N° 370
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 juin 2001 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la proposition de loi n° 224 (2000-2001), ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative aux droits du conjoint survivant et la proposition de loi n° 211 (2000-2001) de M. Nicolas ABOUT visant à améliorer les droits et conditions d'existence des conjoints survivants et à instaurer dans le Code Civil une égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturels ou adultérins ,
Par M. Philippe NACHBAR,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : Mme Dinah Derycke, président ; Mmes Janine Bardou, Paulette Brisepierre, Jean-Louis Lorrain, Mmes Danièle Pourtaud, Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Jean-Guy Branger, André Ferrand, Lucien Neuwirth, secrétaires ; Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Jean Bernadaux, Mme Annick Bocandé, MM. André Boyer, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Xavier Darcos, Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Yann Gaillard, Patrice Gélard, Francis Giraud, Alain Gournac, Mme Anne Heinis, MM. Alain Hethener, Alain Joyandet, Serge Lagauche, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Jacques Machet, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Mme Gisèle Printz, MM. Philippe Richert, Alex Türk.
Successions et libéralités. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Au cours de sa séance du jeudi 3 mai 2001, la Commission des Lois a décidé de saisir votre Délégation, à sa demande, de :
- la proposition de loi n° 224 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale le 8 février dernier, de M. Alain Vidalies et des membres du groupe socialiste et apparentés, relative aux droits du conjoint survivant,
- et de la proposition de loi n° 211 (2000-2001) de notre collègue Nicolas About visant à améliorer les droits et les conditions d'existence des conjoints survivants et à instaurer dans le Code civil une égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturels ou adultérins.
Ainsi centrés sur le conjoint survivant et l'enfant adultérin, ces textes entendent moderniser deux aspects de notre droit de la famille. Ils visent à remédier à des situations parfaitement injustes qui datent d'un autre temps, d'un temps où les valeurs de la société n'étaient pas celles d'aujourd'hui.
L'alignement des droits successoraux de l'enfant adultérin sur ceux des autres enfants, légitimes ou naturels -ils sont actuellement de la moitié-, répond à une attente sociale très forte en même temps qu'à une nécessité puisque la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme, le 1 er février 2000, pour le maintien de sa législation restrictive. Votre Délégation ne peut que se féliciter de cette égalisation : il est en effet inacceptable que l'enfant adultérin se voit reprocher, au travers de son statut successoral, des faits -sa naissance hors mariage- qui ne lui sont en rien imputables.
Mais votre Délégation avait davantage vocation à s'intéresser à la situation du conjoint survivant, et cet aspect de la réforme initiée par les deux propositions de loi, au demeurant le plus important en termes de dispositif, a retenu toute son attention.
La catégorie des conjoints survivants est majoritairement composée de femmes : elles sont 3,2 millions sur un total d'environ 4 millions, avec un taux de remariage particulièrement faible (ainsi, les veuves de 60 ans et plus ne se remarient que dans 0,2 % des cas). La durée du veuvage a par ailleurs suivi l'augmentation de l'espérance de vie des femmes, laquelle est passée de 72 ans en 1960 à 82 ans en 1999.
La situation des conjoints survivants est loin d'être satisfaisante : le droit des successions a certes évolué depuis l'adoption du Code Napoléon, mais il leur demeure nettement défavorable et ignore bien des évolutions socio-économiques. Si l'on considère que les règles successorales reflètent l'image que la société a de la famille, on ne peut que constater, pour la déplorer, l'existence d'une très grande ingratitude à l'égard du conjoint.
L'évidence est telle qu'on assiste depuis longtemps à un large consensus pour améliorer les droits des conjoints survivants, pour traiter ces derniers, dans l'ordre successoral, à un rang qui soit davantage conforme à leur place dans la famille et qui permette de rompre avec la situation actuelle, laquelle est à la fois pénalisante sur le plan matériel et préjudiciable du point de vue psychologique et affectif.
Un certain nombre de projets ont vu le jour au cours des décennies passées, cependant aucun n'a été mené à terme. Le problème du conjoint survivant devait être examiné dans le cadre de la grande réforme du droit de la famille que l'actuel gouvernement nous promet depuis 1997. Mais, celle-ci tardant, l'initiative vient aujourd'hui du Parlement, avec, pour répondre aux aspirations sociales, un double objectif : améliorer les droits des conjoints survivants et leur permettre de conserver l'usage du logement qui constituait la résidence du couple.
I. L'AMÉLIORATION DU STATUT SUCCESSORAL DU CONJOINT SURVIVANT VISE À RÉPARER UNE INJUSTICE ET À TENIR COMPTE D'UN CERTAIN NOMBRE D'ÉVOLUTIONS
Notre droit des successions s'en remet aux dispositions conventionnelles et testamentaires pour compenser la place mineure qu'il réserve au conjoint survivant ; il paraît en outre inadapté aux évolutions socio-économiques.
A. LE CODE CIVIL EST PEU FAVORABLE AU CONJOINT SURVIVANT EN MATIÈRE DE SUCCESSIONS
Le conjoint survivant est le « parent pauvre » de l'ordre successoral : il ne bénéficie dans la plupart des cas que d'un droit d'usufruit. Il peut cependant voir sa situation améliorée, si les époux ont été prévoyants, aux termes d'un régime matrimonial ou d'un testament protecteur, ou d'une donation entre vifs.
1. Les dispositions successorales légales (articles 765 à 767 du Code civil)
D'une manière toute symbolique, les droits du conjoint survivant sont traités dans la dernière section du chapitre du Code civil consacré aux « divers ordres de succession » (Livre III, titre Premier, chapitre III, section VII).
Leur nature et leur étendue dépendent de la « configuration familiale », autrement dit de la présence ou non, dans la succession, d'autres membres de la famille.
Quatre cas de figure sont ainsi envisagés par le Code civil. Le conjoint survivant (non divorcé et contre lequel n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée) dispose :
- de la totalité de la succession en pleine propriété lorsque le défunt ne laisse ni descendants, ascendants, frères et soeurs ou descendants de ceux-ci (collatéraux privilégiés) - article 765 ;
- de la moitié de la succession en pleine propriété lorsque le défunt ne laisse dans une ligne, paternelle ou maternelle, ni parent au degré successible (père, mère, grands-parents), ni collatéraux privilégiés - article 766 ;
- de la moitié de la succession en usufruit si le défunt laisse des ascendants, des collatéraux privilégiés ou des enfants naturels conçus pendant le mariage - article 767 ;
- du quart de la succession en usufruit si le défunt laisse des enfants, qu'ils soient légitimes (communs ou issus de précédents mariages), ou naturels - article 767.
Dans les cas les plus fréquents -ceux où le défunt laisse des enfants, ses père et mère, des frères et soeurs, des neveux et nièces-, le conjoint survivant ne peut donc prétendre qu'au bénéfice d'un usufruit .
Encore peut-il en être privé, ne faisant pas partie des héritiers « réservataires » 1 ( * ) : il peut avoir à renoncer à sa vocation successorale (en pleine propriété ou usufruit) si le défunt a disposé de tous ses biens, par testament ou donation. Si le calcul de l'usufruit est opéré sur la masse de tous les biens existant au moment du décès, augmentée le cas échéant de ceux dont le défunt aurait disposé au profit de successibles 2 ( * ) , son exercice ne peut conduire à grever ni les droits des héritiers réservataires, ni les libéralités consenties. En outre, si le conjoint survivant avait reçu du défunt des libéralités, celles-ci 3 ( * ) viennent en déduction de l'usufruit.
Enfin, celui-ci peut être converti en rente viagère à la demande des héritiers.
2. L'aménagement des droits du conjoint survivant par les époux
Fort heureusement, la situation du conjoint survivant est souvent plus favorable, grâce au régime matrimonial choisi par les époux, aux libéralités qu'ils s'étaient consenties ou aux dispositions testamentaires. D'après les informations recueillies par votre Délégation au cours de ses auditions, il en serait ainsi dans 78 % des cas, cette proportion, qui est avancée par le Conseil supérieur du notariat, étant cependant jugée surestimée par la Fédération des associations de conjoints survivants (FAVEC).
Les époux peuvent avoir passé un contrat de mariage et les prétentions du conjoint survivant sur les biens des époux sont d'abord fonction de ce dernier, l'hypothèse pour lui la plus favorable étant celle de la communauté universelle, celle qui l'est le moins la séparation de biens, la communauté réduite aux acquêts, qui se situe entre les deux, étant la plus fréquente.
Le régime de la communauté universelle est, pour le conjoint survivant, le plus protecteur puisque lui revient la moitié de l'ensemble des biens que possédaient les époux, biens acquis au cours du mariage et biens propres. Dans le cas d'une communauté réduite aux acquêts, il conserve la moitié des biens qui appartenaient au couple. S'il y a séparation de biens, les biens du défunt passent à ses héritiers, avec des risques de conflit non négligeables quant au partage des biens entre biens propres du défunt et biens indivis (il n'y a pas alors de biens communs) du couple.
La majorité des couples sont mariés sous un régime communautaire et les changements de contrat en cours de mariage, au profit de la communauté universelle, pour protéger le conjoint survivant, ne sont pas rares.
Les libéralités entre époux -qu'elles soient testamentaires ou prennent la forme d'une donation réciproque ou « donation au dernier vivant », qui prend effet au décès du premier d'entre eux au bénéfice de l'autre et porte sur une masse préalablement déterminée par le donateur- permettent aussi d'améliorer la situation du conjoint survivant au regard de la succession du défunt.
Le conjoint survivant bénéficie dans ce cas d'une quotité disponible plus importante que dans le cadre des dispositions successorales légales. Cette quotité varie selon la qualité des héritiers réservataires avec lesquels il est appelé à se trouver en concurrence :
- si le défunt laisse des descendants, soit légitimes, issus ou non du mariage, soit naturels, le conjoint survivant peut recevoir (article 1094-1 du Code civil) : ou bien, en propriété, la quotité disponible -qui ne peut excéder la moitié des biens du disposant en présence d'un enfant, le tiers s'il laisse deux enfants, le quart s'il y a trois enfants ou plus 4 ( * ) -, ou bien un quart des biens en propriété et les trois autres quarts en usufruit, ou bien encore la totalité des biens en usufruit ;
-si le défunt ne laisse que des enfants naturels qu'il a eux pendant le mariage, le conjoint survivant peut recevoir soit les trois-quarts des biens en propriété, soit une moitié en propriété et l'autre en usufruit, soit encore la totalité en usufruit (article 1097) ;
- si le défunt laisse des enfants d'un précédent mariage, et s'il avait fait à son second conjoint une libéralité en propriété, chacun des enfants du premier lit peut, sauf volonté contraire du disposant, « substituer à l'exécution de cette libéralité l'abandon de l'usufruit de la part de succession qu'il eût recueillie en l'absence de conjoint survivant » (article 1098) ;
-si, à défaut d'enfants légitimes ou naturels, le défunt laisse des ascendants, le conjoint peut recevoir la quotité disponible en propriété -la moitié des biens en présence d'ascendants dans chacune des lignées, paternelle et maternelle, et les trois-quarts en présence d'ascendants dans une seule ligne 5 ( * ) -et la nue-propriété de la part réservataire des ascendants (article 1094) ;
- à défaut de descendants ou d'ascendants, le conjoint survivant peut bénéficier par libéralité de la totalité des biens (article 916).
Pour apprécier, en pratique, la situation du conjoint survivant, on doit enfin ajouter aux possibilités offertes par le régime matrimonial et les libéralités entre époux, la réversion des pensions de retraite et le recours, assez fréquent, à l'assurance vie.
Cependant, ce sont surtout les couples les plus aisés, ceux qui disposent d'un patrimoine plus ou moins important, qui organisent leur succession et l'on estime à plus de 20 % encore la proportion de ceux qui, le plus souvent par ignorance ou, pour les plus jeunes, par insouciance, ne prennent aucune disposition particulière. Au jour du décès de l'un, le conjoint qui lui survit n'est pris en compte dans la succession que sur la base des droits limités et aléatoires que lui accorde le Code civil.
Votre Délégation est ainsi conduite à insister, et ce sera la première de ses recommandations, sur la nécessité d' améliorer, de la manière la plus concrète et la plus efficace possible, l'information des couples en matière successorale . Celle-ci se limite aujourd'hui à quelques paragraphes à la fin du livret de famille sur lesquels rien n'est fait pour attirer l'attention.
La proposition de loi Vidalies a été complétée sur ce point par l'Assemblée nationale. Il a été prévu d'annexer au livret de famille « un document comportant des informations pratiques sur le droit de la famille et en particulier sur les droits du conjoint survivant », mais il serait à bien des égards judicieux de délivrer les informations en amont du mariage , par exemple au moment où les futurs époux entreprennent leurs démarches en mairie.
Une autre occasion à saisir est celle des achats immobiliers . De nombreux notaires sensibilisent déjà leurs clients aux problèmes de transmission patrimoniale lors de ces transactions. L'information pourrait devenir systématique et faire l'objet d'un écrit.
* 1 Les enfants (article 913 du Code civil) et les ascendants (article 914) bénéficient obligatoirement d'une fraction de la succession -ou « réserve »-, variable selon leur nombre respectif.
* 2 Seuls les biens donnés ou légués en dispense de rapport à la succession (dons ou legs « par préciput et hors part ») sont exclus de la base de calcul.
* 3 Même si elles ont été faites « par préciput et hors part ».
* 4 Article 913.
* 5 Article 914.