II. UN CONSENSUS RELATIVEMENT LARGE
L'origine largement pragmatique des réformes entreprises dans de nombreux pays explique sans doute le large consensus dont elles ont fait l'objet, tant au sein des formations politiques, des organisations syndicales que de l'opinion publique. Du reste, ce consensus était aussi la condition de leur succès.
A. DES RÉFORMES GLOBALEMENT APPROUVÉES
1. Un projet transpartisan
En règle générale, la réforme de l'Etat a fait l'objet d'un consensus relativement large dans les pays où elle a été entreprise.
Cela peut tenir aux traditions politiques nationales.
• Tel est la cas de la Finlande , où le mode de scrutin proportionnel oblige les partis politiques à s'entendre pour former un gouvernement de coalition regroupant en général deux des trois plus grands partis et un ou deux partis plus petits. En outre, les principales formations politiques finlandaises étaient représentées au comité de décentralisation administrative constitué en 1986 et qui a préparé les principales réformes. La concertation a donc été payante. Enfin, les syndicats, traditionnellement proches du pouvoir politique, ont été largement consultés et associés à ces réformes, qu'ils ont encouragées. Les conflits sociaux ont ainsi pu être évités.
• En Suède , la population active, qu'elle travaille dans le secteur public ou dans le secteur privé, se caractérise par un taux très élevé de syndicalisation, supérieur à 80 %, tandis que le dialogue social, relativement centralisé, est une pratique éprouvée depuis le milieu des années 1930. Ainsi, dans ce pays marqué par une culture du consensus, le conflit social reste exceptionnel. Les restructurations nécessitées par une politique économique de rigueur ou par l'évolution des techniques sont comprises par les salariés, et acceptées par leurs représentants syndicaux, à condition toutefois qu'un volet d'accompagnement social soit prévu. Les réformes n'ont donc pas suscité de regain particulier de conflits sociaux.
• Le Canada , bien que de culture politique anglo-saxonne, a réalisé une réelle diminution du nombre des fonctionnaires fédéraux au cours des années 1994 à 1998, qui s'est toutefois déroulée dans un relatif climat de sérénité sociale. Plusieurs raisons peuvent l'expliquer.
D'un point de vue « culturel », les Canadiens sont portés au compromis et à la négociation, s'accommodant mal du recours à la grève, qui n'est que très rarement utilisée comme moyen de pression sur le gouvernement.
Du reste, le recours à la grève est légalement très strictement encadré, et doit être précédé de phases d'arbitrage et de médiation généralement efficaces. Dans le secteur public, le recours à la grève ne peut être que la conséquence de l'échec des procédures de conciliation en amont : l'usage du droit de grève y demeure donc assez exceptionnel. Les réformes affectant la fonction publique ont de toute façon été menées en étroite concertation avec les syndicats, qui adhéraient à la démarche d'ensemble poursuivie par le gouvernement.
Les réformes ont également été globalement bien accueillies dans des pays où la tradition de service-client est bien ancrée.
Aux Etats-Unis , le vaste mouvement de réforme des administrations entrepris sous la présidence Clinton n'a pas provoqué de réaction majeure, y compris de la part des syndicats de fonctionnaires et des fonctionnaires eux-mêmes. Les réformes ont été plutôt bien accueillies et leur esprit a bien été transmis : 72 % des agents fédéraux considèrent que le service-client est une composante essentielle de leur mission, contre 36 % il y a 10 ans. De surcroît, les agents travaillant dans les ministères ayant fait l'objet des réformes les plus importantes se montrent deux fois plus satisfaits de leur emploi que les agents des autres ministères, estimant en particulier disposer de plus de latitude pour satisfaire les usagers et être moins soumis à la routine et aux carcans administratifs.
Le consensus a également pu apparaître au regard de l'urgence de la situation et de la lassitude que les défaillances de l'Etat faisaient naître dans la population.
• Le cas de l'Italie est une fois encore ici exemplaire. La gravité de la situation financière et le blocage du système politique étaient tels au début des années 1990, qu'un consensus est apparu, notamment au sein des organisations syndicales, pour engager un réel mouvement de réformes. Une nouvelle méthode de définition des politiques salariales a notamment été adoptée (c'est la Concertazione ), afin de tenter de trouver un équilibre entre la préservation du pouvoir d'achat des salariés et l'assainissement des finances publiques : cette méthode a constitué l'une des clefs du succès de la réforme administrative.
Par ailleurs, les citoyens mais aussi les entrepreneurs ont manifesté de fortes attentes pour engager des réformes allant dans le sens d'une plus grande efficacité. Il convient en outre de noter que ces réformes , qui ont alors été assumées politiquement, ont été introduites dans le cadre d'une collaboration très étroite entre le gouvernement et le Parlement, des députés et des sénateurs réunis au sein d'une commission bilatérale spécialement instituée pour l'occasion ayant examiné l'ensemble des textes législatifs concernés.
• Le Japon se trouve dans une situation similaire. En raison des nombreux reproches formulés à l'encontre du système administratif nippon, que l'on a vus plus haut, la population est extrêmement critique à son égard, et majoritairement favorable au processus de réforme. En fait, l'opinion publique a joué un rôle essentiel pour faire accepter le principe même d'une réforme de l'administration, dans un contexte de crise financière devenue crise économique, puis crise de société.
La conflictualité, qui a pu être relativement importante dans certains pays, s'est considérablement réduite.
• C'est notamment le cas du Royaume-Uni , où des grèves très longues, parfois violentes ont eu lieu au cours des années 1980. Ces tensions sociales se sont néanmoins apaisées aujourd'hui, alors que les réformes se poursuivent. Il convient de souligner que, contrairement au secteur marchand à l'époque, le taux de syndicalisation est faible dans le secteur public. Toujours est-il que le gouvernement a réalisé la fusion des deux plus importantes Executive Agencies , l' Employment Service et la Beneficits Agency , qui embauchent à elles deux près de 120.000 employés, sans soulever de protestation syndicale.
• La Nouvelle-Zélande a connu le même type d'évolution, quoique les conflits, s'ils ont été bien réels, notamment lorsque le gouvernement travailliste a décidé une réduction substantielle du nombre des fonctionnaires, n'ont jamais eu l'acuité de ceux qu'a connus le Royaume-Uni. Les diverses formations politiques comme les organisations syndicales sont ainsi devenues convaincues de la nécessité de réformer un système public et économique profondément étatisé et protectionniste et ne correspondant plus aux attentes de la population.
2. Une opinion publique généralement favorable
Le plus souvent, la qualité du service rendu aux usagers a été plutôt améliorée, même si la situation est évidemment contrastée selon les administrations concernées. Cette situation peut notamment s'apprécier au regard des résultats d'enquêtes d'opinion effectuées dans différents pays.
• Aux Etats-Unis , les usagers se montrent plus satisfaits de leur administration fédérale. Depuis 1994, sont publiés des indices exprimant le degré de satisfaction des Américains à l'égard de plus de 170 entreprises du secteur privé, des agences fédérales et des administrations locales, l' American Customer Satisfaction Index . Chaque organisation se voit ainsi attribuer un indice de satisfaction situé entre 0 et 100. A l'heure actuelle, le taux de satisfaction moyen du client américain s'élève à 72,9, et les différentes organisations se situent à des indices compris entre 59 et 90. L'administration fédérale dans son ensemble ainsi que le secteur privé font l'objet d'indices synthétiques.
L'indice de satisfaction de certaines agences fédérales se situe à un niveau très honorable, comparable à celui des meilleures entreprises privées. Les indices de satisfaction des agences fédérales sont d'ailleurs compris entre 51, pour les services fiscaux, et 87, pour le service s'occupant des familles, contre 59 et 87 pour les organismes privés. Il convient toutefois de constater que, en moyenne, les Américains se montrent beaucoup plus satisfaits des Etats fédérés et des administrations locales (indice de satisfaction de 80) que de l'administration fédérale (indice de satisfaction de 68,6). Toutefois, une étude effectuée en 1999 a montré que 60 % des Américains relevaient des améliorations dans la qualité des services publics fédéraux par rapport aux deux années précédentes. Le pourcentage d'Américains faisant globalement confiance à l'administration est passé de 21 % en 1994 à 40 % en 1998, même s'il atteignait 76 % en 1976.
• En Allemagne , une enquête de mars 2000 portant sur les fonctionnaires montre qu'une large majorité de citoyens, plus de 80 %, souhaite que les fonctionnaires soient payés en fonction de la qualité de leur travail, tandis que les agents incompétents ou faisant preuve de mauvaise volonté soient licenciés. La position des fonctionnaires eux-mêmes est intéressante car elle recoupe, quoique dans des proportions moindres - environ 60 % - l'opinion de l'ensemble de la population. Ces résultats sont de bon augure pour le gouvernement, en raison des changements qui devraient se produire au sein de la fonction publique allemande.
• En Finlande , quelque 2.000 personnes entre 18 et 70 ans, résidant dans dix communes différentes, ont été interrogées en 1987 puis en 1996 sur l'image qu'ils avaient du service public. Le questionnaire qui leur avait été soumis portait sur douze services ou institutions de l'Etat parmi lesquels la poste, les chemins de fer, la sécurité sociale, l'agence pour l'emploi, le centre des impôts, la police... Par ailleurs, ce questionnaire portait également sur douze services ou institutions communaux et treize du secteur privé.
Il en est ressorti que les Finlandais avaient une meilleure image des services communaux et privés que des services étatiques : respectivement, 54 % et 33 % en 1987, et 61 % et 35 % en 1996. Toutefois, la situation est contrastée selon les services étatiques concernés et le degré des réformes entreprises. Les services qui se sont ouverts au marché en devenant une entreprise commerciale ou une société anonyme ont généralement enregistré un changement positif d'image : c'est le cas de la poste ou du contrôle des véhicules, mais non des chemins de fer. Quant à la sécurité sociale ou à l'administration des routes, institutions ayant opéré des réformes structurelles ou redéfini leurs tâches, elles ont vu leur image s'améliorer, mais le bilan est parfois beaucoup plus mitigé, pour l'administration préfectorale par exemple.
Au total, cette enquête a permis de constater que l'importance de quatre des cinq traits négatifs utilisés pour qualifier le service public - rigidité, pédantisme, complexité, archaïsme - a diminué, alors que celle de l'inefficacité est demeurée aussi élevée. L'importance de cinq des six qualités utilisées pour décrire le service public - fiabilité, efficacité, modernité, volonté de servir, flexibilité - s'est accrue, alors que celle de la clarté n'a pas évolué. Les traits ayant le plus évolué étaient, à la baisse, la rigidité et, à la hausse, la volonté de servir.
• En Belgique , le plan Copernic est globalement approuvé, tant il est vrai que la réforme de l'administration apparaissait indispensable. Du reste, la population a été largement associée à l'orientation des réformes. Ainsi, du 13 au 30 juin 2000, 8,3 millions de questionnaires ont été adressés aux citoyens belges afin de connaître leur sentiment sur le plan Copernic. Cette opération a toutefois été considérée comme un échec en raison de la faiblesse du taux de réponse (760.000 réponses, soit 9,2 %). En revanche, l'immense majorité des réponses démontrait l'approbation de la population. Les organisations syndicales se sont montrées plus réservées, se fondant toutefois sur des arguments souvent politiques - tel syndicat a pu ainsi dénoncer la « flamandisation » des administrations fédérales - ou relatifs à la défense d'intérêts catégoriels - le plan Copernic prévoit par exemple une ouverture des postes de responsabilité à des personnes extérieures à l'administration.
• En Norvège , si le mouvement de réforme de l'Etat en est à ses débuts - le gouvernement travailliste, minoritaire, a annoncé son projet en mars 2000 -, la population est très attentive à l'évolution de ce programme et place au premier rang de ses priorités l'amélioration de certains services publics, l'éducation, la santé et les soins aux personnes âgées en particulier. Ainsi, si l'actuel gouvernement venait à ne pas être reconduit aux prochaines élections de septembre 2001, le processus de réforme n'en serait pas pour autant remis en cause.
• L'opinion des Suédois est cependant nettement moins favorable. La majorité d'entre eux considère en effet qu'un certain nombre de services publics se sont dégradés à la suite de la crise économique du début des années 1990, puis de la politique de redressement des finances publiques. Les défaillances observées dans l'enseignement secondaire et la santé sont ainsi régulièrement dénoncées.
• Les Japonais étaient 80 % à considérer que le système administratif de leur pays devait faire l'objet de véritables réformes.
A contrario , le jugement porté par la population sur les services publics de pays ayant tardé à introduire des réformes est négatif.
• Ainsi, les enquêtes menées ponctuellement sur la qualité des services publics montrent que les habitants de la Grèce sont moyennement satisfaits des services de transport, mais franchement mécontents des services de santé publique ainsi que des services fiscaux.
• On observe un phénomène similaire en Espagne , où l'engagement de réformes, initié par la publication du Livre blanc pour l'amélioration des services publics , est récent. Or, l'opinion publique espagnole porte un jugement relativement négatif sur les administrations de l'Etat. Le centre d'investigations sociologiques, principal institut de sondage espagnol, à l'occasion d'enquêtes d'opinion portant sur la perception de l'administration, et effectuées en juin 2000, a montré que près de 45 % des personnes interrogées se disaient mécontentes, contre 40,6 % de personnes satisfaites, la justice étant le service le plus mal perçu.