMC
et utilisables en cas de litiges entre un exportateur et un importateur. Ces
mesures très contraignantes pénalisent lourdement
l'économie agricole d'un pays atteint. Lorsqu'un pays est
considéré comme infecté, les conditions à
l'exportation sont extrêmement graves si son économie agricole
comporte une part de revenus à l'exportation. Elles pénalisent
également les pays qui ont recours à la vaccination parce qu'il
est établi que les animaux vaccinés peuvent être faussement
sains, donc susceptibles de disséminer le virus sans en présenter
les symptômes et donc de faire peser un danger, surtout si les animaux
sont exportés vivants, sur un pays exempt de fièvre aphteuse.
Celui-ci pourrait importer un virus qui se communiquerait à ses
troupeaux.
Il est certain que la vaccination a été et demeure un outil
essentiel pour contrôler la maladie et espérer un jour son
éradication. Ainsi, la première phase incontournable, pour des
pays qui présentent la maladie de façon endémique,
consiste à vacciner l'ensemble des espèces sensibles
jusqu'à ce que le nombre de foyers devienne si faible que l'on peut
arrêter la vaccination et éliminer les derniers porteurs qui
expriment alors la maladie. Après quelques mois sans cas, il est
possible de dire que le virus ne circule plus dans un pays.
Certains pays n'ont jamais vacciné. Ils sont très rares. Ainsi,
la position insulaire du Royaume-Uni, en facilitant les contrôles des
animaux importés, lui a permis depuis quelques décennies
d'éviter des introductions de virus, sauf à deux reprises. Le
Royaume-Uni, qui n'a jamais vacciné, a connu une épizootie en
1967. A l'époque, il a fallu abattre plus de cinq cent mille têtes
pour éradiquer le virus. Le deuxième incident a eu lieu
récemment mais dans des conditions bien plus dramatiques puisque le
virus semble avoir circulé longtemps avant que les services
vétérinaires ne commencent à mettre en place des mesures
d'élimination. Avant la crise actuelle, cinquante pays, soit environ un
pays membre de l'OIE sur trois, s'étaient débarrassés de
la maladie et avaient arrêté de vacciner. Cette liste
s'allongeant, nous allions vers un abandon progressif des vaccinations et nous
espérions ainsi, notamment à l'égard des pays qui
n'avaient pas les moyens humains et financiers d'adopter cette politique,
arriver un jour à faire disparaître le virus.
Nous avons le précédent intéressant de la peste bovine qui
constituait un véritable fléau, en Europe, depuis le Moyen Age et
jusqu'à la création de l'OIE dans les années 20. Nous
espérions éliminer toute présence du virus sur la
planète, comme cela avait été fait pour la variole
humaine. Aujourd'hui, seuls deux pays, le Kenya et le Pakistan,
hébergent la peste bovine et vaccinent encore mais ils ne
déclarent plus de foyers depuis plusieurs mois. Les autres pays ont
abandonné la vaccination contre la peste bovine et la maladie a disparu.
Il reste peut-être un foyer au sud du Soudan, à cause de la
guerre, mais nous manquons d'information. L'Union européenne finance une
campagne onéreuse qui devrait aboutir à l'éradication
totale d'ici 2005.
2. Les foyers européens de fièvre aphteuse depuis l'arrêt
de la vaccination
Nous tendions vers cette évolution favorable pour la fièvre
aphteuse, en prenant le temps nécessaire. Puis il y eut ce rappel
à l'ordre et la crise qui suivit en Europe avec l'introduction du virus
au Royaume-Uni. Depuis l'arrêt de la vaccination en Europe, la
fièvre aphteuse est apparue en Italie en 1993 en provenance des Balkans,
suite à une importation frauduleuse d'animaux. A l'époque, il
fallut trois mois aux autorités pour éliminer le virus sans
recourir à la vaccination mais en utilisant la méthode classique
d'abattage sanitaire. Bien sûr, l'Union soutient financièrement
les Etats membres lorsqu'un foyer est déclaré, à
conditions qu'il figure sur la liste des maladies permettant d'obtenir cette
aide.
La maladie est apparue en 1996, en Grèce, à la frontière
turque. Là encore, l'abattage sanitaire a permis d'éliminer le
virus. L'Union européenne a même consenti des appuis financiers
importants à la Turquie pour vacciner et protéger ainsi sa
frontière orientale d'une introduction de la maladie par la
Grèce. La dernière apparition eut lieu en mai 2000,
également en Grèce, à partir de la frontière
turque. Il est probable que les Turcs n'ont pas utilisé convenablement
la vaccination. Avec l'appui financier de l'Union, la Grèce est de
nouveau parvenue à éliminer la maladie sans vacciner. Enfin, vous
connaissez le cataclysme survenu récemment au Royaume-Uni, à la
grande surprise de nombreux experts. Parallèlement, un double
phénomène est survenu dans le reste du monde. En 2000,
l'Argentine a stoppé la vaccination est s'est déclarée
indemne sans vaccination sur son territoire. La même politique a
été suivie par l'Uruguay et deux grands états du
Brésil. En revanche, le Chili s'était déclaré
indemne sans vaccination trois ans auparavant. Ces pays vont devoir revenir
à une vaccination généralisée avant
d'espérer un jour être à nouveau indemne sans vaccination.
L'Argentine fut de nouveau infectée, peu avant la crise
européenne. Malheureusement, l'Uruguay et un état frontalier du
Brésil font face au même phénomène. De cette immense
région productrice de bovins, devenue indemne de la maladie sans
vaccination, ne subsiste aujourd'hui que le Chili. Sont toujours indemnes sans
vaccination les Etats-Unis, le Canada, le Mexique et le reste de
l'Amérique centrale.
Nous expliquons l'explosion de la maladie, dans la liste des pays libres de
vaccination, premièrement par l'augmentation des échanges
mondiaux, tous échanges confondus notamment le tourisme, et
deuxièmement par l'insuffisance des investissements des pouvoirs publics
dans les systèmes de contrôle aux frontières et de
surveillance de la maladie sur le territoire. Certains pays souffrent d'un
manque de services officiels publics de surveillance. Enfin, nous avons en
même temps constaté une explosion de déclarations de
fièvre aphteuse qui tient à un effet de mode. Certains pays ayant
la maladie de façon endémique se sont mis à la
déclarer en estimant qu'il valait mieux être transparent, le fait
étant connu de tous.
M. Philippe Arnaud, président
- Pourriez-vous nous transmettre un
document de présentation de l'OIE ?
M. Bernard Vallat
- Je vais vous fournir ce document. Toutes les
informations institutionnelles figurent sur notre site www.oie.int.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous avez évoqué un
accord de l'OMC qui réglemente les importations des pays indemnes, avec
ou sans vaccination. Pourriez-vous nous transmettre les
références de ce texte ?
M. Bernard Vallat
- Il existe une commission de l'OIE qui, sur demande
d'un pays qui le souhaite, peut donner l'avis de l'OIE sur les conditions
sanitaires d'un pays, au regard d'une liste de quatre maladies. En effet, l'OIE
n'a pas de structure d'inspection puisque cette fonction n'entre pas dans ses
attributions. L'OIE a restreint le nombre de maladies susceptibles de faire
l'objet d'un avis officiel, opposable à un tiers, à quatre
maladies : la fièvre aphteuse, la peste bovine, la péripneumonie
bovine et la peste équine. Nous ajouterons certainement très
bientôt l'ESB. Il s'agit d'une démarche volontaire de pays qui
souhaitent, le cas échéant, bénéficier d'un label
officiel par rapport à leur statut. Ces pays adressent une demande qui
est examinée par cette commission spécialisée de l'OIE qui
se prononce sur la base du dossier préparé par ces pays mais
aussi d'investigations réalisées sur le terrain qu'elle pourrait
demander. Elle propose ensuite au Comité International de voter le
statut sanitaire de ces pays. Ainsi, la plupart des pays du monde ont
demandé à l'OIE un avis officiel sur leur statut en
matière de fièvre aphteuse. Un tel avis revêt par nature un
caractère normatif et l'OMC peut utiliser cet avis en cas de litige
entre un exportateur et un importateur.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous avez dit que l'OIE ne
disposait pas d'outils de contrôle. S'agissant d'un organe de
décision et de mise en oeuvre des réglementations, l'absence de
moyens de contrôle ne constitue-t-elle pas une faille majeure ?
M. Bernard Vallat
- Je confirme que l'OIE ne dispose pas de tribunal
international susceptible de condamner un pays membre qui ne respecterait pas
les décisions qu'il a lui-même votées, la plupart du temps.
Toutefois, les normes de l'OIE revêtent un caractère de
référence vis-à-vis de l'OMC et un pays qui ne les
respecterait pas et qui, de ce fait, ferait l'objet d'un contentieux avec un
autre pays ou groupe de pays, encourt des sanctions économiques graves
du fait de l'OMC. Le problème est qu'un certain nombre de pays ne sont
pas membres de l'OMC. Cependant, la Chine et la Russie négocient
actuellement leur entrée. Par conséquent, ce caractère de
référence, reconnu par l'OMC, peut renforcer le côté
contraignant des normes de l'OIE mais l'OIE n'a pas les moyens de conduire une
action contraignante par ses propres instances. Cela dit, le forum informel que
constitue l'OIE repose très largement sur la confiance.
L'expérience prouve que lorsqu'un pays a failli aux règles de
transparence auxquelles il s'est engagé en adhérant, il est
lourdement pénalisé sur le plan économique. Lorsqu'un pays
perd la confiance des autres, cela entraîne des mesures de fermeture. En
outre, il a bien du mal à retrouver la confiance perdue. Bien que nous
ne disposions pas d'instances contraignantes, le souci de transparence est
primordial.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Qui est à l'origine du
rapprochement entre l'OIE et l'OMC ? Vous venez de dire que toutes ces
informations partent d'un principe de confiance entre les pays. Vous avez
souligné que certains pays ont déclaré la maladie alors
qu'ils avaient déjà des cas. Nous pensons évidemment
à l'Argentine. Or durant la période où ces pays se
déclaraient exempts, les échanges commerciaux entre
l'Amérique du sud et l'Union européenne ont continué.
Enfin, comment pouvons-nous intervenir au niveau des échanges
commerciaux ? Ces pays sont reconnus comme ayant la maladie. Nous souhaiterions
savoir s'ils ont continué à exporter de la viande en direction de
l'Union.
M. Bernard Vallat
- Lorsque le GATT, après le sommet de
Marrakech, est devenu l'OMC, la technostructure du GATT cherchait à
développer les accords relatifs au commerce mondial et notamment
à déterminer la manière la plus appropriée de
traiter les barrières sanitaires, en particulier les barrières
sanitaires injustifiées qui sont encore très largement
utilisées par certains pays pour protéger leur
compétitivité. Ces barrières sont courantes par rapport
aux maladies animales mais aussi à d'autres critères sanitaires
ou techniques. Le GATT a cherché le concours d'organisation de
référence, lui-même étant bien entendu incapable de
disposer, en son sein, de groupes d'expertise technique capables de faire ce
travail. Il a donc cherché diverses organisations sur lesquelles il
pouvait s'appuyer pour en faire des organismes de référence.
C'est ainsi qu'il a adopté, pour les végétaux la
Convention internationale pour la protection des végétaux, pour
les aliments prêts à consommer le Codex alimentarius et pour les
maladies animales l'OIE. Ces trois organisations ont longuement
négocié avec le GATT. Des accords ont été
signés mais c'est la communauté internationale entière, au
travers de l'accord sanitaire et phytosanitaire (SPS), qui sert de
référence à ces organisations pour décharger l'OMC
de ce travail.
Concernant les pays qui ont soudainement décidé de
déclarer la maladie, tous les pays concernés, excepté
l'Argentine, n'étaient pas considérés comme indemnes de
fièvre aphteuse par l'OIE. De fait, aucun de ces pays ne pouvait vendre
et exporter vers l'Union européenne des animaux vivants, à moins
de répondre à des exigences très importantes de
quarantaine et de contrôles sérologiques au départ et
à l'arrivée et qui représentaient une garantie solide pour
l'importateur.
Vous soulignez, à juste titre, le cas de l'Argentine. L'Argentine a
consenti de lourds efforts pour se déclarer indemne sans vaccination.
Ils ont procédé à toutes les mesures nécessaires en
vaccinant leur cheptel pendant très longtemps. A l'issue de ce
processus, ils ont stoppé la vaccination et réduit les foyers
subsistant. Il est exact, et cela a été vérifié,
sur leur demande, par des experts de l'OIE, que, durant un certain temps,
l'Argentine a été indemne du virus. A ce moment-là, l'OIE
et l'Union européenne ont reconnu cette situation et ont desserré
les conditions d'importation de produits animaux depuis l'Argentine. Cependant,
le pays a changé de gouvernement et donc d'administration. Une souche a
été trouvée mais nous savons que le virus présent
en Europe n'est pas le virus argentin. Nous avons la carte
génétique des virus et nous sommes capables de les distinguer.
Nous sommes parfaitement sûrs qu'il ne s'agit pas du même virus. Il
y a eu un risque mais il ne s'est pas exprimé.
M. Philippe Arnaud, président
- Que pourriez-vous nous conseiller
pour obtenir des précisions ? En effet, il doit bien exister des
éléments d'information et notre travail consiste à
rechercher ce qui s'est passé et ce qui peut se passer. Nous aimerions,
dans le cadre de cette mission, disposer d'éléments nous
permettant de mettre le doigt sur un certain nombre de dysfonctionnements dans
les autres pays. Qui pourrait nous renseigner ?
M. Bernard Vallat
- Le site Internet des éleveurs argentins
était très transparent sur la situation avant qu'elle ne devienne
officielle.
M. Philippe Arnaud, président
- Il y a une contradiction que je
souhaite soulever et j'aimerais connaître votre avis pour la
réduire. La fièvre aphteuse est une maladie extrêmement
contagieuse. Tout le monde l'a dit et tout le monde le sait. Elle est
présente, de façon endémique, dans deux tiers des pays du
monde, vous l'avez rappelé. Vous avez par ailleurs indiqué que la
reprise de la maladie, en 2001 en Europe, avait eu lieu à la surprise de
la plupart des experts au Royaume-Uni ou en France. La plupart ont
été surpris de retrouver, sur notre continent, la fièvre
aphteuse alors que chacun sait que cette maladie occupe les deux tiers de la
planète et qu'elle est extrêmement contagieuse et que, dans le
même temps, les échanges se multiplient tandis que les vecteurs ne
sont pas seulement les animaux vivants mais aussi les denrées animales.
Il y a une contradiction sur laquelle je souhaiterais avoir votre avis.
M. Bernard Vallat
- J'ai parlé de surprise concernant la
réapparition au Royaume-Uni. En effet, les risques de
réintroduction sont plus importants sur le continent. Nous avons
notamment des réservoirs dans les Balkans qui font peser une menace
permanente. C'est pourquoi l'Union européenne finance des programmes de
vaccination périphériques, y compris en Russie et dans certaines
anciennes républiques soviétiques limitrophes. L'Union conduit
des opérations de vaccination, en concertation avec la Russie, en
Géorgie, en Arménie et en Azerbaïdjan. D'autres ont
également lieu en Turquie. Le risque est bien connu et les services
vétérinaires nationaux et communautaires mènent des
actions pour le juguler.
La surprise vient de l'introduction de la maladie dans un pays insulaire, donc
par voies non-terrestres. Jusqu'à présent, nous pensions que les
contrôles dans les ports et les aéroports permettaient
d'éviter tout type d'introduction. En outre, le risque d'introduction
par les ports ou les aéroports est lié au fait que les produits
contaminés doivent être ingérés par des animaux pour
exprimer le virus lorsqu'il est introduit. Lorsqu'ils sont
ingérés par des consommateurs dans un restaurant, le risque est
nul. En revanche, lorsqu'un produit alimentaire contaminé introduit dans
la chaîne alimentaire humaine se retrouve dans la chaîne
alimentaire des animaux sensibles, alors le virus s'exprime. Normalement, la
voie d'introduction est le recyclage d'aliments destinés aux hommes dans
l'alimentation destinée aux porcs, et cela arrive très souvent,
ce qui provoque la maladie. Toutefois, nous ne pouvons pas affirmer aujourd'hui
que c'est ce qui s'est passé. Les enquêtes sont en cours mais
c'est peut-être ce qui est arrivé au Royaume-Uni. En tout cas,
c'est arrivé récemment en Afrique du Sud. Un bateau originaire
d'Asie a éliminé ses déchets alimentaires dans le port de
Durban. Quelqu'un les a récupérés pour nourrir des porcs
qui ont contracté la maladie. Alors qu'une partie du pays était
indemne et exportait vers l'Europe, ils ont été infectés
par cette voie.
Ce qui est anormal est que l'Europe a interdit le recyclage de ces aliments
dans l'alimentation des porcins. Quelques dérogations ont échu,
il me semble, en avril de cette année. Néanmoins, la condition
était de thermiser les produits, ce qui réduit le risque à
zéro. Si tel est le cas, il faut être prudent car il y aurait
fraude à la législation communautaire et britannique.
M. Philippe Arnaud, président
- D'où vient la
contradiction entre cette haute contagiosité et le fait que
l'arrêt de la vaccination en Europe depuis 1990 est un
succès ? En effet, il ne s'est pratiquement rien passé
pendant dix ans. Les Etats-Unis sont exempts de fièvre aphteuse depuis
soixante-dix ans. En sommes-nous sûrs ?
M. Bernard Vallat
- C'est une maladie très difficile à
dissimuler, en pratique, lorsqu'elle survient sur des porcins ou des bovins. La
dissimulation est peut-être plus aisée sur des ovins mais ceux-ci
finissent, de toute façon, par la transmettre aux autres animaux. Si la
fièvre aphteuse arrivait aux Etats-Unis, compte tenu de la
sensibilité des races animales qu'ils élèvent, qui sont
très améliorées, je suis certain que nous le saurions. En
outre, si le virus a été introduit et que les autorités
américaines l'ont dissimulé, elles ont réussi à
l'éliminer. Sinon il se serait répandu dans le pays et cela
aurait été impossible à dissimuler. Nous avons l'exemple
du Canada qui fut déclaré indemne plus tardivement mais a su
préserver son statut. Nous avons aujourd'hui l'exemple du Mexique et de
l'Amérique centrale. Ils ont pourtant le virus à leur porte.
Ces exemples tendent à prouver que, lorsque les pouvoirs publics mettent
en place les bons moyens pour contrôler les introductions, pour
surveiller la maladie et pour l'éliminer immédiatement en cas
d'une introduction du virus, cela suffit. La politique actuelle de l'Union
européenne peut être poursuivie mais il ne faut surtout pas
baisser la garde sur tous les facteurs d'introduction et mettre les moyens
publics nécessaires, c'est-à-dire d'abord une législation
adaptée. Ainsi, il est fondamental de vérifier que les
élevages qui dérogent à la règle de thermisation
des aliments destinés aux porcs n'ont pas été
tentés de tricher en économisant quelques calories. Le
problème sera réglé quand l'usage de tels déchets
en alimentation animale sera totalement interdit. Toutefois, rien ne dit qu'il
n'y a pas de fraude de la part de certains éleveurs qui continueront
d'acquérir des déchets de restaurants. Ces mesures
nécessitent une véritable pression de contrôle qui est
onéreuse mais indispensable pour poursuivre notre politique.
M. Philippe Arnaud, président
- Le respect des règles que
vous évoquez appelle une observation de ma part. Sur le territoire
national, en ce qui concerne le ovins par exemple, nous savons que certaines
périodes sont très propices à la consommation. Durant ces
périodes, la région parisienne devient une vaste zone
d'élevage non contrôlé ou mal contrôlé. N'y
a-t-il pas là un risque majeur ? N'avons-nous pas
frôlé la catastrophe ?
M. Bernard Vallat
- Nous avons très clairement frôlé
la catastrophe. Je m'étonne que la filière ovine française
ne se soit pas encore organisée pour fournir une demande aussi
importante que celle de l'Aïd el kebir qui constitue pourtant du pain
béni pour cette filière. Son organisation est insuffisante pour
concurrencer les importations massives d'ovins en provenance d'autres pays,
notamment le Royaume-Uni qui est le plus grand pays producteur. J'ai peine
à comprendre, compte tenu des difficultés de cette filière
qu'aucune organisation ne permette de répondre plus efficacement
à cette demande temporaire, centrée sur le bassin francilien. Je
m'étonne que les professionnels n'aient pas encore prévu des
dispositifs permettant des générer des revenus
supplémentaires du fait de cette demande. C'est une première
question.
Dans tous les cas, nous aurons recours aux importations à cette
période. Il est clair que les autorités françaises devront
déployer tous les moyens nécessaires pour s'assurer que les ovins
ne proviennent pas d'un pays infecté ou dans lequel le virus pourrait
circuler. Je ne peux prédire, tant que le Royaume-Uni déclare des
foyers, ce qu'il adviendra des échanges communautaires d'animaux
vivants. Il faudra un certain temps avant que le Royaume-Uni ne retrouve le
statut qui lui permette de nouveau d'exporter des animaux vivants.
M. Philippe Arnaud, président
- Des animaux peuvent entrer par
les Pays-Bas.
M. Bernard Vallat
- Si l'Europe ferme le Royaume-Uni parce qu'il est
infecté, ce sont toutes les importations qui sont interdites, y compris
via d'autres Etats membres.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Les laboratoires qui fabriqueraient
des vaccins marqués pourraient-ils obtenir une forme de reconnaissance
par l'OIE ? Pourrions-nous avoir le nom du site argentin que vous avez
évoqué ?
M. Bernard Vallat
- Ce site se nomme www.megagro.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous avez parlé du statut
économique et des restrictions commerciales. Pourrions-nous imaginer que
la fièvre aphteuse soit une arme bactériologique ou
économique ?
M. Bernard Vallat
- La vaccination ne constitue pas une assurance qu'un
pays ne connaît pas la maladie. Un pays qui a recours à la
vaccination peut exporter des viandes désossées s'il n'a pas de
foyer sur aucune espèce. Par exemple, un pays qui vaccinerait des bovins
et aurait un foyer sur des porcins serait considéré comme
infecté et n'exporterait plus rien. En revanche, un pays qui serait
indemne avec vaccination mais n'aurait pas de foyer peut exporter des viandes
désossées sous certaines conditions. Il est certes
pénalisé mais il peut tout de même exporter. Certains pays
peuvent être tentés de revenir au statut indemne avec vaccination.
Il faut savoir que ce statut implique, pour être sans risque, de vacciner
toutes les espèces animales sensibles et d'utiliser toutes les souches
de virus existantes. Nous connaissons aujourd'hui sept souches qui n'ont pas
d'immunité croisée, il faut donc un vaccin qui comporte ces sept
souches, ce qui n'est pas le cas des vaccins courants. Un tel vaccin serait
très onéreux. Il faut enfin vacciner régulièrement,
l'immunité conférée par la vaccination étant
très courte, d'environ six à douze mois.
Un tel statut implique donc un coût extrêmement
élevé. Les économistes spécialistes de
l'élevage, dans une étude de l'INRA, ont estimé que, en
pariant sur un retour régulier de la maladie selon un cycle d'environ
dix ans, l'absence de vaccination est économiquement
intéressante. Du point de vue économique donc, l'Europe a eu
raison de choisir cette politique. La nouveauté concerne la
réaction des citoyens face à des abattages massifs, à des
images de bûchers, etc. Il s'agit d'un aspect politique que l'OIE est
forcé de prendre en compte. C'est ainsi que, suite à cette crise,
nous avons organisé une conférence internationale, il y a deux
semaines, dont les conclusions figurent sur notre site Internet. Nous avons
évoqué le problème du vaccin marqué mais aussi
celui des animaux rares, c'est-à-dire les espèces sauvages
sensibles en captivité. Ainsi, les éléphants sont une
espèce sensible et peuvent être abattus, dans le cas d'un foyer
qui toucherait un zoo par exemple. Nous avons imaginé un dispositif
nouveau pour protéger de tels animaux, des animaux en voie de
disparition ou encore des animaux faisant l'objet de recherches scientifiques
à long terme sur lesquels nous pourrions perdre un vaste acquis
scientifique. Nous allons soumettre un nouveau concept, la
compartimentalisation, qui imposerait aux pays d'isoler ces sites, voire
autoriserait la vaccination sous certaines conditions. Toutefois, nous ne
connaissons pas les vaccins pour les éléphants, il faut donc
lancer des recherches.
Dans certains cas, effectivement, les vaccins marqués peuvent, dans les
pays qui ont recours à la vaccination, faciliter le dialogue avec les
pays importateurs. Ils permettraient en effet de reconnaître les
anticorps liés aux animaux vaccinés et les différencier de
ceux des animaux sauvages. Cependant, les difficultés techniques sont
considérables. Il faut d'abord déterminer des marqueurs
spécifiques à chaque souche virale et les tests,
nécessaires à la détection des anticorps dans un
prélèvement, doivent être également
spécifiques à la souche. Or à ce jour, des laboratoires
sont en train de mettre au point des tests mais ils ne sont pas dans le domaine
public et leur validation officielle par la communauté internationale
demandera du temps. Il est donc encore trop tôt pour nous fonder sur les
vaccins marqués pour définir des politiques nouvelles en
matière de vaccination.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous avez bien distingué
les aspects scientifiques et économiques. Vous avez fait
référence à des études économiques.
Pourrions-nous avoir connaissance de ces études qui permettent de
comparer le coût d'un programme de vaccination avec celui d'un programme
de non-vaccination ? Ces études qui ont fondé les politiques
qui s'appliquent actuellement nous permettrait de confirmer le
bien-fondé de ces décisions.
M. Bernard Vallat
- A ma connaissance il y a eu deux
études : l'une conduite récemment par l'INRA fondée
sur des simulations dont je vous communiquerai les références et
l'autre réalisée par la Commission européenne dont je vous
communiquerai également les références.
M. Paul Raoult
- Avez-vous le sentiment que le commerce des animaux
progresse ou qu'il est plutôt stagnant ? L'optique est bien celle du
commerce, la tentation étant tout de même de vacciner. Quand nous
rencontrons un éleveur, il nous demande pourquoi avoir supprimé
la vaccination. Vous tentez de le convaincre qu'il ne faut pas vacciner mais,
au delà des arguments scientifiques qui sont avancés, l'argument
important est bien la commercialisation des produits. Pouvons-nous
maîtriser la situation en décidant, par exemple, de vacciner les
animaux qui demeurent sur le territoire mais de ne pas vacciner ceux
destinés à l'exportation ? Telles sont les questions que nous
nous posons. Nous entendons les arguments scientifiques mais ils nous laissent
perplexes.
M. Bernard Vallat
- Le commerce mondial des animaux vivants concernant
les espèces sensibles à la fièvre aphteuse n'est pas en
augmentation. Il concerne essentiellement des animaux à haute valeur
génétique comme les reproducteurs. Cependant, la France constitue
un cas particulier car elle est l'un des premiers exportateurs de bovins
vivants du monde. Cela s'explique par la présence de zones montagneuses
comme le Massif Central qui ont un avantage économique à produire
des bovins maigres. En effet dans ces bassins, les sous-produits
nécessaires pour engraisser les bovins ne sont pas accessibles aux
mêmes conditions que dans les bassins céréaliers. Nos
campagnes se sont donc spécialisées dans la production de bovins
maigres avec deux clients principaux : l'Espagne et l'Italie. La France exporte
plus d'un million de têtes de broutants et elle ne peut les exporter que
vivants. Le contraire est impensable. En outre, les plaines importatrices de
l'Italie, notamment la plaine du Pô, disposent d'excédents
céréaliers et sont spécialisées dans
l'engraissement de ces animaux. Il y a une complémentarité
économique.
La France est donc particulièrement concernée par un usage
éventuel de la vaccination qui lui interdirait sans aucun doute ces
exportations. Le fait de vacciner une partie des animaux en France ferait
courir le risque que le virus circule sans être visible sur les animaux
vaccinés. Les pays importateurs refuseraient immédiatement de
courir ce risque. D'ailleurs malgré la pression de Bruxelles, les
broutards français ne partent toujours pas vers l'Espagne ou l'Italie.
Ces derniers appliquent en effet le code de l'OIE qui n'autorise les
exportations que trois mois après l'abattage du dernier animal malade.
La France est actuellement en cours de négociation et on me demande
d'intervenir pour débloquer une situation devenue dramatique pour les
éleveurs du Massif Central. Aujourd'hui, les animaux qui n'ont pu
être vendu ont acquis un poids qui les rend totalement invendables sur
ces marchés. J'ignore comment se réglera ce véritable
drame.
Le problème est donc bien plus aigu pour la France que pour d'autres
pays qui n'ont pas fondé une partie de leur économie agricole sur
l'exportation de bovins vivants. Les mêmes questions concernent les
ventes d'agneaux vers l'Espagne. L'Espagne achète des agneaux pour les
engraisser, notamment aux producteurs qui élèvent des brebis
laitières pour fabriquer le fromage de Roquefort. Ceux-ci vendent les
agneaux mâles.
M. Philippe Arnaud, président
- Pourriez-vous nous fournir une
copie du code de l'OIE ?
M. Bernard Vallat
- Le plus simple est de vous rendre sur notre site Web
qui contient un chapitre sur le Code zoosanitaire international et un chapitre
sur la fièvre aphteuse.
Concernant la procédure de régionalisation, un chapitre du Code
traite des conditions d'obtention de la régionalisation. Les
décisions officielles de régionalisation sous l'égide de
l'OIE nécessitent un examen par la Commission spécialisée
et une confirmation par un vote du Comité international. Deux pays
peuvent aussi s'entendre librement sur un mode de régionalisation sans
recourir à une décision officielle de l'OIE. Un accord entre un
importateur et un exportateur est tout à fait possible, à
condition que les deux parties acceptent la procédure.
M. Monsieur Raoult
- Comment la situation en Argentine peut-elle
évoluer ?
M. Bernard Vallat
- L'Argentine va être contrainte de reprendre
une politique de vaccination générale et connue, compte tenu de
l'ampleur de la maladie. Il est impensable, au stade où l'Argentine est
arrivée, qu'elle abatte tous les animaux des foyers comme le fait le
Royaume-Uni. Je pense que si le Royaume-Uni le fait, c'est parce qu'il a
accès aux aides communautaires. L'Argentine n'est plus en mesure de
pratiquer une politique sanitaire. Elle doit donc revenir à une
politique médicale. Lors d'une réunion au Brésil, la
semaine dernière, des interlocuteurs argentins m'ont indiqué
qu'ils allaient revenir à leur politique d'il y a dix ans,
c'est-à-dire qu'ils allaient de nouveau vacciner. Ils m'ont demander
d'établir une zone tampon avant de demander, dans quelques
années, le statut indemne sans vaccination pour le reste du pays.
L'erreur qu'ils ont faite est peut-être de ne pas avoir défini
plus tôt une zone tampon qui les protège des pays voisins.
L'Uruguay est sérieusement indemne. Le risque provient surtout du
Paraguay qui se déclare, par ailleurs, libre avec vaccination
actuellement. La situation n'était pas claire dans cette région.
L'Argentine renoue avec une politique plus réaliste et il faut les
encourager.
M. Paul Raoult
- Cela signifie qu'un grand pays exportateur de viande
comme l'Argentine maintient la vaccination. Lorsqu'ils entendent cela, les
éleveurs français se demandent pourquoi ils ne pourraient pas
faire de même.
M. Bernard Vallat
- Ils peuvent le faire parce qu'ils exportent
uniquement des viandes désossées. Il leur est interdit d'exporter
des carcasses. Il est absolument clair qu'un pays indemne avec vaccination ne
peut exporter que des viandes désossées.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous avons largement
évoqué les problèmes alimentaires et sanitaires ainsi que
leurs effets. Que pensez-vous des effets indirects sur le reste de la
filière, sur les produits agro-alimentaires comme les produits laitiers,
par exemple les fromages, et des interdictions de commercialisation très
ciblées ?
M. Bernard Vallat
- Il est compréhensible qu'un pays importateur,
lorsqu'il apprend qu'un pays libre devient infecté, avant de se mettre
en ordre de bataille et de décider ce qu'il convient d'arrêter ou
de poursuivre comme importations, dans un premier temps décide de tout
bloquer. Cela peut se comprendre dans un premier temps et pour une brève
période. Il n'y a jamais eu de contentieux international lié au
blocage général des exportations suite à l'apparition
d'une maladie. Ce n'est pas considéré comme anormal pour une
période courte. En général, le pays importateur envoie une
mission dans le pays exportateur, recherche des informations sur la
gravité de la situation, sur les mesures prises et sur les perspectives
d'évolution.
Il procède ensuite à une analyse du risque pour chaque
espèce d'animal et chaque produit et affine, dans un second temps, les
mesures de blocage qu'il a prises. C'est au cours de cette deuxième
phase, si un pays importateur introduit des blocages injustifiés sur le
plan scientifique, notamment pour certains fromages dont on sait que le
processus de fabrication détruit le virus de la fièvre aphteuse,
que le pays exportateur est en mesure de se plaindre et d'indiquer que la
barrière est injustifiée. En Europe et aux Etats-Unis, nous avons
ainsi assisté à des interdictions d'importation de
céréales, suite à des cas de fièvre aphteuse,
l'argument étant qu'un animal a pu se promener dans un champ de
blé destiné à l'exportation. L'OIE est actuellement
sollicitée par des pays d'Amérique Latine qui ont perdu leur
commerce de céréales. La France a été victime de
telles mesures à deux reprises et il nous a été
demandé d'intervenir à Genève pour clarifier la situation.
Nous l'avons fait récemment. Il y a donc des critères techniques
qui interviennent mais aussi, à chaque fois, une surenchère
difficile à expliquer.
M. Philippe Arnaud, président
- Disposez-vous de données
scientifiques ou d'éléments de jurisprudence permettant
d'étayer les mesures qui ont été prises pour les fromages
au lait cru ?
M. Bernard Vallat
- Selon le Code de l'OIE, la France est aujourd'hui un
pays infecté. Trois mois ne se sont pas encore écoulés
depuis l'abattage du dernier animal exprimant la fièvre aphteuse. Les
pays tiers peuvent donc légitimement empêcher la France d'exporter
vers leur territoire un certain nombre de produits, dont les produits à
base de lait cru. En effet, le lait non-thermisé est susceptible de
contenir le virus de la fièvre aphteuse. En revanche, le lait
pasteurisé et tous les fromages issus du lait pasteurisé ne
devraient pas faire l'objet de restrictions à l'importation. C'est
également le cas des produits à base de lait fermenté, le
virus étant très sensible aux variations de pH. En revanche, en
ce qui concerne les fromages, il existe une liste des fromages dont le
procédé détruit le virus et une liste de ceux dont le
procédé ne détruit pas le virus. Les listes sont
normalement disponibles à l'AFSSA. Marc Savey pourrait vous renseigner.
M. Philippe Arnaud, président
- Il semble qu'il y ait là
un abus de restriction. Nul n'est en mesure de dire s'il existe un risque, au
contraire. La plupart des scientifiques sont plutôt partisans de dire
qu'il n'y a pas de risque.
M. Bernard Vallat
- Nous pouvons dire que tout fromage fabriqué
selon un procédé qui ne fait pas varier le pH est dangereux
puisque c'est la variation de pH qui détruit le virus. Un fromage dont
le procédé de fabrication ne détruit pas le pH est
susceptible de contenir ou de préserver le virus de la fièvre
aphteuse. En outre, le virus apprécie les conditions humides.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous vous remercions d'avoir bien
voulu répondre à notre invitation et surtout à toutes nos
questions. Nous vous remercions d'accepter de nous transmettre tous documents
utiles.
15. Audition de M. Dominique Grange, Directeur de la Fédération Française des Commerçants en Bestiaux
M.
Philippe Arnaud, président
- Si vous le voulez bien, nous allons
entendre sans tarder M. le Directeur de la Fédération
Française des Commerçants en Bestiaux. Que pensez-vous de la
crise de la fièvre aphteuse que nous venons de vivre et que nous vivons
encore sur le plan économique. Quels enseignements en tirez-vous ?
Avez-vous personnellement des propositions à faire ?
M. Dominique Grange
- Je vous remercie. Je dois tout de suite
excuser le Président, Jean Mazet, ses engagements ne lui permettant
pas de se libérer aujourd'hui. Il m'a demandé de le remplacer et
je tenterai modestement de le faire. Afin de resituer correctement les choses,
je me propose de vous présenter rapidement le commerce du bétail,
qui n'est pas toujours très bien connu et souffre souvent d'une mauvaise
image.
I. Le commerce du bétail
Les échanges d'animaux vivants existent depuis l'origine de l'homme. En
effet, la possession d'animaux domestiques a longtemps été
considérée comme un signe de richesse et les animaux ont toujours
constitué une monnaie d'échange. Certains, par goût ou par
compétence, en sont alors venus à se spécialiser dans cet
échange : ainsi sont apparus les commerçants en bestiaux.
1. Evolution sectorielle
Il va sans dire que cette profession a dû s'adapter pour traverser les
âges. La nécessaire adaptation a visé à satisfaire
un certain nombre de nécessités économiques
incontournables, qui peuvent être synthétisées en trois
points :
• regrouper une production animale hétérogène et
dispersée ;
• trier les animaux pour en faire des lots homogènes ;
• réexpédier les animaux vers des circuits de valorisation,
où ils trouveront leur meilleur prix.
• Pour utiliser une image, la filière bétail viande, pendant
un certain temps, a pu se trouver représentée sous la forme d'un
sablier. Elle constituait un système relativement
équilibré, comprenant les éleveurs en haut du sablier, les
négociants juste en dessous et les abatteurs au niveau du goulot
d'étranglement ; dans la partie inférieure résidaient
ensuite les grossistes, les bouchers puis, tout en bas, les consommateurs. Or
il se trouve qu'en une quinzaine d'années, cette physionomie a
totalement changé puisque nous sommes passés d'un sablier
à un verre à pied. Dans ce dernier, les éleveurs occupent
toujours le niveau supérieur, tout en s'étant concentrés
et spécialisés, et les négociants la strate juste en
dessous ; l'on trouve ensuite les abatteurs mais ceux-ci ne constituent
plus le goulot d'étranglement, qui se trouve occupé, lui, par la
grande distribution -- or il faut savoir que c'est la profession qui
gère ce niveau du goulot d'étranglement qui maîtrise, en
quelque sorte, l'ensemble de la filière -- ; ensuite viennent
les bouchers, qui sont nettement moins nombreux qu'auparavant, puis, tout en
bas, les consommateurs. Telle est donc l'évolution physionomique du
secteur dans lequel nous travaillons...
M. Philippe Arnaud, président
-
Pourrions-nous
disposer des croquis que vous venez de réaliser ?
M. Dominique Grange
- Je vous les remets volontiers.
2. Cadre fiscal et administratif
J'ajoute que le commerçant en bestiaux est tout de même, quoi
qu'on en dise, un professionnel transparent. Sur le plan fiscal, effectivement,
il est assujetti à la TVA depuis 1971 et remplit donc
régulièrement des déclarations de chiffre d'affaires. Ses
comptes sont d'autant plus fréquemment contrôlés qu'il doit
tenir une comptabilité matière, qui l'oblige à suivre
toutes les transactions animal par animal en ce qui concerne les bovins et par
lot pour ce qui touche aux ovins (puisqu'il n'y a pas d'identification
individuelle suffisamment poussée à ce niveau). En outre, cette
comptabilité matière doit être tenue quotidiennement et
pour l'ensemble de l'activité, qu'il s'agisse de négoce ou, le
cas échéant, d'élevage. Dans ce cadre, néanmoins,
il n'est pas rare que le commerçant en bestiaux fasse application de
l'article 155 du code général des impôts, qui lui
permet de regrouper ces deux activités en une comptabilité
unique. Par ailleurs, s'il est exportateur ou s'il remplit une activité
d'exportation, il peut être autorisé à acheter en
suspension de TVA, sous contrôle de l'administration fiscale. Enfin, le
commerçant en bestiaux doit délivrer aux douanes des
déclarations d'échange de biens mensuelles ainsi qu'une
déclaration récapitulative annuelle.
L'encadrement fiscal et douanier apparaît donc important. Quant au plan
vétérinaire, il y a obligation d'avoir un centre de rassemblement
agréé par la DSV pour le tri et l'allotement des animaux
expédiés vers un autre Etat membre ; pour ceux qui
travaillent uniquement sur le marché national, une simple
déclaration d'existence auprès des services
vétérinaires est nécessaire, ce qui induit la
nécessité de se faire enregistrer auprès des services
vétérinaires.
3. Structure économique et activité
Le commerce du bétail concerne de petites structures. Il s'agit souvent
d'entreprises familiales, très bien implantées dans le milieu
rural et proches des éleveurs. Il est même fréquent que les
commerçants soient eux-mêmes éleveurs. Globalement, l'on en
recense 1 500 sur la France, qui représentent environ 40 milliards
de francs de chiffre d'affaires annuel pour un chiffre d'affaires unitaire
moyen de 26 millions de francs. Elles représentent quelques
13 000 emplois, parmi lesquels -- c'est une
particularité -- 3 000 emplois non salariés. Le
chiffre d'affaires moyen, relativement élevé, ne doit pas
occulter le fait qu'il tient compte du prix unitaire élevé de la
marchandise. Quant à la marge, elle est très faible puisqu'elle
oscille entre 7 % et 8 % en brut et 2 % en net.
Le commerçant en bestiaux est un grossiste. Sa fonction demeure peu ou
mal perçue, dans la mesure où pour le commun des mortels, rien ne
ressemble plus à un bovin qu'un autre bovin. Pourtant, constituer des
lots ne se limite pas à regrouper les animaux par taille ou par couleur.
Il s'agit surtout de « scanner » ou d'analyser un animal,
afin de déterminer son potentiel en vue d'une orientation vers la
filière adéquate. A ce sujet, dans un contexte d'accroissement du
nombre de filières dites qualité (dont les cahiers des charges
s'avèrent toujours plus exigeants), les abatteurs reconnaissent, dans la
plupart des cas, que les commerçants en bestiaux répondent
pour 95 % correctement à ces cahiers des charges. Cela prouve
qu'ils ont l'oeil bien affûté !
Plus précisément, il existe des cycles de formation. Vous en
trouverez deux dans le dossier que je joins, qui dispensent une formation
d'acheteur-estimateur de bestiaux (l'un à côté de Rennes,
dans le CFPPA du Rheu ; l'autre à Figac). Ceux qui suivent ces
formations n'ont, jusqu'à présent, jamais rencontré de
difficulté pour trouver un emploi. Au contraire, ils sont
recherchés, les formateurs se trouvant régulièrement
contactés en ce sens aussi bien par des entreprises privées que
par des coopératives...
M. Gérard César
- Quel est le cycle de
formation ? S'agit-il d'une formation en alternance ?
M. Dominique Grange
- Un CFPPA s'étale sur six mois en
continu. Il s'agit d'une formation à la fois pratique et
théorique
.
Pour ce qui est de son activité, le commerçant en bestiaux
travaille essentiellement au niveau national. Ses partenaires sont les
éleveurs, les abatteurs et les exportateurs -catégorie que le
langage communautaire qualifie plutôt d'expéditeurs. Même si
l'on ne parle pas réellement d'exportations à ce niveau, il faut
savoir que nous exportons, annuellement, environ 1,6 million de bovins
vivants -- dont 1 million vers l'Italie (qui s'avère notre
principal débouché), 300 000 têtes vers l'Espagne
puis, à des niveaux nettement inférieurs, vers d'autres pays de
la Communauté (Grèce, Allemagne, etc.). Dans l'ensemble, la
Communauté représente 95 % de nos
débouchés mais aussi de notre marché (dans la mesure
où nous importons également des pays communautaires). Pour
l'anecdote, nous sommes actuellement, en France, en période creuse de
vêlage, ce qui justifie que nous importons les veaux dont nous avons
besoin d'Italie ou d'Allemagne (autrefois de Grande-Bretagne). Cela concerne
essentiellement les bovins et les moutons. Les porcs, eux, sont tellement
standardisés que les quelques marchés au cadran qui perdurent
procèdent davantage à des ventes sur catalogue que sur
présentation physique d'animaux vivants.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- En d'autres termes, tout est
intégré.
M. Dominique Grange
- Oui. Du moins, c'est tellement
spécialisé ou centralisé que les ventes sur catalogue
sont, aujourd'hui, monnaie courante. Cependant, la production n'est pas
suffisamment standardisée au niveau des bovins. Il existe encore une
diversité importante entre le cheptel laitier et le cheptel allaitant.
Les demandes et les besoins demeurent différents
.
Après cette rapide présentation de notre secteur, j'en viens aux
incidences des crises.
II. LES CRISES RÉCEMMENT TRAVERSÉES
Il ne faut pas oublier, effectivement, que notre profession a été
confrontée à deux crises : la crise de l'ESB, d'une
part ; la crise de la fièvre aphteuse, d'autre part.
1. Crise de l'ESB
La crise de l'ESB, fin 2000, a profondément ébranlé
les secteurs de l'élevage, de la commercialisation mais aussi de la
consommation. Les effets d'annonce sur le retrait de tel ou tel produit au nom
du principe de précaution ont induit des doutes chez les consommateurs.
En outre, un certain nombre d'états membres ont alors fermé leurs
frontières et pris des mesures d'embargo vis-à-vis du cheptel ou
de la viande française (notamment l'Espagne, l'Italie et l'Autriche).
Tout cela a alourdi notre marché, sans compter qu'une campagne
médiatique quelque peu exacerbée s'est développée.
La population des consommateurs, de plus en plus urbaine, a tendance à
perdre contact avec la campagne et les problèmes de l'élevage et
à assimiler le mauvais traitement aux animaux à un mauvais
traitement à un être vivant (notamment dans le cadre du
transport). Pourtant, les animaux vivants n'en demeurent pas moins une
marchandise !
Par ailleurs, la mise en place des tests dans tous les pays de la
Communauté à partir du 1
er
janvier et la
découverte de cas d'ESB dans un certain nombre d'états membres
qui se vantaient, jusque là, d'être totalement
protégés ont induit une réaction de peur de la part des
consommateurs de ces pays : nous avons assisté à des chutes
de consommation de l'ordre de 50 % à 70 % en
Allemagne, Italie et Espagne, ce qui a provoqué un nouveau coup
d'arrêt dans les échanges avec nos partenaires.
2. Crise de la fièvre aphteuse
C'est dans ce contexte déjà fortement perturbé qu'est
arrivée la crise de la fièvre aphteuse. Malgré une
légère embellie début janvier, pendant laquelle nous avons
pu recommencer à exporter un peu, toutes les frontières ont
été fermées fin janvier pour les raisons exposées
précédemment et la fièvre aphteuse est apparue en
février en Grande-Bretagne, induisant toutes les mesures de restriction
aux échanges prises tant au niveau communautaire qu'au niveau
français. De mémoire de négociants comme
d'éleveurs, nous n'avions jamais connu un tel panel de mesures
d'interdiction ! Auparavant, en effet, lorsque des cas de fièvre
aphteuse apparaissaient dans un pays de la Communauté, des zones de
surveillance et de protection de trois et dix kilomètres étaient
créées, autour desquelles la libre circulation était
maintenue. Cette année, pour prendre le cas de la France, deux foyers
sont apparus, qui ont suffi à interdire tout mouvement d'animaux sur
l'ensemble du territoire (interdiction des marchés, des centres de
rassemblement, des collectes de ferme en ferme...). Cela a totalement
perturbé nos activités.
3. Mesures mises en place
Le nouveau train de mesures mis en place par Bruxelles a exigé que les
échanges intracommunautaires, jusqu'alors totalement libres, soient
soumis à l'autorisation des services vétérinaires du pays
destinataire de la marchandise, en accord avec le pays expéditeur.
Autant dire que rien n'a circulé pendant deux mois ! Ce n'est
qu'aujourd'hui que les animaux commencent à pouvoir quitter le
territoire français en direction de l'Italie. Nous sommes toujours, au
moment où je vous parle, soumis à des mesures de
dérogation lourdes. Les mesures ont donc revêtu un
caractère indubitablement exceptionnel.
En tant que professionnels du bétail, nous n'avons jamais
contesté ces mesures. Notre objectif n'est pas de le faire. Simplement,
si nous convenons de la nécessité d'une protection, nous
souhaitons demeurer dans un cadre raisonnable. Nous savons maîtriser les
choses. Nous pouvons rendre hommage, à ce sujet, au travail des services
vétérinaires. Compte tenu de la quantité d'ovins
importés en prévision de la fête de
l'Aïd el Kébir du 6 mars -- l'interdiction
de tout mouvement étant survenue le 7 mars --, les
risques potentiels étaient énormes ; or nous n'avons connu
que deux foyers. Il faut reconnaître que les services
vétérinaires comme les négociants ont parfaitement
joué le jeu, la comptabilité matière dont je vous parlais
tout à l'heure ayant permis de remonter les filières pour
retrouver certains cheptels et procéder à des abattages d'urgence
ou de précaution.
M. Gérard César
- A propos de
l'Aïd el Kébir, nous avons appris que certains
entrepôts, autour de Paris, recevaient des moutons. Est-ce que vous y
êtes pour quelque chose ou s'agissait-il de commerces parallèles
ou sauvages ?
M. Dominique Grange
-
Le problème est complexe. Nous
avons à faire à une tradition religieuse qu'il faut satisfaire.
En effet, si elle ne correspond pas aux principes sanitaires d'abattage en
vigueur -ce qui induit des critiques au niveau de la Communauté
Européenne-, cette demande n'en touche pas moins à un rite et
à une tradition.
Il est besoin, pour un jour donné, d'une très grande
quantité de bêtes. Malgré des tentatives d'accords avec des
services vétérinaires (visant à faire rouvrir des
abattoirs), la pression est telle, compte tenu de l'importance de la population
musulmane sur notre territoire, que les lieux d'abattage s'avèrent
insuffisants. Peut-être n'en agréons-nous pas suffisamment car du
côté de nos professionnels, les demandes d'ouverture d'abattoirs
-même non agréés- sont nombreuses. De telles ouvertures
permettraient au moins de disposer de lieux de rassemblement pouvant accueillir
un vétérinaire mandaté pour vérifier l'état
sanitaire de l'animal avant le sacrifice. Il est certain que suite à un
relatif laisser-faire, certains animaux ont été vendus à
des personnes s'avérant être non pas des éleveurs de
moutons mais de véritables commerçants. Quelques-uns uns d'entre
eux s'en sont défendus, prétextant disposer d'animaux en
dépôt-vente. Ceci ne correspond pourtant pas aux pratiques
professionnelles en vigueur. C'est là un dossier qu'il nous faudra
absolument revoir, dans l'idée de tirer les enseignements de cette crise.
Se pose également la question de savoir pourquoi importer des moutons de
Grande-Bretagne. Certes, notre production nationale de moutons s'avère
nettement insuffisante, avec 140 000 tonnes produites face à une
consommation nationale de 305 000 tonnes. En effet, la France
est pratiquement le plus grand consommateur européen de viande ovine.
Nous comblons ce déficit de 165 000 tonnes par un
commerce avec les Pays-Bas (404 000 têtes importées chaque
année), le Royaume-Uni (260 000 tonnes), l'Espagne (130
000 tonnes) puis le Royaume-Uni (83 000 tonnes), l'Irlande
(44 000 tonnes) et la Nouvelle Zélande
(31 000 tonnes).
Suite à l'arrêté qui a été pris, en France,
pour interdire tous les mouvements, l'activité du négoce s'est
trouvée paralysée pendant quasiment deux mois (deux mois et demi
pour ce qui concerne l'exportation) -- mars et avril. Comme je l'ai dit,
nous commençons à peine à exporter de nouveau des animaux
et ce uniquement vers l'Italie. Les données chiffrées que nous
avons recueillies auprès d'un certain nombre de nos adhérents
indiquent que les entreprises spécialisées en commerce national
ont enregistré de 35 % à 40 % de baisse
d'activité sur six mois. Dans l'Aveyron, par exemple, la comparaison des
chiffres d'affaire de novembre à mars entre les années 1999
et 2000 fournit les taux suivants : -33 % en novembre (en lien
à la crise de l'ESB), -25 % en décembre, -17 % en
janvier suite à une légère reprise d'activité puis
-36 % en février et -65 % en mars. En moyenne, le syndicat de
l'Aveyron, qui représente une quarantaine d'entreprises, a donc subi une
chute de 36 % de son chiffre d'affaires ! (Je vous laisse quelques
tableaux reflétant l'action logistique du négociant dans la
répartition sur le territoire national.)
Les enseignements de la crise, eux, sont les suivants.
III. LES ENSEIGNEMENTS TIRÉS
La fête de l'Aïd el Kébir constitue le premier
enseignement.
Le second enseignement touche au risque de renationalisation du marché,
que nous avons pu connaître, sous prétextes
vétérinaires, à travers la décision du
Comité Vétérinaire Permanent (CVP) de n'autoriser les
échanges qu'en accord avec les services vétérinaires du
pays destinataire. Nous en revenons là à une sorte de
renationalisation du marché et à un manque de fluidité
dans les échanges. Il conviendrait, en revanche, de mieux
régionaliser les zones autour des foyers : si nous prenons le cas
de l'Orne et de la Mayenne, par exemple, la zone pourrait consister en ces deux
départements complétés, peut-être, des deux
départements limitrophes. Or l'Italie, en rouvrant ses
frontières, a imposé des conditions drastiques, en interdisant
toute expédition d'animaux depuis une zone couvrant les pays de Loire,
la Bretagne, les Haute et Basse-Normandie, le Pas-de-Calais, le Nord, la
Région parisienne et deux départements du Centre. C'est tout de
même une zone de protection extrême par rapport aux deux
départements effectivement touchés !
Un autre problème concerne la procédure administrative. Une
décision prise au niveau du CVP tel jour ne se trouve publiée au
Journal Officiel communautaire que huit jours plus tard. Plus avant, la France
a besoin de huit jours supplémentaires pour publier
l'arrêté correspondant. Il y a donc un effet d'annonce
immédiat par la presse, qui contraste avec la quinzaine de jours
nécessaires à l'entrée en vigueur de la décision
concernée.
Un autre enseignement tient dans la nécessité d'une bonne
harmonisation dans l'identification des animaux, surtout pour ce qui touche aux
ovins (qui constituent une part importante de nos échanges). S'il existe
une identification ovine en France, il n'existe pas, actuellement,
d'identification harmonisée au niveau communautaire. Certains pays se
contentent donc simplement, le jour de l'expédition, de mettre une
boucle aux animaux partants sans traçabilité aucune. C'est
pourquoi nous sommes demandeurs d'une harmonisation communautaire à la
fois de l'identification ovine et de son application. Ceci éviterait que
les pratiques de certains mauvais élèves ne se trouvent
reconduites (je pense, notamment, au Royaume-Uni et à l'Allemagne, qui
paraît pourtant si rigoureuse sur son marché intérieur).
Tels sont donc les enseignements à tirer. Quant aux aides aux
entreprises, il s'agit d'une démarche que notre Fédération
a entreprise avec le Ministère de l'Agriculture.
M. Philippe Arnaud, président
- Merci, Monsieur le
Directeur. Avant d'en venir aux questions puis de donner la parole à
notre rapporteur, je voudrais revenir sur deux points. Tout d'abord, vous avez
évoqué les élevages concentrés en région
parisienne à la veille des fêtes musulmanes. Que fait le
Ministère de l'Intérieur sur ce point ? Quelle est la
surveillance mise en place ? Enfin, quelles sont vos relations en tant que
négociants ?
M. Dominique Grange
-
Le problème est que le Ministre
de l'Intérieur, qui est également le Ministre des cultes, ne
dispose pas en face de lui, dans le cadre du culte musulman, d'un interlocuteur
représentatif tel qu'il peut l'avoir avec la religion catholique
comme avec la religion juive. En effet, il se trouve confronté, ici,
à une multitude d'organisations en conflit les unes avec les autres. Il
doit donc négocier avec une multitude de structures. En outre, au niveau
du terrain, ces diverses organisations ont vite compris que cette fête de
l'Aïd el Kébir constituait un moyen d'obtenir des
subsides en négociant leur reconnaissance de tel ou tel opérateur
spécialisé disposant d'un centre agréé.
M. Philippe Arnaud, président
-
Cela expliquerait-il
que l'on trouve des agneaux à 1 700 francs ?
M. Dominique Grange
- 1.700 francs, je ne sais pas. J'ai
entendu parler de 1.200 francs.
Vous avez besoin, un jour donné, d'un animal. Cette année et pour
la première fois, me semble-t-il, le Recteur de la Mosquée de
Paris a annoncé que le mouton n'était pas obligatoire mais que
l'on pouvait sacrifier ou partager un poulet, par exemple. Le problème
de ce contrôle sanitaire relève du Ministère de
l'Agriculture, de la DGM et, souvent, des préfectures. Or
malheureusement, les préfectures se trouvent tiraillées entre une
communauté qui peut être très importante aux abords de
certains centres urbains et un manque d'abattoirs. Que faire ?
M. Philippe Arnaud, président
-
Par ailleurs, vous
avez évoqué la nécessité d'une meilleure
définition des zones à exclure temporairement des mouvements en
cas de crise de ce type. J'ai cru comprendre, dans votre exemple, que l'Italie
avait décidé d'exclure toute la partie nord de la Loire. L'Italie
est-elle maîtresse de sa décision ?
M. Dominique Grange
-
Les choses se sont passées
comme suit. L'Italie a pris une ordonnance interdisant l'importation de tout
agneau d'origine française jusqu'au 18 mai. Nous sommes alors
intervenus auprès de nos collègues importateurs italiens, en leur
demandant d'intercéder auprès de leurs services pour faire ouvrir
les frontières. Parallèlement, nous avons demandé à
Jean Glavany et à Lionel Jospin d'agir en ce sens
auprès de leurs homologues italiens, dans la mesure où les deux
pays s'avèrent des partenaires privilégiés dans ce
secteur. Les Italiens ont convenu de faire un effort sous leurs conditions et
ils ont ainsi pris une nouvelle ordonnance, par laquelle ils ont
eux-mêmes défini la régionalisation en question. Par la,
suite, un protocole bilatéral a été conclu entre les
services vétérinaires français et italiens, par lequel les
services vétérinaires italiens ont demandé, en
supplément, des tests sérologiques de recherche d'anticorps sur
un certain pourcentage d'animaux expédiés vers leur pays. Or il
n'est qu'un seul laboratoire agréé pour faire ces analyses, en
France (celui de Maisons-Alfort), alors qu'il existe presque 300 centres
de rassemblement agréés pour l'expédition.
M. Philippe Arnaud, président
-
Est-ce que vous avez
les ordonnances italiennes ?
M. Dominique Grange
-
Je ne les ai pas ici mais je peux vous
les faire passer.
M. Philippe Arnaud, président
- Merci. Monsieur le
Rapporteur...
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
-
La première
question que je souhaite poser consiste à savoir quelles sont les
conditions à remplir pour être négociant en bestiaux. Y
a-t-il un diplôme à obtenir ou peut-on s'installer comme tel
facilement (dans le cadre français, tout d'abord, puis aux niveaux
communautaire et mondial) ? Par ailleurs et sans chercher à faire
le procès de quiconque, il apparaît que la fièvre aphteuse
est arrivée en France par le biais d'un négociant. Or vous avez
évoqué le problème de l'identification des animaux. L'on
sent bien que dans le contexte de l'Union Européenne, une
évolution semble nécessaire -surtout au niveau des ovins. D'autre
part, en termes d'activité, quel est le pourcentage que vous
réalisez sur les marchés ou en fermes et quel est, à votre
avis, l'avenir de ces marchés ?
Une autre question concerne les centres de transit pour les animaux en
provenance de l'Union Européenne : faut-il qu'ils soient
placés dans une région d'élevage ? Chacun attend avec
impatience que l'Italie rouvre ses frontières. Or vous connaissez comme
moi les fluctuations des cours. Comment bâtir l'avenir d'un
élevage, en France, à partir de fluctuations telles ? Enfin,
il semble qu'il faut mettre en place une traçabilité efficace et
importante. Comment votre profession réagit-elle par rapport aux labels,
aux AOC ou aux indications géographiques protégées ?
M. Dominique Grange
- Pour ce qui concerne la qualification ou
l'installation des négociants en bestiaux, il n'existe pas de
numerus
clausus
ni de diplôme obligatoire. Cependant, une véritable
compétence professionnelle me paraît indispensable dès lors
qu'il est question de durer dans le temps.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
-
Ne faudrait-il pas aller
vers une certaine qualification ?
M. Dominique Grange
-
Des centres de formation existent et
nous poussons à leur fréquentation mais il n'y a pas d'obligation
de diplôme.
M. Gérard César -
N'est-ce pas l'intérêt
de la profession ?
M. Dominique Grange
-
C'est tout à fait son
intérêt. Néanmoins, comme je vous le disais, on ne
s'installe pas dans cette profession du jour au lendemain, compte tenu des
déclarations fiscales ou sanitaires à remplir auprès des
services départementaux. En conséquence, je ne pense pas que
l'administration fiscale ou sanitaire puisse dire qu'elle ne connaît pas
les commerçants en bestiaux de son département.
Cela fait de nombreuses années que je travaille dans cette
Fédération. Je me souviens de la mise en place de la TVA et de la
révolution que cela a induit. Lorsque les négociants ont dû
adopter une comptabilité en réel, certains ont cessé leur
activité ! L'euro constituera déjà une nouvelle
révolution pour eux. Au niveau des échanges intracommunautaires,
vous êtes obligés d'avoir un centre de rassemblement
agréé. Les conditions demandées en vue de pouvoir
effectuer des échanges incitent à avoir la liste des centres
agréés. Pour reprendre l'exemple des échanges avec
l'Italie, il a fallu dresser cette liste et nous l'avons communiquée aux
services vétérinaires : on y recense plus
de 300 centres sur l'ensemble de la France. Cela, c'est donc une
première chose.
D'autre part, vous relevez que chacun se tourne vers l'Italie. Il ne faut pas
oublier que nous exportions de nombreux veaux vers l'Italie, pays quelque peu
atypique en Europe puisqu'il se révèle grand consommateur de
viande mais très faible producteur. Surtout, l'Italie ne dispose pas de
surface en herbe qui lui permette d'avoir de l'élevage allaitant alors
que c'est précisément le type de viande qui y est demandé.
Ceci explique que tout le massif central, en tant que zone
spécialisée en élevage allaitant, adopte l'Italie comme
débouché prioritaire. Si l'Espagne, par exemple, constitue un
autre pays acheteur pour nous, elle ne demande pas la qualité qu'exige
l'Italie mais se fonde sur le prix. L'Italie, elle, se concentre sur la
qualité de la viande. Par ailleurs, le marché italien
représente tout de même, pour nous, un million de têtes
chaque année, ce qui est extrêmement important.
Au niveau des pays tiers, nous n'avons quasiment pas de marchés,
à l'exception du Liban, pour des animaux tout venant ou destinés
à l'abattage, et le Maghreb (essentiellement le Maroc, l'Algérie
et, dans une moindre mesure, la Tunisie) pour des génisses pleines. Or
ces pays ont fermé leurs frontières depuis le mois d'octobre et
ne semblent pas prêts de les rouvrir, ayant subi les mêmes
campagnes médiatiques que nous contre la viande bovine.
En ce qui concerne les centres de transit, vous vous demandez pourquoi les
situer dans des zones d'élevage. Les commerçants en bestiaux, en
France, se répartissent dans les zones d'élevage parce que ce
sont des zones d'approvisionnement...
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
-
Ce n'est que dans le
cadre des accords, pour éviter la contamination.
M. Dominique Grange
-
Les problèmes sanitaires
apparaissent toujours lors d'un déplacement -n'importe quel
vétérinaire vous le confirmera. Un animal est toujours porteur
sain de quelque chose. Lors d'un déplacement, moment de stress, l'animal
se révèle plus fragile. C'est pourquoi nous avons parfois du mal
à faire passer certaines choses, même aux services
vétérinaires français lorsque ceux-ci nous demandent, par
exemple, de rassembler les animaux 24 heures à l'avance pour
effectuer une prise de sang puis d'attendre patiemment les résultats.
Ceci s'avère impossible à faire économiquement ! Nous
ne pouvons concevoir que de faire des prélèvements dans tel
élevage, d'attendre les résultats puis de rassembler les animaux
pour les expédier. Il faut que les animaux aillent directement du point
de rassemblement à leur destination.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- A ce sujet, comment voyez-vous
les choses pour les animaux qui vont à la boucherie ? Est-ce qu'on
ne va pas vers un transport de carcasses plutôt que d'animaux
vivants ?
M. Dominique Grange
- Il y a deux choses.
Le bien-être, à mon sens, est un problème de pays riche.
Pendant la guerre, il n'y avait pas de transport : les animaux se
déplaçaient « à pied » et cela
fonctionnait très bien. Les animaux voyagent parfaitement. Parmi le
million de bêtes que nous expédions en Italie, certaines sont
grasses et vont s'y faire abattre. Pourquoi des pays achètent-ils des
animaux gras pour les faire abattre chez eux ? Pour faire tourner leurs
outils d'abattage et disposer des sous-produits ainsi que d'une certaine
souplesse. En effet, il est fréquent d'envoyer un camion plein de veaux
d'Aveyron prêts à être abattus, par exemple.
Néanmoins, les abatteurs, disposant de circuits de distribution des
carcasses relativement limités, mettent souvent ces veaux en attente
dans une étable, pour les abattre au fur et à mesure de leurs
besoins. Cela assure une certaine fluidité et une certaine
régularité dans l'approvisionnement.
Par ailleurs, il faut être certain qu'il n'y a pas de problème au
niveau de la chaîne du froid. Dans certains cas, les carcasses qui
doivent sortir de l'abattoir à une certaine température en
sortent à une température nettement plus élevée, le
temps du transport en camion étant censé la faire baisser. Ceci
ne constitue pas une solution sanitairement bonne. Il peut s'ensuivre des
problèmes de listériose, etc.
Les centres de transit seront sans doute de plus en plus contrôlés
et normalisés. Quoi qu'il en soit, depuis dix années que nous
avons stoppé la vaccination contre la fièvre aphteuse et dans un
contexte d'amplification constante des mouvements d'animaux, c'est la
première fois que nous rencontrons deux cas de fièvre aphteuse.
M. Philippe Arnaud
- Merci beaucoup, Monsieur le Directeur, d'avoir
répondu à nos questions.
16. Audition de M. Georges Bedes, président de la première section du Conseil Général Vétérinaire
M. Philippe Arnaud, président
-
Nous
recevons, à présent, le Président de la première
section du Conseil Général Vétérinaire.
Si vous le voulez bien, pouvez-vous nous faire part de votre analyse en ce qui
concerne la crise de fièvre aphteuse que nous venons de traverser et,
notamment, les perspectives qui s'en dégagent ? Auparavant, il
serait toutefois utile que vous rappeliez, en quelques mots, quelle est la
fonction du Conseil Général Vétérinaire.
M. Georges Bedes
- Le Conseil Général
Vétérinaire est une instance consultative de veille qui peut
s'auto-saisir ou être saisie à la demande du cabinet du Ministre
ou de certains directeurs généraux. Elle constitue, de ce fait,
une très grande force de proposition. C'est, du moins, ce que nous avons
recherché en changeant sa structuration l'an dernier. Ceci explique la
légère confusion qui existe puisque du fait de ce changement de
structuration, c'est le Président de la troisième section
-- technique -- que vous auriez dû interroger.
Néanmoins, je pense pouvoir répondre à vos questions de
par mes fonctions antérieures. En effet, j'ai été
inspecteur territorial pendant cinq années et, auparavant, Chef des
services vétérinaires français et Sous-Directeur
santé animale, hygiène alimentaire et DSV. En outre, c'est
lorsque j'étais aux affaires que j'ai mis en oeuvre l'arrêt de la
vaccination contre la fièvre aphteuse. Enfin, j'ai participé,
très récemment, à la mission d'aide aux services
britanniques mise en place par le Ministère de l'Agriculture à la
demande du Premier Ministre.
M. Philippe Arnaud, président
-
En tant que
spécialiste, quelles leçons tirez-vous de la crise que nous
venons de vivre -- qui n'est sans doute pas totalement
terminée ?
M. Georges Bedes
-
La leçon que j'en tire est qu'une
fois encore, il y a un grave problème de maladie contagieuse. La
première raison tient dans l'existence, à l'origine, d'un circuit
que nous ne connaissions pas en matière de BSE (pouvons-nous parler de
fraude à ce sujet ?) ; la deuxième raison touche au
fait qu'il y a mouvement d'animaux. Sur ce dernier point, il faut,
effectivement, que des mouvements d'animaux aient lieu. Néanmoins, il
convient de se demander, comme je le disais déjà il y a dix ans
de cela au niveau de la FAO, si nous pourrons continuer longtemps à
transporter des animaux vivants comme nous le faisons.
En effet, compte tenu des rendements bouchers, nous transportons
quantité d'animaux vivants dans des conditions parfois difficiles. Or ce
sont bien les animaux vivants -- et non réellement les
aliments -- qui se révèlent agents de transmission des
maladies. Certains prétendent que les cas de fièvre aphteuse, en
Grande-Bretagne, seraient dus à des déchets de plateaux-repas. Je
n'y crois pas. Le fait est que nous étions en période de
préparation de l'Aïd el Kébir et qu'il y avait
donc un commerce important de moutons. Or vous savez comme moi ce qui se
passe lorsque certains animaux sont bradés : un trafic
frauduleux se met en place.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous identifiez donc deux
raisons : le mouvement des animaux, d'une part (qui pose la question de savoir
si nous pouvons continuer à transporter des animaux vivants comme nous
le faisons) ; la fraude, d'autre part.
Pour ce qui concerne la fraude, les relations intracommunautaires sont
fondées sur la confiance réciproque. Les services
vétérinaires des différents pays membres doivent
être en situation d'exercer un contrôle interne et une surveillance
étroite. Cependant, il semble que dans les relations avec la
Grande-Bretagne, notamment, le marquage des animaux se fasse uniquement au
moment du départ, ce qui empêche toute traçabilité.
Le cadre étant celui de la confiance réciproque, les pays de la
Communauté n'effectuent pas de contrôle systématique
à l'arrivée. Est-ce que ceci relève de la fraude ou
plutôt d'une insuffisance ?
M. Georges Bedes
-
Cela ne relève pas de la fraude
mais d'une insuffisance dans le niveau de qualité des services de
contrôle. Des services vétérinaires efficaces devraient
être capables de contrôler leurs mouvements d'animaux, ce qui
induit la nécessité d'un recensement puis d'une identification
fiable de ces animaux.
Comme je vous le disais, j'ai participé à la mission d'aide en
Grande-Bretagne. Il a fallu 48 heures pour que les Britanniques se
décident à me conférer une relative autonomie sur leur
territoire, en me confiant quotidiennement une liste de cheptels à
visiter. Sans doute ne leur tardait-il pas que je perçoive la situation
exacte. Figurez-vous que dans certains cas, c'est nous qui leur avons appris de
quel type de cheptel il s'agissait ou, au contraire, que l'élevage en
question n'existait plus depuis plusieurs années ! Nous avons
même découvert, près de Gloucester, un élevage de
quelques mille porcs non recensé. J'en conclu donc qu'il n'existe pas de
recensement, en Grande-Bretagne, et que l'identification s'y trouve
limitée -- à mon sens en vue de profiter des fonds du FEOGA.
J'irai plus loin. Lorsque Henry Nallet a négocié
l'arrêt de la vaccination contre la fièvre aphteuse, il a
fixé un certain nombre de préalables à cet accord :
s'assurer de la valeur des services vétérinaires ; mettre au
point des plans d'urgence ; constituer en réserve des banques de
vaccins ; enfin, monter le niveau de contrôle au niveau des
frontières de la Communauté. Ces quatre dispositions ont
été mises en oeuvre au nom de la subsidiarité et selon des
vitesses d'application tout à fait différentes.
Permettez-moi, néanmoins, de préciser la chose suivante, dont
j'ai souffert pendant cinq ans et qui se répète en matière
de BSE : les postes techniques de la commission en place
-- c'est-à-dire les services vétérinaires --
étaient principalement tenus par des Anglo-Saxons, lesquels n'avaient de
cesse de brandir la prétendue performance de leur système
d'épidémiosurveillance. Or le Danemark est un petit pays et la
Grande-Bretagne une île. Le système de surveillance en question,
pour adapté qu'il ait pu paraître à une île, s'est
avéré insuffisant. En outre, ce qui me désole le plus est
que l'Office d'Inspection Vétérinaire, situé à
Dublin, se serait rendu en Grande-Bretagne au début de la crise et
aurait conclu que ce qui s'y trouvait mis en oeuvre s'avérait nettement
suffisant.
Pour notre part, nous avons discrètement rédigé un
rapport, qui relève des points curieux...
M. Philippe Arnaud, président
-
Pourrions-nous
prendre connaissance de ce rapport ?
M. Georges Bedes
- Il appartient, pour le moment, au Ministre.
Personnellement, les points qui m'inquiètent sont les suivants. La
fièvre aphteuse est très contagieuse et difficilement
décelable. Or la Grande-Bretagne dénombre une quantité
importante de moutons. Le problème peut donc perdurer longtemps. D'autre
part, dans un contexte de non-recensement et d'insuffisance d'identification,
il convient de s'interroger sur la valeur de la certification des animaux
vivants. Il se trouve qu'un mois avant le cas de fièvre aphteuse en
Grande-Bretagne, je délivrais une conférence à de
très hauts fonctionnaires et leur expliquais que notre travail
n'était pas terminé et que nous pouvions vivre, d'un jour
à l'autre, une catastrophe de type fièvre aphteuse.
Etant donné ce qui s'est passé, nous ne sommes raisonnablement
pas à l'abri d'un autre foyer. Il suffit qu'un commerçant
indélicat s'achalande en moutons bradés pour que cela recommence.
Il nous faut porter attention au noyau européen de la fièvre
aphteuse, lequel est constitué des républiques du sud de
l'ex-URSS et du Moyen-Orient. A un moment, les événements kurdes
faisaient qu'on ne pouvait pas lutter contre la fièvre aphteuse, en
dépit des moyens de la FAO ou des plans de lutte mis en place.
M. Philippe Arnaud, président
-
Disposez-vous
d'éléments -- documents, cartographies -- sur ces
points-là ?
M. Georges Bedes
- La Commission de lutte contre la fièvre
aphteuse en Europe, au niveau de la FAO, dispose de ces documents.
Messieurs Cheneau et Le Forban, respectivement Chef de la
santé animale au niveau de la Direction de l'Agriculture de la FAO et
Directeur de la Commission européenne de lutte contre la fièvre
aphteuse, pourraient vous en dire plus.
Quant à la situation française, mon point de vue est que notre
plan, finalement, a fonctionné, même s'il s'est
avéré quelque peu difficile, au début (en 1991), de
mobiliser les préfets sur cette affaire. Le plan a été
appliqué à la lettre, malgré la gêne qu'il a induite
auprès de nombreuses personnes, notamment les opérateurs du monde
de la viande, les marchands de bestiaux et les agriculteurs. Les raisons de son
succès tiennent, à mon sens, d'une part dans le fait que les
services vétérinaires français disposent de moyens
supérieurs à ceux de leurs homologues britanniques, d'autre part
dans la tradition de coopération entre le monde agricole, le monde de
l'élevage et la fonction publique. En effet, il y a, en France, un
dispositif ou maillage fondé sur les professionnels (Groupement de
Défense Sanitaire, Chambre de l'Agriculture, etc.), les
vétérinaires sanitaires et l'Etat, qui s'avère efficace.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
-
Vous avez dit, Monsieur
le Président, que vous étiez au Comité
Vétérinaire au moment de l'arrêt de la vaccination.
D'après ce que nous avons pu entendre, l'arrêt de la vaccination
semble devoir être rapporté davantage à des questions
économiques qu'à des décisions scientifiques puisque au
moment de la décision européenne, le Docteur Meurier,
Président du Comité scientifique vétérinaire au
niveau européen, n'a même pas été consulté.
Nous percevons bien que du point de vue économique, cette
décision a consisté à ne pas gêner les exportations
vis-à-vis de l'Amérique du Nord, de l'Australie, de la
Nouvelle-Zélande et des pays d'Asie. Cependant, à regarder les
niveaux d'exportation vis-à-vis de ces pays de plus près, il
apparaît que ces exportations concernent principalement la production
porcine et non la production bovine. Dès lors, je voudrais avoir votre
sentiment par rapport à cette décision, qui remonte à une
dizaine d'années.
Par ailleurs, vous affirmez que la lutte contre la crise a bien
fonctionné, en France, tout en concédant qu' un effet de chance a
joué en notre faveur. La situation aurait pu être bien plus grave
et le choc psychologique ressenti par les éleveurs de bovins bien plus
ardu. Pouvons-nous toujours admettre que la meilleure prophylaxie soit
d'abattre une quantité considérable d'animaux le cas
échéant (confèrent les 2,5 millions de têtes
abattues en Grande-Bretagne) ? Nos concitoyens accepteraient-ils,
d'ailleurs, de voir apparaître de tels bûchers et fosses
communes ?
M. Georges Bedes
-
Il me semble que le point de
départ de l'arrêt de la vaccination anti-aphteuse a
été un congrès de la viande, il y a très longtemps,
au cours duquel un exportateur a souligné qu'un arrêt de cette
vaccination nous ouvrirait un certain nombre de marchés importants. Puis
s'est mis en place le Marché Unique, qui a accéléré
l'arrêt de la vaccination anti-aphteuse.
J'ai mis en place cet arrêt. Dans ce cadre, il nous a été
demandé, en tant que fonctionnaires soumis à un devoir de
réserve, d'insister sur le fait qu'un institut manipulant des vaccins
court des accidents de par la volatilité des virus manipulés
-- d'où le fameux classement des laboratoires selon leur niveau de
sécurité. En outre, la vaccination anti-aphteuse marque
définitivement les animaux (du moins pendant un certain temps), ce qui
induit qu'en cas de problème conduisant à des prises de sang, la
distinction entre période de maladie avérée et maladie
avérée demeure délicate. Par ailleurs, il se trouve que
nous ne vaccinons pas les porcs, par exemple, qui se révèlent de
véritables foyers, ni les moutons (sauf en zone frontalière).
Vous voyez, ici, l'argumentaire scientifique élaboré par l'INRA
pour arrêter cette vaccination. --je vous passe un certain nombre de
détails. Il n'en demeure pas moins vrai que la vaccination
généralisée du cheptel bovin et de quelques autres
espèces avait induit un silence complet en matière de
fièvre aphteuse.
En outre, vous savez comme moi qu'il existe, à l'échelon mondial,
une zone propre (où l'on ne vaccine pas) et une zone sale (où
l'on vaccine). Or je me pose la question de savoir ce que signifie
réellement cette distinction, dans la mesure où certains cas de
fièvre aphteuse se sont déclarés en zone propre. Il me
semble, personnellement, qu'il serait urgent de renégocier tout cela, ce
d'autant plus qu'il semblerait qu'il y ait, actuellement, un vaccin permettant
de distinguer entre période de maladie avérée et maladie
avérée.
M. Philippe Arnaud, président
-
Cette
définition de zone « propre » ou
« sale » relève-t-elle de l'OIE ?
M. Georges Bedes
- Oui. Elle relève de l'OIE mais ne me
semble pas moins à revoir. Je ne veux pas sous-entendre qu'elle est
caduque : simplement, il est peut-être temps de la
reconsidérer, de même qu'il est peut-être temps de
reconsidérer la question du transport des animaux vivants (qui
était déjà d'actualité, au niveau de la FAO, il y a
une dizaine d'années). En particulier, je suis très
préoccupé par l'instrument de mesure de la Commission,
c'est-à-dire l'Office Alimentaire et Vétérinaire de Dublin
(OAV), avec lequel nous avons de plus en plus de mal à nous entendre.
Puisque vous êtes éleveur, je vais vous dire quelque chose. Ce qui
m'a le plus surpris, en Grande-Bretagne, est le mépris avec lequel on
traite les éleveurs. Je suis allé voir des éleveurs dans
une zone où il y avait des cas de fièvre aphteuse depuis au moins
quinze jours et j'étais le premier vétérinaire à
leur rendre visite ! Ils m'ont accueilli à bras ouverts et ont
demandé à ce que j'effectue moi-même la deuxième
visite réglementaire. Un autre exemple concerne une brebis, sur
laquelle, soupçonnant un cas de fièvre aphteuse, j'ai
effectué une prise de sang et un prélèvement d'aphte pour
confirmation. Ceux-ci ont été directement mis à la
poubelle ! Il a fallu que je la déclare porteuse de la maladie,
après quoi je me suis trouvé moi-même mis en repos
48 heures pour éviter toute contamination...
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- En France, il faut qu'une
suspicion se trouve confirmée par une analyse pour que l'animal soit
abattu. Or cela n'est pas toujours le cas puisque nous avons vu que des ovins
ont été abattus cinq jours avant les résultats d'analyse.
Comment justifiez-vous que l'on abatte des animaux avant d'avoir confirmation
de la maladie ?
M. Georges Bedes
- Je ne suis pas certain, techniquement, de ma
réponse. Je sais qu'une première analyse peut être faite
très rapidement pour déterminer s'il s'agit de la fièvre
aphteuse ou non et qu'une seconde analyse permet de typer le virus.
L'explication tient peut-être là. Quoi qu'il en soit, en principe,
l'AFSA garantit des résultats relativement fiables dans les heures qui
suivent la prise de sang -- c'est, du moins, ce que stipule la convention
qui la lie au Ministre de l'Agriculture. Le fait que l'on ait abattu des
moutons avant d'avoir confirmation des résultats d'analyse en
réfère davantage, me semble-t-il, à l'application du
principe de précaution.
M. Michel Doublet
- La vaccination a été
stoppée en 1991. Certains scientifiques ou
vétérinaires prétendent que la protection perdure une
dizaine d'années. Est-ce là votre point de vue ? Plus avant,
faut-il reprendre, à votre sens, la vaccination ?
M. Georges Bedes
- Personnellement, je ne pense pas que
l'immunité puisse être maintenue aussi longtemps. Cela ne
correspond pas à ce que j'ai lu. Néanmoins, je vous rappelle que
je suis détaché des aspects scientifiques du problème
depuis quatre ou cinq ans. Peut-être y a-t-il eu des évolutions
dans ce domaine.
Deuxièmement, je ne suis pas certain qu'il faille
généraliser la vaccination à nouveau mais je pense que
nous devrions pouvoir l'utiliser de façon bien plus souple. Nous devons
être conscients qu'il existe plusieurs méthodes de lutte. La
méthode de lutte de type extrémiste appliquée en
Grande-Bretagne en est une mais il en existe d'autres, à
caractère intermédiaire. Parmi celles-ci, nous pouvons imaginer
des vaccinations périfocales, quittes, dans les conditions actuelles de
définition des zones propre et sale, à abattre des animaux le cas
échéant. En d'autres termes, nous pouvons prendre toutes les
mesures possibles pour éviter une éventuelle diffusion, ce qui
induit l'utilisation de toutes les mesures sanitaires au point
(non-mobilité, désinfection voire vaccination
sécurisée). Cela demande, néanmoins, une
renégociation des conditions d'échange entre zones propre et sale.
Permettez-moi, enfin, de faire appel à vous pour une dernière
idée. Lorsque j'étais Sous-Directeur santé animale,
j'avais rêvé de pouvoir réaliser un exercice en grandeur
nature. Certes, cela semble difficile car il y a le risque d'ameuter les
populations. Pourtant, nous devrions pouvoir faire quelque chose en ce sens. En
effet, le plan préfectoral me paraît insuffisant en l'état.
Il mériterait d'évoluer en un véritable plan ORSEC, plus
structuré et confié à la Sécurité Civile. Il
serait même envisageable qu'en cas de fièvre aphteuse, le DSV soit
nommé sous-préfet, en vue d'une mise en place rapide et efficace.
A ce sujet, j'attends avec impatience le retour d'expérience des deux
DSV qui ont été confrontés au problème. Il semble
évident que dans certains départements -- et notamment ceux
de la couronne parisienne --, un statut ORSEC s'avère indispensable
pour pouvoir monter un plan efficace. Je vous rappelle que nous avons eu
beaucoup de chance en Seine-et-Marne...
M. Philippe Arnaud, président
- Précisément,
qu'est-ce qui pourrait expliquer le délai de trois semaines
constaté entre la Mayenne et la Seine-et-Marne ?
M. Georges Bedes
-
Il me semble que nous avons oublié
que les moutons se déplacent aussi « à
pied ». Ce n'est qu'à partir de l'enquête
épidémiologique de la Mayenne que nous avons pensé qu'il
pourrait y en avoir un là-bas et que nous avons initié
l'enquête en Seine-et-Marne. Le problème apparaît lié
au commerce des animaux. Trois voire quatre semaines sont un délai trop
long. Notre système de surveillance des mouvements d'animaux doit
être nourri de tous les renseignements disponibles.
M. Gérard Cornu
- En ce qui concerne la vaccination, il est
vrai que les scientifiques nous disent qu'il est exclu de vacciner
entièrement. Certains peuvent s'interroger sur la vaccination en cordon
sanitaire mais tout le monde s'accorde à dire que pour demeurer zone
propre, les bêtes vaccinées doivent être abattues à
terme. Or n'est-il pas psychologiquement difficile, pour un éleveur, de
comprendre que ses bêtes vaccinées doivent être
abattues ?
D'autre part, notre caractère de zone propre nous protège
économiquement vis-à-vis de viandes caractéristiques
telles celles en provenance d'Argentine, notamment -- qui n'est pas une
zone propre --, et nous autorise à exporter. Ce sont là des
conséquences favorables non négligeables, qu'il convient de
garder à l'esprit. Quel est votre sentiment sur ce point ?
Pour rebondir sur la question que Jean-Paul Emorine vous a posée,
serait-il possible (tout en gardant une zone propre à l'exportation) de
ne vacciner que les bovins, en prétextant une durée de vie
inférieure pour ce qui concerne les porcs et les moutons et une
non-transmission de la fièvre aphteuse de ces animaux-là à
l'homme ?
Enfin, vous avez soulevé la problématique du transport des
animaux vivants. Vous savez qu'il existe des zones de transit, au niveau des
animaux vivants. Est-il judicieux d'opérer les transits dans des zones
d'élevage, dans la mesure où ces zones de transit sont
peut-être des facteurs aggravants de maladies contagieuses ? Pour
mieux cerner les choses en cas de dérapages et d'apparition de maladies
contagieuses, ne conviendrait-il pas de faire en sorte de distinguer ces zones
de transit des zones d'élevage ?
M. Louis Moinard
- Dans le même sens, vous faisiez allusion
au fait que l'on ne vaccinait pas tous les animaux. Comment peut-on expliquer
que le fait de vacciner uniquement les bovins ait pratiquement
contribué, à l'époque, à éliminer la
fièvre aphteuse ?
M. Georges Bedes
- Ces questions sont difficiles
.
Les porcins vivent peu de temps et sont généralement
enfermés. La question touche donc davantage aux ovins et bovins. J'avoue
que je ne sais trop quoi vous répondre, sinon que le mouton est
peut-être plus résistant et moins sensible à la maladie,
comme vous le savez.
En revanche, en ce qui concerne le transport d'animaux vivants et les zones de
transit, je peux vous répondre plus précisément. Je vous
rappelle qu'en matière de transport d'animaux, un débat quelque
peu houleux a eu lieu, en 1994-1995, pour mettre au point la fameuse
directive transport des animaux. Ce débat a induit certaines
conséquences dans le droit français, notamment en termes de
confort et de bien-être des animaux, en lien à des zones
d'arrêt pour qu'ils puissent se reposer. Ces zones sont tout de
même agréées, c'est-à-dire contrôlées.
L'intérêt, pour le commerçant, consiste à disposer
d'un centre ou d'une zone agréée exportation, sans quoi il se
trouve dans l'obligation de subir à nouveau des contrôles par un
vétérinaire sanitaire, un agent DSV, etc. Ceci explique que les
professionnels du transport d'animaux ont, pour la plupart, contracté
avec des établissements agréés. Ainsi, les risques me
paraissent faibles à ce niveau.
La réflexion sur le transport des animaux vivants -- animaux
d'abattage et non d'élevage, bien entendu --me semble
inévitable et urgente. Quant à la question afférente aux
vaccinations, qui s'est déjà trouvée abordée par le
passé, elle nécessite, là encore, de renégocier les
limites entre zones propre et sale, sans quoi un certain nombre de
marchés se trouveront fermés à nos exportations.
Pour ce qui a trait à la psychologie des éleveurs en
matière de fièvre aphteuse, il faut être prudent. Vous
savez que lorsque la vaccination était obligatoire, environ
15 % des animaux en réchappaient pour motifs divers (ne pas
réduire la production laitière, etc.). D'une manière
générale, il s'agit d'un problème d'éducation, qui
relève des Chambres d'agriculture et surtout des GDS plutôt que
d'un quelconque fonctionnaire administratif.
M. Gérard Cornu
- J'aimerais avoir une précision en
ce qui concerne cette dimension psychologique. Il me semble qu'il s'agit
parfois davantage d'un manque d'information. Certains éleveurs
considèrent la vaccination comme un moyen de protection à part
entière mais ne sont pas au fait de la nécessité d'un
abattage à terme, en vue de demeurer zone propre.
M. Georges Bedes
-
Pourtant, les GDS, les
vétérinaires sanitaires, les DSV voire les EDE offrent tous des
moyens d'information sur ce sujet. Un cabinet conseil nous a même
aidé dans notre communication, par un mailing de plaquettes
afférentes à la fièvre aphteuse envoyées dans
toutes les fermes. Si les dernières réunions cantonales de GDS
organisées par des DSV n'ont attiré que peu de personnes, je
pense que l'audience, cette année, sera bien plus importante. Nous
pourrons alors délivrer l'information à nouveau.
M. Philippe Arnaud, président
- Il paraît clair que la
réflexion de Gérard Cornu se situe dans le cadre
d'échanges économiques selon la définition actuelle de
l'OIE pour les zones propre et sale. L'abattage qui suit une vaccination n'a
rien à voir avec un problème sanitaire mais relève bien
d'un problème d'échanges internationaux...
M. Georges Bedes
- C'est un problème de définition.
M. Philippe Arnaud, président
- Par voie de
conséquence, si une redéfinition des zones propre et sale -- que
vous appelez de vos voeux -- était opérée, elle
permettrait de ne pas abattre les animaux...
M. Georges Bedes
- Je ne sais pas.
M. Gérard Cornu
-
En étant en zone propre, les
France est protégée contre les exportations de viande argentine.
En effet, cette viande est deux fois moins chère et son commerce aurait
des conséquences économiques très négatives pour
nos éleveurs et nos exportations.
M. Philippe Arnaud, président
- A moins que l'OIE et l'OMC
ne modifient leurs réglementations. Lors de nos déplacements,
nous avons constaté que les problèmes concernaient le lait, la
crème et le fromage. Or l'avis des scientifiques est que les
problèmes sont inexistants à ce niveau.
M. Georges Bedes
- Je ne sais pas quoi vous dire. Je pense que nous
avons détruit les marchandises dans les zones où des animaux
avaient été abattus. En fait, le consommateur ne comprendrait pas
que l'on abatte tous les animaux et que l'on commercialise le lait.
M. Philippe Arnaud, président
- Il s'agit donc bien
uniquement d'un problème psychologique.
M. Georges Bedes
- Oui. A partir du moment où il est
thermisé, il ne peut plus y avoir de problème avec le lait.
M. Gérard Cornu
- Est-ce également le cas pour le
fromage au lait cru ?
M. Georges Bedes
- Il me semble que oui. La fermentation permet
d'éviter les problèmes éventuels.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- En fait, en termes de
vaccination, nous pensons aux possibles évolutions futures, qui
permettraient notamment d'utiliser un vaccin dont les anticorps seraient
différents de ceux de la fièvre aphteuse. En effet, il n'est pas
possible de dire à un éleveur que l'on va vacciner ses
bêtes pour protéger le cheptel du voisin, avant d'abattre
finalement son troupeau. Vous avez dit qu'un nouveau vaccin était en
préparation avec des anticorps différents. Quel est le nom de
l'institut qui travaille sur ce thème ?
M. Georges Bedes
- Il me semble que cela est étudié
chez Mérial. Toutefois, je n'ai pas de certitude dans ce domaine. Je
sais simplement que ce vaccin serait efficace et qu'il pourrait distinguer les
animaux vaccinés des animaux porteurs du virus.
M. Philippe Arnaud, président
- Souhaitez-vous ajouter
quelque chose ?
M. Georges Bedes
- Je pense que vous devez rencontrer Monsieur Le
Forban de la FAO et des responsables de chez Mérial. Globalement, je
tiens simplement à vous dire que le système a bien
fonctionné cette fois-ci. Toutefois, il serait possible que cela ne soit
pas toujours le cas. En termes d'organisation, il faudrait au moins ramener le
plan fièvre aphteuse à l'échelon régional, alors
qu'il est actuellement départemental, sans pour autant tomber dans des
configurations du même type que le plan ORSEC. En effet, au niveau
régional, nous disposons des moyens pour lancer efficacement des actions
d'urgence. Il est toujours positif de d'installer un rotoluve. Toutefois, il
faut aussi s'assurer que les gens ne passent pas à côté.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Nous avons été
perturbés par le fait de choisir les périmètres
départementaux pour définir les zones à isoler. Je pense
que cela n'était pas nécessaire et que la solution pourrait
être moins excessive si le traitement était effectué au
niveau régional.
M. Gérard Cornu
- Il faut plutôt fixer une limite en
nombre de kilomètres. En effet, dans le cas contraire, des
problèmes se poseraient si le foyer était situé à
la limite entre deux régions.
M. Paul Raoult
- La région d'élevage de l'Avesnois
est très proche de la région picarde et de la Champagne Ardennes.
Cela ne permettrait donc pas de résoudre le problème dans tous
les cas.
M. Georges Bedes
- C'est l'approche régionale qui nous
intéresse.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Il s'agirait de favoriser
l'approche régionale et non la mise en oeuvre de mesures au niveau de la
région.
M. Philippe Arnaud
- L'objectif est de ne pas s'appuyer sur une
approche purement administrative.
M. Georges Bedes
- Du côté de Troyes ou en
Haute-Marne, les effectifs des services vétérinaires sont
proportionnels aux élevages qui sont situés dans la
région, soit environ seulement 20 ETP. Comment est-il possible de
surveiller efficacement la zone avec aussi peu de personnel ? Il faut
absolument bénéficier d'une aide régionale.
M. Gérard Cornu
- Il s'agirait du recours à une aide
régionale, parallèlement à la fixation d'un
périmètre kilométrique de sécurité par
rapport au foyer d'infection.
M. Georges Bedes
- Oui. Le niveau régional offrirait
l'efficacité de ses moyens d'action.
M. Paul Raoult
- La dimension départementale au niveau des
GDS reste une force de contrôle sanitaire fantastique. En effet, il
existe une longue expérience de dialogue entre l'administration et les
éleveurs.
M. Georges Bedes
- Nous devons absolument conserver cette
dimension. En effet, c'est la raison pour laquelle le système fonctionne
en France.
M. Paul Raoult
- Ce sont les GDS qui sont parvenus à
convaincre les paysans qu'il fallait lutter contre la brucellose. Dans
l'Avesnois, il nous a fallu des années pour y parvenir.
M. Georges Bedes
- Tout à fait.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous avons
évoqué à plusieurs reprises le rapport Mac Sharry, qui a
recommandé l'arrêt de la vaccination en 1990. Savez-vous où
nous pouvons le trouver ?
M. Georges Bedes
- Je pense que ce rapport est disponible dans les
archives de la DGAL.
M. Philippe Arnaud, président
- J'ai noté votre
perplexité, notamment à propos de la contradiction de certaines
données. Je dois vous avouer que les auditions que nous avons
effectuées jusqu'à présent nous conduisent
également à des impressions contradictoires.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Plus nous avançons et
plus nous sommes perplexes... !
M. Philippe Arnaud, président
- Il est vrai que plus nous
avançons et plus nous sommes perplexes. Cette perplexité concerne
d'ailleurs également, et très curieusement, les approches
scientifiques. En effet, les scientifiques disent et écrivent parfois
que les données du problème et que la méthodologie
étaient fausses mais que la décision prise était la
bonne ! Nous sommes donc réellement perplexes. Si vous disposez
d'éléments rassurants, nous sommes donc preneurs, notamment
d'informations présentant des arguments objectifs (questions
économiques, zones propres et sales, OIE, problèmes sanitaires,
problèmes psychologiques, sociologiques et politiques, vaccination...).
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Lorsque nous évoquons la
reprise de la vaccination, nous pensons évidemment à la mise au
point d'un nouveau vaccin.
M. Philippe Arnaud, président
- Evidemment. Et pas seulement
en France.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- On nous a dit que la recherche
avait été arrêtée depuis 1981 en matière de
vaccination.
M. Georges Bedes
- Nous avons arrêté les vaccinations
contre la fièvre aphteuse, en prévoyant en contrepartie des plans
d'urgence et la constitution de banques de vaccin. Pour ma part, j'ai toujours
été partisan de la mise en place de ces banques de vaccins,
même s'ils ne servent qu'à vacciner en périfocale, avant
l'abattage des animaux. En effet, il faut toujours disposer de milliers de
vaccins immédiatement. De plus, il faut au moins avoir des banques
d'antigènes pour fabriquer les vaccins. Enfin, si la fabrication
était arrêtée, il faudrait du temps pour la relancer par la
suite, alors qu'il faut pouvoir répondre aux problèmes qui se
posent de toute urgence.
J'avais donc discuté avec les services concernés au Maroc (pays
classé en zone sale), afin d'y installer un institut et de poursuivre la
fabrication du vaccin. Toutefois, je n'ai jamais obtenu de réponse
à cette proposition. En effet, il ne sert à rien de disposer des
antigènes à Lyon s'il faut encore du temps par la suite pour que
le vaccin soit effectivement fabriqué. Dans ce domaine, les estimations
vont de 24 heures à une semaine.
M. Gérard Cornu
- Visiblement, il existe sept variantes de
la maladie. Nous ne pouvons donc pas être certains que la vaccination
choisie est la bonne : il est possible de vacciner contre l'une des
variantes sans que cela ne soit efficace. En plus, il semble qu'une bête
vaccinée puisse porter la maladie, ce qui ne permet pas d'empêcher
sa diffusion. La vaccination ne permettrait donc pas de résoudre tous
les problèmes ?
M. Georges Bedes
- La vaccination ne permet pas de résoudre
tous les problèmes, notamment du fait des limites biologiques que vous
évoquez. Toutefois, nous pouvons facilement, et pour un coût
très limité, mettre en réserve tous les antigènes,
matière première nécessaire pour fabriquer les vaccins,
listés par le laboratoire de Pirbright, qui fait référence
au niveau mondial. En revanche, nous ne savons pas combien de temps il faut
pour fabriquer le vaccin par la suite. Toutefois, je n'ai personnellement
jamais obtenu de réponse précise dans ce domaine.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Je pense que nous pourrions
auditionner un représentant de Mérial.
M. Georges Bedes
- Je pense que vous pourriez rencontre Monsieur
Lombard, qui travaillait chez Mérial et qui est très
compétent en matière de fièvre aphteuse. Il dirige
aujourd'hui le laboratoire Pirbright.
Il est vrai qu'il faut un certain temps de réaction avant que la
vaccination ne soit efficace. Toutefois, l'organisme fabrique des anticorps
assez rapidement. La vaccination des animaux protège donc tout de
même contre la diffusion de la maladie, même s'il s'agit d'une
autre variante.
M. Gérard Cornu
- La vaccination immunise au moins
partiellement.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- A 70 % ou 80 %.
M. Georges Bedes
- Oui.
M. Philippe Arnaud, président
- On nous a dit que la
vaccination produisait des porteurs sains mais qu'elle réduisait le
risque de 80 %.
M. Louis Moinard
- Dans nos pays, nous considérions que la
fièvre aphteuse avait été éradiquée. Dans
ces conditions, la recherche s'est-elle poursuivie ? En effet, la
recherche est habituellement effectuée sur des produits pouvant
être commercialisés par la suite. Sinon, cela suscite des
difficultés de financement.
M. Georges Bedes
- Je suis un peu inquiet dans ce domaine. En
effet, les chaînes de fabrication ont peut-être été
fermées. J'espère que cela n'est pas le cas. D'ailleurs, si nous
entendons actuellement parler d'un vaccin marqué, c'est que les
chaînes ont sans doute été maintenues et que des
compléments de recherche ont été effectués.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le
Président, nous vous remercions de votre participation, qui alimentera
notre réflexion. Accepteriez-vous que nous puissions
éventuellement reprendre contact avec vous au fur et à mesure de
l'avancement de nos travaux ?
M. Georges Bedes
- Tous les membres du Conseil
général des vétérinaires sont à votre
disposition. En effet, certains de mes collègues sont plus
compétents que moi sur certaines questions scientifiques.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous vous remercions.
17. Audition de Mme Marie-José Nicoli, Présidente de l'Union fédérale des Consommateurs Que Choisir
M. Philippe Arnaud, président
- Nous
recevons
Marie-José Nicoli, présidente de l'Union fédérale
des Consommateurs Que Choisir. Nous aimerions dès maintenant
connaître votre opinion sur la crise que nous venons de traverser, suite
à une épidémie de fièvre aphteuse. Plus
particulièrement, pourriez-vous nous préciser les enseignements
que vous en tirez et les solutions que vous proposeriez pour en sortir ?
Mme Marie-José Nicoli
-
En tant qu'association de
consommateurs, nous établissons une différence entre la
fièvre aphteuse et l'ESB. Notre époque est
caractérisée par une certaine insécurité
alimentaire, due à une abondance d'informations ainsi qu'à
plusieurs scandales ou fraudes. La fièvre aphteuse ne s'est donc pas
manifestée à un moment opportun pour le monde agricole. Les
consommateurs ont compris que cette épidémie était animale
et qu'elle ne posait aucun problème de santé publique. Cependant,
ils ne se sont pas sentis encouragés à acheter de la viande, en
particulier de la viande ovine.
Nous avons donc assisté à une baisse de consommation de toutes
les viandes pendant cette période, à un effondrement des prix
à la production et à une augmentation des prix à la
consommation. En particulier, les prix à la consommation de la viande
ovine ont augmenté de 30 %. Nous n'avons pas été
surpris par le fait que la fièvre aphteuse se soit
déclarée en Grande-Bretagne. M'étant rendue en Ecosse,
j'ai pu observer le fonctionnement des systèmes de contrôle et des
systèmes sanitaires. Nous constatons une absence totale de
système de contrôle en Angleterre, liée à l'absence
d'une culture sanitaire comparable à celle qui existe en France. Ces
éléments expliquent tout d'abord pourquoi l'Angleterre fut
surprise par le nombre de foyers qui se déclarèrent
simultanément, mais aussi pourquoi le pays s'est trouvé dans
l'incapacité de les éradiquer. L'Angleterre compta plus d'un
millier de foyers.
La fièvre aphteuse est une maladie animale qui a été
récurrente au cours des derniers siècles. Elle n'est donc pas la
conséquence d'un productivisme ou d'une agriculture intensive propre
à notre époque récente. Or nous avons été
étonnés de remarquer que l'Angleterre n'avait pas les moyens
d'éradiquer rapidement une maladie qui faisait autrefois des ravages.
Par le passé, de tels ravages pouvaient se concevoir compte tenu de la
faiblesse de la circulation des informations et des connaissances
vétérinaires et pratiques.
Je reconnais que la gestion de la crise a été satisfaisante en
France, même si quelques cas sporadiques peuvent encore être
découverts. Nous avons, en France, connu deux foyers. Les mesures qui
ont été prises furent très critiquées. En tant
qu'association de consommateurs, nous ne disposions pas des compétences
permettant de juger de leur efficacité. Avec le recul, nous
reconnaissons cependant que ces mesures se sont avérées
efficaces. L'épidémie ne s'est pas beaucoup propagée en
raison de bonnes mesures. Nos voisins, en revanche, furent lourdement
contaminés. Ils entretiennent avec la France des échanges
importants, tant en animaux qu'en hommes. Nous aurions donc pu rencontrer plus
de problèmes.
N'ayant aucune compétence particulière, je ne me prononcerai pas
sur la vaccination. Par ailleurs, les scientifiques et les agriculteurs ont des
avis divergents. Certains sont favorables à une vaccination
systématique tandis que d'autres ne jugent pas cette mesure
nécessaire.
M. Philippe Arnaud, président
- Il me semble cependant que
le fait d'opter pour la vaccination pourrait engendrer une réaction
forte des consommateurs. Consommeraient-ils en effet aussi facilement de la
viande vaccinée ? La vaccination n'engendrerait-elle pas des
risques, ou, tout au moins, des craintes ? Imaginez que le monde
économique et les scientifiques considèrent que la vaccination
soit la bonne méthode pour lutter contre la fièvre aphteuse, mais
que les consommateurs le perçoivent de façon négative.
Ainsi, certains produits génétiquement modifiés sont
parfaitement neutres, et ne présentent aucun danger. Pensez-vous que des
produits identifiés comme étant vaccinés seraient
perçus par les consommateurs comme des produits à risque ?
Mme Marie-José Nicoli
- Je dois, pour vous répondre,
consulter les scientifiques.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous savons que parmi les
appréhensions des consommateurs, certaines sont fondées
scientifiquement, mais que d'autres ne le sont pas. Le facteur psychologique
joue donc un rôle primordial.
Mme Marie-José Nicoli
- La question de la vaccination n'a
jamais été abordée par les consommateurs qui nous ont
adressé des courriers ou des appels téléphoniques. Ce
débat est resté très professionnel. Nous ne nous sommes
d'ailleurs pas penchés sur ce problème, dans la mesure où
nous pensions que la vaccination ne pouvait être instaurée. En
pleine épidémie de fièvre aphteuse, le recours à la
vaccination est inutile. Ce débat aura certes lieu, mais il n'est pas
à l'ordre du jour.
M. Philippe Arnaud, président
- Je me permets d'insister
pour savoir si vous avez la possibilité de consulter les consommateurs
d'ici au 15 juin. Vous n'ignorez pas que ce problème était
un problème de santé animale. Néanmoins, toutes les
mesures qui ont été prises, et notamment la vaccination, reposent
sur un dispositif fondé sur des critères économiques dans
le cadre de l'organisation du commerce. L'élaboration des conventions et
règlements aboutit cependant à l'interdiction de la
commercialisation à l'exportation des viandes vaccinées.
Mme Marie-José Nicoli
- En effet, je connais bien les
principes économiques d'exportation.
M. Philippe Arnaud, président
- Si ce problème de
l'impossibilité d'exporter se pose à l'échelon du commerce
international, il illustre bien l'existence de consommateurs ou de
réseaux refusant d'importer pour consommation de la viande
vaccinée.
Mme Marie-José Nicoli
- Nous pouvons effectivement nous
interroger sur ce fait.
M. Philippe Arnaud, président
- Si nous vaccinons,
n'allons-nous pas nous fermer le marché des consommateurs
français et européens ?
Mme Marie-José Nicoli
- Vous ne nierez pas cependant que,
par le passé, alors que nous pratiquions la vaccination, nous mangions
de la viande. Cette pratique est-elle de nature à engendrer des
problèmes de santé pour les consommateurs ?
M. Philippe Arnaud, président
- Je n'évoque pas un
problème de santé, mais bien celui d'une psychose.
Mme Marie-José Nicoli
- Je vous comprends, mais encore
faut-il se trouver en situation de psychose.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous représentez
toutefois les consommateurs. Pouvez-vous affirmer l'existence d'un
problème ou, au contraire, l'absence de toute psychose ?
Mme Marie-José Nicoli
- Dans la mesure où,
jusqu'à présent, la question ne nous a pas été
posée, je pourrais affirmer qu'il n'existe aucun problème.
Cependant, nous ne maîtrisons jamais toute l'information. Si je
représente les consommateurs, je ne partage pas leurs psychoses
éventuelles.
Bien au contraire, face à ces événements, nous nous sommes
efforcés de rester pragmatiques et de fournir aux consommateurs un
maximum d'informations, en tâchant, contrairement à certains
médias, de ne pas susciter de panique. Tel n'est pas le rôle d'une
organisation de consommateurs. Lorsqu'un danger réel existe, nous savons
le faire savoir.
En matière d'alimentation, les consommateurs ont montré à
plusieurs reprises au cours de ces dernières années qu'ils ne
sombraient pas systématiquement dans la psychose. La consommation de
viande a commencé à reprendre. Le monde des professionnels et les
médias, qui se sont lancés dans une véritable course
à l'information, semblent avoir été plus choqués
par les événements que les consommateurs.
M. Philippe Arnaud, président
- Une baisse très
sensible de la consommation a cependant été enregistrée.
Mme Marie-José Nicoli
- Certes. Vous conviendrez cependant
que, face à un danger réel, un individu cesse totalement sa
consommation du produit devenu dangereux. Une telle réaction a
d'ailleurs été observée par le passé lors du
boycott de la viande de veau aux hormones. La consommation de viande de veau
n'a pas alors baissé de 20 à 30 %, mais plutôt de 60
à 80 %. Or, en France, si la consommation de viande a connu une
baisse pendant une certaine période, les consommateurs ont
continué à en consommer. La baisse fut d'ailleurs largement
supérieure en Allemagne, où suite à la découverte
des premiers cas d'ESB, elle a atteint 80 %. Je reconnais qu'une baisse de
40 % de la consommation représente un coût économique
considérable. 60 % des consommateurs français ont toutefois
continué à acheter de la viande. Le constat n'apparaît donc
pas aussi dramatique que l'on veut le laisser entendre.
Je me renseignerai cependant sur la vaccination et vous communiquerai mes
informations.
Concernant la période de fièvre aphteuse, qui s'est
caractérisée par d'importants abattages, et la destruction de
nombreuses carcasses d'animaux a ralenti le programme de 48 000 tests,
voire arrêté pendant quelques semaines. Par conséquent,
nous n'aurons les résultats de ces tests que fin mai, au lieu de fin
avril. Jusqu'à présent, nous sommes restés favorables
à l'abattage total. Si, demain, un programme nous fournissait des
éléments démontrant que l'abattage total n'est plus
nécessaire, nous ne nous opposerions pas aux mesures d'abattage
sélectif. Nous souhaiterions cependant disposer de ces résultats,
dont la publication a été retardée en raison de
l'épidémie de fièvre aphteuse.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Le seuil des 48 000 tests
ne pouvait être atteint puisque les animaux n'étaient pas abattus.
Mme Marie-José Nicoli
- Quelles qu'en soient les raisons,
vous conviendrez d'un retard sur ce programme. Lorsque j'ai posé cette
question au Ministre de l'Agriculture, il m'a été répondu
que la destruction des animaux était prioritaire et que les effectifs
des services vétérinaires étaient limités.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- A l'heure actuelle, les tests
portent sur des animaux abattus de plus de trente mois.
Mme Marie-José Nicoli
- Je vous parle du programme de
48 000 tests bovins portant sur des bêtes à risque. Ces
animaux appartiennent à des troupeaux au sein desquels des cas d'ESB ont
été découverts. Les résultats des tests nous
permettraient d'évaluer l'opportunité d'un abattage
sélectif.
Par ailleurs, il est heureux pour les consommateurs que
l'épidémie de fièvre aphteuse n'ait pas, en France,
été plus longue. De nombreux animaux furent brûlés,
dont des bovins potentiellement porteurs de la maladie de l'ESB, auxquels les
matériaux à risque ne furent pas retirés. Le choix de
brûler ces bêtes s'avère-t-il plus efficace que celui
d'enlever les matériaux à risque et d'incinérer à
133 degrés, 3 bars et durant 20 minutes ? La question mérite
d'être posée, dans la mesure où aucun élément
ne permet de connaître les effets des prions sur l'environnement aux
endroits où les bûchers ont été mis en place et
où les transferts de bêtes ont été effectués.
Nous étions d'ailleurs prêts à exiger la mise en oeuvre de
mesures supplémentaires en cas d'épidémie durable. Nous
avons tout de même alerté la DGAL. Sa directrice a d'ailleurs
reconnu l'existence d'un problème.
Cette affaire a également montré la nécessité de
mieux tracer et de mieux identifier les ovins. Beaucoup de consommateurs ont
appris que la France constituait une plate-forme et un lieu de passage de
moutons provenant d'Irlande et d'Angleterre. Ces animaux restent en France ou
ne font qu'y transiter. Environ 40 % des moutons que nous mangeons sont
français, le reste provenant notamment d'Irlande, d'Angleterre ou de
Nouvelle-Zélande. Les consommateurs ont pris conscience du fait que la
production nationale est loin de satisfaire la consommation française et
qu'en outre, de nombreux passages et transferts d'animaux sont
effectués. Ceci implique que dans de nombreux cas, les animaux
étrangers sont « rebaptisés » en animaux
français.
J'ai par ailleurs été rapporteur sur l'étiquetage et la
traçabilité des ovins, et malgré les efforts
énormes fournis par les agriculteurs pour identifier leurs bêtes,
je dois constater une dégradation de la situation. Ces
irrégularités sont nombreuses en milieu de filière, au
moment où les bêtes partent de chez les éleveurs. L'origine
et la catégorie des bêtes peuvent en effet facilement être
modifiées lors des transferts ou des regroupements. Le consommateur est
en droit, lorsqu'il achète de la viande bovine, de connaître son
origine. Il doit également savoir s'il achète du mouton ou de
l'agneau, de manière à consommer la viande la plus adaptée
à ses usages. La viande d'agneau est de plus toujours plus chère
que la viande de mouton ; il est donc anormal qu'un consommateur croie
acheter de l'agneau ayant moins de douze mois si la viande provient d'une
bête de plus de douze mois.
En conclusion, la fièvre aphteuse s'est traduite par un
supplément de catastrophes pour les éleveurs. Notre association
de consommateurs a évité, durant cette période,
d'envenimer le débat. Nous étions en effet pleinement conscients
de l'angoisse et de la panique des éleveurs. J'espère que la
fièvre aphteuse se trouve désormais derrière nous et que,
de plus, l'ESB est en voie d'extinction en France. Même si quelques cas
peuvent encore être découverts, les chances d'éradication
de cette épidémie sont nombreuses.
M. Philippe Arnaud, président
- Merci Madame la
Présidente.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Madame la Présidente,
pensez-vous que l'information selon laquelle la fièvre aphteuse n'avait
aucune conséquence sur la santé a été bien
reçue par les consommateurs ? Bien que vous ayez déjà
évoqué ce sujet, je souhaiterais que vous nous précisiez
votre perception. Vous nous avez également rappelé qu'en France,
l'épidémie de fièvre aphteuse avait été bien
maîtrisée. Deux cas seulement furent décelés. Si,
comme l'estimaient certains experts, la France avait connu un dérapage
avec une centaine de cas, quel aurait été le comportement de
votre union et des consommateurs devant des bûchers, devant des
enfouissements et face aux inquiétudes ressenties ? La culture
française aurait-elle permis d'accepter ce genre de catastrophe ?
Que pensez-vous des différentes productions de viande rouge et de viande
blanche ? Aujourd'hui, deux élevages se dessinent en France. D'une
part, l'élevage extensif des races bovines et ovines. D'autre part,
l'élevage porcin et agricole, complètement industrialisé.
Comment ces différences d'élevage sont-elles perçues par
l'opinion ?
Mme Marie-José Nicoli
- Je crois que l'information est
passée auprès des consommateurs. Ils ont en effet assez
rapidement repris leurs achats de viande.
En outre, dans la période la plus forte de l'épidémie, la
baisse de la consommation de viande ovine constatée nous paraît
justifiée. D'ailleurs, la demande était plus importante que
l'offre. En raison de l'absence d'ovins anglais à mettre sur le
marché, les prix ont augmenté de 40 %. De plus, nous nous
situons en période de fête musulmane, de sorte que le moment
n'était absolument pas opportun. Les consommateurs ont bien perçu
le message, par ailleurs largement diffusé par les médias. Dans
la mesure où notre fréquence de publication est mensuelle, et
bien qu'ayant diffusé l'information, nous n'étions pas au plus
près des consommateurs. Ces derniers ont bien compris que
l'épidémie ne relevait pas d'un problème de santé
publique.
En revanche, les images des bûchers sont apparues plus choquantes. Elles
font appel à notre culture ainsi qu'à des faits
antérieurs. Si les bûchers avaient été plus
nombreux, nous aurions vraisemblablement demandé qu'un autre moyen
d'éradiquer la fièvre aphteuse soit trouvé. Ces images
étaient choquantes, et les bûchers suscitaient, en outre, les
inquiétudes environnementales que j'ai évoquées. En
présence d'un millier de foyers, nous aurions exigé que les
bovins soient traités en prenant toutes les précautions
nécessaires quant aux risques de pollution de l'environnement par les
prions. Ceci nous semble évident. Nous avions d'ailleurs
communiqué nos craintes au Ministère de l'Agriculture.
Je souhaite rappeler que la non-vaccination fut une mesure européenne.
Elle le devint sous la pression de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, lors de
leur entrée dans le marché commun. Quel que soit le sujet, les
mesures sanitaires doivent être européennes. Si nous avions
adopté cette règle pour l'ESB, nous n'aurions pas connu tous les
ennuis et rebondissements auxquels nous avons été
confrontés ces dernières années. Si les mesures prises au
niveau national avaient pu être les mêmes au niveau communautaire,
nous aurions disposé de garanties supplémentaires, évitant
ainsi de sérieuses difficultés à certains de nos voisins,
notamment à l'Allemagne et à l'Espagne.
Je suis tout à fait d'accord pour considérer que les mesures
sanitaires doivent être européennes, et qu'elles doivent se
doubler d'une volonté politique et de moyens pour les imposer aux pays
tiers. Lorsque nous importons certains produits, il n'est en effet pas
fondé d'imposer des mesures draconiennes intracommunautaires tout en
laissant toute liberté à des produits alimentaires n'offrant pas
les mêmes garanties que les produits communautaires.
La question de la viande constitue un moyen détourné d'aborder la
question des modes de production. Les consommateurs français et
européens se sont bien exprimés à ce sujet. Ils veulent
des produits répondant aux normes de sécurité sanitaire,
qu'ils proviennent ou non de la production intensive.
Quant à la qualité des produits, certains animaux peuvent en
effet être élevés en extensif. Plus
particulièrement, l'élevage ovin répond à un mode
de production fortement extensif, et pourrait enrichir le débat sur
l'aménagement du territoire. En revanche, l'élevage porcin et de
volailles s'apparenterait à des systèmes intensifs. Par exemple,
la Bretagne recense encore beaucoup d'élevages familiaux. Ces derniers
croissent cependant dans des proportions telles que la définition de
l'élevage intensif mériterait une nouvelle réflexion. Les
productions intensives posent d'abord de graves problèmes
environnementaux, puis des questions relatives à la qualité du
produit.
La Hollande et le Danemark présentent des élevages de porcs
regroupant chacun cent mille bêtes sur plusieurs étages. Dans la
mesure où toutes les activités sont concentrées au
même endroit, des stations d'épuration sont également
construites. Les problèmes environnementaux sont plus aisément
maîtrisés qu'en Bretagne, où une multitude
d'élevages de procs sont disséminés et
individualisés. Une même structure ne pourrait donc pas
gérer les problèmes environnementaux. L'élevage de
volailles et l'élevage porcin s'insèrent donc dans des
systèmes intensifs, pour lesquels la recherche de solutions
environnementales est nécessaire. Nous ne pourrons en effet
empêcher les consommateurs français et européens d'aimer la
charcuterie. Il est donc normal de lier la très forte consommation de
charcuterie aux élevages de porcs. Nous devons trouver une solution
compatible avec l'environnement. Les préfets doivent ainsi se montrer
moins complaisants pour les mises à norme.
Par contre, je refuse la délocalisation de l'élevage au titre de
la préservation de l'environnement. Nous disposons des moyens de
contrôle à l'échelle du territoire français alors
qu'une production venant de l'autre bout du monde n'est ni contrôlable ni
identifiable. Nous avons en outre surtout tendance, en France, à nous
méfier des activités nationales et non des activités
à l'extérieur. Nous devons garder nos productions, tout en nous
efforçant de préserver l'environnement. Il est donc
nécessaire de modifier les pratiques et le recours aux implants et
engrais chimiques ainsi qu'aux produits phytosanitaires. Il s'avère
également important de réorienter certains mécanismes de
la PAC, sans pour autant les supprimer.
Après la découverte de cas de fièvre aphteuse, l'Allemagne
a manifesté sa volonté de réforme profonde. Alors qu'elle
s'opposait autrefois à la France sur de nombreuses questions agricoles,
elle permettrait de voir le débat évoluer de manière
positive. Cette évolution ne doit cependant pas s'accompagner d'un
phénomène d'exagération. Il est par exemple faux de
laisser croire que les consommateurs pourront tous, demain, acheter bio. Au
contraire, pour les rassurer en matière d'agriculture et
d'agroalimentaire, il est primordial de s'adresser à l'ensemble du monde
agricole de manière à modifier de nombreuses pratiques. Si le
monde agricole a compris cette nécessité, les modifications
devront être accomplies progressivement. Nous nous refusons, dans ce
domaine, à procéder à toute annonce démagogique.
M. Philippe Arnaud, président
- Je suis bien d'accord avec
vous. En matière de viande ovine, nous sommes aujourd'hui
dépendants à 60 %, alors que nous étions
autosuffisants à 60 % il y a quinze ans. Sans lancer la moindre
provocation, vous avez appelé les éleveurs à prendre leurs
responsabilités et à assurer une mutation de la production. Les
consommateurs seraient-ils prêts à permettre cette
évolution, donc à payer les produits à leur juste
valeur ? De cette manière, les éleveurs obtiendraient la
juste rémunération de leurs produits. Surtout, nous ne serions
pas confrontés à l'invasion de produits originaires de pays
communautaires et de pays tiers, soutenus par leur prix attractif.
Mme Marie-José Nicoli
- Le consommateur n'est pas le seul
acteur concerné par cette question. Nous ne pouvons intervenir lors des
négociations à l'origine des échanges internationaux.
Certains accords internationaux ne répondent d'ailleurs à aucune
logique. En particulier, ils ne prennent pas forcément en compte
l'intérêt d'une activité nationale. Il serait faux de
croire que l'intérêt du consommateur pour des prix plus bas a
poussé la filière bovine dans un état déficitaire
et de régression. Le producteur se situe en début de chaîne
tandis que le consommateur se positionne en fin de chaîne.
M. Philippe Arnaud, président
- Entre les deux, n'omettez
cependant pas le maillon essentiel qu'est la distribution.
Mme Marie-José Nicoli
- J'allais l'évoquer. En
vingt-cinq ans de mise en place, la grande distribution a parlé au nom
des consommateurs, ce qui ne correspondait pas forcément à ce que
nous demandions. En outre, si elle a permis la baisse générale
des prix, elle a également contribué à cette politique
générale nationale. Celle-ci exigeait que la reconstruction
économique s'accompagne, pour les agriculteurs, d'un accroissement de
leur production, mais aussi d'un système de distribution mettant ces
produits de masse à disposition des consommateurs. La production de
masse n'aurait jamais vu le jour sans cette logique. Elle répondait
à des besoins physiques de concentration des lieux de vente et d'achat
des produits.
M. Philippe Arnaud, président
- La France occupe une
position de tête dans la grande distribution. D'autres pays fonctionnent
cependant parfaitement bien grâce à une offre de services et
à une palette de produits comparables à la France sans pour
autant être dotés d'un système de grande distribution.
Mme Marie-José Nicoli
- Vous avez raison. La grande
distribution française est une grande réussite économique
mondiale. La réussite d'enseignes nationales est souvent prise en
exemple dans le monde économique. Ces succès sont incontestables,
même s'ils ne constituent pas des réussites sociales ou politiques.
Le consommateur paie aujourd'hui un certain nombre de produits relativement
cher, parmi lesquels les produits bio ou les labels rouge qui proviennent
d'ailleurs de l'agriculture productive. Je suis convaincue qu'il accepterait de
payer plus cher des produits standards s'il est informé que cette hausse
des prix est utile à l'autre maillon de la chaîne qu'est le
producteur. Par exemple, la viande de boeuf coûte jusqu'à 120
ou 150 francs le kilo, ce qui reste un prix élevé. Je suis
prête à la payer 90 ou 100 francs à condition que
je n'enrichisse pas les maillons intermédiaires. Nous sommes en effet
actuellement confrontés à un problème de
répartition des marges sur les viandes. Lorsque les prix s'effondrent
à la production, les prix à la consommation ne sont pas pour
autant affectés, et augmentent même parfois.
Il est donc trop simple d'affirmer qu'une hausse du prix payé par le
consommateur soutient l'amélioration des bénéfices du
producteur. Il est en effet nécessaire de prendre également en
compte les intervenants intermédiaires, qu'ils soient industriels ou
qu'ils proviennent de la grande distribution. Une meilleure répartition
des marges peut tout autant impliquer une augmentation très faible des
prix à la consommation.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous ne devons pas adopter
une position manichéenne. Les intermédiaires agissent
effectivement entre le producteur et le consommateur. Bien que je ne
représente aucun de ces corps professionnels, et si nous prenons
l'exemple du pain, les laboratoires ont remplacé le four traditionnel.
Les investissements désormais demandés au moindre boulanger de
campagne pour mettre sa boulangerie aux normes représentent bien souvent
une somme considérable. Des augmentations de coûts
s'opèrent donc à tous les échelons de la production,
chacun de ces derniers devant y trouver son compte.
Mme Marie-José Nicoli
- Je comprends que les
activités intermédiaires puissent engendrer leurs propres frais.
Regardez cependant les résultats de la grande distribution. Les
bénéfices enregistrés sont colossaux. Ils ne correspondent
pas pour autant à la recherche d'enrichissement personnel, mais ils
répondent à des pratiques et des filières
spécifiques. J'ai ainsi eu l'occasion de travailler avec des
agriculteurs dans un cas de figure reposant sur l'hypothèse de
suppression de toutes les subventions. La survie économique du
producteur serait donc uniquement assurée par sa production. Nous avons
observé qu'en augmentant de 40 % dans différents secteurs
les prix pour le producteur, la répercussion sur les prix pour le
consommateur était de l'ordre de 5 à 10 %. Une hausse de cet
ordre serait envisageable aujourd'hui, mais elle ne résoudrait pas les
obstacles intermédiaires. En particulier, si nous persistons à
refuser aux agriculteurs la possibilité de vivre correctement, il est
inutile que les consommateurs paient plus cher. Une telle mesure n'enrichirait
que les maillons intermédiaires, parmi lesquels les abattoirs, les
industries et la grande distribution.
J'ai déjà rencontré le débat sur les coûts
dans le monde industriel lorsque le Japon acheva sa phase de production de
produits bon marché pour inonder le marché international de
produits de qualité. Cette modification a suscité des
regroupements. Les industriels français s'insurgeaient contre cette
concurrence qui, selon eux, signifiait leur propre mort. Or, en quelques
années, ils ont su opérer une modification des mentalités.
Le monde de l'industrie s'est ainsi adapté, s'est converti à la
production de qualité en s'organisant différemment. Les prix
n'ont pas pour autant augmenté. Les secteurs de
l'électroménager ont au contraire connu des baisses continues de
leurs prix sur les quinze dernières années.
M. Louis Grillot
- Dans quelle mesure cette logique de consommation
est-elle responsable des différents tarifs administratifs imposés
suivant les différentes qualités ? Autrefois, le label rouge
ne se distinguait aucunement du reste des produits pour la simple raison que
toute la viande répondait à la qualité de label rouge.
Aujourd'hui, le consommateur refuse de payer de meilleurs produits à un
prix plus élevé.
Mme Marie-José Nicoli
- Je vous approuve totalement. Au
cours des années, nous avons modifié les goûts des
consommateurs. Face à certains produits, mes enfants adoptent des
réactions bien différentes des miennes. Nous avons
façonné la culture des nouvelles générations. Je
suis cependant convaincue qu'aujourd'hui, les consommateurs paient les produits
de qualité. Mais encore doivent-ils être en mesure de les
identifier.
Le marketing fausse aisément les perceptions des consommateurs. Par
exemple, un poulet qui sera présenté comme du poulet fermier sera
acheté cher par un consommateur qui, une fois son produit
consommé, s'estimera insatisfait par la qualité de la viande.
Notre alimentation est de toute évidence très diversifiée.
Nous devons impérativement concentrer nos efforts sur le respect
sanitaire face à l'industrialisation des produits. Vous ne pourrez
cependant contester que le consommateur dispose de produits à tous les
prix, de même que les produits très chers sont des denrées
appréciées. Dans le monde de l'élevage, quelques niches se
distinguent. Les agriculteurs y sont peu nombreux, mais ils se satisfont des
revenus issus de leur activité. Leurs filières de production
bénéficient d'une excellente organisation leur permettant
d'assurer une production de qualité. Ils disposent en effet de
consommateurs et d'intermédiaires prêts à acheter leurs
produits. Je suis convaincue de la nécessité pour les
agriculteurs de penser en termes de qualité plutôt qu'en termes de
masse, tout en ayant la quantité. Les consommateurs veulent en effet
continuer à pouvoir disposer d'une offre abondante. La production
industrielle soulève indéniablement un problème majeur. Je
tiens d'ailleurs à rappeler que seuls 10 % des produits de notre
alimentation correspondent aux produits simples. Les 90 % restants
constituent des produits transformés, issus de l'assemblage, et
provenant de l'industrie.
M. Philippe Arnaud, président
- Madame la Présidente,
je vous remercie pour votre contribution.
Mme Marie-José NICOLI
- J'effectuerai des recherches
précises sur la vaccination.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie. La
vaccination relève d'un enjeu majeur, pour lequel nous disposons
d'éléments de réponse scientifiques ainsi que
d'éléments de réglementation internationale. Dans une
telle perspective, nous souhaiterions particulièrement savoir si les
réponses des consommateurs seraient favorables.
Mme Marie-José NICOLI
- Vous avez raison. Nos abonnés
sont des consommateurs raisonnables, qui ne cèdent pas facilement face
à la pression d'organismes. J'accepte volontiers de consulter ces
consommateurs, mais je ne peux aucunement vous assurer que la réponse
apportée sera la réponse qui se manifesterait si la situation se
produisait.
18. Audition de M. François Toulis, Président de la Fédération Nationale des Coopératives de Bétail et Viande, membre du Bureau de la Confédération Française de la Coopération Agricole
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur
Toulis,
vous êtes Président de la Fédération Nationale des
Coopératives de Bétail et Viande, et membre du Bureau de la
Confédération Française de la Coopération Agricole.
Quelle est votre analyse de la crise de fièvre aphteuse que nous venons
de traverser ? Comment jugez-vous la gestion du problème ? Quelles
en sont les conséquences économiques, quelles leçons
pouvons-nous en tirer ?
M. François Toulis
- Nous espérons bien que cette
épidémie de fièvre aphteuse est désormais finie en
France. Bien que cette crise ait engendré beaucoup de difficultés
et soit difficile pour leur profession, les éleveurs sont contents que
l'épidémie se soit limitée, en France, aux
événements que nous venons de connaître. Nous devons en
effet nous satisfaire de la faible ampleur du cas français, qui aurait
pu évoluer de manière comparable à la catastrophe qu'a
connue l'Angleterre.
L'épidémie pose la question du sérieux de notre police
sanitaire et de nos contrôles. A plusieurs reprises, nous avons en effet
subi les conséquences de crises survenues en Angleterre. Il serait donc
utile de s'interroger sur les pratiques de travail sauvages imposées par
le libéralisme anglais, en particulier pour le suivi du cheptel, pour
l'identification et les mouvements d'animaux. Sans notre maîtrise des
mouvements d'animaux et la rigueur de nos services vétérinaires,
nous aurions très certainement été confrontés
à une crise beaucoup plus dramatique. J'entends donc souligner les
difficultés posées par les mouvements d'animaux et leurs
opérateurs. La crise de l'ESB et la crise de la fièvre aphteuse
ont soulevé des problèmes liés aux mouvements d'animaux et
aux opérateurs douteux. Le cas de l'ESB a permis l'ouverture d'une
procédure révélant l'ampleur des problèmes. En
revanche, le cas de la fièvre aphteuse soulève des questions
différentes.
Si nous ne pouvons jeter la pierre à l'importateur qui avait
importé des animaux en règle, et ignorait que ces animaux
étaient malades, nous pouvons nous interroger sur les informations
transmises aux services lors de la découverte du premier cas chez nos
voisins. En particulier, il serait utile de connaître les informations
relatives à la provenance des animaux et aux itinéraires par
lesquels ils avaient circulé, notamment dans le cas des ovins
répandus sur le territoire. Les difficultés se sont fort
heureusement limitées à la Seine-et-Marne. Les autorités
françaises ont en effet pris les mesures nécessaires. Il fut
cependant difficile de retrouver l'ensemble des ovins circulant sur le
territoire.
L'identification et la traçabilité sont certes très
avancées et très efficaces pour les bovins, bien que la banque de
données nationale fonctionne encore imparfaitement. La
réglementation relative aux ovins et porcs reste cependant
inachevée. En particulier, cette période de l'année fut
critique pour les ovins : en raison de fêtes religieuses au cours
desquelles des ovins sont sacrifiés, certains circulaient dans des
conditions peu officielles et leur traçabilité était
insatisfaisante. Au-delà de la question du marché
parallèle et de l'illégalité de ce commerce, cette
situation n'est pas acceptable sur un plan sanitaire. Nous avons donc
intérêt à ce que les pratiques se régularisent le
plus vite possible.
La gestion fut menée par les autorités dans un contexte positif.
Les fédérations du commerce ou des coopératives ont
entretenu de bonnes relations avec la DGAL et les services du Ministère
de manière à faire face le plus rapidement possible aux
problèmes.
En pleine période crise, la circulation des animaux a été
interdite puis nous avons assisté à la réouverture
progressive de la circulation d'un élevage vers un abattoir, puis de
plusieurs élevages vers l'abattoir, puis d'un élevage vers un
autre élevage. J'insiste cependant sur l'impact néfaste des
marchés publics. Ce mode de commercialisation me semble obsolète
à deux titres. Sur le plan sanitaire, l'époque où
l'ensemble des animaux d'un même département étaient
rassemblés sur un seul marché est révolue. Les animaux
circulent désormais sur les marchés publics à
l'échelle de toute la France, si ce n'est de toute l'Europe. Une source
de contamination peut donc être envoyé des uns aux autres.
Ensuite, ce système n'est plus lié au bien-être animal. Les
animaux sont maintenant manipulés hors de leur milieu naturel,
chargés dans des camions, déchargés et stockés
toute une journée sur le pavé.
Vous pourriez tout à fait me répondre qu'en tant que
Président de la Fédération des coopérations, je ne
suis pas particulièrement attaché au marché. En tant
qu'organisation de producteurs, nous estimons en effet que la commercialisation
doit être organisée à l'échelon des producteurs et
de manière directe. Nous sommes cependant conscients du fait qu'un
équilibre exige la coexistence du commerce privé et du commerce
coopératif. Nous sommes actuellement capables d'organiser des
marchés virtuels reprenant les cotations du marché entre les
abattoirs, plus particulièrement pour les animaux de boucherie.
L'élevage porcin présente d'ailleurs des avancées plus
importantes en la matière que le marché des bovins. Notre
organisation ne favorise pas le bien-être animal. Les animaux ne sont
aucunement vecteurs des uns vers les autres. Ce sujet nous préoccupe
fortement.
Un autre problème résulte de la non-conformité entre
certaines décisions nationales et les décisions
européennes. La non-cohérence entre les différents pays
communautaires soulève d'autres difficultés. Par exemple, la
position italienne gêne les éleveurs français. L'Italie
prend en effet des décisions unilatérales non conformes aux
décisions européennes. Serait-il donc possible d'intervenir
à l'échelle communautaire ?
En définitive, nous devons faire preuve d'une grande rigueur quant
à la circulation des animaux. La conséquence économique
s'avère de toute évidence catastrophique pour nous. Alors que
nous étions confrontés, depuis le mois d'octobre, à des
difficultés conjoncturelles liées à la crise de l'ESB,
nous avons été contraints d'arrêter complètement
l'activité économique à l'export suite au premier cas de
fièvre aphteuse. La complexité des circuits d'approvisionnement
et de commercialisation des animaux ont sans aucun doute un facteur de risques.
A cet égard, les coopératives qui travaillent avec leurs
adhérents sont plus sécurisantes que les commerçants en
bestiaux qui travaillent sur des marchés ouverts à tous et avec
une population d'éleveurs changeante. Les activités des
coopératives comme celles des commerçants sont
arrêtées depuis deux mois sans aucune alternative possible. Nous
avons certes continué de traiter le bétail à destination
des abattoirs, mais le bétail est vivant et reste dans les exploitations.
Vous n'ignorez pas l'initiative prise par le gouvernement d'un plan de
1,4 milliards de francs à destination des éleveurs pour
compenser l'ensemble de ces pertes. S'il est en cours d'application, et
malgré les recommandations formulées par le Ministre, il fut
décidé au niveau national de laisser une relative latitude quant
à la décision de répartition des aides à
l'échelon départemental. Malheureusement, cette aide fut bien
souvent traitée en saupoudrage alors que le Ministre demandait qu'elle
cible efficacement les agriculteurs touchés.
Prenons l'exemple théorique de deux agriculteurs possédant un
troupeau de cinquante vaches allaitantes. L'un a pu vendre ses bovins de
boucherie avant l'arrêt d'activité du 23 octobre, tandis que
l'autre s'est vu interdire la vente de ses bêtes en raison de ce
même arrêt du 23 octobre. Or l'aide fut attribuée par le
département à ces deux éleveurs de la même
manière. Je n'accuse aucunement le gouvernement car les recommandations
du Ministre et l'envoi dans les départements furent correctement
effectués.
J'affirme en revanche que les décisions professionnelles ont leurs
limites et que le poids syndical joue fortement. Ces pratiques sont
désastreuses car elles laissent certains agriculteurs dans une situation
injuste et dramatique. J'ai ainsi directement signalé au préfet
de mon département les pratiques de répartition des aides. Plus
particulièrement, les mâles ont perdu de la valeur de
manière flagrante, de même que les vaches laitières. Les
vaches allaitantes se sont vendues au même prix, voire plus cher
qu'à la même période de l'année
précédente. Bien qu'ayant baissé, toute la consommation
s'est en effet reportée sur les animaux des troupeaux allaitants et non
sur le cheptel laitier. Je pourrais vous fournir de plus amples informations
sur ce point.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous reconnaîtrez que la
fièvre aphteuse a plutôt empêché de vendre des
mâles dans les dernières semaines.
M. François Toulis
- Vous avez raison. Et même, toute
la filière de vente à l'exportation des animaux vivants fut
affectée. Alors que le reste nous avait certes pénalisés,
la fièvre aphteuse a entraîné un arrêt brutal. Les
entreprises ont certes bénéficié de deux plans successifs.
Le premier concernait les entreprises d'abattage et de découpe de viande
et a permis l'accord de prêts au taux de 1,5 %. S'il fut
accordé en octobre, au début de la crise, il ne se met en place
qu'actuellement. Le second plan concerne les opérateurs d'animaux
vivants. Il est important de souligner que le premier plan répond
à la crise de l'ESB alors que le second résulte de la
réaction du commerce des animaux vivants. Il est donc intervenu parce
que la fièvre aphteuse aggravait la situation. La baisse
d'activité résulte de l'ESB, tandis qu'un arrêt
d'activité a été imposé en raison de la
fièvre aphteuse. Nous avons été doublement
affectés. Ces deux éléments séparés sont
donc étroitement mélangés car la crise de la fièvre
aphteuse s'est ajoutée à la crise de l'ESB.
Les dossiers relatifs aux conséquences des crises sont fortement
mélangés. En revanche, l'analyse de la fièvre aphteuse
constitue un élément distinct.
M. Philippe Arnaud, président
- Merci beaucoup. Notre
rapporteur va maintenant vous poser ses questions.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Comment envisagez-vous
l'évolution des pratiques d'identification des ovins ? Comment
pourrions-nous généraliser et unifier au niveau communautaire des
systèmes parfois très différents ?
M. François Toulis
- Cette question fut déjà
posée lors de la crise des bovins en 1996. La France s'est sortie de
l'ornière grâce à notre système d'identification. Le
reste de la communauté a depuis décidé de progresser selon
la même orientation. Elle s'efforce donc de généraliser
l'identification bovine. Le même chemin doit donc être suivi pour
les ovins.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Formuleriez-vous la même
recommandation pour les porcins ?
M. François Toulis
- L'identification des porcins
s'avère plus délicate. Nous devons néanmoins progresser en
matière d'identification et de circulation des animaux.
M. Philippe Arnaud, président
- En tant qu'organisation
professionnelle à l'échelon national, vous avez des lieux de
rencontre et de débat, voire des instances où sont
définies certaines orientations européennes pour une industrie de
gros. Ces sujets sont-ils abordés avec vos homologues
européens ?
M. François Toulis
- Ils sont en effet abordés.
M. Philippe Arnaud, président
- Sont-ils abordés de
manière suffisamment concrète pour déboucher sur des
propositions aux pouvoirs publics ?
M. François Toulis
- Oui, ils sont abordés de
façon concrète, mais non pour déboucher sur des
propositions aux pouvoirs publics. Nous sommes incapables de dégager, au
niveau professionnel, l'unanimité entre homologues européens.
Nous ne soumettons par ailleurs des propositions à la Commission
qu'à partir du moment où elles font l'objet d'un consensus. Nous
sommes toujours réunis autour du plus petit dénominateur commun.
Si nous abordons les mêmes débats sur la PAC en dehors des
questions sanitaires, certains pays s'opposent entre eux. Par exemple,
l'engorgement des animaux engendré par la fièvre aphteuse
nécessite une solution de moyen terme. Si le problème a
été résolu à court terme, nous n'arrivons pas
à obtenir l'accord de tous les partenaires européens quant aux
solutions de moyen terme. Celles-ci soulèvent de trop nombreuses
difficultés tant pour le bien-être animal que pour les
intérêts des lobbies.
M. Philippe Arnaud, président
- Il serait intéressant
de nous communiquer les références, des normes et textes qui
fonderaient des différences d'appréciation entre les partenaires
communautaires. Sauf erreur de ma part, les décisions en réponse
à la fièvre aphteuse relèvent de la compétence
européenne. Les modalités à mettre en oeuvre ont
été définies à cette occasion, de même que
des dispositions sanitaires s'imposent à l'ensemble de l'Union
Européenne. En revanche, si les Etats membres discutent sur le terrain
de l'application des décisions qui ont fondé les pratiques en
cours, des améliorations pourraient être apportées au cadre
communautaire.
M. François Toulis
- Une fois que la décision est
entérinée par Bruxelles, nous sommes dans l'obligation de
l'appliquer. Je souligne pour ma part les difficultés soulevées
par l'évolution de cette réglementation communautaire. Par
exemple, l'identification généralisée des bovins ou la
traçabilité sur les viandes relèvent de domaines où
les efforts doivent être menés de façon progressive et
continue dans la discussion. Une fois acquis, les éléments sont
définitivement établis. Les règles émises en
réponse à la fièvre aphteuse ont été
appliquées. Les modalités d'application sont toutefois grandement
facilitées à partir du moment où les pratiques
d'identification généralisée et de circulation des animaux
fonctionnent selon la même logique. Il reste donc à étudier
les modalités d'application des décisions communautaires.
M. Philippe Arnaud, président
- Seriez-vous prêt
à affirmer que les dispositions communautaires en réaction
à l'épidémie de fièvre aphteuse sont
appliquées uniformément dans tous les Etats membres ?
M. François Toulis
- Je me refuse à toute affirmation
dans la mesure où je suis dans l'incapacité d'évaluer la
situation, à moins d'étudier sur le terrain les pratiques dans
chaque pays. Au contraire, je pencherais pour la réponse inverse.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Ce problème constitue de
toute évidence une faiblesse du système communautaire. Alors
qu'en réponse à l'ESB, l'échelon européen avait
engagé un programme évitant le recours à l'abattage
systématique des troupeaux entiers, la France s'est engagée dans
des dispositions différentes. Cette décision paraît-elle
justifiée dans le cadre du respect du principe de précaution ?
M. François Toulis
- Nous avons cependant été
critiqués alors même que nos mesures allaient plus loin. Nous
avons joué le rôle de précurseurs européens en
matière de mesures sur la traçabilité. Nous avons par
ailleurs instauré un système d'étiquetage fondé sur
l'origine, la catégorie et le type d'animal, tandis que Bruxelles nous
impose un système reposant sur une numérotation complexe et
incompréhensible pour le consommateur.
Nous avons donc demandé au gouvernement français ainsi
qu'à Bruxelles la possibilité de garder notre propre
identification beaucoup plus claire aux yeux du consommateur, tout en
insérant cette numération utile pour nos listings informatiques.
Si je vous présente une bête dotée d'un matricule, votre
réaction sera toute autre que face à une bête dont je vous
précise l'origine et l'espèce. Vous saurez ce que vous achetez.
Nous devons actuellement faire preuve d'une détermination soutenue pour
défendre ces acquis au niveau communautaire. Je vous rappelle que la
traçabilité résulte d'un accord interprofessionnel
français que les pouvoirs publics ont soutenu mais qui se trouve
désormais hors-la-loi face à Bruxelles.
La construction européenne progresse cependant chaque jour un peu plus.
La crise de 1996 fut d'ailleurs salutaire car elle a permis
d'accélérer les avancées communautaires dans nos
filières. Les récentes crises, aussi terribles soient-elles, nous
feront une nouvelle fois progresser.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Les problèmes de
santé animale sont incontestablement liés aux difficultés
soulevées par les déplacements d'animaux. Vous avez
également évoqué le bien-être animal, qui viendra
inévitablement à l'ordre du jour. Quelle est votre position sur
l'abattage des animaux sur les lieux de production ? Vaut-il mieux transporter
des carcasses plutôt que des animaux vivants ?
M. François Toulis
- Votre question soulève deux
éléments. Dans le cas de l'ESB, aucun problème de
transport des animaux ne s'est présenté, de même que
l'abattage dans de bonnes conditions des bêtes à l'abattoir ne
s'est heurté à aucune difficulté. La ferme n'est en effet
aucunement le lieu adéquat pour effectuer des abattages. En revanche, la
fièvre aphteuse présente de graves dangers de contamination. Il
est donc normal de ne pas transporter les animaux. La décision d'abattre
les bêtes et de les brûler sur place s'est imposée par
nécessité.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Ma question concerne les
maladies contagieuses mais aussi le bien-être animal. A partir du moment
où les animaux sont abattus sur les lieux de production, et non plus
dans les abattoirs, le transport des carcasses ne porte désormais plus
que sur 50 à 60 % du poids. Cette solution minimise en outre les
risques de propagation de certaines maladies. Comment votre
fédération envisage-t-elle le recours à cette mesure ?
Comment prévoit-elle son avancée au niveau européen ?
M. François Toulis
- Il est certain que moins l'animal est
manipulé, plus son bien-être est préservé. Il reste
dans son milieu naturel, il vit. Le trajet entre son étable et le lieu
d'abattage doit être aussi court que possible. Nous évoquons
cependant ici le cas des animaux partant à la boucherie. Nous
possédons également une masse d'animaux destinés à
l'élevage qu'il est nécessaire de déplacer d'un lieu vers
un autre. Nous évitons donc les déplacements dans la mesure du
possible. Nous devons en outre disposer d'outils suffisants à
l'échelon communautaire, alors que nous possédons plutôt le
double des outils d'abattage en France.
Un effort de restructuration viserait à privilégier des outils
opérationnels, conformes aux normes et compétitifs. Or, chaque
fois que nous incitons le producteur français à mettre de la
valeur ajoutée sur ses animaux, ceux-ci injecteront de la valeur
ajoutée à la base chez l'exploitant. Les difficultés que
nous venons de connaître et la pénalisation des mâles
risquent cependant d'infléchir les avancées en sens inverse.
Les exploitants travaillant dans l'engraissement animal ont vu leur
activité bloquée. Ils ne sont donc plus incités à
continuer dans cette voie, ce qui nous préoccupe
énormément. Nous nous efforçons donc d'empêcher que
les engraisseurs cessent leur activité en France. Il est primordial de
continuer à injecter de la valeur ajoutée dans notre cheptel car
cette politique soutient nos outils d'abattage et de transformation. Je vous
invite à consulter les dossiers que la France a instruits pour tenter
d'aider les producteurs à rester en production malgré la crise.
M. Philippe Arnaud, président
- Parleriez-vous d'un manque
d'abattoirs pour sacrifier les moutons lors des fêtes religieuses ?
M. François Toulis
- Sans pour autant maîtriser ce
sujet, la situation s'expliquerait d'abord par la volonté de ne pas
passer par des abattoirs plutôt que par le manque d'abattoirs. Cette
idée se fonde sur l'habitude des pratiquants d'abattre eux-mêmes
les bêtes, amis aussi très certainement sur l'intérêt
pour un commerce spécifique.
M. Philippe Arnaud, président
- Au cours des missions
antérieures, nous avons repéré une insuffisance du nombre
des abattoirs. Disposez-vous d'éléments qui vous permettraient de
démontrer que le nombre d'abattoirs est, comme vous l'affirmez,
suffisant ?
M. François Toulis
- J'estime que cette question
mérite une expertise, mais je ne peux pas non plus répondre de
manière certaine. Je sais cependant que les pratiques rituelles et le
commerce illégal entraînent de telles dérives. S'il
s'avère que nous manquons véritablement de capacités,
comme les résultats des missions antérieures l'affirment, ces
éléments ne devraient pas être occultés. Sur le
secteur ovin, l'abattage clandestin nous handicape considérablement.
M. Philippe Arnaud, président
- Pourquoi n'arrivez-vous pas
à vous organiser, au sein de votre profession ou avec les pouvoirs
publics, pour répondre à la demande forte suscitée chaque
année par ces fêtes musulmanes ?
M. François Toulis
- Dans le secteur oovin, la France est
déficitaire. Nous approvisionnons 40 à 50 % de notre propre
marché. Le reste provient de l'importation. La seule solution permettant
à nos éleveurs de ne pas cesser toute production fut le recours
aux labels. 95 % de la production d'agneaux français sous label ou
CCP, donc sous signe officiel de qualité, est faite par la
coopération française. Nous poussons nos membres à suivre
cette orientation car elle offre l'unique garantie d'un revenu aux exploitants.
En face de nous, ce système clandestin de marché noir incite
cependant les éleveurs à rester dans des circuits
parallèles.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Quel pourcentage passe
actuellement dans les abattoirs ?
M. François Toulis
- Je ne saurais vous répondre.
Ceci rejoint cependant votre question précédente. Si, sur les
ovins, nous disposions de la même traçabilité et de la
même identification des animaux, l'impact serait tout autre. Par exemple,
je suis tenu d'inscrire sur mon cahier d'étable l'identité des
acheteurs de mes bovins, de même qu'une vente est authentifiée par
un certificat d'équarrissage. L'animal ne peut s'échapper de la
filière, à moins de ne pas le déclarer à sa
naissance. Si un système comparable était instauré sur les
ovins, nous n'observerions plus aucun dysfonctionnement au niveau fiscal, au
niveau sanitaire, dans les conditions d'abattage comme pour le marché
noir.
M. Philippe Arnaud, président
- Tout le monde
reconnaît donc l'existence de dysfonctionnements, mais apparemment
personne ne bouge.
M. François Toulis
- Nous réagissons, puisque nous
demandons que l'identification ovine fonctionne comme sur les bovins.
M. Philippe Arnaud, président
- Ces mesures seront mises en
place sur le moyen terme, nous en convenons. D'autres mesures sont cependant
nécessaires.
M. Paul Raoult
- Les acheteurs de moutons vivants ont l'habitude de
discuter du prix des produits. Les négociations durent relativement
longtemps. Il faut comprendre que ces pratiques font partie des habitudes de
vie et de commerce. Certains éleveurs entrent dans ce système.
Ils disposent en effet de certains clients habitués. L'agneau est alors
chargé dans le coffre de manière presque clandestine.
M. François Toulis
- Il faut préciser que
l'agriculteur a le droit de vendre ainsi, mais il doit déclarer la vente
de l'animal dans ses recettes.
M. Philippe Arnaud, président
- Si cette pratique existe de
nos jours, comment se fait-il qu'elle perdure ?
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Nous avons connu le même
problème, il y a plusieurs années, avec le cas des organisations
juives. Or le problème a été résolu. Il faut que le
Ministre de l'Agriculture et le Ministre de l'Intérieur indiquent que
tous les abattages doivent être effectués dans les abattoirs
officiels. La communauté musulmane viendra alors chercher les moutons
dans ces abattoirs officiels et pourra assister à des abattages rituels.
Elle pourra éventuellement participer à ces derniers.
M. François Toulis
- Si l'on ne peut plus effectuer
d'opérations commerciales, tous les autres problèmes seront
réglés. Parfois, certains bovins sont abattus à la ferme.
M. Louis Grillot
- Il arrive également qu'un animal
accidenté soit envoyé à l'équarrissage.
M. François Toulis
- Un éleveur qui abat un animal
à la ferme rencontrera obligatoirement certaines difficultés.
Comment procédera-t-il ? Il ne remettra que la tête de
l'animal à l'équarrisseur...
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Cette pratique doit être
replacée dans le contexte des nouvelles dispositions prises dans le
cadre de l'affaire de l'ESB. Il est en effet indiqué qu'un animal
accidenté doit aller directement à l'équarrissage.
M. François Toulis
- Il s'agit d'une mesure absurde, d'un
excès de précaution non fondé qui risque d'entraîner
des fraudes.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Certains scientifiques mal
informés ou malintentionnés ont considéré qu'un
animal accidenté était plus enclin à contracter la maladie
de l'ESB. Ce constat est ridicule. Il est nécessaire de préciser
clairement, au niveau ministériel, que l'animal accidenté doit
être conduit à l'abattoir pour subir le test de l'ESB mais qu'il
ne doit pas être pour autant livré à l'équarrissage.
M. François Toulis
- En effet, les crises ont conduit
certaines personnes à perdre toute rationalité. Les
recommandations de l'APSA ont contribué à affoler certaines
personnes qui ont eu des comportements irrationnels.
De même, il n'est pas normal de refuser que des farines animales fassent
partie de l'alimentation des porcs et des volailles. Nous devons suivre la
nature. Ainsi, à l'état naturel, si l'on dispose une carcasse
d'animal dans le foin d'une vache ou d'un mouton, ces derniers ne mangeront pas
le foin et le contourneront d'au moins vingt centimètres. Ceci ne
s'applique pas à la poule et au cochon, qui s'alimenteront normalement.
Il n'est pas normal que nous ne soyons pas capables de faire manger aux porcs
et aux poules les déchets de la viande saine mangée par les
humains.
Je vais vous citer un exemple que je trouve forte représentatif. Dans un
lycée agricole, le directeur de l'établissement donnait tous les
déchets de la cantine aux cochons. Cela lui permettait d'éviter
de mettre tonnes de déchets à la poubelle. Pourtant, le
vétérinaire inspecteur a refusé que cette pratique soit
poursuivie et le directeur de l'établissement a été
contraint d'obtempérer. Je pense que cet exemple est
caractéristique d'une réelle absurdité. C'est de la folie.
Les farines animales saines peuvent pourtant être données en
pâture aux animaux si les circuits des différentes farines sont
clairement séparés.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Comment envisagez-vous la
maîtrise de la production en France ? Qu'envisagez-vous par rapport
aux positions qui sont prises par les organisations professionnelles, notamment
en ce qui concerne l'élevage laitier ?
M. François Toulis
- Nous ne maîtriserons pas le
nombre de vaches mais la production de lait. Par ailleurs, les vaches
allaitantes recoupent l'important thème de l'occupation du territoire.
Elles se révèlent en effet indispensables dans les zones
difficiles. Sans vaches allaitantes, ces zones difficiles seraient totalement
démunies. J'estime que la maîtrise doit être
effectuée au niveau de l'abattage des petits veaux de huit jours.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Parmi les départements du
Nord, le cas de mon département est emblématique, avec 220 000
vaches allaitantes et 22 000 vaches laitières. Les producteurs de lait
doivent respecter des quotas. Parfois, ils augmentent leur production sans
nécessairement diminuer leur nombre de vaches. Ils disposent alors
d'excédents laitiers. Afin de trouver une solution, ils engraissent les
mâles. Ceci contribue à mettre sur le marché une importante
quantité de viande, dans la mesure où, dans l'élevage
laitier, une vache sur deux accouche d'un mâle.
M. Paul Raoult
- Si je tenais ce discours aux éleveurs de
l'Indre-et-Loire, ils réagiraient très négativement. Dans
la mesure où ils ne peuvent pas augmenter leur production de lait, ils
disposent d'un complément de revenu grâce à la vente de la
viande.
M. François Toulis
- Nous sommes contingentés tant au
niveau de la production de lait que des vaches allaitantes. Il existe notamment
une gestion par les primes. Nous pouvons surtout maîtriser la production
de viande au niveau des petits veaux. Ces derniers, en grandissant,
pèsent 350 kilos de carcasse. Nous pouvons dès lors exercer une
maîtrise au niveau des vaches allaitantes, pour les vaches hors quota. Je
vous rappelle que le nombre de vaches hors quota est passé de 3,8
millions à 4,2 millions, ce qui signifie que la maîtrise est
possible.
Nous pouvons en priorité maîtriser les petits veaux laitiers, qui
sont vendus par les éleveurs lorsqu'ils sont âgés de huit
ou dix jours, dans la plupart des cas. Les petits veaux partent ensuite dans le
circuit commercial pour être replacés dans un autre
élevage. A ce niveau, nous intervenons et nous les éliminons.
C'est ce que nous avons fait en 1993, dans le circuit normal de l'abattage. Il
est évident que si nous produisons 100 unités et que nous n'en
consommons que 80, nous devons absolument réagir sous peine de nous
écrouler.
Par ailleurs, une autre mesure peut être envisagée. Nous pouvons
travailler à la diminution du poids de carcasse. Si nous
réduisons le poids du veau de boucherie de 20 kilos, nous
maîtrisons grandement la production sur un groupe de 120 ou de 240
bêtes. Cette deuxième mesure permet de ne pas tuer les animaux et
d'exercer une maîtrise sur le poids carcasse. Cette mesure s'applique
également aux jeunes bovins. En outre, il est aisé de limiter le
poids carcasse grâce à la gestion des primes.
Enfin, mes collègues et moi-même nous étonnons qu'aucune
décision de maîtrise à moyen terme n'ait été
prise après six mois de crise. A court terme, des milliards de francs
ont été dépensés au niveau européen dans le
but d'abattre et de brûler les animaux, tandis qu'aucune mesure n'a
été prise à moyen terme. Il faut tout de même
rappeler que certaines mesures sont toutefois faciles à prendre.
Monsieur de Winne reconnaît que la décision d'abattage des petits
veaux est celle qui a coûté le moins cher à la
Communauté européenne, tout en étant assez efficace. Tout
le monde s'accorde sur ce point, mais Monsieur Fichler ne veut pas envisager
cette mesure. Il y a trois mois, lorsque Monsieur de Win a mis en avant cette
possibilité, Monsieur Fichler lui a demandé de ranger son dossier
et lui a rétorqué que la Communauté européenne
n'était pas gérée uniquement en fonction de contingences
économiques. J'estime que cette attitude est dramatique et que le
problème n'est absolument pas réglé.
M. Paul Raoult
- Il ne faut pas oublier que la pression pour la
suppression des quotas laitiers se fait de plus en plus forte. Je suis
persuadé que nous n'y échapperons pas d'ici trois ou quatre ans.
M. François Toulis
- Vous m'avez demandé
précédemment si les Anglais n'étaient pas quelque peu
manipulateurs. Je vous réponds que je ne le pense pas. Par contre, je me
demande si la situation que je viens de décrire ne résulte pas
d'une pratique volontaire.
Aujourd'hui, plusieurs pays de la Communauté européenne
souhaitent amener les prix au niveau du prix mondial. Il est évident que
la compétition sera très forte. Au-delà de la crise
importante que nous connaissons, il s'agit de faire face à
l'intégration prochaine de dix pays d'Europe de l'Est. Je vous
prédis que nous rencontrerons d'importantes difficultés, dans la
mesure notamment où ces pays disposent d'une agriculture qui applique
les prix pratiqués au niveau mondial et dans un contexte où la
Communauté européenne ne souhaite pas augmenter le budget
agricole. Si aucune mesure n'est prise, le problème sera vite
réglé, mais la moitié des producteurs de notre pays sera
éliminée.
M. Philippe Arnaud, président
- Pouvez-vous m'indiquer quel
est l'argument qui plaide en faveur de l'interdiction de l'abattage des petits
veaux ?
M. François Toulis
- La seule raison est la
sensibilité et je dirais la sensiblerie de nos sociétés,
qui sont loin des réalités de la nature et de l'élevage.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Le problème est
posé par le fait que les races allaitantes ne disposent pas d'autres
produits que le veau.
M. François Toulis
- Si cette pratique est une orientation
de fond, je constate qu'elle est en totale contradiction avec la politique
française et le discours européen qui visent à maintenir
le tissu rural.
Dans les faits, tout est mis en oeuvre pour faire disparaître notre type
d'agriculture et nos élevages. Vous constaterez vous-mêmes que
dans dix ans, les chiffres auront été divisés par deux. Il
s'agit d'une déduction mathématique !
L'année dernière, j'ai vendu 70 vaches blondes d'Aquitaine E,
soit la qualité supérieure, pour une somme de 24,50, gras fini.
Cette année, j'en ai vendues 70 à 14,50, ce qui représente
10 francs le kilo pour 450 kilos. Effectuez vous-même le calcul !
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Seriez-vous favorables à
la vaccination, dès lors qu'une distinction serait établie entre
animaux vaccinés et animaux malades ? Quelle est la position de la
profession sur la question ?
M. François Toulis
- Nous ne sommes pas
vétérinaires, mais les explications qui nous ont
été fournies et nos propres analyses ne vont pas dans le sens de
la vaccination. Nous sommes opposés à la vaccination car nous ne
souhaitons pas nous isoler de certains marchés. De surcroît, avec
la vaccination, nous ne pourrions plus savoir si l'animal est malade ou
simplement s'il a été vacciné.
Depuis ce matin, les exportations vers l'Italie sont à nouveau
autorisées à condition que des analyses sanguines soient
effectuées sur les animaux. Imaginez-vous ce qui pourrait se passer si
une bête se révélait positive après qu'un
éleveur ait procédé à une vaccination non
contrôlée ? Ceci aboutirait à refermer les
frontières françaises. Le risque économique est trop
important.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le
Président, cette réponse est avant tout déterminée
par des raisons économiques. Toutefois, la question du rapporteur
présupposait l'utilisation d'un vaccin de nouvelle
génération, qui serait un vaccin marqueur. En outre, il
était supposé que cette disposition serait européenne et
intégrée aux dispositions réglementaires de l'OIE.
M. François Toulis
- Si, lors d'une analyse, il était
clairement indiqué que le résultat est fonction d'une vaccination
et si la vaccination n'interférerait pas négativement dans la
recherche de la maladie ou au niveau du commerce international, il est clair
que nous n'y serions pas opposés.
M. Philippe Arnaud, président -
Cette précision est
très importante. Nous constatons que la question de la vaccination donne
lieu à des réactions très tranchées. Certaines
réactions sont liées à une importante prise de conscience
face aux abattages massifs, d'autres sont davantage liées à des
éléments économiques et plus particulièrement aux
possibilités d'exportation. Il est important de rappeler que la
réflexion doit s'inscrire dans une appréhension globale du
problème. Monsieur le Président, je vous remercie d'avoir
participé à cette réunion.
19. Audition de M. Régis Chevalier, Secrétaire général de la Fédération des producteurs de lait
M. Philippe Arnaud, président
- Nous
recevons
M. Régis Chevalier, Secrétaire général de la
Fédération des producteurs de lait. Monsieur le Président,
je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Quel est le
point de vue de la Fédération des producteurs de lait sur la
crise de la fièvre aphteuse ? Je vous précise que notre
mission travaille sur cette crise, qui surgit après la crise de
l'ESB. Nous aimerions connaître les enseignements que vous tirez de
cette nouvelle crise et éventuellement les propositions que vous
pourriez mettre en avant, afin d'adopter à l'avenir une approche
différente.
M. Régis Chevalier
- Avant toute chose, je tiens à
vous remercier d'être ainsi à l'écoute de la profession.
Cette attitude est très importante, en particulier dans l'étude
d'un dossier comme celui qui nous intéresse aujourd'hui.
En tant qu'agriculteur dans le département de l'Orne, j'ai
été particulièrement concerné par la crise de la
fièvre aphteuse. En outre, étant le Président de la
Chambre d'Agriculture de l'Orne, j'ai été amené à
travailler sur la question de l'embargo qui a frappé les
départements de l'Orne et de la Mayenne.
Je vous rappelle que la propagation de la maladie s'est effectuée par
des ovins importés de Grande-Bretagne, lors d'une fête musulmane.
Cet événement nous a interpellé, tant au niveau de
l'application de la réglementation que de l'identification et de la
traçabilité des animaux. En termes d'identification, je pense
qu'il nous faut redoubler de vigilance, au niveau européen et national,
tant pour les ovins que pour le cheptel porcin. En outre, la définition
de la traçabilité doit être améliorée. Il
faut préciser que l'absence totale de couverture vaccinale n'a pas
été sans conséquence.
Je tiens à préciser que nous ne remettons pas en cause les
décisions qui ont été prises par les pouvoirs publics,
notamment la DGAL. Nous avons d'ailleurs organisé plusieurs
réunions d'information pour les agriculteurs, afin d'évoquer les
contraintes imposées par les autorités. En fait, nous avons
rencontré de grandes difficultés à informer les
agriculteurs de manière permanente. En effet, la réglementation
communautaire était modifiée chaque semaine : il existait
toujours un décalage entre la nouvelle réglementation et
l'information que nous diffusions aux agriculteurs. Nous avons tenté de
pallier ces problèmes, mais nous avons tout de même
rencontré de nombreuses difficultés.
Par ailleurs, nous restons partisans de la non-vaccination. Les mesures prises
ont été efficaces, même si elles causent certains
préjudices d'un point de vue économique. En effet, si la
vaccination avait été effectuée, les problèmes
auraient été encore plus importants. Nous estimons que les
décisions prises par la DGAL ont été pertinentes,
même si elles ont été durement ressenties sur le terrain.
En outre, les abattages préventifs qui ont été
effectués en raison de la non-vaccination ne sont pas contestés
par les éleveurs. En revanche, ils posent certains problèmes en
termes d'éthique. Cet aspect a été très vite
compris par l'opinion publique, qui a été choquée par les
images montrées à la télévision. De surcroît,
ces images ont contribué à la baisse de la consommation de viande.
Si les indemnisations se révèlent suffisantes, les
éleveurs acceptent les abattages préventifs. Je tiens toutefois
à mettre l'accent sur un point important. Il concerne un nouvel
arrêté qui vient d'être publié le 30 mars. Ce dernier
intervient à un moment critique et pose de sérieux
problèmes. En effet, il est important de préciser que si une
nouvelle épidémie était enregistrée, un tel
arrêté serait totalement inapplicable. Les mesures qu'il
prévoit sont autant de lourdeurs administratives. En premier lieu, deux
experts fixent des plafonds. Or ces plafonds ne sont pas réalistes car
ils ne tiennent pas compte des pertes d'exploitation. Dans un second temps,
l'éleveur a le droit de contester le montant de l'expertise. Le dossier
remonte alors à la DGAL et fait l'objet d'une contre-expertise. La
décision ultime revient au préfet. Cet arrêté
s'applique tant pour l'ESB que pour la fièvre aphteuse. Dans tous les
cas, les délais ne pourraient pas être respectés, dans la
mesure où les abattages doivent avoir lieu dans les heures qui suivent
la déclaration de l'épidémie. Cet arrêté est
donc totalement inapplicable.
En outre, je voudrais mettre en avant le rôle des DSV. Il me semble qu'il
faut laisser un peu plus d'initiative aux DSV qui ont bien géré
le dossier, notamment avec les personnes qui se trouvent sur le terrain. Nous
avons connu de très graves difficultés pour faire circuler les
animaux, et nous savons tous qu'il fallait prendre toutes les
précautions nécessaires. Au nom du principe de précaution,
plus personne ne consent à prendre une part de responsabilité. Je
pense toutefois qu'à un moment donné, les responsabilités
doivent incomber à certaines personnes.
Par ailleurs, au niveau des indemnisations, dans le cas de la Baroche Beaudoin,
les organisations agricoles ont pris toutes les mesures et précautions
nécessaires en vue de maîtriser la situation. Nous avons
rencontré par le Ministre de l'Agriculture, qui nous a reçus avec
un ensemble de parlementaires et nous a fait de grandes promesses, notamment
celle d'une première enveloppe de 30 millions de francs. Les propos du
ministre de l'Agriculture se voulaient rassurants, notamment en matière
de solidarité avec toutes les filières. Les départements
de l'Orne et de la Mayenne étaient alors présentés comme
des boucliers, d'un point de vue européen. Au niveau national, le
discours se voulait bien plus rassurant et solidaire. L'après-midi, le
Président de la République a tenu des propos tout aussi
rassurants pour les éleveurs. Son discours allait dans le sens de
l'indemnisation des stocks.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? Le représentant de la
mission s'est rendu sur le terrain et a enregistré toutes les
doléances. Toutefois, nous n'avons encore eu aucun retour, alors que le
rapport a pourtant été déposé. Cela commence donc
à poser de sérieux problèmes. Ainsi, si une autre
épidémie apparaissait, nous rencontrerions de graves
difficultés pour faire appliquer les directives.
En outre, j'ai demandé que la répartition des 30 millions de
francs soit effectuée de manière transparente. Or le processus
n'est pas transparent. Je n'ai obtenu aucune réponse. Je précise
que je siège au Conseil de direction de l'Office du blé. Dans ce
cadre, il m'a été demandé de voter une enveloppe de 5
millions de francs pour les agriculteurs. Il s'agit en fait d'un
redéploiement des crédits qui étaient destinés
à l'agriculture. Or nous ne nous situons plus dans le cadre de la
solidarité nationale. Ceci pose un problème de fond.
J'ai rencontré hier Madame la Directrice de l'ONILAIT et je pense que
nous allons trouver une solution en ce qui concerne les producteurs fermiers.
L'entreprise Gilo a fait l'objet d'une discussion. Cette entreprise qui produit
des fromages au lait cru s'est vu proposer une somme représentant
50 % des dommages qu'elle a subis. Les autres entreprises n'ont
bénéficié d'aucune aide. Il est pourtant nécessaire
de tenir compte des surcoûts de collecte, cette dernière ayant
été organisée, en deux heures, par la profession
laitière. Plusieurs réunions téléphoniques ont eu
lieu, grâce à une interprofession qui fonctionne de manière
satisfaisante. Je tiens à souligner que les pouvoirs publics ne sont pas
à l'origine des actions qui ont été menées.
Nous mettons ainsi en exergue un véritable problème. Le
président du NEL, Jean-Michel Lemétayer, a écrit
aujourd'hui au ministre de l'Agriculture pour soulever le véritable
problème qui se pose au niveau de la filière laitière. Je
vais vous citer un exemple. L'entreprise Sodial, qui fabrique le Camembert
« Le Rustique », a vu son préjudice absorbé
par le groupe agro-alimentaire, malgré d'importantes pertes au niveau
commercial. De nombreux camemberts ont été retirés du
marché et les pertes s'élèvent à 2 millions de
francs. A celles-ci s'ajoutent de nombreuses répercussions sur le plan
commercial.
D'une manière générale, nous pensions pouvoir sortir
correctement de cette crise, qui a été bien gérée,
malgré certains moments difficiles. Or nous constatons actuellement le
désarroi de nombreux éleveurs.
Par ailleurs, concernant l'avenir des fromages au lait cru, les scientifiques
indiquent que lorsque le PH descend en dessous de 6, plus aucun problème
ne se pose. Quelle considération faut-il accorder à ce type
d'information ? Il me semble que cette crise doit également
permettre d'effectuer un bilan sur les plans technique et scientifique.
Pour conclure, nous regrettons encore une fois que Monsieur Pouri n'ait pas
bénéficié d'une délégation de pouvoir pour
le dossier qui nous concerne.
M. Philippe Arnaud, président
- Merci, Monsieur Chevalier.
Vous avez émis le souhait que la crise prenne fin. N'avez-vous pas le
sentiment que nous sommes passés à côté d'une
catastrophe de grande ampleur ?
M. Régis Chevalier
- En effet, je pense que nous sommes sans
doute passés à côté d'une catastrophe de grande
ampleur. Ainsi, pour avoir vécu la crise de très près, je
peux vous affirmer que la mise en place des rotoluves n'a véritablement
porté ses fruits qu'au bout de trois jours. Personne n'était
prêt suffisamment tôt. Pourtant, chacun a fait de son mieux, avec
l'appui des maires, des élus locaux et de la gendarmerie. Il est
toutefois très difficile d'intervenir en 48 heures. Ceci nous
interpelle, par rapport à la question de la vaccination.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous avez indiqué que
vous êtes partisan de la non-vaccination. Sur quoi fondez-vous votre
point de vue ? Je me permets de vous poser de nouveau la question, en
m'adressant particulièrement au Président de la
Fédération des Producteurs de Lait. Quels sont les arguments qui
étayent votre position en matière de vaccination ?
M. Régis Chevalier
- Je tiens à préciser que
si les bêtes avaient été vaccinées, il aurait tout
de même fallu prendre les mêmes dispositions. En effet, le virus
est apparu chez les ovins, qui n'ont jamais été vaccinés.
De plus, nous aurions pris moins de précautions si les bêtes
avaient été vaccinées, et le virus aurait peut-être
pu être propagé par les ovins ou par l'homme. Le véritable
problème qui se pose est celui de l'exportation puisque la France est un
pays dans lequel les bêtes circulent en grand nombre. Avant de reprendre
la vaccination, il faudrait d'abord adapter les vaccins. De plus, cette
décision ne pourrait être prise qu'au niveau européen ou
mondial, ce qui paraît impossible dans la pratique. Par ailleurs, je
tiens à vous rappeler qu'un animal vacciné peut tout de
même propager le virus.
M. Philippe Arnaud, président
- Toutefois, tout le monde
s'accorde à reconnaître que les programmes de vaccination
éradiquent effectivement la fièvre aphteuse.
M. Régis Chevalier
- Oui, mais cela est vrai uniquement si
tous les animaux sont vaccinés, y compris les ovins et les porcins.
M. Philippe Arnaud, président
- Ce cas ne s'est jamais
présenté. Tous les animaux n'ont jamais été
vaccinés en totalité. Toutefois, lorsque les bovins seuls ont
été vaccinés, la maladie a disparu.
M. Régis Chevalier
- Les animaux et les produits circulent
de manière de plus en plus importante. Les risques sont donc majeurs. En
cas de reprise de la vaccination, notamment des cheptels ovins et porcins, il
faudrait que la procédure soit généralisée au
minimum à l'ensemble des pays de l'Union européenne. Cette mesure
est-elle envisageable ? Au sein de notre Fédération, un
débat s'est tenu sur ce point. Aujourd'hui, tout le monde
reconnaît que le système français a été
efficace, contrairement au système anglais. Nous considérons que
nous devons être beaucoup plus vigilants sur l'identification des ovins,
dans la mesure où ces derniers ne sont pas tous identifiés
actuellement.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- A vous entendre, tout s'est fort
bien déroulé et, en France, la situation est bien meilleure qu'en
Angleterre. Or, en Seine-et-Marne, dans la Mayenne et dans l'Orne, les
directeurs des services vétérinaires et les préfets ont
reconnu que le facteur chance a été important et qu'un
dérapage aurait pu intervenir. Dans cette perspective, une centaine de
cas de fièvre aphteuse auraient pu se manifester dans certains
départements. Personne n'aurait été préparé
à un problème d'une telle ampleur. Le jugement que vous portez en
matière de vaccination est un jugement d'opportunité. Quelle
aurait été votre position s'il avait fallu gérer une
cinquantaine de cas ? Il faut prendre en compte les aspects liés
à la gestion de la crise. Ainsi, l'intervention de la DDE et la
mobilisation de l'armée demandent un certain temps. Quelle aurait
été votre position si l'épidémie avait
été beaucoup plus importante ? Par ailleurs, quelle a
été l'incidence financière de la crise pour les
producteurs de lait ? Nous avons rencontré les directeurs des
entreprises Gilot et Sodial. Ces derniers nous ont exposé leurs pertes.
Toutefois, nous aimerions connaître les incidences financières de
la crise pour les producteurs eux-mêmes. Enfin, comment avez-vous
réagi à l'abattage du troupeau, qui a été entrepris
sans que les résultats de la prise de sang n'aient été
préalablement obtenus ? Nous constatons en effet que l'abattage du
cheptel laitier a débuté vers 22 heures tandis que le
résultat des analyses n'est parvenu qu'à 3 heures du matin.
M. Philippe Arnaud, président
-
Je voudrais insister
sur l'importance de la deuxième et surtout de la première
question qui viennent d'être posées. Je crois que l'un des
constats que nous pouvons faire aujourd'hui est que, en effet, d'un point de
vue scientifique et statistique, nous sommes passés à
côté d'une grande catastrophe. Je pense que nous aurions pu
connaître, en France, une situation identique à celle de la
Grande-Bretagne. La question du rapporteur est donc à mon sens
très importante.
M. Régis Chevalier
- Je ne suis pas du même avis. Si
la réaction officielle a sans doute été trop tardive, les
producteurs ont tout mis en oeuvre pour se protéger
immédiatement. En effet, les producteurs connaissaient d'ores et
déjà la maladie. Cette connaissance leur a d'ailleurs parfois
été transmise par leurs parents. La bonne résolution de la
crise a été permise par la prise de conscience des
éleveurs, qui ont parfois réagi avant d'être officiellement
informés des mesures à prendre.
Par ailleurs, si l'épizootie s'était développée, il
aurait peut-être été nécessaire de mettre en place
un anneau sanitaire afin d'éviter la propagation de la maladie.
Enfin, au niveau des producteurs de lait, de nombreuses mesures ont
été prises, en étroite relation avec les entreprises
laitières, pour éviter la propagation de la maladie d'une
exploitation à l'autre. Même si la réglementation ne
l'imposait pas, des rotoluves ont été mises en place
spontanément à chaque entrée de ferme. De même, le
nettoyage systématique a été entrepris
spontanément. Chacun a fait preuve de bon sens pour éviter la
propagation de la maladie. Ceci étant dit, je ne peux pas nier que nous
avons peut-être eu de la chance. Je ne veux pas être
catégorique.
M. Philippe Arnaud, président
-
Je tiens à
préciser que les statisticiens avaient annoncé que la maladie
reviendrait inévitablement.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Nous devons également
tenir compte du fait que les animaux ne se trouvaient pas dans les herbages
mais dans les exploitations, ce qui a permis de mieux suivre l'évolution
de l'épidémie.
M. Régis Chevalier
- Nous sommes plutôt favorables
à la non-vaccination. Toutefois, notre position n'est pas
catégorique.
Par ailleurs, je constate que les producteurs de lait des départements
de l'Orne et de la Mayenne ont été payés de la vente de
leur production. C'est pourquoi je demande fermement que la filière soit
indemnisée. Si l'entreprise Gilo n'est pas indemnisée
correctement, les éleveurs en paieront les conséquences. Je vous
rappelle qu'il existe une forte solidarité au niveau de
l'interprofession. Je demande que les entreprises soient indemnisées
à hauteur du montant du préjudice, qui a été
défini par les expertises. Ces dernières ont été
effectuées très sérieusement.
Je tiens à souligner qu'en tant qu'organisation syndicale, nous ne
fléchirons pas dans ce domaine. La crise a eu une incidence
financière pour des producteurs fermiers qui sont identifiés dans
chacun des départements. La procédure est désormais
lancée au niveau de l'OMID qui attendait l'autorisation d'agir
officiellement, mais qui était prêt à nous aider bien
auparavant.
M. Paul Raoult
- Je suis un peu surpris par votre position sur le
problème de la vaccination. Je m'attendais à une position
contraire. En effet, les producteurs de lait de ma région sont en faveur
de la vaccination, dans la mesure notamment où ils n'exportent pas de
viande. Ils souhaitent avant toute protéger leurs troupeaux de la
fièvre aphteuse. Leur seul souci est de protéger leurs troupeaux
afin de produire correctement leur lait. Je m'attendais donc à ce que
vous ayez la même position. J'ai d'ailleurs reçu une
pétition des producteurs de lait demandant la mise en place de la
vaccination. Pour ma part, je suis plutôt opposé à la
vaccination car je pense qu'il faut protéger les importants
intérêts financiers de la filière viande. Pouvez-vous
m'expliquer votre position ?
M. Régis Chevalier
- Je ne sais pas de quelle région
vous venez...
M. Paul Raoult
- Je viens du département du Nord. Je suis de
la région de l'Avesnois .
M. Régis Chevalier
-
Il faut savoir que les
producteurs de lait produisent également de la viande. Or 50 % de
la production de viande bovine en France proviennent des « femelles de
réforme » productrices de lait. La France est un grand pays
exportateur de viande. Dès lors, toute politique de vaccination devrait
être mise en place au niveau européen. En outre, la France exporte
également de nombreux produits laitiers.
M. Paul Raoult
- Il paraît que l'exportation de produits
laitiers ne comporte aucun danger.
M. Régis Chevalier
- Vous savez bien que, parfois, les
prétextes sanitaires peuvent servir à fermer les
frontières. Ainsi, je peux vous citer le cas d'une entreprise de Mayenne
qui n'a pas pu exporter vers les marchés des pays du Maghreb. Par
ailleurs, je tiens à rappeler que nous sommes également des
producteurs de viande et de veaux. Quoi qu'il en soit, il est vrai que la
question de la vaccination doit être approfondie. Notre position n'est
vraisemblablement pas figée.
M. Paul Raoult
- La première réaction de
l'éleveur qui possède 150 vaches laitières et qui pratique
l'élevage intensif est de se protéger afin de poursuivre son
activité. Nous connaissons actuellement certaines difficultés
à leur expliquer qu'il n'est pas opportun de vacciner. Ils sont en
faveur de la vaccination.
M. Régis Chevalier
- Nous avons également connu des
discussions difficiles sur le sujet. En effet, individuellement, il est parfois
tout à fait possible de prendre des décisions qui se
révèlent contraires à l'intérêt collectif.
M. Philippe Arnaud, président
-
Monsieur le
Président et Monsieur le Secrétaire général,
l'intérêt collectif doit être fondé sur
l'intérêt économique. Or je tiens à souligner
qu'aucun élément chiffré ne démontre l'existence
d'un quelconque intérêt économique collectif. Nous vous
demandons donc de bien vouloir nous fournir de plus amples informations dans ce
domaine. L'argument de l'intérêt économique collectif est
toujours employé, mais aucun chiffre ne nous est jamais fourni.
Pouvez-vous nous démontrer l'existence de cet intérêt
collectif ? Pouvez-vous nous fournir les éléments
chiffrés nous permettant de prouver l'intérêt
économique d'une politique de prophylaxie avec ou sans
vaccination ? Aujourd'hui, la mission ne dispose toujours pas
d'éléments permettant d'étayer de tels raisonnements. A
chaque fois que nous posons de telles questions, nous rencontrons des
difficultés à obtenir des réponses. Lorsque certains
rapports nous fournissent quelques éléments de réponse,
ceux-ci sont malheureusement contradictoires.
M. Régis Chevalier
- Nous pourrons vous communiquer les
chiffres ultérieurement. Nous disposons en effet de certains
éléments dans ce domaine.
M. Philippe Arnaud, président
- Il a été
scientifiquement démontré qu'aucun problème ne se posait
en ce qui concerne le fromage, y compris le fromage au lait cru. Les
explications se rapportent à la question du PH. En revanche, il
apparaît que la viande, le lait et la crème sont cités dans
le code en vigueur. Le fait que le fromage ne soit pas expressément
cité doit-il constituer un sujet de préoccupation ?
Estimez-vous, au contraire, qu'il s'agit d'un élément favorable
dans la mesure où les aliments qui ne sont pas cités ne font pas
l'objet d'une recommandation particulière ?
M. Régis Chevalier
- Il existe trois sortes de
camemberts : les camemberts au lait cru, les camemberts thermisés
et les pasteurisés. Certains camemberts thermisés ont
été détruits. Si la preuve qu'aucun risque n'existe en
matière de transport des fromages, je ne comprends pas pour quelle
raison le principe de précaution a tout de même été
appliqué à ces aliments. D'une manière
générale et sur l'ensemble des dossiers, nous prenons
actuellement des précautions qui vont au-delà de ce qu'il serait
normal d'envisager. Nous sommes surtout préoccupés par la
question de la collecte. Il s'agit notamment d'éviter que le virus ne se
propage d'une exploitation à l'autre. De ce point de vue, le risque
existe réellement pour les éleveurs. En revanche, la question des
fromages concerne davantage les industriels.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le
Secrétaire général, nous vous remercions. Nous vous
demandons de bien vouloir nous transmettre tout élément d'ordre
économique qui se rapporte à cette question.
20. Audition de M. Daniel Gremillet, membre du Bureau de l'APCA
M. Philippe Arnaud, président
- Nous
recevons
M. Daniel Gremillet, qui est membre du Bureau de l'APCA. Nous recevons
également Madame Marlin, du Conseil permanent des Chambres
d'Agriculture. Nous souhaiterions connaître votre analyse sur la crise de
la fièvre aphteuse. Quels sont les enseignements que vous pouvez en
tirer ? Quelles sont vos éventuelles propositions pour anticiper
toute nouvelle crise ?
M. Daniel Gremillet
- Monsieur le Président, il est en effet
intéressant de se projeter dans le futur mais aussi d'analyser sur le
vif ce que nous venons de vivre. Dans notre société, tout
évolue très vite. Ceci s'applique à la fois aux hommes,
aux biens et aux animaux. Leur circulation rapide a des conséquences
tant communautaires qu'internationales. Dans un tel contexte, les
décisions prises en France pour gérer la crise ont
été tout à fait efficaces. Elles sont le fruit du
sérieux et de la rapidité avec lesquels les services du
Ministère de l'Agriculture ont réagi, par le truchement des
services vétérinaires et des organisations d'élevage au
niveau des départements. Il faut souligner l'action réussie de
l'ensemble des organisations syndicales qui ont joué le rôle de
relais auprès des agriculteurs. Enfin, nous pouvons également
nous réjouir du sérieux et de la responsabilité des
éleveurs français. D'une manière générale,
notre pays a ainsi fait preuve d'un comportement citoyen face à cette
crise.
Toutefois, ces comportements très responsables n'ont pas
évité l'abattage de 60 000 animaux en France. Ce
chiffre est considérable dans la mesure où d'autres animaux
avaient d'ores et déjà été abattus lors de la crise
de l'ESB. Cet abattage massif a fragilisé la situation économique
des cinq départements touchés par la maladie et de l'ensemble des
éleveurs dans le périmètre de ces départements. En
outre, d'une manière générale, l'ensemble des
activités agroalimentaires françaises a été
touché. Les décisions qui ont été prises ont
ralenti l'exportation de produits alimentaires. En effet, certains acheteurs
européens ont été plus prudents encore que ne le
suggéraient les recommandations du Comité
vétérinaire permanent européen sur les importations des
produits agricoles d'origine française. La France était le
deuxième pays européen, après l'Angleterre, à
compter un cas de fièvre aphteuse et les pays voisins acheteurs ont
été plus durs que les recommandations communautaires.
Par ailleurs, certains produits ont cessé d'être fabriqués
durant cette période, notamment les produits agroalimentaires au lait
cru. Ceci a eu de significatives conséquences économiques, tant
pour les éleveurs que pour la filière agroalimentaire.
Il est important de souligner qu'aujourd'hui, le recours aux charniers et aux
brûlots choque à la fois l'opinion publique et les
éleveurs. Nous ne remettons pas en cause l'abattage nécessaire au
titre de la prévention, mais nous déplorons les moyens mis en
oeuvre. Nous devons tirer des enseignements de cette expérience.
Aujourd'hui, l'opinion publique est très attentive à l'aspect
sanitaire de l'agriculture, ainsi qu'aux méthodes et aux moyens mis en
oeuvre en France et au sein de l'Union européenne. Ceci doit nous
interpeller et nous devons traiter de nouveaux aspects de l'élevage,
comme l'abattage et la disparition des animaux morts.
En outre, nous devons faire preuve de transparence. Dans notre
société, les consommateurs citoyens doivent comprendre pourquoi
nous prenons certaines initiatives.
En outre, nous pouvons tirer un autre enseignement de cette crise. Il s'agit
d'une hypothèse d'école. Il est vrai que nous n'avons fait face
qu'à un nombre de cas limité. Si les moyens de prévention
avaient dû être généralisés à d'autres
départements dans des proportions beaucoup plus importantes que celles
que nous avons connues, il aurait fallu que les moyens de prévention
aient pu être expérimentés dans les entreprises, en
situation réelle. Par exemple, il ne suffit pas d'écrire qu'avant
d'entrer dans une exploitation ou dans une entreprise agroalimentaire le
matériel doit être désinfecté. Il faut
également mettre en place et vérifier les matériels et les
procédés. Il est également indispensable de veiller
à ce que les salariés des entreprises agroalimentaires adoptent
des comportements adéquats. A l'avenir, il sera peut-être
nécessaire de prévoir des entraînements, qui devront
largement dépasser le cadre des recommandations.
Par ailleurs, je souhaite insister sur le nécessaire renforcement des
contrôles aux frontières, à l'intérieur de l'Union
européenne. La libre circulation des produits à travers
l'ensemble des pays de l'Union européenne doit tenir compte du risque
sanitaire. Dès qu'un risque est identifié dans un pays, il est
nécessaire que tous les produits qui proviennent ou qui transitent par
ce pays puissent avoir une bonne traçabilité. Ainsi, il ne doit
pas être possible de transférer des animaux vers ou provenant des
Pays-Bas en passant par la France ou inversement sans connaître
totalement le circuit. Le circuit des marchandises doit être clairement
identifié dès qu'un cas d'animal malade est signalé dans
un pays de l'Union européenne. Il ne s'agit pas d'effectuer un
contrôle systématique aux frontières, mais de s'assurer de
la possibilité de remonter la filière en cas d'identification
d'un animal malade.
Le sérieux avec lequel la traçabilité a été
mise en place pour les bovins a permis de mieux connaître les
itinéraires de transit. La mise en place de l'identification des animaux
(IPG) dans l'ensemble des pays de l'Union européenne est un
élément essentiel. A l'avenir, la préférence
communautaire devra intégrer le risque sanitaire. Aujourd'hui, plus
personne ne conteste le fait que la société européenne
s'impose des règles permettant au citoyen d'exiger de la part des
fournisseurs, des agriculteurs et des entreprises agroalimentaires un certain
nombre d'exigences. Dans ce contexte, ces nouvelles considérations
d'ordre sanitaire doivent être intégrées au titre de la
préférence communautaire, par rapport aux produits
extérieurs à l'Union européenne. Ces mesures se justifient
non seulement en termes de distorsion de la concurrence mais aussi en termes de
risques sanitaires encourus à l'intérieur de l'Union
européenne.
Par ailleurs, je souhaite revenir sur le débat concernant la
vaccination. Lorsqu'il a été décidé au niveau
européen de supprimer toute vaccination, les bovins étaient les
seuls à être vaccinés. Or, pour assurer une bonne
protection des animaux, les ovins, les porcins et les caprins doivent
également être vaccinés. Au cours du débat, certains
ont évoqué la nécessaire protection de l'ensemble des
espèces, qui peuvent propager la maladie. De surcroît, nous
connaissons l'existence de plusieurs variantes de fièvre aphteuse, ce
qui ne permet pas au vaccin d'être efficace dans tous les cas, comme
l'expérience l'a montré. Ainsi, il se pourrait que tout en
décidant de vacciner nous n'ayons pas la certitude que cette vaccination
soit entièrement efficace.
Depuis que nous avons arrêté de vacciner les animaux, nous avons
réussi à maîtriser la fièvre aphteuse durant
près de dix ans. En France, la dernière grande épizootie
remonte à 1968. Près de 220 000 foyers avaient alors
été recensés.
Le débat sur la vaccination est souvent réduit à une
question économique. Cela me semble un peu réducteur.
L'arrêt de la vaccination s'explique par plusieurs raisons. La
première, que j'ai déjà évoquée, est que le
vaccin ne peut pas protéger l'animal de toutes les variantes de la
maladie. La deuxième raison est que qu'un animal vacciné peut
transmettre malgré tout la maladie à un animal sain. La
vaccination n'apporte donc pas toutes les garanties de non-transmission de la
maladie d'un animal vacciné à un autre. Enfin, il est important
de tenir compte du fait que l'OMC considère aujourd'hui qu'un pays qui
vaccine son bétail est un pays contaminé. Si l'Union
européenne devait demain choisir de vacciner ses bêtes contre la
fièvre aphteuse, elle devrait parvenir à faire partager ce choix
à l'OMC.
Je pense que nous avons pris du retard depuis dix ans et l'arrêt de la
vaccination au niveau européen. Nous n'avons pas entrepris de recherches
pour la mise au point des vaccins marqués, qui permettraient d'assurer
la distinction entre un animal malade et un animal vacciné. Toutefois,
il semblerait que les marqueurs aient déjà été
expérimentés. De plus, nous n'avons pas consacré de moyens
suffisants aux études visant à établir avec certitude que
l'animal vacciné ne peut contaminer un autre animal.
Les scientifiques estiment qu'une vaccination contre la fièvre aphteuse
n'est efficace que si elle concerne 75 % du cheptel
« sensible » d'un Etat ou d'une région.
Selon une estimation établie par les services de l'APCA, le coût
annuel d'une vaccination de 75 % du cheptel sensible
s'élèverait à :
- 610 à 790 millions de francs en utilisant un vaccin
trivalent (équivalent à celui utilisé en France avant
1991) ;
- ou 1,4 à 2 milliards de francs pour un vaccin heptavalent
(actif sur les sept souches de virus de fièvre aphteuse connues à
ce jour).
Ainsi, en 10 ans, ce sont entre 6 et 15 milliards de francs, selon le type de
vaccin employé, qui ont été
« économisés » sur la vaccination en France.
Ce chiffre est à rapprocher du coût de la crise bovine actuelle
(ESB et fièvre aphteuse confondues) estimé par l'APCA à
4,5 à 5 milliards de francs de pertes de trésorerie pour les
éleveurs qui devrait se traduire en fin d'année 2001 par une
perte nette comprise entre 1,4 et 2,5 milliards de francs.
M. Philippe Arnaud, président
- Pouvez-vous nous apporter
des précisions sur deux points particuliers ? J'ai bien noté
que la gestion de la crise avait été effectuée de
manière satisfaisante en France. Toutefois, il a été dit
que nous étions passés à côté d'une crise
très grave, dont l'étendue aurait pu être comparable
à celle qui s'est produite en Grande-Bretagne. Le facteur chance a
été jugé déterminant. Quel est votre point de vue
sur la question ? J'aimerais également que vous précisiez
votre point de vue sur la vaccination. Vos arguments se fondent-ils sur des
éléments du passé ou sur les possibles progrès
qui pourraient être enregistrés à l'avenir dans ce
domaine ? Que serait votre position en matière de vaccination
si un vaccin marqueur et multi-souches était élaboré, sous
réserve d'une modification de la réglementation ?
M. Daniel Gremillet
- Je ne pense pas que nous ayons
réellement risqué de connaître une situation comparable
à celle de l'Angleterre. Le nombre limité de cas en France
résulte peut-être d'un facteur chance, mais l'identification, la
traçabilité et la connaissance de la migration des animaux sur le
territoire français ont permis de maîtriser efficacement et
immédiatement la maladie. N'oublions pas qu'en France, les
vétérinaires sont présents aux côtés des
éleveurs et travaillent avec eux. Ils jouent de ce point de vue un
rôle très important sur le terrain. D'ailleurs, il me semble que
le rapport entre le nombre de vétérinaires et le nombre d'animaux
est largement plus favorable en France qu'en Grande-Bretagne, notamment parce
qu'en Grande-Bretagne, les vétérinaires s'occupent plus souvent
des seuls animaux de compagnie.
De plus, en France, nous disposons globalement d'une organisation paysanne
très efficace. Ainsi, lors de la crise, les organisations et les
responsables agricoles (Chambre d'agricultures...), les élus, les
techniciens, les syndicalistes agricoles ont joué un rôle
très important aux côtés des pouvoirs publics, en
matière d'information, de conseil et de prise de précautions. A
cette époque, les agriculteurs ont limité leurs
déplacements et leurs rassemblements en faisant preuve d'une très
grande volonté pour prendre le maximum de précautions. En fait,
nous avons pris la mesure du danger que pouvait présenter la
fièvre aphteuse avec un plus grand sérieux que les Anglais. Je
pense donc que nous ne risquions donc pas un embrasement aussi important que
celui qui a été constaté en Grande-Bretagne.
Par ailleurs, je rappelle qu'il n'est pas possible de vacciner en
période de crise. Ces questions doivent donc être posées
à froid, après que l'on a eu à gérer le
phénomène que nous avons connu au sein de l'Union
européenne. La question est d'actualité. De plus, je pense qu'il
faut apporter la modernité à la vaccination contre la
fièvre aphteuse. Il faut aussi la partager : l'Union ne peut pas
décider de lancer seule la vaccination sur son territoire si cette
vaccination ne concerne pas tous les animaux à risques (bovins, ovins,
porcins, caprins). Enfin, la durée de vie d'un porcin et d'un ovin est
beaucoup plus courte que celle des bovins. Pour les espèces bovines, il
suffit de faire une vaccination par an dans chaque exploitation ; pour les
porcins, c'est largement insuffisant.
Parallèlement, nous ne pouvons pas prendre le risque de relancer la
vaccination si nous ne la sécurisons pas. En effet, nous savons que la
mise en oeuvre de la vaccination peut être génératrice de
trois dangers. Le premier est celui des fuites éventuelles sur les lieux
de fabrication des vaccins, ces derniers devant donc être
sécurisés. Il faut aussi sécuriser la mise en oeuvre du
vaccin. Or la multiplication des passages des vétérinaires
d'exploitation en exploitation peut être aussi un facteur de propagation.
Enfin, si nous décidons de vacciner de façon moderne - ce que
l'APCA souhaite, même si les conditions ne sont pas réunies
actuellement - il faut que l'Union européenne sache faire
reconnaître son choix par l'OMC. Si toutes ces conditions sont
réunies, nous pourrons reprendre la vaccination. Si cela n'est pas le
cas, nous ne pouvons courir le risque de piéger l'économie
agricole européenne par rapport au commerce mondial.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Je rappelle que nous parlons
évidemment du lancement d'une nouvelle génération de
vaccin, mais aussi d'un nouvel environnement européen et mondial (au
niveau de l'OMC). Vous avez dit que la prophylaxie mise en place en France
suite à l'arrêt de la vaccination ne pouvait que permettre de
limiter le nombre de cas à quelques-uns. Toutefois, selon les
scientifiques et les vétérinaires, il semble que
l'épidémie aurait pu être nettement plus importante.
De fait, aujourd'hui, tout le monde semble satisfait car chacun a fait son
travail correctement (Ministère, éleveurs...). Pour autant, les
témoignages que nous avons recueillis en Seine-et-Marne et en Mayenne
montrent qu'il n'a été possible de limiter l'épizootie que
parce que le nombre de cas était très réduit. La
prophylaxie actuelle a donc des limites. En France, le nombre d'animaux abattus
a été très réduit par rapport à la
Grande-Bretagne. Toutefois, cela constitue un choc psychologique pour les
éleveurs. La durée de vie des ovins et des porcins est
limitée ; de plus, les productions porcines sont industrielles, ce
qui ne permet pas à l'éleveur d'être attaché
à ses animaux comme c'est le cas pour les bovins. Si 100 ou
150 élevages avaient été touchés dans un
département, on peut se demander quelle aurait été la
réaction de l'APCA . Vous avez évoqué les bûchers
d'animaux. Pour ma part, je crois qu'aucun éleveur n'a envie de voir ses
animaux enfouis près des bâtiments de sa ferme : en effet, au
choc psychologique initial s'ajoute la vision des bêtes enterrées
sur le lieu de l'exploitation.
Les scientifiques nous disent que nous ne sommes pas à l'abri d'un
problème plus important en matière de fièvre aphteuse.
Nous nous interrogeons donc sur la nécessité d'un vaccin ayant
des anticorps différents de la maladie, et adapté aux
différents types d'animaux. Dans ce domaine, on entend dire parfois que
la vaccination des bovins permet de protéger une partie des autres
populations. En France, malgré le réseau efficace des
vétérinaires, les GDS et le bon fonctionnement des organisations
professionnelles, auriez-vous pu convaincre les éleveurs et les citoyens
qu'il s'agissait de la meilleure prophylaxie dans le cadre d'une crise plus
importante ?
M. Daniel Gremillet
- De but en blanc, un éleveur vous
répondra dans 95 % des cas qu'il faut vacciner, quelle que soit la
région. Toutefois, la proportion se réduit dès lors que
vous expliquez le principe plus précisément. Le problème
ne concerne donc pas seulement les paysans ; il porte sur
l'intérêt général au niveau français et de
l'Union européenne.
L'aménagement rural, la concentration des animaux, la dimension des
abattoirs, les lieux de rassemblement, les conditions de circulation des
animaux sont des aspects très importants à prendre en compte. Je
ne souhaite pas que vous reteniez de mon intervention que l'APCA
considère que le risque de propagation était limité et
qu'il était impossible que nous enregistrions un nombre de cas plus
important.
J'ai dit que le risque d'une non-maîtrise de l'épizootie, comme en
Angleterre lors des premiers jours, était pratiquement exclu en France,
du fait du système de sécurité, du comportement des
éleveurs, de la dimension des exploitations, de la taille des
abattoirs... Cela pose donc la question du nombre d'abattoirs en France, de
leur dimension et de la circulation des animaux pour aller à l'abattage,
qui multiplie les risques de propagation de la maladie. D'ailleurs, lors de la
dernière épizootie en France, la propagation de la maladie
suivait les voies de chemin de fer. En Angleterre, la concentration importante
des lieux d'abattage, qui se développe d'ailleurs aussi en France
actuellement, est l'un des éléments de risque à prendre en
considération aujourd'hui.
Enfin, depuis dix ans, nous avons abandonné le secteur de la vaccination.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- On nous a confirmé que la
recherche avait baissé la garde.
M. Daniel Gremillet
- Oui. Je pense que nous n'avons pas mis ces
dix années à profit pour nous mettre à l'abri grâce
à un vaccin moderne, marqueur. Par ailleurs, je serai plus prudent sur
le fait que les bovins vaccinés protègent les autres animaux. En
effet, le porcin est un élément de propagation largement plus
multiplicateur que le bovin.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
-
Son élevage se
fait dans des bâtiments fermés.
M. Daniel Gremillet
- Oui mais la circulation des porcins se fait
dans des camions où l'air passe, heureusement d'ailleurs... Le risque de
propagation est donc aussi important. Dans ces conditions, je considère
que le fait de ne pas vacciner les porcins revient à ne pas cerner
totalement le risque.
M. Gérard César
- Quelle est la position de l'APCA
sur le choix entre le transport d'animaux vivants ou de carcasses ? Il
n'est pas anodin en termes de propagation de la maladie.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Cela rejoint la question du
bien-être animal.
M. Daniel Gremillet
- Il est vrai que les deux questions sont
liées. J'ai d'ailleurs participé au groupe européen de la
Commission sur le bien-être animal. Avec la même lucidité,
et hors situation de crise, il faut reconsidérer la question de
l'abattage, des lieux de concentration des animaux pour l'abattage. Le choix
politique effectué par le Ministère de privilégier les
abattoirs de grande dimension ne peut qu'accroître logiquement les
risques de diffusion de la maladie, du fait de la multiplication des
déplacements nécessaires. La réponse est donc
négative sur le plan sanitaire mais aussi pour le bien-être des
animaux. L'APCA est favorable à ce que l'on privilégie la
dimension territoriale au niveau de l'abattage.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous avez dit que nos
concitoyens souhaitaient la transparence des filières, des productions
animales et de la distribution. Pour cela, il faut prévoir une
identification européenne des ovins. Que comptez-vous faire pour faire
avancer les choses dans ce domaine ?
M. Daniel Gremillet
- Une réglementation européenne
devrait être publiée à la fin de l'année 2001,
sachant qu'il existe déjà une identification ovine, même si
elle n'apporte pas toutes les garanties en matière de
traçabilité. C'est pourquoi l'APCA avait souhaité
dès la mise en place de l'IPG ovine que le système soit
calqué sur celui des bovins. Toutefois, cela pose un problème
puisque les quantités d'animaux à manipuler dans les
élevages ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Il faut donc
expérimenter le plus vite possible un système, basé sur
des puces installées sur les boucles, permettant de vérifier
automatiquement l'origine des bêtes. Cette problématique doit
être abordée par ce biais, à la fois chez l'éleveur,
le négociant et à l'abattoir. L'APCA travaille dans cette optique
avec le Ministère de l'Agriculture, afin que la France
expérimente une amélioration de la traçabilité des
ovins, avant que l'Union européenne n'ait décidé quoi que
ce soit dans ce domaine. Nous pourrons ainsi influencer les choix qui
pourraient être effectués par la suite.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Nous constatons actuellement une
sous-consommation de la viande bovine. Or nous sommes dans une situation de
surproduction. Quels sont les moyens que vous pouvez proposer pour
maîtriser la production ?
M. Daniel Gremillet
- Le meilleur moyen, le moins choquant, le plus
respectueux de l'animal et le plus efficace, serait de gérer le
marché de la viande bovine de deux façons. Il faudrait produire
en France uniquement ce que le consommateur français ou européen
est prêt à acheter. La question posée actuellement est donc
celle des JB (Jeunes Bovins), que les Français ne souhaitent pas
consommer. Comme nous ne pouvons plus les exporter, nous devons nous interroger
dans ce domaine : si les marchés ne s'ouvrent pas de nouveau
à cette catégorie, nous devrons modifier notre système de
production. Lorsqu'un veau naît, il pèse environ
50 kilogrammes. Nous avons le choix entre abattre un veau de ce poids ou
attendre et abattre un veau de boucherie qui représente
120 kilogrammes de carcasse ou enfin un animal de 300 à
400 kilogrammes. La première solution est la plus efficace. Son
intérêt a d'ailleurs été démontré
depuis 1996, lorsque la Communauté européenne l'a mise en oeuvre.
Dans tous les cas, il faut que la décision soit européenne,
même si un pays décide par la suite de ne pas l'appliquer. En
1996, les Allemands venaient faire abattre les veaux de huit jours en France,
ce qui a permis d'assainir le marché.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous êtes éleveur
laitier. Pensez-vous que la charge de maîtrise de la production doive
être plutôt supportée par le secteur laitier ou par le
secteur allaitant ?
M. Daniel Gremillet
- A titre personnel, je vends tous mes veaux
mâles, à un intervenant. Lorsque la prime Erode existait, il est
donc fort probable que mes veaux sont, en grande majorité, partis en
abattage de huit jours. En fait, le traitement des veaux laitiers, allaitants,
de Montbéliard, ou de n'importe quelle race, dépend de la demande
du consommateur. C'est la meilleure méthode de gestion car elle permet
à un éleveur de vendre ses animaux de façon classique.
Pour ma part, lorsque je vends mes veaux, je ne sais pas s'ils vont être
abattus, s'ils deviendront des JB ou des boeufs. C'est pour cela que cette
mesure est intéressante : elle atténue totalement le conflit
entre laitier et allaitant, qui n'a pas lieu d'exister. Le marché de la
viande a besoin d'une meilleure organisation, sachant que la viande est
destinée en partie à la restauration et en partie à des
mélanges pour faire des steaks hachés. Les éléments
de la crise actuelle doivent donc militer pour que nous mettions en place un
étiquetage et pour que le prix ne soit plus le seul
élément permettant de déterminer s'il existe un
marché pour tel ou tel produit. Le choix du consommateur doit pouvoir se
porter sur un steak haché composé à 100 % de muscle,
et non sur une viande comprenant 50 % de muscle et 50 % de graisse ou
de sous-produits qui coûtent moins cher que le muscle.
M. Gérard César
- Disposez-vous d'un chiffrage
précis des pertes enregistrées par les éleveurs ?
Où en est le Ministère de l'Agriculture concernant les aides qui
peuvent être apportées ? Par ailleurs, des divergences
semblent apparaître entre les producteurs laitiers et les éleveurs
de bovins sur le thème de la vaccination. En fait, il semble que toutes
les organisations professionnelles ne parlent pas le même langage dans ce
domaine. La profession a-t-elle adopté une position commune sur ce
point ? Enfin, ce matin, un négociant en bestiaux nous a dit qu'il
avait repris les ventes vers l'Italie. Quels sont les délais
prévus pour la réouverture des exportations vers les autres pays,
notamment l'Allemagne et l'Espagne ?
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Je pense que vous pourriez nous
transmettre un dossier reprenant les principaux chiffres.
M. Daniel Gremillet
- Les pertes dues à la fièvre
aphteuse ont été compensées par des aides provenant soit
des pouvoirs publics, soit des fonds professionnels. En effet, il a
été créé un fonds de solidarité
alimenté à 100 % par les éleveurs de façon
volontaire, pour compenser les pertes indirectes enregistrées dans les
zones de protection. Parallèlement, des fonds de collectivités
territoriales (département, région...) ont été mis
à contribution. En ce qui concerne les pertes plus
précisément, je ne dispose ici que d'un chiffrage groupant les
pertes de l'ESB et de la fièvre aphteuse.
Mme Christine Marlin
- Je crains qu'il ne soit pas possible de
faire la distinction entre les deux.
M. Daniel Gremillet
- Je vous propose de vous faire parvenir la
réponse ultérieurement. Concernant la vaccination, les
organisations professionnelles agricoles étaient unanimes (en dehors de
la Confédération paysanne) pour dire qu'il n'était pas
question de vacciner durant la crise. Aujourd'hui, le débat peut donc
avoir lieu sereinement. En ce qui concerne la reprise des ventes vers les pays
de l'Union européenne, je rappelle que certains pays étaient
allés au-delà des décisions du Comité permanent
vétérinaire. Les acheteurs de ces pays s'étaient
imposé des règles supplémentaires en termes de
sécurité, par rapport aux demandes du Comité. Or nous ne
pouvons pas obliger un consommateur à acheter un produit s'il ne le
souhaite pas. Aujourd'hui, les décisions du Comité permanent
vétérinaire autorisent légalement la reprise des ventes
des animaux, ainsi que leur circulation. Pour autant, elles ne peuvent pas
obliger les acheteurs potentiels à reprendre leur consommation. Il faut
cependant rester optimiste. En effet, on ne peut pas imaginer que l'Europe se
referme sur elle-même, même s'il est évident que rien ne
pourra plus être comme avant. Des comportements nouveaux vont
apparaître, ainsi que des exigences nouvelles en matière de
circulation des animaux et dans le domaine sanitaire. Ces exigences seront le
fait de tous les acteurs de la filière.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Je vous demande de bien vouloir
nous fournir tous les documents pouvant nous aider à la rédaction
de notre rapport. Nous vous remercions pour votre participation.
21. Audition de M. Bernard Godard, adjoint au conseiller technique au ministère de l'Intérieur
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous recevons Bernard Godard adjoint au
conseiller technique au Ministère de l'Intérieur. Les
autorités françaises sont préoccupées par la
nécessité de prémunir le cheptel français de la
fièvre aphteuse qui s'est déclarée en Grande-Bretagne.
Cette année les conséquences de la célébration de
l'Aïd el Kébir constituent l'une des facettes du risque de
contamination des moutons français. Monsieur Godard quelle est la
position du ministère de l'Intérieur sur ces questions ? Sur
quels axes de réflexion entend-il fonder son action ?
M. Bernard Godard
- Ma position d'adjoint au conseiller technique du
ministre de l'Intérieur m'amène à m'occuper des
problèmes relatifs aux conditions d'abattage rituel le jour de
l'Aïd el Kébir afin de concilier les pratiques des musulmans de
France avec la réglementation nationale et européenne. C'est dans
cet esprit qu'un groupe de travail a été créé
composé des représentants de mosquées d'organisations
musulmanes du ministère de l'Intérieur et des
représentants de la Direction générale de l'Alimentation
du ministère de l'Agriculture.
M. Philippe Arnaud, président
- Je tiens à préciser
que c'est bien à ce titre que nous avons convié. A
l'évidence plusieurs personnes ont fait un lien entre la fête de
l'Aïd el Kébir et la propagation de l'épizootie de
fièvre aphteuse. L'aspect coutumier a également été
mis en avant dans les différentes réflexions. Pour
éclairer notre débat il nous semble important de connaître
précisément ces coutumes et pratiques afin de mieux les
intégrer à notre compréhension de la question qui nous
préoccupe aujourd'hui.
M. Bernard Godard
- Quel est le contexte ? Je souhaite rappeler qu'une
directive européenne laisse toute latitude aux Etats membres pour
organiser l'abattage rituel sur leur territoire à la condition que
celui-ci se fasse en abattoir. Il y a une dizaine d'années en France
nous avons autorisé des sites d'abattage hors des lieux classiques
c'est-à-dire des sites dérogatoires. Leur tolérance s'est
ensuite progressivement généralisée. Cela partait d'une
bonne intention. Mais en agissant ainsi nous avons pour ainsi dire «
incommodé » les autorités de Bruxelles qui exercent
aujourd'hui une forte pression pour contraindre la France à respecter
les règles communautaires en matière d'abattage rituel notamment
en imposant que celui-ci n'ait plus lieu qu'en abattoirs agréés.
Je tiens à préciser que les sites dérogatoires
relèvent d'une pratique et n'ont à ce titre jamais
été institutionnalisés. Leur autorisation répondait
à des raisons culturelles et s'explique à mon sens par les
tolérances qui avaient été accordées aux musulmans
rapatriés d'Alégérie. C'est ainsi que des sites
dérogatoires avaient été institués en Ile-de-France
dans le département du Val d'Oise notamment ainsi que dans d'autres
régions du territoire.
M. Philippe Arnaud, président
- Pourrions-nous avoir connaissance
des décrets et textes auxquels vous vous référez ?
M. Bernard Godard
- Je mettrai progressivement à votre
disposition les pièces auxquelles je me réfère au cours de
mon exposé.
La question de la répartition géographique est importante : plus
d'un tiers de la population musulmane vit en région parisienne. L'angle
d'approche des problèmes sanitaires et vétérinaires
induits par l'abattage rituel dans cette région est donc d'autant plus
complexe que la population musulmane y est importante.
Par ailleurs il convient de savoir que l'abattage du mouton n'est pas une
obligation mais une tradition ou Sunna. Aujourd'hui les organisations
cultuelles n'ont pas encore suffisamment d'influence pour faire évoluer
les mentalités et limiter l'abattage systématique du mouton.
Aujourd'hui l'on s'accorde sur la difficulté à inciter les
musulmans à s'orienter progressivement vers l'abattage des seuls
abattoirs le jours de l'Aïd el Kébir mais aussi à changer
des pratiques qui tiennent plus à la tradition qu'à la stricte
obligation religieuse ou rituelle.
M. Philippe Arnaud, président
- Quelle est la cartographie des
abattoirs et des sites dérogatoires ?
M. Bernard Godard
- Il existe une grande inégalité selon
les régions. De surcroît il convient de prendre en compte deux
autres éléments :
- une inadéquation manifeste entre la répartition des sites
et la distribution géographique des communautés musulmanes ;
- une inadéquation entre le nombre de musulmans et par voie de
conséquence entre les besoins et le nombre d'abattoirs disponibles.
Par exemple les abattoirs d'ovins se situent près des zones
d'élevage, alors que les populations d'origine musulmane sont
concentrées dans de grands centres urbains. Ainsi, en région
Ile-de-France, qui regroupe plus d'un tiers des musulmans de France seuls 3
abattoirs sont à disposition.
Il est à noter que la pratique de l'abattage du mouton est
profondément ancrée dans la communauté musulmane y compris
pour ceux qui ne sont pas pratiquants. C'est une donne qui doit être
intégrée dans notre démarche car on prend alors la pleine
mesure du poids culturel de la célébration de l'Aïd el
Kébir. Par ailleurs il est intéressant de noter que la plupart
des musulmans qui procèdent à l'abattage rituel du mouton ce jour
sont originaires de régions montagneuses de zones rurales etc. En France
ce sont ainsi majoritairement des populations originaires du rif ou du Haut
Atlas marocains pour ne citer que cette région.
Quels sont nos axes de réflexion ? Depuis trois ans notre
réflexion s'inscrit dans une logique nouvelle : si l'abattage du mouton
est une pratique rituelle il importe d'impliquer au mieux les responsables
religieux et les associations musulmanes. Il faut leur permettre de jouer
pleinement leur rôle de médiation entre nos autorités et
les communautés musulmanes ce dans le respect des conditions
d'hygiène et de sécurité sanitaire en vigueur dans notre
pays. Nous nous sommes clairement inscrits dans cette approche en créant
le Groupe de travail sur l'Aïd el Kébir composé notamment de
hauts dignitaires de la religion musulmane.
Sur quels axes de progression travaillons-nous ? Bien que l'abattage soit admis
sur trois ou quatre jours les responsables des préfectures se heurtent
au poids des traditions : celle profondément enracinée selon
laquelle le sacrifice du mouton doit être accompli le premier jour de
l'Aïd et plus particulièrement le matin même après la
prière où officie l'imam. Là encore on prend la pleine
mesure de la différence entre ce qui relève d'une pratique
culturelle d'une part et une pratique religieuse d'autre part. Aucun religieux
ne vous dira que vous pouvez vous passer de l'abattage du mouton. Il dira
plutôt que vous ne serez pas en contradiction avec votre foi islamique si
vous ne pouvez pas abattre le mouton. Cette nuance est fondamentale.
Par ailleurs l'hygiène est une question majeure dans la religion
musulmane. C'est d'ailleurs un argument sur lequel nous fondons notre
argumentation. Il est évident que la bête qui doit être
consommée le jour de la fête doit être saine. Notre
communication se fonde donc sur cet argument du risque sanitaire et les
résultats ont été au-delà de nos espérances.
Je dirai un mot sur les pressions exercées par les autorités de
Bruxelles. Depuis trois ans Bruxelles opère des pressions très
fortes sur le Gouvernement ce qui nous a conduit à répondre
à des injonctions successives. Nos réponses n'ont d'ailleurs pas
semblé satisfaire le commissaire européen chargé de ce
dossier jusqu'à récemment. Cela a l'air d'évoluer plus
favorablement aujourd'hui. Au départ les arguments reposaient
essentiellement sur le non-respect du bien-être animal. Ils sont à
présent renforcés par des risques sanitaires qui deviennent d'une
brûlante actualité avec l'encéphalite spongiforme
transmissible et la fièvre aphteuse.
M. Philippe Arnaud, président
- La fièvre aphteuse ne
menaçant pas la santé humaine je ne vois pas sur quelle base les
autorités de Bruxelles pourraient valablement fonder leurs injonctions...
M. Bernard Godard
- Certes mais on peut cependant avancer l'argument de
la transmission de la maladie même de manière indirecte par la
voie de la consommation alimentaire. Je ne suis pas au fait des aspects
techniques mais je peux vous assurer qu'il est possible aux autorités de
Bruxelles de trouver un lien plus ou moins direct pour fonder leurs injonctions.
En 2000 on a enregistré 100 sites dérogatoires ce nombre
étant en diminution par rapport à 1999. Cette année il est
tombé à une quarantaine de sites. En deux ans nous avons donc
réussi à baisser significativement le nombre de sites
dérogatoires. A cet égard les pressions exercées par la
Commission européenne pour contraindre la France à respecter les
règles communautaires en matière d'abattage rituel impliquent la
disparition rapide des sites dérogatoires. Pour ma part je ne pense pas
que nous puissions aller en deçà d'une vingtaine de sites. C'est
d'ailleurs le bémol à mes affirmations : il existe un seuil
incompressible notamment en région parisienne en deçà
duquel on ne peut valablement aller à court ou à moyen terme.
M. Philippe Arnaud, président
- Pouvez-vous nous assurer
aujourd'hui que les sites dérogatoires font l'objet d'un contrôle
étroit des services vétérinaires ?
M. Gérard César -
Qu'en est-il des abattages
illégaux dans des lieux inappropriés ?
M. Dominique Braye -
L'apparition de la fièvre aphteuse dans
notre pays a eu au moins un côté positif, celui de nous obliger
à nous pencher de manière plus approfondie sur la question des
sites dérogatoires. Pour ma part je crois indispensable le maintien des
sites dérogatoires car leur attrait provient de leur proximité.
Mais à l'inverse de l'abattage classique en abattoir, l'abattage en site
dérogatoire permet aux musulmans d'être
« associés »» de beaucoup plus près au
sacrifice. Cependant il faut savoir que les moutons abattus dans les sites
dérogatoires ne sont pas estampillés par les instances
vétérinaires. Il n'existe donc aucune garantie officielle sur
leur qualité.
Par ailleurs un autre problème se pose : la disparition progressive des
abattoirs municipaux qui réduit la possibilité pour les musulmans
d'avoir recours à des lieux autorisés a conduit ceux-ci à
recourir à des lieux de proximité pour procéder à
l'abattage rituel. Or ces sites sont très souvent inappropriés.
Il faudrait obtenir Monsieur Godard -et battez-vous sur ce point avec la
Commission européenne- que les sites dérogatoires soient
maintenus à un nombre raisonnable. Dans ma région nous
gérons les problèmes de l'abattage rituel de manière
pragmatique afin de faciliter la vie des gens sur le terrain. Nous avons mis en
place un site dérogatoire contre l'avis de tous mais il vaut mieux cela
que les baignoires, ascenseurs et autres cages d'escalier.
M. Gérard César -
Il est important de connaître la
position des autorités de Bruxelles sur les pratiques d'abattage dans
les autres Etats membres de l'Union européenne. Nous savons qu'en
Allemagne par exemple la communauté turque est importante. Quelle est la
position de Bruxelles sur les pratiques dans ce pays ? Par ailleurs avez-vous
sollicité les avis des services fiscaux dans votre démarche ? Il
me semble en effet anormal qu'un mouton acheté à 300 francs en
Angleterre soit vendu à 1.300 francs en France...
M. Jean-Paul Emorine -
Ce prix peut même friser les
1.750 francs par tête de bétail ! Pour ma part je
présume qu'une réflexion est engagée au niveau du
ministère sur ce courant commercial sous-terrain ainsi que sur le
marquage des animaux vendus par ce biais...
M. Bernard Godard
- Il a fallu faire preuve de rigueur pour qualifier un
site dérogatoire. Il faut pour cela prendre en compte divers facteurs
dont l'analyse est souvent complexe. De manière générale
les sites dérogatoires n'offrent pas les garanties sanitaires
suffisantes. En outre l'inspection vétérinaire y est souvent
aléatoire...
Concernant les flux commerciaux de vente de moutons le site des Muraux fait
partie des sites où le problème se pose avec une acuité
particulière. On peut aussi citer la gare de Chanteloup les Vignes.
D'autres endroits plus clos sont également concernés. De
manière générale moins le site est « correct »
moins il y de vérification vétérinaire. Par ailleurs il
convient de mentionner une certaine inadéquation entre la vente de
moutons d'une part et les possibilités d'abattage sur sites
dérogatoires et en abattoirs d'autre part. Cette possibilité des
ventes de moutons génère une importation et un abattage
clandestins dont les conséquences (traçabilité incertaine)
sont importantes. En effet le jour de l'Aïd qui peut jurer de l'origine du
mouton mis à disposition ? Le problème se pose avec une plus
grande acuité lorsque ces moutons proviennent d'autres pays notamment du
Royaume-Uni.
Il est à noter que l'existence de ces flux résulte en amont d'une
situation de pénurie par rapport à la demande des musulmans pour
le sacrifice rituel le jour de l'Aïd el Kébir. Cela entraîne
mécaniquement une inflation des prix de vente. Il faudrait à ce
propos réguler l'offre en impliquant toutes les parties prenantes.
Il importe de soulever un autre problème : le repérage du site.
La coutume consistait à aller vérifier les sites d'abattage afin
de les répertorier. Il s'agit donc d'un repérage stricto sensu.
Dans la pratique les interprétations de la notion de « site »
ont souvent différé ce qui a constitué une limite à
une approche harmonisée.
S'agissant des sites dérogatoires je pense que même si l'on
épuise tous les moyens d'éradiquer ces lieux il restera toujours
un seuil incompressible.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous avez répondu sur un
plan sanitaire. Mais dans un rapport administratif il est indiqué en
substance qu'il existe un flux commercial parallèle sur lequel
travailleraient des opérateurs qui interviendraient exclusivement sur ce
circuit de vente spécifique.
M. Dominique Braye -
Pour rebondir sur ce point il importe de savoir que
les musulmans recherchent des races et surtout des types particuliers de
moutons qui présentent certaines caractéristiques
précises. Or ces moutons n'existent pas sur le marché
français.
M. Philippe Arnaud, président
- Je conçois aisément
que l'on puisse importer des moutons présentant des
caractéristiques particulières mais l'on doit pouvoir suivre ce
flux commercial atypique par le biais des factures. Une telle réflexion
a-t-elle été initiée au niveau du ministère de
l'Intérieur ?
M. Bernard Godard
- Face à la menace d'extension de la
fièvre aphteuse en Europe continentale et compte tenu de l'importation
en France quantités importantes de moutons en prévision du
sacrifice des mesures de protection ont dû être prises pour
prévenir le danger de contamination. Environ 9.500 bêtes ont
été abattues préventivement dans le département du
Nord. En Seine-Saint-Denis 4.600 animaux ont été abattus
préventivement. Concernant le nombre de bêtes abattues normalement
pour l'Aïd en l'an 2000, il y en a eu 110.000 environ sites
dérogatoires et sites légaux confondus.
Concernant la prise en compte des aspects fiscaux de la vente de moutons
notamment dans les circuits parallèles très peu de
département sont en train de mettre en oeuvre une politique de
contrôle.
M. Gérard César -
Je comprends bien que les
autorités de Bruxelles nous fassent des recommandations en
matière sanitaire mais qu'en est-il de leurs réflexions sur les
autres pays ?
M. Bernard Godard
- Nous savons très bien qu'en Espagne en
Allemagne ou en Belgique la question des conditions de l'abattage rituel le
jour de l'Aïd el Kébir se posent. En ce qui nous concerne les
autorités de Bruxelles nous reprochent de manière
générale d'avoir légalisé les sites
dérogatoires.
M. Dominique Braye -
La question de l'abattage rituel ne concerne pas
que la célébration de l'Aïd el Kébir car toute
l'année il faut bien alimenter les boucheries « Hallal»...Il
est donc important de connaître le traitement infligé aux animaux.
Sur certains sites où l'on retrouve majoritairement une population
musulmane originaire de l'Afrique noire certaines règles du
bien-être animal ne sont pas respectées. Je fais notamment
allusion à la pratique qui consiste à égorger le mouton
sans l'avoir préalablement étourdi.
M. Bernard Godard
- Je ne veux pas minimiser le traitement des animaux
mais certaines pratiques peuvent en effet paraître rédhibitoires.
Concernant les abattages d'animaux destinés à alimenter les
boucheries « Hallal » il faut savoir que certains bouchers
mettent à la vente des bêtes abattues la veille de l'Aïd el
Kebir. Il en résulte une certaine réticence du côté
des musulmans qui sont profondément attachés à la
tradition d'abattage du mouton le matin même de l'Aïd el
Kébir après la prière.
Dans le Nord-Pas-de-Calais où la population musulmane est importante il
n'existe pas de sites dérogatoires. Il est en de même à
Perpignan.
M. Gérard César -
Les musulmans vivant à Perpignan
peuvent se rendre en Catalogne...
M. Louis Moinard
- Je pense que nous ne devons pas sous-estimer la
question de la transmission potentielle de la fièvre aphteuse par le
biais de l'alimentation. Aujourd'hui nous tentons de clarifier la situation en
recensant les abattoirs et en encadrant au mieux les abattages. Mais, demain
continuera-t-on toujours à exiger des contrôles dans ce domaine ?
Cette année nous sommes arrivés à circonscrire
l'épizootie de fièvre aphteuse dans deux foyers. Qu'en sera-t-il
demain ?
M. Louis Moinard
- On pensait aussi que la fièvre aphteuse
était éradiquée à notre niveau...
M. Bernard Godard
- Pour citer cet exemple le préfet de la
Seine-Saint-Denis ne peut pas descendre en deçà d'un certain
nombre de sites dérogatoires. Par ailleurs à Argenteuil nous
avons appris que certaines personnes se rendaient sur la place de la
cité pour vendre des animaux. Les pratiques parallèles ne doivent
donc pas être négligées dans notre démarche.
M. Dominique Braye -
En ce qui nous concerne, nous avons eu affaire
à un utilisateur d'abattoir qui était un véritable
mafieux. Il employait des salariés qu'il ne déclarait pas ; ces
derniers n'étaient pas payés régulièrement etc. Des
méthodes peu scrupuleuses étaient employées par cet
individu pour s'affranchir du contrôle de l'inspection
vétérinaire des tentatives de corruption aux tentatives
d'intimidation en passant par les menaces de mort. Il a même tenté
de me corrompre puis voyant que cela n'avait aucun effet a tenté de me
menacer. Mis sur la touche il a racheté un autre abattoir et poursuit
aujourd'hui son activité en narguant autorités
vétérinaires et administratives. Pour notre part nous n'avons
jamais cessé d'alerter les pouvoirs publics mais cet individu
gère aujourd'hui une autre affaire en toute impunité. C'est
l'illustration que ce milieu des professionnels chargé de fournir cette
clientèle très particulière d'Afrique du Nord de la
filière d'abattage est parfois sombre. Il serait souhaitable de faire
preuve de plus de volonté pour moraliser ce milieu qui, s'il s'adresse
à des couches défavorisées de la population, fait souvent
de très gros profits.
M. Jean-Paul Emorine -
Le ministère de l'Intérieur ou de
l'Agriculture ne pourrait-il pas réquisitionner les abattoirs
privés ? Comment convaincre l'ensemble de la filière de se
mobiliser pour instaurer de meilleures pratiques ?
M. Bernard Godard
- Il convient de distinguer entre la tradition des
« anciens » services vétérinaires d'une part et les
pratiques d'autre part. Par ailleurs dans les services compétents les
points de vue diffèrent voire sont diamétralement opposés.
De surcroît il peut exister une contradiction entre la manière
dont les services vétérinaires traitent la question et la
manière dont ceux qui s'occupent du bien-être animal abordent le
sujet. C'est une contradiction qu'il importe de prendre en compte.
Notre réflexion s'est également portée sur une autre
croyance profondément ancrée dans la pratique musulmane : celle
selon laquelle le chef de famille doit tuer le mouton. A ce propos je pense que
les musulmans immigrés en France sont quelque peu en retard sur les
musulmans dans leur pays d'origine. De notre côté cela se traduit
par des modes de relations biaisés. Nous sommes en effet habitués
à interagir avec ces populations musulmanes immigrées sur des
modèles que nous croyons immuables depuis une cinquantaine
d'années. Aujourd'hui dans les pays musulmans notamment en milieu urbain
les familles ne tuent plus elles-mêmes le mouton. Nous devons
intégrer ces changements dans notre démarche car des
sacrificateurs agréés existent en France. Une limite cependant :
leur nombre est insuffisant notamment lors de la célébration de
l'Aïd el Kébir. En outre notre système
d'accréditation de sacrificateurs n'est pas satisfaisant. Un nouveau
système de nomination devrait être donc mis à
l'étude. Le contrôle sanitaire est ainsi renforcé parce que
non seulement il est effectué par un sacrificateur professionnel mais
l'animal est abattu dans un lieu agréé conforme aux règles
sanitaires et vétérinaires.
C'est le département des Hauts-de-Seine qui a été
l'initiateur d'une expérience particulière. La famille
réserve son mouton la veille. Il est envoyé le matin même
à l'abattage dans un abattoir qui n'est pas trop éloigné
du domicile de la famille. La carcasse leur est ensuite retournée. Cette
pratique constitue un axe de progression certain car les familles ont toujours
hâte de récupérer la carcasse pour la
célébration de la fête en famille.
Le Rapport d'étape du Groupe Aïd el Kébir liste
différentes actions musulmanes dans ce domaine qui sont tout à
fait intéressantes et qui s'inscrivent dans cet esprit.
Nous avons travaillé avec le ministère de l'Agriculture. Nous
avons insisté sur la nécessité d'inscrire les dimensions
départementale régionale, voire interrégionale dans les
approches de terrain. Nous savons par exemple que cette année il a eu
des échanges entre la Franche-Comté et l'Alsace visant à
répartir l'abattage des moutons sur un abattoir commun. Cela a
donné de bons résultats. Cela étant il faut savoir que ce
sont des circuits très particuliers. A cet égard nous avons
fourni une listes des abattoirs disponibles sur le territoire afin que les
musulmans puissent se rendre dans ceux participant à la procédure
décrite précédemment. Nombre d'entre eux sont revenus
bredouilles car les professionnels ne leur faisaient pas confiance. A ce niveau
c'est la relation de proximité qui est au coeur de la démarche et
qui explique la difficile mise en oeuvre d'une telle approche. En effet la
confiance entre un abattoir de province en zone rurale et un opérateur
musulman d'une zone urbaine suppose une connaissance mutuelle établie
depuis longtemps.
Nous nous sommes attentivement penchés sur la question des abattoirs
privés. D'emblée je tiens à préciser qu'aucune base
juridique ne permet d'avoir recours à la procédure de
réquisition des abattoirs privés. Nous avons tenté de
prendre contact avec les responsables de ces abattoirs afin de les inciter
à adhérer à notre démarche mais cela n'est
guère aisé. Cette année le premier jour de l'Aïd est
tombé un lundi et c'est justement le jour d'abattage des professionnels
de la viande. Les abattoirs privés ne sont donc pas disposés
à demander à leurs clients de passer le lendemain. Cet aspect
commercial ne doit pas être négligé dans notre
réflexion.
Nous travaillons sur tous les obstacles que je viens de soulever. A mon sens il
serait souhaitable, que la Mosquée de Paris qui a des rapports
privilégiés avec ces différents professionnels de
l'abattage les mette à profit pour le bénéfice de
l'ensemble de la communauté musulmane. C'est ainsi que nous pourrons
créer les conditions d'une organisation moderne de l'Aïd el
Kébir intégrée à la société
française dans un cadre satisfaisant pour tous.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur Godard peut-être
souhaitez-vous apporter en guise de conclusion d'autres éléments
d'information ?
M. Bernard Godard
- Je n'ai pas d'autres commentaires à ajouter.
Je laisserai à votre disposition le Rapport d'étape du Groupe
Aïd el Kébir qui résume de manière assez
complète les différents enjeux et diverses initiatives dans le
domaine de l'abattage rituel.
M. Philippe Arnaud, président - Je crois que vous mettrez aussi à notre disposition les décrets et textes édictés sur le sujet de l'abattage. Monsieur Godard je vous remercie pour votre contribution à nos réflexions.
22. Audition de M. Douzain, Directeur de la Fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV)
M.
Philippe Arnaud, président -
Nous recevons Monsieur Douzain,
Directeur de la Fédération nationale de l'industrie et du
commerce en gros des viandes. Monsieur Douzain, vous allez nous donner votre
point de vue sur la gestion de la crise de la fièvre aphteuse et les
conséquences sur votre secteur d'activité.
M. Douzain -
Monsieur le Président, Messieurs les
Sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité. Je
représente la Fédération nationale de l'industrie et du
commerce en gros des viandes, qui comprend 400 entreprises. Nous avons
été touchés de plein fouet par la crise de la
fièvre aphteuse, qui est venue se superposer à la crise de la
vache folle, dont les effets se font encore sentir aujourd'hui. Selon moi,
cette crise a été correctement gérée.
Néanmoins, je note quelques points négatifs, notamment au niveau
économique.
I. EXPOSÉ DES POINTS POSITIFS
Tout d'abord, nous avons constaté que les Services
vétérinaires ont fait preuve d'une disponibilité totale.
Leur excellente réactivité a sans aucun doute permis de limiter
les dégâts. Par ailleurs, nous nous félicitons de la forte
implication de la Communauté européenne qui a pris en charge,
dès le départ, l'établissement des règles
sanitaires. Des comités vétérinaires se sont réunis
au niveau communautaire jusqu'à deux à trois fois certaines
semaines. La coordination des quinze Etats membres a eu un effet
extrêmement positif.
II. EXPOSÉ DES POINTS NÉGATIFS
Lorsque les règles sanitaires sont édictées, elles doivent
redescendre sur le terrain. Le temps de nous fournir les analyses des
conséquences sur l'activité d'une entreprise, un laps de temps
peut s'écouler. Les marchandises ayant des délais de conservation
extrêmement courts, une partie est détruite ou
réorientée vers d'autres utilisations. Je peux vous donner des
estimations de ces préjudices au niveau national. Ces préjudices
sont notamment liés aux marchandises originaires du Royaume-Uni qui ont
été abattues pour commercialisation sur le territoire national.
On a recensé environ 350 tonnes de viande ovine qui ont
été consignées : la moitié, environ, est
retournée au Royaume-Uni, et l'autre moitié a été
détruite sur le territoire national. Je tiens à souligner que
pour l'instant les entreprises n'ont rien reçu pour ces marchandises, et
qu'elles ont dû payer elles-mêmes la destruction et
l'incinération, soit un préjudice d'environ six à sept
millions de francs pour ce seul pays. Connaissant la taille et la surface
financière d'une entreprise impliquée dans le secteur ovin, de
très petits abattoirs avec des moyens financiers extrêmement
limités, cela pose un problème qui pour l'instant n'est pas
résolu. Dans un arrêté publié au Journal officiel,
L'Etat propose une indemnisation de 500 francs pour les ovins vivants,
alors que certains en ont acheté qui coûtaient 1 000 ou
1 200 francs - pas forcément destinés à
l'
Aïd-el-Kébir
-, et une indemnisation de 300 francs
pour les carcasses, alors qu'une carcasse vaut en général le
double d'un animal vivant. Pour des viandes qui ont été
achetées trente francs le kilo, on nous propose une indemnisation de
quinze francs soit 50 % de leur valeur.
M. Philippe Arnaud, président
- Pouvez-vous compléter vos
indications sur les coûts ? Lorsque vous avez dit que des ovins ont
été achetés au circuit industriel entre 1 200 et 1
300 francs, je suis sûr que tout le monde ici a dû
réagir, car nous n'avons pas du tout les mêmes bases. Pouvez-vous
justifier ces éléments ?
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
La question est très simple.
En dehors de la fête musulmane, je ne vois pas quel type de mouton vous
pouvez valoriser au-dessus de 600 francs. Pouvez-vous m'expliquez quel est
ce type de mouton ? Ces prix sont surtout liés à la fête.
M. Douzain -
La fête interfère sur le cours
général de l'agneau et de la brebis.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
De 250 à 350 francs quand
même
!
M. Douzain
- J'ai les factures d'achat.
M. Jean-Paul Emorine -
On vous demandera de nous donner les factures des
moutons dont la valeur est supérieure à 600 francs, qui ne
sont pas destinés à cette fête musulmane, et qui entrent
dans le circuit de la boucherie.
M. Douzain -
Il n'y a pas de problème.
M. Philippe Arnaud, président
- Dans le cadre de la
Fédération, si les industries et les commerces de gros
achètent à ce prix-là, à quel prix cela est-il
ensuite revendu à travers la France entière ?
M. Douzain
- La majorité de nos entreprises achètent
directement les carcasses en provenance du Royaume-Uni. Cinq ou six cas de
figure ont été décelés en matière d'ovins
vivants. Dans la majorité des stocks dont je vous parle, il s'agit de
carcasses achetées dans les abattoirs anglais selon des relations
quasiment contractuelles. Certains acheteurs sont même implantés
dans le pays. Dans les stocks consignés dans nos entreprises, on trouve
de la viande ovine originaire du Royaume-Uni, et des marchandises originaires
de Hollande, dont 450 tonnes ont été détruites ou
dépréciées. La destruction n'a représenté
que 5 % dans ce cas de figure. 210 tonnes, soit 50 % des
marchandises, ont été réorientées vers des usines
de transformation permettant un traitement thermique, et 100 tonnes, donc
25 %, ont été retournées en Hollande, qui au
départ avait refusé ce retour. Environ 25 % sont
stockés dans les entreprises ou dans les frigos, attendant l'instruction
définitive de la Direction Générale de l'Alimentation et
leur destination finale. Elles sont sous consigne. Le préjudice pour ces
marchandises est de l'ordre de trois millions de francs.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Quel était le type de
marchandises ?
M. Douzain
- Du veau et du boeuf.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Pas de porc ?
M. Douzain -
Un peu de porc pour quelques entreprises. Le montant total
de ce que je viens de vous indiquer est de l'ordre de quinze millions de francs
pour l'ensemble de notre secteur. Cela peut paraître une somme
relativement faible par rapport à l'ensemble des préjudices qui
ont été subis, mais quand vous êtes une entreprise qui a un
impayé de un ou deux millions de francs, c'est difficile à
supporter, sachant que vous venez de subir précédemment des
baisses de consommation et des hausses de coût de production
conséquentes. Il s'agit là uniquement des préjudices
directs : je ne parle pas des préjudices liés aux
méventes, aux problèmes de personnel, et aux problèmes
d'approvisionnement des abattoirs pendant ces crises.
Il y a un deuxième volet beaucoup plus difficile à cerner :
il s'agit de toutes les marchandises qui étaient en partance pour des
pays tiers, et pour lesquelles les pays tiers ont pris des clauses de
sauvegarde, refusant les marchandises. Je pense que Monsieur Rouche,
Président du Syndicat national du commerce du porc, a dû vous en
faire état hier. Ce sont les marchandises qui étaient à
destination de la Corée, du Japon, de Hongkong, des Philippines, de la
Russie, de la Chine, de l'Afrique, et de Singapour.
Je vous donnerai tout le détail de ce que je viens de vous indiquer. Il
s'agit principalement de produits du secteur porcin. A ce jour, nous avons
encore un préjudice de l'ordre de cent millions de francs, sachant que
ce préjudice pourrait diminuer avec la réouverture des
frontières de la Russie. Certaines marchandises pourraient être
réorientées, avec bien sûr un préjudice, mais qui
laisse une valeur résiduelle au produit. Cela permettrait au moins de
leur trouver un débouché et de ne pas de les détruire. Le
montant d'impayés directs pour les entreprises est donc de l'ordre de
100 à 150 millions de francs.
M. Philippe Arnaud, président -
Lorsque vous parlez
d'impayés, les marchandises n'ont pas été
livrées ?
M. Douzain -
Les marchandises sont arrivées dans les abattoirs ou
ateliers de découpe, et les entreprises ont reçu comme
instruction la mise en consigne, en attente d'instruction
complémentaire. La première option est de les envoyer dans une
usine avec un traitement thermique. Concernant les carcasses ovines,
c'était des viandes fraîches, qui arrivaient par camions entiers
dans les entreprises, afin d'être découpées sur le
territoire national : dans ce cas vous avez entre 24 et 48 heures pour
réagir. La deuxième option est soit la mise sous-vide - du frais
qui peut avoir une période de quinze jours à trois semaines de
conservation -, soit la congélation. C'est ce qui a été
fait pour les marchandises hollandaises : elles ont été
congelées, en attente d'instruction. Nous sommes toujours en attente
d'instructions définitives vis-à-vis de ces viandes. Nous sommes
le seul pays d'Europe à avoir procédé à des
consignes sur des viandes.
M. Philippe Arnaud, président
- Comment l'expliquez-vous ?
M. Douzain
- Cela vient d'une différence de lecture de la
réglementation communautaire. La France s'abstient d'expédier des
produits vers les autres Etats membres, sachant que les 50 % de carcasses
ovines qui sont retournées en Angleterre, impropres à la
consommation en France, ont été consommées en Angleterre.
M. Gérard César
-Et sur la Russie, quel est le
tonnage ?
M. Douzain
- Sur la Russie, le commerce est rouvert. Avant la crise, on
passait 220 camions par semaine. Puis on est tombé quasiment à
zéro pour les porcs et les bovins. Maintenant le commerce reprend tout
doucement, plutôt sur le secteur bovin. Ce qui explique d'ailleurs que
cela va un peu mieux dans le secteur bovin. Le cas de la Russie est
spécial. Les Allemands ont été obligés de payer un
laboratoire de détection des tests ESB aux Russes, pour ouvrir les
frontières. On est obligé d'accepter des
vétérinaires que l'on paye deux mille francs par camion, pour
l'inspection vétérinaire russe.
Je voudrais insister sur les préjudices indirects qui ont
été subis par les entreprises. Les restrictions au transport des
animaux sont des surcoûts énormes qui ont été pris
en charge par les entreprises. Dans le secteur porcin, on les avait
estimés à vingt centimes par kilo, et à peu près la
même chose dans le secteur bovin. Cela donne des sommes colossales quand
vous les additionnez chaque semaine. Je pense que vous avez les chiffres
concernant l'évolution de l'activité.
La crise a eu un impact extrêmement fort sur la gestion quotidienne des
entreprises, avec des conséquences sociales évidentes, notamment
pour les entreprises spécialisées dans la découpe de
carcasses ovines originaires du Royaume-Uni ou d'Irlande. Je pense en
particulier à une entreprise du Nord de 250 salariés, qui en une
semaine a été obligée de procéder au licenciement
de 70 salariés, suite à cette coupure d'approvisionnement. A ce
jour, elle n'a pu réembaucher qu'une dizaine de personnes. Cela signifie
qu'il y a aussi un impact à moyen et long terme sur le type de produits
que l'on vend sur le marché national.
III. L'ORGANISATION DE LA FÊTE DE L'AÏD-EL-KÉBIR
Je voudrais également évoquer la difficulté que l'on a
à organiser la fête de l'
Aïd-el-Kébir
sur le
territoire national. Les conditions se sont améliorées ces
dernières années, mais la situation n'est pas
maîtrisée dans certains départements, en particulier dans
la région parisienne et autour des grandes métropoles. Tous les
abattages devraient normalement se faire dans des abattoirs. A une
époque, on avait envisagé la création de sites
spécialisés.
M. Dominique Braye
- Je ne vois pas où l'on pourrait construire
des abattoirs en région parisienne Le problème est
également de savoir si cela est maîtrisable.
M. Douzain
- Si vous prenez l'adéquation entre la
capacité des abattoirs nationaux en matière d'abattage sous
prescription religieuse, et la demande des communautés musulmanes, on a
une surcapacité.
M. Dominique Braye
- Il faut rester pragmatique et concret. Je vois mal
les gens de Mantes-La-Jolie aller abattre leurs animaux à Rennes. Les
gens vont à l'abattoir le plus proche.
M. Douzain -
Cela est spécifique à la région
parisienne.
M. Dominique Braye -
La communauté musulmane de la région
parisienne est la plus importante de France. C'est bien là qu'est le
problème.
Monsieur Douzain -
Ceci dit, on a monté à une certaine
époque des projets de construction d'abattoirs qui nous ont
été refusés.
M. Dominique Braye
- Nous n'en sommes plus là. Dans quelques
mois, on risque de fermer les abattoirs de Mantes La Jolie, dont j'ai
été responsable pendant longtemps. Il reste deux abattoirs en
région parisienne, et bientôt il n'y en aura plus. Et on nous dit
qu'il faut construire des abattoirs pour l'
Aïd-el-Kébir.
Soyons raisonnables ! Que pensez-vous de ce problème
structurel ?
M. Douzain -
Concernant la période de fête, il n'y a pas de
raison de donner des dérogations au niveau des abattoirs en dehors de la
région parisienne, sauf exception. Dans la région de Lyon, vous
avez un abattoir industriel ; à Saint-Etienne ou à
Marseille, vous avez des capacités, voire des surcapacités.
M. Dominique Braye
- Vous incluez les abattoirs privés dans votre
raisonnement
?
M. Douzain -
Bien sûr. Je représente les abattoirs
privés.
M. Dominique Braye
- Légalement, il est actuellement impossible
de réquisitionner les abattoirs privés pour
l'
Aïd-el-Kébir
.
M. Douzain
- Ce n'est pas une histoire de réquisition. Tous les
abattoirs privés, à partir du moment où ils exercent une
activité commerciale rentable, font l'
Aïd-el-Kébir.
M. Dominique Braye -
Comment allez-vous faire avec vos clients ? Si
l'
Aïd-el-Kébir
est un lundi, vous donnez la priorité
aux musulmans, et vous dites à vos clients habituels qui font vivre
l'abattoir toute l'année de revenir le mardi ou le mercredi si vous avez
fini ?
M. Douzain
- Il faut également revoir avec les communautés
religieuses la façon d'organiser les abattages. Nous sommes partis sur
un certain nombre de prérogatives en matière de prescription
religieuse, dont on n'est pas sûr.
M. Dominique Braye -
C'est ce que disaient leurs représentants.
Les Imams ont beau leur dire que le Coran peut être entendu
différemment, que l'Islam n'exige pas cela, ils y restent
fidèles. Même si les Imams ont répété comme
les autres années qu'il y avait trois jours pour abattre les moutons, la
majorité des musulmans veulent que leur mouton soit abattu le premier
matin de l'
Aïd-el-Kébir
.
M. Douzain -
Il y a des pays où l'
Aïd-el-Kébir
et l'abattage sous prescription religieuse sont interdits, comme en Allemagne.
C'est une dérogation à la législation sanitaire
.
M. Dominique Braye -
D'après ce que nous a dit le
représentant du Ministère de l'Intérieur, si j'ai bien
compris, l'abattage se pratique partout en Allemagne dans les fermes
périphériques aux agglomérations mais de façon
officieuse.
M. Douzain -
C'est ce qu'il nous a dit hier. Entre l'abattage à
la ferme, dans un centre agréé, et dans un abattoir, il y a des
différences. Le Ministère de l'Intérieur ne fait pas
grand-chose en la matière, et contribue parfois a compliquer la
situation.
M. Dominique Braye
- Hier, ici, le représentant du
Ministère de l'Intérieur nous a justement dit que l'Europe
estimait qu'il en faisait trop, que s'il laissait faire les choses sans
officialiser les sites dérogatoires, sans que les Préfets se
prononcent par une circulaire sur les sites dérogatoires, la France
serait beaucoup moins ennuyée.
M. Douzain -
Le problème est qu'en face de chaque
communauté musulmane, vous avez un pays différent, par exemple la
Mosquée de Paris avec l'Algérie. Il n'existe pas de
représentant unique de la communauté musulmane. Il faut aussi
savoir que chaque communauté musulmane cherche, par les abattages,
à se financer : il faut dire les choses telles qu'elles sont.
M. Gérard César -
Comme pour les produits casher ?
M. Douzain -
Oui, mais le
kascher
est différent. Nous
l'acceptons parce que c'est le consommateur qui paye. Dans les
communautés musulmanes, le consommateur ne veut pas payer ou n'a pas les
moyens de payer. Donc les communautés musulmanes demandent à
l'abattoir d'être les percepteurs de cet argent, et le Ministère
de l'Intérieur appuie les communautés pour organiser la collecte
de ces fonds. On a toujours refusé cela.
Mais une chose est certaine : lorsque le Ministère de
l'Intérieur a donné l'instruction de limiter les abattages lors
des fêtes de l'
Aïd-el-Kébir
, cela a eu un effet
pervers important vis-à-vis de la fièvre aphteuse. Cette
année, il y a en effet eu beaucoup d'invendus lors de la fête de
l'
Aïd-el-Kébir
, qui ont été achetés par
des agriculteurs ou des négociants de la région parisienne, qui
les ont revendus ensuite dans différentes zones. C'est pour cela,
d'ailleurs, qu'il a été difficile dans l'Oise ou le 77 de bien
cerner où était parti l'ensemble des animaux.
M. Philippe Arnaud, président
- Il est évident qu'il y a
un lien entre la crise que nous venons de vivre et
l'
Aïd-el-Kébir
, concernant les ovins, et qu'il faut trouver
des solutions. Revenons à des sujets plus proches de notre
préoccupation. J'aimerais que vous précisiez un certain nombre de
points sur les pertes économiques de vos entreprises. S'il est
indiscutable que vous avez des chutes sur certains produits, sur certaines
viandes, nous savons que cela a, à l'inverse,
bénéficié à d'autres viandes. N'y a-t-il pas eu de
compensations, avec l'augmentation des cours sur certaines viandes ?
M. Douzain -
Pour la première fois, nous ne pouvions pas avoir de
compensations, puisque le boeuf, l'agneau et le porc étaient
touchés. Les entreprises de viande de boucherie multi-produits ont
été touchées sur les trois produits. Seul le secteur de la
volaille a pu faire des bénéfices, mais cela reste à
démontrer. Un cours élevé au niveau de la production ne
signifie pas, pour une entreprise, un niveau de rentabilité
supérieur. C'est même le contraire. Quand les cours sont
extrêmement élevés, le prix relatif du porc dans l'univers
des viandes est tel qu'il nuit au volume de consommation. Les prix que l'on a
atteints dans le secteur du porc, aux alentours de douze à treize
francs, freinent maintenant le développement du secteur parce que les
prix proposés aux consommateurs sont élevés. Il n'y a donc
pas eu de compensations.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Vous avez évoqué les
pertes au niveau de vos entreprises. Quel espoir laisse le Ministère de
l'Agriculture par rapport aux viandes qui sont encore en stock, dans les
frigos ? Je ne sais pas si ces viandes peuvent rester longtemps dans les
frigos sans être congelées. Quand nous nous sommes
déplacés en Mayenne, on nous a dit que M. Porry, chargé
par le Ministère de l'Agriculture de rédiger un rapport, avait
dit que l'on ne pouvait pas tout indemniser, puisqu'une partie des produits est
encore en stock. Par rapport aux indemnités, que vous promet le
Ministère ? L'Union européenne pourra-t-elle vous aider
à financer ces pertes d'exploitation ? Puisque les pouvoirs publics
français vous ont imposé des règles plus draconiennes que
l'Union européenne, ne pouvez-vous pas obtenir un recours en droit
européen ?
M. Douzain -
Il est toujours plus facile de trouver des solutions
à l'amiable que d'attaquer l'Etat français devant la justice
.
La mission de M. Pory concerne les cinq départements qui ont
été touchés par la fièvre aphteuse. Je prends le
cas des viandes. Il y a des abattoirs qui sont à quinze
kilomètres de la Mayenne, qui ont subi exactement les mêmes
préjudices que ceux qui sont dans la Mayenne, et pour lesquels l'Etat ne
propose strictement rien. J'ai donné copie des courriers que nous avons
transmis au Ministre de l'Agriculture, il y a trois mois. Chaque fois que nous
le voyons, nous lui redemandons quelles solutions il propose pour ces
préjudices. Pour l'instant, nous n'avons aucun espoir d'obtenir
satisfaction en matière d'indemnisation, à l'exception du secteur
ovin, où, sur les sept millions de francs de préjudices, deux
millions sont programmés dans un des arrêtés qui ont
été publiés au Journal officiel. Mais il reste cinq
millions à notre charge.
M. Philippe Arnaud, président
- Ces abattoirs ne sont pas sur le
département d'un point de vue administratif.
M. Douzain -
Dans les trente millions qui ont été
programmés pour les cinq départements, la priorité du
gouvernement est l'indemnisation des producteurs. Sur ce point, nous n'avons
pas de commentaires à formuler. Par contre, il y a des préjudices
qui ont été subis par les entreprises d'abattage de ces
départements et d'autres départements, pour lesquels, pour
l'instant, on ne nous propose rien. Je crois que le sentiment d'injustice est
le plus dur à vivre. Je vous indiquais précédemment que
l'arrêté proposait 500 francs d'indemnisation pour un animal
vivant. Quand on sait qu'une fois abattu, sa valeur rapportée au poids
de viande double, c'est-à-dire qu'il vaut mille francs, et que l'on vous
propose trois cents francs, le secteur économique qui a assumé sa
responsabilité dans la crise de la fièvre aphteuse ne comprend
plus. Au niveau communautaire, pour l'instant rien n'est prévu, en
dehors de l'abattage des animaux dans les zones où des cas de
fièvre aphteuse ont été détectés.
Effectivement, si nous n'arrivons pas à trouver de solution avec les
pouvoirs publics, un certain nombre d'entreprises déposeront des recours
à titre individuel, soit au Tribunal administratif, soit au niveau
communautaire, mais les procédures judiciaires sont longues,
coûteuses et incertaines. Je répète que les demandes que
nous avons formulées au départ sont limitées aux
préjudices directs, aux marchandises détruites ou qui ont
été retournées dans le pays. Nous n'avons pas
demandé d'indemnisation pour les problèmes de personnel, de
baisse d'activité, de pertes de marge.
M. Dominique Braye -
Je voudrais poser une question de prospective
à Monsieur Douzain. Dans l'hypothèse où la France
déciderait de recourir à la vaccination anti-aphteuse,
estimez-vous, en tant que professionnel, qu'il peut y avoir un sentiment de
défiance à l'égard des viandes qui proviennent d'animaux
vaccinés, ou qu'au contraire les gens y sont complètement
indifférents ?
M. Douzain
- Il faut dissocier le marché national du
marché à l'exportation pour les pays tiers. Sur le marché
national, avec une communication correcte, il n'y a pas de raison que les
consommateurs prennent mal le fait que les animaux soient vaccinés. Le
terme vaccination est plutôt reconnu comme positif, comme une protection.
De ce côté-là, il n'a pas de souci. Le problème
concernerait la fermeture d'un certain nombre de pays. Dans le secteur porcin,
il est clair que vous auriez des conséquences désastreuses, car
environ 20 % de la production des exploitations françaises est
exportée. Il s'agit d'un problème d'équilibre. En Asie, on
exporte des oreilles, des groins, des queues de cochon, c'est ce qui fait
l'équilibre du prix de revient, et ce qui nous permet d'avoir un prix de
vente de la côtelette relativement bas en France.
M. Dominique Braye -
Dans l'état actuel, pour des raisons
économiques, vous êtes plutôt opposé à la
vaccination
M. Douzain
- S'il n'y a pas d'harmonisation internationale, on ne peut
pas aller dans cette direction, puisqu'elle va à l'encontre du
développement de nos activités, dans des proportions importantes.
Maintenant, la question est posée. Le Brésil, l'Argentine et le
Paraguay n'arrivent pas à endiguer les problèmes de fièvre
aphteuse, et ces problèmes sont récurrents en Asie. Il me semble
qu'il devrait y avoir une discussion qui dépasse le cadre de la France
et de l'Europe.
M. Dominique Braye
- Comment expliquez-vous que la France, qui a
jusqu'à ce jour été un pays indemne sans vaccination
contre la fièvre aphteuse, autorise, si vous le confirmez, l'importation
de viande argentine ?
M. Douzain
- La viande argentine est interdite aujourd'hui.
M. Dominique Braye -
La France n'en importe pas ?
M. Douzain -
Non, elle est interdite
.
M. Dominique Braye -
Depuis combien de temps ?
M. Douzain
-L'interdiction est entrée en vigueur lors de la crise
de la fièvre aphteuse, en mars.
M. Dominique Braye
- Mais avant, il y avait la fièvre aphteuse
aussi ?
M. Douzain
- La fièvre aphteuse, d'un point de vue
vétérinaire, est un sujet extrêmement complexe. Tous les
cas de figure sont codifiés par l'OIE. L'Argentine était
autorisée à exporter vers l'Union européenne, mais
seulement des viandes sous-vide, car il y a un abaissement du pH qui permet
d'inhiber la fièvre aphteuse. Cela a suscité un certain nombre
d'interrogations, dans la mesure où, sur le territoire national, nous
n'étions pas autorisés à mettre les viandes sous-vide
pendant le laps de temps nécessaire à leur commercialisation.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- C'était autorisé pour
l'Argentine mais pas pour la France ?
M. Douzain
- C'était autorisé. Mais certains bateaux en
provenance de l'Argentine ont été arrêtés avant
d'arriver en France.
M. Dominique Braye -
A partir du moment où l'on sait
qu'en-dessous d'un certain pH le virus de la fièvre aphteuse est
inhibé, donc ne présente plus de risque, pourquoi notre pays ne
traite-t-il pas les viandes suspectes ou à risque de la même
façon en les mettant sous-vide ? Cela permettrait de réduire
le pH et de détruire le virus, et les viandes seraient consommables
grâce à cette opération relativement simple.
M. Douzain
- Si nous avions eu cette autorisation, nous n'aurions pas
quinze à vingt millions de préjudices.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Pourquoi vous a-t-elle
été refusée, sous quels critères
scientifiques ? En vertu du principe de précaution ?
M. Douzain
- Principalement.
M. Jean-Paul Emorine
,
rapporteur
- Les principes de
précaution pour la crise ovine n'étaient pas justifiés
pour les animaux argentins atteints de fièvre aphteuse, et que l'on
importait en France.
M. Bernard Joly -
Psychologiquement, cela était justifié.
M. Douzain -
Si cela était codifié et harmonisé,
cela serait plus simple.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
-Les contrôles aux
frontières sont-ils bien réalisés sur les pays tiers dont
nous sommes importateurs ?
M. Douzain
- Un contrôle systématique est effectué
à la réception des marchandises. Depuis la mise en place du
Marché unique, on est obligé de passer par un certain nombre de
ports ou d'aéroports. La viande ovine qui vient d'Australie, de
Nouvelle-Zélande, du Chili, ou d'Uruguay, nous est livrée
sous-vide, par avion, à Roissy. Là, il n'y a qu'un poste. La
partie qui arrive par avion s'appelle le
child.
Cette viande est vendue
fraîche sur le territoire national. La différence n'est pas
visible. Le deuxième mode de transport concerne la viande
congelée. Elle arrive par bateaux entiers qui sont annoncés
à l'avance, puisque le temps de transport est parfois de quinze jours
à trois semaines quand elle vient du Brésil ou de
Nouvelle-Zélande. Les ports sont pratiquement toujours les mêmes.
Des contrôles systématiques sont effectués.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Ces contrôles vous
paraissent-ils efficaces ?
M. Douzain
- L'important en matière sanitaire n'est pas le
contrôle à l'arrivée des produits, mais le contrôle
au départ. Ce sont des contrôles sanitaires qui sont
effectués au quotidien dans les établissements d'abattage de ces
pays.
M. Philippe Arnaud, président -
Votre dernière observation
me paraît très importante. Mais lorsque nous importons des viandes
du Chili, d'Argentine, ou de Nouvelle-Zélande, sommes-nous sûrs de
la qualité des contrôles au départ ? Vous avez
évoqué tout à l'heure la nécessité d'avoir
des règlements qui soient clairs, et surtout harmonisés. Comment
vos industriels font-ils pour s'assurer de la qualité sanitaire des
viandes qu'ils importent, venant de pays dont les vastes étendues ne
permettent sans doute pas d'assurer des contrôles sanitaires tels qu'ils
sont pratiqués en France ?
M. Douzain -
J'ai visité les établissements dans quasiment
chacun de ces pays. Chacun de ces abattoirs est agréé directement
par la Commission européenne : des missions
vétérinaires se rendent dans ces pays. Ils sont
agréés selon les mêmes normes de construction que les
établissements nationaux et des Etats membres. Les niveaux
d'installation de ces pays sont plus élevés que ceux dont
disposent certains Etats membres, à l'exception de la France, dont le
niveau d'équipement est assez élevé. En matière
d'abattage, il y a au Brésil des établissements dont il n'exsite
pratiquement pas d'équivalent en Europe. La Nouvelle-Zélande a
les établissements dont les niveaux sanitaires sont les plus
élevés au monde pour l'abattage des ovins.
M. Philippe Arnaud, président -
Et pour la
traçabilité
?
M. Douzain
- La traçabilité est assurée par la
Nouvelle-Zélande et le Brésil. Je pense qu'il peut y avoir des
failles dans le dispositif pour les contrôles effectués dans les
élevages, mais pas au niveau de l'établissement industriel. C'est
le stade suivant de la réflexion communautaire. La même question
se pose au niveau national pour l'organisation des contrôles pendant les
crises. Une majorité d'éleveurs travaille très bien, mais
un certain nombre n'honore pas la profession. Les contrôles en
élevage sont l'avenir du sanitaire : responsabiliser l'industriel
sur ses engagements vis-à-vis des questions sanitaires, concentrer les
contrôles sur les animaux vivants et dans les exploitations. C'est la
réforme indispensable à mettre en place si l'on veut encore
augmenter les standards en matière de sécurité sanitaire.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous sommes arrivés au
terme du temps qui nous était imparti. Il nous reste, Monsieur Douzain,
à vous remercier. N'hésitez pas à nous communiquer tout
document qui pourrait alimenter notre réflexion.
23. Audition de Mme Chmitelin, directrice générale adjointe de l'alimentation du Ministère de l'Agriculture et de la Pêche
M.
Philippe Arnaud, président
- Madame Chmitelin, c'est un grand
plaisir de vous accueillir. Vous êtes accompagnée de Madame
Rossat-Mignod, chargée des contrôles vétérinaires
aux frontières avec les pays tiers au sein de la Direction de
l'Alimentation du Ministère de l'Agriculture, ainsi que de Madame
Catherine Rogy, chargée des contrôles vétérinaires
aux frontières intra-européennes, au sein de cette même
direction. Nous allons vous demander de nous exposer comment se pratiquent les
contrôles aux frontières intra-communautaires et avec les pays
tiers, et quelles sont les difficultés que vous rencontrez.
Mme Chmitelin
- Mesdames et Messieurs, je vous propose de dresser le
contexte général dans lequel sont réalisés les
contrôles.
I. L'ORGANISATION DES CONTRÔLES INTRA-COMMUNAUTAIRES
Depuis le premier janvier 1993, les contrôles vétérinaires
aux frontières internes à l'Union européenne ont
été supprimés.
Auparavant, il y avait des postes d'inspection frontaliers tout autour de la
France, et tous les produits ou animaux qui étaient
échangés, par exemple de l'Allemagne à la France,
subissaient un contrôle aux mouvements internes. Dans la période
qui a précédé l'ouverture du Marché unique, les
pays de l'Union européenne se sont employés à harmoniser
les règles de mise sur le marché communautaire pour chaque
catégorie de produits et d'animaux., de manière à ce
qu'ils puissent circuler librement, tout en garantissant la
sécurité des produits et en s'assurant que les animaux ne
diffusent pas des épizooties par l'intermédiaire des mouvements
intra-communautaires.
Les contrôles à l'origine étaient renforcés. Les
pays membres qui mettaient un produit sur le marché ou qui destinaient
des animaux aux échanges intra-communautaires étaient
responsables de la vérification à l'origine, et du respect des
dispositions qui avaient été arrêtées au niveau du
Conseil des ministres pour la catégorie des produits ou animaux
concernée. Parallèlement, il était possible de mettre en
place des contrôles aléatoires à destination, pour que
l'Etat membre de destination puisse vérifier par sondage que les
produits ou animaux correspondaient bien aux prescriptions qui avaient
été arrêtées au niveau communautaire. S'agissant des
animaux qui constituent déjà une préoccupation majeure des
Etats membres, une différence de statut sanitaire existait au sein de
l'Union européenne : certaines maladies menaçaient plus
certains Etats membres, en particulier la fièvre aphteuse, qui
était aux portes de la Communauté avec la Turquie et la
Grèce.
Les Etats membres se sont mis d'accord avec la Commission pour établir
un système de contrôle du mouvement des animaux vivants qu'on
appelle « Système Animo », qui permet de suivre les
mouvements d'animaux déclarés, mais pas les fraudes. Dès
que les animaux sont destinés à l'exportation, les services
vétérinaires du département français
concerné établissent un certificat sanitaire correspondant aux
normes communautaires et vérifient le respect des différentes
prescriptions : tests à effectuer, garanties par rapport au cheptel
d'origine... Parallèlement, ils rentrent dans le Système Animo un
message à destination de l'unité sanitaire locale de l'Etat
membre de destination, informée en temps réel de l'arrivée
de ces animaux. Cet Etat peut, s'il le désire, procéder à
des contrôles à destination, pour vérifier si ces animaux
respectent bien un certain nombre de prescriptions.
II. LES IMPORTATIONS EN PROVENANCE DE PAYS TIERS
N'ayant plus de frontières internes, il fallait parallèlement
renforcer le dispositif de contrôle pour l'importation dans l'Union
européenne. Il fallut établir des règles communes pour
l'importation dans l'Union européenne, se mettre d'accord sur la liste
des pays et des établissements d'où l'on pouvait importer, exiger
que ces produits soient accompagnés d'un certificat sanitaire qui
apporte un certain nombre de garanties. Ces conditions ont été
harmonisées dans la période qui a précédé
l'ouverture du Marché unique. S'agissant de l'organisation des
contrôles, on a établi des points d'entrée obligés,
qu'on appelle des postes d'inspection frontaliers, principalement des ports et
des aéroports, dispersés dans la communauté
européenne. Tous les produits ou animaux vivants introduits dans l'Union
européenne doivent nécessairement passer par ces points
d'introduction obligés, agréés par l'Union
européenne, et inspectés très régulièrement
par la Commission européenne. Une fois ces contrôles
réalisés, les produits sont mis en libre circulation sur le
Marché unique : il faut donc absolument que ces postes
fonctionnement correctement. Il y a environ 283 postes d'inspection
frontaliers dispersés dans l'Union européenne, dont 27 en
France.
III. LA FIÈVRE APHTEUSE
Depuis 1972, les conditions d'importation dans la Communauté
européenne des animaux vivants sensibles à la fièvre
aphteuse et des produits qui en sont issus (viande bovine, porcine...) ont
été harmonisées. Cette harmonisation a été
plus tardive pour les volailles ou les fromages, et pour les produits laitiers
en général.. Un certain nombre de conditions
générales sont établies pour garantir que la fièvre
aphteuse ne sera pas introduite dans l'Union européenne
via
l'importation d'animaux vivants ou de produits.
Cette directive de 1972, qui a été modifiée par la suite,
prévoit aussi des conditions pour l'importation des produits qui
accompagnent les voyageurs, permettant de déroger au système
communautaire d'inspection systématique dans la limite d'un kilo de
marchandises par passager. Jusqu'à un kilo, il est possible d'introduire
avec vos bagages personnels des denrées animales sans certificat
sanitaire, mais ces produits doivent respecter les prescriptions en
matière de santé animale. Cependant, comme il n'y a pas de
certification sanitaire, cela est très difficile à
vérifier. Au niveau français - cela n'a pas été
étendu aux autre pays communautaires -, nous avons rapidement pris
conscience de la difficulté de ces contrôles de passagers, et nous
organisons assez régulièrement avec les services des douanes des
opérations « coup de poing » sur des vols
ciblés, en provenance de certains pays à risque. Mais le
dispositif n'est pas parfait. Suite à la crise de la fièvre
aphteuse, on a renforcé le dispositif d'information des passagers. Mais
les années précédentes on avait beaucoup de mal à
organiser l'information des passagers comme le font les pays anglo-saxons, en
particulier les Etats-Unis, l'Australie, et la Nouvelle-Zélande. Pour
que ces mesures soient efficaces, il faudrait les appliquer au niveau
communautaire. Je ne sais pas si Monsieur Van Goethem vous l'a dit hier, mais
la Commission réfléchit très sérieusement à
renforcer le dispositif d'information, voire de sanction, pour les personnes
qui tentent d'introduire frauduleusement ces produits.
Voilà ce que je peux vous dire, de manière certainement
incomplète.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous nous dites que le Système
Animo ne permet pas de contrôler les fraudes. Mais votre mission consiste
justement à découvrir les fraudes : il semble en effet que
les cas de fièvre aphteuse dépistés au Royaume-Uni
viendraient de produits qui seraient arrivés en fraude. Concernant les
voyageurs, on voit bien qu'aux Etats-Unis les mesures sont plus rigoureuses que
dans l'Union européenne. J'ai bien compris qu'à votre niveau vous
insistiez dans ce sens, mais quand on sait qu'il faut très peu de virus
aphteux pour contaminer tout un pays, il y aurait de nouvelles dispositions
à prendre. Comment pouvez-vous contrôler au départ ces
produits, puisque l'on nous dit que la meilleure sécurité que
l'on pourrait trouver est le contrôle au départ ?
M. Philippe Arnaud, président
- Je voudrais que vous reveniez sur
des mesures qui avaient été prescrites, figurant en page 46
du Rapport Mac Sharry, et qui prévoyaient, notamment pour les personnes
qui franchissent régulièrement les frontières, le
renforcement de mesures d'information sur les risques de transmission du virus
par des denrées alimentaires, en posant par exemple des panneaux
très lisibles. Ces mesures ont-elles déjà
été mises en oeuvre ?
Mme Chmitelin
- Je vais distinguer trois types d'importation.
Les importations commerciales, déclarées, rentrent dans le
schéma général des contrôles, passent par les
douanes, qui, s'agissant de produits d'origine animale, demandent
systématiquement une visite vétérinaire. Si elles arrivent
dans un port qui n'est pas un poste d'inspection frontalier, les douanes
refusent d'effectuer le contrôle et de dédouaner les produits, et
renvoient la marchandise.
Pour les importations frauduleuses à grande échelle, par exemple
faire passer un conteneur de viande pour un conteneur de jouets, nos services
ne sont pas en première ligne : ce sont les services des douanes
qui contrôlent ces importations illégales. Ce ne sont pas des
contrôles systématiques. Je sais qu'ils ont un certain nombre de
dispositifs qui permettent maintenant de passer aux rayons X les conteneurs,
pour savoir ce qu'il y a dedans, mais ce n'est pas une garantie à
100 %.
S'agissant des passagers, il est clair que tout n'a pas été fait,
et qu'il reste beaucoup à faire. Des dispositifs de protection
exceptionnels ont été mis en place compte tenu de la situation
sanitaire due à la fièvre aphteuse. Je pense qu'il faut profiter
de cet incident pour renforcer le dispositif général
d'information des passagers dans les aérogares.
Les moyens de transport internationaux, avion ou bateau,
bénéficient d'un régime particulier au niveau du droit
communautaire, pour pouvoir s'approvisionner en marchandises qui ne sont pas
conformes au droit communautaire : c'est ce qu'on appelle l'avitaillement.
Cela a été l'une de nos grandes préoccupations lors de la
discussion sur la directive qui modifiait les systèmes d'inspection aux
frontières intra-communautaires, en 1997. La France, en particulier,
voulait mieux contrôler ces avitailleurs. Parmi eux se trouvent de
grosses sociétés, notamment néerlandaises, situées
à Amsterdam comme la Société Bosman, qui importent
d'énormes quantités de viandes qui proviennent de pays
touchés par la fièvre aphteuse. Ces produits sont importés
en dérogation au système communautaire, et peuvent circuler sur
le territoire communautaire sous certaines conditions. Avec Catherine Rogy, qui
a pris ma suite sur le dossier, nous avons eu beaucoup de mal à encadrer
ce dispositif qui n'est pas parfait. L'avitaillement des moyens de transport
internationaux est donc une source possible de diffusion de la fièvre
aphteuse. Quand on a essayé de dire qu'il faudrait avitailler les moyens
de transport uniquement avec des marchandises qui répondent au statut
communautaire en termes de santé publique, pour que les voyageurs ne
soient pas malades, et qu'il y avait un risque pour la santé animale
à partir du moment où l'on n'était pas sûr de la
qualité sanitaire des produits, on a eu affaire à une très
forte pression des Hollandais et des Allemands qui étaient
opposés à cela. Ils répondaient que si ces bateaux et ces
avions ne s'avitaillaient pas sur le territoire communautaire, ils
s'avitailleraient en Pologne ou de l'autre côté de la
Méditerranée, et que les effets seraient les mêmes.
M. Gérard César
- Savez-vous quel est, aujourd'hui, le
pourcentage d'animaux non déclarés qui circulent ? Monsieur
Douzain nous a dit qu'en Argentine et au Brésil les abattoirs
étaient aux normes européennes, voire supérieurs à
certains abattoirs de notre territoire : qu'en pensez-vous ?
Sommes-nous vraiment sûrs des viandes importées de ces pays ?
Mme Chmitelin
- Quand je parlais d'animaux non déclarés,
il s'agissait des échanges intra-communautaires. Pour les
échanges intra-communautaires d'animaux, différents dispositifs
de contrôle existent à l'origine, à destination, à
la circulation, mis en place avec l'aide des services de gendarmerie. On a
très peu de mouvements d'animaux non déclarés sur lesquels
on a pu identifier des fraudes, surtout pour les gros animaux. Peut-être
en a-t-on un peu plus pour les carnivores, car ils passent plus
inaperçus dans les mouvements. On organise des contrôles
également pour des raisons de protection animale, pour vérifier
les conditions de bien-être des animaux transportés, puisqu'il
existe une directive communautaire sur ce point.
S'agissant de vote deuxième question, je suis allée deux fois en
Argentine. Je n'ai pas eu l'occasion de visiter les abattoirs, mais j'ai
visité les marchés. On nous rapporte que les abattoirs
agréés pour exporter vers la communauté européenne
sont superbes. Mais il n'y a pas que ces abattoirs. Depuis les directives
communautaires de 1972, des inspecteurs communautaires se rendent dans les pays
tiers. Ils avaient tendance à pousser les règles au maximum
vis-à-vis des importations en provenance de ces pays, s'agissant de
l'hygiène des abattages et indépendamment du problème de
traçabilité.
Hier j'ai eu l'occasion, en marge de la section générale de l'OIE
(Office International des Epizooties), de déjeuner avec le nouveau chef
des services vétérinaires argentins. Il occupait ce poste il y a
six ou sept ans, et fut à l'origine de l'éradication de la
fièvre aphteuse en Argentine. Une nouvelle équipe dirigeante a
été appelée aux commandes, l'équipe en place a
été limogée et traînée devant les tribunaux
pour avoir occulté un certain nombre de faits concernant la situation
sanitaire de l'Argentine au regard de la fièvre aphteuse. On nous a
expliqué que la situation était extrêmement tendue, que le
Gouvernement essayait de remettre les choses en place, qu'il voulait faire
preuve de transparence, et qu'il avait conscience des difficultés
auxquelles il était confronté. Il est clair qu'il n'existe pas de
système de contrôle du mouvement des animaux. Le docteur Cane me
disait que la régionalisation, dont on parle si souvent, est très
difficile à mettre en place. Je pense que l'on parlera de notre
expérience française, parce que l'on a connu une mesure de
« régionalisation » autour des deux foyers. La
régionalisation signifie la mort de la région qui est
bloquée, dans des pays où les échanges sont très
nombreux, et
a fortiori
dans un groupe de pays. On ne peut pas vivre en
vase clos. Il s'en rend compte aussi, à l'échelle de son pays. Il
nous a demandé de participer à ces réflexions en
désignant un correspondant sur la question de la réorganisation
de leurs services vétérinaires. Nous avons répondu
favorablement.
Il y a plusieurs catégories d'abattoirs en Argentine, comme
c'était le cas en France avant l'harmonisation communautaire. Ils ont un
marché à plusieurs vitesses, certains abattoirs sont
agréés pour exporter vers l'Union européenne, d'autres
pour exporter vers les Etats-Unis, et ils ont un certain nombre de petits
abattoirs pour leur consommation interne ou pour les exportations vers les pays
de la zone, qui ne répondent ni aux normes communautaires, ni aux normes
américaines.
M. Philippe Arnaud, président
- L'Argentine a remis en oeuvre la
vaccination : cela a-t-il pour conséquence l'autorisation d'importer en
France ?
Mme Chmitelin
- Pour l'instant, on attend d'y voir plus clair. Il y a
une interdiction totale d'importer de l'Argentine. Pour inscrire un pays sur la
liste des pays autorisés à exporter vers l'Union
européenne, il faut avoir confiance dans les services
vétérinaires. Cela ne sert à rien d'établir un
certain nombre de conditions sanitaires, de certifications, si la signature du
vétérinaire au bas du certificat n'a aucune valeur parce qu'il
n'appartient pas à une organisation suffisamment
développée pour garantir que les conditions figurant sur le
certificat sont remplies. Pour l'instant, il y a un tel manque au niveau de
l'Argentine, que l'on attend de voir comment vont être organisés
les services, et quelle garantie ils pourront nous donner pour les produits qui
seront éventuellement exportés vers l'Union européenne.
S'agissant de la situation sanitaire, ils se sont lancés dans une vaste
campagne de vaccination. Au regard du droit communautaire, un pays qui vaccine
contre la fièvre aphteuse peut exporter un certain nombre de produits
vers l'Union européenne, à certaines conditions. On
établira cela au niveau communautaire quand la situation sera plus
claire, ce qui n'est pas le cas actuellement. Ce n'est pas parce que
l'Argentine a vacciné que l'on va arrêter d'importer. Mais on
n'importera que des produits désossés, et selon des conditions
assez restrictives.
M. Dominique Braye -
Nous avons importé d'Argentine des viandes
qui étaient soumises à désossement : par
conséquent, ces viandes étaient sans risque. Pourquoi avoir
consigné ces viandes et ne pas avoir plutôt
préconisé un traitement comme l'emballage sous-vide ?
Monsieur Douzain nous a dit que non seulement ils n'étaient pas
indemnisés, mais qu'en plus ils étaient en attente d'une
décision du Gouvernement français sur le sort des viandes qui
pour l'instant sont immobilisées. C'est une profession qui est
apparemment sinistrée.
Mme Chmitelin
- Il n'y a plus de viande consignée en attente de
dédouanement dans les ports français.
M. Dominique Braye
- Comme M. Van Goethem le disait hier, il me semble
que la France a été au-delà de certaines
préconisations de l'Europe.
Mme Chmitelin
- J'apprécie beaucoup Monsieur Van Goethem, avec
qui j'ai collaboré. Mais il ne vous a pas dit comment cela
s'était passé au départ de la crise, quand, très
rapidement, on a annoncé la décision d'abattre les agneaux
britanniques. Je me rappelle plusieurs conversations avec Monsieur Van Goethem
qui me disait : « Non, il ne faut pas les abattre, il n'y a que
deux foyers ! ».
M. Dominique Braye
- Monsieur Van Goethem nous a dit exactement le
contraire, et que vous aviez obéi aux prescriptions personnelles qui
étaient d'abattre les troupeaux et tout ce qui était autour.
Mme Chmitelin
- C'est faux. Il m'a dit : « Non, ne les
abattez pas, nous n'en sommes qu'aux premiers jours de la
crise ! ». J'ai dit que nous entendions procéder à
l'abattage, et il a répondu : « Nous allons avoir des
complications, cela va faire tache d'huile, ne faites pas
cela ! ». Une semaine après, il me
téléphonait en me disant : « Abats tout, abats
tout, vite, vite ! ». Nous avons pris la décision. Et
d'ailleurs vous pouvez demander les minutes du comité
vétérinaire permanent, puisque c'est la France qui a
demandé, au cours d'un comité, que les abattages
préventifs puissent bénéficier d'une prise en charge
financière par l'Union européenne. Nous nous inquiétions
pour l'indemnisation de ces animaux. La Commission a dit qu'elle
étudierait la question. Il n'y avait aucune disposition communautaire.
M. Dominique Braye
-Pourquoi la France est-elle le seul pays à
consigner les viandes ?
Mme Chmitelin
-Il est vrai que nous avons pris des mesures de
prévention un peu en avance par rapport à ce qui avait
été décidé au niveau communautaire, pour essayer de
limiter la diffusion du virus, dans l'attente de renseignements sur la
situation épidémiologique réelle.
Je n'ai pas une connaissance très précise de ces viandes
consignées. S'agissant des viandes qui étaient en Mayenne ou dans
la zone de restriction, nous avions dès le début affirmé
qu'elles pourraient être libérées sous réserve
qu'elles subissent un traitement thermique. C'est vrai qu'il aurait fallu
prendre des mesures de pH, mais cela étant très compliqué,
nous avions pris l'option de les stocker sous-vide. On sait que la maladie
s'est limitée aux deux foyers et que dans les zones concernées
aucun autre foyer ne s'est déclaré. Nous devons donc pouvoir
reconsidérer cette décision et relâcher ces viandes. A mon
avis, elles sont congelées ou sous-vide. Je n'ai pas encore connaissance
de produits qui ont été débloqués.
M. Dominique Braye
- Si vous pouviez vous mettre en relation avec
Monsieur Douzain...
Mme Chmitelin
-Il faut que je fasse le point avec lui. Je ne peux pas
vous répondre précisément dans la mesure où je ne
sais pas exactement de quels produits il s'agit. Est-ce que c'est vraiment pour
des raisons sanitaires ? Il y a des moments où l'on mélange
différents aspects. Je vais vous tenir informés...
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Je voulais réagir au sujet de l'Argentine, qui est aujourd'hui en train de vacciner, pour essayer d'assainir le pays au niveau de la fièvre aphteuse. Vous avez dit que nous verrions alors comment l'on pourra reprendre les importations en direction de l'Union européenne. On sent bien que notre agriculture est impliquée dans une véritable guerre économique, et je ne vois pas pourquoi, au niveau européen, on pourrait importer de la viande sous-vide avec l'abaissement du pH. Dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce, moi, Français, Européen convaincu, je n'accepterais pas de telles possibilités, si on ne peut pas vacciner nos animaux. Il faut qu'il y ait une discussion au niveau de l'Organisation Mondiale du Commerce. Je ne vois pas pourquoi l'Union européenne serait plus à même de dire que l'on peut les importer, alors que l'Amérique du Nord, la Nouvelle-Zélande, qui d'un autre côté nous envoient des moutons, nous demandent des conditions impossibles. Imaginons que la situation de l'Argentine s'assainisse, qu'ils continuent à vacciner, et que nous, au niveau européen, nous puissions autoriser les importations. Je voudrais connaître votre sentiment sur cette perspective d'avenir. Pourquoi certains pays, dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce, refuseraient d'importer des produits qui ont été vaccinés, alors que l'Union européenne l'accepterait ? Les relations dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce doivent être équilibrées : nous n'avons pas à accepter des produits que les autres pays refusent.
Mme
Chmitelin
- Nous sommes un Etat membre, dans une Communauté
européenne de quinze Etats membres. Les relations avec l'OMC sont
gérées par la Commission, et c'est la Commission qui parle. Je
suis allée de nombreuses fois au comité sur l'application des
mesures sanitaires et phytosanitaires : c'est une expérience
relativement frustrante, parce que c'est la Commission européenne qui
parle, même si vous n'êtes pas forcément d'accord avec ce
qui est dit. Nous harmonisons nos positions avant les comités, mais
c'est finalement la Commission qui s'exprime et qui négocie, y compris
sur ces dossiers-là.
En ce qui concerne les conditions sanitaires à l'exportation, c'est la
même chose. La Commission propose des mesures. En France, vous avez
raison, on est les premiers à chaque fois à monter au
créneau. A l'exportation, personne ne nous défend, la Commission
européenne qui se dit compétente pour négocier à
l'exportation ne fait rien.
S'agissant des mesures de santé animale, comme Monsieur Douzain l'a dit,
c'est l'Office International des Epizooties qui établit un certain
nombre de règles. Elles prévoient aussi qu'un pays puisse
importer en provenance d'un pays qui vaccine -ce sont des recommandations aux
pays importateurs-, sous réserve que la viande soit
désossée, qu'il y ait des mesures de pH. Les pays membres de
l'Organisation Mondiale du Commerce s'engagent normalement à appliquer
les règles de l'OIE et, s'ils vont au-delà, doivent justifier
scientifiquement ces mesures. On ne peut pas attaquer les Etats-Unis en
disant : « Vous refusez l'importation des viandes en provenance
d'Argentine ». En revanche, on pourrait aider les Argentins à
attaquer les Américains, mais cela ne se fera jamais, pour des raisons
commerciales et historico-politiques.
M. Philippe Arnaud, président - Nous nous appliquons des règles contraignantes, mais nous sommes relativement souples avec les pays tiers. Vous avez rappelé que l'Union européenne devait prendre des mesures communes, mais aujourd'hui on a le sentiment que l'on se crée des entraves à l'exportation, alors que l'on va rapidement, pour des raisons économiques, rechercher les importations.
M.
Dominique Braye
- C'est impossible à expliquer à un certain
nombre d'éleveurs. Alors qu'actuellement plusieurs personnes
préconisent la vaccination, le seul moyen de leur expliquer qu'il ne
faut pas y avoir recours est de dire : « Restons un pays sans
vaccination pour pouvoir exporter sur les marchés ».
Mme Chmitelin -
S'agissant des importations, pour l'instant, l'Argentine
est frappée d'un embargo total. Quand la situation aura
évolué, peut-être pourra-t-on reconsidérer la
situation au niveau européen. La Commission va certainement le faire
dans le cadre des relations qu'elle entretient avec ces pays-là. L'Union
Européenne va rouvrir l'Argentine avant les Américains. Les
Argentins n'exporteront plus vers le Japon, ni vers la Corée, ni vers
d'autres pays qui ne respectent pas les règles de l'OIE mais qui ne
seront pas attaqués pour autant par les Argentins au niveau de
l'Organisation Mondiale du Commerce. Il est vrai que cela est difficile
à comprendre pour un éleveur français. On nous dit de ne
pas vacciner pour que l'on puisse exporter. L'éleveur de bovins
dit : « Mais pourquoi dois-je m'exposer à une maladie
alors que je pourrais très bien vacciner ? ».
M. Philippe Arnaud, président
- Pourquoi ne pas attaquer le Japon
et la Corée, par exemple, sous prétexte de discrimination ?
Il y a un problème de fond. On ne peut pas expliquer en France qu'il ne
faut pas vacciner pour l'exportation, et dans le même temps importer des
viandes vaccinées.
Mme Chmitelin -
Nous exportons des viandes porcines vers le Japon ou la
Corée, alors que les Argentins exportent de la viande bovine.
Peut-être que les viandes bovines auraient eu un meilleur sort à
l'exportation vers les pays tiers s'il n'y avait pas eu le problème de
l'ESB. Pour l'instant, le Japon, qui pratique la vaccination, a fermé
durablement ses portes à l'Argentine.
M. Dominique Braye
Le Japon ne respecte pas les règles de
l'OIE : selon elles, ces produits, s'ils sont désossés,
auraient pu être importés. Mais on ne va pas attaquer nos clients.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Malheureusement, devant ce genre de
situations, on est en train de fabriquer des anti-Européens.
L'éleveur de bovins ne saisit pas cela. Ce qu'il retient, c'est qu'on
pourrait importer des viandes vaccinées et que lui n'est pas
autorisé à vacciner.
M. Philippe Arnaud, président -
Nous nous sommes
inquiétés, après des visites sur le terrain, d'un certain
nombre de dispositions prises pour les produits laitiers, comme les fromages au
lait cru. Nous avons entendu un certain nombre de scientifiques et de
chercheurs, et nous venons de recevoir aujourd'hui une confirmation
écrite de Monsieur Maubois, Directeur de recherche à l'INRA, qui
indique des résultats fondés sur les échanges
épistolaires qu'il avait eus dans les années 70 avec des
responsables américains : les recherches sur la fièvre
aphteuse nous permettent d'affirmer avec une grande certitude que le virus de
la fièvre aphteuse ne survit pas à un pH de 4,6 pendant une
semaine, quelle que soit la contamination initiale. Ces conditions de pH
correspondent à l'affinage du camembert.
Il nous a été indiqué à plusieurs reprises que la
fermentation de fromages au lait cru permettait de traiter le problème.
Or nous avons constaté un embargo sur ces produits, qui se justifie pour
éviter certains moyens de transmission. Mais il n'y a pas aujourd'hui de
mesures d'indemnités ni d'aides financières prévues pour
les entreprises, qui connaissent encore un séisme économique.
Sur quoi ces mesures ont-elles été fondées ? N'y
a-t-il pas lieu, à la lumière de ces expériences, de
revoir un certain nombre de dispositions, pour qu'à l'avenir il n'y ait
pas un excès de précautions ?
Mme Chmitelin
- Les mesures qui ont été prises en France
par rapport aux produits au lait cru ont concerné les zones autour des
foyers. C'étaient des mesures particulièrement difficiles
à supporter, d'autant plus que l'embargo momentané s'est traduit
pour un certain nombre de produits par une destruction, du fait de leur faible
conservation et des risques vis-à-vis de la santé publique. Les
considérations données actuellement par l'INRA, qui font
état du résultat des années 70, sont remises en cause par
les Américains, suite à de nouvelles recherches.
M. Dominique Braye
- Le virus de la fièvre aphteuse serait devenu
plus résistant ?
Mme Chmitelin
- Peut-être. Cela dépend des types de
fromages : il y a plusieurs considérations à prendre en
compte. Concernant les débats communautaires, ce fut fâcheux,
puisque le deuxième cas est tombé dans la région de Meaux,
en Seine-et-Marne, et j'imagine les conséquences dramatiques pour
certaines entreprises. Peut-être a-t-on pris trop de précautions
et peut-être essaierons-nous de sortir un certain nombre de
recommandations pour mieux doser les mesures qui ont été prises.
Il faut se souvenir qu'au milieu de la crise, nous avons dû prendre des
décisions très rapides, et que nous n'avions pas le temps d'aller
consulter la bibliographie. Au niveau communautaire, les mesures ont
été prises quels que soient les fromages au lait cru et quel que
soit le pH. Nous avons peut-être pris trop de précautions, mais au
niveau communautaire des précautions identiques ont été
prônées.
M. Philippe Arnaud, président
- Personne ne saurait faire la
moindre critique sur des mesures qui ont été prises en
état de crise, à un moment où il fallait frapper fort et
vite, mais aujourd'hui se pose la question des indemnités.
Mme Chmitelin -
Je pense que d'autres interlocuteurs vous ont
parlé des systèmes qui ont été mis en place. Je ne
suis pas compétente pour évoquer pour cette question. A notre
faible niveau, nous allons essayer de tirer les enseignements techniques des
mesures qui ont été prises, pour pouvoir doser au plus juste les
actions qui seront mises en place si un problème similaire survenait.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- La critique concerne le zonage
départemental. Lorsqu'un problème apparaissait dans le nord d'un
département, il est évident que le département voisin
était plus sensible à une contamination que le sud du
département dans lequel l'épizootie était présente.
Mme Chmitelin
- Vous savez sans doute que nous sommes en train
d'organiser un retour d'expérience. Nous avons largement diffusé
un questionnaire assez fourni à tous nos services
vétérinaires et à tous nos partenaires. Nous sommes en
train de l'éplucher, et nous ferons un premier rendu de cette
expérience lors d'une réunion avec les directeurs des Services
vétérinaires, qui se tiendra à Lyon à la mi-juin.
Ce retour d'expérience sera accompagné d'un certain nombre de
propositions concrètes permettant une amélioration du dispositif
pour l'avenir.
M. Philippe Arnaud, président
- Hier soir, nous avons appris que
le rétablissement des contrôles sur les mouvements d'animaux a
fait partie des mesures qui ont été prises pendant la crise.
Mme Chmitelin -
Ce n'est pas vraiment un contrôle. Une
autorisation de transports d'animaux était délivrée
après information.
M. Philippe Arnaud -
En-dehors des situations de crise, les
échanges se fondent sur la confiance réciproque. En outre, il
appartient aux pays d'origine d'effectuer la certification. A la lumière
de cette crise, n'y a-t-il pas lieu de mettre en place des contrôles plus
stricts à l'arrivée, à partir du moment où l'on
sait que les mesures et le suivi sanitaires ne sont pas totalement efficaces
dans certains pays ?
Mme Chmitelin -
Si on rétablit un contrôle
systématique à l'arrivée, nous ne respectons pas les
règles communautaires. Si ce contrôle est effectué au
niveau communautaire, il vaut encore mieux rétablir les contrôles
aux frontières. Il est plus facile de faire les contrôles aux
points de passage obligés que dans plusieurs milliers de points de chute
du bétail.
M. Philippe Arnaud, président
- Je partage totalement votre point
de vue, mais nous devons néanmoins trouver une solution. Au cours de nos
auditions, nous nous sommes aperçus que l'application des directives et
des règlements communautaires n'étaient pas effectuée de
manière similaire dans tous les états. N'y a-t-il pas lieu
d'intervenir pour que les mesures que nous appliquons chez nous le soient aussi
chez nos voisins ?
Mme Chmitelin -
C'est un sujet politiquement sensible. Nous pouvons
renforcer les contrôles à destination, mais vous imaginez bien que
les moyens nécessaires à cette entreprise sont énormes. Il
faut en effet se rendre dans des élevages et des points de destination
particulièrement nombreux. Néanmoins, cette possibilité
est envisageable.
Vous parlez en outre de la légèreté des contrôles
à l'origine chez certains de nos voisins. Il appartient à la
Commission de faire respecter l'application des textes communautaires. Elle
doit le faire par le biais de son Office alimentaire et
vétérinaire.
Vous savez que les organisations administratives des différents pays
membres sont très variées. En France, nous avons une organisation
assez atypique, dans la mesure où les services de contrôle sont
très centralisés. Pour l'application des mesures sanitaires, je
pense que cela représente un plus. Chez certains de nos voisins,
l'Allemagne par exemple, la situation est plus complexe : les
contrôles à l'origine sont réalisés par les
Länder, sur lesquels le pouvoir fédéral n'a pas de
réel pouvoir. Il faudrait réussir à démontrer que
la manière dont les contrôles sont effectués est
susceptible de présenter un danger pour les états membres
destinataires.
M. Gérard César
- N'est-il pas possible de profiter de
cette crise pour améliorer le système dans tous les pays de
l'Union européenne ?
Mme Chmitelin
- Une amélioration du système passe par un
renforcement du système vétérinaire général.
Je suis persuadée qu'un message politique fort est nécessaire.
Cela a été dit au niveau du Conseil des Ministres, mais ce
message doit se traduire désormais dans les faits. Il faut donc donner
des moyens supplémentaires aux services de contrôle pour
réaliser correctement leurs missions.
M. Gérard César
- Vous avez du travail devant vous...
Mme Chmitelin -
Si nous ne connaissons pas d'autres crises, nous
pourrons peut-être prendre le temps d'apporter des améliorations.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie de votre
contribution. La conviction que vous exprimez montre indiscutablement que votre
Service a pris cette affaire très au sérieux. Nous ne pouvons que
vous féliciter pour tout le travail réalisé par votre
Direction.
24. Audition de Jean-Luc Duval , Président du Centre national des jeunes agriculteurs
M.
Philippe ARNAUD, président
- Nous allons poursuivre nos auditions
avec Jean-Luc Duval, qui est le Président du Centre national des jeunes
agriculteurs. Monsieur le Président, je vous remercie d'avoir
répondu à notre invitation. Vous allez pouvoir nous donner le
point de vue du CNJA sur l'épizootie de fièvre aphteuse. En
outre, vous nous ferez part de votre appréciation sur la gestion de
cette crise et de votre analyse sur ce problème.
M. Jean-Luc Duval
- Je vais commencer par me présenter. Je suis
éleveur laitier et producteur de viande bovine dans le
département de l'Orne, en Normandie. Je produis également des
fruits.
J'ai vécu la crise de la fièvre aphteuse à travers mon
implication nationale, et j'ai pu ainsi me rendre compte de toutes les craintes
suscitées sur le terrain par l'épizootie. En outre, je suis
éleveur dans l'Orne, département limitrophe de la Mayenne. Ce
dernier ayant connu des cas de fièvre aphteuse, je faisais partie des
deux zones qui ont été mises en simili quarantaine.
600 élevages et 800 agriculteurs ont été
concernés.
I. L'ÉPIZOOTIE EN GRANDE-BRETAGNE
Une fois de plus, nous avons été surpris, au niveau agricole, de
subir la non-prise en compte de l'origine britannique de cette
épidémie. Cela nous pose un certain nombre de questions, puisque
l'ESB et la fièvre aphteuse ont la même provenance. En outre, nous
avons été particulièrement surpris par l'ampleur de ce
phénomène sur le territoire anglais. Dans un pays aussi
développé que l'Angleterre, il est en effet étrange que
l'épizootie se soit propagée de manière si anarchique.
Depuis l'arrêt de la vaccination en 1991, nous avons connu des cas
de fièvre aphteuse en Grèce et en Italie, qui ne sont pas
réputés pour faire preuve d'un sérieux complet dans
l'application des règles sanitaires. Pour autant,
l'épidémie était sans aucune mesure avec
l'épizootie anglaise. Si je me souviens bien, seuls quelques cas de
fièvre aphteuse étaient apparus, des mesures avaient
été prises et l'épidémie a été
rapidement éradiquée. Nous nous posons donc de réelles
questions concernant l'épizootie en Angleterre.
Au niveau européen, il est nécessaire d'entamer une discussion
sérieuse entre tous les partenaires. Dans le même ordre
d'idées, il est surprenant que l'Angleterre face appel à l'Europe
pour obtenir des vétérinaires. Ce genre de demande provient en
général des pays du sud, et il est étonnant que
l'Angleterre en soit aujourd'hui l'origine. La sécurité sanitaire
est devenue aujourd'hui un aspect déterminant de la chaîne
agroalimentaire, et nous nous devons donc d'y réfléchir avec tous
nos partenaires.
II. LA GESTION DE LA CRISE EN FRANCE
A mon avis, je crois que la France a su prendre les mesures qui s'imposaient.
Elles ont pu choquer de nombreuses personnes, tant dans la population que dans
le monde agricole, mais nous avons su prendre le taureau par les cornes.
Lorsque l'on connaît la taille de la population bovine française,
j'estime qu'il est très rassurant de constater que nous avons seulement
connu deux cas de fièvre aphteuse. Evidemment, se pose le
problème de tous les troupeaux qui ont été abattus
préventivement. La question de l'indemnisation se pose. En outre, il est
clair que la fête de l'Aïd El Khebir, qui s'est
déroulée en pleine crise de fièvre aphteuse, n'a pas
facilité le traitement du dossier.
Cette crise a parfaitement montré à l'opinion publique que la
France était très dépendante de la production ovine du
Royaume-Uni. Un tel constat devrait appeler un certain nombre de
réflexions. La réforme de l'organisation commune de marché
ne nous a pas permis de conserver notre potentiel ovin, et il est dommage que
nous soyons si dépendants de nos partenaires. A mon sens, cette
dépendance est d'autant plus grave qu'il existe en France des zones
traditionnelles d'élevage de moutons, y compris en plaine.
III. L'ATTITUDE DES AGRICULTEURS AU COURS DE LA CRISE
Les abattages préventifs ont été importants. Tout
particulièrement, des dispositions très sérieuses ont
été prises autour des foyers de fièvre aphteuse.
Evidemment, les agriculteurs ont perçu ces abattages comme une
contrainte. Autant les paysans se sont posé des questions concernant les
abattages dans le cadre de l'éradication de l'ESB, autant ils ont
accepté les abattages pour la fièvre aphteuse. En effet, nous
sommes tous conscients des dégâts que peuvent causer cette
maladie, qui est connue de longue date. Personnellement, je n'ai pas de recul
suffisant, mais j'appartiens à une famille qui travaille dans
l'agriculture depuis de nombreuses générations. Mon père
m'a rappelé que son troupeau avait été touché par
la fièvre aphteuse dans les années 30. Sur un troupeau d'une
quarantaine de bêtes, quinze sont mortes. Les dommages peuvent donc
être importants, et cette maladie doit être traitée
très sérieusement.
Les agriculteurs ont donc accepté les contraintes avenantes à
cette crise. Nous avons tous été surpris, au niveau des
organisations professionnelles, du sérieux dont les agriculteurs ont
fait preuve. Ils ont parfaitement respecté les consignes passées.
Tout particulièrement, lors de la venue du Président de la
République dans l'Orne, nous avons constaté que les paysans ne
faisaient pas du tout preuve d'un esprit revanchard. Au contraire, ils ont
été très dignes et ont parfaitement accepté que
certains troupeaux soient abattus.
Nous avons également remarqué que notre excellente organisation
au niveau de nos groupes professionnels a permis d'amoindrir les effets de
cette crise. Nous nous sommes aperçus que la décentralisation par
communes ou par cantons des organisations syndicales a permis de faire passer
facilement le message auprès des agriculteurs. J'insiste lourdement sur
ce sujet : nous avons pu démontrer qu'un excellent travail de
collaboration avait été effectué entre les organisations
agricoles et l'administration. Lorsque tout le monde poursuit des objectifs
communs, le message passe bien mieux. Tout particulièrement, la
non-propagation de la fièvre aphteuse est de toute évidence due
à la mise en place très rapide d'un périmètre de
protection.
Autant les agriculteurs ont totalement accepté de servir de bouclier
pour le reste du territoire, autant ils attendent aujourd'hui de la part de
l'Etat un retour. Suite à des pressions venant du terrain, des
rencontres se sont déroulées au Ministère. Des promesses
ont été faites, et il faudra que cet épisode de la
fièvre aphteuse soit soldé de manière correcte. Les
décisions prises ont en effet entraîné de réelles
contraintes sur les exploitations : personnellement, je suis producteur de
jeunes bovins. A cause de l'ESB, j'avais décalé la vente de mes
animaux car les cours n'étaient pas très intéressants. Ces
ventes ont encore été retardées suite à la
fièvre aphteuse. Mes bêtes avaient plus de 24 mois, et elles
n'étaient donc plus considérées comme des jeunes bovins.
J'ai perdu, en moyenne, entre deux à trois francs par
kilo. Nous ne pouvons pas nous permettre de telles pertes en ce moment, et nous
devrons donc être indemnisés.
Sans l'ESB, la situation aurait été plus facile. L'addition des
deux crises a créé un contexte difficile à supporter,
et les conséquences en sont encore plus dommageables.
IV. LES CONSÉQUENCES SUR L'INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE
Cette crise a entraîné des conséquences
non-négligeables sur l'industrie agroalimentaire et sur quelques
producteurs effectuant de la vente directe. Par exemple, à Camembert, un
producteur de lait fabrique des camemberts au lait cru. En raison des
dispositions prises, il a été obligé de détruire
tous ses fromages qui étaient en affinage et d'arrêter ses
livraisons. Nous sommes près de Paris, qui constitue la principale zone
de vente. Les pertes en trésorerie ont été
particulièrement importantes pour ce producteur.
Je vous donne un autre exemple. Près de chez moi, un producteur de
fromage au lait cru, qui s'appelle Gillot, a dû détruire
400 000 camemberts. Pour une petite entreprise familiale, le manque
à gagner est important. Cette entreprise aura forcément besoin
d'une aide. Dans le cas contraire, elle sera rachetée par Lactalis, ce
qui encouragera encore plus la concentration de la collecte laitière
dans l'Orne. Pour votre information, Lactalis collecte plus de 80 % du
lait dans mon département. Je ne crois pas qu'il faille renforcer encore
plus la mainmise de ce groupe.
L'indemnisation doit concerner les éleveurs et les industries
agroalimentaires. Ce n'est pas parce que d'autres cas de fièvre aphteuse
ne se sont pas déclarés que nous ne devons pas être
indemnisés. Nous demandons fortement que toutes les pertes
engendrées par la mise en quarantaine de notre département soient
expertisées. Par ailleurs, nous demandons qu'un audit soit
effectué sur toutes les conséquences de l'épizootie.
Au niveau national, nous nous satisfaisons complètement que le nombre de
cas ait été si limité. En outre, cette crise a mis en
avant le manque de transparence dans la filière viande, ovine ou bovine.
Il est rassurant que les deux cas de Seine-et-Marne et de Mayenne soient
liés ; mais, au départ, nous n'avions aucune
précision sur les échanges d'animaux. Nous ne savions pas quels
avaient été les lieux de transit du bétail. A mon sens, je
crois que nous devons être plus sérieux et plus transparents sur
les transactions. Auparavant, celles-ci étaient effectuées
à un échelon local ; aujourd'hui, les animaux parcourent
parfois de longues distances. Nous pourrions réclamer de la part des
éleveurs de faire preuve de plus de transparence, mais je crois que tous
les intervenants de la filière doivent entrer dans cette
démarche.
V. LA QUESTION DE LA VACCINATION
La crise de la fièvre aphteuse a provoqué un profond
désarroi chez les éleveurs. En outre, le débat sur la
vaccination a été relancé. Le CNJA a
considéré que certains intervenants auraient eu raison de se
taire au moment de la crise. En effet, ce n'est pas au moment de la crise que
nous devons nous poser des questions sur la pertinence de la vaccination. Je
suis peut-être un peu dur, mais il est évident que certains propos
ont été exagérés, tout particulièrement de
la part des vétérinaires. Quoi qu'il en soit, je ne crois pas
qu'une campagne de vaccination, entamée en plein milieu de la crise,
constitue une solution prophylactique efficace. Mes propos vis-à-vis des
vétérinaires peuvent vous sembler agressifs, mais j'ai
rencontré quelques problèmes avec eux au début des
années 90. S'ils n'avaient pas d'avis sur la prophylaxie concernant
la fièvre aphteuse, ils considéraient que l'arrêt des
campagnes de vaccination leur enlèverait une réelle part de
l'activité. Leurs arguments étaient essentiellement guidés
par des motifs économiques.
Par contre, nous avons dit que nous devions nous préparer à faire
des vaccinations si l'épizootie prenait une réelle ampleur. Pour
cela, il est important de posséder des stocks de vaccin suffisants. Nous
avons également dit que la vaccination devait s'accompagner d'un cycle
de destruction : il faut vacciner les animaux présents autour des
zones à risques pour éviter la propagation de l'épizootie,
pour ensuite supprimer les animaux.
Quoi qu'il en soit, le débat sur la vaccination contre la fièvre
aphteuse doit être relancé. Nous devons bien peser toutes les
conséquences engendrées par cette opération sur
l'élevage français. Au plus fort de la crise, nous avons appris
qu'un certain nombre de structures pharmaceutiques travaillent sur les vaccins
traceurs. Je crois que nous devons les encourager dans leurs recherches.
Le CNJA n'a pas d'avis tranché sur la vaccination. Les opinions sont en
effet divergentes au sein de notre structure. Certains y sont favorables, alors
que d'autres estiment qu'une vaccination entraînera des
répercussions sur l'exportation de nos produits en Europe et dans le
monde. Nous pouvons peut-être nous passer des exportations extra
communautaires, mais nous ne pouvons pas faire l'économie des
exportations à l'intérieur de l'Union.
Quelques actions ont été menées dans les ports pour
éviter la propagation de la fièvre aphteuse. Je rappelle que nous
serons bientôt en pleine période estivale. Or de nombreux Anglais
viennent passer leurs vacances en France. Nous espérons que cette
circulation importante des Britanniques sur notre territoire n'entraînera
pas une recrudescence de l'épizootie. Nous demandons donc fortement que
le maximum de précautions soit pris pour que cette hypothèse ne
se réalise pas. Après s'être débarrasé de ce
problème, nous espérons que l'été ne sera pas
marqué par la réapparition de la fièvre aphteuse sur notre
territoire.
VI. QUESTIONS DE LA MISSION
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Président, je
vous remercie. Je laisse la parole à Jean-Paul Emorine, notre rapporteur.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Monsieur le Président, je
voudrais vous poser deux questions. Vous avez dit que la crise a
été bien gérée. Mais, à un moment
donné, avez-vous émis l'hypothèse que
l'épidémie atteigne l'ampleur que la Grande-Bretagne a
connue ? Dans cette hypothèse, le monde agricole aurait-il
réagi de la même manière ? Aurait-il accepté
les mêmes contraintes ? En outre, j'aimerais connaître votre
point de vue sur une éventuelle campagne de vaccination.
M. Jean-Luc Duval -
Au coeur de la crise, nous n'étions pas
particulièrement à l'aise : en effet, nous avons émis
l'hypothèse que cette épizootie atteigne une grande ampleur. A
mon avis, si nous avions connu un nombre de cas de fièvre aphteuse plus
important, il est évident que nous aurions rapidement
déclenché une campagne de vaccination.
Nous avons été soulagés de voir que les cas de
fièvre aphteuse étaient présents dans l'ouest du pays. En
effet, nous avons le souvenir, dans ces régions, de cas de fièvre
aphteuse. Les Côtes d'Armor ont connu une telle situation en 1981,
et les agriculteurs se souvenaient que l'application de mesures strictes
permettait d'éradiquer l'épidémie. Si la fièvre
aphteuse était apparue dans le Massif Central, je ne crois que les
éleveurs auraient réagi de la même manière. Les
tempéraments sont différents d'une région à
l'autre. Par exemple, une manifestation s'est déroulée dans
l'Allier, alors que la Normandie n'a pas connu de mouvements de ce genre. Par
ailleurs, je rappelle que l'ESB panique tout le monde. L'addition des
deux crises est en effet catastrophique : le marché est
déprimé depuis l'ESB, et, avec la fièvre aphteuse, les
transactions et le transport ont été interdits. Le débat
sur l'abattage ne fait qu'alourdir le climat.
Ainsi, je ne crois pas que nous aurions pu tenir comme cela a été
le cas de l'autre côté de la Manche. A mon avis, c'était
impossible d'un point de vue politique, et il est clair que les organisations
syndicales n'auraient pas du tout eu la même attitude. Au-delà de
la vingtaine de cas, nous aurions craqué. Par ailleurs, les
médias se sont fait l'écho de la campagne de vaccination
menée par les Hollandais. Mais ils ont oublié de préciser
que la vaccination était suivie de la destruction des troupeaux
soupçonnés.
Concernant la vaccination, on nous a expliqué à une certaine
époque qu'il fallait l'arrêter car elle engendrait des coûts
importants et fermait certains marchés à l'export. Il
était plus pertinent de mettre en place des systèmes sanitaires
performants qui permettraient de n'avoir qu'un risque calculé. En fait,
nous nous apercevons que nous ne pouvons pas nous appuyer sur certains de nos
partenaires. La vaccination permettrait vraisemblablement de rassurer l'opinion
publique, mais nous devons réfléchir à toutes les
conséquences de telles campagnes.
En outre, il ne faut pas oublier que les producteurs de porc sont peu
favorables à une campagne de vaccination. En effet, ils exportent de
grandes quantités de produits en Asie, et il est clair que la
vaccination du cheptel porcin marquerait la mort de ces exportations.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous nous avez dit que la
stratégie hollandaise consistait à vacciner, puis à
détruire les troupeaux. Je dois vous avouer que nous avons eu d'autres
échos, qui faisaient état d'une stratégie de vaccination
visant à maintenir les troupeaux pendant un an. Les acheteurs ayant
indiqué qu'ils n'acquérraient pas cette viande, les Hollandais
ont décidé d'abattre les moutons.
M. Jean-Luc Duval -
Vous avez sûrement plus d'informations que
moi. Je peux juste vous dire que nous nous sommes renseignés sur le cas
hollandais, et je vous rapporte ici les informations qui nous ont
été transmises.
Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas cédé à la panique et
des mesures ont été prises en préalable. Par exemple, dans
l'Orne, un arrêté préfectoral a été pris
huit jours avant qu'un cas ne se déclare en Mayenne. A ce moment,
tout était en place sur le terrain. Si nous avions attendu la
déclaration du cas, nous n'aurions pas été
opérationnels immédiatement.
L'esprit de responsabilité des agriculteurs sur le terrain a
considérablement amoindri les risques de propagation de
l'épizootie. J'ai pu l'observer dans mon département, où
les agriculteurs ont parfaitement respecté les mesures prophylactiques
prises. Les exploitants sont parfaitement conscients qu'une épizootie de
fièvre aphteuse peut se propager comme un feu de brousse. Nous
bénéficions en effet d'une transmission orale de la connaissance
de cette maladie, qui a conduit à une réelle responsabilisation
de la part des éleveurs.
M. Dominique Braye -
Je vous avoue que j'ai été
étonné par certains de vos propos. Concernant l'épizootie
en Grande-Bretagne, je dois dire que je ne partage pas complètement
votre étonnement. En effet, le cheptel ovin de ce pays est plus
important que le nôtre, et surtout, la structuration du marché est
très différente. En effet, les marchés aux bestiaux sont
de très grande taille, et le sort a voulu que les animaux étant
à l'origine de l'épizootie de fièvre aphteuse aient
transité par deux des plus importants marchés de Grande-Bretagne.
En outre, je ne trouve pas choquant qu'un pays fasse appel à des
vétérinaires étrangers. Aucun état ne dispose des
structures vétérinaires lui permettant de faire face à une
crise de cette ampleur. Quant à la position des
vétérinaires sur la vaccination, je vous rappelle que certains
d'entre eux se sont toujours prononcés contre l'arrêt de la
vaccination. Par conséquent, je trouve tout à fait
légitime et normal que des vétérinaires demandent
aujourd'hui que les campagnes de vaccination reprennent, d'autant plus que
souvent ils étaient les relais des agriculteurs qui souhaitaient que les
vaccinations se poursuivent. En outre, je rappelle que cette Mission doit
étudier la question de la fièvre aphteuse dans sa
globalité. J'espère que les intérêts de chacun
laisseront la place à des considérations plus hexagonales. Il
serait intéressant que le monde agricole soit perçu dans sa
totalité. Monsieur Duval, vous avez dit que nous aurions
cédé à l'émotivité si le nombre de cas avait
été supérieur à 20. Je tiens néanmoins
à rappeler que la Grande-Bretagne connaît aujourd'hui
1 700 foyers de fièvre aphteuse, et elle refuse toujours la
vaccination. Cette dimension devrait nous amener à
réfléchir et à nous demander pourquoi les Britanniques
adoptent une telle politique.
M. Philippe Arnaud, président
- Avant de donner la parole
à Monsieur César, je voudrais dire que nous
réfléchissons bien dans une optique globale. Nous nous penchons
sur la situation de l'ensemble du monde agricole, sans nous focaliser sur des
intérêts particuliers. Concernant la vaccination, il est
évident que des solutions doivent être étudiées, au
minimum, à un niveau européen. Cela permettrait, le cas
échéant, de faire évoluer les réglementations
internationales de l'OIE. Il ne s'agit donc pas de poser de façon
abrupte la question de la vaccination si on ne l'intègre pas à
une réflexion globale. Quoi qu'il en soit, nous devons nous y
intéresser en regardant, par exemple, les évolutions
scientifiques pour les vaccins ou des alternatives permettant d'anticiper
d'éventuelles crises futures dont l'ampleur atteindrait celle que les
Anglais ont connue.
M. Gérard César
- Monsieur le Président, vous avez
évoqué tout à l'heure les pertes induites par
l'épizootie de fièvre aphteuse. Avez-vous une idée du
montant de ces pertes ? En outre, j'aimerais connaître votre point
de vue sur la traçabilité, les labels, les IGP et les AOC. Que
deviennent ces signes de qualité suite à la crise que nous avons
connue ? Ne pensez-vous pas que nous devrions les mettre en avant afin
d'éviter ce que nous venons de connaître ?
M. Louis Moinard
- En 1991, nous sommes passés d'une
obligation de vaccination à un interdit pur et simple. D'autre part, je
voudrais savoir si les Britanniques effectuent une solution aussi
poussée que nous pour les bovins. Je tiens en outre à rappeler
qu'auparavant les agriculteurs n'étaient pas aussi
spécialisés qu'aujourd'hui. Maintenant, les élevages sont
très sélectionnés et les éleveurs ont adopté
la voie de la spécialisation. Dès qu'une épizootie
survient, l'exploitation elle-même est mise en danger. On nous a dit
qu'en Grande-Bretagne, certains agriculteurs n'avaient pas su faire leur
sélection. L'épizootie de fièvre aphteuse a
représenté pour eux l'occasion de le faire. Certains ont abattu
leur cheptel, mais n'ont pas été traumatisés.
M. Jean-Luc Duval
- Il existe en France une forte structuration
administrative et agricole que l'on ne retrouve pas en Angleterre. Il n'y a pas
d'organisations professionnelles dans ce pays. En ce sens, je ne suis pas
étonné outre mesure que la crise de fièvre aphteuse ait
pris de telles proportions dans ce pays. Par exemple, un producteur de plats
cuisinés de Manchester possédait des bêtes atteintes de
fièvre aphteuse, et les autorités ne s'en sont rendu compte qu'au
bout de trois semaines. Sincèrement, je ne crois pas que de telles
situations soient possibles en France.
M. Dominique Braye -
Ce n'est pas ce qui nous a été dit
hier. Monsieur Van Goethem nous a dit qu'il n'était pas
possible de déterminer de manière exacte l'origine de la
fièvre aphteuse. En outre, il nous a précisé que les
autorités britanniques avaient découvert le cas auquel vous
faites référence avant trois semaines.
M. Jean-Luc Duval
- Je côtoie de temps en temps les fonctionnaires
communautaires. J'espère que la transparence est totale sur ce dossier.
Quoi qu'il en soit, je ne comprends pas comment l'épidémie de
fièvre aphteuse a pu concerner 1 500 cas en Grande-Bretagne.
Pour moi, une telle hypothèse est plausible en Argentine, dans la mesure
où il existe de très grands rassemblements de bétail.
M. Dominique Braye
- N'oubliez pas que 1 500 cas ne
représentent que 3 % du cheptel anglais.
M. Jean-Luc Duval
- Je suis d'accord. Mais les épizooties de
fièvre aphteuse que nous avons connues au cours des
précédentes années n'ont pas du tout eu cette ampleur. Les
Italiens et les Grecs ont réussi à éradiquer facilement
l'épidémie. En Grande-Bretagne, celle-ci a rapidement pris des
proportions dramatiques.
Par ailleurs, je crois que la Grande-Bretagne est allée trop loin dans
la déstructuration des organismes d'état. Par exemple, les
Britanniques sont incapables d'effectuer une identification de chaque animal,
alors que nous sommes tout à fait aptes à le faire.
M. Dominique Braye
- Monsieur Duval, n'oubliez jamais que la France a
été forte dans cette crise car elle dispose d'un réseau
d'épidémio-surveillance constitué par les
vétérinaires sanitaires. Pour l'instant, la grande
majorité d'entre eux ne peut plus vivre de leur seule activité
rurale, et sont obligés de se rabattre sur la clientèle canine.
La Nation profite donc de ce réseau de surveillance qui est payé
par des personnes qui font soigner leurs chiens et leurs chats par ces
vétérinaires.
M. Jean-Luc Duval
- Le CNJA s'est battu pour que nous
bénéficiions de formations de plus en plus poussées.
J'appelle le vétérinaire lorsque je ne peux pas faire autrement.
Si je le fais, c'est bien parce que j'ai épuisé un certain nombre
de solutions.
M. Dominique Braye
- C'est vrai. Souvent, le vétérinaire
ne peut plus rien faire, dans la mesure où l'éleveur a
déjà fait tout ce qui était possible. Mais pas
forcément de la meilleure façon. Par ailleurs, chaque agriculteur
détient aujourd'hui de nombreux médicaments, mais ils ne sont pas
toujours utilisés à bon escient. Si les médicaments
étaient toujours correctement utilisés par les éleveurs,
le vétérinaire ne servirait plus à rien ou les
éleveurs seraient les vétérinaires !
M. Jean-Luc Duval
- C'est juste, et le métier de
vétérinaire devient moins intéressant qu'auparavant.
Personnellement, j'arrive à soigner seul mes bêtes.
Vous avez signalé que vous n'étiez pas surpris que la
Grande-Bretagne fasse appel à nos vétérinaires.
Très franchement, j'ai l'impression que des erreurs ont
été commises en Angleterre. En France, nous disposons de services
de proximité, les DSV ou les GDS par exemple. Si l'Angleterre avait
bénéficié de ces structures, l'épizootie ne se
serait peut-être pas propagée à cette vitesse.
Nous avons montré du doigt depuis longtemps l'état de
dépendance de notre production ovine. Par ailleurs, il est
évident que la récente crise a permis à l'opinion publique
d'en prendre conscience également. Les associations de défense de
consommateurs le savent, et ont compris que la logique du moindre coût
avait des limites. Par conséquent, elles se prononcent aujourd'hui pour
une relance de la production ovine sur le territoire français.
Même si l'épizootie n'a pas de conséquence sur l'homme, les
consommateurs se posent logiquement des questions.
M. Dominique Braye
- En l'occurrence, ne croyez-vous pas que c'est le
marché qui commande ?
M. Jean-Luc Duval
- Lorsque je vois comment l'organisation commune de
marché sur la production ovine est élaborée, je me dis
parfois que le but est de rayer complètement de la carte cette
production. La politique du plus bas prix et son ajustement au marché
mondial montre effectivement que le marché commande. Si nous voulons
conserver des paysans sur l'ensemble de notre territoire, il faudra modifier
cette politique.
Les prises de position par rapport à la vaccination sont avant tout
guidées par le degré de connexion et de connaissance du
marché. En effet, certains agriculteurs sont soumis plus que d'autres au
marché. Par exemple, les producteurs de porc le comprennent
parfaitement : lorsque le kilo de porc est vendu cinq francs, les
producteurs perçoivent en effet toute la réalité du
marché. En outre, les producteurs porcins sont très bien
organisés : ils disposent de relais qui les informent de
l'état du marché du porc. Par contre, la production ovine ne
bénéficie pas de ce degré d'organisation. J'espère
sincèrement que la crise que nous vivons actuellement nous permettra de
rebondir. En effet, il est essentiel que les éleveurs ovins
bénéficient d'une meilleure connaissance de leur marché.
Ils doivent apprendre que l'on produit pour le consommateur. Celui-ci n'a plus
à se mettre au niveau de la production.
Par ailleurs, il est apparu que les comportements par rapport à la
vaccination n'étaient pas les mêmes sur tout le territoire. Si le
Morvan avait connu des cas de fièvre aphteuse, je suis persuadé
que le climat aurait été beaucoup moins serein, et les
réactions du monde agricole auraient vraisemblablement été
plus violentes.
Concernant les pertes, nous avons estimé que nous avions besoin de
1,8 million de francs pour le département de l'Orne. Je n'ai pas
les chiffres pour l'Eure et la Mayenne. En outre, il faudra également
indemniser les industries agroalimentaires. Si certaines d'entre elles
déposent le bilan, l'Etat en portera la responsabilité.
Je voudrais revenir sur la question de la structuration de l'agriculture
britannique. Il est évident qu'ils sont plus pragmatiques que nous, et
éprouvent vraisemblablement un attachement moindre à leurs
troupeaux. Effectivement, il est envisageable que certains aient profité
de la fièvre aphteuse pour renouveler leurs troupeaux grâce aux
indemnités qui seront versées. Quoi qu'il en soit, je ne peux
apporter aucune certitude sur cette question.
Enfin, nous sommes conscients que les exportations françaises de biens
alimentaires représentent une ressource importante pour la nation. Par
conséquent, nous devons faire très attention aux décisions
que nous prendrons. Cependant, si la dimension économique est
essentielle, nous devons absolument prendre en compte d'autres aspects.
M. Paul Raoult
- Il existe dans nos régions quelques
éleveurs, très minoritaires, qui laissent mourir leurs
bêtes dans les pâtures. Ils sont complètement
déconnectés de la vie locale et,
a fortiori
, des
réseaux existants. Ils représentent des dangers permanents de
contamination, mais nous ne disposons pas aujourd'hui de procédures
légales d'élimination de ces troupeaux qui sont dans une
situation d'abandon. Ces agriculteurs mettent en péril tous les
exploitants qui sont à proximité, qui travaillent correctement et
intelligemment. Par conséquent, nous devons réfléchir, au
niveau législatif, sur notre capacité à mettre fin
à de telles situations. De tels cas sont isolés, mais ils
existent. Je crois qu'ils seraient suffisants pour assurer le
développement de l'épidémie.
M. Jean-Luc Duval
- Il existe à côté de chez moi une
exploitation qui se trouve exactement dans la situation que vous
décrivez. Nous avons insisté lourdement au niveau de la DSV pour
que le troupeau soit saisi. Souvent, ces agriculteurs n'ont aucun contact avec
l'extérieur. Le risque est amoindri, mais il existe néanmoins. Il
est évident que nous nous devons d'intervenir.
M. Dominique Braye
- Hier, Monsieur Van Goethem nous a dit que
l'épizootie de fièvre aphteuse en Grande-Bretagne était
peut-être partie d'un élevage porcin qui se trouvait sous
surveillance pour mauvais traitement à animaux. En France, il existe une
procédure permettant de saisir un troupeau pour mauvais traitement.
M. Paul Raoult
- Cela suppose cependant que le préfet et le
sous-préfet prennent leurs responsabilités.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur Duval, je vous remercie
pour votre intervention. Si vous souhaitez nous faire parvenir des documents
complémentaires, ou si vous voulez nous faire part de nouvelles
réflexions, nous sommes à votre entière disposition.
25. Audition de François Lucas, Président national de la coordination rurale
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous accueillons maintenant
M. François Lucas, Président national de la coordination
rurale. Monsieur le Président, vous allez nous présenter la
position de la coordination rurale sur la récente épizootie de
fièvre aphteuse. Vous nous livrerez également vos
appréciations sur la manière dont cette crise a été
gérée en France et au niveau européen. Si vous avez des
propositions permettant d'anticiper une éventuelle future crise, nous
serons heureux de les connaître. Je vous laisse la parole.
M. François Lucas
- C'est avec beaucoup d'intérêt
que j'ai noté que vous aviez constitué une Mission d'information
sur la fièvre aphteuse. Cet épisode mérite en effet que
nous nous posions des questions sur la manière dont nous avons
conçu, depuis quelque temps, la sécurisation vis-à-vis des
épizooties. Il permettra peut-être de tirer des leçons pour
l'avenir.
J'ai décomposé mon intervention sur trois points : la
gestion de la crise, l'indemnisation des éleveurs et la vaccination.
I. LA GESTION DE LA CRISE
Nous pouvons considérer que cette crise a été globalement
bien gérée. Néanmoins, il a fallu attendre une semaine
pour que des mesures énergiques soient prises. La présence de
fièvre aphteuse en Angleterre a été
révélée de manière officielle le
21 février, et des mesures ont été prises en France
le 28. Cette période correspond à la tenue du Salon de
l'agriculture à Paris, où des moutons reproducteurs anglais
étaient présents. Ils ont côtoyé le fleuron de la
génétique française, et ce salon a été
fréquenté par de nombreux visiteurs. Je dois vous avouer que nous
avons été très étonnés qu'un tel risque soit
couru.
Sur un plan technique, les décisions prises correspondent aux mesures
réglementaires qui ont été décidées quelques
jours avant l'interdiction de la vaccination, en 1992. Nous pouvons noter
que le Ministère de l'agriculture est allé au-delà de ces
dispositions, qui prévoyaient que les animaux seraient mis en
quarantaine s'il existait une simple suspicion de fièvre aphteuse.
L'abattage des animaux ne serait décidé que si l'existence de la
maladie devenait avérée.
Nous avons assisté à un abattage de tous les animaux
identifiés comme venant d'Angleterre, sans même que des analyses
et des sérologies aient été effectuées :
à partir du moment où les animaux étaient anglais, ils
étaient considérés comme étant infectés.
Cette manière de procéder a été corrigée
lorsqu'un agriculteur de Maubeuge a menacé d'attaquer le préfet
de son département : il estimait que la procédure
réglementaire n'était pas respectée et demandait que des
analyses soient effectuées avant tout abattage. C'est à partir de
ce moment que les dispositions réglementaires ont été
appliquées strictement.
Au niveau des services techniques, le dispositif a parfaitement
fonctionné. Nous avons en effet constaté que la prévision
des actions à mener a été très bonne.
II. L'INDEMNISATION DES ÉLEVEURS
Concernant l'indemnisation des éleveurs, je crois que nous devons
distinguer plusieurs catégories. Tous les éleveurs ont
été touchés par cette crise, mais nous devons
opérer une distinction entre ceux dont les animaux ont été
abattus, ceux vivant dans les départements où des cas ont
été décelés et l'ensemble des éleveurs qui
ont souffert de la situation.
Les éleveurs qui détenaient des moutons venant d'Angleterre ont
vu leurs troupeaux abattus rapidement. Les premiers abattages ont
été effectués le 1
er
mars. Ces
éleveurs pensaient qu'ils seraient indemnisés à hauteur du
prix d'achat des animaux, ce qui n'a pas été le cas. Ils ont
appris le 7 mars que les moutons seraient payés 500 francs, et
les bovins 5 000 francs. Ce montant pouvait être modulé
en fonction des expertises.
Aujourd'hui, ces éleveurs n'ont toujours pas été
indemnisés, et un doute subsiste sur le montant qu'ils percevront. S'ils
sont certains de recevoir au moins 500 francs, ils n'ont obtenu aucun
engagement pour le remboursement du complément.
Pour les animaux français ayant été en contact avec les
moutons anglais, la règle précédente a été
appliquée. Lorsque cela concernait les éleveurs de moutons, le
montant de l'indemnisation a une valeur relative. En effet, nous nous situions,
au moment de la fièvre aphteuse, dans une période d'agnelage. Une
brebis et un agneau étant indemnisés pour l'ensemble à
1000 francs, cela représentait un montant correct.
Pour les bovins français, les indemnisations ont également
été correctes. L'annonce des niveaux d'indemnisation a priori bas
aurait pu entraîner un danger si nous étions entrés dans
une phase d'abattage massif. En effet, le montant annoncé aurait eu un
effet dissuasif et aurait vraisemblablement conduit certains éleveurs
à ne pas déclarer les cas de fièvre aphteuse.
Des mesures très sévères ont été prises dans
les départements ayant connu des contaminations. Deux niveaux
d'indemnisation ont été décidés : les
éleveurs se trouvant dans les périmètres de
sécurité ont bénéficié d'un dispositif
d'aides publiques complémentaires au montant prévu pour les
abattages. Ce montant permettait de prendre en charge les frais liés
à la rétention des animaux. Par ailleurs, des indemnités
ont été versées par la FNGDS. La mutualisation de ces
fonds, collectés depuis l'arrêt de la vaccination, a permis
d'apporter un complément substantiel aux aides publiques.
Les éleveurs vivant dans les départements touchés, mais
en-dehors des zones de sécurité, ont perçu une aide
publique tenant compte des frais inhérents à la rétention
des animaux. Par contre, il semble qu'une dépréciation soit
survenue, en particulier pour les jeunes bovins. Les éleveurs n'ont pas
pu négocier leurs animaux à leur réelle valeur.
Tous les autres éleveurs ont été victimes de
l'épizootie à travers les répercussions qui ont
touché le marché des animaux. Ceux-ci n'ont pu prétendre
à aucune indemnité au titre de l'épizootie de
fièvre aphteuse.
III. LE DÉBAT SUR LA VACCINATION
Nous avons été les premiers à demander la reprise de la
vaccination à Monsieur Glavany. Nous conservons encore cette analyse
aujourd'hui, dans la mesure où cette position relève du simple
bon sens. Nous sommes toujours persuadés que l'interdiction de la
vaccination, sous la pression anglaise, a constitué une
régression.
L'arrêt de la vaccination a en effet été demandé par
les Britanniques. Ceux-ci ne vaccinaient pas leurs animaux, et ils ont
réussi à convaincre l'ensemble de leurs partenaires
communautaires de l'inutilité de cette opération. Mais, la
mondialisation multiplie les échanges d'animaux et le
développement des transports favorise la propagation des virus.
En 1991, la fièvre aphteuse était en passe d'être
éradiquée en Europe. C'était bien grâce à la
politique de vaccination préventive, mise en place en 1962, que la
fièvre aphteuse a pu régresser. Elle était en passe
d'être éradiquée au début des années 90,
et il était relativement logique d'arrêter les vaccinations
systématiques.
En 1996, suite à l'épizootie qui s'était
déroulée en Grèce et dans les Balkans, nous avions
rappelé le risque d'une non-vaccination. L'Observatoire international
des épizooties a rappelé récemment que si le nombre de
pays touchés par la fièvre aphteuse est à peu près
stable, l'ampleur des épizooties augmente fortement. Le virus de la
fièvre aphteuse demeure donc présent.
En Europe, le risque s'accroît d'autant plus que la protection
résiduelle due à une longue politique de vaccination diminue
progressivement. En outre, nous pensons que la fragilité et la
sensibilité des troupeaux s'accroissent à cause de leur
concentration. Sans parler des conséquences économiques et
sociales, nous pensons qu'il est possible d'éradiquer cette maladie par
la simple destruction des animaux. En effet, la durée de vie du virus
est longue, et tous les animaux sauvages constituent des porteurs potentiels.
Nous ne pouvons pas prétendre les éliminer totalement.
Evidemment, les conséquences économiques dépassent
largement le simple coût de l'abattage des animaux. En effet, il faudrait
également évaluer les conséquences en cascade qui ont
touché la filière viande et la filière lait. Par ailleurs,
le capital génétique des troupeaux, les perturbations sur les
marchés et les incidences sur les prix à la consommation doivent
également être pris en compte. Enfin, l'état psychologique
des acteurs, directement exposés à l'épizootie, est
impossible à indemniser.
Les arguments lancés contre la vaccination sont très souvent
empreints de mauvaise foi et font parfois preuve d'une absence totale de
rigueur. Par exemple, Monsieur Byrne a dit que la vaccination devrait
être effectuée deux fois par an, ce qui entraînerait
des coûts exorbitants. En France, nous pratiquions cette vaccination
une fois par an, ce qui s'avérait largement suffisant : c'est
ce que nous pouvons lire dans « Les dossiers du ministre de
l'agriculture ».
En outre, certains ont dit qu'il était impossible de distinguer les
animaux malades des animaux vaccinés. Cet inconvénient ne tient
que vis-à-vis des exportations et, à notre sens, la question de
la vaccination doit concerner l'Union européenne et non la France. Dans
ce cas, ce problème ne concerne plus que les exportations vers les pays
tiers, qui restent très marginales. Par ailleurs, des techniques
permettent d'identifier la nature des anticorps et,
a fortiori,
les
animaux vaccinés.
Il a également été dit que la vaccination peut provoquer
le développement de la maladie. C'est vrai, mais ce risque existe pour
tous les vaccins. Si cet argument est utilisé, il rend caduques toutes
les vaccinations humaines qui ont été reconnues comme un
réel progrès pour l'humanité. En outre, cet
inconvénient est bien faible au regard de la sécurité que
nous gagnerions en vaccinant tout le cheptel.
Certains estiment qu'il est difficile d'identifier les souches qui sont
à l'origine des maladies. Ce travail appartient aux laboratoires, qui
adaptent les vaccins aux souches. Cette question ne se posait pas lorsque nous
pratiquions la vaccination.
Par conséquent, nous estimons que la gestion de cette crise a
été relativement bonne au niveau français. Par ailleurs,
je crois que le traitement de la question de la vaccination relève d'un
niveau européen, et non de la France. L'examen de la situation
britannique devrait nous inciter à revenir à une politique
préventive de vaccination. En outre, le traitement médiatique de
cette crise, où des images très traumatisantes ont
été diffusées, pose la question de la
crédibilité des hommes politiques français et
européens. En effet, nous ne pouvons pas nous permettre de
connaître à nouveau ces images de massacres gigantesques
d'animaux, marquantes tant pour les éleveurs que pour la population
toute entière.
IV. QUESTIONS DE LA MISSION
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur Lucas, je vous remercie. Je
laisse la parole à notre rapporteur.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous n'avez pas évoqué
la question de l'identification des ovins. Qu'en pensez-vous ?
Je voudrais connaître également votre position par rapport aux
acheteurs de moutons qui, comme vous l'avez dit, ne seront indemnisés
qu'à hauteur de 500 francs par animal. Pour la fête de
l'Aïd, qui a eu lieu en pleine crise de fièvre aphteuse, certains
négociants ont vendu des moutons d'importation, peu chers à la
base, à un prix supérieur à 500 francs.
Vous avez parlé des aides publiques qui ont été
versées aux éleveurs présents dans les zones étant
en-dehors des périmètres infectés. Jusqu'à
présent, personne ne nous a dit que ces agriculteurs avaient
été indemnisés. Pouvez-vous nous dire quelle est l'origine
de ces financements ?
M. François Lucas
- Concernant la traçabilité, il a
été mis en évidence que l'identification des moutons
restait approximative. Il est vrai qu'elle devrait être
améliorée. Mettre en place une traçabilité efficace
s'avère en outre nécessaire au niveau européen. En effet,
lorsque je vois les prix des moutons anglais, je me dis parfois que certains
sont peut-être importés. Une bonne traçabilité
permettrait ainsi de faire le tri entre les moutons réellement
élevés sur le sol britannique et les bêtes qui ne font que
transiter par cet état.
Il est évident que les importateurs ont été montrés
du doigt. Mais ils sont souvent à la fois acheteurs et éleveurs.
Ceci montre tout le problème du double marché du mouton
français de qualité. Celui-ci ne représente qu'une faible
part de la consommation française, et les éleveurs sont
obligés de devenir négociants de moutons anglais. Ces derniers
transitent parfois par des exploitations où sont élevés
des moutons français. Je crois que nous devons considérer cette
situation comme un des avatars de la distorsion qui marquent la politique
agricole de l'UE.
Concernant les indemnités, je sais que certains éleveurs de
Mayenne pensent en recevoir suite aux lourdes mesures d'interdiction de sortie
des animaux. J'ai parlé de dépréciation car ces
éleveurs de Mayenne ont été sous les feux des projecteurs,
et ont donc logiquement rencontré des difficultés pour vendre
ensuite leurs bêtes. Cette dimension n'a pas été prise en
considération. Par ailleurs, des éleveurs possédaient des
broutards qu'ils souhaitaient vendre. En raison des mesures prises, les
éleveurs n'ont pas pu les vendre. Lorsque les ventes ont
été à nouveau possibles, ils n'étaient plus des
jeunes bovins, et leur valeur était logiquement moindre.
L'indemnisation a donc été correcte dans les
périmètres de sécurité. Cela n'a pas
été le cas dans les zones périphériques, où
tous les aspects du problème n'ont pas été pris en compte.
Concernant les fonds, je crois savoir que ce sont des mesures prises
spécifiquement pour les départements concernés. En outre,
je vous rappelle que cette crise est venue s'ajouter, pour l'ensemble des
éleveurs, à la crise de l'ESB. Mais aucune mesure n'a
été prise pour cette population.
M. Dominique Braye -
Manifestement, vous constatez que la crise a
été bien gérée par les services
vétérinaires et les autorités françaises.
Néanmoins, vous y mettez un bémol : vous rappelez qu'aucune
mesure n'a été prise entre le 21 et le 28 février, et
vous sous-entendez que cette absence de décisions devait permettre un
bon déroulement du Salon de l'agriculture. Personnellement, je crois que
cette décision a été bonne, étant donné que
le risque zéro n'existe pas. Les autorités françaises ont
pris des risques calculés, estimant que l'annulation du Salon de
l'agriculture aurait été particulièrement
préjudiciable.
En outre, vous avez mis un second bémol en évoquant les
dispositions réglementaires, qui n'ont pas été
complètement respectées. Il faut en effet se demander si la
décision d'abattre rapidement les animaux est bonne. Si c'est le cas,
les dispositions réglementaires ne sont pas adaptées à la
crise et elles méritent d'être revues. Je crois personnellement
que les services qui ont pris cette décision ont été
d'autant plus courageux qu'ils ne respectaient pas totalement les dispositions
réglementaires en vigueur. Aujourd'hui, nous devons peut-être
faire pression pour une modification de ces dispositions, permettant d'arriver
à une bonne gestion de la crise. Si les dispositions
réglementaires ne sont pas parfaitement adaptées, nous devons en
période de crise en faire abstraction afin d'éviter le pire et
les modifier après la crise de façon à pouvoir
gérer les évènements futurs d'une meilleure façon.
Nous avons déjà beaucoup débattu sur la question de la
vaccination au sein de notre mission d'enquête. J'ai été
très étonné que vous compariez la vaccination humaine et
la vaccination animale. Je vous rappelle que la vaccination humaine doit
permettre de préserver des vies, alors que la vaccination animale a pour
but d'obtenir des animaux sains dont la mort est de toute façon
programmée. A mon avis, il faut éviter de mettre en
parallèle ces deux dimensions, sans quoi nous courons le risque
d'affoler inutilement les populations.
On m'a toujours appris que la prophylaxie médicale était bien
supérieure à la prophylaxie vaccinale. Cette dernière ne
doit constituer qu'un passage permettant d'atteindre une prophylaxie
médicale. La variole humaine constitue à cet égard un
exemple flagrant. Je trouve qu'il est encourageant de constater que
l'état sanitaire de notre pays nous permet de nous passer de la
vaccination.
Vous prônez le maintien de la vaccination. Mais vous ne prenez pas en
compte la dimension économique du problème, dans la mesure
où une reprise de la vaccination poserait de réelles
difficultés pour l'exportation de certains animaux et de certains
produits. Vous évoquez le stress dont souffrent les éleveurs face
à une éventuelle épidémie, mais je crois que le
stress du dépôt de bilan est autrement plus important et beaucoup
plus rapide.
Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que les souches de la fièvre
aphteuse que nous connaissons aujourd'hui ne sont plus les mêmes que
celles que nous connaissions en 1991. Aujourd'hui, aucun fabricant n'est
capable de certifier que les vaccins qu'il produit pourront permettre une
protection contre une souche donnée. Je crois qu'il faut être
prudent quant à la vaccination, et éviter de tenir des propos
trop catégoriques. En outre, les Anglais connaissent aujourd'hui
1 700 cas de fièvre aphteuse, mais ils n'ont toujours pas
décidé de lancer des campagnes de vaccination. Il doit
forcément y avoir une raison.
Vous avez dit que la faune sauvage constituait un réservoir important de
fièvre aphteuse. Je crois que ce cas est essentiellement
théorique, dans la mesure où nous n'avons jamais connu dans les
pays occidentaux d'épizootie de fièvre aphteuse dont l'origine se
situait dans le monde sauvage. J'en veux pour preuve que les Pays-Bas, qui
avaient pourtant demandé de vacciner les animaux sauvages contre la
fièvre aphteuse, ne l'ont toujours pas fait à ce jour.
M. François Lucas -
Peut-être le risque a-t-il
été effectivement dosé pour le Salon de l'agriculture.
Pour autant, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'un risque réel
a été pris.
En outre, nous pouvons éventuellement considérer que la
réglementation n'est pas adaptée. Mais les agriculteurs sont
habitués à respecter la réglementation, et il est
surprenant de voir que les garants de la loi ne la respectent pas. Il
n'empêche que deux traitements ont été
effectués, dans la mesure où le recours de l'agriculteur de
Maubeuge a permis une application de la loi. Cela n'a pas été le
cas avant cet épisode. Je peux comprendre que les abattages aient
été effectués en vertu du principe de précaution,
mais il est gênant de constater une distorsion dans l'application de la
réglementation.
Concernant la comparaison entre la vaccination humaine et la vaccination
animale, je vous dirais que les agriculteurs vivent avec leurs animaux, pour
lesquels ils ont une réelle affection et un certain respect. C'est vrai,
leur destination finale est l'abattoir ; mais nous nous battons,
jusqu'à ce moment, pour assurer leur bien-être. Nous n'avons
peut-être pas la même sensibilité que vous sur ce point.
M. Dominique Braye -
Je ne vous permets pas de dire cela : on vit
pour ses enfants, mais on vit de ses animaux, même si l'on doit
naturellement veiller à leur bien être pendant toute leur vie.
M. François Lucas -
Je suis agriculteur, et j'assume mon
affection pour les animaux. Ceci étant dit, il est évident que
les enfants passent en priorité.
Je crois que les éleveurs ont vécu un double stress : ils
craignaient d'être confrontés à la fièvre aphteuse,
et avaient peur des répercussions économiques, qui ont d'ailleurs
été instantanées.
Vous avez évoqué la prévention médicale, qui serait
meilleure que la prévention vaccinale. Mais nous pouvons, dans ce cas,
nous demander pourquoi nous avons lancé une campagne de vaccination
en 1962 : le but était bien d'arriver à
l'éradication.
Concernant les souches, je reconnais qu'il existe une difficulté pour
savoir si les vaccins sont adéquats. Il n'empêche que les
laboratoires ont toujours trouvé des solutions lorsqu'on le leur
demandait. Il est vrai que la réglementation actuelle ne les encourage
pas à produire de nouveaux vaccins contre la fièvre aphteuse.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur Lucas, je vous remercie
de votre contribution. Si vous souhaitez nous faire part de réflexions
complémentaires susceptibles d'alimenter notre débat, vous pouvez
nous les transmettre par écrit.
M. François Lucas -
Je vous remercie de m'avoir reçu.
26. Audition de M. Rousseau et de Mme Pascale Poiron, Président et Secrétaire générale de la Fédération française des marchés de bétail à vif
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous accueillons maintenant Monsieur
Rousseau, Président de la Fédération française des
marchés de bétail à vif, et Pascale Poiron, qui est
Secrétaire de cette Fédération. Je vous remercie d'avoir
répondu à notre invitation, et je vous propose de rentrer
immédiatement dans le vif du sujet. Vous nous donnerez votre analyse de
la gestion de la crise de la fièvre aphteuse aux niveaux français
et européen, ainsi que votre point de vue sur la réglementation
en vigueur. Evidemment, vous nous ferez part des difficultés dont a
souffert votre secteur économique.
M. Rousseau
- Monsieur le Président, je vous remercie de recevoir
la Fédération des marchés de bestiaux. Je suppose que vous
connaissez tous ces marchés, dans la mesure où tout élu
est allé, au moins une fois, sur un marché aux bestiaux.
I. LA GESTION DE LA CRISE
Lorsque cette crise a débuté, je me trouvais sur le marché
à bestiaux d'Ashford, en Angleterre. Or je n'ai été
informé de l'épizootie qu'à mon retour en France, le soir
même. Je dois vous dire que j'ai été
particulièrement surpris, et je me demande même si les Anglais
savaient que la fièvre aphteuse était présente sur leur
territoire.
Je crois par ailleurs que la fête de l'Aïd constitue un aspect
non-négligeable de cette crise. En effet, de nombreux moutons ont
été importés d'Angleterre pour pouvoir satisfaire la
demande inhérente à cet événement. Un réel
trafic s'est donc constitué, sans que le moindre contrôle ne soit
effectué.
Lorsque les premiers cas suspects ont été découverts,
des mesures drastiques ont été prises, à travers, par
exemple, les premiers abattages. Je reconnais que ces décisions ont
sans aucun doute permis de réduire les risques de propagation de la
maladie, mais je ne suis pas certain en revanche qu'il était
nécessaire d'abattre tous ces animaux. Surtout, ces abattages ont
été effectués dans un certain désordre, et les
autorités ne se sont parfois même pas posé la question de
savoir si les troupeaux étaient sains.
Par ailleurs, les mesures n'ont pas du tout été appliquées
de la même manière d'un département à l'autre. Quoi
qu'il en soit, l'impact de celles-ci a été fort, puisque tous les
circuits commerciaux se sont arrêtés.
Par la suite, nous avons observé une reprise progressive de
l'activité. D'un point de vue fédéral, j'estime que la
situation n'est pas redevenue totalement normale. En effet, les marchés
aux bestiaux ont réouvert difficilement, à travers une logique
progressive. Je dois dire que cette situation a été
particulièrement pénalisante pour les emboucheurs. Par ailleurs,
le marché ovin n'est pas encore complètement réouvert, ce
qui est totalement illogique. En effet, je ne crois pas que les éleveurs
et les marchands de moutons français soient responsables de cette
épizootie. Il est maintenant urgent que le Ministère autorise la
réouverture totale de ce marché.
Globalement, la crise a été correctement gérée en
France. Au niveau européen, les marchés belges ont
réouvert la semaine dernière. Evidemment, les marchés
anglais et irlandais sont toujours fermés. Les marchés espagnols
fonctionnent également. Ce commerce est donc en train de repartir, mais
il existe toujours des difficultés pour que les marchés
fonctionnent de manière optimale. En outre, les références
et les cotations sont données à partir du marché.
L'ensemble de la filière a donc été
pénalisée, dans la mesure où les cours se sont
effondrés et où nous ne disposions plus de
références. Ces cours se reconstruisent néanmoins peu
à peu.
Par ailleurs, vous savez que les marchés doivent recevoir un
agrément. J'aimerais vraiment que tous les marchés
français soient soumis aux mêmes normes : les grands
marchés se doivent de se soumettre à des normes
particulièrement drastiques, et tous les petits marchés, les
foires par exemple, se trouvent dans une situation de vide juridique et peuvent
parfois presque faire ce qu'ils veulent. Il serait intéressant que le
Ministère intervienne et définisse un consensus, permettant
à tous les marchés de fonctionner sur les mêmes
règles. Il est inacceptable que la vente de bestiaux ne soit pas soumise
à des règles communes.
II. QUESTIONS DE LA MISSION
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Président, je
vous remercie. Nous allons donner la parole à notre rapporteur, qui
souhaite vous poser quelques questions. Auparavant, je souhaiterais savoir
quelles sont les règles qui régissent les marchés aux
bestiaux. Ces règles sont-elles différentes en fonction des
catégories d'animaux ? En outre, ces règles sont-elles
uniformisées à l'échelle européenne ? Dans le
cas contraire, chaque Etat fixe-t-il ses propres règles ? Enfin, je
voudrais savoir s'il existe des directives européennes concernant la
dimension sanitaire du problème.
M. Rousseau
- Les règles françaises en matière
d'agrément des marchés aux bestiaux découlent d'une
directive européenne.
Mme Pascale Poiron
- Les règles communautaires sont
extrêmement claires concernant le marché des bovins. Une directive
européenne et un règlement définissent les
agréments pour les centres de rassemblement. Tous les marchés aux
bovins doivent se plier à ces règles. Nous avons visité de
nombreux marchés en Europe, et j'ai vraiment eu l'impression que les
textes étaient appliqués.
En revanche, les textes européens sur l'identification des ovins ne
semblent pas être appliqués. Nous l'avons constaté sur les
marchés d'Ashford par exemple. En outre, il n'existe pas de
règles communautaires concernant les marchés aux ovins. Ces
marchés ont donc adopté les règles de fonctionnement des
marchés aux bovins.
M. Rousseau
- En d'autres termes, les marchés ovins ne
fonctionnent pas tous de la même manière en Europe. Nous avons vu
le marché d'Ashford, et nous avons constaté que l'organisation
était différente de celle que nous connaissions en France.
Mme Pascale Poiron
- En France, nous disposons de procédures pour
que les animaux soient identifiés systématiquement. Les animaux
sont également identifiés en Grande-Bretagne, mais cette
identification est beaucoup moins rigoureuse.
M. Rousseau
- En France, les animaux sont enregistrés à
l'entrée du marché et à la sortie. Nous savons donc
précisément quels animaux ont été vendus, quels
sont les acheteurs et les vendeurs. Nous sommes donc particulièrement
clairs en France.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Monsieur le Président, vous
êtes responsables des marchés de bétail à vif, et je
me limiterai donc à ceux-ci. Pendant la crise, les gérants des
marchés aux bestiaux ont logiquement vu leurs recettes
disparaître, dans la mesure où les marchés ont
été fermés. Pouvez-vous nous dire si une indemnisation est
prévue ? Une estimation a-t-elle été
effectuée ? Le Ministère vous a-t-il donné des
perspectives de remboursement ? Par ailleurs, une telle crise
révèle parfaitement les dysfonctionnements des marchés
anglais. Selon vous la récente épizootie peut-elle provoquer un
ralentissement de l'activité des marchés français de
bétail vif ?
M. Rousseau -
Nous avons reçu au départ une proposition -
très minime, je tiens à le signaler - d'indemnisation pour les
gestionnaires privés. Cette indemnisation s'élèverait
à 25 % des pertes subies en termes de chiffre d'affaires.
Mme Pascale Poiron
- Par ailleurs, rien n'est prévu pour les
gestionnaires publics.
M. Rousseau -
En effet, l'Etat n'a pas prévu d'indemniser les
communes qui possèdent des marchés aux bestiaux. Cette situation
est d'autant plus dramatique que ces marchés ne sont pas l'apanage des
grandes villes. La plupart des marchés aux bestiaux sont
localisés dans des zones rurales. Par exemple, la municipalité de
Saint-Christophe est déjà confrontée à
d'importantes difficultés pour mettre son marché aux normes. Si
elle ne reçoit pas une aide, il est probable que le marché
fermera. Une telle hypothèse aurait en outre des conséquences sur
les éleveurs, qui seraient obligés de se déplacer sur un
marché plus éloigné.
Actuellement, l'activité des marchés repart. En ce sens, il est
évident que nous parviendrons, en France, à limiter les
dégâts. Quoi qu'il en soit, il est évident que d'autres
pays européens doivent absolument revoir leur système de
marchés aux bestiaux. Personnellement, j'ai été
profondément choqué de constater que les Anglais ne savaient
peut-être pas qu'une épizootie de fièvre aphteuse
était présente sur leur territoire. En revanche, les Belges ont
pris des mesures drastiques.
M. Dominique Braye -
Vous pensez que l'apparition de fièvre
aphteuse en France est due à une certaine dose de malchance, dans la
mesure où elle est survenue au moment de la fête de l'Aïd,
qui s'est accompagnée d'une importation massive de moutons en provenance
d'Angleterre.
M. Rousseau -
Je ne sais pas si nous pouvons parler de malchance.
Parfois, j'ai tendance à penser que cette épidémie n'est
pas due au hasard.
J'étais au Brésil en septembre dernier, et j'ai remarqué
qu'il existait des cas de fièvre aphteuse dans ce pays.
Jean-Paul Emorine -
Le rapport de l'OIE, daté du
19 janvier 2001, dit pourtant très clairement qu'il n'y avait
pas de fièvre aphteuse au Brésil...
M. Rousseau
- Je suis formel : il y avait des cas de fièvre
aphteuse au Brésil au mois de septembre 2000. Même les
journaux brésiliens en faisaient état.
M. Dominique Braye -
Vous dites que l'épizootie de fièvre
aphteuse n'est pas le fruit du hasard. Vous supposez donc que cette
épidémie ferait partie d'une guerre économique
menée dans le but d'amoindrir la capacité d'exportation des
éleveurs européens ?
M. Rousseau
- C'est mon sentiment, en effet.
Mme Pascale Poiron
- Les pouvoirs publics ont pris des mesures de
fermeture le mardi qui a suivi la fête de l'Aïd, alors qu'elles
auraient pu être prises le lundi, jour de la fête.
M. Dominique Braye -
Les abattoirs de ma région ont reçu
l'ordre d'abattre les moutons avant le mardi.
Mme Pascale Poiron -
Certes, mais les décisions de fermeture des
abattoirs ont été prises après la fête de
l'Aïd.
M. Rousseau
- Les moutons sont des porteurs anonymes. Ils peuvent
être porteurs de la fièvre aphteuse sans que cela ne soit visible.
M. Louis Grillot
- Que faites-vous des bêtes de renvoi sur vos
marchés ?
M. Rousseau
- Légalement, pour les bovins, il n'y a aucun
problème pour classer ces animaux en bêtes de renvoi. Pour les
moutons, nous n'avons pas le droit de les classer dans cette catégorie.
En fait, la pratique est différente.
Mme Pascale Poiron
- En effet, il n'y a pas de renvoi pour les moutons
de boucherie. J'observe que les agneaux se vendaient très bien pendant
la crise car il y avait peu d'agneaux sur le marché à vendre et,
de surcroît, il n'y avait pas d'importations du Royaume-Uni. Les cours
ont donc vraiment augmenté. En outre, le texte n'était pas
appliqué en l'état, car chaque DSV décidait de sa propre
interprétation. Par exemple, dans certains départements, les
invendus étaient regroupés après le marché dans un
centre agréé, en attendant d'être amenés à
l'abattoir. Chaque DSV a réalisé une adaptation.
M. Rousseau
- Aujourd'hui, je crois que le marché de l'agneau
doit être réouvert complètement. Je conçois tout
fait que ces marchés restent fermés en Angleterre, mais ils
doivent être totalement réouverts en France. Par ailleurs, le prix
de l'agneau est relativement élevé en ce moment, et je crois
qu'il faudrait laisser fonctionner librement le marché. Les
éleveurs de moutons ont subi des crises importantes au cours des
dernières années. Il serait bon, maintenant que les cours sont
élevés, que nous les laissions gagner un peu d'argent.
Actuellement, les agneaux sont de bonne qualité, et ils se vendent
très bien. Il n'empêche que des mesures prophylactiques sont
toujours en vigueur dans les abattoirs. Ce n'est pas un mal, bien au contraire.
Mais de telles opérations, entre autres au niveau des stations de
lavage, engendrent des coûts très importants, qui pèsent
sur les marchés aux bestiaux. Je l'ai déjà dit, mais je
vous rappelle que certains sont situés dans des petites communes
rurales, dont les budgets ne permettent pas ce genre de dépassement.
M. Philippe Arnaud
- Je vous remercie pour votre collaboration. Monsieur
Rousseau, avez-vous quelque chose à ajouter ?
M. Rousseau
- Je souhaiterais que les pouvoirs publics étudient
une éventuelle indemnisation des communes qui possèdent des
marchés à bestiaux, dans la mesure où certaines d'entre
elles ont beaucoup souffert de cette crise. Par ailleurs, je tiens à
rappeler qu'il est nécessaire de laisser fonctionner le marché
librement.
M. Philippe Arnaud
- Je vous remercie. Si vous souhaitez nous faire
parvenir des documents ou nous faire de nouveaux points de vue,
n'hésitez pas à nous les transmettre.
27. Audition de Jean-Pierre Tillon, Directeur scientifique et technique de l'Union des coopératives agricoles
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous accueillons maintenant Jean-Pierre
Tillon, qui est Directeur scientifique et technique à l'Union des
coopératives agricoles. Pouvez-vous présenter votre point de vue
sur la récente crise de fièvre aphteuse et vos conclusions sur la
gestion de cette épizootie ?
M. Jean-Pierre Tillon
- Je suis ici dans une démarche volontaire,
que je tiens à rappeler en quelques mots. Je suis docteur
vétérinaire de formation, et j'ai passé la
première partie de ma carrière dans la fonction publique
comme directeur de recherche. Je m'occupais à ce moment de la production
porcine. Je fais partie de ces gens qui ont contribué à mettre en
place un outil qui traverse aujourd'hui une crise, comme tout notre
élevage. J'ai donc considéré qu'il était bon que je
vous apporte, dans le cadre de cette mission, le témoignage d'une
personne qui ne renie en rien ce qui a été fait auparavant.
Par la suite, j'ai renoncé à ma carrière au
Ministère de l'agriculture et je suis entré dans le secteur
privé. En effet, j'étais convaincu que celui-ci allait jouer un
rôle croissant. J'ai choisi de rejoindre l'Union nationale des
coopératives agricoles, qui regroupe 300 coopératives.
Aujourd'hui, nous représentons entre 20 % et 30 % de la
production française.
Actuellement, je dirige la partie scientifique et technique de ce groupe, en
particulier dans le domaine très controversé de l'alimentation
animale. En outre, j'effectue des opérations de prospectives au sein de
ce même groupe. Nous essayons de réfléchir à
l'agriculture de demain, dans la mesure où il nous appartient de
dessiner les contours de celle-ci. Par ailleurs, j'effectue des interventions
orales dans diverses instances, et l'on me pose souvent des questions quant au
futur de notre élevage. Je voudrais donc vous entretenir de toutes ces
questions.
Trois mots sous-tendront mon intervention : amalgame, filière et
atout.
I. UN AMALGAME RÉDUCTEUR
Face à la crise de la fièvre aphteuse, qui est venue s'ajouter
à la crise de la vache folle, l'opinion publique est devenue
particulièrement suspecte quant aux méthodes utilisées par
les agriculteurs français. Nous avons senti poindre une critique
relative à un productivisme effréné qui serait la cause
des dérives que nous connaissons aujourd'hui. Je voudrais simplement
rappeler que l'amalgame effectué entre la fièvre aphteuse et la
vache folle est totalement arbitraire. En effet, la fièvre aphteuse est
une maladie du passé, qui a été éradiquée.
Cette éradication a été rendue possible car nous nous
sommes dotés de règles strictes. Il faut bien se rappeler que
l'apparition de la fièvre aphteuse a été due à la
transgression de règles élémentaires, notamment en
matière de commerce des animaux. Cette maladie de la fièvre
aphteuse est une maladie du passé, qui a disparu grâce à la
mise en place d'un certain nombre de règles dont nous pouvons être
fiers. En effet, nous nous rendons compte que les Britanniques payent
aujourd'hui le démantèlement de leurs services sanitaires et
l'absence de règles strictes. Je tiens à rappeler que la
Grande-Bretagne a pendant longtemps fait figure de modèle en
matière de médecine vétérinaire. Or nous
prêtons aujourd'hui nos vétérinaires aux Anglais pour
lutter contre la fièvre aphteuse.
Il est vrai que le spectre des bûchers a marqué l'opinion. Notre
société n'a peut-être pas pris la peine de comprendre
comment les règles mises en place doivent être
gérées. L'abattage des animaux doit de toute façon se
passer autrement, dans la mesure où les scènes que nous avons
vues sont trop faciles à photographier. Nous sommes en présence
d'une situation que le consommateur ne peut pas comprendre, ce qui
représente un réel danger. Si nous continuons à effectuer
de tels amalgames, nous ne pourrons plus rien faire à l'avenir.
En outre, il faut bien rappeler que le pourcentage d'animaux abattus demeure
très faible. En effet, les Anglais ont abattu moins de 3 % de leur
cheptel ovin, et moins de 1 % de leur cheptel bovin. Il faut donc
relativiser cette crise. A mon avis, le problème se situe plus au niveau
de la communication et de l'explication, qu'au niveau du bannissement de
certaines pratiques d'élevage.
II. UNE FILIÈRE NÉCESSAIRE POUR LA PRODUCTION OVINE
Le deuxième mot que j'utiliserais est celui de filière. Il
est clair que les réponses que nous apporterons à ces
problèmes sanitaires passeront forcément par une organisation
renforcée et par une responsabilisation importante des éleveurs.
Si nous voulons relancer la filière ovine, qui se trouve aujourd'hui
dans une situation catastrophique, nous devrons avoir recours à une
organisation. En effet, il est nécessaire de définir le produit
que nous voulons vendre. Lorsque cette action sera effectuée, nous
devrons mettre en place une production organisée et planifiée,
qui utilisera les progrès de la science et de la technique. Quoi qu'il
en soit, la solution ne résidera jamais dans l'irrationalité ou
dans l'improvisation. Autrement dit, nous ne pouvons produire des moutons que
si certains éléments sont réunis, permettant ensuite de
garantir un revenu aux éleveurs et une réelle organisation de la
production. Cette dernière se traduira automatiquement par un label
rouge.
III. LES ATOUTS DE L'AGRICULTURE FRANÇAISE
Le dernier terme que je soumets à votre réflexion est celui
d'atout. Je suis fier de dire que le domaine de l'élevage a
énormément progressé au cours des dernières
décennies. Lorsque je me suis lancé dans l'élevage porcin,
dans les années 70, nous étions importateurs
de 400 000 tonnes de porc. Aujourd'hui, les flux sont en notre
faveur : en étant plus indépendant, notre pays peut mener
une réelle politique pour son alimentation. Nous ne sommes forts que
pour les marchés sur lesquels nous sommes exportateurs. Nous devons donc
nous mettre en position de force, en nous positionnant sur le terrain de nos
concurrents. C'est bien dans cette direction que les coopératives se
placent.
Quoi qu'il en soit, il existe une dynamique globale de production que nous ne
devons pas décourager, d'autant plus que nous sentons poindre chez les
éleveurs une réelle lassitude. En ce sens, je crois que les
pouvoirs publics doivent envoyer un message fort en direction de cette
population qui en a vraiment besoin.
Par ailleurs, je crois que nous devons rendre hommage aux services
vétérinaires français qui ont fait preuve de la plus
grande compétence et d'une anticipation parfaite au cours de la crise de
la fièvre aphteuse.
Aujourd'hui, la pratique de la coopération s'accompagne du respect d'un
certain nombre de règles. Il est intéressant de constater que
celles-ci ont été peu transgressées au cours de la crise
de la fièvre aphteuse. Cette discipline constitue un capital fort, nous
rendant compétitifs par rapport à l'étranger.
En outre, l'agriculture française sortira de l'ornière dans
laquelle elle se situe si toutes ses composantes sont fortes. En ce sens, nous
avons besoin d'une production ovine puissante. Pour le moment, nous ne la
dominons pas et nous ne répondons pas à la demande du
consommateur. En effet, le consommateur souhaite un produit naturel et qui soit
marqué par une forte dose de typicité. Nous devons absolument
répondre à ses attentes, tout en lui offrant les garanties de
sécurité qu'il exige.
Ainsi, il nous faut créer aujourd'hui les conditions d'un
redéploiement de notre élevage ovin. Cette relance ne sera pas
possible si nous adoptons une politique marquée par l'approximation. Au
contraire, nous aurons besoin de professionnalisme, d'innovation et de
compétence.
IV. QUESTIONS DE LA MISSION
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur Tillon, je vous remercie.
Je donne la parole à notre rapporteur.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Monsieur le Directeur, vous tenez un
discours très optimiste face à une situation qui est
marquée par une réelle complexité. Vous dites que la
fièvre aphteuse est une maladie du passé, mais de nombreux pays
sont encore atteints par cette maladie. Par ailleurs, je vous trouve
très optimiste à propos de l'avenir de l'élevage.
J'aimerais en connaître les raisons.
Concernant l'élevage ovin, vous savez que toutes les productions sont
contingentées. En ce sens, nous ne pourrions rendre la production ovine
totalement indépendante. Au mieux, nous atteindrons une autosuffisance
s'élevant à 60 %.
Je partage votre point de vue sur une organisation de la filière ovine.
Par contre, je crois que nous pouvons formuler quelques interrogations quant
à l'avenir de l'élevage français. En effet, je ne vois pas
comment nous pouvons développer cette filière alors que les prix
baissent continuellement. Si cette baisse se poursuit, il est clair que
l'élevage aura disparu du sol français dans une quarantaine
d'années. De toute façon, nous ne pourrons maintenir une
production si une partie substantielle des revenus des éleveurs est
constituée par des subventions. J'aimerais donc connaître votre
point de vue sur l'avenir de l'élevage par rapport à la Politique
agricole commune. En outre, j'aimerais que vous me donniez votre avis sur les
méthodes à employer pour maintenir une activité
d'élevage en France.
M. Jean-Pierre Tillon
- La fièvre aphteuse est effectivement
présente dans de nombreux pays du monde, et elle le restera. Ce danger
restera permanent. Si nous avons voulu nous débarrasser de la
fièvre aphteuse, c'est parce que cette maladie, si elle devient
endémique, annihile toute possibilité d'élevage. En
éradiquant cette maladie, nous avons atteint un niveau de qualité
qui, aujourd'hui, répond aux standards internationaux.
Je considère que les batailles ne sont jamais perdues dans le domaine de
l'alimentation, pour une raison simple : les gens ne s'arrêteront
pas de manger. Surtout, ils mangent ce que leur mental leur donne envie de
manger. Je vais prendre l'exemple d'une groupement coopératif qui s'est
spécialisé dans la production de tomates Savéol. Ces
tomates étaient très décriées quelques
années auparavant : peu chères, elles étaient
invendables au cours de l'hiver, malgré de réelles
qualités gustatives. Ce groupement de coopératives a
inventé un système de production et créé une marque
pour relancer la production de ces tomates. Aujourd'hui, de nombreuses
personnes achètent des tomates en branches : elles les payent
25 francs, alors qu'elles ne coûtaient que neuf francs
auparavant. En changeant la nature du produit, ces coopératives l'ont
rendu attractif car il répond aux attentes des consommateurs. La tomate
en branches a du goût et de l'odeur, et c'est bien ce que recherche le
consommateur.
L'élevage doit opérer la même démarche, en
créant un produit répondant aux attentes de la population. En
effet, les produits vides n'ont plus leur place sur le marché, dans la
mesure où ils n'ont pas de valeur. Un produit commence à avoir de
la valeur lorsqu'il devient un produit service, un produit porteur ou un
produit communicant. Autrement dit, le mot produit doit forcément
s'accompagner d'une autre donnée. La viande bouchère doit
absolument entrer dans cette démarche.
Le mouvement coopératif auquel j'appartiens est prêt à
faire ce qu'il faut. Mais il faut arrêter de raisonner en termes de
subventions, dans la mesure où l'éleveur se sent
dépossédé de son travail et a l'impression d'être
assisté. En outre, il est nécessaire d'adopter une
démarche s'appuyant sur les labels et, évidemment, sur la notion
d'agriculture raisonnée. Pendant longtemps, le consommateur a
demandé des produits peu chers, et nous avons réussi à
répondre à son attente. Aujourd'hui, il demande des produits du
terroir et des produits biologiques. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions
pas aujourd'hui répondre à ces nouvelles attentes, dans la mesure
où nous avons parfaitement effectué ce travail par le
passé.
Ainsi, nous avons besoin de nous repositionner par rapport à l'aval,
autrement dit par rapport au marché. Le mouvement coopératif peut
adopter cette démarche, en prenant l'exemple de coopératives
espagnoles qui ont développé des produits services. Des magasins
ont en effet été créés en aval des
coopératives, et des produits d'appel phares ont été
lancés. Cette démarche a parfaitement fonctionné, mais il
a été nécessaire, à un moment donné, de
filialiser ces magasins.
En outre, je crois qu'il est aujourd'hui nécessaire d'adopter une
démarche de séduction vis-à-vis des consommateurs. En
effet, si vous ne séduisez pas, vous ne pouvez pas vendre. Par exemple,
si la volaille connaît un grand succès aujourd'hui, c'est bien
parce qu'une politique de séduction a été mise en place.
Malheureusement, les producteurs sont peu habitués à des
démarches de ce type.
Autrement dit, je pense qu'il est nécessaire d'effectuer une bonne
répartition des métiers. L'agriculture réussira si elle
laisse la place à d'autres compétences, la communication et le
marketing tout particulièrement. Je suis persuadé que le
mouvement coopératif est entré dans cette démarche. Mais
il faut du temps, dans la mesure où nous devons convaincre et rassurer
les producteurs. En effet, certains d'entre eux souffrent
énormément des critiques dont l'agriculture fait l'objet
actuellement. Il faut dépasser cette dimension, ce qui n'est pas
toujours facile.
Ainsi, je ne peux pas répondre précisément à votre
question, mais je suis persuadé qu'une solution existe. Tout
particulièrement, je reste persuadé que la création d'un
label pour l'agneau représente une solution pertinente. Quoi qu'il en
soit, nous devons faire preuve d'innovation pour créer un produit
nouveau et, surtout, pour pouvoir approvisionner le marché toute
l'année. Je reprendrai l'exemple des tomates Savéol :
celles-ci ne poussent plus dans de la terre, mais sur de la laine de verre. La
production se fait selon des critères biologiques, mais les tomates
poussent dans des lieux clos. Cette agriculture est donc hyperrationnelle, mais
elle répond aux attentes du consommateur. C'est bien pour cela que je
crois qu'il ne faut pas opposer systématiquement le progrès
à ces mêmes attentes. Dans le cas contraire, nous partons dans des
discours totalement choquants. Je suis vétérinaire, et je sais
qu'il faut soigner les bêtes lorsqu'elles sont malades.
M. Dominique Braye -
J'ai écouté avec intérêt
votre intervention, Monsieur le Directeur. Elle a suscité chez moi un
certain nombre de questions. Vous tenez des propos particulièrement
innovants, qui suscitent plusieurs remarques.
Vous dites que l'agriculture a énormément progressé au
cours des dernières décennies. Je ne peux que partager votre
point de vue. Néanmoins, lorsque je vois les problèmes
posés par l'élevage de porc en Bretagne, je me dis que ce
développement de l'agriculture n'a pas été effectué
de manière optimale.
Vous dites en outre que l'agriculture doit désormais être capable
de proposer au consommateur un certain nombre de produits qui répondent
à ses attentes. Vous dites aussi que ce consommateur est attentif
à la caractéristique du produit fini. Je vous fais remarquer que
l'opinion publique est également de plus en plus attentive aux modes de
production qui existent en amont. Les solutions que vous nous proposez, sous le
terme d'hyperrationalité, constituent des méthodes
éminemment artificielles, et je ne suis pas certain qu'elles
séduiront le consommateur. Celui-ci est en effet attiré par des
produits naturels, et il demande de plus en plus que des critères de
production authentiques soient garantis. Or votre proposition se situe
exactement à l'opposé de ces attentes.
Par ailleurs, je voudrais vous poser deux questions en rapport avec la
récente épizootie de fièvre aphteuse. A votre avis, si
l'épizootie avait été plus importante en France, quelles
auraient été les réactions de l'opinion publique et des
éleveurs par rapport aux mesures qui n'auraient pas manqué
d'être prises ? D'autre part, quelle est votre position par rapport
à la vaccination du cheptel ? En effet plusieurs de nos
interlocuteurs nous ont dit que cette fièvre aphteuse pourrait faire
partie d'une guerre économique mondiale menée par les
Etats-Unis : l'ESB n'ayant pas produit les effets escomptés, la
propagation de la fièvre aphteuse aurait provoqué une campagne de
vaccination qui fermerait les portes des exportations dans des nombreux pays.
En outre, pouvez-vous nous dire si les risques de propagation de la tremblante
du mouton à l'homme sont plus importants qu'auparavant ? En effet,
nous importons de plus en plus de moutons de Nouvelle-Zélande, où
cette maladie existe encore.
M. Jean-Pierre Tillon
- Nous avons appris de nombreuses choses sur le
comportement du consommateur au cours des dernières années. Par
exemple, nous nous sommes rendu compte qu'il existait un réel
déphasage entre le discours du consommateur par rapport à ses
achats et ce qu'il achète réellement. Cela a un nom, cela
s'appelle du marketing. A un moment donné, nous mettons en avant les
points que le consommateur juge importants, et nous mettons les autres de
côté. Les coopérateurs de Savéol par exemple ont
l'intelligence de faire visiter aux enfants leurs plantations, et leur montrent
comment la fécondation des tomates est effectuée. Cela permet de
faire passer de nombreux messages et de faire oublier les mauvais aspects.
Il faut savoir aussi que nous appartenons à une génération
qui a connu la terre et les valeurs traditionnelles de l'élevage. Notre
imaginaire se nourrit à cette source, ce qui n'est pas le cas pour les
nouvelles générations. Autrement dit, le jeu se renouvelle
périodiquement. C'est bien pour cela que je nourris de réelles
inquiétudes sur l'avenir du label rouge. Ce label s'appuie sur la notion
de territoire et de terroir. Je ne suis pas certain que de tels arguments
fassent recette chez des jeunes qui regardent Loft Story. Autrement dit, des
mutations fortes se sont opérées dans notre société
au cours des dernières années, et nous devons les prendre en
compte. Par exemple, certaines personnes ne savent plus que le jambon provient
du cochon, ce qui montre parfaitement qu'elles déconnectent les aliments
de leur origine première. Je suis persuadé que cette mutation
influencera considérablement les produits alimentaires de demain.
M. Dominique Braye
- Si je comprends bien, vous cultivez l'ignorance des
gens.
M. Jean-Pierre Tillon
- Non, nous ne cultivons pas l'ignorance. Mais
nous devons adopter une approche de séduction par rapport aux attentes
des consommateurs. A titre personnel, je suis très proche de vos
positions. Mais je suis seul de ma famille, et je suis obligé de
reconnaître que Mc Donald's est une réussite, que nous devons
l'étudier.
Quoi qu'il en soit, je crois que nous ne devons pas présenter nos
produits en fonction d'une appropriation globale d'une image du passé.
Je reconnais que certains trouvent cette image positive. En tant que
vétérinaire, je ne la trouve pas du tout positive.
Concernant la fièvre aphteuse, j'étais récemment en visite
dans une université. Un professeur, que je connais bien, m'a
demandé mon point de vue sur l'épizootie de fièvre
aphteuse. Je lui ai rappelé que nous avions connu, en 1983, plus de
100 foyers de fièvre aphteuse. Il ne m'avait posé aucune
question à ce moment. Autrement dit, les questions que nous devons
résoudre aujourd'hui sont relativement récentes pour le
consommateur. Cela induit une très forte responsabilisation des
médias et de la communication en général. C'est pour cela
que je crois que les pouvoirs publics doivent avant tout apprendre aux
éleveurs à communiquer et non à lutter contre la
fièvre aphteuse, d'autant plus qu'ils connaissent très bien cette
maladie.
Concernant la vaccination, je vous donnerai un exemple. Dans ma carrière
de vétérinaire et de chercheur, j'ai dû me rendre à
Haïti pour contribuer à la reconstitution du cheptel porcin qui
avait été abattu sur ordre des Américains. En effet, les
porcs haïtiens étaient atteints par la peste porcine africaine. Les
paysans de ce pays se trouvaient dans un état de pauvreté totale,
et il fallait absolument reconstituer le cheptel. Nous nous sommes rendus en
Guadeloupe pour chercher des cochons créoles, et nous avons
reconstitué une race pour Haïti. Cette opération n'aurait
pas été possible aujourd'hui : si les animaux avaient
été vaccinés contre la fièvre aphteuse, nous
n'aurions pas pu les réintroduire à Haïti.
Je crois que cet exemple illustre bien les enjeux actuels. Si nous vaccinons
notre bétail, nous ne pourrons plus réaliser d'exportations au
Japon ou à Singapour. D'un autre côté, d'autres enjeux
existent : si, demain, nous voulons développer l'élevage
dans les pays du Tiers-Monde, nous devrons exporter des animaux. Il faut en
fait savoir ce que nous voulons pour la France. Soit nous voulons qu'elle
exerce une influence au niveau mondial, soit nous rentrons dans le rang. Je
n'ai aucun intérêt dans ce dossier, mais je souhaite
sincèrement que la France ait de grandes ambitions. En ce sens, avoir un
cheptel débarrassé de la fièvre aphteuse fait partie de
ces ambitions.
Ma position sur la fièvre aphteuse est très claire : il ne
faut pas vacciner, d'autant plus que le système de vaccins n'est pas
fiable à 100 %. Il existe en effet de multiples souches de
vaccins : si vous n'avez pas la souche adéquate, il ne sert
à rien de vacciner. Néanmoins, la non-vaccination doit maintenant
s'accompagner d'un respect absolu des normes sanitaires. En ce sens, les
personnes ou les pays qui ne les respectent pas doivent être punis.
Concernant la tremblante, il est clair que cette maladie n'est pas
présente dans toutes les régions de France. Je crois que nous
devons aujourd'hui commencer par recenser les zones où elle existe. La
présomption de la non-présence du microbe devrait s'appuyer sur
un historique, montrant que la maladie a disparu d'une zone donnée
depuis plusieurs années. A ma connaissance, la Nouvelle-Zélande
n'a jamais déclaré de cas de tremblante. Mais je ne suis pas en
mesure de dire si cette maladie existe ou non dans ce pays.
M. Louis Moinard
- Nous avons évoqué tout à l'heure
l'ignorance du consommateur. Ne doit-on pas plutôt parler d'un manque
d'information ? Je vous donnerai un simple exemple : lors d'un
dîner, il y a deux ans, j'ai rencontré une personne qui
était persuadée que le dessèchement des tournesols
était dû à la sécheresse. Or cette étape fait
partie du cycle de vie de cette plante, et n'a aucun lien avec une quelconque
sécheresse. Seulement, tout le monde est habitué à voir
des images de tournesols jaunes. Tout le monde s'alarme de la situation
actuelle des animaux. Or, entre les années 60 et les
années 80, n'oublions pas que nous consommions des animaux qui
étaient atteints par la fièvre aphteuse ou par la tuberculose.
Toutes les actions menées ont permis d'arriver à la situation
actuelle. Pour nombre de gens, un cas de fièvre aphteuse entraîne
une réelle panique, alors que d'énormes efforts ont
été accomplis pour garantir un niveau de sécurité
sanitaire très élevé. Nous rencontrons la même
situation pour le lait. De nombreuses personnes dénoncent le
système de traite, alors que celui-ci garantit une qualité
optimale du lait.
M. Jean-Pierre Tillon
- Vous avez totalement raison. Nous sommes
aujourd'hui confrontés à une réelle difficulté qui
tient au comportement paradoxal du consommateur, qui est une des principales
caractéristiques de nos sociétés modernes. Je reprendrai
l'exemple de l'émission à scandale à laquelle j'ai fait
référence tout à l'heure : personne n'ose avouer
qu'elle la regarde, mais tout le monde le fait. Nous sortons donc de la
rationalité. Par conséquent, nous devons acquérir le
pouvoir de séduire et d'influencer les consommateurs. Le but n'est pas
de les tromper, mais au contraire de leur donner de vraies informations.
M. Philippe Arnaud
- Monsieur le Directeur, merci beaucoup de votre
contribution. Je réitère ma demande : si vous souhaitez nous
faire part de contributions complémentaires susceptibles d'alimenter
notre réflexion, vous pouvez nous les transmettre par écrit.
M. Jean-Pierre Tillon
- Si vous souhaitez faire une visite d'une
exploitation ou d'une coopérative, je me tiens à votre
entière disposition. Nous serons ravis de vous montrer notre
manière de travailler.
28. Audition de MM. Michel L ombard et Max G auphichon, Directeurs des entreprises « Grandes Prophylaxies » et « Animaux de production »
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous recevons MM. Max Gauphichon,
Directeur de l'entreprise « Animaux de production » et
Michel Lombard, Directeur de l'entreprise « Grandes
Prophylaxies », tous les deux de la firme Merial.
M. Michel Lombard -
Monsieur le Président, messieurs les
sénateurs, bonjour. Je vous remercie d'avoir invité les
représentants de Merial à venir exposer leur point de vue sur
l'épizootie de fièvre aphteuse. Nous vous avons adressé un
document présentant notre position. Je vais vous le commenter. Je
travaille sur le problème de la fièvre aphteuse depuis 1973. J'ai
donc connu plusieurs épisodes dans la lutte contre cette maladie. Le
document que vous avez entre les mains contient plusieurs parties. Monsieur
Gauphichon et moi-même avons pensé que l'avis d'un producteur de
vaccin pouvait vous intéresser, dans le cas où un vaccin serait
utilisé. La première partie du document contient donc une
présentation des vaccins modernes et de leurs qualités. La
seconde partie s'intitule « Une politique de vaccination pour la
France ». La dernière partie de ce document propose une
comparaison entre une politique avec vaccination et une politique sans
vaccination.
I. LES VACCINS CONTRE LA FIÈVRE APHTEUSE
Je commencerai mon exposé par une présentation des vaccins de la
fièvre aphteuse. Il est indispensable de définir quels sont ces
types de vaccins. Depuis l'arrêt de la vaccination obligatoire en Europe,
un certain nombre de producteurs de vaccins ont cessé d'investir dans la
recherche. Ils ont sans doute pensé que la fièvre aphteuse
était un mal éliminé à jamais dans cette partie du
globe. En 1989, l'Europe ne comptait que huit producteurs. La lutte contre
cette maladie représentant un grand risque industriel, un certain nombre
d'industriels avaient refusé de tenter l'aventure. Les gouvernements
avaient alors décidé de créer leurs propres instituts
gouvernementaux de production de vaccins. L'Italie en comptait trois, la
Belgique un, la Hollande un, le Danemark un, la Suisse un, etc. Seules la
France, puis la Grande-Bretagne et l'Allemagne, avaient osé risquer
l'aventure au niveau industriel. En France, Charles Mérieux s'est
lancé dans la production de vaccins en 1947. Après l'arrêt,
en 1991, de l'obligation de vaccination, il ne restait que trois fabricants
privés de vaccins en Europe : un Français, un Allemand et un
Hollandais. Lorsque la vaccination a cessé d'être obligatoire, les
fabricants allemand et hollandais ont interrompu leurs recherches. Elles
n'auraient permis aucun retour sur investissement.
II. LES RECHERCHES DE MERIAL
De par sa dimension mondiale, sa présence sur tous les continents et les
transferts de technologie qu'elle a réalisés, Merial jouissait
d'une position privilégiée et d'une vue globale du
problème de la vaccination contre la fièvre aphteuse. Merial a
poursuivi ses recherches dans ce domaine. Notre entreprise s'est donné
les moyens d'aider les chefs de services vétérinaires dans la
lutte contre cette maladie. L'arrêt de la vaccination obligatoire en
Europe avait été justifié par un argument
« choc » : les animaux vaccinés ne pouvant
être distingués des animaux infectés, la vaccination devait
être supprimée. Selon les autorités européennes,
l'arrêt de la vaccination,, et donc l'existence d'animaux
« sentinelles » réceptifs à la maladie,
permettait de mieux mesurer l'étendue de celle-ci. Merial a donc
copié, dans les années 90, les méthodes de production de
vaccins de l'enfance de l'institut Mérieux. Cet institut avait mis au
point la chromatographie industrielle des antigènes. Après
plusieurs années de travail, Merial a mis au point un
procédé de chromatographie permettant de récolter, sur
plusieurs centaines de milliers de litres, des antigènes si
purifiés qu'il ne restait que des particules virales. Les
protéines non structurelles du virus, c'est-à-dire les marqueurs
de l'infection, étaient éliminées. Merial a ainsi
été en mesure de mettre au point un vaccin permettant de faire la
différence entre les animaux vaccinés et les animaux
infectés. Ce vaccin existe depuis 1995.
Merial a également effectué des recherches pour rendre
l'utilisation de ces vaccins plus facile pour les chefs des services
vétérinaires, quand ceux-ci font face à la propagation de
la fièvre aphteuse. Lorsque la maladie prend des proportions importantes
et que les animaux ne sont pas vaccinés, le vaccin doit pouvoir
être disponible en très peu de jours. Il est impossible de
commander un vaccin dont le cycle de production est de cinq mois. Dans ce laps
de temps l'épizootie de fièvre aphteuse a le temps de provoquer
des dommages importants.
Pour résoudre ce problème, Merial a développé la
technologie des banques d'antigènes. L'antigène étant la
substance active du vaccin, il est congelé et conservé dans des
cryo-conservateurs, couramment utilisés dans les centres
d'insémination. Le vaccin peut donc être rapidement
reconstitué en cas d'urgence. Je prends l'exemple, trivial, de la pizza
congelée. Elle est bien utile lorsqu'un invité arrive trop tard
pour lui préparer un repas. Il en est de même avec les
antigènes congelés quand une épizootie arrive.
En quatre jours, Merial, dans ses deux établissements d'Angleterre et de
France, est capable de mettre sur le marché cinq millions de doses de
vaccins d'urgence. Ces doses de vaccin sont contrôlées. Merial a
effectué auparavant des vaccins expérimentaux avec ces
antigènes congelés. Elle en connaît parfaitement la
puissance. Je vous renvoie au document remis. Les drapeaux indiquent les
organisations internationales avec qui Merial a passé des contrats
d'exclusivité. Merial a par exemple vendu 44 millions de doses de
vaccins à la Communauté Européenne. Merial a
également vendu des antigènes à l'Arabie Saoudite,
à la Corée, à Taiwan et au Maroc. Merial a aussi
passé un contrat avec la Banque Nord-Américaine, regroupant les
départements américain, canadien et mexicain pour l'Agriculture.
Merial est donc en charge de l'intervention d'urgence au Canada, aux USA et au
Mexique. La Grande-Bretagne a par ailleurs multiplié par trois ses
commandes. Merial participe cette semaine à une réunion à
l'Organisation Mondiale de la Santé Animale, à Paris. Tous les
chefs des services vétérinaires y sont présents. Les
Etats-Unis ne suivront pas l'exemple britannique et vaccineront
immédiatement. Merial a également en charge l'Australie, la
Nouvelle-Zélande et le Japon.
Merial a travaillé à la réalisation d'un vaccin contre la
fièvre aphteuse commun aux porcs et aux ruminants (bovins et ovins).
Deux formules existaient jusque-là, ce qui gênait autant les
commanditaires que les producteurs. Merial a réussi à mettre au
point une émulsion commune pour les différentes espèces.
Merial a donc simplifié au maximum le vaccin. La purification
n'entraîne plus ni avortement, ni réaction allergique. Des
millions de doses de vaccin sont à présent disponibles en quatre
jours grâce aux antigènes congelés. Le vaccin est unique
pour toutes les espèces. Enfin, grâce aux recherches
effectuées pendant la période où la vaccination
n'était plus obligatoire, Merial a mis au point un outil unique et
très performant : la possibilité de repérer les
animaux vaccinés et les animaux infectés. Dans un océan
d'animaux vaccinés, Merial est capable de repérer les quelques
îlots d'animaux infectés. Cette avancée est
considérable. La Communauté Européenne étudiera
très sérieusement ce procédé dans les six mois
à venir, sous la présidence belge.
Je souhaiterais à présent commenter la page du document relative
à la séropositivité et à la
séronégativité chez les individus infectés et chez
les individus vaccinés.
III. QUESTIONS DE LA COMMISSION
M. Philippe Arnaud, président
- Combien de millions de doses de
vaccin pouvez-vous réaliser, en quatre jours, à partir des
antigènes congelés ?
M. Michel Lombard -
Au maximum, Merial a la capacité de produire
5 000 litres en Angleterre et 5 000 litres en France, soit cinq
millions de doses de vaccin tous les quatre jours, avec un jour de nettoyage
entre. Notre entreprise produit deux millions de doses depuis 1992, et cinq
millions (grâce au site français de Lyon) depuis qu'elle a
remporté l'appel d'offres de la Communauté Européenne en
1999.
M. Dominique Braye -
Vous êtes en train de nous dire que Merial
dispose du vaccin Pasteur qui permet de différencier chez un sujet les
anticorps vaccinaux de ceux développés lors de la maladie. Vous
devriez davantage promouvoir votre produit. La Commission a auditionné
depuis hier un certain nombre de scientifiques. Ceux-ci espéraient
disposer du vaccin marqueur d'ici trois ans. Vous nous dites, quant à
vous, que vous le possédez. Votre vaccin dispose-t-il de l'AMM ?
M. Michel Lombard -
Notre vaccin a l'AMM, mais pas la
« revendication ». Il est nécessaire de distinguer
le point de vue scientifique du point de vue réglementaire. Du point de
vue scientifique, le vaccin mis au point par les producteurs ne contient pas de
protéines non structurales, marqueurs de l'infection. Son injection
permet donc de faire la différence entre les animaux vaccinés et
les animaux infectés. Des articles ont été publiés
sur ce sujet.
M. Dominique Braye -
Nous comprenons bien qu'il faille distinguer le
problème scientifique du problème réglementaire. Pour
l'instant, la réglementation est figée. On nous l'explique par le
peu d'avancées scientifiques dans la production de vaccins
« traceurs » distinguant les animaux vaccinés des
animaux malades.
M. Michel Lombard -
Du point de vue scientifique, deux questions se
posent. La première a trait à la fabrication de ces vaccins
marqueurs. Cette question a trouvé une réponse puisque nous
produisons des vaccins qui, au bout de quarante doses, n'induisent toujours pas
d'anticorps contre les protéines non structurales. Or quarante doses
représentent beaucoup plus que ce qu'un animal pourra recevoir dans sa
vie.
Le second problème se posant aux scientifiques est d'analyser les
caractéristiques du vaccin avec des méthodes reconnues.
Actuellement, cinq méthodes ont été publiées. Elles
visent à reconnaître la présence de ces anticorps,
témoins indirects de l'infection. Aucune de ces méthodes n'a
été adoptée au niveau réglementaire. Il est
indispensable que ces méthodes de sérologie soient officiellement
reconnues, pour que notre vaccin le soit, au niveau réglementaire.
En 1976, l'Albanie et la Macédoine ont connu une épizootie de
fièvre aphteuse. La Communauté Européenne en a
profité pour tester une banque d'antigènes congelés.
Merial a fabriqué les vaccins en quatre jours puis les a envoyés
sur le terrain. Les animaux ont été vaccinés deux fois,
à un mois d'intervalle. La Communauté Européenne a ensuite
demandé qu'une évaluation soit effectuée. Des
études sérologiques ont donc été menées. Les
conclusions de ces études sont très bonnes : elles ont
décelé des anticorps contre les particules virales,
témoins de la vaccination, sur tous les animaux vaccinés et aucun
sur les animaux non vaccinés ; à l'inverse elles n'ont
décelé aucun anticorps contre les témoins directs de
l'infection sur les animaux vaccinés, sauf dans les villages où
la maladie est apparue et dans quelques villages voisins. Néanmoins, ces
diagnostics ne sont pas individuels. Ils concernent des troupeaux. Certains
animaux réagissent moins bien que d'autres aux témoins directs de
l'infection. Sur une population, une sérologie doit être
effectuée tous les 100 ou 250 vaccinés. Quand un animal est
infecté, le troupeau entier et tous les troupeaux du hameau doivent
être considérés comme infectés.
M. Philippe Arnaud, président
- Lors des
précédentes auditions, nous avons entendu dire que les tests de
sérologie pour les ovins n'étaient pas fiables.. Certains ovins
seraient des faux négatifs.
M. Michel Lombard -
Cette sérologie doit être
considérée comme une sérologie de troupeaux. Nous
n'effectuons pas de tri au sein d'un troupeau entre les animaux
séronégatifs et les animaux séropositifs. Lorsque nous
décelons un animal séropositif, le troupeau dans son ensemble est
considéré comme positif.
M. Dominique Braye -
Cependant, si vous effectuez un test sur un ovin et
qu'il semble être négatif, vous allez considérer les 250
autres bêtes du troupeau comme négatives. Or l'ovin sur lequel
vous aurez effectué le test pourrait s'avérer être un faux
négatif, c'est-à-dire un positif.
M. Michel Lombard -
Vous comparez des situations très
différentes. La première est celle d'un pays qui ne vaccine pas
et qui effectue des recherches d'anticorps contre le virus. La seconde
situation est celle où des tests sont effectués sur une
population vaccinée. Il est possible d'effectuer un test sur le mauvais
répondeur immunologique. Cependant, l'échantillonnage pouvant
être réalisé deux fois par an, vous pouvez changer d'animal
testé la deuxième fois. De plus, le troupeau étant
vacciné, même si vous effectuez un test sur un faux négatif
et que vous déclarez l'ensemble du troupeau comme négatif, il n'y
a pas de risque de propagation de l'épidémie, à l'image de
ce qu'a connu l'Angleterre.
M. Dominique Braye -
Des interrogations subsistent tout de même.
Un virus très différent de la souche vaccinale servant au
protocole de vaccination peut apparaître. Monsieur Tillon nous faisait
remarquer que le problème de la vaccination était celui de la
multiplicité des souches. Un vaccin non conçu à partir de
la souche infectante ne peut pas protéger de la maladie.
M. Michel Lombard -
Je regrette de ne pas avoir amené le
transparent sur les propriétés des virus plus ou moins
éloignés les uns des autres à l'intérieur d'un
même type. Ces propriétés ne sont établies qu'en
utilisant des sérums de référence. Ces sérums sont
des sérums de bovins ou de porcs qui sont primo-vaccinés. Cela
signifie qu'ils n'ont reçu qu'une injection. Ces sérums sont les
plus pointus pour distinguer des virus qui sont très proches. Plus vous
vaccinez vos animaux, plus les virus qui les touchent sont difficiles à
distinguer les uns des autres. Nous avons réalisé des
expériences...
M. Dominique Braye -
Ces sérums sont réalisés la
première ou la deuxième année.
M. Michel Lombard
- La première année, le vaccin en
question étant inactivé, l'animal doit recevoir deux injections
à deux ou trois mois d'intervalle. C'est le même problème
que pour la vaccination des enfants. L'immunité des animaux étant
insuffisante, il est nécessaire d'effectuer des rappels. Il faut faire
attention à ne pas tomber dans le piège consistant à dire
que le vaccin ne protège que six mois, que les injections doivent
être répétées deux fois par an, etc. Un tel
programme de vaccination serait contraire à ce que nous conseillons en
tant que fabricants. Un bon programme de vaccination dure un an, avec deux
injections à deux ou trois mois d'intervalle et un rappel tous les ans.
Ce programme a bien fonctionné, en France comme ailleurs. Des animaux
ont déjà reçu deux injections. Sur eux, les
différences sérologiques sont amoindries, sans être pour
autant effacées. Elles n'auront disparu que chez les animaux d'au moins
cinq ou six ans ayant reçu une injection par an en plus des deux
injections de la première année. Pour ces animaux, des virus
très différents finissent par paraître très
similaires.
Je souhaiterais revenir sur un concept d'immunologie important. La maladie de
la fièvre aphteuse est causée par sept types différents.
Un animal atteint d'un des virus sera convalescent mais protégé.
Il pourra cependant déclencher six autres cas de fièvre aphteuse.
Ces sept virus appartiennent à un même genre. Nous avons toujours
utilisé des vaccins multivalents, qui protégeaient contre
plusieurs types. Quand un des variants d'un de ces types apparaît, nous
augmentons ainsi les chances d'une protection croisée. Personne, y
compris nous, ne conseillera de vacciner en France avec sept souches de types.
Par ailleurs, certains font remarquer que le virus a de nombreuses souches et
qu'il est donc impossible de fabriquer un vaccin à partir de toutes ces
souches. Je ferais toutefois remarquer que le virus apparu en Angleterre
provient de la souche Panasia . Cette souche est également à
l'origine des cas de fièvre aphteuse en Russie, à Vladivostok
puis à Moscou, au Japon, en Corée, en Europe et actuellement au
Kazakhstan, etc. L'épidémiologie révèle que ces
virus sont des virus traceurs. Ils apparaissent dans des pays qui exportent de
la viande et des animaux sur pied. Le nombre de virus potentiellement dangereux
se réduit à une dizaine ou une douzaine de souches. Un virus
particulier peut toujours apparaître. Mais si vous possédez une
banque d'antigènes congelés, en quatre jours, vous pouvez
fabriquer le vaccin du même type. Vous effectuez ensuite un rappel. Par
exemple, vous disposez d'un vaccin O,A,Asia1 le plus souvent proposé
pour les vaccinations en France. Si un virus SAT (
South African
Territories
) apparaît sur le territoire, vous utiliserez alors vos
antigènes congelés et en quatre jours vous disposez d'un vaccin
contre ce virus SAT. Dix jours après, tout le bétail est
vacciné.
M. Dominique Braye -
Vous êtes les premiers à nous parler
de ces vaccins marqueurs, disponibles mais en attente d'autorisation officielle.
M. Michel Lombard -
J'ai amené avec moi des articles
scientifiques sur la question ainsi qu'un article paru dans
Le Monde
du
jeudi 24 mai 2001.
M. Philippe Arnaud, président -
Quelles sont les étapes
à franchir pour obtenir une autorisation officielle ?
M. Michel Lombard -
L'administration anglaise s'est
déclarée prête à reconnaître officiellement ce
vaccin. Cependant, tant que les méthodes sérologiques ne seront
pas adoptées par l'Organisation Mondiale de la Santé Animale,
elles resteront sujet à discussions. L'administration anglaise pourra
ensuite déclarer que la méthode est parfaitement valable. Les
antigènes de la Communauté Européenne seront testés
dans les deux mois qui viennent. Personne ne s'est intéressé au
problème de la fièvre aphteuse pendant de nombreuses
années, car on n'imaginait pas que l'Europe serait touchée,
à ce stade de développement, par un mal moyenâgeux. La
méthode utilisée pour fabriquer ces sérologies
paraîtra dans la prochaine édition du manuel des normes de l'OIE
(l'Organisation Mondiale de la Santé Animale) au mois de juin 2001. Je
me ferai un plaisir de vous transmettre cette parution. Mes propos sont
scientifiquement prouvés.
M. Philippe Arnaud, président
- Que pensez-vous des positions
actuelles de l'OIE ? Dans la dernière édition de son manuel,
il est écrit que la fièvre aphteuse n'est qu'un problème
de santé animale et que les conséquences de la vaccination ne
sont qu'économiques. Les choix seraient donc opérés en
fonction de données économiques, parmi lesquels les
échanges commerciaux.
M. Michel Lombard -
L'OIE édicte effectivement des règles.
Celles-ci sont l'émanation du vote du Comité International,
c'est-à-dire de l'Assemblée Générale des directeurs
des services vétérinaires de tous les pays. L'OIE n'émet
pas des recommandations mais des règlements. Ces règles
internationales, reconnues par un agrément avec l'OMC, sont
conçues pour régler les différents entre pays concernant
l'exportation de produits animaux. Néanmoins, elles ne constituent qu'un
cadre général et minimaliste. Les Etats conservent leur
souveraineté pour effectuer des choix : vacciner ou non,
dépenser comme l'Angleterre jusqu'à cinquante milliards de
livres, etc. Les Etats ne sont pas obligés de suivre les règles
adoptées en commun.
Je ne suis pas sûr que nous sortions du domaine de la médecine
pour entrer dans celui de l'économie. Tous les
vétérinaires ont fait le serment de soigner les animaux. Or quand
il s'agit de fièvre aphteuse, ils en massacrent des millions. Cela pose
des problèmes éthiques au niveau vétérinaire, et de
compassion au niveau des opinions publiques. Celles-ci refusent que le
bétail soit abattu de cette manière. Au Mexique, en 1953, un
vétérinaire a été tué après que la
maladie de la fièvre aphteuse a été
éradiquée par des massacres d'animaux. En Angleterre, des
fermiers ont même caché des moutons dans leur chambre. Plus de
trois millions d'animaux ont été abattus. Le chiffre final
pourrait atteindre cinq millions. Cette décision d'abattre est une
décision souveraine de l'Etat. Si la France avait voulu vacciner, elle
aurait vacciné. Même le Comité vétérinaire
permanent de l'Union Européenne aurait pu déconseiller ces
massacres.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Vous êtes les premiers à
nous dire officiellement qu'il existe un vaccin. Le Ministère ou le
responsable européen de la Fièvre aphteuse ne nous l'ont jamais
mentionné. Je peux concevoir que ce vaccin ne soit pas encore
entré dans la réglementation. Cependant, je m'étonne que
personne ne nous ait indiqué que ce vaccin existait. Les Etats-Unis, le
Japon et la Nouvelle-Zélande s'interrogent aujourd'hui sur la
vaccination. Dans les échanges commerciaux, la problématique des
pays sains vis-à-vis de ces pays est-elle modifiée ?
Pensez-vous que ces pays ont évolué en matière
d'importations ?
M. Michel Lombard
- Monsieur le Rapporteur, je vous remercie pour vos
commentaires. Je vous renvoie à la page du document intitulée
« Obtenir une adaptation de la réglementation
internationale ». L'OIE distinguait autrefois deux
catégories : le concept anglais de « libre de
fièvre aphteuse sans vaccination » ; et celui de
« pays infectés ou pays avec vaccination ».
Cependant, les pays n'arrivant jamais à sauter le pas pour atteindre
l'état de « libre sans vaccination », l'OIE a
décidé de créer un état intermédiaire,
malgré l'opposition d'une majorité anglo-saxonne. L'état
de « libre de fièvre aphteuse » avec
vaccination » a été créé il y a environ
huit ans. Les pays ont ainsi eu la possibilité de s'élever
graduellement. A présent, dans la mesure où une surveillance des
animaux pourrait être effectuée dans nos pays, nous pourrions
à nouveau ne distinguer que deux états : les animaux libres
sans virus avec ou sans vaccination ; et les autres (infectés ou
vaccinés, avec présence du virus). J'en ai discuté avec
les personnes compétentes à l'OIE et à la Commission
Européenne.
M. Dominique Braye -
Vous ne pouvez pas mettre sur la même ligne
« libre de fièvre aphteuse sans vaccination » et
« libre de fièvre aphteuse avec vaccination ».
M. Michel Lombard -
Ce sont deux approches du constat de la maladie.
Lorsque l'OIE écrit « libre de fièvre aphteuse sans
vaccination », cela signifie que le pays ne vaccine pas et qu'il
déclare la maladie au moment où il la constate. Cependant,
l'exemple de l'Angleterre a montré que la maladie ne se déclare
pas immédiatement sur certains animaux et qu'elle peut donc se propager
librement pendant trois semaines. Ne pas vacciner pour aider à
déceler le virus correspond à la même démarche
qu'effectuer de la sérologie. Néanmoins, cette dernière
est plus efficace. Si les anglais avaient effectué des
échantillonnages sérologiques, ils se seraient aperçus que
certains de leurs animaux possédaient des anticorps des protéines
non structurales. Une fois l'alerte donnée, ils auraient pu vacciner
l'ensemble de leurs animaux. Cette méthode a été
utilisée en Albanie... sur le conseil des Anglais. Les Anglais ne l'ont
pas appliquée pour eux-mêmes car en 1968-1970 ; ils
étaient parvenus à éradiquer la maladie sans vaccination
par la méthode du «
stamping out
». Mais en
1968-1970, ils avaient observé la maladie quelques jours après
son apparition, alors que cette année ils ne l'ont observée que
des semaines après. Les animaux infectés en avaient
déjà contaminé d'autres. La France a vu le même
schéma.
M. Gauphichon
- C'est d'ailleurs tout l'intérêt de la
reconnaissance « libre de fièvre aphteuse avec vaccination
avec marqueurs ».
M. Philippe ARNAUD, président
- Vous nous parlez des nouveaux
vaccins traceurs. Or jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons jamais entendu
dire que ces vaccins existaient. Nous avons pourtant auditionné
d'éminents chercheurs. Ils n'envisageaient la fabrication de ces vaccins
que dans l'avenir. Vous êtes les seuls à affirmer que ces vaccins
traceurs sont une réalité. Pourriez-vous engager très
rapidement des actions d'information à destination des pouvoirs publics
pour mettre en valeur la réalité de vos recherches ? Les
personnes compétentes pour apprécier la fiabilité de vos
propositions pourraient ensuite venir nous confirmer l'existence de ces
vaccins.
M. Gauphichon
- Merial a déjà engagé une action
à destination des pouvoirs publics. Mais il nous est impossible
d'engager une action médiatique. Nos propres règles
d'éthique nous l'interdisent. De plus, une telle action risquerait
d'interférer avec la réponse des pouvoirs publics.
M. Michel Lombard -
Merial est au service des gouvernements et ne
souhaite pas les placer dans des situations inconfortables. Notre entreprise
leur propose des outils, leur apporte des preuves scientifiques et leur
apportera bientôt des preuves réglementaires. Le rôle de
Merial est de fournir les produits qui lui sont demandés. Elle ne peut
pas faire la promotion de ses produits si les gouvernements ne souhaitent pas
les utiliser.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Voyez-vous un inconvénient
à ce que nous inscrivions dans notre rapport d'information que ce vaccin
existe ?
M. Michel Lombard
- Nous n'y voyons aucun inconvénient.
M. Philippe Arnaud, président
- Je souhaiterais revenir sur un
élément fondamental. Les choix politiques opérés
jusqu'à maintenant ont répondu à une approche
économique. Vous avez pris soin de mener une comparaison entre une
politique de vaccination et une politique sans vaccination. Les chiffres
avancés peuvent-ils être repris ? Sont-ils contestés
ou contestables ?
M. Michel Lombard -
En Grande-Bretagne, le chef des services
vétérinaires a avoué que le coût se chiffrait
à un milliard de livres pour les animaux, remboursé à 70 %
environ. Il est maintenant bien connu que le coût bénéfice
de l'opération n'est plus en faveur de la non-vaccination. Les chiffres
sont toujours contestables, sauf en ce qui concerne le coût du vaccin.
J'ai inscrit les coûts des actes vaccinaux tels qu'ils apparaissaient
dans l'étude publiée sur la fièvre aphteuse en 1989.
Celle-ci montrait que le coût bénéfice était en
faveur de la non-vaccination. Les pouvoirs publics français avaient
annoncé en 1989 que la non-vaccination permettrait d'économiser
240 millions de francs.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie d'avoir
répondu à notre invitation et à nos questions.
29. Audition du docteur Henry Gilbert et du docteur Yves Moreau , vétérinaires ; Directeur des projets spéciaux et Vice-Président assurance qualité de Me rial
M.
Philippe Arnaud, président
- Nous recevons à présent
le docteur Henry Gilbert et le docteur Yves Moreau.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Je remercie le docteur Henry Gilbert
et le docteur Yves Moreau d'être présents au Sénat pour
être auditionnés.
M. Moreau
- Le docteur Gilbert a dirigé des missions en Iran sur
la fièvre aphteuse de 1962 à 1967. De 1968 à 1977, il a
été adjoint des relations extérieures d'IFAA
Mérieux. Il a notamment effectué des missions à
l'étranger : en URSS, en Irak, en Arabie saoudite, au Maroc, au
Japon, en Malaisie, en Israël, au Liban, en Afghanistan, à
Singapour, en Syrie, en République Arabe Unie, en Turquie, en Roumanie,
en Yougoslavie et en Grèce. En 1978, il est devenu Directeur de la
coopération technique internationale d'IFAA Mérieux. Il a
également été responsable des relations avec l'URSS de
1965 à 1999. Il a ensuite été nommé Directeur des
projets spéciaux à la création de Merial en 1997.
M. Gilbert -
Le docteur Moreau a également travaillé
à l'IFAA Mérieux. Il est devenu Vice-Président assurance
qualité de Merial en août 1997.
M. Gilbert -
Nous avons vécu le problème de la
fièvre aphteuse de façon pratique, c'est-à-dire sur le
terrain. Nous avons effectué des prélèvements de souches
dans des pays lointains mais aussi en France. Nous avons réalisé
des expériences en laboratoire. Quand l'épizootie est apparue,
nous avons proposé aux pouvoirs publics de leur faire part de nos
recherches. Je fais partie d'une association, baptisée l'OTCI employant
des cadres retraités et non retraités. Au moment de
l'épizootie, le Président de l'OTCI a écrit au Premier
ministre. Celui-ci lui a répondu, par l'intermédiaire de son
directeur de cabinet, qu'il transmettrait cette proposition au Ministre de
l'Agriculture. Monsieur Glavany ne nous a toujours pas répondu.
MM. Gilbert et Moreau remettent les conclusions suivantes à la
mission d'information
1.
La situation en France et dans l'Union Européenne
1-1.
Rappel de la situation en France par rapport à la vaccination
anti-aphteuse
La vaccination systématique annuelle de tous les bovins
âgés de plus de 6 mois contre les virus aphteux O, A et C avait
été décidée en 1962 par le Gouvernement
français. Elle a été arrêtée en 1991 par le
Conseil des Ministres de l'Agriculture de la CEE, sous la pression de
l'Angleterre et du Danemark et malgré les réticences de la France
(cf. Annexe 1. Extrait de la Dépêche Vétérinaire
n° 676 du 31/03/2001 au 6/04/2001 « Vacciner ou ne pas
vacciner : la réponse appartient à la recherche »
par Claude MEURIER, ancien Président du Comité Scientifique de
l'Union Européenne, Contrôleur Général Honoraire des
Services Vétérinaires). L'absence de vaccination rend les
cheptels français sensibles (bovins, ovins, caprins et porcins)
très réceptifs à une contamination par les virus aphteux.
Actuellement, l'Europe Occidentale est essentiellement menacée par les
virus O et A répandus dans le monde entier à l'exception de
l'Amérique du Nord et par le virus Asia 1 présent au Proche
Orient et ayant fait une incursion en Grèce en 1998 laquelle fut
rapidement maîtrisée.
1-2.
Evolution de l'épizootie dans l'Union Européenne
La partie occidentale de l'Union Européenne est concerné depuis
le 19/02/2001 par une grave épizootie de fièvre aphteuse qui a
été combattue essentiellement par une politique d'abattage des
animaux atteints et/ou contaminés et suspects. Le nombre de foyers :
- a été très élevé en Grande-Bretagne
atteignant 1625 au 22/05/2001 (cf. Annexe 2 Yahoo Actualités en date du
22/05/2001 « Les Britanniques craignent un redémarrage de la
fièvre aphteuse »). Bien que l'épizootie soit
annoncée comme déclinant par le Gouvernement, 18 nouveaux cas ont
été recensés depuis le 10 Mai 2001 dans la région
de Seattle (370 km au Nord-Ouest de Londres). A l'occasion de la campagne
électorale l'opposition conservatrice accuse le Gouvernement de
dissimuler la vérité sur l'étendue de l'épizootie
(cf. Annexe 3 Yahoo Actualités en date du 23/05/2001
« Fièvre Aphteuse : inquiétude après
l'apparition de nouveaux cas dans le Yorkshire »).
Le nombre d'animaux abattus et détruits ou en attente de destruction
était au 3/05/2001 de 2 430 000 se décomposant en 423.000 bovins,
1.893.000 ovins, 2.000 caprins et 112.000 porcins. (cf. Annexe 4. Document OIE
intitulé Informations sanitaires - 11 Mai 2001 - Vol. 14 - n° 19).
A été de 26 aux Pays Bas au 8 Mai 2001 ayant
entraîné l'abattage de 260 000 animaux sensibles. La situation
dans ce pays a amené ses autorités à recourir à la
vaccination des animaux sains présentant un risque de contamination,
d'abord à titre suppressif (pour étaler les abattages) ensuite
à titre protecteur (pour conserver les animaux) et ce en accord avec le
C.V.P. (Comité Vétérinaire Permanent de l'Union
Européenne) réuni le 3/4/2001. 115 000 animaux des 1 500 cheptels
situés autour des foyers recensés étaient vaccinés
(cf. Annexe 5. Extrait de la Dépêche Vétérinaire
n° 678 du 14/4/2001 au 204/2001). A été de 4 en Ulster (cf.
Annexe 6 Yahoo Actualités en date du 22/4/2001). A été de
2 en France (le 13/3/2001 en Mayenne et le 23/3/2001 en Seine et Marne). Les
abattages en France ont concerné 62.701 animaux dont :
- en rapport avec l'épizootie en Angleterre, 49.315 moutons anglais
et moutons français ayant été en contact avec les moutons
anglais ;
- 4.733 animaux abattus autour des foyers en Mayenne et en Seine et Marne
se décomposent en 233 bovins, 3 111 porcins et 1 389 ovins.
De plus, 10.000 carcasses ovines ont été renvoyées en
Angleterre.
- en rapport avec l'épizootie aux Pays Bas 8 653 animaux abattus.
En l'absence de nouveaux foyers, l'ensemble des zones de protection et de
surveillance mises en place autour des 2 foyers apparus en Mars 2001 ont
été levées (cf. Annexe 7 - Document OIE intitulé
Informations sanitaires 18 Mai 2001 - Vol. 14 n° 20).
1-3.
Le virus responsable O PANASIA
Le virus responsable de l'épizootie appartient au type O et a
été dénommé souche O PANASIA. Il aurait
été introduit en Grande-Bretagne à la faveur
d'importations illégales de viande en provenance de Chine. (cf. Annenxe
8 - Yahoo Actualités en date du 27-3/2001). Présentée au
début de l'épizootie comme un virus nouveau, elle s'est
avérée immunologiquement identique à la souche O MANISA
isolée en Turquie en 1969. La souche O MANISA avait été
étudiée dès 1969 d'abord dans des laboratoires
régionaux Institut RAZI à Téhéran avec le concours
d'une équipe française : (Services
Vétérinaires et Institut Français de la Fièvre
Aphteuse (filiale de l'Institut Mérieux) à l' Institut de la
Fièvre Aphteuse d'ANKARA et ensuite dans le Laboratoire Mondial de
PIRBRIGHT. Compte-tenu du danger que représentait cette souche O MANISA
pour la Communauté Européenne et de l'existence d'un vaccin
spécifique, la France a obtenu de Bruxelles en 1991 que le vaccin O
MANISA soit l'un des vaccins stockés sous forme d'antigène
congelé dans les 3 Banques de Vaccins constituées à titre
de sécurité par l'Union Européenne, l'une d'entre elles se
trouvant au LNPB (Laboratoire Nationale de Pathologie Bovine dépendant
de l'AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire
Alimentaire) situé à LYON. Le vaccin O MANISA produit
actuellement par MERIAL dans sa filiale anglaise s'est
révélé pleinement actif contre la souche O PANASIA (cf.
Récents Développements concernant les vaccins de la Fièvre
Aphteuse-publications MERIAL présentées en Mai 2001 à
l'Académie de Médecine par les Docteurs M. LOMBARD et Ph.
DUBOURGET). La souche O PANASIA est également identique à la
souche O 194 isolée en URSS en 1965 et elle-même reconnue
identique à la souche O MANISA suite aux travaux menés
conjointement d'abord en Iran et ensuite en URSS par des experts
français et soviétiques entre 1969 et 1974. Le vaccin O 194
fabriqué industriellement en Russie à partir de 1974 a
été inclus dans le vaccin trivalent AOC fabriqué à
CHOLKOVO avec les procédés IFFA MERIEUX et dont l'utilisation
à large échelle a conduit à la quasi éradication de
la fièvre aphteuse en URSS entre 1976 et 1980.
1-4.
Conclusions
L'épizootie de fièvre aphteuse au Royaume Uni n'est pas finie.
Quatre nouveaux cas sont encore apparus le 21/5/2001 portant le nombre total
des foyers à 1.625. Son ampleur fait planer l'éventualité
d'une « catastrophe aphteuse » pouvant entraîner des
pertes économiques très importantes en France et dans les pays
voisins de l'Union Européenne (Bénélux, Allemagne,
Italie). De nombreux professionnels de l'élevage (éleveurs,
négociants en bestiaux, chevillards, responsables des abattoirs,
vétérinaires, etc...) ont demandé le retour à la
vaccination par voie de pétitions. Reflétant leur détresse
le Parlement Européen s'est prononcé le 5/4/2001 à une
écrasante majorité eu faveur de la reprise de vaccinations
massives (cf. annexe n° 9 Yahoo Actualités en date du 5/4/2001 :
Fièvre Aphteuse le Parlement Européen appelle à la reprise
de vaccinations massives).
2. La situation dans les autres parties du Monde
Tous les continents autres que l'Amérique du Nord et certains pays de
l'Hémisphère Sud (Australie et Nouvelle Zélande) sont
concernés actuellement par la Fièvre Aphteuse. En Février
2001, l'OIE indiquait que seuls 53 pays sur les 157 membres de l'OIE sont
considérés comme indemnes de fièvre aphteuse (cf. Annexe
10 - Extrait de la « Dépêche Vétérinaire
n° 674 du 17 au 23 Mars 2001). En Afrique du Sud, le virus O PANASIA
a été récemment isolé, les virus SAT1, SAT2 et SAT3
sont présents en Afrique Australe et les virus O ont été
isolés au Maghreb. En Asie, le virus O sévit depuis de longues
années dans la partie asiatique de la Russie, dans les
républiques méridionales de l'ancienne U.R.S.S., en Inde,
à Taiwan, au Moyen Orient (Arabie Séoudite, Koweit notamment).
Sans doute la fièvre aphteuse est-elle également présente
en Chine, qui a reconnu une épizootie en 1999. Il est de
notoriété publique qu'elle y est très répandue (cf.
Annexe 11 - Yahoo : Actualités en date du 27/3/2001 « La Chine
affirme être exempte de fièvre aphteuse, les experts doutent
»).En Amérique du Sud, les pays traditionnellement exportateurs de
viande faisant partie du MERCOSUR sont durement touchés par la
réapparition du virus aphteux de type A et n'abattent pas ou plus les
animaux malades et/ou contaminés :
- L'Argentine annonçait dès le 27/3/2001 :
. d'une part l'existence de 78 foyers sur son territoire ;
. d'autre part le maintien de sa décision de ne pas abattre les
animaux atteints pour s'opposer à la progression de la maladie ;
. enfin, sa décision de vacciner une grande partie du cheptel bovin
(13 millions sur un total national de 50 millions (cf. Annexe 12 Yahoo -
Actualités en date du 27/3/2001 « Argentine : progression de
la fièvre aphteuse mais pas de sacrifice d'animaux »)
- Le Brésil annonçait le 7 Mai 2001 :
. d'une part 200 foyers à sa frontière méridionale
avec l'Uruguay,
. d'autre part l'abattage des seules bêtes malades,
. enfin la vaccination de tous les bovins de l'Etat de RIO GRANDE DO SUL
soit 13 millions de têtes de bétail (cf. Yahoo Actualités
en date du 7/5/2001 (Annexe 13) et en date du 9/5/2001 (Annexe 14).
- L'Uruguay annonçait :
. le retour de la fièvre aphteuse sur son territoire le 26/4/2001
et le sacrifice de 5000 bêtes (Annexe 15) (Yahoo Actualités du
26/04/2001 « Mesure d'urgence contre la Fièvre aphteuse en
Uruguay ») ;
. l'arrêt de l'abattage du bétail face au
mécontentement des éleveurs et le lancement d'une campagne de
vaccination de son cheptel bovin (Annexe 16) - Yahoo Actualités en date
du 1er Mai 2001. « L'Uruguay mobilisée contre la Fièvre
Aphteuse »).
. la présence de 190 foyers et la vaccination de tous les bovins du
pays (10,5 millions) le 5/5/2001 (Annexe 17 - Yahoo Actualités en
date du 5/5/2001 Fièvre Aphteuse, 190 foyers confirmés en Uruguay
- « Le Gouvernement lance une vaste campagne de
vaccination »).
La Dépêche Vétérinaire n° 684 du 26 Mai au Ier
Juin 2001 délivre deux informations de première importance
s'agissant de l'épizootie de fièvre aphteuse en Amérique
du Sud.
- d'une part, selon l'OIE, 914 foyers de fièvre aphteuse ont
été répertoriés en Argentine et en Uruguay (cf.
Annexe 18) :
. en Argentine 566 cas ont été répertoriés sur
le territoire argentin dont 87 au cours de la semaine du 29 Avril au 5
Mai ;
. en Uruguay, 348 foyers ont été répertoriés
dans 17 des 19 départements ;
- d'autre part, la Commission Européenne a décidé le
15 Mai de suspendre les importations communautaires de viandes fraîches
en provenance de l'Etat brésilien de RIO GRANDE DO SUL suite à la
réapparition de la fièvre aphteuse et envisage de les reprendre
à partir de ce même état après la fin de la campagne
de vaccination (cf. annexe 19). Il y a donc « de facto »
une entorse de fait en faveur du Brésil (l'article 2-1-1-5 du Code
zoosanitaire de l'OIE traitant des zones indemnes de fièvre aphteuse
où est pratiquée la vaccination imposant au pays exportateurs
d'attester l'absence de tout foyer de fièvre aphteuse dans ce pays au
cours des 2 dernières années (cf. annexe 20 - Document OIE
chapitre 2-1-1 du Code Zoosanitaire traitant de la fièvre aphteuse).
Il serait difficilement compréhensible de refuser la possibilité
d'exporter des animaux et des produits d'origine animale à des pays
membres de l'Union Européenne décidant de revenir à la
vaccination. Les faits rappelés précédemment soulignent la
détermination des pays d'Amérique du Sud faisant partie du
MERCOSUR et adhérents à l'OMC de continuer leurs exportations de
viande. La Fièvre Aphteuse dans les pays précités est-elle
une réelle résurgence ou est-elle avouée du fait que
l'Union Européenne (à l'origine de la politique d'abandon de la
vaccination avec les Etats Unis, et quelques autres pays) déclare de
façon transparente, l'épizootie la frappant ? Les Nations
évoquées ci-avant dans leur grande majorité font partie de
l'OMC notamment les pays du MERCOSUR, qui veulent continuer à exporter
de la viande et de ce fait représentent une menace potentielle, tous les
pays ne vaccinant pas contre la fièvre aphteuse.
3. La position des organisations internationales OIE et FAO
La politique de prophylaxie sanitaire basée sur l'abattage des animaux
atteints et /ou contaminés et sur le contrôle des mouvements des
animaux sensibles montre ses limites et son coût (cf. paragraphe 5-1-7 du
présent rapport). La mise au point de vaccins
« ciblés » entraînent des anticorps
différents de ceux de l'infection naturelle (MERIAL) et d'un test
diagnostic instantané par le M.I.T. (Massachusetts Institute of
Technology) aux USA et utilisant le génie génétique (cf.
Annexe 21 - Yahoo Actualités en date du 23/5/2001). Le MIT a
développé un test instantané de détection de la
fièvre aphteuse alors que les travaux de recherche très
avancés menés par la Société INTERVET (Pays Bas)
permettent la différenciation sérologique des animaux
vaccinés de ceux ayant été en contact avec le virus
pathogène. Le développement de l'épizootie O PANASIA ainsi
que les possibilités de vaccination offertes par les travaux
scientifiques évoqués ci-avant ont été
abordés lors de la Conférence Internationale OIE-FAO tenue
à Paris les 17 et 18/04/2001 (cf. Annexe 22). Les recommandations les
plus importantes de cette conférence sont les suivantes :
- recommandation N° 2-b (Extrait) « La conférence
recommande que l'utilisation des vaccins contre la fièvre aphteuse,
conformes aux critères définis dans le « Manuel des
normes pour les tests de diagnostic et les vaccins » soit vivement
encouragée ».
- recommandation N° 2-c (Extrait) « Considérant que
certains animaux et certaines ressources génétiques rares et / ou
précieux sont aussi sensibles à la fièvre
aphteuse ».
La conférence recommande :
1 - Que les pays membres assurent que leurs plans d'urgence nationaux contre la
fièvre aphteuse comportent des dispositions spécifiques pour
protéger ces animaux et ce matériels.
2 - Que l'article 2-1-1-6 du chapitre 2-1-1 du Code soit modifié si
nécessaire, pour permettre la vaccination en urgence de certains animaux
rares ou précieux, sans porter atteinte au statut de pays ou de zone
indemne de fièvre aphteuse sans vaccination.
- Recommandation n° 4 :
La conférence recommande que les recherches soient encouragées
dans les domaines suivants :
. Système de surveillance :
. Développement et validation de tests sérologiques
applicables à une grande diversité d'espèces
d'élevage et sauvages sensibles au virus aphteux. Des tests
sérologiques permettant de différencier l'infection de
l'immunité vaccinale, de confirmer que les troupeaux sont indemnes
d'infection par la fièvre aphteuse et de mettre au point des
systèmes de dosage fiables pour la certification individuelle des
animaux seraient tout particulièrement nécessaires dans
l'immédiat. L'acquisition de sérums de référence
est une étape critique dans l'accomplissement de cette tâche.
. Vaccins qui, dans les conditions idéales, présentent tout
ou partie des améliorations ci-dessous par rapport aux vaccins
actuellement disponibles :
. Disponibilité immédiate, facilité d'utilisation,
induction d'une couverture antigénique à large spectre
(croisement du sérotype de la souche), induction d'une immunité
rapide et de longue durée, protection de la sphère
oropharyngée contre une infection persistante.
. Induction de réponse(s) immunitaire(s) vaccinale(s) facile(s)
à distinguer de celle(s ) induite(s) par une infection.
4. Les conséquences de la fièvre aphteuse
Elles sont de plusieurs ordres concernant :
4-1
Les animaux atteints
(ruminants et porcins s'agissant des animaux de
rente)
Contrairement à ce qui a été écrit
récemment, la fièvre aphteuse n'est pas une maladie
bénigne et elle doit être considérée comme une
maladie d'autant plus grave qu'elle atteint des animaux de races
sélectionnées à haut potentiel génétique.
Elle entraîne :
- de la mortalité chez les jeunes ;
- des avortements chez les femelles gestantes ;
- des diminutions de poids des animaux atteints ;
- des diminutions de la production laitière ;
- des complications secondaires : myocardite, infections secondaires au
niveau des pieds.
Parmi les animaux sensibles les ovins sont un facteur de contagion important,
du fait que chez eux l'infection aphteuse entraîne soit des
symptômes discrets difficilement décelables soit même une
infection infraclinique (cf. Annexe 22 Document OIE. Conférence
scientifique internationale OIE/FAO sur la Fièvre Aphteuse Paris
(17-18/4/2001). Il en est de même des cervidés, animaux sauvages
sensibles devant être considérés comme des vecteurs de
contamination (cf. Annexe 30 Yahoo - Actualités en date du 2 Mai 2001
« Fièvre Aphteuse : cervidés, bûchers, vecteurs de
contamination au Royaume-Uni).
4-2.
L'économie de l'élevage avec
:
- des pertes directes liées à l'abattage des animaux
atteints et/ou contaminés et suspects ;
- des pertes indirectes résultant :
. de l'interdiction d'exporter des animaux ou des produits d'origine
animale à partir des pays atteints ;
. de la diminution du tourisme, les voyageurs décommandent leurs
visites en raison de la fièvre aphteuse.
L'annexe 31 (document Rhône-Mérieux en date de Mai 87
intitulée « Pertes causées par la fièvre
aphteuse et incidences économiques » recense les pertes
économiques résultant des épizooties de fièvre
aphteuse entre 1951 et 1982 dans différents pays du monde. Le document
Rhône MERIEUX rappelle dans son préambule que :
- la fièvre aphteuse demeure un danger permanent du fait des
échanges entre les pays, d'animaux et de produits d'origine animale qui
constituent une part importante du commerce international pour tous les pays du
monde ;
- de nouvelles souches apparaissent ainsi dans des pays où les
moyens de lutte contre la maladie, sanitaires (réglementation de
l'introduction et de la circulation des animaux et des produits d'origine
animale) et médicaux (vaccination avec des vaccins ne répondant
pas aux normes de l'OIE) sont plus faibles que dans les pays
développés voire inexistants ;
- par exemple au Botswana en 1978 une grave épizootie de
fièvre aphteuse due au virus de type SAT 1 n'avait pu être
endiguée parce que le vaccin contre le type type SAT 1 d'origine
anglaise, de faible qualité n'avait pas conféré une
protection suffisante et qu'ensuite la maladie a été
éradiquée par des vaccins produits sur place avec les techniques
de l'Institut MERIEUX.
Ce document rappelle dans son annexe 1 que :
- en France entre les années 1950 et 1960, avant la vaccination
généralisée décrétée en 1962 le
coût de la Fièvre aphteuse pour l'économie française
était estimée annuellement à 200 Millions de francs
(Bulletin de l'Académie Vétérinaire de France (Tome XXXVII
de Juin 1964) ;
- en 1974, les frais supportés par l'Etat à l'occasion d'un
foyer de fièvre aphteuse apparu en Bretagne et ayant
nécessité l'abattage de 35 000 animaux avait
représenté 50,5 Millions de Francs (Bulletin d'Informations -
Chaire de Maladies Contagieuses ENV Alfort (2) (1979) ;
- en 1979 à l'occasion d'un foyer apparu en Normandie après
l'abattage de 2773 animaux et de 761 porcins, les frais avaient
représenté pour l'Etat 16,1 Millions de Francs (d'après le
Ministère de l'Agriculture - Rapport général
d'activité 1979) ;
- à partir de 1973 l'Etat a cessé de subventionner la
vaccination sur la base de 1 F par animal vacciné et que les
dépenses qu'il a consacrées à la fièvre aphteuse
ont été en moyenne jusqu'en 1979 de 12,52 Millions de Francs par
an.
Années |
1972 |
1973 |
1974 |
1975 |
1976 |
1977 |
1978 |
1979 |
Coût en MF |
20,2 |
6 |
55,2 |
3 |
1,9 |
2,1 |
3,4 |
16,1 |
Les
coûts supportés par l'Etat sont exprimés en Francs
courants. Ils excluent les pertes économiques indirectes (fermeture des
marchés, restriction à la circulation etc...)En Grande-Bretagne,
les pertes dues à l'épizootie de 1967-1968 ont été
estimées par la Commission Royale d'enquête à :
- pertes directes (indemnités, désinfection, etc..)
35,1 millions de livres sterling ;
- pertes économiques totales (directes et indirectes). 70 à
150 millions de livres sterling soit 1,26 à 2,7 milliards de francs.
En 1996 à Taiwan une épizootie fièvre aphteuse très
grave à entraîné des pertes économiques très
lourdes. Elles ont été analysées et comparées dans
la revue américaine Newsweek en date du 7/4/1997 à celles
résultant de l'ESB au Royaume-Uni et sont supérieures à
ces dernières (cf. Annexe 32 - Extrait de Newsweek du 7/4/1997,
intitulé The Mad Pig Disease a foot and month virus rattles the
nation).
|
Porcs
Taiwanais
|
Bovins britanniquesESB |
Total population |
11 millions |
12 millions |
Animaux abattus |
1,6 millions |
1,2 millions |
Pertes à l'exportation |
1,55
milliard d'USD
|
0,96
milliard d'USD
|
Humains morts ou malades |
0 |
10 |
En 1996
la fièvre aphteuse a coûté 11,62 milliards de Francs
à Taiwan et l'ESB 720 millions de francs au Royaume-Uni. Du fait de
l'épizootie O PANASIA 2001, l'Union Européenne en
général et les pays membres en faisant partie et touchés
par la fièvre aphteuse subissent des pertes économiques directes
et indirectes très importantes. Les pertes économiques directes
sont celles résultant des abattages d'animaux malades contaminés
et /ou suspects et de l'indemnisation de leurs propriétaires. Elles
sont supportées à 60 % par l'Union Européenne et
à 40 % pour les pays concernés. L'Union Européenne estime
le coût potentiel de la fièvre aphteuse entre 500 Millions d'Euros
(3,28 Milliards de francs) et 700 Millions d'Euros (4,59 Milliards de Francs).
Or la ligne budgétaire actuelle pour ce type de dépenses est de
47 millions d'Euros (308,32 Millions de Francs) (cf. Annexe n° 33 Yahoo -
Actualités en date du 22 Mai 2001 « Union Européenne le
coût potentiel de la Fièvre Aphteuse estimé entre 500 et
700 millions d'Euros »). Un fonctionnaire bruxellois contacté
le 23/5/2001 et ayant demandé à garder l'anonymat, estimait que
le coût de l'épizootie se situerait plutôt entre 1 et 1,5
Milliards d'Euros. La lourdeur des prises de décision de l'Union
Européenne dans les domaines tant technique que budgétaire est
inadaptée aux problèmes très immédiats que pose la
gestion d'une épizootie de fièvre aphteuse. En cette
matière, une prophylaxie par la vaccination serait plus facile à
gérer par la Commission dans la mesure où chaque année un
poste serait budgété pour les campagnes de vaccination. Il
convient de rappeler que la crise de l'ESB avait nécessité une
rallonge budgétaire de 971 millions d'Euros (6,36 Milliards de
Francs). Le budget rectificatif supplémentaire avait été
voté le 12/2/2001 par les Ministres des Finances des 15 (cf. Annexe
n° 34 Le Monde fr. en date du 1/02/2001 « A court d'argent la
PAC devra être réformée »).
- Le Royaume-Uni estimait que les indemnisations pour les abattages
représentaient le 22/5/2001, 705 Millions de Livres Sterling soit
7,66 Milliards de Francs dont 304 Millions de Livres Sterling soit 3,30
Milliards de Francs ont déjà été payés aux
éleveurs (cf. Annexe n° 35 Document en date du 22 Mai 2001
issu du Ministère de l'Agriculture de la Pêche et de
l'Alimentation du Royaume-Uni).
- Les Pays Bas estiment le coût de la fièvre aphteuse
à 3 Milliards de Florins soit environ 9 Milliards de Francs pour les
éleveurs et les industriels et une baisse de 0,3 % du PNB en
résultant (cf. Annexe n° 36 - Yahoo Actualités en date du
22/05/2001 « La crise de la Fièvre Aphteuse a
coûté trois milliards de florins aux Pays Bas »).
- La France estime actuellement le coût des abattages à
65 Millions de Francs. Les niveaux des indemnisations des éleveurs
touchés par les abattages ont été plafonnés par un
décret du 30 Mars 2001 alors qu'auparavant les animaux étaient
payés à leur valeur réelle, avant la fièvre
aphteuse (cf. Annexe n° 37 France Agricole en date du 6/04/2001
« Fièvre Aphteuse et ESB - L'Etat encadre les
indemnités « abattage »).
Par ailleurs, les éleveurs qui ne pouvaient vendre leurs animaux pendant
l'épizootie n'ont touché jusqu'à maintenant des Pouvoirs
Publics que des indemnités symboliques. En Saône et Loire, un
éleveur ayant un troupeau de 300 bovins avait touché en Mai
seulement 15.000 Francs. Manquant de trésorerie, ils ont
été contraints de vendre des animaux il y a 3 ou 4 semaines
à des prix inférieurs de 1.500 à 2.000 F au prix
actuel :
- d'une part, à la Grande Distribution (chez qui les clients n'ont
pas profité d'une baisse du prix de vente) ;
- d'autre part, à des marchands spéculant sur la
réouverture à la mi-avril des frontières avec l'Italie.
Les pertes économiques indirectes sont représentées par le
coût social de l'épizootie et ses effets en cascade qui peuvent
toucher les pans les plus divers de l'économie, en premier lieu les
activités en aval de la filière agricole (cuir peaux) mais aussi
les activités périphériques du monde rural (Tourisme,
voyages, loisirs) (cf. Annexe n° 38 - Yahoo Actualités en date du
9/5/2001 - « L'Europe bradée sur les vols
Transatlantiques »).L'Union Européenne a enregistré
depuis le début de l'année 2001, un manque à gagner sur
les exportations d'animaux et de produits d'origine animale. Au 30/03/2001,
94 % des exportations européennes de viande de boeuf et 73 %
de celles de porc étaient bloquées : du 26/3/2001 au
27/4/2001 la Russie avait interdit les importations de bétail sur pied,
de viande et produits carnés, de lait de produits laitiers, de poissons
et de produits dérivés, de volailles et d'autres produits
d'origine animale en provenance de tous les pays européens. La Russie
avait acheté 402.345 tonnes de viande bovine en 1999 (42 % des
exportations de l'Union) (cf. Annexe n° 39 Yahoo Actualités en date
du 30/3/2001 L'U.E. commence à mesurer les retombées
économiques de la Fièvre aphteuse). Après le 27/4/2001 la
Russie a maintenu son embargo pour 6 pays de l'Union Européenne :
le Royaume Uni, l'Ulster, les 3 pays du Bénélux et la France (cf.
Annexe 40 Yahoo Actualités en date du 28/4/2001 Fièvre Aphteuse :
Moscou lève son embargo sur les produits d'origine animale de certains
pays de l'Union Européenne). Du fait de la position russe les
exportations de viande de volailles de l'Union Européenne ont
baissé de 31 % depuis le 1/1/2001 jusqu'au 24/4/2001. D'une part, la
baisse de la consommation de viande de boeuf en Allemagne, en Italie, en France
et en Espagne, d'autre part celle des exportations ont entraîné un
accroissement des stocks communautaires. Au 24/4/2001, 190.000 tonnes
étaient entreposées dans des frigos. 481.00 animaux de plus de 30
mois avaient été incinérés dont 155.000 en France
et 189.000 en Irlande (cf. Annexe 41 - Yahoo Actualités en date du
24/4/2001. L'UE entrevoit le bout du tunnel concernant les épizooties).
La France a vu diminuer l'excédent de ses échanges agro
alimentaires au cours du premier trimestre 2001 de 4 milliards de francs par
rapport à la même époque en 2000 (cf. Annexe 42 La France
Agricole du 25 Mai 2001 Commerce Extérieur L'ESB et la
Fièvre Aphteuse pèsent sur les exportations). De plus les
négociants en bestiaux soit à l'échelle nationale, soit
à l'échelle internationale ont été durement
pénalisés. Une PME bourguignonne CFI (Charollais France
Internationale) vendant à l'étranger des reproducteurs ovins,
caprins et bovins indique le 22/5/2001 que le total des marchés
annulés ou ajournés depuis le début de l'année a
représenté 2 701 000 Francs soit 40 % de son chiffre
d'affaires (cf. annexe 43 Fax en date du 22 Mai 2001 adressé au Docteur
H. GILBERT par Monsieur F. de LAUNAY Président de C.F.I.). Les abattoirs
sont lourdement pénalisés. Certains ont cessé leurs
activités comme l'abattoir d'Arrow-Lapalisse qui exportait avant
l'épizootie 1.500 carcasses de porcs par semaine à destination de
la Corée et de la Chine (cf. Extrait de la Dépêche
Vétérinaire n° 684 du 26/5/2001 au 1/6/2001 Annexe n°
44).
4-3
Conclusions
Les faits rapportés précédemment appellent 2
réflexions :
4-3-1
Le Royaume-Uni applique en matière de fièvre aphteuse
une prophylaxie sanitaire qui s'est révélée très
coûteuse en 2 occasions
En 1967, les pertes économiques totales se sont situées entre 70
et 150 millions de livres sterling soit 1,26 à 2,7 milliards de francs
qu'il a supporté seul n'appartenant pas encore à la
Communauté Européenne. En 2001, alors que l'épizootie O
PANASIA n'est pas finie, le Ministère de l'Agriculture de la Pêche
et de l'Alimentation estime le seul coût de l'indemnisation des
éleveurs touchés à 705 millions de livre sterling soit
7,66 milliards de francs (soit 2,8 fois plus) dont une partie importante sera
prise en charge par l'Union Européenne.
4-3-2
Le coût total de l'épizootie O PANASIA sera très
élevé pour l'Union Européenne, comme celui de
l'épizootie de type A en Amérique du Sud.
Les 4 pays
exportateurs traditionnels de viande (Argentine, Brésil, Uruguay,
Paraguay) qui font partie de l'OMC, ont décidé de recourir
à la vaccination et continueront à exporter. Y-a-t-il des
éléments techniques et économiques qui empêchent
l'Union Européenne de suivre leurs exemples. ?
5. Aspects Techniques de la vaccination :
5-1
Conséquences négatives de l'utilisation des vaccins
évoquées à tort
5-1-1
La vaccination induit la formation d'anticorps
5-1-1-1
Un certain nombre de pays exigent l'absence d'anticorps dans le
sérum des animaux achetés
. Il s'agit de l'Amérique du
Nord (USA, Canada, Mexique) de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie.
Ces pays ont importé très peu d'animaux au cours des
dernières années, depuis l'interdiction de la vaccination dans
l'UE (1991), situation amplifiée par le problème de la vache
folle.La vaccination n'empêcherait pas l'Union Européenne
d'exporter 80 % des viandes qu'elle commercialisait avant
l'épizootie actuelle et ce dans les pays suivants :
- La Russie représentant à elle seule 40 % des
exportations de l'Union Européenne ;
- Les pays du Moyen Orient et d'Afrique du Nord 40 % ;
- Les autres pays dont ceux d'Extrème Orient (20 %).
Tous ces pays sont dans des régions historiquement mais aussi
actuellement infectées de FA à l'état endémique.
Ils utilisent par ailleurs épisodiquement des vaccins importés
pour protéger les animaux de valeur. Il faut noter que le
« code zoosanitaire mondial » réactualisé en
2000 par l'Office International des Epizooties (OIE) précise qu'il est
possible pour un pays de bénéficier du « statut de pays
indemne où la vaccination est pratiquée » (article
2-1-1-3) et de ce fait d'exporter des animaux d'espèces sensibles
vaccinés, à condition de pouvoir présenter un certain
nombre de certificats vétérinaires. Dans le passé, des
animaux français issus des troupeaux vaccinés ont
été exportés dans de nombreux pays y compris dans ceux qui
ne pratiquaient pas la vaccination. La technique du PROBANG test
réalisée sur ces animaux dans le but de rechercher du virus
vivant virulent n'a jamais permis de déceler d'animaux
« porteurs » de virus virulent.
5-1-1-2
Les anticorps induits par la vaccination ne peuvent être
distingués de ceux induits par une infection
Cette affirmation est aujourd'hui fausse puisque plusieurs équipes
scientifiques et notamment celle de PLUM ISLAND (USA) depuis 1995 ont
montré qu'il existe des anticorps vis à vis de
« protéines non structurales » du virus aphteux
(notamment protéines 2C et 3 AB), uniquement chez les animaux
infectés. Le ou les virus aphteux entrant dans la composition du vaccin
subissent des étapes de purification et de ce fait les protéines
non structurales ne sont pas présentes dans le vaccin. Les anticorps
correspondants, même après multiples vaccinations ne sont jamais
retrouvés chez les animaux vaccinés. Ce test permet de
reconnaître les animaux infectés et les animaux asymptomatiques,
réputés transmetteurs de virus (animaux dits porteurs de virus,
asymptomatiques). Ce test doit être manipulé par des laboratoires
officiels compétents.
5-1-2
Les vaccins incomplètement inactivés peuvent provoquer
la maladie
Cette affirmation est inexacte car la technologie dite de double inactivation
du virus est parfaitement validée et est aujourd'hui pratiquée
par tous les laboratoires sérieux. Tous les lots de vaccins subissent
par ailleurs un double contrôle d'abord chez le producteur, ensuite dans
un laboratoire officiel.En France, aucun lot de vaccin (sur plusieurs milliers)
n'a provoqué de maladie (source Laboratoire National de Pathologie
bovine AFSSA ex CNEVA).
5-1-3
Les vaccins homologues ne protègent pas contre les sous-types
qui apparaissent sur le terrain
Cette affirmation est également inexacte. Les animaux sont
vaccinés et rappelés la plupart du temps avec des vaccins
trivalents (comportant donc trois types - OAC le plus couramment) Il a
été démontré à plusieurs reprises que si un
nouveau sous-type correspondant à l'un des types du vaccin, survient,
les animaux plurivaccinés résistent à ce nouveau
sous-type. (Bulletin de l'OIE, MOREAU et col. 1971). En conclusion, on peut
affirmer que le fait de vacciner régulièrement protège les
cheptels contre l'apparition de nouveaux sous-types ( à
l'intérieur d'un type).
5-1-4
Les animaux vaccinés confrontés à une infection
ne montrent pas de symptômes mais restent
« porteurs » de virus
- Des travaux récents (1999) réalisés par une
équipe allemande (PAUL ERHLICH-INSTITUTE), ont montré par deux
techniques performantes (PROBANG : écouvillonnage
naso-pharyngé et PCR : amplification génique) que seulement
1 à 5 % des animaux vaccinés, confrontés à une
infection ou à une épreuve virulente restent porteurs de virus
pendant 10 jours et environ 50 % des animaux sont porteurs pendant 4 jours.
- Le portage de virus dépend de l'espèce. Les moutons qui
expriment des signes cliniques frustres sont réputés être
les « meilleurs » porteurs lorsqu'ils ne sont pas
vaccinés.
- Le portage de virus dépend aussi du statut immunitaire
conféré par les vaccins. Si les vaccins sont de bonne
qualité et répondent aux normes de l'OIE, la vaccination
régulière diminue singulièrement le nombre de porteurs et
la durée du portage.
5-1-5
La vaccination d'urgence ne permet pas d'obtenir une protection rapide
des animaux
Une publication de 1994 concernant un travail réalisé par le
Laboratoire Officiel de PIRBRIGHT (UK) montre que l'immunité avec les
vaccins aqueux ou huileux qui répondent aux normes OIE est obtenue en
4 jours. Plus le délai entre la primo vaccination et l'infection
est long, moins les animaux sont porteurs. En conséquence, une
décision de vaccination ou de revaccination d'urgence doit être
prise très tôt lorsque l'épidémie menace un pays ou
une région. La vaccination régulière suivie d'une
injection de rappel en cas d'épidémie est une pratique
très performante. Il est donc inexact de laisser penser qu'il faut 15
jours à 3 semaines pour obtenir une bonne immunité.
5-1-6
La vaccination doit être réalisée tous les 6
à 9 mois
Cela est inexact. Là encore lorsque des vaccins de qualité
répondant aux normes de l'OIE sont utilisés, leur performance ne
nécessite qu'une administration annuelle. La prophylaxie officielle qui
a existé pendant 30 ans reposait sur ces bases et a montré son
efficacité.
5-1-7
La vaccination est très onéreuse
Elle coûterait environ 12 francs par bête et garantirait l'absence
de maladie. Elle serait d'autant plus rentable pour les éleveurs
à un moment, où l'estimation des bovins abattus sur ordre de
l'administration vient d'être plafonnée à des niveaux
faibles pour des animaux sélectionnés et cela par un
décret en date du 30/03/2001. La vaccination permettrait
d'éliminer :
- d'une part les pertes directes découlant des abattages des
animaux qui auraient été infectés en son absence et dont
l'indemnisation aurait été insuffisante ;
- d'autre part, les pertes indirectes des professions touchées par
la fièvre aphteuse et d'ont l'indemnisation n'est pas prévue.
En ce qui concerne le calcul du coût de l'élimination des animaux
non vaccinés atteints, contaminés ou suspects, à la base
de la politique actuelle de non vaccination, il a été fait sur
une hypothèse de 13 foyers primaires tous les 10 ans représentant
un coût de 35 millions d'Euros soit 229,58 millions de Francs
(alors que l'Union Européenne a déjà
déboursé depuis le 19 Février 250 millions d'Euros
soit 1.11 milliards de francs).
5-2 -
Conséquences reconnues positives dans le passé à
la pratique régulière de la vaccination
5-2-1 La vaccination annuelle, en France, des bovins de plus de 6 mois
permettait l'accès régulier des vétérinaires dans
les élevages et les fermes dans le cadre des prophylaxies officielles.
5-2-2 Cette vaccination, protégeant les cheptels, a permis de
réaliser des progrès génétiques conséquents
sur les espèces à cycle long (bovins, ovins, porcins), leur
situation sanitaire étant stable et satisfaisante sur des
périodes suffisamment larges.
5-2-3 La vaccination systématique a permis d'atteindre le stade de
l'éradication sur le territoire français. Le tapis immunitaire
ainsi atteint s'est montré très efficace, assurant la protection
indirecte des ovins et porcins, qui eux n'étaient pas vaccinés.
5-2-4 En cas de menace, la vaccination d'urgence, en anneaux autour des foyers
a permis, avant que la vaccination ne soit obligatoire, de limiter la diffusion
du virus, ceci en complément bien entendu des mesures sanitaires.
5-2-5 La vaccination de zones dites « tampons » a
été pratiquée avec succès, à plusieurs
reprises aux marches de l'Europe pour empêcher la
pénétration de virus asiatiques.
5-2-6 Des pays devenus indemnes grâce à la vaccination, comme
l'URUGUAY et l'ARGENTINE, ont arrêté cette précaution,
fermé les laboratoires producteurs de vaccins, et voient aujourd'hui
à nouveaux de graves épidémies (plusieurs centaines de
foyers) déferler sur leurs territoires, en provenance vraisemblablement
du BRESIL (virus O et A). Ces pays ont tenté de juguler
l'épidémie par des abattages mais devant les protestations des
éleveurs et le coût de ces opérations, ils reviennent
à la vaccination avec du vaccin fabriqué au BRESIL.
6. Les défenseurs des animaux dénoncent le massacre d'animaux
abattus et demandent la vaccination
A un moment où aux niveaux tant français qu'européen, des
textes législatifs et réglementaires ont été
élaborés pour l'amélioration du bien-être animal,
des associations de défense animale dénoncent le massacre
d'animaux abattus par centaines de milliers et réclament pour
l'éviter la reprise de la vaccination (cf. annexe 30 : Yahoo
Actualités, fièvre aphteuse : les défenseurs des animaux).
Il s'agit entre autres de :
- la fondation Brigitte BARDOT ;
- la SPA (Société Protectrice ces animaux) ;
- la Ligue Française des Droits de l'Animal ;
- la Fondation « 30 millions d'amis »
Cette mesure de vaccination a été acceptée par les
autorités pour les animaux des zoos. Ils conviendrait qu'elle s'applique
aussi aux animaux de rente. De plus, l'Organisation « Robin des
bois » appelle l'attention sur les incinérations en masse
d'animaux, où le feu est mis avec des pneus, des sacs plastiques, des
traverses de chemin de fer, etc... sources de pollution de l'air et des nappes
phréatiques. L'incinération d'animaux vaccinés et ne
contractant pas la maladie est une aberration économique car ces animaux
sont consommables.
7. La situation géo-politique a considérablement
évolué depuis 1991
- L'Union Européenne s'est élargie à 15 membres
donnant naissance à un marché unique très important. La
disparition du « Rideau de fer » a autorisé aussi
une augmentation singulière des échanges d'individus et de
marchandises entre pays d'Europe occidentale, et orientale. La mondialisation
en route ne fait qu'augmenter tout cela et les mouvements de population dus aux
voyages d'affaires ou de tourisme, ainsi que l'immigration
contrôlée et non contrôlée font que les douanes
avouent leur impuissance à tout contrôler (voir plus loin chap. 8).
8. L'exclusivement « sanitaire » n'est plus possible
Les autorités françaises elles-mêmes reconnaissant que l'on
est passé près de la catastrophe. Les mêmes
autorités, bien que satisfaites de la manière dont
l'épizootie a été jugulée ont
l'honnêteté d'affirmer que si la maladie était intervenue
d'abord en France, la situation aurait été identique à
celle intervenue au Royaume uni.Un rapport des douanes pour l'année 2000
publié le 10 avril 2001 constate une forte hausse des fraudes, y compris
dans le secteur agricole et révèle des faiblesses dans le domaine
sanitaire, notamment dans le nombre des contrôles réalisés
pour faire respecter les embargos - Les autorités françaises,
enfin, pensent sans doute à tort, qu'une augmentation des effectifs de
fonctionnaires sanitaires permettraient d'être plus performantes. Des
interventions plus fréquentes sur les élevages des
vétérinaires praticiens possédant le mandat sanitaire
seraient plus efficaces.Toutes les affirmations erronées ou
désuètes concernant les vaccins sont aujourd'hui contredites par
les progrès scientifiques. De ce fait, l'association des mesures
sanitaires et médicales (vaccin) qui avait donné dans le
passé d' excellents résultats, garde toute sa
justification.Attention : tous les vaccins ne sont pas de qualité
égale (innocuité - activité). Seuls quelques laboratoires
très performants sont, au niveau mondial, capables de fournir des
produits de grande qualité, répondant aux normes de l'OIE.
9. Les virus aphteux font partie de la liste des agents utilisables pour des
opérations de terrorisme ou/et de guerre biologique
L'introduction volontaire de ces agents sur un territoire indemne peut
permettre en quelques jours de porter un coup fatal à un / ou des
cheptels totalement sensibles parce que non vaccinés. Ces virus
sévissent à l'état endémique dans un certain nombre
de pays « politiquement sensibles », ils sont donc à
disposition pour utilisation à des fins malfaisantes. Tibor TOTH,
diplomate hongrois, chargé à l'ONU des pourparlers pour la mise
en place d'un protocole d'application de la Convention de 1972 sur les
armements biologiques, a souligné la facilité qu'il y aurait
à propager une telle maladie avec des intentions hostiles.
10. Faiblesse de l'équipement français en matière de
Laboratoire spécialisé dans la Fièvre Aphteuse
Autrefois, il y avait quatre établissements, deux publics (ALFORT et
LYON) et deux privés (MERIEUX et Roger BELLON) qui pratiquaient
régulièrement des études épidémiologiques de
la Fièvre Aphteuse. Depuis 1991, cette expertise a pratiquement disparu
parce que les spécialistes ne sont plus là où
s'intéressent à d'autres sujets. Il serait souhaitable que les
autorités françaises réfléchissent à ce
problème et à l'éventualité d'y impliquer le
Ministère de la défense comme aux USA.. NB : La Fondation MERIEUX
dispose à LYON d'un Laboratoire P4 susceptible d'accueillir des souches
de virus de très haute virulence.
11. Proposition d'une stratégie
Elles découlent des enseignements à tirer des épizooties
de fièvre aphteuse sévissant actuellement dans le Monde.
- d'abord l'épizootie O PANASIA touchant l'Union
Européenne ;
- ensuite l'épizootie en Amérique du Sud affectant
l'Argentine, l'Uruguay, le Paraguay et le Brésil.
Elles comportent des mesures générales d'une part et des mesures
spécifiques quant à l'utilisation des vaccins d'autre part.
11-1
Mesures générales
11-1-1
Révision du code zoo-sanitaire de l'OIE en ce qui concerne les
paragraphes relatifs à la fièvre aphteuse
(cf. Annexe 20)
Le code élaboré par la Commission du Code zoo-sanitaire
« international » de l'OIE (antérieurement
présidée par le Docteur B. Vallat devenu maintenant Directeur)
est l'ouvrage normatif du commerce international.Il convient de
réécrire le chapitre 2-1-1 traitant de la fièvre aphteuse
et notamment l'article 2-1-1-5 intitulé « zone indemne de
fièvre aphteuse ou est pratiquée la vaccination » et
l'article 2-1-1-6 « Pays infecté de fièvre
aphteuse ».Actuellement l'exportation de bovins provenant d'une zone
indemne de fièvre aphteuse ou est pratiquée la vaccination n'est
possible que deux ans après l'apparition du dernier foyer de
fièvre aphteuse.Compte tenu de l'innocuité des vaccins
répondant aux normes de l'OIE, des anticorps différents de ceux
de l'infection naturelle induits par les vaccins ciblés et des tests
diagnostics différenciant anticorps naturels et anticorps vaccinaux, il
faut permettre l'exportation d'animaux à partir d'une zone indemne de
fièvre aphteuse où est pratiquée la vaccination, trois
mois après le dernier cas de fièvre aphteuse.La Commission
Européenne s'engage dans cette voie puisqu'elle accepte d'importer
à nouveau des viandes de l'Etat Brésilien de RIO GRANDE DO SUL
actuellement infecté par le virus aphteux A et vaccinant contre cette
souche à la fin des campagnes de vaccination (confère annexe 19).
11-1-2
Identification « inviolable » des animaux
Afin d'éviter des fraudes éventuelles amenant à faire
passer comme animaux vaccinés des animaux qui ne le sont pas et de
suivre de manière générale les déplacements
d'animaux, il faut mettre en place une identification fiable et inviolable des
animaux européens sensibles à la fièvre aphteuse selon les
modalités suivantes :
- Bovins : dans les 15 jours qui suivent leur naissance ;
- Ovins, Caprins reproducteurs : selon les mêmes modalités.
Il existe déjà des procédés de type
« puce électronique injectable » utilisées
dans de nombreuses espèces et qui assurent une traçabilité
sans faille des mouvements d'animaux.
11-1-3
Développement d'un test de diagnostic précoce de
l'infection aphteuse
Comme l'écrit très justement le Contrôleur
Général Meurier, après l'arrêt de la vaccination
décrété par la Commission Européenne en 1991, les
recherches sur la fièvre aphteuse ont cessé de susciter
l'intérêt des autorités de l'Union Européenne et de
ses Etats membres.Ni la DG XII (Direction Générale de la
recherche de la Commission) ni les pouvoirs publics des Etats membres, ni leurs
laboratoires privés n'y ont affecté des crédits
significatifs (confère Annexe 1). Cette situation est très
critiquable du fait des conséquences néfastes des
épizooties de fièvre aphteuse pour l'économie animale et
de l'utilisation des virus aphteux comme arme bactériologique. Les
travaux du MIT (Massachuseth Institute of Technology), financé par la
DARPA (Agence du département américain de la Défense
spécialisée dans les nouvelles technologies) et ayant abouti
à la mise au point d'un test instantané de détection de la
fièvre aphteuse, méritent d'être étudiées par
les chercheurs français.
Ceux-ci doivent initier des travaux avec le même objectif qui pourraient
être eux aussi financés, au moins en partie, par le
Ministère de la Défense.
11-1-4
Développement des test de différenciation des anticorps
naturels, des anticorps vaccinaux
Dès 1995 une équipe de recherche américaine, du
laboratoire de LUBROTH ( Plum Island) travaillant avec un financement du
Ministère de l'Agriculture Américain (USDA), a mis au point un
test différenciant les anticorps aphteux naturels des anticorps aphteux
vaccinaux.Par ailleurs la société hollandaise INTERVET a mis au
point un test identique mais de réalisation plus simple (test Elisa) en
cours de validation (confère publications scientifiques jointes)
11-1-5
Suivi épizootologique des virus aphteux
Contrairement à ce qui était la règle jusqu'en 1991 le
suivi en France des souches de virus aphteux dans le monde qui se faisait dans
le cadre d'une collaboration « public/privé » n'est plus
assuré. Il convient pour des raisons tenant autant à
l'élevage qu'à la défense nationale de réactiver
les travaux en la matière.
11-2
Mesures spécifiques concernant la vaccination antiaphteuse
à mettre en oeuvre pour la protection de l'Union Européenne
La prophylaxie sanitaire devra être complétée par une
prophylaxie médicale utilisant les vaccins antiaphteux et à
mettre en oeuvre. D'une part dans certains pays de l'Union Européenne et
en Suisse fréquemment concernés dans le passé par des
épizooties de fièvres aphteuses et/ou exposés à des
contagions venant des pays voisins du fait de relations touristiques et
commerciales intenses.
D'autre part dans les pays de l'Europe Centrale et du Sud Est de l'Europe
où un manque d'organisation et de moyens entraînent des situations
sanitaires incertaines, avec la création de « zones
tampons » d'animaux vaccinés comme ce fut le cas sur la rive
nord du Bosphore de 1964 à 1985 avec des financements FAO et CEE.
11-2-1
Vaccination dans certains pays de l'Union Européenne (dont la
France) et la Suisse
.
11-2-2
Généralités
Les animaux vaccinés annuellement seraient les suivants :
Bovins âgés de plus de 6 mois.
Ovins caprins: les reproducteurs à haut potentiel
génétique.
[...]
11-2-2
Mesures spécifiques concernant la vaccination antiaphteuse
à mettre en oeuvre dans les pays limitrophes de l'Union
Européenne et exposés à la fièvre aphteuse du fait
de leur situation géographique
Une estimation a été réalisée concernant la
vaccination des ruminants et figure dans le tableau ci-après. Compte
tenu de leur situation géographique, un vaccin bivalent O A est
recommandé dans les pays suivants : Bosnie Herzégovine,
Croatie, République Tchèque, Hongrie, Slovaquie, Slovénie,
Yougoslavie. Un vaccin trivalent O A Asia 1 est préconisé dans
les pays : Bulgarie, Macédoine, Roumanie, Turquie d'Europe. Le
coût annuel de la vaccination de ces pays se situerait entre
109,54 millions de francs soit 16,70 millions d'euros et 136,25 millions
de francs soit 20,77 millions d'euros.
[...]
11.2.3.
Commentaires sur le coût total annuel des vaccinations
antiaphteuse où serait impliquée l'Union Européenne
financièrement et pour partie
En résumé :
dans les 10 pays de l'Union Européenne ou serait
réinstaurée une prophylaxie antiaphteuse comportant à la
fois un volet sanitaire et un volet médical avec la vaccination annuelle
des ruminants impliquant à la fois l'achat des vaccins et
l'administration par les vétérinaires se situerait entre 410 et
513 millions de francs.
en France le coût se situerait entre 134 et 168 millions de francs
Deux remarques sont à faire :
a) beaucoup d'éleveurs sont prêts à prendre à
leur charge la vaccination de leurs animaux ;
b) l'Union Européenne finance habituellement la lutte contre les
grandes épizooties (comme la rage etc..) à hauteur de 60 %
De ce fait la part restant à la charge de la partie française
serait entre
134 x
40
= 53,6 MF et 168 x
40
= 67,2 MF
100 100
dans les pays limitrophes de l'Union Européenne la même
politique antiaphteuse coûterait annuellement entre 109,54 et
136,25 millions de francs.
L'ensemble de la nouvelle politique antiaphteuse proposée
coûterait annuellement entre 410 + 134 = 544 MF soit 82,93 millions
d'Euros et 513,09 + 136,25 = 649,34 MF soit 98,99 millions d'Euros.
Ces montants sont à rapprocher des estimations du coût actuel de
l'épizootie O PANASIA pour l'Union Européenne qui se situera
entre 700 millions et milliard d'Euros compte tenu des nouveaux cas qui
continuent à apparaître au Royaume Uni.
12. Conclusions
1°) La fièvre aphteuse demeure un problème actuel
(confère Annexe 50 document OIE en date de Mai 2001) elle est
présente en :
* Afrique (virus O, SAT 1 et SAT 2) ;
* Amérique du sud (virus O et A) ;
* Asie (Moyen-Orient et Extrême orient) (virus O, A, Asia 1) ;
* Europe (virus O).
2°) Les probabilités de contamination des cheptels par le
virus aphteux augmentent. Aux modes naturels (vents, animaux domestiques et
sauvages, etc..) se surajoutent, ceux liés aux opérations
commerciales découlant de la mondialisation de l'économie. Par
exemple l'admission de la Chine à l'OMC fera courir des risques nouveaux
à l'Europe étant donnée la présence de la
fièvre aphteuse en Chine, la plupart du temps non déclarée
par les autorités de ce pays.
3°) En France, il faut remédier à la « perte de
mémoire » de la fièvre aphteuse et de ses
conséquences dans le monde vétérinaire français.
L'enseignement sur la fièvre aphteuse dispensé actuellement dans
les Ecoles Nationales Vétérinaires est incomplet. La
récente publication intitulée « La fièvre
aphteuse maladie de la bouche et du pied » et faite en Mars/Avril
2001dans le bulletin de la Société Vétérinaire
Pratique de France par le Professeur Jean Chantal de l'Ecole Nationale
Vétérinaire de Toulouse, ne mentionne ni les « vaccins
ciblés » (donnant des anticorps différents de ceux de
l'infection par un virus pathogène) ni les tests de détection de
ces anticorps, ni ceux « ultra-rapides » de la maladie (
test M.I.T. mis au point aux USA) (Confère Annexe 51).
Le corps enseignant des Ecoles Nationale Vétérinaire doit
informer ses étudiants :
- des avancées scientifiques concernant les vaccins antiaphteux
produits par des sociétés ayant un budget de recherche important.
Il s'agit principalement de :
* l'innocuité totale des vaccins ;
* leur activité leur permettant de développer une
immunité significative au bout de quatre jours et empêchent que
les animaux porteurs du virus avant la vaccination le restent longtemps
après ;
* leur capacité à induire chez l'animal des anticorps
spécifiques différents de ceux résultant d'un contact avec
le virus pathogène ;
* de l'intérêt d'une prophylaxie mixte sanitaire et
médicale qui a fait la preuve de son efficacité dans le
passé et qui est plus facile à mettre en oeuvre avec les nouveaux
vaccins évoqués ci-avant.
4°) En France il faut également développer des travaux
de recherches concernant :
* le suivi épidémiologique des virus aphteux ;
* la mise à jour de test de diagnostic rapides comme celui
découvert par le MIT (Massachusetts Institute Technology aux USA).
Ces travaux devraient être mis en oeuvre dans le cadre d'une
collaboration entre :
* Ministères : Ministère de l'Agriculture et de la
Pêche et Ministère de la Défense, concernés par le
virus aphteux utilisé en tant qu'armes bactériologiques ;.
* Organisations étatiques et privées impliquées dans
le travail du virus aphteux ( production de vaccins et de réactifs
diagnostic ) :
Des contacts pourraient être pris à ce sujet avec la Fondation
Mérieux qui dispose du laboratoire haute sécurité P4 Jean
Mérieux agréé par l'OMS, l'Union Européenne et les
USA (annexe N° 48 plaquette sur ce laboratoire).La France doit
également s'associer aux travaux d'autres pays de l'Union
Européenne en utilisant avec eux les crédits de la DG XII
(Direction de la Recherche) de la Commission Européenne.
5°) Un élément devant éclairer la position des
autorités françaises quant au mode de prophylaxie à
choisir dans l'avenir est le coût de l'épizootie actuelle pour
l'Etat Français du fait :
* d'une part, des abattages en France 65 millions de francs ;
* d'autre part, de ceux faits au Royaume-Uni.
La comparaison du coût des abattages au Royaume-Uni lors de
l'épizootie actuelle de fièvre aphteuse et lors de celle de
1967-1968 est édifiante .
5-1- Epizootie actuelle
Le total des compensations pour abattage versées aux éleveurs
représentait du 21-5-2001, 705 millions de livres sterling
soit :
705 X 10,80 = 7,614 milliards de francs (annexe 35 de notre rapport
déposé en sénat )
L'Union Européenne en prendra à sa charge 60 % soit :
7,614 X
60
= 4,568 milliards de francs français
100
La participation française aux dépenses communautaires
étant de l'ordre de 15%, la contribution française à
l'indemnisation des éleveurs du Royaume-Uni sera de :
4,568 X
15
= 0,6852 milliards de francs
100
= 685,20 millions de francs français.
Le coût de la vaccination annuelle des ruminants en France étant
de l'ordre de 150 millions de francs français, la contribution
française à l'indemnisation des éleveurs du Royaume-Uni
représente :
685,2
= 4,56 arrondi à 4,6
100
4,6 fois le coût annuel de la vaccination des ruminants en France.
5-2- Epizootie 1967-1968
Le coût des abattages réalisés en Grande Bretagne en
1967-1968 s'élève à 35,1 millions de livres (de
l'époque) soit 20 fois moins que celui de la présente
épizootie estimée au 20 mai 2001 (annexe 31 du rapport remis au
Sénat le 31 mai 2001 document Rhône-Mérieux du 14-5-87
intitulé « pertes causées par la fièvre aphteuse
et incidences économiques ».Il n'avait rien coûté
aux contribuables français puisqu'à cette époque, la
Grande Bretagne ne faisait pas partie de la Communauté
Européenne. Depuis plusieurs années déjà la
Commission des Communautés Européennes et les Pays du Nord de
l'Union Européenne exercent de fortes pressions sur les autres pays de
l'Union Européenne pour que le budget de la P.A.C.( politique agricole
commune) soit diminué. Face à cette situation, les
Autorités Françaises doivent empêcher la poursuite d'une
politique de lutte contre la fièvre aphteuse dont le coût risque
de compromettre la P.A.C. et est insupportable tant pour les finances publiques
françaises que pour les contribuables de notre pays.
M. Philippe Arnaud, président
- Messieurs, je vous remercie pour
ces interventions. Je laisse la parole à Monsieur le rapporteur.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Lorsqu'un nouveau virus surgit,
comment pouvons-nous réagir en matière de vaccination ?
M. Moreau
- La vaccination de routine, effectuée annuellement,
permet de bénéficier chez les animaux d'une immunité
très satisfaisante. Autrement dit, l'animal résiste face à
l'apparition de sous-types de virus.
Si un virus d'un type nouveau apparaît, les animaux ne résisteront
pas. Il faut donc se protéger face à ces virus qui sont
susceptibles d'apparaître en Afrique ou en Asie.
M. Gilbert -
Nous pouvons prendre l'exemple de la grippe. Certains
laboratoires suivent l'apparition des différents virus de la grippe dans
le monde, et essaient de prévoir les souches qui seront utilisées
pour une campagne. Autrefois, nous disposions d'un système qui
permettait de suivre de très près les apparitions de virus. Nous
pouvions ainsi anticiper les campagnes de vaccination. Incontestablement, nous
devrions revoir notre dispositif épidémiologique.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- On nous a dit qu'il ne servait
à rien de ne vacciner que les bovins, dans la mesure où les
porcins sont les plus grands porteurs du virus. Or vous nous dites que la
vaccination des bovins permet d'atteindre une certaine sécurité
immunitaire. Pouvez-vous être plus précis ?
M. Moreau -
Je vous parle par expérience. Lorsque nous ne
vaccinions que les bovins en France, le nombre de cas de fièvre aphteuse
était pour le moins limité dans les autres espèces. En ce
sens, la vaccination des bovins permet de limiter considérablement la
circulation virale.
M. Gilbert
- Monsieur le Sénateur, nous vous enverrons la fin de
notre rapport dans quelques jours.
Personnellement, je peux vous raconter l'expérience que j'ai
vécue en Union soviétique, dont la taille est 42 fois
supérieure à la France. A partir du moment où nous avons
vacciné les bovins, la fièvre aphteuse s'est effondrée.
Les porcins constituent évidemment des sujets sensibles à cette
maladie, mais ils voyagent beaucoup moins que les bovins.
Il est clair que nous ne pouvons pas vacciner tous les animaux d'un pays. Mais
l'expérience montre que la vaccination de 80 % des sujets d'une
population sensible entraîne un effondrement de l'épidémie.
Cela est vrai tant pour les animaux que pour les humains. Nous avons eu
l'exemple de la rage : à partir du moment où les renards ont
été vacciné contre la rage, l'épidémie a
été éradiquée.
M. Philippe Arnaud, président
- Avant de donner la parole
à Monsieur Braye, je souhaiterais vous poser une question. Les vaccins
des laboratoires Mérial sont-ils ou non
« délétés » ?
M. Moreau
- Ils ne sont pas marqués. Ce sont des vaccins dits
hyperpurifiés, où l'on a fait disparaître les fameuses
protéines non-structurales grâce à la chromatographie. Leur
efficacité est aussi bonne que celle des vaccins
« délétés ».
M. Philippe Arnaud, président
- Si je comprends bien, ils ne sont
pas porteurs de marques, mais ils sont décelables ou détectables.
M. Moreau
- C'est tout à fait cela.
M. Gilbert -
Une société hollandaise
« INTERNET » va prochainement sortir un nouveau test qui
permettra de différencier les anticorps des animaux vaccinés et
les anticorps des animaux qui sont en contact avec le virus de la fièvre
aphteuse.
M. Moreau
- Je comprends pourquoi vous faites allusion à cette
question, Monsieur le Président. En effet, pour d'autres maladies, il
existe aujourd'hui des vaccins dits
« délétés ». Cela permet de faire la
différence entre l'infection et le vaccin. Pour effectuer la
délétion, on travaille directement sur le génome du virus.
On code une protéine qui est susceptible ensuite de produire les
anticorps. Les laboratoires Mérial, quant à eux, purifient le
virus en éliminant les protéines non-structurales qui, chez
l'animal, font la maladie. Au bout du compte, le résultat est le
même.
M. Dominique Braye
- Lorsque je vous écoute, je remarque que
toute votre vie professionnelle a été consacrée à
la vaccination contre la fièvre aphteuse. Vous n'êtes donc pas
forcément les mieux placés pour dire s'il faut promouvoir ou non
cette vaccination. Franchement, j'ai l'impression de revivre la discussion que
nous avons eue en 1991 au sein de la profession vétérinaire.
A mon avis, les deux cas que nous avons connus récemment ne sont
pas déterminants par rapport à la décision qui a
été prise en 1991. Ceux qui étaient opposés
à l'arrêt de la vaccination en 1991 trouvent dans la
récente épizootie les arguments optimums qui appuient leur
position. En outre, à l'époque, les laboratoires Mérieux
disposaient d'un formidable réseau de surveillance
épidémiologique au niveau mondial permettant de détecter,
en amont, les éventuelles épidémies susceptibles de se
propager en Europe et en France.
M. Moreau
- La situation géopolitique a été
énormément modifiée depuis 1991. Vis-à-vis
d'une maladie qui est la plus contagieuse du règne animal, j'estime que
la situation est beaucoup plus fragile aujourd'hui que dix ans auparavant.
En outre, il est évident que la surveillance souffre d'un réel
sous-équipement. Enfin, je vous rappelle que les autorités
françaises elles-mêmes estiment que nous avons eu de la
chance : en effet, nous aurions parfaitement pu connaître une
situation similaire à celle qui a concerné la Grande-Bretagne.
M. Dominique Braye
- Je ne peux pas vous laisser dire cela. L'importance
du troupeau anglais, avec 50 millions de moutons répartis de
manière diffuse, et les modes de commercialisation constituent des
éléments permettant de dire de manière claire que nous ne
pouvions pas connaître une situation similaire. Certes, elle aurait pu
être pire, mais toutes les personnes que nous avons entendues nous ont
dit que cette épizootie n'aurait de toute façon pas pu être
comparable. Par exemple, nos marchés à bestiaux ne sont pas de la
même taille, et peu d'animaux repartent dans les exploitations.
Si nous sommes d'accord pour dire que la vaccination présente peu
d'inconvénients, il est néanmoins évident que certains de
nos partenaires économiques attendent que nous vaccinions pour nous
annoncer qu'ils ne veulent plus de nos produits. En ce sens, vacciner 80 %
des animaux qui partent à l'exportation peut constituer une
décision dramatique. Certaines productions, le poulet et le cochon tout
particulièrement, pourraient souffrir d'une campagne de vaccination
contre la fièvre aphteuse qui concernerait d'autres espèces.
Je suis persuadé que certains pays s'intéressent peu aux aspects
scientifiques de la vaccination. Même s'il est avéré que la
vaccination ne comporte aucune nocivité, ces pays ne voudront plus de
nos produits si certains animaux sont vaccinés. C'est bien pourquoi je
crois que nous devons nous interroger sur les conséquences
économiques pour notre pays de relancer une campagne de vaccination
massive par rapport aux échanges internationaux.
M. Gilbert -
Monsieur le Sénateur, vous êtes comme moi
lecteur des Dépêches vétérinaires. Récemment,
ce journal a annoncé que le marché des produits
vétérinaires a représenté plus de
cinq milliards de francs en 2000 en France. Les vaccins
représentent environ 18 % de ce chiffre d'affaires, et leur part va
en augmentant. Vous avez évoqué, tout à l'heure, les
vaccins délétés. Entre nous, parmi les 35 ou les
40 vaccins utilisés pour les animaux domestiques, seuls
cinq ou six sont
« délétés ». Et les autres ? Pour
les autres vaccins non délétés, le problème des
anticorps n'est pas soulevé. Je crois que le problème
réside dans la question de la vulgarisation des connaissances. En effet,
nos partenaires ne sont pas stupides, et ils peuvent comprendre que la
situation a évolué. Mais nous devons leur expliquer les enjeux
d'une campagne de vaccination.
M. Dominique Braye -
Je ne crois pas que le problème se situe sur
ce plan. Les vaccins « délétés »
permettent de dire aux pays qui sont rétifs à l'idée
même de vaccination que les animaux que nous exportons sont
vaccinés, mais ils n'ont jamais été en contact avec le
virus. Ils ne peuvent donc pas le transporter et être à l'origine
de l'apparition de la maladie chez eux.
M. Gilbert
- Effectivement, nous pouvons avancer de tels arguments.
M. Dominique Braye
- Encore faut-il ensuite savoir pourquoi nous
n'arrivons pas à faire admettre ces notions au niveau international.
C'est bien ce que nous a demandé Monsieur Lombard tout à l'heure.
Nous devrions en effet créer des catégories
différentes :
- les pays indemnes sans vaccination ;
- les pays indemnes avec vaccination et pratique de la
sérologie ;
- les pays infectés.
M. Gilbert
- C'est pour cela que nous mettons, dans notre proposition de
stratégie, une discussion au niveau de la Commission du Code. Lorsque
nous avons préparé le dossier que nous vous avons soumis
aujourd'hui, nous avons fait attention à bien argumenter nos
idées. Vous pouvez vous référer aux annexes de ce dossier,
qui étayent largement notre démonstration.
M. Dominique Braye
- A ce sujet, je tiens à dire que je suis
surpris et admiratif devant l'ampleur du travail que vous avez accompli pour
notre mission.
M. Gilbert -
Si vous ne nous découragez pas, nous pourrons encore
vous transmettre quatre ou cinq pages, consacrée à
l'Union européenne.
M. Dominique Braye -
Loin de vous décourager, nous vous
encourageons tous au contraire dans votre travail.
M. Gilbert
- Monsieur le Sénateur, la plupart de nos
confrères ont perdu la mémoire de la fièvre aphteuse.
Demandez à nos jeunes collègues du Ministère de
l'agriculture de ressortir des articles vieux de 30 ans. Vous risquez
vraiment de les mettre dans une situation difficile.
M. Philippe Arnaud, président
- Messieurs, merci de votre
contribution.
30. Audition de Jacques Lemaitre, Président de la Fédération Nationale Porcine
M.
Philippe Arnaud, président
- Je vous propose de nous
présenter votre analyse de l'épizootie que nous venons de
traverser, de nous indiquer, pour ce qui vous concerne et qui concerne votre
Fédération, ce qui a été positif et négatif,
tant dans les mesures nationales qu'européennes. Nous pourrons par la
suite en tirer des conclusions et des propositions. La maladie de la
fièvre aphteuse est hautement contagieuse et, par les échanges et
les déplacements des personnes, des biens et des animaux qui se
multiplient, nous sommes en permanence à la veille d'autres crises.
M. Jacques Lemaitre
- Dressons un bilan de notre secteur durant
cette période de crise. A l'origine, le secteur porcin n'était
pas concerné par cette maladie, à la différence du secteur
ovin, avant que la maladie ne vienne frapper toutes les espèces animales
confondues. Nous avons été interpellés par l'embargo
instauré et par ses conséquences. Nos services ont envoyé,
à cet égard, au Sénat, quatre pages qui sont une
estimation des surcoûts liés à la fièvre aphteuse
pour nos producteurs et qui énumèrent les conséquences
indirectes occasionnées par l'embargo.
Nous avons incité les pouvoirs publics français à prendre
des mesures de restriction concernant les mouvements des animaux. Lorsque les
foyers ont été détectés et que les
périmètres de circulation ont été dessinés,
tout animal s'est trouvé concerné par ces mesures à partir
du moment où il entrait dans ledit périmètre. Ainsi, nous
avons tout d'abord estimé les surcoûts liés au transport
des animaux. En effet, les pouvoirs publics ont en premier lieu interdit le
déplacement des porcelets entre exploitations, puisque les mouvements
d'animaux de fermes à fermes étaient interdits. N'étaient
autorisés que les mouvements d'animaux de ferme vers l'abattoir, sous
certaines conditions et dans les départements qui n'entraient pas dans
les périmètres dessinés autour de foyers
détectés. Dans les autres départements, la circulation des
animaux était interdite. Dans notre secteur, les conduites
d'élevage actuelles ne permettent pas de stocker des animaux plus de
quelques jours. Lorsque les animaux sont prêts à se rendre
à l'abattoir et qu'ils sont arrivés au terme de leur
engraissement, ils doivent être remplacés par d'autres animaux.
Leurs places doivent être libérées. L'obligation d'envoyer
nos animaux à l'abattoir a donc généré des
surcoûts. Un camion qui peut transporter 250 porcs, soit
l'équivalent de trois ou quatre élevages, ne pouvait plus
transporter qu'une quarantaine de porcs environ. Un semi-remorque effectue
environ deux tours au cours de la nuit, commençant à 17 heures
son travail et le terminant à minuit à l'abattoir. Le chauffeur
désinfecte alors son camion et repart pour effectuer un nouveau
chargement, qu'il emmène à l'abattoir vers 6 heures du matin. Une
telle méthode de travail lui permet de transporter 500 porcs dans la
nuit. Or, par l'intermédiaire des mesures édictées par les
pouvoirs publics, il n'avait le droit de transporter que 40 porcs par lot, ce
qui représentait, au cours d'une nuit, un total de 80 porcs.
En ce qui concerne les porcelets, les transactions sont nombreuses entre les
naisseurs, qui produisent les animaux, et les engraisseurs. Or les mesures
prises durant l'embargo ont interdit le déplacement des porcelets vers
les abattoirs, ce qui signifie que les porcelets restaient sur place. Je vous
rappelle que, dans notre système de production actuel, nous ne pouvons
pas garder les animaux dans une exploitation au-delà d'un certain temps.
Pour ce qui a trait aux reproducteurs, 95 % de l'organisation porcine
française induit un renouvellement du cheptel de 40 à 50 % par
an. Les animaux sont renouvelés par de nouveaux animaux. Cette
organisation pyramidale se fonde sur les sélectionneurs, les
multiplicateurs et les producteurs. Par conséquent, nos producteurs ont
besoin d'un renouvellement de leur cheptel. Durant l'embargo, les
multiplicateurs ne pouvaient plus vendre leurs animaux alors que ces derniers
étaient prêts à se rendre dans d'autres élevages.
Suite à la déclaration des cas de fièvre aphteuse et du
jour au lendemain, un multiplicateur s'est vu interdire de commercialiser ces
bêtes, dont une partie a été, par voie de
conséquence, envoyée à l'abattoir.
Vous en tirez aussi bien la conclusion que moi. Si nous n'étions pas
directement concernés par l'épidémie de fièvre
aphteuse, nous nous sommes vus impliqués par ces contraintes issues
essentiellement au transport de ferme à ferme. Ce premier volet a
été estimé à un surcoût de 9 millions de
francs environ. L'enquête a été menée avec
suffisamment de sérieux pour que l'estimation soit très
précise. En outre, la particularité du secteur
génétique et l'interdiction de commercialiser des animaux de
reproduction a porté de surcoût à un total de 21 millions
de francs au global.
Il n'en demeure pas moins que le bilan que je vous présente aujourd'hui
ne prend pas en considération un certain nombre de paramètres,
que sont par exemple les abattages préventifs effectués dans le
département de la Mayenne ou dans le couloir rhodanien à
l'égard de porcelets, ces abattages ayant pourtant été
expertisés. Ces abattages ont été réalisés
par précaution, car le porc est un animal qui sécrète
lorsqu'il se trouve atteint de fièvre aphteuse. Une telle mesure
était par conséquent nécessaire. Les 21 millions de francs
ne tiennent pas compte de ces mesures draconiennes d'abattage préventif.
A titre d'exemple, l'abattage des animaux de Monsieur Marie, dans la Mayenne,
soit 180 truies abattues au nom du principe de précaution, a
été expertisé par les centres de gestion et validé
par les services vétérinaires pour un montant de 3,5 millions de
francs de dommages.
Les éleveurs ont tous touché des indemnités. Je profite de
ce point pour marquer notre inquiétude auprès de votre commission
d'information. L'indemnisation reçue a été
effectuée à hauteur de leur préjudice. Néanmoins,
les éleveurs vont se trouver confrontés à un
problème fiscal l'année prochaine, comme nous l'avons
indiqué au bureau de la Fédération. Les sommes
allouées aux éleveurs sont destinées à indemniser
la perte d'exploitation. Néanmoins, les éleveurs doivent
recomposer leurs cheptels et rembourser les divers emprunts qu'ils ont pu
contracter auprès des établissements bancaires. L'année
prochaine, un jeune éleveur se retrouvera à déclarer au
fisc une somme de 3,5 millions de francs, ce qui nous embarrasse
réellement. En outre, le revenu agricole sert de base au calcul pour la
MSA. Les conséquences ne sont par conséquent pas des moindres. Un
jeune éleveur que j'ai rencontré m'a indiqué qu'il s'est
retrouvé dans un périmètre impliqué dans l'embargo
et qu'il a joué le jeu, au nom de la solidarité nationale, de
l'abattage préventif pour éviter la propagation de la maladie. Or
il se retrouve du jour au lendemain avec des problèmes qu'il n'aurait
pas soupçonnés auparavant par rapport au fisc et à la MSA.
De plus, les restrictions de diffusion de semences n'ont pas été
prises en considération durant toute la période d'embargo. Ces
restrictions n'ont pas fait l'objet d'expertise en matière de
surcoût. Par ailleurs, des porcelets ont été abattus dans
le couloir rhodanien, au sein duquel 2,5 millions de porcs sont produits chaque
année, grâce aux porcelets qui viennent de Hollande et
d'Allemagne. Les pertes d'exploitation ont été
considérables, sachant que les producteurs doivent parallèlement
à l'embargo, assumer les charges de leurs bâtiments.
Enfin, mais les auditions que vous avez déjà organisées ou
que vous allez organiser auprès des personnes qui travaillent en aval de
la filière, nous sommes directement concernés par les
conséquences de l'embargo sur nos exportations. N'oublions pas que le
secteur porcin s'organise pour qu'une partie de sa production (environ 15 % de
la production nationale) puisse s'exporter sur trois marchés principaux
: les longes, la poitrine et la saucisserie. La Russie représente, pour
certaines entreprises de saucisserie, jusqu'à 40 % du chiffre
d'affaires. La Corée apprécie, quant à elle, la poitrine
tandis que le Japon préfère les carrés de porcs, donc la
longe. Or il a trop souvent été considéré qu'il
s'agissait de marchés de dégagement. Je réaffirme que,
pour un grand nombre d'entreprises et pour la production française,
l'exportation est surtout un marché de valeur ajoutée. Une
privation d'exportation présente donc des conséquences sur le
prix de la carcasse. Lors de la courbe optimale de l'embargo, le kilo a vu son
prix baisser rapidement d'1,74 franc. D'aucuns auraient pu croire que nous
pouvions en profiter par rapport à nos concurrents, mais tel n'a pas
été le cas, puisque les marchés étrangers se sont
fermés et nos concurrents en ont profité pour accentuer leur
« protectionnisme ». Les pays étrangers cités n'avaient
pourtant aucune raison de craindre une augmentation de la maladie. Danemark
exporte 4 porcs sur 5 de son pays, puisque sa production est
excédentaire de 500 %. Ce qui revient à dire que lorsqu'il
n'exporte plus, il se voit dans l'obligation de dépoter sa marchandise
sur l'Europe. Je reviens à nos trois marchés stratégiques.
Nous sommes excédentaires depuis une dizaine d'années et les
grandes entreprises d'abattage et de salaison ont réussi à s'y
implanter en prenant des parts de marché sur leurs concurrents danois et
canadiens. Nos plus-values sont extrêmement intéressantes.
Or des containers de marchandise étaient déjà rendus sur
place, des containers étaient encore flottants et des containers se
trouvaient en préparation lors de l'embargo. Je suis président du
secteur porcin à l'OFIVAL et j'ai organisé une réunion du
club des quinze exportateurs français. Nous y avions expertisé,
en pleine crise, une moins-value considérable, les pays importateurs
refusant l'entrée de nos containers sur leur territoire. Les pertes se
sont chiffrées à 100 millions de francs pour 200 containers. Je
tenais à le signaler et m'engage à vous transmettre les chiffres
de Monsieur Rouche, professionnel de l'aval de la filière. Ses chiffres
seront sans doute plus fiables que les miens en la matière.
Vous vous apercevez, par mes propos, que l'embargo a entraîné des
conséquences directes sur nos marchés. Lorsque les exportations
ont été réduites, voire supprimés, le marché
français s'est brutalement vu engorgé et le prix du kilo a
diminué, au mois de mars, d'1,74 franc, baisse que nous ne parvenons
toujours pas à rattraper.
Ainsi, le secteur porcin n'était pas directement concerné par
l'épizootie de fièvre aphteuse et s'est néanmoins
retrouvé ultérieurement impliqué dans la crise. Sortant
avec peine d'une crise de deux années consécutives, il n'en avait
vraiment pas besoin !
M. Philippe Arnaud, président
- Votre intervention s'est
centrée sur les effets économiques de la crise dans votre secteur
ainsi que sur les indemnités reçues par les éleveurs.
Estimez-vous que les mesures sanitaires qui ont été
prononcées et appliquées ont été efficaces ?
M. Jacques Lemaitre
- Nous devions partir d'un constat et nous
pouvons maintenant aborder des considérations de tous ordres et revenir
sur les discussions qui ont eu lieu durant la crise, par rapport au rôle
des services sanitaires français et par rapport à la vaccination.
Pour tirer un bilan de l'efficacité montrée par les pouvoirs
publics pour gérer la crise, toute la profession porcine et, de
manière plus générale, toute l'agriculture, estiment
qu'ils ont mis en oeuvre des moyens à la hauteur des enjeux. Le
Gouvernement, au nom du principe de précaution et pour éviter
propagation, a fait preuve d'une organisation et d'une rigueur exemplaires.
Nous en avions déjà conscience. Aujourd'hui, il n'est de secret
pour personne que l'organisation sanitaire et vétérinaire
française est la mieux organisée en Europe et peut-être au
niveau mondial, ce qui n'est pas le cas en Angleterre ou dans d'autres pays.
Elle assure en effet un véritable maillage sur le terrain. Il est vrai
que les mesures d'abattage préventif et leurs « victimes »,
c'est-à-dire les éleveurs dans les périmètres
concernés, peuvent choquer les consciences. Certaines images ont en
effet été très fortes. J'ai fait partie de la commission
fièvre aphteuse organisée par au Ministère de
l'Agriculture tous les jeudis après-midi. L'interdiction par les
préfets du survol médiatique des fermes était un point qui
est souvent revenu à l'ordre du jour de ces réunions, pour faire
disparaître toute tentation de voyeurisme et de diffusion d'images
spectaculaires. Il fallait surtout respecter l'honneur et la douleur des
éleveurs concernés par les abattages.
M. Philippe Arnaud, président
- Vous considérez par
conséquent que les moyens mis en oeuvre ont été à
la hauteur des enjeux et que les mesures prises ont permis d'éviter le
pire. Si la crise française avait été de même
ampleur qu'en Grande-Bretagne, nécessitant des abattages intensifs, la
constitution de charniers, sous les feux des médias, votre
réponse serait-elle identique ?
M. Jacques Lemaitre
- Si nous n'avons pas connu la même
situation que les Anglais, c'est parce que leur situation était autre
que la nôtre. Nous avons quant à nous pris conscience de
l'existence de la maladie lorsque l'on nous a annoncé, lors du Salon de
l'Agriculture et en présence des médias et de notre Ministre de
l'Agriculture, qu'un foyer avait été découvert en
Grande-Bretagne. Trois jours après, nous avons appris que ces foyers
étaient au nombre de 20 à 50 foyers. Ce n'est pas par hasard,
à mon avis, que leur développement et leur multiplication a connu
une telle rapidité. Les autorités de Bruxelles pourront nous le
confirmer lorsque leur enquête sera achevée. En effet, un certain
délai s'est écoulé entre le premier cas
décelé et sa déclaration au comité permanent. Par
l'inorganisation et démantèlement des services
vétérinaires de proximité dans ce pays, le temps de
réponse à élaborer des mesures réactives et leur
manque de moyens ont permis de propager la maladie. En France, lorsque deux cas
ont été déclarés, des mesures ont été
immédiatement prises pour instaurer des périmètres et
effectuer des abattages préventifs.
Je reste donc persuadé que la gestion de la crise n'a pas
été effectuée dans le même esprit et avec les
mêmes moyens. Au nom du principe de précaution, les mesures prises
ont certes pu paraître un peu excessives. En tous les cas, elles ont
permis d'éviter le pire.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous savons que la maladie est
extrêmement contagieuse. Nous savons par ailleurs que les échanges
internationaux entre personnes, biens alimentaires ou animaux se multiplient,
ce qui est un vecteur de propagation de la fièvre aphteuse. Nous savons
que le dispositif de prévention de la maladie repose sur des mesures
sanitaires et sur un suivi. Qui dit développement d'échanges
économiques et des réglementations dit développement des
fraudes, même si ces dernières se trouvent limitées.
Imaginons le cas d'importations frauduleuses porteuses du virus. Quelle que
soit la qualité du maillage français, les foyers se seraient
révélés partout en France. Quel est le seuil de
tolérance ?
M. Jacques Lemaitre
- Prenons l'exemple des moutons. Leur
problème est complexe car il correspond à un moment précis
où la France présente un réel besoin de moutons. Ces
derniers sont par conséquent importés de pays dont nous ignorons
les méthodes de contrôle sanitaire. J'en conclus à la
nécessaire harmonisation des règles communautaires en la
matière. Ce sujet mériterait de plus amples débats.
Dès que les moutons sont parvenus sur le sol français,
l'importateur doit les déclarer au service vétérinaire de
son département. Le fraudeur ne les déclare pas, par
définition. C'est ce qui s'est passé par rapport aux importations
anglaises. Or la consommation foraine du mouton est très forte,
particulièrement au cours de certaines fêtes religieuses.
Même si une telle consommation ne présente aucun danger de
contamination de l'homme, les risques de propagation de la maladie sont
évidents.
Une des leçons à en tirer, c'est qu'il faut, en France, reprendre
de l'assurance en instaurant une procédure précise et claire
d'introduction et d'identification des animaux. Tel est déjà le
cas pour les secteurs bovin et porcin. Le système est fiable, même
s'il demande encore à être amélioré. Un effort doit
être fourni dans le secteur ovin pour élaborer un système
équivalent d'identification. En effet, ne nous leurrons pas : la crise
que nous venons de traverser se reproduira un jour, parce que les commandes de
communautés religieuses sont importantes, etc. Quoi qu'il en soit et
quel que soit le système qui sera mis en place, les fraudes ne seront
jamais évitées. La notion de risque-zéro n'existe pas.
M. Philippe Arnaud, président
- Quel est le seuil de
tolérance, aujourd'hui ?
M. Jacques Lemaitre
- Nous sommes prêts à jouer le jeu
et nous l'acceptons. Vous aurez remarqué que nos éleveurs n'ont
jamais manifesté, estimant qu'il fallait respecter le principe de
précaution et accepter les mesures rigoureuses mises en place pour
éviter la propagation de la maladie. Nous avons participé
à la cellule fièvre aphteuse constituée au sein du
Ministère, avons participé à ses travaux et avons
informé des évènements, au jour le jour, tous les
professionnels des raisons qu'avaient les pouvoirs publics de mettre en place
de telles mesures.
M. Philippe Arnaud, président
- Votre réponse est-elle
uniquement liée à l'intérêt économique de la
filière porc par rapport à la réglementation actuelle ?
Votre attitude serait-elle aussi tranchée si de nouvelles
modalités vaccinales étaient mises en oeuvre et si la
réglementation sanitaire et vétérinaire internationale
intégrait des mesures européennes et n'affectait pas
l'exportation des porcs ?
M. Jacques Lemaitre
- Lorsque nous sommes victimes d'une
épizootie, la question de la pertinence des vaccins est
récurrente. Deux aspects sont à considérer. Au niveau des
mesures réglementaires, il ne faut pas oublier qu'instaurer un vaccin
obligatoire de la fièvre aphteuse reviendrait, pour la France et pour
l'Europe, à se priver de leurs marchés à l'exportation. Or
la France ne peut s'en priver.
M. Philippe Arnaud, président
- La France se priverait de
marchés à l'exportation. Que pensez-vous, dans ces conditions, de
l'importation en Europe de viandes bovines vaccinées issues de pays dans
lesquels la fièvre aphteuse est endémique ?
M. Jacques Lemaitre
- Il s'agit de l'importation de carcasses
d'animaux, qui ne sécrètent pas.
M. Philippe Arnaud, président
- Le porc exporté sur vos
marchés est, par définition, mort.
M. Jacques Lemaitre
- Je reviens au cadre réglementaire. Les
protocoles d'accords sanitaires conclus entre les pays comportent une partie
scientifique et objective ainsi qu'une partie subjective qui permet aux pays,
de manière plus ou moins détournée, de revigorer un
certain esprit protectionniste. La France n'y fait, de son côté,
pas appel, ce qui est à son honneur. Aujourd'hui, une vaccination
obligatoire et générale nous empêcherait d'exporter sur
certains pays qui nous sont pourtant indispensables dans le maintien de notre
activité économique.
Je trouve anormal que certains pays puissent exporter en France de la viande
vaccinée. Si ce point est confirmé par les enquêtes en
cours, les pouvoirs publics devront prendre leurs dispositions et leurs
responsabilités pour mettre fin à cette pratique. J'en profite
pour signaler que certaines anomalies du même ordre ont été
constatées durant l'embargo. Nous n'avions plus le droit d'envoyer les
animaux de certains élevages vers les abattoirs de leur
département, sans suivre une procédure administrative
extrêmement lourde. Or, parallèlement, ces abattoirs,
privés des animaux français, recevaient des animaux en provenance
de l'Allemagne, ce qui n'est pas non plus normal.
Pour revenir à la vaccination, cette dernière nous ferait perdre
des marchés indispensables au niveau économique. En outre, sur un
plan scientifique, la vaccination ne nous permet pas de distinguer, par la
suite, l'animal sain de l'animal contaminé mais protégé
par le vaccin. Ainsi, faire circuler des animaux vaccinés
considérés comme sains revient aussi à faire circuler,
sans que nous le sachions avec précision, la maladie.
Vacciner le cheptel est une mesure louable destinée à
protéger le cheptel. Néanmoins, nous traversons une
période dans laquelle l'opinion publique donne sa faveur à un
plus grand respect des animaux et de l'agriculture. Une vaccination totale
serait considérée comme une mesure allant à l'encontre du
consommateur.
M. Philippe Arnaud, président
- Disposez-vous d'une analyse
concrète, dans votre secteur du moins, de l'attente des consommateurs ?
Il est vrai que le consommateur cherche à consommer les produits les
plus sains possible. Pourtant, la vaccination n'a rien de malsain. Nous serons
d'ailleurs en mesure de démontrer que l'idée permettant
d'indiquer que les vaccins ne permettent pas de distinguer un animal sain d'un
animal atteint par la maladie est inexacte. Les laboratoires disposent
d'éléments scientifiques permettant de prouver le contraire.
Imaginons la situation dans laquelle les consommateurs ne peuvent supporter les
charniers et les abattages massifs et dans laquelle les réglementations
internationales du commerce font l'objet d'évolutions et de
modifications permettant aux problèmes d'exportation de
disparaître. La profession porcine évoluerait-elle en
conséquence ? Votre proposition se fonde sur un élément
économique et sur la fermeture des frontières.
M. Jacques Lemaitre
- Je vous signale que nous insistons
énormément, aujourd'hui, sur la nécessité des
vaccinations pour de nombreuses maladies d'élevage, comme la grippe. Que
demain, un vaccin supplémentaire soit rendu obligatoire (son coût
et l'organisation de la vaccination étant alors à étudier
au sein de la filière) n'est pas gênant à partir du moment
où il ne perturbe nos échanges commerciaux et où il
apporte une réponse au consommateur qui s'irrite des images qu'il a vues.
M. Philippe Arnaud, président
- La prévention se fonde sur
un intérêt économique.
M. Jacques Lemaitre
- Je connais les éleveurs victimes d'un
abattage massif de leur cheptel en quelques heures. Ils auraient
préféré la mise en oeuvre d'une autre solution, en tous
les cas moins traumatisante sur un plan psychologique. Ce traumatisme n'a
jamais été évalué. Certains éleveurs ne s'en
remettront jamais, car ils aiment leur cheptel et n'aiment pas le voir
être décimé en quelques heures. Nous sommes favorables
à l'instauration de systèmes qui ne perturbent pas les
échanges commerciaux et protègent le cheptel. La vaccination est
un sujet qui n'a eu de cesse d'être discuté au comité
vétérinaire permanent. Or ce sont les Anglais eux-mêmes qui
ont refusé cette vaccination généralisée car ils
avaient conscience de ses conséquences négatives sur un plan
économique.
Si vous êtes en mesure de faire évoluer la législation
européenne et internationale, nous y serons favorables.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie et vous invite
à nous communiquer les données chiffrées de Monsieur
Rouche.
31. Audition de Vincent Perrot, Directeur Scientifique de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie
M.
Vincent Perrot
- Le sentiment ressenti chez les consommateurs et les
citoyens exprime plus un dégoût par rapport à la nourriture
produite pour rien et les images fortes diffusées à la
télévision, assez insupportables. Tel a été le
premier sentiment exprimé par les consommateurs. En discutant, par la
suite, avec des éleveurs expérimentés, nous nous sommes
rendus comte que la maladie de la fièvre aphteuse est une maladie
ancienne, qui ne donnait pas lieu à des abattages massifs. Une telle
différence a incité les citoyens consommateurs à
réfléchir sur la manière dont la crise récente a
été gérée. Un vaccin a été
trouvé puis généralisé, puis sa production a
été arrêtée parce que les professionnels ont
considéré que l'Union Européenne avait réussi
à éradiquer la maladie et que la vaccination était
coûteuse, notamment pour les porcs et les ovins. En outre, sur un plan
scientifique, existait un problème d'anticorps communs à la
maladie et au vaccin. Lorsqu'un animal est vacciné, il n'est plus
possible de savoir s'il a été au contact de la maladie ou si ses
anticorps sont le fait du vaccin. Enfin, la vaccination a rendu impossible
l'exportation vers des pays tiers des carcasses et des animaux.
Payer pour une Politique Agricole Commune (PAC) qui se préoccupe avant
tout de sa production à destination du marché extérieur ne
paraît pas normal au contribuable que je suis. La PAC doit s'occuper, en
priorité, de produire pour le marché intérieur pour
répondre aux attentes des consommateurs et des citoyens à
l'intérieur de l'Union, avant de répondre à celles du
marché extérieur à l'Union.
M. Philippe Arnaud, président
- La production agricole et
alimentaire européenne doit-elle se limiter aux besoins de l'Union ?
M. Vincent Perrot
- Non. Nous sommes d'accord pour qu'il soit
instauré une gestion du territoire de l'Union équilibrée,
pour que des subventions soient allouées aux producteurs, mais dans des
conditions qui ne négligent pas le consommateur européen et
l'environnement. L'exportation des surplus n'est pas notre problème.
Néanmoins, nous considérons que la PAC ne répond pas
à toutes les attentes du consommateur européen, tant en
matière de sécurité alimentaire et de qualité des
produits qu'en matière de défense de l'environnement
(problème des pesticides, des insecticides, des nitrates, etc.). Je vous
rappelle qu'à cet égard, les consommateurs paient une
contribution beaucoup plus élevée que celle des éleveurs
pour lutter contre la pollution de l'eau notamment et subissent
également les conséquences des mesures prises pour endiguer la
maladie de fièvre aphteuse. Le prix de l'agneau a augmenté en
raison de l'interdiction des exportations, de l'insuffisance de la production
nationale et de l'absence de vaccination.
La CLCV pense qu'à partir du moment où la mondialisation existe,
où les transports aériens existent et permettent de faciliter le
franchissement des frontières, il est illusoire de considérer
qu'une région telle que l'Union Européenne restera indemne de
toute maladie infectieuse. Tant que la fièvre aphteuse subsistera dans
certains pays qui commerce avec l'Union, le risque d'épizootie
persistera.
Nous nous prononcerions par conséquent pour une vaccination de tous les
animaux, en commençant par établir une vaccination des bovins,
avant de réfléchir à celle des porcins et des ovins, pour
un coût comparable et payé par la PAC. En effet, le coût
d'une vaccination générale sera, de toutes les façons,
inférieur au coût de la destruction préventive de milliers
d'animaux. Il est également nécessaire de reprendre les
recherches afin de trouver un vaccin qui permette de faire la distinction entre
les animaux vaccinés et sains, et ceux qui ont été au
contact de la maladie. A ce propos, il semblerait que certains vaccins
existeraient et seraient capables de faire cette distinction. L'écueil
constitué par une absence différentiation disparaîtrait
donc. La commercialisation de tels vaccins permettrait de ne pas recourir aux
abattages massifs.
Il ne faut pas négliger, par ailleurs, le problème posé
par le redéploiement des élevages. Certaines régions de
l'Union se sont spécialisées dans l'élevage. C'est
notamment le cas de la Bretagne. En cas d'épidémie ou de germe,
la propagation de l'épidémie s'intensifie rapidement à
l'intérieur de la région, du fait de la densité des
élevages dans la région. A titre d'exemple, la mortalité
des jeunes poussins en Bretagne est plus forte qu'en Auvergne ou dans une autre
région dont les élevages sont moins denses.
Réfléchissons sur ce point. Le redéploiement des
élevages ne doit, bien entendu, par nuire à l'environnement.
Diminuer la densité à l'intérieur même des
élevages est une autre mesure à prendre, pour ralentir la
propagation des maladies et faciliter leur prévention et/ou leur
traitement.
Un autre problème nous paraît important. Un grand nombre
d'abattoirs ont disparu et c'est sans doute l'une des causes de la propagation
rapide de la maladie de fièvre aphteuse en Angleterre.
Réfléchissons par conséquent sur le nombre d'abattoirs
à construire où à réhabiliter. Moins les abattoirs
sont nombreux, plus les distances à parcourir pour y emmener les animaux
sont importantes et plus le risque de propagation de la maladie est grand.
Est-il possible de rajouter des unités qui soient conformes à la
réglementation européenne, qui seraient viables et qui
permettraient de limiter les transports ? Nous pourrions imaginer une telle
solution pour empêcher la propagation des épidémies et
parce que la préoccupation du bien-être animal devient de plus en
plus présente dans l'opinion publique. En effet, le transport des
animaux sur les longues distances est de moins en moins bien perçu.
Le système d'épidémio-surveillance n'est, par ailleurs,
pas efficace ni dans l'Union Européenne ni dans le monde. Ainsi, entre
le moment où l'animal tombe malade et l'instant où l'alerte est
donnée, du temps s'est écoulé, qui a permis la propagation
de la maladie. Interrogeons-nous sur l'efficacité du système
à mettre en place notamment aux frontières de l'Union, tout en
exigeant l'instauration d'un tel système au sein de tous les pays
exportateurs d'animaux vers l'Union européenne.
Enfin, tous les animaux destinés à voyager doivent être
munis d'un passeport. Les consommateurs sont en effet particulièrement
attachés à leur traçabilité et à leur
identification, depuis la crise de la vache folle. Cette identification devrait
être instaurée chez tous les animaux. En effet, les efforts faits
en France pour la traçabilité des ovins et des porcins bloquent
à l'échelon de l'Union européenne.
Sur le plan des exportations et puisque la vaccination des animaux reste
interdite par l'Union, le contribuable doit-il payer pour compenser les pertes
relatives à l'exportation ? Nous pensons nécessaire d'instaurer
une mutualisation des risques à l'exportation, qui permettrait de
dissocier le marché intérieur et la demande des consommateurs des
produits qui sont exportés et qui ne relèvent pas du contribuable
et du consommateur européen.
L'impact sanitaire et environnemental de l'épidémie de
fièvre aphteuse est encore difficile à évaluer. La France
n'a pas été véritablement touchée mais nous
pourrions fort bien imaginer que tel sera le cas demain. Que faire des
carcasses incinérées à l'air libre et sans
précautions véritables ? Qu'advient-il de des animaux atteints
d'ESB lorsqu'ils sont brûlés et que le prion passe dans l'eau ou
les sols ? Il ne s'agit pas d'une grande cause d'inquiétude pour nous,
à la différence du stockage des farines animales. Pourtant, c'est
une question de santé publique qui pose problème.
M. Philippe Arnaud, président
- Les consommateurs seraient par
conséquent prêts à acheter et à consommer de la
viande vaccinée ?
M. Vincent Perrot
- Nous pensons que les consommateurs ne sont pas
inquiets pour leur santé du fait de la vaccination des animaux.
M. Philippe Arnaud, président
- Les consommateurs cherchent
depuis plusieurs années à s'alimenter de façon plus saine.
Ainsi, des confusions sont souvent réalisées entre ce
comportement et des produits qui seraient « aseptisés ». Ce
qui explique ma question. Une politique de vaccination systématique
ferait-elle fuir les consommateurs ?
M. Vincent Perrot
- Nous ne le pensons pas. La fièvre aphteuse
n'est pas véritablement dangereuse pour les êtres humains et les
consommateurs ne font que réagir aux images choquantes dont ils ont
été abreuvés durant la crise.
M. Philippe Arnaud, président
- Je relève une
contradiction dans vos propos et dans votre document. Vous indiquez que le
contribuable européen ne doit pas payer pour les exportations et que le
contribuable français n'a pas non plus à payer pour les pertes
d'exploitation qui résulteraient d'une vaccination systématique.
Le consommateur européen est-il prêt à payer le
surcoût des matières des produits qu'il achètera, afin de
réinstaurer un équilibre ? Nous savons qu'en matière
économique, sauf à abandonner telle ou telle production, tout
produit présente une valeur réelle. Soit le contribuable
intervient pour faire diminuer le prix de vente, soit il achète le
produit à un prix de vente supérieur.
M. Vincent Perrot
- A quoi servent les aides ?
M. Philippe Arnaud, président
- A faire diminuer le prix
payé par le consommateur.
M. Vincent Perrot
- Fort bien. Mais pour quelle qualité de
produit ? Les demandes des consommateurs, portant à la fois sur les
animaux et sur l'environnement, sont-elles prises en compte par les
agriculteurs ? Nous considérons quant à nous que la PAC et que
les subventions allouées ne profitent pas à tout le monde.
M. Philippe Arnaud, président
- Attachons-nous à la crise
de la fièvre aphteuse. Je vous signale une autre contradiction. Vous
semblez indiquer que cette crise est une conséquence des élevages
intensifs et productivistes ainsi que des exportations. Je crois que l'on peut,
au contraire, rappeler que la maladie est ancienne, qu'il s'agit d'une maladie
qui était endémique à l'époque où aucune
concentration n'était réalisée. Nous reconnaissons
aujourd'hui que cette concentration d'élevages permet de limiter la
propagation du virus et d'intervenir plus efficacement si le virus est
décelé. Telle est la différence entre la France et la
Grande-Bretagne, au sein de laquelle les élevages sont extensifs et se
développent sur de grandes étendues géographiques. Le seul
problème que nous pourrions avoir dépend des zones de montagne,
où il serait difficile d'identifier les animaux malades.
M. Vincent Perrot
- Autrefois, la fièvre aphteuse était
effectivement une maladie endémique, ce qui ne nous empêchait pas
de consommer les animaux. Aucun problème n'existait pour les
cnsommateurs. En ce qui concerne la densité et la concentration des
élevages, une telle situation permet peut-être de limiter la
propagation du virus. Néanmoins, elle oblige parallèlement
à abattre beaucoup plus d'animaux et toute une région peut par
conséquent se voir touchée en peu de temps.
M. Philippe Arnaud, président
- Néanmoins, je persiste
à indiquer que vos propres propos sont contradictoires.
M. Vincent Perrot
- Je ne suis pas certains que nos raisonnements
respectifs soient contradictoires.
Avons-nous besoin d'augmenter notre production de porcs, connaissant la
concurrence qui fait rage entre la France, la Hollande et les Belges, ce qui
entraîne à chaque fois des crises au sein de nos élevages
porcins ? Une telle question est totalement liée à la crise
d'épizootie de fièvre aphteuse. Plus les animaux sont nombreux,
plus les bûchers sont importants. Les consommateurs s'interrogent alors
sur la pertinence de produire et de développer des élevages qui
soient aussi denses, d'autant plus que ces élevages ne correspondent
nullement à leur exigence en matière de qualité.
Nous ne sommes pas contre le fait que les éleveurs gagnent leur vie en
se fondant notamment sur les exportations de leurs animaux, à partir du
moment où ils satisfont, en interne, la demande des consommateurs.
M. Philippe Arnaud, président
- Les consommateurs seront-ils
prêts à bannir les achats de produits importés
fabriqués dans des pays dans lesquels les conditions de production,
d'hygiène et de sécurité alimentaire ne correspondent pas
à nos propres normes, ces produits étant néanmoins moins
chers que les nôtres ? Les consommateurs sont-ils prêts à
aider la production française et européenne à
s'améliorer constamment ?
M. Vincent Perrot
- Il existe une réglementation
européenne relative à l'hygiène sanitaire des
élevages. Nous souhaitons qu'elle soit appliquée quel que soit le
produit et quelle que soit son origine. Quant aux conditions de production, la
transparence et une politique d'étiquetage sont des demandes
formulées par les associations de défense des consommateurs, pour
que ces derniers puissent choisir en connaissance de cause. Je pense que ces
demandes sont justes. Plus le consommateur est informé, plus il peut
choisir en connaissance de cause son alimentation. Néanmoins, nous
pensons qu'il est également nécessaire de ne pas faire augmenter
le prix de la viande, même si le consommateur a désormais compris
que les prix affichés ne peuvent descendre plus bas.
M. Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie de votre
contribution.
32. Audition d'Yves Cheneau, Chef du Service de la Santé Animale à la Food & Alimentation Organisation (FAO), et d'Yves Le Forban, Secrétaire à la commission européenne de lutte contre la fièvre aphteuse
M.
Philippe Arnaud, président
- Pouvez-nous nous décrire
l'analyse
que vous avez tirée de la crise de fièvre
aphteuse que nous venons de connaître, en insistant sur la façon
dont elle a été appréhendée au niveau national et
européen. Pouvez-vous nous dire comment les réglementations en
vigueur doivent évoluer, et être harmonisées? Des nouvelles
mesures prophylactiques doivent-elles être élaborées? Quel
est
l'intérêt d'une vaccination
généralisée ? Nous aimerions vous écouter sur ces
différents points.
M Yves Cheneau -
L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et
l'agriculture, dans son Département Agriculture, dispose d'un service de
santé animale qui doit mettre en oeuvre des stratégies
transfrontalières. A cet égard, nous suivons au jour le jour
l'état de la situation de la maladie fièvre aphteuse dans le
monde mais également en Europe. Elle s'est dotée en 1953 d'une
commission de lutte contre la fièvre aphteuse et bénéficie
de la contribution de la FAO.
La fièvre aphteuse doit être traitée comme un
problème global et mondial, à l'image des déclarations qui
ont été diffusées sur ce sujet par les médias. Si
l'épizootie récente née en Grande-Bretagne et qui s'est
ensuite propagée en France a attiré l'attention des médias
sur ce problème, il n'en demeure pas moins que la fièvre aphteuse
est une maladie vieille comme le monde, qui n'est pas toujours traitée
de manière adéquate dans certains pays.
Les stratégies à mettre en oeuvre sont différentes, selon
que les pays touchés sont des pays développés ou des pays
en voie de développement. Il a été, pour les premiers et
dans l'Union Européenne, décidé d'arrêter la
vaccination annuelle depuis 1990, décision fondée sur des
études économiques et opérationnelles. En dehors de cette
justification, la décision s'est fondée sur le principe de
liberté du commerce et d'accès au commerce international, les
vaccins induisant la possibilité que les animaux porteurs du virus ne
puissent être identifiés et rendant alors impossible toute
exportation. Le problème n'est pas seulement d'ordre économique,
mais aussi d'ordre technologique.
Notre commission, qui aide ses 33 Etats membres a pu démontrer, par les
faits, que les trois réintroductions du virus en Bulgarie, les deux
réintroductions du virus en Grèce, la réintroduction
massive en Italie en 1993 et l'infection dont ont souffert l'Albanie et
d'autres pays d'Europe centrale, n'ont pas été dramatiques sur un
plan économique. En d'autres termes, la politique d'abattage
systématique organisée dès 1990 se justifiait. J'estime
que nous pouvons même tirer la conclusion de la validité
économique des choix effectués, sauf pour ce qui concerne la
Grande-Bretagne. Ce pays supporte aujourd'hui des coûts
intolérables en raison de l'épizootie dont elle a
été frappée. La crise a ruiné, dans ce pays, tous
les calculs économiques qui avaient été
réalisés. Ainsi, faut-il revenir sur une stratégie qui,
jusqu'à présent, s'était avérée être
le bon choix économique (dans le fait de vacciner ou non et dans la
possibilité d'exporter) ? Cette stratégie était la bonne,
sauf pour la Grande-Bretagne. Sauf ce cas particulier, la carte de la
distribution mondiale de la fièvre aphteuse montre une
corrélation étroite entre le PNB et l'état sanitaire des
pays : plus les pays sont riches, moins ils connaissent de foyers de
fièvre aphteuse.
Qu'en est-il des pays en voie de développement? Le virus qui vient
d'affecter l'Europe s'est développé dans le sous-continent indien
en 1990, a contaminé la Turquie en 1996, avant d'affecter
l'Europe ; cependant, il a également envahi l'autre
côté de la planète en pénétrant au Japon et
en Corée. Ces deux derniers pays ont bien maîtrisé la
situation, alors que d'autres pays asiatiques ont éprouvé
beaucoup de difficultés à endiguer la contagion. La nouvelle
souche n'est pas extraordinaire en soi, puisque la fièvre aphteuse
présente toujours des sous-types différents, ce qui rend
d'ailleurs sa vaccination difficile. Si j'en réfère à la
peste bovine, un seul vaccin suffit, ce qui n'est pas le cas pour la
fièvre aphteuse. Ainsi, l'Asie du Sud Est connaît une situation
d'endémie de la maladie, malgré les efforts fournis pour lutter
contre sa propagation. La Chine est très largement contaminée par
le virus aphteux. La FAO a réussi à y organiser une mission
d'expert, il y a trois ans, ce qui a permit d'observer, d'analyser et de faire
état de la situation de la maladie dans ce pays. C'est une
première ouverture positive dans le sens de la lutte contre la maladie
dans cette partie du monde, même si une seule personne ne suffit pas,
avec une seule visite, pour couvrir tout le pays. Pourtant, les services
vétérinaires de Chine semblent bien organisés puisque des
documents de formation qui leur sont envoyés sont largement
diffusés dans le pays. De manière générale, les
projets actuellement mis en oeuvre en Asie pour lutter contre la maladie sont
suspendus à l'état de la situation sanitaire de la Chine. Enfin,
l'Amérique du Sud vient également de subir une recontamination.
La commission européenne de lutte contre la fièvre aphteuse que
nous abritons, au sein de la FAO, a pour mission d'éviter l'introduction
du virus venu du continent asiatique à travers la Turquie vers le
continent européen. Nous disposons d'un fonds européen mis
à disposition de la FAO il y a quelques années, qui porte sur un
montant d'environ un million de dollars et qui sert à établir une
zone tampon en Turquie. La commission européenne de lutte contre la
fièvre aphteuse s'intéresse également à la
situation de la fièvre aphteuse dans les pays mitoyens de l'Europe ainsi
qu'à la région du Caucase.
M. Yves Leforban
- Comme vient de l'indiquer Yves Cheneau, La Turquie a
toujours été considérée, comme la porte
d'entrée du virus en Europe, ce qui a été le cas à
plusieurs reprises dans le passé. La Commission Européenne de
Lutte contre la Fièvre Aphteuse a depuis toujours focalisé son
activité dans cette zone, en mettant en place des zones tampons en
particulier en Thrace, puisque le risque d'introduction du virus en Europe
provient essentiellement de cette région. Nous continuons par
conséquent de soutenir les efforts faits par la Turquie en la
matière. En amont de la Turquie, la FAO intervient également en
Iran. La France a aussi conclu un programme de coopération
vétérinaire qui nous semble capital en la matière, l'Iran
étant la plaque tournante du virus venant de l'Asie. Nous sommes par
ailleurs intervenus à plusieurs reprises dans la région du
Caucase, porte d'entrée possible du virus issu d'Asie centrale. Les
Russes nous ont poussé à intervenir dans cette région car
il n'avait plus les moyens d'y maintenir une zone tampon. Nous avons donc
financé un programme de vaccination pour les pays de la région
(Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie) en 1999 et 2000. Ce
programme n'a pas eu tous les résultats escomptés en l'absence
d'organisation rigoureuse des Services Vétérinaires.
Ainsi, lorsque la maladie s'est déclarée en Angleterre notre
Commission était déjà en état d'alerte, mais elle a
en revanche été prise au dépourvu dans la mesure où
la maladie se déclarait là où elle n'était pas
vraiment attendue.
M. Philippe Arnaud, président -
La FAO a-t-elle pu identifier les
causes de cette apparition en Angleterre ?
M. Yves Leforban -
Effectivement ces causes ont été
analysées et sont désormais comprises. Je voudrais simplement
dire que nous avons été très surpris de son apparition
dans ce pays, notre Commission ayant orienté son action sur d'autres
zones à risque. La Grande-Bretagne a toujours été
considérée comme le modèle européen par la lutte
contre la fièvre aphteuse, puisque le laboratoire de recherche FA le
plus connu (Pirbright) se trouve situés sur son territoire et emploie
les experts les plus réputés.
Pourquoi la maladie a-t-elle fait son apparition en Angleterre ? La presse a
fait état, de l'intensification de l'élevage et du
développement de nouvelles techniques d'élevage en les
dénonçant. Je ne pense pas que cela en soient les raisons; la
maladie existe depuis le Moyen- Age et je suis persuadé que
l'introduction du virus et sa diffusion ne sont pas liées à
l'intensification de l'élevage. En revanche les mouvements
internationaux et l'intensification du commerce international ont certainement
joué un rôle important en la matière. En effet les eaux
grasses seraient vraisemblablement l'une des origines possibles de
l'introduction du virus. La diffusion de la maladie sur l'ensemble du
territoire du Royaume-Uni puis en Europe ont ensuite été
facilités par les transports d'animaux vivants sur de longues distances.
Les moutons sont particulièrement impliqués dans cette
circulation du virus. Ce qui signifie qu'à tout point de vue, le
scénario qui s'est déroulé en Grande-Bretagne était
imprévisible. En outre la diffusion de la maladie en Angleterre est
essentiellement due au délai qui a couru entre l'introduction du virus
et le diagnostic de la maladie. Durant cette période des animaux ont
été transportés et les mesures de contrôle ont
été mises en place de manière tardive. Quand les
premières mesures ont été prises, le virus avait
déjà largement diffusé. La est la différence
essentielle entre la situation en Angleterre et la situation en France. En
France les Services Vétérinaires étaient
déjà en alerte et les premiers cas ont été
immédiatement déclarés.
Nous pouvons éventuellement nous demander pourquoi les Britanniques ont
mis autant de temps pour réagir ? En premier lieu le virus est apparu
sur les moutons ce qui a rendu son diagnostic extrêmement difficile. En
second lieu les Services Vétérinaires anglais ont fait l'objet de
réductions budgétaires drastiques depuis quelques années,
et manquaient de moyens humains et matériels. 200
vétérinaires officiels sont actuellement recensés et ils
n'étaient pas assez nombreux pour couvrir tous les territoires ce qui
explique qu'ils aient dû faire appel à des
vétérinaires étrangers lorsque la crise la fièvre
aphteuse est survenue. Cette carence explique aussi pourquoi ces
vétérinaires ne peuvent pas réellement contrôler de
manière systématique les élevages comme c'est le cas en
France.
Aurait-il été possible d'améliorer et d'optimiser les
mesures de lutte en Angleterre ? Je reste persuadé que cela aurait
été possible. Les Anglais ont pratiqué la méthode
de l'abattage qui a été toujours traditionnelle chez eux. La
vaccination aurait sans doute pu être considérée comme un
moyen de contrôle en étant combinée avec l'abattage, ce qui
aurait permis de réduire le nombre d'animaux à abattre. Ainsi
vacciner tous les moutons du pays auraient permis d'éviter certains
abattages massifs. Les Anglais avaient un moment envisagé la
possibilité de recourir à la vaccination d'une partie de leur
cheptel et ils ont obtenu l'autorisation de Bruxelles mais ne l'ont finalement
jamais fait, estimant que cette vaccination n'aurait pas contribué
à faire évoluer positivement la situation.
En ce qui concerne la France, je pense que des mesures très
énergiques ont été prises dès le départ pour
abattre les animaux importés d'Angleterre alors que la maladie n'avait
pas encore fait son apparition et que seuls les moutons étaient
considérés comme suspects. On s'est
a posteriori
rendu
compte que ces moutons étaient extrêmement dangereux puisqu'ils
ont fait naître des foyers d'infection malgré les abattages
intensifs pratiqués dès le début. Du coup, nous sommes en
droit de nous demander ce qui se serait passé si ces mesures n'avaient
pas été prises très précocement.
Les mesures prises ont été énergiques et elles ont permis
d'endiguer la diffusion du virus. Pour revenir à la pertinence de la
vaccination en France, cette dernière n'aurait de toute façon pas
fait évoluer le nombre de foyers - limité à 2 il faut le
rappeler - ni modifier le contrôle de la maladie. En revanche une
vaccination aurait fait augmenter les délais de reconnaissance du statut
indemne après la fin de l'épisode. Les dernières mesures
d'abattage sont intervenues à la fin du mois d'avril et il faut
maintenant attendre seulement trois mois pour recouvrer le statut indemne. Les
hollandais ont pris des mesures mixtes en vaccinant les animaux et en
envisageant leur abattage par la suite car ils pourraient être porteurs
de virus. Une telle démarche, si elle est efficace, est difficile
à faire admettre par les éleveurs qui ne la comprennent pas.
Une vaccination préventive serait-elle une mesure efficace ? Je doute de
toute façon de la faisabilité d'un retour à une
vaccination préventive en Europe. En effet il serait alors
nécessaire de scinder l'Europe en deux parties entre les pays qui
instaureraient une vaccination obligatoire et les autres. Une telle situation
entraînerait une interdiction des échanges entre les deux zones
compte tenu des règles de l'OIE.
M Philippe Arnaud, président
- La réflexion que nous
menons ne concerne pas la reprise de vaccination éventuelle en France,
mais s'inscrit dans le cadre d'une vaccination à l'échelle
européenne, vaccination s'accompagnant d'une évolution des
règles du commerce international. Elle supposerait de prendre en compte
les connaissances scientifiques et l'état de la recherche sur un
éventuel vaccin de nouvelle génération.
M. Yves Leforban -
Au niveau de l'Europe, le Danemark, la Suède
et d'autres pays du Nord, qui ne vaccinaient pas avant 1990 ne prendront pas la
décision de vacciner aujourd'hui, même si le risque de diffusion
du virus s'élève. La décision prise par l'Union en 1990
avait pour but d'instaurer une politique unique en matière de lutte
contre la fièvre aphteuse c'est-à-dire vacciner partout où
arrêter de vacciner partout. Le choix à effectuer aujourd'hui est
identique.
M. Philippe Arnaud, président
- La fièvre aphteuse est une
maladie vieille comme le monde et extrêmement contagieuse. Telles sont
les données de base. Personne ne nous a jamais indiqué qu'il
était possible de l'éradiquer de la surface de la terre.
M. Yves Cheneau
- Nous pouvons en discuter. Une telle éradication
sera difficile à obtenir, mais elle semble tout à
fait
envisageable. L'important, dans l'immédiat, est de réduire les
risques de contamination des pays indemnes en réduisant autant que
possible l'importance des zones d'endémie dans les pays infectés
et en empêchant la diffusion du virus à partir de ces zones. A
partir de là, l'action d'éradication deviendra possible.
M. Philippe Arnaud, président
- Il nous a été dit,
au cours des auditions déjà effectuées, que la contagion
s'établissait sur la base des mouvements et des déplacements de
personnes, de biens et d'animaux. Or notre société continue de
multiplier les échanges. Nous sommes par conséquent face à
des conditions favorables pour faire face à de prochaines
épizooties, qui naîtraient dans des pays qui croient pourtant
à
l'éradication. En outre, nous avons longtemps cru que la
décision d'effectuer une vaccination généralisée et
annuelle permettrait d'éradiquer la maladie. L'arrêt de la
vaccination a pourtant été décidé pour des raisons
de coûts et pour permettre la continuation des échanges
commerciaux entre les pays.
Tous ces éléments me conduisent à affirmer que nous sommes
à la veille d'une nouvelle crise. S'il est parfaitement logique et
efficace de créer un système fondé sur la
prévention, la surveillance et le traitement sanitaire, nous savons
également que les échanges se multiplient et que nous ne pouvons
empêcher les fraudes. Or il suffit d'une importation frauduleuse d'un
élevage, contaminé et qui ne serait pas déclaré,
pour que la maladie renaisse, sachant que notre système repose sur
l'honnêteté et la déclaration officielle des
éleveurs. Il faut s'interroger sur les risques majeurs que notre
continent doit assumer sur ce plan.
M. Yves Leforban
. Je suis bien votre raisonnement mais je pense qu'en
matière de fièvre aphteuse ou de façon peu plus globale en
matière de maladies animales, le vaccin n'est pas toujours une solution
pertinente. Les gens ont du mal à comprendre parce que la vaccination
humaine est une mesure courante. Devant les maladies animales il faut raisonner
au niveau d'une population. Au départ, les méthodes de lutte
contre les maladies passent effectivement, le plus souvent par la vaccination
de cette population. A partir de moment où la maladie est sous
contrôle, la vaccination est arrêtée. L'exemple de la peste
porcine en témoigne. Aujourd'hui, si nous retournons à une
politique de vaccination généralisée nous irons à
contre-courant de notre objectif d'éradication puisque nous couvrirons
la circulation du virus, sachant que la vaccination ne protège
absolument pas contre l'infection fièvre aphteuse mais seulement contre
la maladie.
M. Philippe Arnaud, président
- J'ai bien compris qu'une
politique de vaccination a pour contrepartie une non identification des animaux
porteurs du virus et de ceux qui sont sains. Néanmoins, je vous rappelle
qu'à chaque fois que la France a mis sur pied des mesures de
vaccination, nous avons toujours eu le sentiment d'éradiquer la maladie
au bout de quelques mois. Il faut par conséquent en conclure que la
vaccination a au moins permis de réduire la maladie.
M. Yves Cheneau
- L'Europe continentale est à nouveau
indemne. Néanmoins, je ne pense pas que pratiquer la méthode du
« plus petit dénominateur commun « au niveau du commerce
international soit la meilleure manière de progresser.
La FAO et l'OIE ont pris la décision, lors de la dernière
conférence qui a été organisée à Paris, de
proposer une alternative un peu différente, celle d'organiser une
conférence internationale de niveau ministériel, dont l'objectif
sera de comprendre la situation et de prendre des décisions. En ce qui
concerne les pays indemnes, il n'est pas possible d'envisager de les
protéger à 100 % sur le long terme. Plus la forteresse dans
laquelle nous les enfermerions sera attaquée, plus elle sera
vulnérable. Plus la lutte engagée à l'extérieur
contre la maladie sera efficace, moins les chances de contamination du cheptel
indemne seront nombreuses. Nous espérons donc que cette
conférence fera comprendre au monde que des efforts peuvent être
effectués en vue de réduire les zones d'endémie dans des
proportions qui permettent ensuite de les contrôler facilement, et
à un moindre coût.
L'illustration de mon raisonnement, que je vais vous présenter est,
à
ce titre, frappante. Certains pays d'Amérique du Sud ont
réalisé depuis de nombreuses années des efforts
coûteux pour que leurs élevages soient considérés
comme indemnes. Or, aujourd'hui, ces efforts sont voués à un
échec retentissant puisque ces mêmes pays connaissent à
nouveau de nombreux foyers. Pourquoi les pays sud américains et pourquoi
les Etats-Unis ne sont-ils pas intervenus antérieurement pour assurer
l'éradication des foyers résiduels et pour aider la Bolivie, le
Pérou et le Paraguay? Tout le monde paie désormais le prix de
cette inaction.
Il est évident qu'aucune mesure prise ne peut être efficace du
jour au lendemain. Toutefois, si rien n'est engagé dans les pays
d'endémie, toutes les autres mesures sont vouées, un jour
où l'autre, à être mises à mal. Maintenant, il
existe une différence énorme entre les coûts dus à
l'échec des mesures de prévention [au Royaume Uni] et les
coûts des programmes d'intervention éventuels dans les pays
d'endémie. Rendons donc hommage aux Services vétérinaires
français qui s'en sont bien sortis parce qu'ils avaient
préparé et mis en place depuis des années des plans
d'urgence destinés à parer à
toute
ré-introduction du virus de la fièvre aphteuse. Leur état
de préparation leur a permis de traverser la crise sans drame et
à un coût supportable.
M. Philippe Arnaud, président
- La maladie
n'intéresse pas la santé publique, ce qui signifie que le
problème ne peut se traiter que par l'intermédiaire de mesures
politiques. C'est un problème qui a des racines économiques. Je
me demande si la fièvre aphteuse n'est pas parfois utilisée comme
une arme économique au sein de la guerre concurrentielle que vit notre
monde. Nous ne parviendrons jamais à éradiquer les fraudes.
Pourtant, si nous fondons tout notre système sur les
réglementations, la loyauté et la confiance réciproque
entre pays, nous nous placerons dans une situation de possible agression,
d'autant plus, par exemple, que les Pays-Bas échappent à un
certain nombre de contraintes imposées par l'Europe. Par ailleurs, les
problèmes intracommunautaires ne sont pas des moindres.
M. Yves Leforban -
La décision d'arrêter la vaccination a
été prise sur les bases d'une étude économique
démontrant que, dans le pire des cas, le coût de cette vaccination
sur une période de dix ans serait plus élevé que le
coût de l'élimination des foyers par abattage.
M Philippe Arnaud, président -
Ce coût en Grande Bretagne
correspond en effet à 1300 années environ de vaccination....
M. Yves Cheneau
. - Vers la fin des années 80, trois
scénarios différents avaient été
évalués et les trois avaient conclu qu'il était
préférable d'engager une démarche d'abattage
systématique en cas de foyers plutôt que d'entreprendre une
vaccination généralisée tous les ans. De toutes les
façons, ce n'est pas parce que la Grande-Bretagne met à bas
toutes les prévisions statistiques qu'il en est de même dans les
autres pays. La contamination décelée et traitée en Italie
n'a coûté que 12 millions d'écus, montant dérisoire.
Il en va de même pour l'Albanie et pour la Grèce, qui n'ont en
fait souffert que d'une perturbation de leur commerce. Dans de telles
conditions et pour user d'une image frappante, devons-nous détruire tous
les avions qui fonctionnent parce que le Concorde explose ?
Regardez les pays les mieux organisés, qui ont mis en place des plans
d'urgence et qui ont réalisé des investissements durables pour
les rendre efficaces et renforcer les services vétérinaires
nationaux, comme la France! Il est tout à fait possible de stopper une
catastrophe si on s'y prend à temps, où mieux, si on anticipe.
Utilisons la vaccination pour aider les pays endémiques, de
manière à réduire le risque de contagion. Les pays
indemnes doivent, de leur côté, renforcer leurs systèmes de
prévention (alerte précoce et réaction rapide).
Ces politiques de prévention sont justifiées par des
considérations économiques. Quoi qu'il en
soit,
il ne
faut pas laisser les choses dériver comme elles l'ont fait au cours des
derniers mois.
M.
Philippe Arnaud, président
- J'aimerais vous
questionner sur l'évolution des mentalités. Notre
société se trouve totalement médiatisée. Quel est,
selon vous, le seuil de tolérance de l'opinion publique face aux images
qui ont été diffusées et qui illustrent parfois mal la
politique engagée pour lutter contre l'épizootie?
M. Yves Leforban -
Il est clair que les abattages massifs auxquels on a
assisté en Angleterre sont difficilement envisageables dans les autres
pays d'Europe. Il convient de trouver une solution médiane entre ces
abattages massifs et une vaccination préventive. L'utilisation plus
large de la vaccination stratégique devrait par exemple être
rendue possible sans que les pays adoptant cette vaccination se trouvent
pénalisés par les règles de l'OIE. Cette vaccination
pourrait intervenir à partir d'un certain nombre de foyers d'infection.
On a parlé de 300 foyers en France dans une étude entreprise par
l'INRA. Ce type d'études est important pour apporter des repères
aux professionnels, au monde politique et aux médias.
Enfin la gestion de la crise par les médias est très contestable
et regrettable car l'image des bûchers en Angleterre a créé
une panique non justifiée et a desservi l'image des éleveurs en
général.
M. Philippe Arnaud, président
. - En cas de problème, une
vaccination d'urgence ne serait-elle pas une solution?
M. Yves Leforban -
Oui, mais il faudrait alors définir ce qu'on
entend par situation d'urgence. Différents scénarios ont
déjà été prévus par l'INRA. Il est certain
que les abattages massifs tels que pratiqués ne seront désormais
plus acceptés par les populations.
M Philippe Arnaud, président
. Vais-je trop loin dans mes propos
Si j'affirme qu'il existe un écart entre la
théorie,
constituée par l'ensemble des dispositions réglementaires en
vigueur, et la pratique ? La liste des pays indemne est
régulièrement réactualisée. Un pays qui
connaît un problème va-t-il le déclarer
immédiatement et spontanément ? Un système de lutte
reposant sur l'intégrité des Etats ne présente-il pas, en
l'occurrence, un point faible ? Quels sont les moyens de contrôle des
organismes que vous représentez et les sanctions envisageables contre
les Etats contrevenants?
M. Yves Leforban -
Aucune sanction n'est envisageable puisqu'il n'existe
pas de système de pénalisation. Pour répondre à
votre première question, le système fonctionne dans la pratique:
la catégorisation des pays a permis des échanges sans risque.
Néanmoins ce système présente certains
inconvénients. En effet un pays qui déclare la maladie est
pénalisé pour son commerce de manière très
importante. La tendance de ce pays sera donc de ne rien déclarer.
Assouplir les conséquences de ces déclarations de manière
à ce que les pays ne soient pas dissuadés de déclarer
leurs foyers de maladie serait une piste de réflexion à suivre.
Le recours à la vaccination pour contrôler la maladie devrait
aussi être moins pénalisant. Il convient d'instaurer un
équilibre entre les règles trop strictes actuelles qui dissuadent
les pays de déclarer la maladie (ou de vacciner) et la
nécessité de protéger les pays importateurs. Nous sommes
trop sévères en matière de commerce sachant que le risque
zéro n'existe pas.
M. Yves Cheneau
L'Afrique du Sud a vécu l'année
dernière le même incident que celui connu par l'Europe. Il
s'agissait du même virus! survenu dans des conditions identiques. Je
pense que les importations frauduleuses découvertes en Grande-Bretagne
ne remettent pas en cause le développement des échanges
internationaux. Les fraudes ne s'arrêteront jamais. La solution ne se
situe pas sur ce point, mais sur le fait de faire disparaître au maximum
le virus.
33. Audition de Gérard Coustel, Chef du Bureau de la Santé Animale au Ministère de l'Agriculture et de la Pêche
M.
Philippe Arnaud, président
- Que pensez-vous des dispositions qui
ont été prises concernant les produits issus du lait, comme le
fromage au lait cru par exemple ? Ma question ne remet absolument pas en cause
les décisions mises en oeuvre, mais s'interroge sur leurs
conséquences. Aujourd'hui, pouvons-nous affirmer que le virus de la
fièvre aphteuse est neutralisé au cours de la fermentation de ces
produits, notamment lorsque le PH se maintient à un niveau
inférieur à celui prescrit par les scientifiques ?
M. Gérard Coustel
- Je ne suis pas un scientifique
spécialiste de la fièvre aphteuse. Néanmoins, je puis
affirmer que votre question est une question récurrente qui revient en
permanence dans la doctrine. Une grande majorité de la
littérature affirme en effet que le virus doit être
inactivé lorsqu'il atteint un certain niveau de PH. Cela dit, cette
notion de traitement assainissant doit être validée par un
comité scientifique auprès de la commission européenne.
Quoi qu'il en soit, cette question est d'importance : le traitement acidifiant
admis par la commission européenne pour les viandes peut-il être
admis pour les produits au lait cru ? Les deux milieux et les deux types de
produits sont, en effet, différents l'un de l'autre. Si des
écrits scientifiques ont été rédigés en la
matière, il faut savoir s'ils l'ont été par des personnes
suffisamment compétentes et crédibles, parce qu'elles ont
déjà émis des déclarations reconnues dans ce
domaine, pour que les écrits puissent être admis.
Je regrette qu'une question aussi fondamentale que celle que vous posez ne
l'ait pas été auparavant. Dans les circonstances, nous avons
appliqué les décisions communautaires. Le retour
d'expérience voudrait que nous nous interrogions sur la nature du
traitement assainissant et sur les avantages potentiels d'autres techniques. La
question est également valable pour les autres types de produits, comme
les produits carnés, pour lesquels des traitements précis sont
appliqués. La pasteurisation en l'est d'un des exemples. Elle correspond
à l'application au produit d'une température durant un certain
temps.
M. Philippe Arnaud, président
- Lorsque les mesures relatives aux
produits carnés au lait cru ont été prises, elles ont
été comprises et acceptées par l'ensemble des partenaires
et des acteurs de la filière, du fait qu'il était
nécessaire de réagir aussi vite que possible et avec
efficacité pour endiguer la propagation de la maladie. Je constate que
personne ne remet en cause cette stratégie.
Il n'en demeure pas moins que ces décisions ont entraîné
certaines conséquences et se sont essentiellement fondées sur des
préoccupations d'ordre économique sans se baser sur des
préoccupations de santé publique. Ainsi, la fièvre
aphteuse n'a pas été considérée comme relevant de
la santé publique. Les décisions prises ont été
imposées par les pouvoirs publics pour éviter la propagation de
la maladie. Elles présentent des conséquences économiques
directes et indirectes sur les animaux et sur les êtres humains. Or les
indemnisations relatives à certaines de ces conséquences ne
semblent pas prises en compte par les autorités concernées, alors
même que 60 % de ces indemnisations sont financés par l'Union
Européenne sur présentation de leur estimation par les Etats.
Nous avons pu repérer le point C, qui apparaît sous l'expression
« ainsi que toute mesure » dans sa rédaction. Or,
pour les fromages, nous avons pu vérifier que la décision prise
par l'Etat français avait préalablement été
accordée par Bruxelles. Il s'agit donc d'une mesure d'opportunité
pour faire financer des redressements pour tel ou tel fromage.
Je conclus donc par le fait que les mesures prises ont été
approuvées, même si elles ont semblé draconiennes et
excessives a posteriori. En revanche, ces mesures impératives ont
été imposées non pour la santé publique mais sur
des fondements économiques, ce qui nous paraît gênant.
M. Gérard Coustel
- Je partage votre point de vue.
La destruction des animaux sensibles et de leurs produits potentiellement
contaminés n'est pas une mesure de santé publique, en ce qui
concerne la fièvre aphteuse. Elle a pour but d'arrêter le
développement d'une épizootie majeure, dramatique pour
l'économie de l'élevage. Pour être efficace, cette
destruction doit intervenir rapidement (dans une situation globalement
comparable à celle de la France, les Pays-Bas n'ont peut-être pas
réagi de la même façon avec des conséquences
sanitaires et économiques plus graves). C'est pour cela qu'il me
paraît légitime que cette indemnisation soit juste ; si cela
n'était pas le cas, il serait difficile d'intervenir avec la même
célérité et la même efficacité lors d'une
prochaine épizootie et les incidences économiques induites
seraient sans commune mesure avec celles que nous connaissons aujourd'hui.
M. Philippe Arnaud, président
- A quelle date les experts
scientifiques et la commission scientifique vont-ils se prononcer en ce qui
concerne les mesures relatives aux traitements assainissants des produits au
lait cru ?
M. Gérard Coustel
- Le Gouvernement doit saisir la commission de
cette affaire pour que l'assainissement des produits aux laits crus soit
considérés comme envisageable.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous avons étudié
certains règlements, dans lesquels les produits laitiers sont
cités parmi les produits soumis à restriction, mais seuls le lait
et la crème font l'objet de mesures d'inactivation spécifique.
Que faut-il en conclure ?
M. Gérard Coustel
- La notion de PH est différente en
fonction du type de fromage fabriqué. Il ne faut pas l'oublier.
M. Philippe Arnaud, président
- Au cours des auditions, nous
avons constaté qu'il existe une contradiction apparente entre les deux
instructions du 28 mars et du 6 avril. En effet, elles autorisent la
commercialisation des produits et, pourtant, la première prescrit la
destruction des produits. Pouvez-nous nous apporter des éclaircissements
sur ce point ?
M. Gérard Coustel
- Reprenons la genèse de ces
instructions. Elles ont été élaborées dans le cadre
réglementaire des décisions communautaires. L'une de ces
décisions prévoyait que les produits au lait cru, originaires de
la zone annexe 1 (Orme et Mayenne), devaient se voir consommer sur place ou
subir un traitement thermique assainissant sur place avant de pouvoir
être expédiés. La première note introduit une
dérogation à ce principe de base, en autorisant l'assainissement
de ces produits en dehors de leur département d'origine. Il s'agit donc
d'une dérogation franco-française à la règle
communautaire.
M. Philippe Arnaud, président
- L'une de ces instructions
introduit par conséquent une dérogation aux dispositions
communautaires. Concernant le traitement thermique assainissant, peut-on dire
qu'un produit au lait cru qui en fait l'objet est-il encore un produit au lait
cru ?
M. Gérard Coustel
- Il s'agit d'un problème de
sémantique, car un tel produit serait en fait un fromage fondu. Quel est
le contenu de la dérogation introduite par la note de service du 6 avril
: depuis trois semaines, le département ne connaît plus aucun
foyer de fièvre aphteuse et un cas unique a été
recensé dans une exploitation. Or une mesure de
traçabilité ayant été mise en oeuvre, il est
considéré que les matières premières issues de ces
départements n'ont pas été en contact avec le virus et ne
sont donc pas porteuses du virus. Cette décision résulte d'une
évaluation épidémiologique réalisée par la
Direction Générale de l'Alimentation. Cette dernière
affirme que le risque n'existe plus, au bout de trois semaines, sur des
fromages fabriqués dans d'autres exploitations que celle qui a
été contaminée par le virus. Il n'existe par
conséquent aucun danger de commercialiser les fromages en stock. Une
telle décision n'avait pas été prise auparavant par manque
de vision claire et de recul sur la situation. N'oublions néanmoins pas
que les produits au lait cru qui ont été fabriqués depuis
trois semaines au moins ont une durée de vie extrêmement courte.
C'est la contrepartie de l'absence de risques.
34. Audition de Guy Malher, Ancien Président de Rhône-Mérieux
M.
Philippe Arnaud, président
- Je vous remercie de répondre
à notre invitation. Nous savons que vous n'exercez plus de
responsabilités directes chez Merial.
M. Guy Malher
- C'est exact. Je n'exerce plus de fonctions dans la
santé animale mais suis toujours le vice-président d'Aventis
Pasteur, société spécialisée dans les vaccins
humains.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous profitons de votre
expérience pour éclairer notre mission sénatoriale sur
l'épizootie de fièvre aphteuse et pour participer à une
réflexion pour l'avenir sur ce sujet. La crise que nous venons de
traverser a été, avec les éléments et dans les
conditions qui étaient les nôtres, convenablement
gérée. Les mesures prises ont été radicales. Au fil
des auditions, il est apparu que ces mesures se sont fondées sur une
approche d'ordre économique. Cette dernière a
entraîné l'abandon, en 1991, de la vaccination, qui était
auparavant obligatoire. Les considérations économiques ont
été de deux ordres : le rapport, d'une part, entre le coût
des vaccinations annuelles et l'amortissement théorique des charges de
l'épizootie sur un certain nombre d'années ; permettre, d'autre
part, au marché européen de bénéficier d'une
ouverture sur les pays qui n'acceptent que des viandes en provenance de pays
indemnes. Ainsi, des règlements organisent cet ensemble.
Depuis, les mentalités ont évolué et les médias
sont très présents. Parmi les questions que nous nous posons
figure celle-ci : quel est le seuil de tolérance de la part de l'opinion
publique en ce qui concerne l'abattage massif et de destruction par charnier
d'animaux vivants ? En outre, les données économiques semblent
être mises à mal, en tous les cas pour la Grande-Bretagne, puisque
le coût de l'épizootie dans ce pays, par rapport à un
coût de vaccination, ferait que cette vaccination ne serait amortie qu'au
bout d'un millénaire. Face à un tel ordre de grandeur, nous
sommes en droit de nous poser des questions de nature essentiellement
économique. Si nous vaccinions, nous nous priverions de marchés
à l'exportation alors même que la France et l'Europe continuent et
continueront d'importer des produits issus de pays qui pratiquent une
vaccination de grande échelle. Nous ne saurions prendre la moindre
orientation vers une vaccination si nous ne l'intégrons pas dans un
cadre au moins européen et si nous ne l'accompagnons pas de mesures
réglementant le commerce international.
Existe-t-il des modalités de vaccination qui soient fiables et qui
permettent d'identifier les animaux indemnes des animaux infectés ?
Quelle est l'efficacité réelle de la vaccination pour
éradiquer la fièvre aphteuse ?
M. Guy Malher
- J'ai travaillé toute ma vie durant dans un
environnement de fièvre aphteuse. Lorsque j'étais
vétérinaire étudiant à Alfort en 1952, nous avons
été réquisitionnés par les pouvoirs publics pour
aller pratiquer des vaccinations dans le Cantal, car elles étaient
refusées par certains vétérinaires d'exercice
libéral. Le Cantal était à l'époque un
réservoir à virus et la contamination était massive. Je
suis entré à l'Institut Mérieux en 1957, au moment
où le Docteur Mérieux avait l'idée de lancer les contrats
de vaccination. A l'époque, seuls deux laboratoires fabriquaient des
vaccins contre la fièvre aphteuse. Les contrats de vaccination
permettaient aux éleveurs de se voir livrés de manière
prioritaire en vaccins en contrepartie du fait qu'ils s'engageaient à
faire vacciner leurs cheptels tous les ans. Telle a été ma
première responsabilité dans la société :
gérer 3 millions de contrats de vaccination, ces contrats assurant
l'équilibre de nos opérations de production. Le succès a
été tel dans certaines régions, la fièvre aphteuse
disparaissant progressivement, que l'Etat a donc décrété
la vaccination obligatoire du cheptel national. Notre Institut a donc
fabriqué 18 millions de doses environ par an pour le seul
marché français.
Notre avance technique était déjà importante à
l'époque. Notre société a créé des filiales
en Amérique du Sud notamment, où la fière aphteuse
était devenue une maladie endémique. Nos activités n'ont,
par la suite, cessé de se développer et nous avons
cédé notre technologie car celle-ci était
considérée comme la meilleure de par le monde. Sous la pression
des Anglais, l'Union Européenne a néanmoins pris la
décision de faire arrêter la vaccination obligatoire à la
fin de l'année 1991, les Hollandais décidant quant à eux
d'anticiper cette décision pour bénéficier d'exportations
plus intensives. Nous nous sommes donc retrouvés dans une situation
difficile puisque nous n'avions plus à produire 18 millions de doses
vaccinales pour la France plus les doses destinées à
l'exportation en Europe. Nous ne travaillions plus que pour l'Afrique du Nord
et pour l'Asie, ce que nous continuons d'ailleurs de faire. Durant deux
années, nous nous sommes interrogés pour savoir si nous
arrêtions toutes nos productions. J'ai pris la décision de
continuer nos recherches sur cette maladie et de continuer à investir,
notamment parle rachat d'une usine anglaise qui fabrique aujourd'hui tous nos
vaccins contre cette maladie, à destination de l'exportation hors Europe.
Produire des vaccins est néanmoins, ne l'oublions pas, une victoire
à la Pyrrhus. Une maladie peut en effet disparaître sous l'effet
du vaccin. C'est ce qui est arrivé pour la variole et qui risquait
d'arriver pour la fièvre aphteuse.
L'homme est présomptueux, les Anglo-Saxons le sont encore plus, de
croire qu'ils sont suffisamment puissants pour éradiquer un virus de la
planète. Le biologiste que je suis s'est vu choqué d'entendre
dire qu'il était possible de faire totalement disparaître le virus
de la variole de la planète. Le drame serait épouvantable si
cette maladie revenait. La politique de l'OMS vise, aujourd'hui, à
l'éradication de la polio dans un délai de dix ans ce qui est un
programme louable mais ambitieux. En matière de fièvre aphteuse,
certains pays d'Amérique du Sud ont pris la décision
d'arrêter la vaccination pour développer leurs exportations, alors
que la vaccination leur avait permis d'éradiquer la maladie, sauf cas
sporadiques et foyers rarissimes. Au bout d'une année, ces pays ont
été déclarés indemnes et leurs exportations se sont
donc libérées. L'objectif visé par l'arrêt de la
vaccination était par conséquent d'ordre économique.
L'épizootie de fièvre aphteuse que nous avons récemment
subie était prévisible. Je suis encore surpris qu'elle ne soit
pas intervenue plus tôt, ce d'autant plus que les animaux
n'étaient plus protégés par vaccin depuis de longues
années et que l'Europe se trouve entourée par des pays pour
lesquels la fièvre aphteuse reste encore une maladie endémique,
comme en Afrique du Nord et en Europe de l'Est , tandis que les échanges
transnationaux se multiplient et que la voie aérienne est un vecteur
pour la propagation des maladies. La « malédiction » a d'abord
frappé les Anglais, dont la politique a toujours été
ambiguë quant à la fièvre aphteuse. Le virus n'a
touché que les bovins, sachant que cette maladie est extrêmement
contagieuse et provoque beaucoup de ravages. 3 millions de bêtes ont
déjà été abattues et ce n'est pas fini. J'estime,
et je parle en tant qu'homme, que ces bovins auraient pu être
protégés par vaccination du virus et que leur abattage est
scandaleux.
L'épizootie anglaise peut renaître dans d'autres pays et les
résultats être effroyables, tant en termes de nombre d'animaux
abattus qu'en termes de conséquences économiques et
psychologiques indirectes ou directes. Nos populations n'accepteront plus de
vivre une telle situation de crise, surtout en sachant qu'il existe un vaccin
dont les caractéristiques sont intéressantes. Les Allemands ont
déclaré que la vaccination serait désormais
systématique à partir du moment où certains cas
étaient recensés.
M. Philippe Arnaud, président
- La politique
précédemment appliquée permettait de vacciner, ce qui
n'empêchait pas d'abattre les animaux contaminés par la suite,
pour éviter la propagation de la maladie. Tel est le problème. Si
nous acceptons la mise en oeuvre d'une vaccination obligatoire, il convient de
lever l'écueil économique et éviter, parallèlement,
les abattages massifs.
M. Guy Malher
- Je vous rappelle que la vaccination intervenait à
l'époque au sein des exploitations susceptibles d'être en contact
avec le foyer, les abattages n'intervenant que dans celui-ci. En matière
de fièvre aphteuse, je pense que la défaillance principale du
système de lutte contre cette maladie se situe au niveau de la
surveillance de cette dernière. Les Anglais ont avoué quinze
jours de retard dans l'identification de la maladie et nous savons, de source
certaine, que ce retard était beaucoup plus important que celui qui nous
a été indiqué. Or, une, deux ou trois semaines de retard
sont dramatiques face à la propagation de la maladie. Pourquoi le
système de surveillance mis en place pour déceler le virus est-il
insuffisant ? Parce que le vétérinaire ne se rend plus
systématiquement dans les élevages et ne connaît donc plus
la fièvre aphteuse et ses réalités.
Le coût économique de la vaccination est difficile à
évaluer, notamment lorsque l'on doit faire face à une aussi
grande épidémie que celle qui a été subie par la
Grande-Bretagne. Le coût estimé d'une vaccination en France se
chiffre à 300 millions de francs par an, ce coût étant
largement supérieur chez les Anglais.
En ce qui concerne les conséquences sur l'exportation des viandes, je
m'étonne de la position contradictoire affichée par l'Europe.
Cette dernière a pris la décision d'interdire la vaccination mais
accepte les importations issus de pays qui pratiquent une telle vaccination
Je suis enfin convaincu que les pouvoirs publics, la population et les
éleveurs n'accepteraient de toutes les manières plus les
massacres qui ont été récemment perpétrés
alors que la vaccination, interdite, aurait pu prévenir la maladie.
M. Philippe Arnaud, président
- Les élevages de montagne
posent difficulté car ils ne peuvent être visités et
contrôlés de manière régulière. Il en va
aujourd'hui de même pour tout autre élevage, par manque de moyens
et absence d'organisation des services vétérinaires. Liez-vous
cet élément à une évolution normale de la conduite
des élevages ou le liez-vous directement à l'arrêt des
vaccinations ?
M. Guy Malher
- Je pense, à titre personnel, que cette
évolution présente un lien direct avec l'arrêt des
vaccinations.
M. Philippe Arnaud, président
- Il semble que cette
évolution entre en contradiction avec les prescriptions des directives
européennes, qui imposent une politique fondée sur une
surveillance sanitaire interne renforcée. Ainsi, au lieu de parvenir,
grâce à l'arrêt de la vaccination, à un renforcement
logique de ce suivi sanitaire, nous parvenons à l'inverse.
M. Guy Malher
- Lorsque la vaccination a été interrompue,
en 1992, j'ai, quant à moi, refusé d'arrêter les recherches
sur le terrain, malgré les pressions externes et internes qui se sont
exercées. J'étais en effet persuadé que nous parviendrions
à mettre au point un système permettant de distinguer les animaux
malades des animaux vaccinés, le principal reproche fait à la
vaccination. Nous avons poursuivi nos recherches et nous sommes aperçus
qu'il était possible, par l'intermédiaire d'un vaccin très
purifié, de distinguer les animaux indemnes des animaux
contaminés. Un système de diagnostic ne détecte que les
anticorps vaccinaux et non les anticorps globaux générés
par la maladie.
M. Philippe Arnaud, président
- L'arrêt de la vaccination
et l'abandon a eu comme effet négatif l'abandon de la recherche
scientifique sur l'amélioration des vaccins. Par conséquent, si
nous envisagions un retour à la voie de la vaccination, il conviendrait,
dans un premier temps, de redonner des moyens à la recherche pour
aboutir à l'élaboration de vaccins plus performants.
M. Guy Malher
- Nous n'avons jamais arrêté nos recherches
et le vaccin existe. Nous sommes certains de sa fiabilité.
M. Philippe Arnaud, président
- Quelle est la différence,
à l'heure actuelle, entre un vaccin identifiable et un autre vaccin ?
M. Guy Malher
- Cette différence tient à la purification
du virus pour n'y conserver que la partie antigénique.
M. Philippe Arnaud, président
- De nombreux spécialistes
répètent qu'il n'existe pas de vaccins permettant la distinction.
M. Guy Malher
- C'est faux. Nos vaccins ne déclenchent que les
anti-corps dus à la vaccination.
Avez-vous auditionné Monsieur Eric Plateau, grand spécialiste du
diagnostic de la fièvre aphteuse et travaillant à Alfort ? C'est
lui le plus compétent car il effectue le plus grand nombre de tests et
de prélèvements sanguins pour diagnostic.
Les vaccins sont opérationnels et vendus. Pour fabriquer un vaccin
bactérien ou viral, il est indispensable d'utiliser une bactérie
ou un virus. Notre technologie nous permet de modifier le virus par
purification en ne conservant que la partie anti-génique. Nous sommes le
seul laboratoire à fabriquer un tel vaccin, parce que nous avons
maintenu intégralement notre budget de recherche dans ce domaine.
Si l'on reprenait la vaccination généralisée, il faudrait
l'accompagner d'une surveillance sanitaire sérieuse. Depuis que la
vaccination a été possible et jusqu'à son arrêt en
Europe, la fièvre aphteuse est la maladie qui se trouve au coeur de
l'activité Mérieux. Le laboratoire a acquis sa
notoriété sur ce fondement, puisqu'il est le premier laboratoire
de vaccins à virus. L'Institut Français Fièvre Aphteuse a
pu produire le premier le vaccin anti-poliomyélitique ou anti-grippal
grâce à l'expérience acquise par la production des vaccins
antiaphteux. Le virus aphteux est très difficile à manier car il
comporte trois variantes principales et des sous-variantes.
M. Philippe Arnaud, président
- Des mesures de vaccination
généralisée seraient-elles de nature à
éradiquer la fièvre aphteuse ?
M. Guy Malher
- Oui, bien sûr. Elle aurait en plus l'avantage
d'être accompagnée d'une veille sanitaire destinée à
contrôler la non-circulation du virus. La situation s'améliorerait
donc.
M. Philippe Arnaud, président
- La vaccination doit-elle
être ciblée sur les bovins ou estimez-vous qu'il faut aussi
vacciner les ovins et, le cas échéant, les porcins ?
M. Guy Malher
- L'expérience montre que la vaccination des bovins
suffit à éviter la propagation de la maladie à d'autres
espèces, en tous les pas pour les pays occidentaux et l'Amérique
du Sud. Je serai néanmoins moins affirmatif dans mes propos en ce qui
concerne les pays asiatiques. Selon l'expérience que nous avons acquise,
l'extension d'un virus se trouve bloquée dès lors que 60 %
à 80 % d'une population se trouve vaccinée. Le virus ne trouve
plus à se dupliquer sur d'autres animaux, pour peu, en outre, que ces
derniers soient éloignés des premiers foyers
décelés. La maladie s'arrête donc. Heureusement, car une
vaccination à 100 % de tout le cheptel est sans doute difficile à
réaliser.
M. Philippe Arnaud, président
- A quoi attribuer la persistance
de la résistance de principe à une vaccination
généralisée ? Il semblerait que, par principe, un retour
à la vaccination n'est pas envisageable. C'est un comportement qui me
frappe.
M. Guy Malher
- Je suis, quant à moi convaincu, que si les
Anglais avaient prévu l'épizootie, ils n'auraient pas
effectué cette politique d'abattage massif, sachant que ce sont eux qui
ont imposé à l'Europe l'arrêt de la vaccination. Les pays
d'Amérique Latine qui avaient arrêté la vaccination l'ont
tous repris lorsque quelques foyers ont été
déclarés. Les Etats-Unis constituent, de leur côté,
un stock de sécurité de vaccins, parce qu'ils gardent un souvenir
épouvantable d'une épidémie survenue à leur
frontière mexicaine. Les reportages de l'époque sont
effectivement affreux.
Quelle est l'évolution actuelle ? A mon sens, en cas de détection
de foyers contaminés, personne n'hésitera plus à vacciner
les animaux pour éviter une politique d'abattage massif. En revanche, le
retour à une vaccination obligatoire, préventive et
généralisée est un autre point à étudier et
dépend aussi des caractéristiques des nouveaux vaccins
disponibles.
M. Philippe Arnaud, président
- Ces nouveaux vaccins sont-ils
facilement adaptables à toutes les souches de virus ?
M. Guy Malher
- Il n'existe aucune difficulté technique à
adapter les vaccins aux souches du virus. Il n'en demeure pas moins qu'en cas
d'apparition d'une nouvelle variante du virus, un certain délai est
nécessaire pour lui adapter le vaccin homologue.
M. Philippe Arnaud, président
- Existe-t-il des problèmes
pour réaliser ces tests spécifiques de dépistage ?
M. Guy Malher
- La production de ces tests ne pose aucun problème.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous avons entendu à
plusieurs reprises, par ailleurs, qu'il y avait, en Grande-Bretagne notamment,
des incertitudes quant à la fiabilité des tests, en raison «
des faux positifs et des faux négatifs » en fièvre aphteuse.
Ces tests étaient, semble-t-il, ambigus.
M. Guy Malher
- Je ne peux vous répondre. Dans mon esprit, nous
disposons de diagnostics fiables mais il faut le confirmer auprès de
spécialistes. Yves Moreau, de la société Merial, doit
pouvoir répondre à cette question.
M. Philippe Arnaud, président
- Pour lui, il n'existe aucune
difficulté à ce sujet. Existe-t-il un fondement scientifique pour
un pays indemne à refuser l'importation de viandes ou d'animaux issus de
pays qui vaccinent ?
M. Guy Malher -
A mon avis, le risque n'existe que lorsque les animaux
sont vivants et porteurs de virus. Si la vaccination permet la distinction
entre les animaux sains et les autres, cette difficulté ne se pose plus.
M. Philippe Arnaud, président -
Une politique
d'éradication ou de réduction de la maladie devrait, par
conséquent, être conduite de façon harmonisée sur
l'Europe et le monde. La coexistence de politiques sanitaires et de politiques
de vaccination n'est pas pertinente sur un plan strictement scientifique.
M. Guy Malher
- Le débat doit être de toutes les
façons élargi. La Chine est un réservoir permanent de
virus et il en va de même de l'Inde. Or, compte tenu de leurs
organisations et de leurs infrastructures, il n'est pas possible d'y effectuer
des contrôles réguliers et systématiques. Je pense donc
qu'il convient d'organiser une politique harmonisée pour l'ensemble de
l'Europe et une autre politique pour le continent américain. Importer
des animaux d'autres pays que des pays indemnes, c'est prendre des risques.
M. Philippe Arnaud, président
- Souhaitez-vous nous livrer
d'autres réflexions ? Je relève que vous n'avez jamais
cessé vos recherches en ce qui concerne la fièvre aphteuse.
M. Guy Malher
- Nous avons effectivement continué d'investir dans
ce domaine car nous avons considéré qu'il fallait maintenir notre
marché d'exportation et que la maladie reviendrait
inéluctablement, puisqu'elle n'était pas éradiquée.
Nous avons développé nos technologies, avons vendu certaines
d'entre elles à l'extérieur, tout en continuant de la
maîtriser et de conserver notre avance technologique.
M. Philippe Arnaud, président
- Les Etats-Unis ont
constitué des stocks importants. L'Argentine utilise-t-elle
également ce type de vaccins ?
M. Guy Malher
- Elle utilise des vaccins locaux qui ne relèvent
pas de la même technologie de purification, même si elle se trouve
voisine de la nôtre, et aboutit aux mêmes résultats. Nous
sommes certains qu'avec la purification par chromatographie, les vaccins que
nous livrons ne font jamais apparaître d'anti-corps correspondant
à ceux de la maladie.
M. Philippe Arnaud, président
- Certaines personnalités
affirment qu'on s'oriente vers la mise à disposition ou de production de
vaccins « délétés ». Or ceux-ci ne
sont pas encore au point et n'ont reçu aucune autorisation commerciale.
Une telle validation serait-elle envisageable pour les cinq ou six
années qui viennent ?
M. Guy Malher
- Les autorisations de commercialisation sont acquises
dans les pays en dehors de l'Europe, puisque aucune vente n'est possible en
Europe. Le Japon comme les Etats-Unis ont constitué des stocks de
sécurité avec nos antigènes ou nos vaccins.
M. Philippe Arnaud, président
- Certains pays sont intransigeants
et refusent toute viande vaccinée.
M. Guy Malher
- Il ne faut pas oublier que les motifs sanitaires
masquent souvent des raisons économiques.
M. Philippe Arnaud, président
- Vos éclairages sont
intéressants car ils vont à l'encontre des opinions qui ont, au
cours de nos auditions, été exprimées à l'encontre
d'une vaccination généralisée. Je vous remercie de votre
participation.
35. Audition de Madame Guittard, directrice adjointe à la Direction des Politiques Economiques Internationales du Ministère de l'Agriculture et de la pêche
M.
Philippe Arnaud, président
- Madame, je vous remercie d'avoir bien
voulu répondre favorablement à notre invitation. Notre travail se
concentre sur la fièvre aphteuse et les problèmes qui en
découlent. Ces derniers sont essentiellement d'ordre économique
puisque nous savons tous que la fièvre aphteuse n'a que peu de
conséquences sanitaires sur les troupeaux et n'a aucune incidence sur la
santé des êtres humains.
Je rappelle que les règlements de l'Union Européenne
conditionnent l'approche nationale de cette question. Certains pays
européens, comme le Royaume-Uni, n'appliquent pas des règles
sanitaires aussi strictes que celles qui prévalent dans notre pays.
Dès lors, la France peut-elle continuer à jouer le rôle du
chevalier blanc de l'Europe et à fermer les yeux sur les pratiques de
ses plus proches voisins ? Par exemple, doit-on admettre que nous ne
pourrions plus exporter nos ovins au prétexte qu'ils ont
été vaccinés mais que l'on importe des animaux porteurs de
la fièvre aphteuse ?
Mme Guitard
- Au sein de la DPEI, nous avons vécu la crise de la
fièvre aphteuse au travers de ses conséquences
économiques, tant pour les éleveurs que pour les abatteurs, les
filières de commercialisation et les exportateurs.
Sur le plan du respect par l'ensemble des pays membres de l'Office
International des Epizootie (OIE) de la charte de cet organisme, nous ne
pouvons pas faire de procès d'intention, à moins que les experts
de l'OIE ne se rendent compte que, dans certains pays, la réalité
est différente du statut affiché, ce qui peut se produire. En
termes d'échange, tant au sein du marché unique qu'avec les pays
tiers, nous sommes contraints de prendre acte des statuts dans lesquels
s'inscrivent les différents pays avec lesquels nos opérateurs
commercent. Contrairement à la DGAl, la DPEI n'est pas en charge des
relations avec les autres pays du monde en matière de statut sanitaire.
Notre rôle consiste simplement à prendre acte du statut sanitaire
de chacun de ces pays. Dès lors, nos opérateurs commercent avec
leurs collègues étrangers dans le respect des différentes
réglementations.
M. Philippe Arnaud, président -
Précisément, est-il
acceptable que des règles économiques qui nous sont
imposées ne prévalent pas également dans les autres
pays ? Ma question se pose en termes économiques dans la mesure
où la fièvre aphteuse ne constitue pas un problème en
matière de santé humaine.
Mme Guitard
- Effectivement, toute cela se ramène à une
question économique puisque nous voyons clairement qu'il existe des
possibilités de distorsion de concurrence. Or il nous semble absolument
inacceptable que tous les pays n'appliquent pas des règles similaires.
Selon que l'on se situe d'un côté ou de l'autre d'une
frontière, on est soumis à des règlements
différents. Cette situation a des conséquences directes et
immédiates en matière de distorsion de concurrence entre les
différents opérateurs.
M. Philippe Arnaud, président
- Ce sujet ne relève-t-il
pas d'une guerre économique ?
Mme Guitard -
Dans le domaine agricole, la France est un pays
exportateur. Elle lui est donc difficile, vis-à-vis des autres pays
exportateurs, de faire état de protectionnisme. Par exemple, dans le
secteur du vin, nous tentons d'imposer aux autres états les
règles oenologiques qui sont les nôtres. Or nous avons la plus
grande difficulté à leur faire comprendre qu'un pays exportateur
de produits agricoles, comme la France, soit le premier à souhaiter
ériger des règles. En effet, nombre de nos partenaires qui
souhaitent se lancer dans une dynamique d'exportation auraient tendance
à comprendre plus facilement que la France se situe parmi les pays les
plus favorables à une position très libérale en la
matière.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous avons appris que l'Europe et
la France avaient importé du boeuf « Hilton »,
certes de très haute qualité, mais qui provient d'Argentine.
Seriez-vous en mesure de nous apporter des précisions sur ce
sujet ? En effet, nous sommes très intéressés par
cette question puisque l'Argentine est un pays atteint par la fièvre
aphteuse. Or il serait tout de même paradoxal qu'un produit -même
de très grande qualité- ait été importé d'un
pays touché par ce virus.
Mme Guitard -
Je ne suis pas en mesure d'évoquer aujourd'hui les
pratiques en vigueur dans le passé. En revanche, je vous indiquerais que
nous avons très récemment pris des dispositions pour interdire
l'introduction sur notre territoire de viandes argentines. En outre, je
m'engage à vous fournir ultérieurement les données
relatives à ces importations durant les derniers mois. A priori, je n'ai
aucune raison d'exclure l'hypothèse que vous avez formulée.
M. Philippe Arnaud, président
- Cette interdiction de
l'importation de viandes en provenance d'Argentine émane-t-elle de la
France ou de l'Europe ?
Mme Guitard -
Cette disposition a été prise au niveau
national.
M. Philippe Arnaud, président
- Je cède maintenant la
parole à M. le Rapporteur.
Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Dans le cadre de l'Organisation Mondiale
du Commerce (OMC), les Etats-Unis imposent un certain nombre de règles
auxquelles l'Union Européenne se plie, comme les aides aux restitutions
ou à l'agriculture. Dans le même temps, nous constatons que les
Américains ont versé trois fois plus d'aides à leurs
agriculteurs que les Européens. Par ailleurs, il s'avère que les
Etats qui refusent d'importer des denrées alimentaires issues d'animaux
européens sont ceux d'Amérique du Nord, la
Nouvelle-Zélande et l'Australie. Or nous savons que ces Etats commercent
par ailleurs avec l'Union Européenne. Des quantités
conséquentes d'ovins sont importées d'Australie par l'Europe. Il
semble que les exportations de la France vers ces pays se situent
essentiellement dans le secteur de la production porcine, qui est
organisé de manière industrielle. Il s'agit même de la
filière qui pose le plus de difficultés en matière
d'environnement. Dès lors, n'est-il pas légitime de s'interroger
sur l'avenir de cette production et de son extension dans notre pays ? En
effet, ces types d'élevages sont souvent ceux qui remettent en cause
toute possibilité de vaccination. Serait possible, selon vous, d'initier
une réflexion au niveau national sur ce sujet ? Il s'agirait de
considérer que les exportations en direction de l'Amérique du
Nord, de la Nouvelle-Zélande et, peut-être, de l'Asie
représentent environ 1,1 milliard de francs pour la France, ce qui
est relativement négligeable lorsqu'on sait que l'excédent de
notre balance commerciale en matière agricole se situe aux alentours de
60 milliards de francs.
Etant un Européen convaincu, je ne crains pas que l'on me prête
des arrières pensées protectionnistes. Je considère que
lorsque l'on souhaite disposer d'une agriculture de qualité qui occupe
l'espace, il est légitime de s'interroger sur l'extension de la
production porcine sur notre territoire.
Mme Guitard -
Je crois que votre interrogation s'articule en deux axes.
La première question a trait au comportement de certains pays membres de
l'OMC en matière d'aides à l'agriculture. Il est vrai que lorsque
a été introduite, durant le cycle de l'Uruguay, l'agriculture,
qui avait jusque-là été écartée des
négociations de l'OMC, les Américains ont développé
une vision très différente de l'agriculture telle que nous
l'envisageons en Europe. Sur le vieux continent, cette agriculture a
réussi, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, à
passer d'un stade de non suffisance à un niveau d'exportation. En outre,
l'agriculture joue un rôle important dans l'aménagement du
territoire européen. Vous savez que lors du dernier cycle, à
Marrakech, s'est imposée la conception de trois boîtes (orange,
bleue et verte), avec des conditions d'évolution de chacune d'entre
elles. A cette occasion, les Américains ont protégé un
certain nombre de modalités de financement de leur agriculture qui
ressemblent, de près ou de loin, à des règles très
« distortives » par rapport aux dispositions du commerce
international. D'ailleurs, le gouvernement français est très
attaché à ce que, lors du prochain cycle qui débute
actuellement, soient évoquées l'ensemble des aides aux
exportations, et non pas seulement des dispositifs relatifs aux restitutions.
Par conséquent, lors de la Présidence française de l'Union
européenne, qui s'est terminée le
31 décembre 2000, nous avons fait adopter par le Conseil des
Ministres de Bruxelles une feuille de route qui sera utilisée par la
Commission dans le cadre de la négociation des conditions du nouveau
cycle. Nous avons notamment veillé, sur le volet des aides à
l'exportation, à ce que l'ensemble des outils soit effectivement
discuté. En effet, il ne saurait être question de négocier
seulement sur les restitutions alors que nous savons parfaitement que les
Américains, en particulier, ont mis en place des systèmes
très proches de ceux de
deficency paiement
leur permettant de
répondre très rapidement à des chutes de cours qui
pénaliseraient leurs producteurs. En outre, même si cela touche
aussi à des questions éthiques, nous n'ignorons pas que les
Américains utilisent l'aide alimentaire comme une arme
économique. Dans ce domaine, nous réclamons que désormais
cette aide s'inscrive dans le cadre de programmes et ne se limitent plus
à des opérations de « marchés de
surplus » visant à décharger des secteurs en situation
d'engorgement. Nous ne souhaitons pas que soit instaurée une pratique de
pénétration de marché à vil prix et que ces
pratiques viennent remplacer les flux traditionnels.
J'aborderais maintenant le deuxième volet de votre question :
l'avenir de la production porcine et de nos exportations dans ce secteur. La
DPEI considère que l'acceptabilité pour les Français et
les Bretons, en particulier, d'un mode de production extrêmement
intensif, qui entraîne des conséquences environnementales
très lourdes, devrait constituer un facteur significatif
d'évolution des systèmes de production avant que le barrage de la
baisse des aides à l'exportation n'intervienne. Il est vrai que si l'on
considère les aspects quantitatifs et qualitatifs, il est
légitime de mettre en évidence, d'une part, la portion congrue
que représentent les exportations de porc mobilisant des restitutions
et, d'autre part, les dommages qui peuvent être causés à
l'environnement par ce type de production. Or il nous semble, notamment
à travers les dernières manifestations de l'ensemble de la
société françaises sur ce sujet et les conclusions de la
mission Gérondeau, que les producteurs bretons sont également en
train d'évoluer et de prendre conscience du fait que ce mode
d'élevage intensif est condamné à plus brève
échéance que nous ne pouvions l'imaginer voici seulement quelques
années. J'ajouterais d'ailleurs que l'ensemble de la production agricole
me paraît intégrée dans ce mouvement de fond. A l'occasion
du débat sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations
économiques, nous avons ainsi constaté l'importance que le monde
agricole attache au fait que l'agriculture raisonnée apparaisse
désormais comme un objectif, en tant que tel, de l'agriculture
française. Les différents acteurs de ce secteur souhaitent que
l'agriculture raisonnée soit définie par les pouvoirs publics. Il
faut savoir qu'aujourd'hui, des entreprises de la grande distribution, au nom
de leur conception du sujet, érigent leur propre cahier des charges et
se prévalent de vendre des produits issus de l'agriculture
raisonnée. Par conséquent, je considère que nous assistons
à la convergence d'un certain nombre d'éléments qui va
nous conduire vers une agriculture plus respectueuse de l'environnement,
même si cela suppose de renoncer à certains flux commerciaux
traditionnels.
M. Philippe Arnaud, président
- Madame, à la suite de la
crise de la fièvre aphteuse, qui n'est d'ailleurs pas terminée
d'un point de vue économique même si les difficultés
sanitaires ont été surmontées, la DPEI a-t-elle
tiré des enseignements qui nous permettraient éventuellement
d'appréhender les problèmes différemment dans
l'avenir ? Cela constituerait, à mon sens, un facteur de
progression tout à fait significatif.
Mme Guitard -
Lorsqu'est apparu le premier foyer de fièvre
aphteuse, dès le 13 mars, nous sommes entrés en contact avec
l'OFIVAL et les Directions départementales de l'agriculture et de la
forêt (DDAF) concernées. Nous avons alors établi que les
interdictions de mouvement des animaux, telles que celles qui
sévissaient dans l'Orne et la Mayenne, puis la Seine et Marne, pouvaient
avoir des conséquences particulièrement négatives. En
effet, nous savons que l'extrême spécialisation des exploitations
crée des fragilités au regard des aléas climatiques, mais
également dans le cas de problèmes liés à la
santé animale. A cet égard, j'avoue avoir découvert que la
Mayenne était un département se caractérisant par une
présence très forte d'éleveurs de porcelets qui sont
engraissés en Bretagne. Dans ce département se trouvent
également beaucoup de multiplicateurs, qui fournissent de jeunes truies
reproductrices aux élevages de la Mayenne et des départements
bretons. La très grande fragilité engendrée par cette
extrême spécialisation des élevages a pour
conséquence que l'impact des mesures sanitaires est d'une dimension
différente de ce qui pouvait exister voici quelques décennies.
Ainsi, l'organisation du séjour prolongé de ces animaux qui ne
pouvaient quitter l'exploitation ou de la collecte laitière se sont
avérés problématiques, compte tenu de la
spécialisation des outils de transformation et du fait, notamment dans
le secteur laitier des départements de l'Orne et de la Seine-et-Marne du
développement de produits sous des signes officiels de qualité.
Du jour au lendemain, nous avons mis des entreprises qui s'étaient
spécialisées dans la fabrication de Brie de Meaux et de Brie de
Melun dans l'incapacité de continuer à fonctionner.
M. Philippe Arnaud, président
- Intervenez-vous directement sur
les questions d'indemnisation ?
Mme Guitard -
Cela a constitué le sujet majeur des travaux de la
DPEI. En effet, l'ensemble des questions sanitaires a été
traité par la DGAL. Pour notre part, nous avons eu à nous occuper
des éleveurs ayant sur leurs exploitations des animaux qui allaient
devoir y rester plus longtemps que prévu. Dès lors se sont
présentés deux cas de figure : les animaux pour lesquels
cela était techniquement possible parce qu'il n'étaient pas
« finis » et ceux pour lesquels chaque jour qui passait
entraînait une diminution de la valorisation commerciale. Je pense, en
particulier au cas des porcs charcutiers : lorsqu'ils sont
« finis », leur valeur marchande cesse de croître. En
outre, les exploitations ne sont pas équipées pour garder des
animaux au-delà d'un certain poids et ne disposent plus des produits qui
conviennent à leur alimentation. Par ailleurs, nous avons
été amenés à examiner le cas des abattoirs, des
ateliers de découpe ou de transformation et des industries
laitières. Du jour au lendemain, ces entreprises se sont subitement
trouvées dans une situation où, soit elles ne pouvaient plus
abattre, soit elles ne disposaient plus de bassins de consommation. Ainsi, il
leur est devenu impossible de commercialiser des animaux dans la mesure
où nous avions en quelque sorte balkanisé, théoriquement,
cinq départements. En réalité, ces mesures se sont
appliquées à trois départements puisque le problème
a essentiellement concerné l'Orne, la Mayenne et la Seine et Marne. Par
conséquent, les effets indirects sont très complexes à
mesurer et la spécialisation des exploitations et des ateliers de
transformation font que les pertes indirectes liées à une crise
peuvent engendrer des conséquences très lourdes sur certaines
exploitations et entreprises agro-alimentaires.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Madame, avez-vous
évalué l'ensemble de ces pertes indirectes ?
Mme Guitard -
Dans ce domaine, une première évaluation a
été réalisée rapidement parce qu'elle était
simple à effectuer par l'Administration. Nous nous sommes
rapprochés des DDAF qui nous ont fourni une configuration précise
des cheptels de l'Orne, de la Mayenne et de la Seine et Marne. Ainsi, nous
avons évalué le nombre de porcs charcutiers, de jeunes bovins et
de jeunes truies qui ne pourraient être déplacés. Nous
avons prévu une indemnité de 23 millions de francs afin que
les opérateurs acceptent d'abattre les porcs et les jeunes bovins des
départements concernés, en rétribuant les éleveurs
en fonction du cours normal de la viande. Bien entendu, nous avons
intégré le fait que cette viande subirait une
dévalorisation commerciale, soit parce qu'elle porterait la mention
« abattue en période de fièvre aphteuse dans un
département touché », soit parce qu'elle devrait
être désossée, congelée et déstockée.
Pour les industries qui ont localement accepté de décharger les
exploitations des animaux « finis », nous avons donc
prévu un montant de 23 millions de francs.
Ensuite se pose le problème de l'ensemble des répercussions
commerciales. En effet, un certain nombre d'entreprises sont entrées
dans l'épizootie de fièvre aphteuse alors qu'elles étaient
affaiblies par la crise de l'ESB. Par conséquent, il est parfois
difficile de distinguer les éléments imputables, d'une part,
à l'ESB et, d'autre part, à la fièvre aphteuse. En outre,
il s'agit de se demander jusqu'où doit aller l'indemnisation. Elle
devrait se situer, selon nous, à un niveau compris entre 15
et 20 millions de francs pour des entreprises ayant réellement
été menacées. En revanche certains professionnels estiment
que les dommages subis sont incommensurables. Ainsi, il nous est
réclamé des indemnisations pour perte d'image, ce qui est
très difficilement mesurable, tant en termes de durée que de zone
géographique concernée. Dès lors existe le risque de
sombrer dans le plus grand pessimisme ou dans des effets d'aubaine très
complexes à traiter d'une manière équitable.
M. Philippe Arnaud, président
- Lorsqu'elle traite ces
problèmes d'indemnités, la DPEI tient-elle compte de la situation
qui aurait été la nôtre si nous avions connu une
épizootie comparable à celle qui touche la Grande-Bretagne ?
En outre, considère-t-elle le fait que la réponse
immédiate et probablement brutale de la France à cette crise a
permis de limiter les dégâts ? Si la DPEI ne prend pas en
compte ces éléments pour indemniser les différentes
parties concernées, sachant que nous sommes toujours à la veille
d'une nouvelle épizootie, les pouvoirs publics ne trouveront
probablement pas, dans l'avenir, le même échos favorable
auprès des éleveurs et de tous les acteurs de la filière.
En effet, le dispositif français de réponse à cette crise
repose sur un ensemble de mesures rapides qui ne doivent pas être
discutées. Je vous précise que je poserai la même question
au Ministre de l'agriculture.
Mme Guitard -
Au sein de la DPEI, nous avons tenté de faire la
part des choses entre deux cas de figure. D'une part, il existe des
exploitations et des opérateurs qui peuvent, de manière
objective, se prévaloir de préjudices liés à la
fièvre aphteuse, pour lesquels les approvisionnements, les
débouchés ou la capacité de fonctionnement ont
été réduits à néant. D'autre part, un
certain nombre d'entreprises ont fait valoir des arguments discutables. Il
existera toujours des personnes qui entrent dans une course
effrénée aux subventions, tandis que d'autres essaient de
minimiser leurs demandes auprès des pouvoirs publics.
Nous disposons à la DPEI d'un partenaire de poids, le Secrétariat
d'Etat au budget, qui a une vision encore plus restreinte, en termes
qualitatifs et quantitatifs, de ce que sont les relations de cause à
effet entre la fièvre aphteuse et les besoins d'indemnisation des
entreprises. Vous avez probablement constaté que la DGAL a
procédé à des abattages massifs et à la mise en
place, dans l'urgence, de mesures draconiennes qui ont mis à mal le
fonctionnement de certaines entreprises. Par conséquent, nous avons,
à mon sens, le devoir de procéder à certaines
indemnisations. Par ailleurs, je souhaite préciser, de manière
très objective, que la solidarité et la réactivité
des différentes filières se sont exprimées de
manière très diverse en fonction des départements et des
types de production. Je tiens, en particulier, à signaler la
rapidité et l'efficacité avec laquelle toutes les entreprises de
collecte de lait de l'Orne et de la Mayenne, puis de la Seine et Marne, ont
réorganisé l'ensemble de la collecte de manière à
ce qu'aucun agriculteur ne conserve des stocks de lait dans son exploitation. A
l'inverse, dans le secteur de la viande, nous n'avons pas ressenti la
même dynamique interprofessionnelle.
M. Philippe Arnaud, président -
Il nous a été
soumis un certain nombre de questions concernant des animaux ou des produits
finis exportés par des entreprises françaises et qui auraient
subi un embargo par la suite. Dans ce domaine semblent se poser des
difficultés pour faire valoir le droit à l'indemnisation. En
effet, il s'agit de se demander à qui appartiennent ces marchandises. La
facture étant établie, le client devrait payer, mais il ne le
fait pas parce qu'il doit détruire ou rapatrier les produits qu'il a
reçus. Ces problèmes ont-ils été portés
à votre connaissance et pourriez-vous nous communiquer des
éléments sur ce sujet ?
Mme Guitard -
J'imagine que vous faites allusion, notamment, à
des cargaisons exportées vers le Japon. D'abord, il existe un certain
nombre de risques commerciaux qui sont assurables et d'autres qui ne le sont
pas. Il s'agit donc d'établir une première distinction entre ces
deux catégories de risque. Ensuite, nous devons constater que certaines
entreprises font preuve de beaucoup d'imagination après avoir
constaté que certains débouchés sont fermés pour
trouver des débouchés de substitution.
Si la facture globale devait être prise en considération de la
manière souhaitée par les opérateurs, le budget du
Ministère de l'agriculture n'y suffirait probablement pas. En revanche,
dès lors qu'un opérateur a effectivement connu des
difficultés commerciales, dans le cadre d'un risque non assurable, puis
a cherché en vain des débouchés alternatifs, nous
plaiderons auprès du Secrétariat d'Etat au budget pour qu'il soit
indemnisé en fonction de son préjudice objectif. Nous allons
étudier de manière ciblée chaque cas. Ainsi, nous allons
prendre en considération le fait que, par exemple, certains grands
groupes, aient pu compenser les difficultés passagères et locales
que subissait une de leurs entreprises implantée dans l'Orne, la Mayenne
ou la Seine et Marne.
M. Philippe Arnaud, président -
Nous reviendrons sur ces
questions avec le Ministre de l'agriculture. Je souligne toutefois que nous
devons envisager le risque, dans le cas d'une nouvelle épizootie, que
certaines petites entreprises, estimant avoir été
lésées, ne prennent pas toutes les précautions de rigueur
ou puissent éventuellement décider de contourner les dispositions
réglementaires. Or nous savons que cela serait très grave en
matière de développement de la fièvre aphteuse puisqu'il
nous a été clairement expliqué, lors des
différentes auditions, que si tous les règlements existants
étaient scrupuleusement appliqués, la fièvre aphteuse
serait totalement éradiquée. Par conséquent, nous sommes
encore à la veille d'une nouvelle épizootie parce qu'il existera
toujours des fraudes et des personnes peu scrupuleuses.
Mme Guitard -
Dès le 19 mars, le Ministre de l'agriculture a
annoncé qu'une enveloppe de 30 millions de francs serait
constituée pour indemniser les opérateurs. Il est prévu de
verser sept millions aux agriculteurs qui ont du conserver leur cheptel sur
leur exploitation et 23 millions aux entreprises qui ont bien
accepté de débarrasser les exploitations de leurs produits finis.
En outre, nous envisageons d'indemniser à hauteur de 15 à
20 millions de francs les sociétés qui feront état de
préjudices avérés. Ces sommes seront allouées
à des petites entreprises qui n'ont pas eu d'alternative.
Je faisais allusion précédemment à certaines entreprises
qui, bien que portant un nom particulier, font en réalité partie
d'un grand groupe qui, par ailleurs, peut fort bien avoir amorti cette
situation difficile. Nous veillerons systématiquement à disposer
des comptes consolidés des entreprises. Nous ferons donc clairement une
différence entre les PME qui n'ont aucune possibilité de
substitution et d'autres qui se situent également dans d'autres
départements français ou pays de l'Union Européenne. Nous
nous attacherons donc à attribuer ces 15 à 20 millions de
francs, avec l'accord du Ministère du budget, à des PME
identifiées et qui sont en mesure de démontrer que leurs
approvisionnements, leurs débouchés ou leur capacité
à produire ont été totalement remis en question par le
dispositif réglementaire que nous avons mis en oeuvre avec la DGAL.
M. Philippe Arnaud, président -
Pourriez-vous nous décrire
plus précisément la répartition de cette enveloppe de 30
millions de francs par nature d'activité ? En outre, quelle est
l'origine de ces fonds ?
Mme Guitard -
L'origine des fonds est claire : il s'agit de
crédits qui vont être ouverts à l'OFIVAL pour ce qui
concerne, d'une part, les 23 millions et, d'autre part les 15
à 20 millions de francs supplémentaires que je viens
d'évoquer. Les sept millions de francs restants seront des
crédits issus directement du Ministère de l'agriculture et qui
seront gérés par la Direction des affaires financières. Je
vous ferais parvenir la liste complète de ces différents fonds.
Bien entendu, ces chiffres ne tiennent pas compte de l'indemnisation des
troupeaux abattus préventivement et des cheptels se situant dans les
zones de foyers déclarés qui font l'objet d'une indemnisation de
la part de la DGAL. Pour notre part, nous gérons uniquement la partie
aval de la crise et traitons de l'indemnisation liée aux pertes
indirectes qui ne sont prises en charge ni par la DGAL ni par la Commission
Européenne.
M. Philippe Arnaud, président -
Il est prévu que l'Union
Européenne participe à hauteur de 60 % à ces
indemnisations. Cela est-il effectivement le cas ou bien avez-vous
rencontré des difficultés ?
Mme Guitard -
Je crois qu'il est possible d'envisager que la Commission
européenne fasse preuve d'ouverture d'esprit en ce qui concerne les
aspects strictement sanitaires et établisse une distinction entre les
foyers avérés et ceux pour lesquels des animaux ont
été abattus sans que le virus ne se déclare. D'ailleurs,
une démarche dans ce sens a déjà été
entreprise en direction de la Commission qui s'est déclarée
disposée à élargir son champ d'intervention, aujourd'hui
limité aux cas de foyers avérés. Actuellement, elle
n'intervient pas lorsque des cheptels font l'objet de suspicions sans que le
virus ne se déclare. Dans l'avenir, nous pouvons espérer que la
Commission puisse envisager d'étendre ce cofinancement de 60 %
à ce dernier cas. En revanche, nous n'avons pas soulevé la
question des pertes indirectes en aval de la filière et je crois que
nous n'évoquerons pas ce sujet.
M. Philippe Arnaud, président -
Cette question fait pourtant
l'objet d'un point particulier dans les dispositions européennes. Il est
indiqué que doit être mise en oeuvre « toute mesure
qui serait jugée indispensable pour enrayer le développement de
l'épizootie ». Nous savons que les autorités de
Bruxelles ont décrété un embargo qui concernait, entre
autre, les fromages au lait cru, à la suite du questionnement de la
France sur ce sujet. Or cette mesure qui s'applique, non l'élevage, mais
à la filière alimentaire, était indispensable dans le
cadre de la lutte contre la fièvre aphteuse.
Mme Guitard -
Je m'engage à poser la question à la
Commission. Toutefois, je crains de connaître la réponse.
J'imagine qu'il nous sera répondu que les consommateurs français
et ceux des autres pays européens n'auraient pas souffert outre mesure
de la disparition temporaire des fromages au lait cru et que la disposition
adéquate aurait été de pasteuriser le lait.
M. Philippe Arnaud, président -
Or nous aurions ainsi fait
disparaître le fromage au lait cru.
Mme Guitard -
Vous avez parfaitement raison. C'est d'ailleurs ce que
nous avons absolument voulu éviter.
M. Philippe Arnaud, président -
Je rappelle que nous savons
désormais que ce type de fromages ayant subi, lors de leur fermentation,
une variation de pH, ne présentent aucune possibilité de
transport du virus.
Mme Guitard -
Il semblerait que cela soit effectivement le cas.
Toutefois, vous me permettrez de ne pas me prononcer sur ce sujet dans la
mesure où ces données sont très récentes.
M. Philippe Arnaud, président -
Nous disposons cependant
d'attestations et d'avis convergents dans ce sens. Il conviendrait que ce point
soit désormais indiqué clairement dans les règlements en
vue d'une prochaine épizootie.
M. Louis Grillot -
Madame, disposez-vous, sur le terrain, du personnel
suffisant pour évaluer l'ensemble des pertes indirectes, y compris dans
les départements voisins des foyers d'infection ? A cet
égard, je vous citerais l'exemple d'un éleveur qui n'a pu vendre
trois taureaux de reproduction en temps voulu. Il s'agit d'une perte, certes
indirecte, mais tout à fait conséquente pour cet éleveur.
Mme Guitard -
Je pense que nous allons être amenés à
étudier ce type de cas particuliers. Par ailleurs, je considère
que les DDAF disposent d'un personnel suffisamment compétent et
présent sur le terrain pour réaliser des évaluations
correctes. Toutefois, il est évident que nous serons obligés
d'examiner le poids relatif du dommage subi par rapport au chiffre d'affaires
de l'exploitation. L'exemple que vous avez cité est à
considérer différemment selon que la vente de ces trois taureaux
représente une part significative du chiffre d'affaires de l'exploitant
agricole ou qu'il s'agit d'une activité très marginale. Vous
n'êtes pas sans savoir que toutes nos mesures s'accompagnent, d'une part,
de seuils minimums et, d'autre part, de pondérations. Ainsi, selon qu'il
s'agit d'une activité dominante ou marginale, l'indemnisation sera
différente.
M. Philippe Arnaud, président -
Madame, je vous remercie d'avoir
bien voulu répondre à notre invitation et de nous avoir
apporté votre contribution.
Mme Guitard -
Je vous remercie pour votre accueil. Comme convenu, je
vous fournirai une information relative à l'importation de boeuf
argentin et à l'évaluation des pertes indirectes en aval de la
filière.
36. Audition du Docteur Dalil Boubakeur, Recteur de la Mosquée de Paris
M.
Philippe Arnaud, président -
Docteur, nous vous remercions d'avoir
accepté de répondre à notre invitation. Vous savez que nos
travaux portent sur l'épizootie aphteuse. Cette crise s'est
située durant la période des fêtes de l'Aïd El
Kébir qui ont engendré des mouvements importants de moutons. Nous
souhaiterions connaître, de manière plus détaillée,
les rites qui doivent accompagner ces fêtes et la façon dont ils
sont pratiqués. Pourriez-vous nous dire si les autorités
nationales mettent à la disposition de la communauté musulmane
des équipements sanitaires en nombre suffisant ? D'une
manière générale, quels problèmes rencontrez-vous
et quels types de solutions pouvons-nous rechercher pour les
résoudre ? Je précise que mon propos ne suggère en
rien que l'Aïd El Kébir puisse être la cause de
l'épizootie de fièvre aphteuse en France. En effet, nous savons
que le virus nous est parvenu de Grande-Bretagne. J'ajoute que, selon les
scientifiques, nous sommes toujours à la veille d'une nouvelle
épizootie si nous nous maintenons dans notre décision de ne pas
vacciner le cheptel. Nous devons donc réfléchir à
l'ensemble des risques liés à la fièvre aphteuse.
Docteur Dalil Boubakeur -
Monsieur le Président, je vous remercie
de m'avoir convié à cet échange sur un problème
commun à la société française et à la
communauté musulmane, même si j'utilise ce terme de
communauté avec précaution. Il s'agirait plutôt de la
famille religieuse de l'Islam, la deuxième de France par le nombre de
ses pratiquants. Vous avez souligné, Monsieur le Président, la
coïncidence malheureuse de l'Aïd El Kébir et de cette crise.
La famille religieuse à laquelle j'appartiens a donc été
amenée à pratiquer un rite important de l'Islam, qui est celui du
sacrifice des ovins, en particulier, durant cette épizootie. Bien
entendu, il ne m'appartient pas de juger des aspects vétérinaires
de la fièvre aphteuse ni de ses conséquences médicales sur
la santé des consommateurs.
D'abord, il convient de situer le rite du sacrifice dans son contexte
religieux. De ce point de vue, l'Aïd El Kébir, fête du
sacrifice, fait partie intégrante du cinquième pilier de l'Islam.
Il s'agit du pèlerinage à La Mecque, que chaque musulman doit
effectuer une fois dans sa vie.
A l'issue de cette visite pieuse, échelonnée de différents
rites, se situe le sacrifice du mouton, comme il le fut à un lieu
nommé
Mineh
, qui est l'endroit consacré pour ce rituel en
rappel à Abraham. En fonction de cet acte effectué à La
Mecque, l'ensemble des musulmans du monde sacrifie un animal ce même jour
ou les deux jours suivants.
Il s'agit de se poser la question de l'origine de ce sacrifice. Vous savez que
l'Islam se réfère au prophète commun aux trois religions
monothéistes, qui est lui-même le père du
monothéisme : Ibrahim (Abraham). Pour notre part, nous le
considérons comme un habitant de la Mésopotamie dont
l'appartenance à la communauté juive n'est pas
avérée, du point de vue musulman. Ayant rompu avec les traditions
astrologiques de la Mésopotamie, il a entendu l'appel du Dieu unique. Au
cours de ses périples en Egypte, en Palestine et à La Mecque, il
a d'abord eu pour épouse Sarah, dont il a eu un fils nommé Isaac,
puis Hagar avec laquelle il a également eu un fils dénommé
Ismaël. Dans notre tradition, Isaac est le père du judaïsme
tandis qu'Ismaël est le père des Arabes, qui deviendront plus tard
les Musulmans. Lors de son retour d'Egypte, alors qu'il abordait l'Arabie
où il avait laissé Hagar et son fils Ismaël, ont
été consacrés les premiers rites du pèlerinage
à La Mecque. En effet, alors qu'Agar allait sur le site de la future
ville sainte, son tout jeune fils a fait surgir une source dont l'eau est
sacrée.
Selon notre tradition, Abraham et son fils Ismaël ont reconstruit le
temple de la Kaaba. A l'issue de cela, Abraham a reçu l'ordre de Dieu
d'immoler son fils aîné, qui est Ismaël pour le Coran. Je
signale que le judaïsme considère que l'aîné est
Isaac. Il existe donc un différent entre Juifs et Musulmans sur la
personne de celui qui devait être immolé. Obéissant
à cet ordre, Abraham s'apprêtait à égorger l'enfant
consentant sur ce site de Mina lorsqu'un bélier est venu se substituer
à Ismaël. Cet animal venait donc remplacer et sauver Ismaël,
mais aussi incarner l'obéissance d'Abraham au Dieu unique. Par
conséquent, le sacrifice du mouton n'est nullement, comme le croient
beaucoup de musulmans, l'offrande d'un animal à Dieu, ce qui serait
contraire à l'Islam. En réalité, il représente le
signe de satisfaction de Dieu, en réponse à l'obéissance
d'Abraham. Cette acceptation de se soumettre à Dieu est
considéré dans l'Islam comme un signe d'appartenance religieuse.
En ce sens, Abraham est considéré comme le premier des musulmans.
Le sacrifice est reconnu par les trois religions monothéistes, mais ne
fait pas l'objet, dans l'Islam, d'un ordre coranique qui aurait
été donné à la communauté. En revanche, le
prophète de l'Islam, dans le cadre d'une tradition bien établie,
a initié lui-même ce rite en sacrifiant, dit-on, deux moutons.
Ainsi, ce rituel a été établi en l'an deux de
l'Hégire, qui correspond à l'an 624 du calendrier
chrétien. Dès lors, les Musulmans ont adopté cette
règle communautaire qui consiste à sacrifier un mouton en
souvenir du geste que le prophète avait accompli en
référence à Abraham.
Ce sacrifice a lieu à un moment précis du pèlerinage
à La Mecque, le dixième jour, qui se situe durant le dernier des
mois de l'année lunaire musulmane Dhu-Al-Hijja. Au neuvième jour
de ce mois se situe un moment très important qui est la station au mont
Arafat. Il s'agit d'un grand rassemblement des pèlerins dans ce lieu. Le
lendemain est pratiqué le sacrifice par les musulmans du monde entier.
Je souhaiterais faire deux remarques. D'une part, ce rituel peut être
effectué avec un ovin, mais aussi avec un caprin, un chameau ou un
boeuf. D'autre part, chaque pèlerin de La Mecque n'est pas tenu de faire
ce sacrifice rituel. Par contre, il doit faire un sacrifice expiatoire (Had'Ye)
pour le non-respect de certaines obligations rituelles. Il existe donc
actuellement à La Mecque un sacrifice par délégation
où plusieurs musulmans se cotisent et délèguent le rituel
à un sacrificateur commun.
J'ajouterais enfin un élément qui est peu pratiqué et
relativement méconnu en France : le sacrifice peut durer pendant
trois jours, du lever au coucher du soleil. Le premier jour, il peut être
pratiqué uniquement après la prière rituelle de
l'Aïd, par un sacrificateur en état de purification. Ces trois
jours se situent le dixième, le onzième et le douzième
jour du douzième mois de l'année lunaire. Durant cette
période, le rituel peut-être pratiqué de manière
parfaitement légale et admise par l'Islam.
L'animal sacrifié, qui n'est pas une offrande à Dieu, a une
fonction de partage pour la famille, les voisins et les pauvres à qui
est réservée une part. Cette année, étant
donné le problème de la fièvre aphteuse, nous avons
demandé à la communauté musulmane de France de respecter
un certain nombre de points. D'abord, nous avons demandé qu'avant chaque
sacrifice les moutons soient contrôlés par des services
vétérinaires. Cela pose, bien entendu, des difficultés
pour les achats qui ne se font pas de manière
réglementée : les animaux ne passent alors pas par des
services vétérinaires et encore moins par des abattoirs. Ensuite,
nous avons veillé à limiter au maximum les abus concernant les
achats et les ventes de moutons, qui se traduisent par des stockages massifs.
En effet, les négociants importent de grandes quantités de
moutons de Grande-Bretagne, entre autres, introduisant ainsi la maladie en
France.
En outre, un animal malade, selon le rite de l'Islam, ne doit pas être
sacrifié. En effet, le rituel impose des règles de
validité, tant dans le choix de l'animal qu'en termes de
procédé sacrificiel qui doit être le moins barbare
possible. Ainsi l'animal doit répondre à des critères
sanitaires et morphologiques précis : il ne doit pas être
malade, écorné, boiteux, trop vieux ou trop jeune, par exemple.
Il doit donc se trouver dans les meilleures conditions sanitaires possibles
afin d'être valable du point de vue du sacrifice. J'ajoute qu'il existe
également une condition économique : la famille qui
procède à ce rite doit être apte à assumer cette
pratique. Le rituel ne doit pas mettre en difficulté cette famille. Par
ailleurs, je rappelle que des personnes peuvent s'unir pour pratiquer ensemble
un sacrifice d'un animal qui sera ensuite partagé.
M. Philippe Arnaud, président -
Docteur, nous vous remercions
pour cet exposé préalable à nos questions. Vous avez
indiqué que le rite était ouvert en termes de pratiques.
Estimez-vous qu'en France pourrait facilement être
développée une pratique du sacrifice par
délégation ? Si le procédé s'avérait
culturellement acceptable dans notre pays, il pourrait permettre de pratiquer
ce rite dans des conditions sanitaires meilleures que celles qui
prévalent parfois aujourd'hui. A votre sens, existe-t-il une
réelle prise de conscience des dangers de la fièvre aphteuse de
la part de la communauté musulmane dans son ensemble ?
Docteur Dalil Boubakeur -
Cette année, à la suite des
prises de position des religieux et de l'administration, je considère
que nous avons davantage assisté à un effet lié à
la peur qu'à une véritable prise de conscience. En effet, l'Islam
en Europe regroupe des communautés d'origine très diverse. Ainsi,
il est représenté par des Indiens et Pakistanais en
Grande-Bretagne et par des Turcs en Allemagne. En France, il est associé
à la tradition du Maghreb, région dans laquelle l'élevage
du mouton est très répandu. Par conséquent, cet animal a
une valeur symbolique forte. Je dirai même qu'il est traditionnellement
indissociable de ce rituel pour nous alors que dans la tradition indienne il
pourra s'agir d'un autre animal. Le Maghreb a fondamentalement une culture du
mouton.
Certes, nous pouvons expliquer à la communauté que ce rituel
provient d'Arabie et est issu de l'Islam, et non du Maghreb. D'ailleurs, nous
avons été, à la Mosquée de Paris, les premiers
à développer un travail dans ce sens, que j'ai communiqué
au Ministère de l'intérieur et dont, Monsieur le
Président, je vous remets une copie. En toute modestie, ce document
reprend, d'une manière officielle, l'ensemble des propos que je viens de
tenir. Certains musulmans connaissent déjà ces différents
points, mais nombreux sont ceux qui les ignorent. Ainsi, le sacrifice sur une
durée de trois jours est très peu pratiqué au sein de la
communauté. De même, la possibilité d'égorger un
autre animal que le mouton est méconnue. J'ajouterais que la plupart des
musulmans de France penseraient faire une entorse à la loi canonique en
ne pratiquant pas ce rite. Pourtant, il ne s'agit absolument pas d'une loi
canonique. Cela consiste simplement en une tradition qui doit être
respectée dans la mesure où cela est possible. Par
conséquent, nous devons réaliser un travail d'information
religieuse afin d'expliquer précisément le rite. Ainsi, la
communauté pourra intégrer les raisons de cette pratique.
M. Philippe Arnaud, président -
Docteur, je vous remercie et je
cède la parole à notre rapporteur.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Monsieur le Recteur, comme vous
l'avez indiqué, les animaux sacrifiés dans le cadre de la
fête musulmane sont, dans la plupart des cas, issus de l'importation. A
l'avenir, pourrions-nous envisager d'établir des relations entre votre
communauté et les groupements de producteurs français afin de
tenter d'élaborer un mouton qui serait apte au sacrifice ?
Serait-il possible d'organiser, en collaboration avec la filière ovine
française, l'élevage de moutons qui ne sont pas de type
traditionnel ? Par ailleurs, nous connaissons tous la difficulté
que cela représente de trouver des abattoirs sur une seule
journée, dans la mesure où le message concernant les trois jours
est encore très peu passé dans la communauté. Il
semblerait que dans les régions de Lyon et de Marseille, les abattoirs
soient largement utilisés. En revanche, ce n'est pas le cas en
région parisienne. Dès lors, pourrions-nous envisager
l'élaboration de projets d'abattoirs autour de Paris ?
Docteur Dalil Boubakeur
- Votre première question est capitale
dans la mesure où les premières perspectives qui se
dégagent de nos discussions avec les éleveurs sont relativement
négatives. Je vous ai indiqué que le calendrier musulman est
fondé sur l'année lunaire qui avance chaque année de dix
jours par rapport au calendrier chrétien. Cette année, l'Aïd
a eu lieu aux alentour du 15 mars et se situera dans deux ans au mois de
février. Or, selon les éleveurs, il semblerait que les prochaines
années se caractériseront par une mauvaise natalité au
sein du cheptel ovin. Par conséquent, nous devons nous attendre à
des réductions encore plus fortes de l'offre d'animaux aptes au
sacrifice. Il s'agit là d'un problème saisonnier sur lequel nous
n'avons aucune prise.
Cependant, un certain nombre d'aspects doivent être moralisés du
point de vue de la commercialisation des animaux. Les éleveurs et les
négociants en bétail savent parfaitement à quel moment
aura lieu notre fête et poussent souvent les musulmans à acheter
un mouton, dont ils ne sauront finalement que faire. En outre, il est
envisageable que nous soyons désormais très attentifs aux
importations massives de moutons en France. Par conséquent, la
communauté devra réduire le nombre d'animaux sacrifiés
pour trois raisons.
L'offre de moutons va diminuer.
La natalité sera faible dans le cheptel durant les prochaines
années.
Nous devrions assister à une réduction des sites d'abattage.
Sur ce dernier point, nous sommes très intéressés de voir
comment il sera tenu compte des souhaits des communautés musulmanes
britannique et allemande. Jusqu'à ce jour, les musulmans de France ont
été largement privilégiés par rapport aux autres
communautés européennes. Je dirai presque que nous nous trouvions
quasiment dans une situation de non-droit. Monsieur le Président, vous
savez parfaitement qu'un certain nombre de passe-droit et de sites
dérogatoires ont permis des abattages importants sur le territoire
français. Avant la crise de la fièvre aphteuse, nous
étions dans une situation relativement stable. Vous avez
évoqué les abattages en province. J'ai assisté à
certains qui étaient parfaitement organisés et correctement
préparés. Par conséquent, la situation était
correcte jusqu'à la catastrophe que nous venons de vivre. Aujourd'hui,
tout est remis en cause, à commencer par le nombre d'animaux à
conduire aux abattoirs.
M. Gérard Larcher
- Monsieur le Recteur, dispose-t-on d'une
estimation précise des besoins du marché ? Par ailleurs,
nous savons aujourd'hui régler les problèmes de
saisonnalité grâce à la technique des éponges qui
nous permet de donner naissance à des jeunes ovins lorsqu'on le
souhaite. Enfin, ne pensez-vous pas que le moment est venu d'organiser cette
tradition, qui se traduit chez les chrétiens par le rituel de la
fête pascale ? Ainsi, nous pourrions donner une réponse
technique à une tradition qui a une importance notable dans notre pays.
Je reviens de Grande-Bretagne où le désert animal est clairement
visible. En effet, la disparition d'un tiers des ovins et d'un quart des bovins
a forcément des conséquences lourdes sur le paysage agricole d'un
pays. A la suite de l'épizootie que nous avons connue, il me semble que
le temps est venu pour la communauté musulmane d'établir un
constat clair sur le sujet. En effet, il existait, à mon sens, un
marché parallèle très développé. Or nous ne
pouvons plus nous satisfaire d'une telle situation. En outre, il s'agit de se
demander quels seront les fournisseurs désaisonnalisés. Il
s'agira inévitablement des pays de l'hémisphère sud, dont
certains ne sont pas indemnes de la fièvre aphteuse, comme l'Argentine.
En effet, il semble que la demande britannique absorbe à elle seule les
exportations australiennes et néo-zélandaises. Dans ces
conditions, notre rapport ne constitue-t-il pas l'occasion d'évoquer le
sujet, dans le respect des traditions, d'une sorte de charte
globale régissant cette pratique ?
Docteur Dalil Boubakeur
- Je considère que vous avez parfaitement
cerné le problème. La communauté musulmane de France
dénombre près de cinq millions de personnes qui peuvent avoir des
traditions différentes. Je vous ai expliqué que les orientaux
pratiquent le rituel sur des camélidés, faute d'ovins. Toutefois,
des différences existent également au sein des occidentaux. Les
musulmans originaires d'Afrique centrale optent plus volontiers pour des
brebis, pour des raisons que j'ignore, tandis que ceux du nord du continent
préfèrent les moutons ou les béliers. Dans ce domaine,
comme dans tout ce qui touche à la tradition, la religion n'est pas
nécessairement en adéquation avec les pratiques.
En France, je considère que chaque année 100 000 ovins,
voire davantage, sont mis sur le marché et sacrifiés. Environ un
tiers seraient des animaux français, le reste étant issu de
l'importation. Toutefois, ces chiffres ne sont que des estimations
effectuées au sein de notre communauté. Il est certain que les
importations de moutons seront moindres l'année prochaine, compte tenu
des difficultés actuelles. Dès lors, nous disposerons au maximum
des deux tiers du nombre actuel d'animaux. En effet, nous savons que les
moutons sont importés entre deux et quatre semaines avant la fête.
Par conséquent, nous allons être conduits à réduire
de fait le nombre de sacrifices. En outre, les conditions d'abattage seront
probablement plus draconiennes l'année prochaine dans la mesure
où nous ne bénéficierons plus des sites
dérogatoires dont nous disposions encore lors de la dernière
fête. Enfin, compte tenu des divers mouvements d'opinion, le sacrifice
risque de subir un certain nombre d'impératifs. En effet, la France
pourrait être contrainte de faire appliquer les directives
européennes en la matière.
Tous ces éléments nous conduisent à
réfléchir à la manière dont on peut informer une
communauté qui, je tiens à le souligner, a réagi de
manière intelligente à la crise que nous venons de
connaître. Toutefois, elle a certainement été prise au
dépourvu et il serait probablement souhaitable aujourd'hui de mettre en
place une action plus pédagogique. Il s'agit d'expliquer que le
sacrifice ne constitue nullement une obligation canonique et qu'il est possible
de déléguer ce rituel. Nous souhaitons même aller plus
loin, Messieurs les Sénateurs en cas de force majeure. En effet, nous
désirons trouver une fatwa, c'est-à-dire un avis juridique,
permettant la substitution du sacrifice par une autre pratique, comme une
distribution à des pauvres, ce qui constituerait une manière
d'exonérer la communauté musulmane de ce rite. Les solutions
existent. Il faut maintenant les faire connaître et les enseigner. Pour
cela, des dignitaires religieux doivent s'associer à l'effort national
afin d'éviter que des difficultés ne se fassent jour
l'année prochaine. En effet, il est essentiel de comprendre qu'il s'agit
véritablement d'un rituel très ancré dans la culture
musulmane, qui constitue presque une tradition canonique. Néanmoins, je
considère que la maturité de la communauté, qui a
été prouvée cette année, nous laisse espérer
une réaction intelligente dans l'avenir.
M. Dominique Braye
- Monsieur le recteur, vous avez répondu
à la quasi-totalité de nos questions. Ainsi, vous avez
confirmé ce que de nombreuses personnes nous avaient déjà
indiqué : l'abattage des moutons au moment de la fête de
l'Aid El Kebir est davantage une question culturelle qu'un problème
cultuel. Je suis Sénateur, élu de la région de
Mantes-la-Jolie, dans laquelle réside une importante communauté
musulmane originaire d'Afrique du Nord. Je suis donc bien placé pour
savoir que ce rite est susceptible de poser d'importantes difficultés en
matière d'ordre public. Vous savez que les élus doivent prendre
en compte le ressentiment qui se fait jour dans la population lorsque sont
organisés des abattages clandestins. Il conviendrait donc de faire
évoluer les choses afin de faire comprendre que cette pratique n'est pas
une obligation de l'Islam. Pourtant, ceux que je rencontre sont très
attachés à cette tradition. La France est un pays relativement
tolérant et je fais partie de ces élus qui désirent
qu'elle le reste. Nous souhaitons en effet que la prise de conscience de la
communauté musulmane puisse faire évoluer la situation. Par
exemple, si nous supprimons les sites dérogatoires, vos chefs spirituels
nous ont indiqué que nous assisterions à une reprise des
abattages clandestins. Or nous ne pouvons pas accepter de telles pratiques.
Dès lors, si vous prônez l'arrêt des sites
dérogatoires, vous devez vous assurer de la maîtrise des
abattages. Vous devrez donc préalablement avoir fait évoluer la
Communauté musulmane pour qu'elle acquière l'habitude de
pratiquer un rite de remplacement. Quoi qu'il en soit, il n'est pas
envisageable que nous soyons à nouveau confrontés à une
situation d'abattage clandestin massif. En ce sens, il existe une réelle
responsabilité des responsables de votre communauté qui doivent
intégrer le fait que nous pouvons envisager la suppression des sites
dérogatoires uniquement à la condition que les mentalités,
et donc les comportements, de cette communauté évoluent. En
effet, je crains que la reprise des abattages clandestins n'entraînent un
phénomène de rejet grandissant de la communauté musulmane.
Docteur Dalil Boubakeur
- Monsieur le Sénateur, toute la
difficulté est là. Malheureusement, ma communauté n'est
pas constituée de médecins et de vétérinaires. Je
dois vous dire que les personnes qui viennent du Maghreb ne comprennent pas les
dispositions que nous avons prises lors de la crise de la fièvre
aphteuse. En effet, une telle épizootie ne les empêche pas, chez
eux, d'abattre l'animal et de le partager. Je vous prie de m'excuser pour la
brutalité de mes propos, mais ils ne font que traduire une
réalité. Les notions sanitaires en deçà de la
Méditerranée sont très différentes de celles qui
prévalent sur notre continent. Il m'a même été
signalé des animaux souffrant de la tremblante qui avaient
été sacrifiés et partagés. Par conséquent,
l'argument strictement sanitaire agira, mais il ne sera pas fondamental. Ainsi,
lorsque j'étais médecin près de Mantes la Jolie, j'ai
reçu des personnes porteuses de kystes hépatiques authentiques.
Ces patients avaient développé cette pathologie après
avoir consommé des ovins en Afrique du Nord.
La culture et la tradition font que les musulmans souhaitent procéder
à ce sacrifice. Il est vrai que la très forte couverture
médiatique qui a suivi l'apparition sur notre territoire du virus de la
fièvre aphteuse a tout de même incité chacun à
sacrifier uniquement des moutons dûment examinés par les services
vétérinaires. A mon sens, le sacrifice clandestin commence
à être associé à la notion de dangerosité. Il
m'a par exemple été signalé des personnes qui avaient
acheté des moutons qu'ils n'ont finalement pas sacrifiés.
Toutefois, cette situation demeure un cas exceptionnel et je ne sais si nous ne
pouvons extrapoler la situation d'urgence que nous avons vécue.
Vous nous avez indiqué craindre que la suppression des sites
dérogatoires n'entraîne une recrudescence des abattages
clandestins. Je suis d'accord avec votre opinion, en ce sens que le risque
existe effectivement. Il est nécessaire de comprendre qu'une tradition
de cette importance ne peut être remise en cause. En outre, il est
relativement complexe de faire passer l'information dans cette
communauté composée essentiellement de petites gens qui n'ont pas
une conscience sociétale très développée.
Pour ma part, je considère que nous avons le devoir d'analyser les
problèmes qui se posent et d'agir afin d'aplanir les difficultés.
Nous devons toutefois garder à l'esprit qu'il sera probablement
nécessaire d'aménager la loi actuelle qui, par ailleurs, devra
être longuement expliquée, étant donnée la taille
très importante de la communauté musulmane de France. Nous
devrons alors être en mesure de déterminer
« jusqu'à quel point nous ne pourrons aller trop
loin ».
M. Philippe Arnaud, président -
Monsieur le Recteur, je vous
remercie d'avoir bien voulu répondre à notre invitation et de
nous avoir apporté votre contribution. Effectivement, si je peux me
permettre de rependre votre conclusion, la situation doit évoluer, mais
il s'agit de se demander « jusqu'à quel point nous ne pourrons
aller trop loin ».
Docteur Dalil Boubakeur
- Monsieur le Président, j'ajoute que
nous sommes déterminés à trouver ensemble une solution
acceptable et qui, d'un point de vue médical, sanitaire et
vétérinaire, ne présente aucune faille.
M. Philippe Arnaud, président -
Comme le disait Monsieur Braye,
nous devrons veiller à ce que toute évolution soit
acceptée par la communauté musulmane afin d'éviter que
cela ne crée à nouveau les conditions d'une recrudescence des
abattages clandestins.
Docteur Dalil Boubakeur
- Nous serons à vos côtés
pour lutter contre ce fléau.
M. Philippe Arnaud, président -
Monsieur le Recteur, nous vous
remercions.
37. Audition de Jean Glavany, Ministre de l'agriculture
M.
Jean Francois-Poncet, président de la commission des Affaires
économiques
- Monsieur le ministre, nous vous recevons en
compagnie de MM. Philippe Arnaud qui est le Président de la mission
d'information sur la fièvre aphteuse et Jean-Paul Emorine, Rapporteur de
cette Mission.
M. Jean Glavany -
Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs
les Sénateurs, je vous propose de vous présenter de
manière aussi précise et concise que possible les
différents aspects de la crise que nous venons de connaître. Cette
crise a démarré le 21 février 2001, date
à laquelle nous avons reçu une alerte émanant des
autorités britanniques. C'est également ce jour qu'a
été décidée, au niveau européen, la mise en
place d'un embargo sur le Royaume-Uni. Dès lors, nous avons
décidé de frapper vite et fort, selon la formule que j'ai
employée. En effet, nous avons innové en procédant
à des abattages préventifs qui n'existaient pas
stricto
sensu
dans la Directive communautaire 90-423 qui, par ailleurs, interdit la
vaccination en Europe depuis le 1° janvier 1992. Je ne regrette
pas cette décision puisque nous avons découvert, a posteriori,
nombre de moutons séropositifs parmi ceux qui avaient été
importés de Grande-Bretagne avant l'embargo. Nous avons également
mis en oeuvre une autre innovation qui a été couronnée de
succès puisque nous avons fait « comme si » les
zones dans lesquelles avaient été repérés les
moutons séropositifs constituaient de véritables foyers, ce qui
nous a conduit à adopter une attitude très rigoureuse. Nous avons
pris les mêmes précautions à l'égard des
4 000 animaux importés des Pays-Bas.
I. LE DÉBUT DE LA CRISE DANS SON CONTEXTE
Nous nous trouvions alors dans une situation particulière puisque
l'alerte s'est située peu de temps avant la fête de l'Aïd el
Kébir qui entraîne une importation diffuse de moutons mal ou pas
identifiés. En outre, la symptomatologie de la fièvre aphteuse
chez les ovins est relativement sommaire, le diagnostic se
révélait donc tout à fait aléatoire. Par
conséquent, nous étions dans une situation où des ovins
étaient vendus, partout en France, parfois sans contrôle ni
facture, et donc, sans possibilité de traçabilité. Ainsi,
ce fut une gageure de retrouver la trace de ces ovins afin de les
récupérer. En revanche, nous devons reconnaître que
l'Aïd et Kébir nous a également aidés. En effet,
comme le disent les scientifiques, dans leur langage très
poétique, l'abattage des moutons dans le cadre de cette fête a
constitué une impasse épidémiologique. De ce point de vue,
je considère donc que nous avons eu raison de ne pas interdire cette
fête, comme beaucoup nous pressaient de le faire. Pour ma part, j'affirme
que cette célébration a contribué à la lutte contre
la fièvre aphteuse, compte tenu de l'absence de risque pour la
santé humaine, sur laquelle je ne reviens pas.
Dans le cadre de la lutte contre la fièvre aphteuse, nous avons eu des
difficultés liées au retard qu'ont connu les résultats des
analyses sérologiques pratiquées par l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA). Ce retard tient
probablement au fait que l'AFSSA, depuis sa création, s'est
concentrée sur un certain nombre de sujets, comme l'ESB. Ainsi, elle a
été quelque peu prise au dépourvu par cette crise de la
fièvre aphteuse à laquelle elle n'était pas
préparée. Cela ne constitue toutefois pas la seule raison de ce
retard. En effet, il faut savoir que, paradoxalement, alors que le virus de la
fièvre aphteuse est bien connu, la sérologie de cette maladie est
plus aléatoire.
Plus généralement, cet épisode nous a rappelé
combien il est important pour les gestionnaires du risque, et donc pour le
Ministère de l'agriculture de la pêche, de disposer d'un soutien
scientifique et technique infaillible dans le domaine de la santé
animale. Je vous signale d'ailleurs qu'une discussion est en cours dans ce
domaine avec l'AFSSA. Je tiens à cette occasion à rendre hommage
à cette agence et, en particulier, à ses techniciens et ses
laborantins, qui ont travaillé sans relâche durant la crise,
effectuant plus de 6 000 prélèvements sanguins.
II. LA GESTION DE LA CRISE
Je souhaiterais maintenant évoquer la gestion des deux foyers qui se
sont déclarés et des restrictions des mouvements qui ont
été prises au niveau national. Au début du mois de mars,
nous avons pris l'initiative de bloquer les mouvements et d'interdire tous les
rassemblements d'animaux des espèces sensibles. Je précise que
les déplacements des chevaux demeuraient possibles sous certaines
conditions. Nos décisions ont rapidement été
relayées par Bruxelles. Les mesures de restrictions dans les foyers
consistent en des zones de protection de trois kilomètres,
complétées par une ceinture de surveillance de dix
kilomètres. Ces dispositions ont été prises
immédiatement sous l'autorité des préfets et se sont
avérées efficaces.
Compte tenu de votre connaissance du dossier, vous savez que l'un des foyers
s'est situé dans la Mayenne, à la limite de l'Orne, tandis que
l'autre a touché la Seine et Marne. Comme je l'ai publiquement
déclaré, ce second foyer aurait pu être évité
si le civisme d'un négociant de la Mayenne avait été plus
spontané et plus prompt à se manifester. Le préfet de la
Mayenne, que vous avez rencontré, vous a démontré à
quel point l'administration a été implacable à
l'égard de cet individu. Les services vétérinaires, la
Direction de la concurrence et de la répression des fraudes et
l'Inspection du travail ont décelé de nombreux dysfonctionnements
dans l'activité de cette personne. Pour autant, comme vous le savez
probablement, elle a repris son activité de négoce.
Les services de l'Etat ont été actifs et réactifs, tant
à Paris que dans les départements. Les Directions des Services
Vétérinaires (DSV) ont été assistées par
celles de l'équipement, en collaboration avec la Gendarmerie, qui ont
mis en place rotoluves et pédiluves. Je voudrais souligner
l'efficacité du triptyque composé des DSV, des
vétérinaires sanitaires, assurant le maillage territorial, et les
Groupements de Défense Sanitaire (GDS). Cette efficacité a
été manifeste, tant dans les domaines de la surveillance et de la
prévention, que pour ce qui concerne la lutte contre les maladies
animales.
Plus généralement, nous avons veillé à assurer,
tout au long de cette crise, une concertation permanente entre les
différents acteurs au niveau national. Je les ai moi-même
réunis à plusieurs reprises au Ministère, mais ils se sont
également rencontrés au niveau local, au sein des Comités
départementaux de lutte contre la fièvre aphteuse, dirigés
par les préfets. Nous devions sans cesse expliquer les mesures que nous
prenions afin d'emporter l'adhésion des éleveurs et des autres
professionnels de la filière et, ainsi, de vaincre l'épizootie.
Je tiens à souligner que tous les professionnels ont fait preuve d'un
grand sens des responsabilités, en dépit des contraintes
économiques très fortes qui pesaient sur eux, et je souhaite leur
rendre hommage.
Enfin, j'ajoute que la Commission Européenne est venue contrôler
sur place les actions de l'Etat français au début du mois
d'avril. Son rapport est encore à l'état de projet. Toutefois,
nous pouvons d'ores et déjà constater que les mesures
françaises sont jugées globalement pertinentes et efficaces. Or
une telle appréciation est suffisamment rare dans les rapports de l'OAV,
l'organisme chargé de ces contrôles, qu'elle mérite
d'être souligné. Par conséquent, j'estime que nous devons
tous tirer une certaine fierté de constater que ce rapport est favorable
à la France.
Pour ma part, je suis très satisfait de l'attitude de Bruxelles et de la
Commission européenne dans cette affaire. La mobilisation et la
réactivité des services de la Commission ont été
parfaites. Ainsi, la décision de mettre en place l'embargo a
été prise le jour même de l'alerte britannique, ce qui
constitue probablement un record dans l'existence de la Commission qui, dans
d'autres circonstances, n'a pas toujours fait preuve d'une telle promptitude.
Le Comité vétérinaire permanent s'est réuni
à 16 reprises depuis le 27 février et a voté
43 décisions. En outre, le Conseil a fait
régulièrement un point sur la situation. Je considère que
le Comité vétérinaire permanent n'a jamais aussi bien
porté son nom et a géré cette crise dans une
continuité remarquable. Les décisions ont été
efficaces, compte tenu du faible nombre de foyers sur le continent. La
Commission n'a pas hésité à négocier avec le droit,
en encourageant les états membres à procéder à un
abattage préventif. Si nous devions faire preuve de sens critique, nous
pourrions peut-être reprocher à la Commission un certain manque
d'enthousiasme à convaincre les pays tiers de lever les barrières
injustifiées qu'ils avaient érigées à la suite de
cette crise.
III. LA VACCINATION
J'en viens maintenant au problème central posé par la gestion de
cette crise : la vaccination. Au total, nous avons abattu, me semble-t-il,
plus de 58 000 animaux, dont 20 000 ovins et porcins originaires
du Royaume-Uni, ainsi que 27 537 bovins, 364 porcins, et
197 caprins qui s'étaient trouvés en contact avec ces
animaux britanniques et 8 653 animaux originaires ou ayant
été en contact avec ceux des Pays-Bas. Je considère que
ces images d'animaux abattus et de bûchers ont créé un
traumatisme qui s'est étendu au-delà du monde agricole. En effet,
cela représente simultanément l'expression d'un gaspillage
ahurissant et d'une violence sociétale hors du commun. Toutefois, nul ne
peut nier l'efficacité de ces pratiques. Pour ma part, je
considère que la vaccination ne constitue pas un sujet tabou. Cette
question doit être évoquée dans le cadre du Conseil de
l'agriculture, mais aussi au sein de l'OIE. En effet, il nous est posé
là un problème de restriction commerciale. La fièvre
aphteuse et la possible vaccination ne sont en rien des problèmes
relatifs à la santé humaine puisque cela n'a aucune
conséquence pour l'être humain. C'est également un
problème très relatif en matière de santé animale
puisque nous avons vécu avec ce virus durant des siècles. Les
troupeaux finissaient par en guérir, voire par être
immunisés. Il s'agit donc uniquement d'une question économique,
relative au statut de pays indemne de fièvre aphteuse dont il faut faire
la preuve pour pouvoir exporter. Or les exportations de viande française
représentent entre 40 et 45 milliards de francs chaque
année. C'est à cette aune seulement que nous devons examiner le
problème de la vaccination.
La vaccination consistant en l'inoculation de virus inactivé vivant,
nous ne savons pas déterminer aujourd'hui si la présence
d'anticorps chez un animal est due à la maladie ou au vaccin.
Actuellement, tout pays qui vaccine avoue aussitôt qu'il est
touché par la maladie et perd, pour au moins deux ans, sa
capacité à exporter. En revanche, l'abattage permet de
récupérer le statut de pays indemne de fièvre aphteuse en
trois mois.
Lors de chaque crise, des intérêts économiques, financier
et commerciaux se font jour. Durant la crise de l'ESB, les laboratoires sont
entrés en concurrence pour créer le test le plus performant. De
même, lors de cette crise de la fièvre aphteuse ont
été inventés des vaccins traçables, permettant, en
cas de test, de différencier la maladie de la vaccination. Le
problème tient à ce qu'aucun de ce vaccin n'est aujourd'hui
validé par les organismes internationaux. Dès lors que nous
disposerons d'un tel outil, les décisions en matière de
vaccination seront plus faciles à prendre au niveau communautaire. Des
travaux sont donc en cours sur des tests permettant de différencier les
deux types d'anticorps. Toutefois, nous pouvons affirmer que, d'un point de vue
strictement sanitaire, il est préférable de ne pas vacciner dans
la mesure où cela constitue le signe de l'éradication du virus.
Néanmoins, je répète que ce sujet n'est pas tabou et
mérite d'être analysé sereinement.
IV. LA SITUATION ACTUELLE
Aujourd'hui, la situation est à nouveau quasiment normale dans notre
pays. Une seule restriction est apportée en ce qui concerne les
rassemblements d'ovins et de caprins, autorisés à la seule
condition que les animaux soient destinés à l'abattoir ou
répartis dans dix élevages au maximum. Cette disposition
demeurera théoriquement valable jusqu'au 29 juin, mais pourrait
éventuellement être levée avant. Quoi qu'il en soit, la
transhumance s'effectuera sans difficulté, contrairement à ce que
certains semblaient craindre. Cette levée des restrictions s'est
opérée de manière relativement rapide, ce qui
témoigne de la reconnaissance par nos partenaires de la qualité
de notre dispositif de surveillance et de contrôle. Pourtant, il faut
garder à l'esprit que nous n'avons pas encore atteint le seuil fatidique
des trois mois à l'issue du dernier foyer, puisqu'il se situe le
23 juin.
Pour les pays tiers, la situation est très différente. Nous avons
connu des situations très diverses dont certaines étaient
totalement infondées, comme un embargo sur l'importation de
céréales françaises, décidé par le Maroc. Il
semble toutefois que les contacts bilatéraux établis la semaine
dernière en marge de la session de l'OIE, nous aient permis de lever
certains obstacles. Ainsi, la Russie, l'Australie et la Nouvelle-Zélande
s'apprêtent à rouvrir leurs frontières. Les Etats-Unis et
le Canada, quant à eux, devraient envoyer une mission dans les dix
jours. Demeure donc la question du Japon et de la Corée qui
représentent des débouchés à haute valeur
ajoutée pour la viande porcine et qui ne semblent pas pressés de
lever leurs restrictions, ce qui permet incidemment à la concurrence
danoise de se repositionner. Il faut tout de même savoir
qu'au-delà du 23 juin, ces pays seront dans
l'illégalité du point de vue des normes internationales.
V. LES ENSEIGNEMENTS DE CETTE CRISE
Je souhaiterais aborder enfin les enseignements que j'ai retirés de
cette crise. D'abord, je rappelle que l'épizootie n'est toujours pas
maîtrisée Outre-Manche, même si elle décroît.
Hier encore étaient dénombrés 1 670 foyers. Les
dispositifs de contrôle (pédiluves notamment) sont d'ailleurs
toujours actifs dans les ports de Brest à Calais et nous ne sommes pas
particulièrement pressés de lever l'embargo qui touche le
Royaume-Uni. Nous souhaitons d'abord nous assurer de l'extinction
complète des foyers.
Au-delà de la vigilance dont nous faisons preuve à l'égard
du Royaume-Uni, le deuxième enseignement que je retire de cette crise
est la nécessité de disposer dans chaque pays d'un service
vétérinaire efficace, doté d'une organisation et de moyens
appropriés. Ce service public doit, en outre, coopérer avec le
réseau des vétérinaires de campagne afin d'assurer la
surveillance épidémiologique. A ce propos, je déplore que
de trop nombreux vétérinaires se limitent aujourd'hui à
soigner les animaux de compagnie, au détriment de la pratique rurale. En
revanche, je tiens à souligner le rôle éminent des
éleveurs qui sont les premiers témoins et acteurs de la
santé de leur cheptel. Dans ce domaine, la mission des GDS consiste
à les sensibiliser et à les former et ils le font plutôt
bien.
En outre, nous devons adapter la législation communautaire en
introduisant les abattages préventifs et le financement de la Commission
européenne qui doit les accompagner. Il s'agira également
d'améliorer l'identification et la traçabilité en
matière ovine. Nous devons ainsi étendre aux ovins les
progrès qui ont été faits dans le domaine de la
traçabilité bovine, à la suite de la crise de l'ESB. Il
sera en outre indispensable d'interdire le recyclage de certains
déchets, comme ceux de la cuisine, dans l'alimentation animale. Il
conviendrait aussi de revoir la liste des produits dits à risque. Il
semblerait en effet que les fromages au lait cru soient suffisamment acides
pour inactiver le virus. Or les exportations de ces produits ont
été bloquées dans l'Orne et la Mayenne alors que cela
n'était probablement pas nécessaire. Enfin, il sera indispensable
d'ouvrir un débat sur la question de la vaccination, à laquelle
je faisais allusion précédemment.
Par ailleurs, nous avons dû compter, lors de cette crise, avec ce nouvel
acteur qu'est le citoyen consommateur téléspectateur. Les
pouvoirs publics doivent sans cesse expliquer que la santé publique
n'est pas en cause. Cependant, le pouvoir de l'image se révèle
toujours le plus fort et le spectacle de ces charniers a assurément
été traumatisant. La science et l'économie nous
conseillent d'abattre des animaux. Il s'agit peut-être d'une erreur
dès lors qu'il que nous sommes face à une maladie sans
gravité pour l'animal et sans danger pour l'homme. D'une manière
plus générale, il s'agit de considérer la place de
l'animal dans notre société. Néanmoins, si les images des
bûchers sont impressionnantes, nous pouvons tout de même
considérer que la destinée de l'animal est de terminer sa vie
à l'abattoir. Finalement, l'éthique et la philosophie ont
probablement, elles aussi, leur place dans ce débat. Nous avons
d'ailleurs constaté que nombre de tribunes libres sur ce sujet
s'étendent au-delà de la simple question de la fièvre
aphteuse.
M. Jean François-Poncet, président de la Commission des
Affaires économiques -
Je souhaiterais vous interroger sur le
cofinancement de l'Union européenne. En effet, il semblerait que
l'Allemagne se soit élevée contre l'augmentation de cette
contribution. Voudriez-vous nous dire quelques mots, d'une manière
générale, sur les perspectives de la Politique Agricole Commune
(PAC) ? Vers quel système nous dirigeons-nous ? La PAC
risque-t-elle de se trouver menacée de l'intérieur, par les
difficultés financières que l'élargissement de l'Union va
engendrer, et de l'extérieur, du fait de la reprise probable des
négociations internationales dans le cadre de l'Organisation Mondiale du
Commerce (OMC). Ces deux mouvements pourraient-ils influer de manière
négative sur la PAC ?
VI. LA PAC
Monsieur le Président, je conclurais en évoquant le sujet de la
PAC, que vous avez évoqué. On peut d'ailleurs se demander dans
quelle mesure il est légitime d'établir un lien entre cette crise
et la PAC. En effet, les virus et les bactéries ignorent bien souvent
les conditions de la production animale. Certes, il existe, dans la PAC, des
facteurs favorisant la propagation d'une épizootie, comme la
concentration de l'élevage dans certaines zones géographiques et
la libre circulation des animaux. Par ailleurs, il existe probablement des
défaillances dans les contrôles. Cependant, nous n'avons aucune
prise sur la contamination aérienne. Enfin, demeurent des interrogations
relatives à la situation de l'élevage dans la PAC. Pour
répondre plus directement à votre question, Monsieur le
Président, j'évoquerais la situation de la PAC dans le contexte
des crises de l'ESB et de la fièvre aphteuse. Un double problème
se pose à nous. D'un point de vue budgétaire, les Allemands
prennent tous les prétextes qui passent à leur portée pour
rappeler qu'ils sont contributeurs nets et ne souhaitent pas payer davantage.
Ainsi, nous sommes bloqués, en matière budgétaire, par les
décisions qui sont prises à Berlin. Bien entendu, c'est dans ce
cadre que la Commission gère le traitement de la crise bovine.
Au-delà de ces questions budgétaires se fait jour la
problématique de la maîtrise de la production. Comment
sortirons-nous de ces deux crises ? Aujourd'hui, la consommation de viande
bovine est inférieure de 10 % au niveau d'avant la crise de l'ESB.
Nous ne sommes donc pas encore revenus au niveau antérieur et la
question est de savoir si nous retrouverons ce niveau. Si nous ne revenons pas
à la consommation antérieure à la crise, nous serons alors
dans une situation de surproduction structurelle. Nous commençons
d'ailleurs à examiner très attentivement cette question.
Aujourd'hui, nous pouvons uniquement agir de manière à ce que les
consommateurs aient à nouveau confiance en ces produits. Ensuite, nous
devrons probablement tirer des leçons au niveau européen si le
dérèglement persiste. Toutefois, l'heure n'est pas encore venue
de mettre en oeuvre ce chantier puisque nous ne sommes pas, à ce jour,
sortis de la crise. Je signale tout de même que la France est le pays
dans lequel la reprise de la consommation est la plus manifeste parmi ceux qui
ont subi une chute des achats de viande bovine. Nous devrons probablement
attendre que cette consommation se stabilise avant de dire que la crise est
terminée. Nous pourrons alors tirer des enseignements structurels.
Toutefois, cela ne devrait pas se produire avant plusieurs mois.
M. Jean François-Poncet, président
- Monsieur le Ministre,
nous vous remercions. Je constate que votre réponse sur le sujet de la
PAC s'est limitée au sujet de l'élevage, même si je
reconnais volontiers que cela constitue le sujet même de cet entretien.
Je cède tout de suite la parole à Philippe Arnaud.
M. Philippe Arnaud, président -
Monsieur le Ministre, je
m'associe aux remerciements du Président François-Poncet. Je
tiens à souligner la compétence de vos services et la
coopération qu'ils ont bien voulu nous apporter en se prêtant
à nos auditions. Je citerais particulièrement Madame Chmitelin,
que nous avons largement mise à contribution. Vous avez, dans votre
exposé, abordé quasiment la totalité des points dont nous
souhaitons discuter. Vous avez particulièrement insisté sur le
fait qu'il ne s'agit pas d'un problème de santé publique. Nous
sommes donc uniquement confrontés à une question
économique. Par conséquent, toutes les mesures qui sont prises
dans le domaine de la prévention de la fièvre aphteuse
relèvent d'un traitement économique. La vaccination a fait
l'objet en 1992 d'une décision d'abandon accompagnée d'une
interdiction. Ces dispositions devaient s'accompagner de mesures sanitaires
draconiennes. Ma première question sera donc la suivante :
pensez-vous que la Grande-Bretagne a été un bon exemple dans ce
domaine et comment jugez-vous les mesures de prévention sanitaire qui
ont été mises en oeuvre dans ce pays ?
Vous avez indiqué également que pour éviter le
développement de cette épizootie, vous avez frappé vite et
fort, comme le reconnaît aujourd'hui notre mission. A titre personnel,
j'ajouterais que ces mesures se sont révélées pertinentes
puisque nous n'avons pas connu sur le territoire français de
développement de cette épizootie. Il n'en demeure pas moins que
cette crise a des conséquences financières et économiques
pour les entreprises. Dès lors, sur quel fondement juridique a-t-on
procédé à l'abattage des animaux ayant été
en contact avec le virus ? Ce point est important dans la mesure où
les conditions d'indemnisation en dépendent. En outre, il s'agit
d'examiner les indemnisations de l'ensemble de la filière qui a subi des
effets indirects de cette crise. Par exemple, les entreprises produisant des
fromages au lait cru ont fait l'objet de mesures de précaution qui ne
sauraient être contestées. Toutefois, il est évident que
l'Etat devrait compenser financièrement les pertes de ces entreprises
qui ont participé, grâce à la destruction de leurs
produits, à l'éradication de l'épizootie. En outre, nous
savons aujourd'hui que la fermentation des fromages au lait cru permet
d'inactiver le virus.
Une autre de nos préoccupations concerne les épizooties que nous
pourrions connaître à l'avenir. Monsieur le Ministre, vous avez
évoqué le cas de ce citoyen négociant dont le civisme
quelque peu léger avait contribué à la naissance d'un
foyer supplémentaire. Il est évident que la fièvre
aphteuse est une maladie extrêmement contagieuse. Par conséquent,
dans notre monde actuel, où se développent les échanges
commerciaux et les transports, nous sommes chaque jour à la veille d'une
nouvelle épizootie. Vous savez parfaitement que l'accroissement de la
réglementation ne règlera pas le problème puisque cela
entraînera une recrudescence de la fraude. Il est d'ailleurs
légitime de considérer que la fièvre aphteuse est
également une maladie liée à la fraude. Par
conséquent, ce risque permanent, auquel sont exposés tous les
pays d'élevage, ne peut-il entraîner comme seule perspective que
des abattages et des charniers ?
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Nous savons tous que la fièvre
aphteuse n'a pas d'incidence sur la santé humaine. Elle a cependant
quelques conséquences en matière de santé animale.
Aujourd'hui, nous ne mesurons pas les proportions qu'aurait pu prendre cette
épizootie en France si vos services et les GDS n'avaient pas pris les
décisions adéquates. Par conséquent, nous sommes tout
de même relativement inquiets. Aujourd'hui, le seul point dont nous
soyons certains, quant à l'origine de ce virus, est qu'il nous est
parvenu de Grande-Bretagne. Nous disposons d'une hypothèse selon
laquelle il pourrait être issu des eaux grasses. Néanmoins, il
n'existe pas d'origine affirmée de cette épizootie. Par ailleurs,
les bovins sont encore à ce jour extrêmement mal identifiés
en Grande-Bretagne. Ma première question est donc la suivante :
Monsieur le Ministre, qu'envisagez-vous de proposer à vos
collègues de l'Union Européenne en matière
d'identification des ovins ?
Dans l'hypothèse où la France aurait connu une situation aussi
alarmante que celle qui existe en Grande-Bretagne, quelle aurait
été la réaction de nos éleveurs ? Je
considère en effet que les cultures françaises et britanniques de
l'élevage sont très différentes. Par ailleurs, depuis
l'arrêt de la vaccination contre la fièvre aphteuse, la recherche
dans ce domaine a été ralentie. Dès lors, quelle sera
votre attitude sur ce sujet dans l'avenir ? Il est bien entendu qu'un
vaccin éventuel devra pouvoir se différencier, grâce
à ses anticorps, de la génération des vaccins actuels. En
outre, nous savons que l'OIE et l'OMC devront faire évoluer leurs points
de vue sur cette question. Pour votre part, quelle position adopterez-vous
quant à une éventuelle vaccination et quels arguments
avancerez-vous auprès de nos partenaires de l'Union Européenne,
de l'OIE et de l'OMC ?
M. Jean Glavany -
Ma première réponse portera sur la
responsabilité du Royaume-Uni qui est, selon les propos des Britanniques
« objectivement considérable ». En effet, ils ont
mal maîtrisé, contrôlé et jugulé
l'épizootie. Force est de constater qu'ils ont pris du retard dès
le début de cette crise. Une manière plus directe de
décrire leur impuissance est de rappeler qu'ils ont appelé
à leur secours leurs voisins de l'Union Européenne. Plusieurs
pays développés ont ainsi envoyé des
vétérinaires au Royaume-Uni. La France leur a ainsi fourni
15 vétérinaires civils et militaires. Mon propos n'est pas
de faire un procès au Royaume-Uni. Il s'agit, à mon sens, que
nous tirions les conséquences, au niveau européen, de cette
crise. Dans une économie ouverte, où les flux commerciaux
d'animaux et de personnes sont considérables, une faiblesse qui se fait
jour dans un pays se transmet aussitôt à l'ensemble de l'Europe.
Par conséquent, il convient d'agir au niveau européen puisque ce
constat d'impuissance du Royaume-Uni pose un problème à
l'ensemble des pays de l'Union et nous devons y faire face conjointement. Je
rappelle d'ailleurs qu'aujourd'hui, comme l'indiquait le Sénateur
Emorine, le Royaume-Uni ignore toujours de quelle manière cette
épizootie a débuté. Plusieurs hypothèses existent,
qui vont de certaines eaux grasses à des déchets de
plateaux-repas d'une compagnie aérienne. En réalité, ils
n'en savent rien.
Or au sein de l'Europe, au nom de la subsidiarité, il existe une
obligation de résultat en matière de contrôle dans le
domaine de la santé animale dans chaque pays. Aujourd'hui, cette
obligation n'est pas respectée par le Royaume-Uni. N'oublions pas que
l'ESB nous est également parvenue d'Outre-Manche. Dès lors, il
s'agit de se demander si l'Europe va continuer à accepter d'importer des
épizooties dont certaines peuvent être très dangereuses. A
mon sens, ceci est le premier enseignement que l'on doit retirer de cette crise
et il pose une question qui me paraît centrale.
Monsieur le Président Arnaud, vous m'avez interrogé sur les
fondements juridiques de nos actions. Nous nous sommes fondés sur
l'article 221.1 du Code rural, qui permet de prendre toutes les mesures visant
à prévenir l'apparition ou la diffusion d'une épizootie.
En cas de crise de ce type, un arrêté conjoint des Ministres
chargés de l'agriculture et du budget doit préciser la nature des
mesures mises en oeuvre. Je vous avoue que, dans ce cas précis, entre le
27 février et le 7 mars, nous disposions pour seule base
juridique du Code rural. En effet, l'arrêté
interministériel est sorti le 7 mars, régularisant la
situation. Toutefois, si nous avions attendu cet arrêté pour
procéder aux abattages préventifs, le nombre de foyers aurait
été multiplié par dix ou vingt. La lenteur dans
l'élaboration de tout arrêté interministériel nous a
conduit, afin d'être efficaces, à devancer ces nouvelles
dispositions. Cet épisode de relatif vide juridique devrait nous amener
à réfléchir à des procédures d'urgence qui
pourraient, dans des cas similaires, nous permettrent d'agir dans une plus
grande légalité et dans l'intérêt de tous.
Vous avez également posé une question sur la différence,
en matière d'indemnisation, entre les abattages préventifs et
ceux qui ont été mis en oeuvre dans les foyers. Cette
différenciation étant difficilement explicable, j'ai
demandé un réexamen du dispositif d'indemnisation au niveau
interministériel. Néanmoins, il est évident que l'Etat ne
va pas compenser au franc près l'ensemble des pertes. Toutefois, nous
pouvons intervenir pour indemniser les producteurs de lait qui n'ont pu vendre
leur produit dans les filières biologiques ou AOC et ont dû le
commercialiser à des prix standard. Il en est de même pour les
producteurs de fromages et les entreprises de transformation dont la
pérennité serait menacée. Pour le secteur laitier, nous
avons d'ores et déjà dégagé un budget de cinq
millions de francs pour ce type d'actions.
Vous m'avez également interrogé sur la fermentation lactique des
fromages au lait cru. Nous disposons effectivement de données nouvelles
qui ne sont pas validées à ce jour, ce à quoi nous allons
nous employer auprès de la Commission européenne et de l'OIE.
Il a, par ailleurs été évoqué la possibilité
qu'un renforcement de la réglementation pourrait entraîner une
recrudescence de la fraude. Pour ma part, je considère qu'en
matière d'identification et de traçabilité et des bovins
et des ovins, nous avons encore une belle marge de progression. Si nous
appliquions aux ovins les mêmes règles que celles qui
prévalent pour les bovins, nous devrions théoriquement
déplorer moins de fraudes. Cependant, nous ne pouvons mettre un gendarme
derrière chaque éleveur, négociant et exportateur.
Dès lors que le risque de fraude serait avéré et
permanent, il serait effectivement légitime de s'interroger sur la
pertinence de la seule réponse que constitueraient les bûchers et
les charniers. La question est effectivement posée et je
considère qu'elle est recevable. A certains égards, il
m'apparaît d'ailleurs qu'il sera de plus en plus difficile d'agir de la
sorte dans la mesure où la réaction de l'opinion a
été brutale. En tant que responsables politiques ou
administratifs, nous pouvons légitimement nous féliciter du
résultat de nos actions. Toutefois, l'opinion juge très
sévèrement ce type de méthodes. Dès lors, nous
devrons envisager d'autres modes d'action. Or il en existe uniquement deux. Le
premier consiste à apprendre à vivre avec cette maladie. Le
deuxième consiste à vacciner en utilisant les vaccins de la
nouvelle génération dès qu'ils existeront. Cependant,
cette décision de vaccination ne peut être prise qu'au niveau
international afin de ne pas nous exposer à des mesures d'embargo. En
effet, nous sommes aujourd'hui dans une situation de guerre économique
internationale et de concurrence farouche. Par conséquent, nous savons
tous que les autres pays vont profiter d'une éventuelle faiblesse de la
France, y compris au sein de l'Union européenne. La France,
elle-même, en matière de levée de l'embargo sur le boeuf
britannique, a pris une décision anti-communautaire qu'elle a
assumée. Ce type de choix intègre toujours un certain
libre-arbitre au niveau national. Quoi qu'il en soit, les charniers et les
bûchers ne constituent pas une solution. La seule réponse possible
doit donc être la vaccination, dont la décision doit être
impérativement prise au niveau international. Les leçons que nous
avons conjointement tirées de cette épizootie de fièvre
aphteuse et l'apparition de nouveaux types de vaccins traçables
devraient, je l'espère, nous permettre de progresser et d'aborder la
question de la vaccination de manière plus sereine.
Sénateur Emorine, nous avons élaboré un décret en
matière d'identification des ovins, qui ira au-delà des
prescriptions communautaires actuelles figurant dans la Directive 92.102. Cette
Directive, qui date de 1992, est très mal appliquée. Je
souhaiterais tout de même préciser qu'il ne serait pas facile de
faire en sorte qu'aucun mouton non identifié n'entre en France.
Toutefois, j'ai déjà évoqué ce sujet dans le cadre
du Conseil de l'agriculture afin que mes collègues soient conscients du
fait que nous souhaitons faire évoluer les dispositions dans ce domaine.
Il s'agit d'une hypothèse sur laquelle nous pouvons
réfléchir.
Ensuite, vous m'avez posé la question quelque peu fatale de notre
éventuelle décision de procéder à une vaccination
curative. Je vous répondrais que nous commencions à nous
préparer à cette possibilité et que cela aurait
constitué le stade suivant de notre stratégie si nos
premières mesures ne s'étaient pas révélées
suffisamment efficaces.
M. Jean François-Poncet, président
, Monsieur le Ministre,
je vous remercie. Monsieur le Sénateur Braye, vous avez la parole.
M. Dominique Braye
- Tout d'abord, Monsieur le Ministre, je souhaite
vous indiquer que j'ai été de ceux, au sein de la Commission, qui
ont dès le départ soutenu la politique mise en place par le
Gouvernement. Même si je ne suis pas naturellement enclin à
apporter mon soutien à ce gouvernement, je m'y emploie néanmoins
chaque fois que cela me semble nécessaire. Par conséquent,
j'estime que cette crise a été, dès le début, bien
gérée et je crois que tout le monde en convient. En revanche se
pose le problème de la situation actuelle. En effet, nous devons
dès aujourd'hui tirer les enseignements de cette épizootie.
Monsieur le Rapporteur et vous-même avez indiqué qu'une
série de décisions avaient été prises au
début de l'épizootie et il s'avère aujourd'hui qu'elles
n'étaient pas indispensables. Vous avez évoqué les
fromages au lait cru, mais nous aurions pu également citer le cas des
viandes sous-vide. Dans ce domaine, les membres de la Commission ont
été interpellés sur le fait que la France avait
accepté d'importer ces produits de pays touchés par la
fièvre aphteuse dans la mesure où le conditionnement sous vide
entraîne une destruction du virus. Dès lors, pourquoi ne
traitons-nous pas de la même façon les viandes
françaises ?
Par ailleurs, un certain nombre de personnes que nous avons auditionnées
estiment que les dispositions préventives mises en oeuvre lors de
l'entrée sur notre territoire de personnes venant du Royaume-Uni sont
quelque peu insuffisantes, en particulier à l'approche de la
période estivale qui voit une arrivée massive d'Anglais sur notre
territoire. Par conséquent, pensez-vous que les mesures existantes
permettront véritablement d'éviter un retour de
l'épizootie en France ?
En outre, je considère qu'au-delà de la gestion de la crise, se
pose le problème de l'indemnisation. Un certain nombre de
décisions qui ont été prises au nom de
l'intérêt général doivent être assumées
par l'Etat. Par conséquent, les éleveurs entendent que la
solidarité nationale fonctionne, ce qui n'est pas leur impression
actuellement.
Ensuite, tout le monde reconnaît aujourd'hui que le seul traitement
sanitaire de cette question n'est pas tenable. De plus, plusieurs d'entre nous
ont été relativement surpris d'apprendre qu'il existe aujourd'hui
des vaccins permettant de distinguer très facilement l'animal
vacciné de l'animal malade. Ces outils ne sont pas commercialisés
parce qu'il n'existait pas jusque-là de débouchés, compte
tenu du fait de l'interdiction de la vaccination dans notre pays.
Enfin, je souhaiterais évoquer la question des sites
dérogatoires. Nous avons reçu le Recteur de la Mosquée de
Paris qui nous a confirmé que le problème est davantage culturel
que cultuel, mettant ainsi en évidence son impuissance à
empêcher les abattages au sein de la communauté musulmane
d'Afrique du Nord. En outre, il a reconnu lui-même que la diminution des
sites dérogatoires entraînerait, de fait, une recrudescence des
abattages clandestins. Je me souviens que de telles pratiques se
déroulaient, dans les années 1970, dans les bosquets ou les
cages d'escaliers. Or je ne suis pas certain que la communauté non
musulmane soit prête à accepter un retour de ce type de
comportements. Pour ma part, je considère donc que l'évolution
des esprits dans la communauté musulmane doit précéder la
suppression des sites dérogatoires. Dès lors, de quelle
manière pensez-vous que nous puissions agir dans ce domaine ?
M. Jean Glavany -
Plusieurs des questions que vous m'avez posées
sont en réalité des réflexions sur lesquelles j'ai quelque
difficulté à formuler une réponse différente de
celle que j'ai déjà faite sur les vaccins, la guerre
économique ou la solidarité. Bien entendu, nous savons que ce
type de vaccin existe, mais qu'ils n'ont pas été validés.
Certes, il y a probablement eu un relâchement relatif de la surveillance,
bien que cela puisse être discutable. En effet, les rapports de la FAO
démontrent qu'elle surveille l'évolution de ce virus. J'estime
que ce que l'on pourrait considérer comme un relâchement
était davantage un pari fait de manière
délibérée sur les résultats de l'arrêt de la
vaccination en Europe. D'ailleurs, il serait légitime de constater, avec
un certain cynisme, que l'absence de vaccination durant les dix
dernières années représente une économie bien plus
importante que le coût de la crise que nous venons de vivre au niveau
communautaire.
D'abord, je confirme qu'a effectivement existé un certain
décalage en matière d'exportation des viandes argentines, qui est
aujourd'hui régularisé. Il s'agissait donc seulement d'une
difficulté marginale.
Ensuite, je souhaite tout de même vous répondre sur deux points
précis. D'une part, il s'agit des précautions, jugées
insuffisantes par certains, que nous avons prises à l'égard du
Royaume-Uni. Il est vrai que nous nous sommes, avec plusieurs Ministres,
interrogés sur la pertinence d'un report des matchs du Tournoi des Six
Nations. Il s'agissait de considérer le risque que représentait
l'arrivée sur notre territoire d'une petite dizaine de milliers de
citoyens britanniques. A ma demande, il m'a été indiqué
que 75 000 à 85 000 personnes traversaient chaque jour la
frontière entre nos deux pays. Face à un tel flux, il est
impossible de prendre des précautions absolues. Compte tenu de
l'extrême volatilité de ce virus, nous ne disposerons donc jamais
d'une précaution absolue.
D'autre part, je désire revenir sur les propos qui ont été
tenus par le Recteur de la Mosquée de Paris. Nous nous sommes
également interrogés sur la fermeture des sites
dérogatoire. En effet, la Commission européenne nous met en
demeure, chaque année avec plus de détermination, d'interdire ces
abattages qu'elle considère comme sauvages et portant atteint au
bien-être des animaux. Chaque année, nous faisons preuve de
davantage de bonne volonté, tout en manifestant notre mauvaise humeur en
rédigeant une circulaire commune avec le Ministre de l'intérieur.
Ma réponse à la Commission consiste en une interrogation sur le
rôle de l'Union européenne. L'Europe a-t-elle pour fonction
d'éliminer par la contrainte, ou l'interdiction, des fêtes
cultuelles de communautés qui ont une place importante dans nos
pays ? Au-delà du fait que l'Union donnerait ainsi
d'elle-même une image politique qui ne correspondrait pas à celle
que j'appelle de mes voeux, je suis convaincu que cela provoquerait une
multiplication des fraudes et des pratiques illégales. Ma réponse
consiste donc, chaque année, à demander à la Commission de
nous laisser la latitude d'encadrer ces pratiques, plutôt que de les
interdire. Si vous me permettez de faire un rapprochement relativement
audacieux, si l'Europe interdisait un jour les corridas au titre du bien
être animal, je considèrerais qu'elle est allée à
l'encontre de la diversité culturelle nécessaire à
l'Union. Or l'Aïd el Kébir et la corrida procèdent d'une
logique commune. Je considère que l'Europe doit reconnaître la
diversité culturelle et cultuelle de ses habitants et laisser aux
différents Etats les moyens d'encadrer ces usages de manière
sereine. Elle ne doit pas faire pression sur nous pour nous obliger à
mettre fin à des pratiques qui ont un fondement philosophique et que
nous devons encadrer. Cela constitue, à mon sens, un enjeu politique
majeur. En l'occurrence, l'Aïd el Kébir nous a certes causé
des soucis en provoquant des arrivées massives d'ovins, mais elle a
également facilité l'élimination des animaux à une
date précise en provoquant une impasse épidémiologique.
M. Jean François-Poncet, président
, Monsieur le Ministre,
je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.
38. Audition de M. Jean-Louis Porry, ingénieur général du génie rural et des eaux et forêts
M.
Philippe Arnaud, président
- Monsieur Porry que je remercie d'avoir
répondu à notre invitation a été chargé
d'une mission par le gouvernement consistant à procéder à
l'évaluation des conséquences économiques de
l'épizootie. Nous souhaitons dialoguer avec vous, Monsieur Porry, afin
que vous nous indiquiez quelles ont été les difficultés
que vous avez rencontrées dans l'exercice de votre mission. Nous vous
demanderons aussi de répondre à nos questions concernant le
versement des indemnités, à la suite des abattages contacts, les
effets indirects et l'impact de la maladie sur l'ensemble des filières
agroalimentaires. Il s'agit pour nous de véritables sujets de
préoccupations. Il nous semble que le chiffre de 30 millions de
francs avait été annoncé et confirmé. Or nous
croyons savoir que des estimations très nettement supérieures ont
été avancées : 31 millions de francs pour le
secteur viande et 43 millions de francs pour le secteur laitier.
Peut-être avez-vous des réponses à nous fournir à ce
sujet. Mais, auparavant, pourriez-vous nous indiquer comment vous avez
procédé ? Quelles difficultés avez-vous
rencontrées ?
M. Jean-Louis Porry
- Le 19 mars, Monsieur le Ministre m'a
demandé d'examiner les conséquences économiques de la
fièvre aphteuse et de trouver les solutions techniques adaptées
après une étude au cas par cas des problèmes pouvant se
poser. Tout d'abord, je me suis occupé des problèmes qui
n'étaient pas pris en compte par les méthodes habituelles
d'indemnisation. L'indemnisation de l'abattage dans un cadre
vétérinaire, de l'abattage contact et des compensations en zone
périfocale pour les deux foyers pris en compte par les groupements de
défense sanitaire ne faisait pas partie de mon champ d'étude.
1. La situation dans la Mayenne et dans l'Orne
Je me suis rendu une première fois sur le terrain du 20 au 22 mars
à Laval et à Alençon. Un premier rapport a
été remis au Directeur de Cabinet la semaine suivante.
a. L'engorgement des filières
Les principaux problèmes concernaient d'abord l'engorgement de certaines
filières animales travaillant à flux tendus, c'est-à-dire
porcine et, dans une moindre mesure, les jeunes bovins. Dans les conditions
d'élevage pratiquées, il est en effet impératif de sortir
les animaux aux dates prévues sous peine de dévalorisation
sérieuse des produits et d'engorgement des élevages qui
produisent des porcelets ou des animaux post sevrés. Ainsi, nous avons
dû dégager ces filières.
b. L'abattage
Ensuite, il a fallu mettre en place des dispositions permettant d'éviter
autant que faire se peut des abattages-destructions non nécessaires car
non motivés par des raisons vétérinaires directes. Pour
que les éleveurs ne soient pas obligés de dégager leurs
animaux dans des conditions désastreuses, il a été
décidé de mettre en place des aides compensant les surcoûts
de maintien des animaux dans les élevages pendant l'embargo
vétérinaire de deux à trois semaines.
c. Les mesures d'accompagnement
Parallèlement, il a fallu constituer avec les préfets les
« cellules économiques » qui rassemblent dans les
départements les services de l'Etat concernés par la mise en
place de mesures d'accompagnement à l'attention des entreprises en
difficulté afin d'examiner notamment les questions de reports fiscaux,
de dette sociale, ou d'aides au chômage partiel. J'ai pu également
me faire une idée des difficultés rencontrées par les
entreprises de la filière.
d. La situation des secteurs viande et laitier
Dans l'Orne et la Mayenne, des difficultés immédiates pour des
entreprises de la filière viande se posaient. Elles avaient dû
cesser leur activité du fait de l'embargo sur les animaux. Les
problèmes étaient moins urgents pour la plupart des entreprises
laitières. En effet, la réorganisation des circuits de collecte
laitière s'était effectuée rapidement. Les
problèmes étaient seulement liés à certains
surcoûts et à des difficultés de nature commerciale en
France et, surtout, à l'exportation. Certains pays étrangers
refusaient les produits français. Il est à signaler un
problème particulier dans la Mayenne. Pour le secteur laitier, une
entreprise est spécialisée dans la production de fromage AOC au
lait cru.
e. L'aide au maintien des bêtes dans les exploitations
La semaine suivante, je suis revenu sur le terrain pour examiner les mesures
générales de mise en place du dispositif d'aide au maintien des
bêtes dans les exploitations. Les crédits de 7 millions de
francs estimés nécessaires en première analyse ont
été débloqués le 30 mars. Des difficultés
sont apparues en raison des discussions avec les exploitants agricoles
notamment dans l'Orne. Ils ont demandé des mesures allant au-delà
de ce qui avait été agréé la semaine
précédente. J'ai consacré cette semaine à des
rencontres particulières avec les entreprises pour analyser plus
finement les problèmes rencontrés. Un deuxième rapport
axé sur les problèmes des entreprises a été remis
au début du mois d'avril au Directeur de Cabinet.
f. Les dispositions complémentaires
Par la suite, j'ai examiné avec les services du ministère de
l'Agriculture et les offices des dispositions complémentaires, notamment
dans le cadre de l'attribution des crédits à hauteur de
5 millions de francs dégagés par l'ONILAIT (Office du lait).
Ce financement doit apporter des compensations aux producteurs directs de laits
spéciaux, c'est-à-dire de lait cru, du lait comportant un label
biologique ou de lait de chèvre qui avait subi une dévalorisation
importante du fait de la réorganisation des circuits de collecte. Avec
l'OFIVAL (Office des viandes), nous avons examiné la mise en place de
mesures spécifiques pour le maintien de veaux de boucherie dans les
étables et de compensations pour les producteurs de cochettes (jeunes
truies destinées à la reproduction). En effet, ceux-ci n'avaient
pas pu vendre leurs bêtes dans la filière reproductrice du fait de
son engorgement et avaient dû les livrer à l'abattage.
2. La situation en Seine-et-Marne
La semaine suivante, je me suis occupé du second foyer en
Seine-et-Marne. J'ai assisté à Melun à une réunion
générale de présentation des dispositions adoptées
dans les autres départements, puis à une réunion
particulière avec les industriels laitiers. De fait, la situation en
Seine-et-Marne n'était pas la même qu'en Mayenne et dans l'Orne du
fait des différences de structure de production. Les aides au maintien
des animaux dans les fermes, quoique justifiées, devaient être
d'un montant inférieur à ceux des départements de l'Ouest.
Le principal problème portait sur des entreprises
spécialisées dans la production de fromage AOC au lait cru (brie
de Meaux ou de Melun). A la mi-avril, un rapport d'étape sur les
premières conclusions a été remis au Directeur de Cabinet.
Dès lors, les mesures d'aide aux producteurs se sont mises en place. Les
DDA sont en train de payer, si je suis bien informé. Les mesures de
dégagement des filières effectuées immédiatement
sont en train d'être régularisées sur le plan financier.
Concernant les entreprises, nous sommes dans l'attente de décisions
interministérielles sur le principe devant définir les
critères de prise en compte au titre des pertes qu'elles ont subies du
fait de l'embargo lié à la fièvre aphteuse.
M. Philippe Arnaud, président
- Compte tenu de votre recul,
j'aimerais savoir si vous confirmez les estimations que vous aviez faites ou,
au contraire, si vous comptez les revoir.
M. Jean-Louis Porry
-De quelles estimations parlez-vous
exactement ? J'en ai donné plusieurs...
M. Philippe Arnaud, président
- Je parle de l'ensemble des
estimations. Vous aviez estimé les pertes directes et indirectes, ainsi
que les pertes dans l'industrie agroalimentaire. Compte tenu du degré
d'analyse aujourd'hui, allez-vous revoir ces estimations à la
hausse ?
M. Jean-Louis Porry
-Concernant les aides au maintien du cheptel dans
les exploitations, il y aura sans doute un léger dépassement de
10 à 15 % principalement lié aux demandes
présentées
a posteriori
par les professionnels. Ces
demandes visent en fait à étendre la période aidée
au-delà de la période de l'embargo vétérinaire au
sens strict, ce qui pose problème. Les professionnels estiment qu'il y a
eu des troubles avant l'embargo et qu'ils n'ont pas pu écouler
après la levée de l'embargo l'ensemble de leurs produits. Je
crains que la Commission ne considère qu'il y ait eu une
surcompensation, compte tenu de la manière dont les aides ont
été apportées.
M. Philippe Arnaud, président
- Nous avons eu connaissance de la
réaction de la Commission. Ses services considèrent
qu'« après un premier examen de la mesure, la portée
des aides trouve difficilement un fondement dans les règles de
concurrence applicables. En effet, les animaux ciblés par la mesure
auraient pu après tout être commercialisés ». Il
s'agissait des animaux maintenus sur place qui n'ont pas pu être
commercialisés. La Commission estime que ces animaux auraient pu donc
«
après tout
être
commercialisés ». « Ainsi, aucun de ces animaux
n'aurait dû être abattu pour des raisons sanitaires suite à
l'apparition de l'épizootie, aucun manque à gagner du fait de la
reconstitution du troupeau n'étant donc passible
d'indemnités ». Dans la conclusion, la Commission s'interroge
sur d'éventuelles surcompensations. Le soupçon de surcompensation
me peine beaucoup. Les mesures d'indemnisation rapide à la hauteur des
pertes faisaient partie des moyens de lutte contre une épizootie de
fièvre aphteuse sans vaccination. Il était indispensable
d'indemniser rapidement et à la hauteur des pertes, sans pour autant
être généreux. Le contraire aurait diminué le sens
des responsabilités et le civisme des éleveurs.
M. Jean-Louis Porry
- Le problème est que le texte sur lequel se
fondent les juristes de la Commission pour encadrer les aides d'Etat au secteur
agricole est décalé par rapport à la pratique
vétérinaire. Parmi les mesures prises dans le cadre d'une
épizootie, les seules pour lesquelles les Etats membres peuvent verser
des aides compensatoires sont les abattages d'animaux. Ce texte n'envisage pas
l'option consistant à éviter par tous les moyens des abattages
non nécessaires.
M. Philippe Arnaud, président
- Toutes ces mesures ont
été prises en accord avec le Comité permanent et sont
conformes à la directive européenne selon laquelle les Etats
doivent mettre en oeuvre « toute mesure » visant à
éviter le développement de la maladie.
M. Dominique Braye
- Puisque la Commission européenne
préconise certaines mesures en souhaitant qu'elles soient
imposées par les pays, il est difficilement explicable qu'elle
n'indemnise pas leurs conséquences.
M. Jean-Louis Porry
- C'est tout à fait juste dans l'esprit. Mais
la lettre du texte sur les aides d'Etat applicable au secteur agricole ne
prévoit qu'un seul cas où les Etats membres peuvent donner des
aides, à savoir lorsque l'animal est abattu.
M. Dominique Braye
-Il aurait fallu abattre tous les animaux du
département dans ce cas... Il paraît nécessaire que les
textes évoluent, lorsqu'ils ne correspondent pas aux
nécessités et aux contraintes indispensables pour enrayer
l'épizootie..
M. Michel Doublet
- Des mesures exceptionnelles peuvent certainement
être prises dans certains cas.
M. Jean-Louis Porry
- C'est un autre problème. Je fais seulement
état des difficultés que nous aurons avec la Commission.
M. Michel Doublet
- Certes. Mais il faut trouver des arguments.
M. Jean-Louis Porry
- Le Gouvernement a pris les mesures qui lui ont
paru les plus raisonnables. Il convenait d'aider les agriculteurs dont les
animaux étaient bloqués. Mais la Commission considère que
l'aide n'était pas justifiée lorsqu'il n'y a pas d'abattage.
C'est le fond de leur argumentation.
M. Philippe Arnaud, président
- Les pertes sur les bovins qui ont
dépassé 24 mois ne feront pas non plus l'objet de compensation.
M. Jean-Louis Porry
- J'avais recommandé aux services de
l'OFIVAL, dans la mesure où les abattages de jeunes bovins
étaient une opération purement nationale - qui sera
sûrement condamnée par Bruxelles -, de se concentrer sur les
animaux de plus de 24 mois afin de ne pas compromettre le
bénéfice de l'aide communautaire pour les animaux restants qui
pourront aller à l'intervention. Nous avons veillé à ce
que ce soit en priorité les animaux les plus âgés et les
plus lourds qui se voient appliquer les dispositions nationales.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Lors de votre enquête en
Mayenne, vous avez recensé tous les problèmes par rapport aux
filières viande et lait. Ainsi, des produits ont été
consignés dans ces deux filières. J'aimerais savoir comment les
indemnisations auront lieu, puisque vous nous indiquez qu'elles seront mises en
place. Des produits ont-ils été déconsignés pour ne
pas être commercialisés ? Sinon, quel sera le pourcentage de
compensation financière par rapport à la valeur estimative des
produits non déconsignés ? Par ailleurs, un problème
pour certains éleveurs concernant la gestion de la campagne
laitière peut se poser. Quelle solution envisagez-vous ?
M. Jean-Louis Porry
-Je vais commencer par répondre au second
point qui est le plus simple. L'ONILAIT a pris les dispositions
adéquates afin qu'il n'y ait pas de pénalisation due à des
dépassements de quotas. En effet, il s'agissait d'éviter que des
éleveurs ne se débarrassent de leur lait dans les
rivières, ce qui aurait entraîné des risques importants en
termes de propagation de la maladie. Sinon, nous sommes dans l'attente d'une
décision interministérielle qui définira le principe et
les modalités d'une compensation des produits consignés qui ont
pu être détruits.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Apparemment, les produits en attente
auraient dû être détruits. Mais, en cas de consignation,
seront-ils détruits ou commercialisés ?
M. Jean-Louis Porry
-La Direction générale de
l'Alimentation du ministère de l'agriculture a donné des
consignes sur la façon de traiter les viandes. Elles devaient
l'être par congélation ou par mise sous vide à pH acide.
Cela a dû permettre d'en sauver une bonne partie. Il n'empêche que
des viandes en cours de maturation au moment de la mise sous embargo ont
dû être saisies deux semaines plus tard. Concernant les produits
laitiers, le problème des fromages au lait cru consignés s'est
posé. Dans l'Orne, une partie du stock avait dépassé les
dates limite de consommation à la sortie de consigne. L'industrie de la
distribution a fait preuve de compréhension. Mais cela n'a pas
été toujours le cas, si bien qu'une partie du stock a dû
être dirigée vers la fonte. En Seine-et-Marne, puisque la
durée de conservation sur linéaire est plus conséquente
pour les bries que pour les camemberts, la DGAL a pris toutes les dispositions
en interprétant largement les instructions de la Commission afin que le
stock puisse être écoulé rapidement lors de la levée
de l'embargo. A ma connaissance, les pertes sur produits stockés [en
Seine-et-Marne] y ont été peu nombreuses. Par contre, dans
l'Orne, les stocks importants de l'entreprise Gillot (spécialisée
dans le camembert au lait cru) ont été, en particulier, source de
difficultés.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur
- Quel sera le niveau des
indemnités dans ce cadre ?
M. Jean-Louis Porry
- Je suis malheureusement obligé de
répéter ce que je viens de dire. Cette question est en cours de
discussion, sachant qu'il n'existe aucune base légale vis-à-vis
de Bruxelles pour justifier les aides.
M. Philippe Arnaud, président
- Je ne serai pas aussi affirmatif
que vous. Parmi les mesures à mettre en oeuvre obligatoirement par les
Etats membres, figurent toutes mesures nécessaires à la
limitation de la diffusion de la maladie. Il faut rappeler que, pour les
fromages au lait cru, les mesures d'embargo ont été prises sur
instruction de Bruxelles. Ainsi, l'Etat Français et ses
représentants sont fondés à faire valoir cette
référence nécessaire, sachant que la décision a
été prise par Bruxelles. Bruxelles devrait donc pouvoir
indemniser les exploitants. Nous avons demandé si la facture
présentée par l'Etat français serait honorée par la
Communauté. La réponse a été qu'il n'y avait aucune
loi allant dans ce sens. Il faut donc continuer de se battre.
M. Jean-Louis Porry
- Je suis entièrement d'accord avec vous. Il
me semble que les industriels qui ont lancé des contentieux se sont
trompés de cible en assignant l'Etat français. La première
réaction du tribunal devrait être de faire remonter sous forme de
question préjudicielle l'affaire auprès de la Cour de Luxembourg
pour mettre en cause la responsabilité de l'Union européenne. En
entendant la réponse de Bruxelles aux questions que vous avez
posées, j'ai l'impression que la réaction de la Commission n'est
pas si favorable. Naturellement, je rencontrerai les services du
ministère de l'Agriculture pour examiner la situation et, pour le moins,
relancer le processus.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Votre travail vous a-t-il conduit
à estimer le préjudice du négociant en ovins ? Lors
de nos rencontres, celui-ci faisait valoir qu'il était indemnisé
dans le cadre général à hauteur de 500 francs par ovin. Or
ces ovins coûtaient à l'achat 750 francs.
M. Jean-Louis Porry
- Les problèmes d'indemnisations à la
suite de l'abattage sont traités par la DGAL. Cela sort de mon domaine
d'intervention.
M. Philippe Arnaud, président
- Qu'en est-il des GDS qui
interviennent en partie dans cette affaire ? J'aimerais savoir comment
cela s'est passé et quel en a été le fonctionnement.
M. Jean-Louis Porry
- Le dispositif dont les aides des GDS
relèvent a été mis en place après l'arrêt de
la vaccination obligatoire. Ils ont constitué un système
d'assurance avec des cotisations prélevées sur les
adhérents pendant plusieurs années. Les systèmes
d'indemnisation mis ainsi en place sont cependant limités à la
zone périfocale, aux zones de surveillance et aux zones de protection.
Cela ressemble à ce qui a été fait (sur fonds public,
comme aides au maintien du cheptel) dans les départements
concernés, à l'extérieur de la zone périfocale.
Mais, dans la mesure où les contraintes sont plus strictes dans cette
zone, les aides des GDS sont calculées non sur la base de flux, mais des
stocks. L'aide est calculée sur la base du nombre de têtes
présentes, alors que nous avons basé notre calcul sur le nombre
de bêtes devant sortir de l'exploitation lors de la période. Pour
le reste, la concertation (administration/GDS) s'est bien passée dans la
mesure où l'instruction des aides dans le reste du département a
été sous-traitée aux GDS pour assurer une bonne
cohérence entre les deux systèmes et pour s'appuyer sur des avis
de professionnels.
M. Philippe Arnaud, président
- L'indemnisation a bien
été appréhendée en fonction des pertes
réelles, conformément à la directive, et non en fonction
du dispositif forfaitaire.
M. Jean-Louis Porry
-Non. Le dispositif GDS est forfaitaire. Il est
quand même très généreux.
M. Philippe Arnaud, président
- Quels sont les montants ?
M. Jean-Louis Porry
-Je n'ai malheureusement pas emporté le
barème officiel. Je ne peux pas vous répondre.
M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur Porry, nous vous
remercions sincèrement de votre venue qui nous a permis de recueillir
des informations intéressantes.