CHAPITRE DEUX
LA MODERNISATION
DE LA GESTION PUBLIQUE :
VERS UNE CULTURE DU
RÉSULTAT
La plupart des grands pays industrialisés ont profondément réformé leur procédure budgétaire et leurs méthodes comptables au cours des dernières années. Ces réformes ont généralement visé à mettre en place des budgets axés non plus seulement sur les moyens, comme l'est l'ordonnance organique de 1959 relative aux lois de finances en France, mais surtout sur des objectifs qu'il s'agit d'évaluer grâce à des indicateurs de résultats pertinents. Quant aux nouvelles méthodes comptables, elles permettent de doter ces Etats d'une comptabilité d'exercice donnant une image beaucoup plus précise et sincère de la réalité de leur situation budgétaire et financière.
Tous n'en sont bien évidemment pas au même point dans ce processus de réformes, mais il convient de souligner leur convergence vers l'introduction de méthodes budgétaires et comptables se rapprochant de celles en vigueur dans le secteur privé. Et il est un fait que ces réformes ont généralement donné des résultats substantiels en matière d'assainissement financier et de retour à l'équilibre des finances publiques 11 ( * ) .
I. LA GESTION PAR LA PERFORMANCE : DES SITUATIONS DIVERSES, UNE TENDANCE GÉNÉRALE
Comme il a été vu au chapitre précédent, la crise économique, prenant notamment la forme d'une nette dégradation de la situation des finances publiques, ainsi que les attentes croissantes de l'opinion publique comme des entreprises face à une situation sociale qui se dégradait, sont essentiellement à l'origine d'une prise de conscience de la rareté de la dépense publique. Les exigences à l'égard de cette dernière se sont donc accrues, notamment en vue d'une gestion plus rigoureuse des deniers publics, mais également pour une meilleure appréhension de son efficacité. Les pouvoirs publics ont alors progressivement mis en place des instruments visant à mesurer le coût et l'efficience des politiques publiques ainsi financées.
S'il est important de rappeler que la situation des différents pays considérés est évidemment contrastée, beaucoup d'entre eux, toutefois, se sont engagés dans la voie d'une modernisation de leur gestion publique, souvent plus avancée qu'en France, et qui demeure la condition d'une culture de résultats. Celle-ci passe essentiellement par la priorité accordée à la rationalisation et à l'optimisation des dépenses publiques, et par l'introduction de méthodes proches de celle en vigueur dans les entreprises privées.
A. DES RÉFORMES EN COURS
1. Des pratiques pragmatiques et expérimentales
Certains pays ont introduit des réformes d'ordre budgétaire et comptable, parfois depuis de longues années déjà, en adoptant une démarche pragmatique, consistant à réaliser des expérimentations qui sont ensuite généralisées en cas de succès. Le caractère pragmatique de ces réformes est souvent à l'origine de leur aspect inachevé.
• Aux Pays-Bas , la nécessité d'introduire des indicateurs de performance ainsi que l'obligation, qui s'applique tant aux ministères qu'aux agences, d'évaluer les politiques publiques sont anciennes, puisqu'elles sont formellement prévues par la loi sur les comptes de l'Etat de 1976, amendée en 1992 puis en 1995. La section 7 de ladite loi dispose notamment que « les documents explicatifs accompagnant la loi de finances doivent contenir pour chaque section budgétaire [...] les éléments ayant servi aux estimations des demandes de crédits présentées ainsi que, lorsque cela est possible, toute information sur l'activité du secteur ou les résultats envisagés, cette information devant être fournie pour l'année courante et les résultats atteints pour l'année précédente ». Toutefois, selon le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) portant sur une analyse comparative des systèmes de gestion de la performance et de leur articulation avec le budget de l'Etat, « le système de gestion de la performance aux Pays-Bas est actuellement peu sophistiqué et développé ; il se veut avant tout pragmatique ».
Ce pragmatisme, qui repose sur la conduite d'expérimentations, n'a pas empêché le royaume de mettre au point une réforme importante devant entrer en vigueur en 2002, et qui est le résultat d'un cheminement progressif. C'est en effet en 1994 qu'ont été adoptées les premières réformes de la gestion publique : strict plafonnement pluriannuel des dépenses, décentralisation des négociations salariales, premiers indicateurs de résultats, plus large place accordée au rendement dans la rémunération des agents publics...
Cette démarche progressive a permis la diffusion d'une réelle culture de résultats, qui se traduit par un contrôle du ministère des finances moins prégnant en amont mais aussi par une meilleure connaissance des coûts et de la qualité de la dépense publique. Une sous-direction du ministère des finances se consacre exclusivement à l'évaluation de la performance au sein des agences et des administrations centrales : chargée de la maîtrise des instruments budgétaires, elle a aussi pour mission d'apprécier l'efficacité et l'efficience de l'administration.
• La démarche adoptée par le Danemark est très proche. En 1984, ce pays a procédé à une réforme budgétaire qui tendait à accroître la responsabilité des ministères dans la gestion de leurs dotations, à rendre la dépense publique plus efficiente et la qualité du service meilleure. Cela dit, ni le ministère des finances ni les ministères gestionnaires n'ont souhaité établir un lien entre les enveloppes dont disposent les ministères et les résultats tels qu'ils sont mesurés par les indicateurs de performance dans un souci de préservation de la responsabilité et de l'autonomie financières de chacun.
Si, selon le rapport de l'IGF précité, « la gestion par objectifs est en passe d'être mise en oeuvre au Danemark dans l'ensemble des institutions publiques ou agences », c'est avec « des degrés d'achèvement divers ». Surtout, cette situation résulte d'une introduction progressive des réformes depuis 1993 : les services proposés par le secteur public ont fait l'objet d'une attention particulière, notamment au travers de contrats de performance, expérimentés en 1992 puis rendus obligatoires en 1995, tandis qu'étaient mis au point des indicateurs de résultats destinés à mesurer la qualité de ces services et à en minimiser les coûts.
Toutefois, cette politique, du fait d'une tutelle ministérielle sur les agences trop faible mais aussi d'un foisonnement de rapports le plus souvent peu utilisables, est rapidement devenue illisible. Afin de donner plus de visibilité aux politiques publiques, les pouvoirs publics ont décidé, à partir de 1999, d'élaborer des rapports d'activité synthétiques pour chaque secteur ministériel.
Il convient également de préciser que l'Agence nationale pour la gestion financière du ministère des finances a introduit en 1999 un système informatique dénommé Navision Stat , conçu par un prestataire informatique privé. Ce système permet de centraliser toutes les informations financières des agences de l'Etat, tout en étant suffisamment souple pour s'adapter à chaque organisation. Il permet donc de produire des informations financières harmonisées, et son utilisation devrait prochainement être étendue aux informations portant sur la gestion des ressources humaines.
• En Finlande , la place des agences est très importante 12 ( * ) . C'est au début des années 1990 que s'est développée la gestion par la performance, en raison notamment de la généralisation au sein des agences des contrats de performance, qui comportent deux parties : la première est un document pluriannuel de définition des objectifs sur trois ans, la seconde est un contrat annuel déclinant objectifs et résultats pour l'année n. Toutefois, le système mis en place n'est pas parvenu à « un stade abouti », selon l'expression de l'IGF, en raison de « l'insuffisance de la fonction d'audit, de contrôle et d'évaluation ». Par ailleurs, la « procédure budgétaire et gestion par la performance demeurent séparées ». La gestion par la performance permet de gérer de façon optimale les dotations budgétaires allouées aux agences ou ministères, mais non d'influencer directement ces dotations.
Il convient en outre de constater que les indicateurs de résultats n'en sont qu'à leur début, et que leur qualité est très inégale en fonction du secteur étudié : elle est par exemple meilleure pour l'enseignement supérieur ou l'emploi que pour la justice.
2. Un retard dans l'application des réformes
La mise en oeuvre de ces réformes a pu prendre, dans certains Etats, un retard, dû à une diversité de situations selon les niveaux d'administration, ou à l'inachèvement d'opérations préalables telles que la modification des règles comptables.
• Le cas de l' Allemagne est intéressant, car, dans ce pays, l'ampleur des réformes diffère en fonction du niveau d'administration considéré. En effet, l'échelon fédéral du Bund évolue plus lentement que le niveau local des Länder et des communes, ces dernières étant dotées d'un budget global ventilé par secteur administratif pour chacun de leurs services municipaux, assorti d'une politique managériale, ce qui démontre la volonté de mesurer les coûts et les performances.
Ainsi des outils de comptabilité analytique destinés à permettre la mesure des coûts et plus seulement des dépenses sont-ils mis en place. Les communes disposent désormais d'un nouveau modèle de comptabilité axé sur la connaissance des coûts par les gestionnaires. L'Etat fédéral aussi commence à utiliser de façon progressive un système standardisé de mesure des coûts et des résultats.
• En Italie , l'établissement d'un bilan et d'un compte de résultat inspirés des principes comptables en vigueur dans le secteur privé doit permettre d'élaborer un budget économique, la loi du 7 août 1997 prévoyant qu'il soit présenté sur des bases patrimoniales. Il s'agit de pouvoir calculer le coût complet des services, chacun d'eux étant constitué en centre de responsabilité conférant une large autonomie administrative et financière à son responsable. La loi de finances pour 1998 a modifié la nomenclature budgétaire afin de l'adapter aux centres de responsabilité, et a introduit un contrôle de gestion interne auprès de chaque ministère.
L'objectif final est de faire en sorte que le calcul des coûts serve de fondement aux négociations budgétaires en vue de l'allocation des dotations. Mais, comme le note le rapport de l'IGF précité, si les principaux instruments sont prévus par la loi, « la mise en place d'une gestion axée sur la performance n'est pas encore effective en Italie », essentiellement en raison du retard pris dans la mise en oeuvre de la réforme comptable. L'expérience de ce pays n'en demeure pas moins extrêmement intéressante, ne serait-ce que par la rapidité et l'ampleur du mouvement de réformes entrepris par un pays dont la crédibilité économique et budgétaire était pour le moins limitée il y a quelques années encore.
3. Le souci démocratique de la transparence
L' Espagne se trouvait dans une situation particulière, consistant à procéder à une modernisation en profondeur de son administration, au sortir de plus de 35 ans de dictature. Elle poursuivait davantage un objectif de démocratisation et de transparence qu'une ambition d'amélioration de la gestion publique proprement-dite.
Les réformes ont connu deux principaux moments, d'inspiration différente. Le premier commence au début des années 1980, lorsque ce pays, influencé par la pratique française de rationalisation des choix budgétaires (RCB), se dote d'une structure budgétaire construite autour de la notion de programme. Puis, la deuxième période de réformes est engagée en 1996, avec l'adoption du projet CANOA, influencé par les théories anglo-saxonnes, qui repose sur le calcul des coûts et l'évaluation des performances. Il s'agit d'articuler le système budgétaire avec les informations résultant d'une comptabilité d'exercice, de manière à fournir un maximum d'informations pertinentes aux gestionnaires des services.
* 11 Votre rapporteur rappelle que la situation budgétaire de la France au regard des résultats d'autres Etats a fait l'objet d'une analyse dans le rapport général établi par M. Philippe Marini à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2001 (rapport n° 92 tome I ; 2000-2001).
* 12 Cf. chapitre quatre.