Audition de M. Jean-Philippe DESLYS,
Responsable du groupe de recherche sur
les prions au
CEA
(4 avril 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Monsieur Jean-Philippe
Deslys, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle
que vous êtes ici en tant que responsable du groupe de recherche sur les
prions au CEA.
Vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission
d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur le
problème des farines animales et leurs conséquences sur le
développement de l'ESB et la santé des consommateurs.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Deslys.
M. le Président -
Si vous le voulez bien, nous allons dans un
premier temps vous laisser la parole pour que vous puissiez nous donner votre
position et votre opinion sur les problèmes de l'ESB.
M. Jean-Philippe Deslys -
Merci Monsieur le Président. Je vous
rappelle que les maladies concernées, jusqu'à l'apparition de
l'ESB, ne posaient pas de problème particulier, la maladie la plus
fréquente chez l'homme étant celle de Creutzfeldt-Jakob, sous
forme sporadique, à raison d'un cas par an et par million d'habitants,
soit environ 80 cas par an en France.
Elle est dix fois plus rare sous sa forme familiale, et à chaque fois
liée à une mutation du gène du prion, et les formes
iatrogènes le sont encore plus, sauf en France, avec le problème
lié à l'hormone de croissance.
Sur environ 980 patients traités entre janvier 1984 et juin 1985 avec
des hormones de croissance d'origine extractive (qui étaient extraites
d'hypophyses de cadavres), 76 ont développé cette maladie, soit
près de 8 % de la population exposée.
Le Kuru est une maladie qui a disparu aujourd'hui. Elle a été
découverte à la fin des années 1950 dans des tribus de
Papouasie-Nouvelle Guinée -vivant à l'âge de pierre- qui
pratiquaient des rites cannibales.
Aujourd'hui, avec le recul, cette expérience permet de dire que la
période d'incubation de ces maladies chez l'homme, qui est silencieuse,
peut aller de 4 ans -c'est l'âge le plus jeune qui ait été
retrouvé- jusqu'à plus de 40 ans.
Nous trouvons parmi les maladies animales la tremblante naturelle du mouton et
de la chèvre, maladie endémique décrite depuis environ
1700, qui ravageait les troupeaux de moutons au 18ème siècle,
mais qui ne posait pas de problèmes à l'homme, les bergers, les
vétérinaires et les bouchers ne développant pas plus de
maladie de Creutzfeldt-Jakob que les autres catégories
socioprofessionnelles.
Par ailleurs, dans des pays indemnes de tremblante, comme l'Australie et la
Nouvelle-Zélande, le taux de maladie de Creutzfeldt-Jakob est le
même qu'ailleurs. Par conséquent, jusqu'à preuve du
contraire, les maladies animales telles qu'on les connaissait n'étaient
pas transmissibles à l'homme, ou en tout cas pas dans des proportions
décelables avec les moyens épidémiologiques.
La maladie du dépérissement chronique des ruminants sauvages (la
« chronic wasting disease ») a été décrite dans
les années 1960 aux Etats-Unis, dans le Wyoming et dans le Colorado.
C'est une sorte de tremblante qui touche les ruminants sauvages (daims,
wapitis, etc.), qui a tendance à s'étendre.
On estime aujourd'hui qu'elle double tous les ans et qu'elle touche environ
10 % des animaux abattus. Une étude a montré
récemment que, sur 133 animaux diagnostiqués positifs parce que
cette maladie était recherchée chez eux par des tests, seuls
trois présentaient des signes cliniques. C'est vous dire à quel
point l'on peut passer à côté de ces maladies quand on ne
les recherche pas.
Par ailleurs, l'attention du CDC a été attirée, car aux
Etats-Unis trois chasseurs anormalement jeunes -ces maladies sont très
rares chez les individus de moins de 40 ans-, de moins de 40 ans, qui
chassaient ou qui étaient en relation avec ces contrées, ont
développé une maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cela a attiré
l'attention sur le risque de transmissibilité de cette nouvelle maladie
qui s'étend à l'homme, sans qu'aucun lien
épidémiologique ait été retrouvé. Il s'agit
simplement d'un signal d'alerte.
Reste bien entendu l'encéphalopathie spongiforme bovine, que vous
connaissez tous.
Le début de la crise, en 1996, a correspondu à la
démonstration épidémiologique que l'ESB était
transmissible à l'homme. Ensuite, nous avons apporté au
laboratoire la première preuve expérimentale de sa transmission,
puisque les singes inoculés avec l'agent de l'ESB développaient
exactement les mêmes lésions, tout à fait
caractéristiques, que les patients atteints cette maladie. Vous pouvez
voir ce que l'on appelle une « plaque floride ». Il s'agit d'une
accumulation de la protéine de prion sous forme amyloïde
entourée de légions de spongioses, d'où un aspect en fleur.
La seconde preuve expérimentale a été apportée en
septembre 1997, tous ces travaux ayant été publiés
successivement dans « Nature ». L'on s'est rendu compte que la
signature biochimique était tout à fait particulière, elle
a été baptisée de type 4.
Nous avons retrouvé exactement la même signature chez le premier
patient français qui a développé cette maladie, qui n'est
retrouvée dans aucune autre forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob en
dehors du nouveau variant.
La troisième preuve expérimentale est la signature
lésionnelle, c'est-à-dire la transmission à la souris.
Nous sommes extrêmement démunis face à ces maladies, car
nous n'en connaissons toujours pas l'agent de façon précise et
parce que sérologiquement nous n'avons aucune possibilité
puisqu'il n'existe pas de réactions immunitaires.
Nous ne décelons aucun micro-organisme au microscope, ni aucune
protéine étrangère ou aucun acide nucléique
spécifique, mais nous avons la chance dans notre malheur d'avoir des
modèles expérimentaux extrêmement reproductibles.
Si une souris est inoculée à J zéro avec une souche
donnée, six mois après, à une semaine près, tous
les animaux de la boîte mourront en une semaine. Ce sont, sur ce plan, de
véritables horloges biologiques. Cela peut servir notamment pour
étudier les différentes souches qui existent ainsi que la
répartition des lésions dans le cerveau.
Il s'agit de maladies dites spongiformes -donc qui créent des trous- qui
peuvent être quantifiées, chacune des souches ayant sa signature,
c'est-à-dire qu'elle s'attaquera préférentiellement
à telle ou telle zone du cerveau, d'où des signes cliniques plus
particuliers. Vous avez ici la démonstration qu'au niveau du bulbe la
tremblante n'entraîne aucune lésion alors que l'agent de l'ESB
crée des trous partout.
La démonstration a très clairement été faite que la
même souche est responsable de la contamination des bovins en
Grande-Bretagne et en France, de différents animaux de zoo, de chats, et
d'hommes développant une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Le problème supplémentaire rencontré chez l'homme
réside non seulement dans cette transmission primaire du bovin à
l'homme, mais aussi dans les risques de transmission secondaires.
On pensait jusqu'à présent que la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne
posait pas de problèmes particuliers en dehors de ceux que je vous ai
décrits pour l'hormone de croissance et les instruments
neurochirurgicaux, directement en contact avec le système nerveux
central.
Par exemple, les études épidémiologiques n'ont jamais
révélé de corrélation entre la transfusion sanguine
et le risque de développer une maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cependant,
cela risque d'être différent avec la nouvelle forme de maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
En effet, on retrouve la protéine anormale du prion non seulement dans
les amygdales, mais aussi dans la rate, les ganglions lymphatiques et au niveau
de l'intestin, tout le système réticulo-endothélial
étant contaminé. Cela signifie en d'autres termes que le niveau
de contamination du sang, surtout avec une souche nettement plus virulente,
n'est pas le même que celui qui était précédemment
connu et que, par conséquent, l'on ignore le risque encouru.
Vous pouvez voir sur la diapositive l'amygdale du deuxième patient
français et du troisième, qui est toujours vivant à ce
jour.
Un article va vous être distribué dans lequel il a
été démontré que chez le singe la souche gardait
ses propriétés en passage secondaire, avec toujours exactement la
même signature, et gagnait en virulence, la période d'incubation
étant raccourcie de moitié. Enfin, elle se transmet
remarquablement bien par voie intraveineuse, ce qui attire l'attention sur les
risques de transmission secondaire.
Concernant les risques liés à l'agent de l'ESB, plus de 180 000
bovins ont développé cette maladie au Royaume-Uni et l'on
approche les 300 en France. De plus, l'on estime à environ 900 000 les
bovins affectés censés être rentrés dans la
chaîne alimentaire humaine. Ils y sont rentrés, car la
période économique moyenne en Angleterre est d'environ deux ans
et demi et parce que la période moyenne d'incubation de cette maladie
est de cinq ans, aucun diagnostic n'étant possible avant l'apparition
des signes cliniques.
Le problème réside dans le fait que plus de la moitié des
bovins affectés sont rentrés dans la chaîne alimentaire
avant l'interdiction des abats à risque. Cependant, cela ne pose pas de
problème s'ils y sont rentrés suffisamment jeunes, car cet agent
n'a pas eu le temps de s'accumuler à des taux détectables. Ce
sont la cervelle et la moelle épinière qui sont dangereuses dans
ces maladies.
Il faut se souvenir que les expériences qui ont été
menées ont montré très clairement que, lorsqu'une souris
est inoculée à partir d'une vache développant
naturellement une maladie, cet agent n'est retrouvé que dans le
système nerveux central et périphérique, ainsi que dans
les ganglions para-vertébraux apparentés eux aussi au
système nerveux, et pas ailleurs.
On en trouve dans l'iléon et notamment au niveau des plaques de Peyer
uniquement dans un cas : quand l'animal a été
contaminé avec de très fortes doses par voie orale.
On le retrouve aussi, dans les contaminations naturelles, dans les ganglions
lymphatiques et ailleurs, mais à des taux tellement bas qu'il est
indétectable, sachant qu'il faut traquer ce qui est dangereux.
Par ailleurs, le nombre de cas naïfs (nés après
l'interdiction des farines) ne décroît pas comme prévu.
L'on imaginait il y a quelques années que le problème serait
résolu en 2000 puis en 2001, mais nous voyons bien qu'il n'en est rien.
L'agent de l'ESB est transmissible aux moutons par voie orale à faible
dose (0,5 gramme suffit) et il se répartit comme la tremblante, ce qui
signifie qu'on le retrouve dans tous les tissus périphériques
à des taux importants et, en d'autres termes, qu'il peut potentiellement
devenir endémique chez le mouton, comme l'agent de la tremblante.
Or, le problème réside dans le fait -on a déjà
dû vous l'indiquer- que l'on ne peut pas faire cliniquement la
différence entre la tremblante et l'agent de l'ESB. Par ailleurs, si
co-infection il y a, on peut imaginer si l'on est optimiste que, par un
phénomène de compétition de souche, la tremblante, qui est
endémique, occupe la niche écologique et donc va éviter le
développement de ce nouvel agent, ce qui est classique en infectiologie.
En revanche, on peut également envisager un maintien des deux souches en
même temps, que l'on ne saurait pas différencier de façon
simple.
L'agent de l'ESB est certainement transmissible à l'homme par voie
orale. 96 cas ont été enregistrés au Royaume-Uni. A
également été détecté en Irlande le cas
d'une personne qui avait vécu très longtemps au Royaume-Uni
auparavant. Enfin, 3 cas ont été enregistrés en France.
Le futur nombre de cas humains est extrêmement difficile à
modéliser. Les premières modélisations en
prévoyaient entre 80 et plus de 500 000, mais elles ont
été affinées et l'on en prévoit désormais
entre 63 et 136 000, sachant qu'il s'agit d'extrêmes, les
hypothèses les plus raisonnables allant de quelques centaines à
quelques milliers de cas.
Dans la mesure où la période moyenne d'incubation n'est pas
connue, nous ne savons pas si les cas que nous enregistrons actuellement
correspondent au pic de l'épidémie, auquel cas ce serait
malheureux pour les patients qui ont développé la maladie, mais
très rassurant pour le reste de la population. En revanche, si la
période d'incubation est très longue, cela signifie que ce que
nous constatons actuellement correspond à des cas anormalement courts
qui annoncent une énorme vague. C'est le fond du problème.
Vous pouvez voir l'évolution de la maladie chez l'homme au Royaume-Uni
à partir de 1995, mais des variations de la durée de la phase
clinique sont liées au fait que plus les personnes sont jeunes, mieux
elles résistent, sachant que l'âge moyen du décès
est de 29 ans, même si le plus jeune patient décédé
avait 14 ans. Grosso modo, plus le patient est jeune, mieux il se défend
contre la multiplication de l'agent, mais vous pouvez constater par
année d'apparition une progression importante, même si nous
n'avons pour le moment aucune idée de l'allure que prendra cette
évolution dans les années à venir.
Par ailleurs, il semblerait d'après le Professeur Robert Will,
responsable du groupe de surveillance de ces maladies chez l'homme au
Royaume-Uni
-c'est simplement une impression pour le moment-, que la
maladie touche davantage les classes défavorisées, qui sont les
plus à même de consommer des préparations de mauvaise
qualité contenant notamment de la cervelle et de la moelle
épinière, qui sont à l'origine des problèmes.
L'apparition de ces nouveaux cas amène à se poser des questions
ainsi qu'à confondre les cas humains liés à des
contaminations anciennes et à les mélanger avec les cas bovins
qui sont en train d'apparaître, mais ce sont des éléments
complètement différents, d'autant que toute une série de
mesures de précaution ont été prises dans l'intervalle.
Quand on fait figurer sur un même graphique les cas britanniques et les
cas français, on ne voit pas apparaître les cas français
à cause de la différence d'échelle (180 000 contre
300) ; ils sont complètement écrasés. Par
conséquent, le risque provient bien, aussi bien au Royaume-Uni qu'en
France, des cas britanniques.
La France est surtout concernée, car nous étions malheureusement
le principal importateur de viande britannique ou de produits bovins d'origine
britannique. Nous savons que 5 à 10 % de notre consommation
provenait de Grande-Bretagne et qu'il s'agissait apparemment non pas des
meilleures vaches, mais plutôt de vaches laitières de
réforme, qui sont les plus dangereuses. Même si l'embargo a
été très efficace en 1996, le risque est lié aux
importations de produits britanniques.
Quant aux abats à risques, nous ne parvenons pas à obtenir des
chiffres précis, ce qui est très ennuyeux. Ils diffèrent
à chaque fois que nous nous adressons à une source
différente et il est à ma connaissance impossible d'avoir des
chiffres précis concernant le cerveau et la moelle
épinière. Nous ne disposons donc que de chiffres
généraux sur les exportations d'abats britanniques.
Or, nous constatons malheureusement qu'entre 1987 et 1988 ces exportations ont
été multipliées par 20, les abats à risque ayant
été interdits en 1989 au Royaume-Uni et en 1990 en France, des
transferts massifs ayant pu avoir lieu, comme cela a été
observé avec les farines contaminées pour les bovins.
C'est une période particulièrement dangereuse, puisque la
cervelle et la moelle épinière étaient incorporées
de façon parfaitement légale dans la nourriture.
Cela dépend des habitudes des pays, mais en Angleterre, d'après
ce qui m'a été expliqué, la cervelle et la moelle
épinière n'étaient pas consommées en tant que
telles. En revanche, elles pouvaient être utilisées dans les
viandes séparées mécaniquement, dans les viandes
hachées, dans les hamburgers ainsi que dans certaines saucisses et
pâtés et jusqu'à 10 % dans certaines saucisses, soit
10 grammes de cervelle dans une saucisse de 100 grammes.
Cela recouvre en termes de risque la notion de dilution, d'où
l'intérêt de l'analyse du Cluster de Keniborough (Leicestershire).
Il nous est rapporté que cinq cas anormaux ont été
détectés dans un village particulier.
Il s'est avéré après analyse -avec tous les biais pouvant
exister quand on essaie de reconstituer des cas témoins avec 20 ans de
retard- que le point commun était un boucher qui avait des pratiques
particulières, interdites en France depuis 1965, mais qui étaient
encore légales en Angleterre et qui existaient encore dans de
très rares endroits, à savoir qu'il procédait
lui-même à l'abattage et à la découpe des animaux,
ce qui a généré un phénomène de
concentration.
En cas d'animal contaminé, ce n'était pas redistribué sur
des centaines de personnes, comme avec les produits industriels, mais
c'était au contraire localisé et concentré, les chiffres
étant significatifs.
D'après l'explication donnée, ce sont les couteaux qui servaient
à découper le bifteck qui étaient contaminés, mais
j'ai une analyse complètement différente. En effet, seuls
quelques milligrammes restent sur la lame d'un couteau puis se retrouvent sur
la viande. Or, si quelques milligrammes suffisent à contaminer un homme,
qu'en est-il de la moelle épinière qui pèse 200 grammes et
de la cervelle, qui en pèse 500 ?
Je veux bien que l'on m'explique que la cervelle n'était peut-être
pas retirée, car cela obligeait à casser la tête, mais le
boucher était obligé d'extraire la moelle épinière
puisqu'il découpait les carcasses. Par conséquent, il faut se
demander à mon sens ce qu'il faisait exactement de la moelle
épinière, sachant que dans la profession de boucher l'on ne jette
pas grand-chose et qu'il était légal de la réutiliser.
M. Paul Blanc -
Il avait une spécialité qui incorporait la
moelle.
M. Jean Bizet, Rapporteur -
Au cours de notre voyage de 48 heures en
Angleterre, c'est le seul endroit où il nous a été
clairement indiqué que des abats étaient incorporés dans
la fabrication des steaks hachés et que cette pratique s'était
éteinte avec le temps, mais l'on ne nous a évidemment pas
donné de date claire.
M. Jean-Philippe Deslys -
Je suis content que vous me l'indiquiez, car
c'est par déduction que je suis arrivé à cette conclusion.
J'ai été incapable de trouver quelqu'un pour me répondre.
M. le Rapporteur -
Dieu sait si les personnes auxquelles nous nous
sommes adressés ont été avares d'informations, mais nous
avons au moins eu celle-ci.
M. Jean-Philippe Deslys -
J'ai procédé à deux
représentations de la situation (au 9 mai et au 16 octobre 2000) pour
essayer de comprendre ce qui s'est passé, car j'ai été
très frappé par l'évolution des cas.
Il s'agit de représentations par année de naissance et
d'apparition pour établir une sorte de moyenne, sachant que des animaux
ont été contaminés tôt et que quand en France un cas
est décelé tout le troupeau est abattu. Cela fait
apparaître en 1988 et en 1989 le phénomène qui correspond
à l'importation massive des farines britanniques.
Au moment où elles ont été interdites au Royaume-Uni,
l'Irlande a divisé par 3 ou 4 ses importations, en passant de 700
à 200 tonnes, la France les a doublées, en passant de 7 000
à 15 000 tonnes, la Belgique et la Hollande les ont multipliées
par 4 ou 5, etc.
Paradoxalement, la Suisse n'a importé aucune farine britannique, mais
c'est elle qui a enregistré le plus grande nombre de cas. Ceci dit, elle
a importé des farines d'ailleurs, notamment de Belgique, et j'ai cru
comprendre qu'une farine qui revenait dans un autre pays et était
remélangée prenait l'étiquette du nouveau pays, et ce
indépendamment de la fraude.
De plus, incontestablement, l'on ne parvenait à obtenir aucun
détail sur ce qui se passait en Angleterre. J'ai demandé pendant
des années ce que devenaient ces farines : cela relevait plus du
secret défense que d'autre chose.
J'ai été très étonné, car il m'avait
été indiqué au départ que ces farines ne
voyageaient pas, parce que cela coûtait cher en raison des tonnages, et
qu'elles n'allaient pas très loin. Or, 20 000 tonnes ont
été importées en Indonésie en 1996. En fait, les
notions de diffusion limitée sont complètement fausses et ces
farines ont pu voyager très loin. De plus, il faut tenir compte des
périodes d'incubation, raison pour laquelle le phénomène
se poursuit.
Par année d'apparition en France, la subdivision en fonction de
l'âge est intéressante. En effet, toutes les tranches sont
touchées au départ, car les farines rentrent et l'on en donne
à tout le monde mais, à partir de 1996, la proportion
correspondant aux bovins de quatre ans augmente jusqu'à atteindre
40 % en 1998, ce qui est complètement anormal. Le fait que des
bovins de 4 ans développent la maladie anormalement tôt signifie
qu'ils ont été contaminés tôt avec des doses
importantes, à un moment où ils n'auraient jamais dû
recevoir la moindre farine. En fait, ils ont développé la maladie
plus rapidement à un moment où tout était censé
être verrouillé.
Comment expliquer que, quand les farines animales pouvaient rentrer
légalement et massivement, les cas étaient relativement peu
nombreux -même si je veux bien admettre qu'il y ait des trous dans
l'épidémio-surveillance, mais pas à ce point-, alors que
leur nombre a augmenté ensuite ? Nous avons l'impression que les
farines sont rentrées et ont été recyclées.
Nous savons aujourd'hui que les systèmes de traitement des farines ne
suffisaient pas. Il faut raisonner en seuils. Quand un système est
moyennement efficace et que la charge infectieuse est faible, le taux
infectieux est suffisamment diminué pour ne plus contaminer personne. En
revanche, si le système est alimenté avec des doses importantes,
l'on passe au-dessus du seuil fatidique et l'on peut amplifier l'agent
infectieux. C'est en tout cas ma lecture de la situation.
Vous me répondrez que les farines, même françaises,
n'auraient pas dû rentrer dans l'alimentation des bovins, sachant
qu'elles avaient été interdites, mais ils ont été
contaminés anormalement jeunes.
J'ai posé des questions pour comprendre ce qui se passait, car cela
annonçait un phénomène extrêmement
désagréable, qui est à suivre. En effet, si un bovin de 4
ans est contaminé, cela signifie que son petit frère, qui a
mangé des produits un peu moins contaminés, développera la
maladie à cinq ans, son autre petit frère à six ans, etc.
Il m'a été répondu que les paysans qui ont des porcs ou
des volailles pour lesquelles ces farines étaient autorisées -y
compris les farines britanniques, si j'ai bien compris-, ne décident pas
du moment de sacrifier les animaux. Ce choix revient à la
coopérative et ils ne sont pas maîtres du système. C'est la
raison pour laquelle leurs silos étaient de temps à autre
à moitié pleins.
De plus, dans la mesure où cet aliment n'est pas en fin d'engraissement
utilisable pour les animaux en début d'engraissement, il était
repris par les usines.
Enfin, il était impropre à la consommation par les vaches
laitières parce qu'il contenait des antibiotiques et toute une
série d'éléments incompatibles, mais il pouvait être
utilisé pour les veaux. C'est une explication qui me semble logique
s'agissant de ce qui m'a été décrit comme des « silos
hôpital ».
Il faut par ailleurs tenir compte du phénomène des
lacto-remplaceurs. Des animaux jeunes buvaient autre chose que du lait et l'on
a découvert que les lacto-remplaceurs contenaient des graisses animales.
Or, il semblerait que certaines d'entre elles servaient à cuire les
farines et pouvaient ensuite rentrer dans l'alimentation. Je vous livre pour le
moment les pistes que j'ai pu trouver afin d'essayer de comprendre, uniquement
à partir de l'analyse des courbes.
Le phénomène a été augmenté en 2000 de
façon artificielle pour deux raisons : la mise en place des tests,
qui correspondent à une augmentation d'environ un tiers des cas et,
comme en Suisse, un processus d'attention accrue. Par exemple, un
vétérinaire qui n'aurait pas fait son travail en laissant passer
une vache qui présentait des signes cliniques qui a ensuite
été repérée lors des tests a des retours de ce
manque d'efficacité. En tout cas, le résultat est là, le
nombre de bovins de cinq et six ans contaminés commençant
à augmenter, sachant qu'en 2001, surtout de par les tests
réalisés à très grande échelle, de nombreux
faits seront démasqués.
Ces fameux tests sont tous basés sur la détection d'une
protéine anormale, celle du prion expliquant la résistance de ses
agents ; elle forme une coque résistante.
Dans l'hypothèse du prion, la protéine anormale est l'agent,
alors que dans d'autres des éléments supplémentaires
viennent s'ajouter mais, dans tous les cas, cette coque est indispensable pour
expliquer la résistance à la dégradation. Elle
résiste à la chaleur, notamment sèche. Par exemple, un
bout de cerveau que l'on a eu le malheur de laisser sécher même
avant de l'autoclaver devient résistant, de même s'il est
traité au formol ou à l'éthanol. Elle résiste
également aux ultrasons, aux rayonnements ultraviolets, aux radiations
ionisantes et à quasiment tous les processus chimiques d'inactivation,
ce qui signifie clairement que les méthodes culinaires ne servent
strictement à rien.
La protéine anormale du prion existe sous une forme normale chez tous
les mammifères, mais elle est dégradée si l'on fait agir
une protéase.
Elle a sous sa forme anormale tendance à s'accumuler, ce qui est normal
car, dans la mesure où elle résiste à la
dégradation, la cellule n'arrive pas à s'en débarrasser,
tout au moins pas très efficacement. En effet, si elle était
complètement résistante, les animaux ne mettraient pas des mois
à mourir. L'incubation serait très rapide, de même que la
mort.
Le problème réside dans le fait qu'aucun anticorps ne
reconnaît actuellement spécifiquement la forme anormale de la PrP,
ce qui implique que dans toutes les techniques l'on doive se débarrasser
soigneusement de la forme anormale qui très souvent chez le bovin
présente la majorité de PrP.
Il s'agit d'un changement de conformation. La protéine normale comporte
une partie non structurée et une partie globulaire (c'est-à-dire
structurée) composée principalement d'hélices alpha -on en
retrouve par exemple dans la laine- consistant en enroulements torsadés.
C'est d'ailleurs ce qui permet à la laine d'être
étirée.
En revanche, elle acquiert sous sa forme anormale une structure en feuillets
beta. Il s'agit de feuillets parallèles ou anti-parallèles qui
donnent la rigidité, comme dans la soie, raison pour laquelle elle
résiste autant à la traction.
Quatre tests ont été évalués. Je m'étais
attendu en Europe à ce que l'agriculture s'en préoccupe, car,
d'après moi, la meilleure méthode était un test sensible,
en mettant ainsi en place un verrou naturel à l'abattoir, ce qui permet
de ne plus laisser passer de bovins dangereux.
Or, c'est la DG XXIV qui a développé ce test dans le cadre de la
protection du consommateur. Cela a mis du temps à se mettre en place, en
particulier pour trouver des échantillons négatifs, car personne
ne voulait en fournir, ce que la Nouvelle Zélande a finalement fait.
En fait, sur les dix tests initialement soumis aux experts européens,
quatre ont été sélectionnés :
Le test britannique, développé par la Société
Wallac, basé sur une technique de Delfia avec de
l'immuno-fluorescence ;
Le test suisse, développé par la Société Prionics,
basé sur un western blot ;
Le test irlandais, développé par la Société Enfer.
Il s'agissait d'un test Elisa simple, l'antigène étant
placé directement sur une plaque en plastique ;
Le test français, développé par notre laboratoire, qui
était plus compliqué dans la mesure où nous voulions qu'il
soit très sensible, avec une étape de purification et un
système Elisa de type sandwich très classique.
Le test A a été recalé, car c'était le moins
sensible des quatre. En l'occurrence, parmi des bovins cliniquement atteints,
l'on a retrouvé des faux positifs et des faux négatifs, ce qui
signifie que certains cas positifs n'étaient pas détectés
alors que certains cas négatifs étaient considérés
comme positifs.
Les trois autres tests ont été sélectionnés sur le
plan européen, tous les bovins cliniquement positifs ayant
été bien identifiés, sans aucune erreur sur les cas
négatifs.
Ce qui nous a surtout intéressés est la deuxième partie,
c'est-à-dire le test de sensibilité sur les dilutions successives.
Le test suisse s'est révélé le moins sensible des trois,
le test irlandais trois fois plus sensible que ce dernier et le test
français trente fois plus. Par conséquent, comparé au test
A (le test anglais), le test français était trois cents fois plus
sensible.
Nous pouvons dire « Cocorico », mais cela ne résout pas tous
les problèmes, et ce n'était pas cela le plus intéressant,
la question étant de savoir si le consommateur est réellement
protégé.
Je vous rappelle le principe du test. Il comporte deux étapes et part
d'un morceau de tronc cérébral, sachant qu'il est très
important de partir de l'obex, zone du cerveau dans laquelle s'accumule en
premier lieu cette protéine anormale.
Le nerf vague innerve tout le tube digestif, ce qui signifie que n'importe quel
endroit du tube digestif contaminé finira par contaminer l'une des
petites fibres du nerf vague, ce qui remontera tout le long de celui-ci
jusqu'à son noyau, qui se situe au niveau de l'obex.
Dans d'autres zones du cerveau -nous en avons fait l'expérience-, les
protéines anormales sont cent fois moins nombreuses, voire mille fois
moins ; c'est arrivé dans un cas. C'est la raison pour laquelle il
faut prendre garde à tenir compte de la bonne zone, sachant qu'au
départ elle était placée dans le formol pour
l'immunohistochimie, donc non disponible pour ce genre de technique.
Une homogénéisation est nécessaire afin de travailler sur
un produit solubilisé ou en suspension. Il s'en suit un traitement de
dix minutes par la protéinase K et une centrifugation de cinq minutes,
ce qui permet un résultat très rapide, puis on resolubilise et
l'on pratique un test de type ELISA, qui demande moins de quatre heures.
Un premier anticorps placé sur une plaque en plastique piège la
protéine, tandis qu'un second anticorps détecte une autre partie
de celle-ci et donne un signal.
Toute cette étude a été réalisée sous la
surveillance de personnes de la DG XXIV, qui allaient jusqu'à
cadenasser nos congélateurs à la fin de la journée pour
s'assurer que nous ne faisions pas autre chose. C'est inhabituel dans le
domaine de la recherche, mais cela permet que les résultats ne puissent
pas être contestés.
Ce qui à mon sens va vous intéresser le plus est un article que
nous avons publié dans « Nature », en janvier dernier, afin de
montrer l'intérêt d'un test sensible pour protéger le
consommateur.
Théoriquement, il nous a été expliqué que ce
n'était pas possible et, déjà avant les études, il
nous avait été signalé que les tests ne fonctionneraient
pas. Par conséquent, tout le monde a été surpris de voir
que c'était possible.
Cependant, ce n'est pas le fait d'effectuer un test plus sensible que les
autres qui est intéressant pour protéger les personnes ; il
est intéressant de ne pas laisser passer un élément
dangereux. Or, la dose minimale infectieuse par voie orale chez l'homme n'est
pas connue, ce qui est un premier obstacle.
Par ailleurs, deuxième obstacle, l'on sait parfaitement que le
système nerveux central est contaminé tardivement, ce qui
signifie que l'on ne peut rien faire pendant toute une période. Il
n'existait donc théoriquement aucun moyen de s'en sortir, mais c'est un
raisonnement fallacieux, ce que je vais vous démontrer.
Si vous prenez un échantillon et que vous procédez à des
dilutions, vous pouvez comparer un test biochimique comme celui que nous avons
développé -nous avons en l'occurrence tenu compte de la version
industrielle du test, car nous ne sommes qu'un institut de recherche ; il
ne nous appartenait pas de le développer et il a été
transféré à un industriel- à l'inoculation à
la souris par voie intra-cérébrale.
Lors d'une dilution au millième, on détecte tout avec le test
biochimique et l'on ne tue plus qu'une souris sur 14 par voie
intracérébrale, ce qui est au-dessous de la DL50 (dose
létale 50 %), qui est le gold standard dans le cadre de ces
maladies. L'on s'est basé sur cet élément pour annoncer
que seuls le cerveau et la moelle épinière étaient
concernés, que la viande n'était pas dangereuse, que le lait ne
posait pas de problème, etc.
Une fois ce type de résultat obtenu, on peut avoir un raisonnement
extrêmement simple. L'on sait de façon expérimentale que
les souris inoculées par voie intra-cérébrale sont cent
fois plus sensibles que les bovins contaminés par voie orale.
Vous entendrez dire parfois que les bovins sont mille fois plus sensibles que
les souris : c'est exact s'ils sont contaminés par voie
intracérébrale, car il est existe une barrière
d'espèce, mais c'est une situation peu courante.
Ce sont les bovins contaminés par voie orale qui nous
préoccupent. Or, l'on sait expérimentalement qu'ils sont cent
fois moins sensibles. Par exemple, avec 100 milligrammes
d'homogénat que nous avions utilisée précédemment,
nous avions de quoi tuer 200 souris contre seulement deux bovins.
Par ailleurs, un homme contaminé par voie orale -sachant qu'il existe a
priori une barrière d'espèce- sera moins sensible qu'un bovin
dans le même cas, ou au pire aussi sensible, étant entendu que
tous les scientifiques ne sont pas d'accord sur cette analyse, qui me semble
pourtant être du bon sens.
J'en ai parlé avec Stanley Prusiner. Il estime que nous n'avons aucune
preuve. Ceci dit, il considérait également, jusqu'à fin
1999, que le nouveau variant n'était pas lié à l'agent de
l'ESB, car cela ne correspondait pas à sa théorie et parce qu'il
n'en avait pas la preuve expérimentale entre les mains. Or, il a
changé d'avis depuis 1999.
Si un test du type souris était systématiquement utilisé
à l'abattoir, cela permettrait d'éliminer tout ce qui est
dangereux pour la souris et donc tout ce qui l'est pour le bovin et pour
l'homme, le seul problème étant qu'il faut un à deux ans
pour obtenir une réponse dans le cadre du test de la souris.
Dans la mesure où il est désormais techniquement possible d'avoir
une réponse en quelques heures et où les abattoirs ont la chance
d'avoir ce qu'ils appellent une phase de ressuyage -une nuit s'écoule
avant que la bête soit découpée-, si vous utilisez un test
de ce type, vous donnez la réponse avant que la bête soit
découpée en petits morceaux et vous pouvez donc la retirer de
l'alimentation.
Une fois cette démonstration faite, je me suis dit que le
problème était réglé et que tout le monde sauterait
de joie en pensant que la filière était sauvée puisque
l'on avait les moyens de protéger le consommateur. Or, je ne sais pas si
vous avez eu la même impression que moi, mais je n'ai noté aucune
réaction nulle part. Pour le moment, alors que ce type de test est
utilisé, personne n'explique qu'il permet de protéger les
personnes, ce qui me surprend énormément.
M. Michel Souplet -
Nous allons l'expliquer.
M. Jean-Philippe Deslys -
Merci, mais je n'ai pas entendu de
débat scientifique à ce sujet et, quand j'en ai parlé aux
Britanniques, ils m'ont répondu que ce n'était pas sûr.
Cela semble pourtant très logique, mais apparemment il existe un frein.
M. le Président
- C'est uniquement une question de seuil de
sensibilité, ce dernier n'étant pas très
élevé. C'est la raison pour laquelle tout le monde est
méfiant s'agissant de ce test.
M. Jean-Philippe Deslys -
Le problème est que les personnes
raisonnent en voulant rechercher la particule infectieuse, sachant que l'on se
situe au-dessous d'un seuil dangereux.
M. le Rapporteur -
A mon avis, si le test le plus sensible avait
été choisi, cela aurait participé à un état
de psychose de l'opinion publique parce que de plus en plus d'animaux
contaminés auraient été détectés.
M. Jean-Philippe Deslys -
Si vous raisonnez par rapport aux animaux
détectés, alors qu'il faut le faire par rapport à ceux que
l'on laisse passer et qui ne présentent pas de danger.
M. le Rapporteur -
Nous sommes bien d'accord.
M. Jean-Philippe Deslys -
Dans un cas l'on raisonne en termes
d'épidémiologie, pour essayer de trouver le plus possible de cas,
et dans l'autre en termes de protection du consommateur, sachant que ce qu'on
laisse passer, quoi qu'il arrive, (même si nous nous battons entre nous
sur l'origine du prion ou sur d'autres sujets) n'est plus son problème
puisqu'il a la garantie que ce qui arrive dans son assiette n'est pas dangereux.
Un autre raisonnement faux qui a cours consiste à se poser la question
de savoir combien de temps avant l'apparition des signes cliniques les cas sont
détectés, mais j'aurais tendance à vous dire que nous nous
en moquons. Ce qui compte est non pas de savoir que la vache va
développer la maladie dans trois jours, six mois ou trois ans, mais de
s'assurer que ce qui arrive dans l'assiette n'est pas dangereux, la courbe de
réplication de l'agent étant un autre problème, qui est
posé aux scientifiques.
M. le Rapporteur -
Ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent de passer
maintenant à une deuxième phase en utilisant un test beaucoup
plus sensible et très clair comme celui-ci ? Je souhaite en tout
cas que nous y arrivions à travers notre rapport, en le
démontrant grâce à vos travaux.
M. Jean-Philippe Deslys -
Cela me semblerait logique.
M. le Président -
Oui, mais ce n'est pas ce qui est fait pour
l'instant.
M. Jean-Philippe Deslys -
Je ne sais pas pourquoi le message ne passe
pas.
M. le Rapporteur -
Nous sommes en train de faire un distinguo entre le
test de Biorad et celui de Prionics.
M. Jean-Philippe Deslys -
Nous pourrions aussi parler du test d'Enfer,
qui est également bon.
M. le Rapporteur -
La presse s'est déjà émue, il y
a quelque temps, en indiquant qu'il existait en effet une première
approche du problème, mais qu'elle était loin d'être
totalement sécuritaire, et je pense que nous ne pourrons pas nous en
satisfaire très longtemps.
M. Jean-Philippe Deslys -
Il existe un ensemble de mesures
complémentaires, celles qui sont prises étant bonnes.
L'élimination des abats à risque, de la cervelle et de la moelle
épinière s'inscrit dans une logique absolue. Cependant, il
faudrait que le système soit cohérent, notamment s'agissant des
farines, certaines situations étant pour moi complètement
incohérentes. La majorité des farines correspondent à des
animaux déclarés bons pour la santé humaine dont les abats
à risque ont été supprimés et qui de plus subissent
un traitement qui n'existe pas chez l'homme (134 degrés-3 bars). Or,
l'on considère cela comme dangereux.
M. le Président -
C'est un problème d'image. Vous avez
raison : les farines sont devenues parfaitement sécurisées.
M. Jean-Philippe Deslys -
Je vous ai parlé de la majorité
des farines, mais pas de la cervelle et de la moelle épinière ou
de la partie des bovins contaminée, qui eux doivent être
considérés comme à risque, prendre une filière
différente et faire l'objet d'un traitement spécifique.
Si l'on mélange tout, l'on arrive à des tonnages tels que les
résultats sont moyens pour tout le monde. Il est beaucoup plus rentable
de cibler ce qui est dangereux et de vérifier que ce qui ne l'est
vraiment pas ne fait l'objet d'aucune fraude, en le traitant comme un
déchet et non plus comme un produit à risque.
M. le Président -
De toute façon, on sépare bien
les matériaux à risque aujourd'hui, les farines devenant tout
à fait utilisables.
M. Jean-Philippe Deslys -
Tout à fait, d'autant plus que les
bovins de plus de 30 mois sont testés, ce qui à mon sens devrait
également être le cas de ceux de plus de 24 mois. D'ailleurs,
l'Allemagne a changé sa politique justement à la suite de
l'utilisation du test français, car elle trouvé 2 bovins de 28
mois contaminés qu'elle n'aurait jamais détectés autrement.
Des personnes déclarent que c'est dangereux, mais sinon ces bovins
n'auraient pas été détectés, car ils ne
présentaient pas de signes cliniques, et seraient passés dans
l'alimentation.
En effet, plus les tests seront sensibles, plus l'on descendra bas, mais cela
devrait au contraire être une garantie de travail bien fait au lieu
d'affoler les personnes, sachant qu'un contrôle à partir de 24
mois serait à mon sens plus logique qu'à partir de 30 mois.
M. le Rapporteur -
Quelques départements utilisent le test Biorad
à travers leurs laboratoires d'analyse, mais ils sont marginaux.
M. Jean-Philippe Deslys -
Cela se passe de façon curieuse en
France. Au départ, tel que nous avions conçu le test -sachant que
nous sommes des scientifiques et que nous considérons la situation
à l'échelon de notre laboratoire-, nous calculions le seuil de
sensibilité très simplement. Nous ajoutions des négatifs
dans la plaque et nous en faisions la moyenne. Le seuil était
fixé à deux fois et demi la moyenne des négatifs et cela
fonctionnait à chaque fois.
Cependant, les industriels nous ont indiqué que c'était
compliqué pour eux et que ce ne serait pas accepté s'ils devaient
envoyer des homogénats, etc., raison pour laquelle ils ont voulu
utiliser un incrément fixe.
Ils ont en l'occurrence ajouté 90 milli DO, ce qui ne change rien pour
nous dans la mesure où les négatifs se trouvent au niveau du
tampon.
Cependant, quand ils ont mis cela en place sur le terrain avec des personnes
qui n'avaient peut-être pas la même façon de travailler
-certaines d'entre elles ne savaient apparemment même pas utiliser une
pipette au départ-, ils ont obtenu des négatifs beaucoup plus
hauts, l'ajout d'un incrément fixe dans ces conditions par rapport
à un tampon qui lui ne bouge pas faisant que certains négatifs
sont au-dessus du seuil.
Ma position est de dire en tant que scientifique qu'il faut revenir à
notre méthode, qui permet d'éviter ces variations, mais celle
retenue par les industriels est d'ajouter un autre incrément fixe pour
tenir compte des négatifs trouvés sur le terrain.
C'est ce qu'ils ont fait dans tous les pays d'Europe et notamment en Allemagne
et en Belgique, où cela a été accepté par la
Commission européenne, sachant que leurs tests sont un peu moins
sensibles que les nôtres mais qu'ils continuent à l'être dix
fois plus que celui de Prionics. Cela se passe très bien, mais cela n'a
pas été accepté en France. La DGAL veut maintenir
l'incrément précédent, puis faire des calculs entre
celui-ci et le nouveau. Ils ont à mon sens une approche très
curieuse du problème.
Enfin, d'autres tests sont en cours d'évaluation. L'un d'entre eux
permet de détecter la maladie dans le sang -il a été
décrit comme tel- des moutons et des hamsters, mais il n'est pas
tellement reproductible pour le moment, et il est très loin d'être
utilisable.
Le laboratoire de Stanley Prusiner a développé un DO aux
Etats-Unis, sachant qu'il avait déjà tenté d'en
déposer un précédemment, mais qu'il n'était pas au
point. Il le fait évaluer par la Commission européenne et
espère le commercialiser.
Les Anglais représentent deux tests. De même, les Hollandais sont
concernés, mais je n'ai pas de précision à ce sujet.
Prionics développe un test Elisa -le western blot étant
très lourd et peu pratique pour les séries importantes-, mais
j'en ignore la sensibilité.
Enfin, nous poursuivons pour aller un peu plus loin, notamment pour les
moutons, ce test fonctionnant également pour ces derniers, pour lesquels
il est beaucoup plus sensible. Cela permettrait de disposer d'un outil afin
d'éliminer systématiquement à l'abattoir, si on le
souhaite, tous les animaux atteints de tremblante. Il ne reste qu'à le
valider.
De manière plus générale, en ce qui concerne notre groupe
et son sujet de recherche, je suis moi-même médecin de formation.
J'ai mis en place le groupe et me suis intéressé plus
particulièrement, au début, à la maladie de
Creutzfeldt-Jakob iatrogène, à la mise à place de
modèles expérimentaux, puis au développement du test.
Corinne Lasmezas, qui est vétérinaire, a procédé
pour sa part à toutes les expériences de transmission à
l'animal, aussi bien chez les souris que chez les primates. Elle s'oriente
aujourd'hui vers d'autres approches, avec des optamères et la recherche
de récepteurs.
Jean-Guy Fournier et Nicole Sales sont des spécialistes de la
morphologie. Nous voulons désormais utiliser tous nos outils pour
étudier ce qui se passe réellement au niveau des cellules.
Karim Adjou est vétérinaire et spécialiste de la
thérapeutique, étant entendu que nous recherchons de nouvelles
approches thérapeutiques dans la mesure où nous sommes
confrontés à un très important problème.
Emmanuel Comoy qui travaillait avec moi, a rejoint Biorad et a assuré le
transfert du test chez les industriels.
Des étudiants se sont occupés de la transmission par voie orale
ainsi que de la recherche de récepteurs et de nouvelles approches pour
rechercher des gènes dérégulés qui pourraient
servir de nouveaux marqueurs.
Enfin, nous avons des techniciens pour nous aider.
M. le Rapporteur -
J'ai noté dans votre exposé quelques
points qui correspondent à autant de questions. Avez-vous une approche
des tests ante-mortem ?
M. Jean-Philippe Deslys -
Les tests qui existent actuellement dans ce
domaine sont effectués sur les tissus accessibles que sont les
amygdales, la troisième paupière et les ganglions, qui sont
limités au mouton.
A cet égard, je ne vous ai pas précisé que, s'agissant des
tests auxquels nous avons procédé sur les dilutions, nous avons
effectué des vérifications chez les animaux au stade
pré-clinique, en trouvant la même corrélation entre la
souris et le test biochimique.
Le test ante-mortem est possible chez le mouton. Quant au sang, c'est une
question de sensibilité. Nous avons de premiers indices grâce
à l'approche de Marie-Jo Schmerr et nous devrions être capables de
détecter la protéine anormale chez le mouton dans le sang.
La seconde cible sera l'homme, sachant que ce sera plus difficile, que les
tests devront être encore plus sensibles et que si nous parvenons
à un résultat ce sera mauvais signe pour la transfusion sanguine.
Cela posera également des problèmes d'éthique, la question
étant de savoir comment procéder pour les patients dont il aura
été démontré qu'ils sont en période
d'incubation de la maladie et pour lesquels il n'existe pas de traitement pour
le moment. C'est la raison pour laquelle nous essayons avec acharnement de
trouver de nouvelles voies thérapeutiques.
En revanche, nous ne voyons pas comment faire pour les bovins dans la mesure
où nous ne trouvons pas de protéines anormales dans leur sang.
Cependant, un article est récemment paru dans « Nature
médecine » qui indique qu'en cas de maladie un gène est
dérégulé, le marqueur qui stimule normalement la
différenciation des érythrocytes étant abaissé.
C'est très curieux, car cela signifie que c'est un mécanisme
complètement indirect.
Personne ne comprend quel est le mécanisme, raison pour laquelle nous
avons recherché d'autres approches -par PCR- pour trouver de nouvelles
cibles. Cela modifierait le problème si elles étaient applicables
pour le sang,.
En tout cas, à court terme, aucun test ne sera utilisable avant au moins
un an -c'est un grand minimum- différemment de ce qui est fait
actuellement.
M. le Rapporteur -
Concernant la problématique de la transfusion
sanguine, les Américains, dans le cadre des dons du sang, ont pris la
précaution d'écarter certaines personnes.
M. Jean-Philippe Deslys -
Celles qui ont séjourné plus de
six mois en Grande-Bretagne et dix ans en France, mais je pense que le Canada a
été encore plus restrictif. C'est un principe de
précaution. A partir du moment où le nombre de cas est impossible
à prévoir, avec des patients en incubation potentiellement
porteurs, c'est relativement logique si cela ne perturbe pas l'équilibre
transfusionnel du pays. Il est tellement plus simple de procéder de la
sorte ! Cela fait partie des mesures globales en termes de précaution.
Il existe également des mesures techniques qui consistent en la
déleucocytation, le sang contenant grosso modo des globules rouges et
des produits stables. Les produits labiles peuvent être
déleucocytés, c'est-à-dire être
débarrassés des globules blancs en passant dans des filtres qui
vont les retenir, avec une grande efficacité, 90 % de
l'infectiosité étant considérés comme liés
aux globules blancs. Ceci dit, que l'efficacité de
déleucocytation soit égale à un facteur de 10, 100 ou 10
000, cela ne changera pas grand-chose ; il restera toujours 10 % que
vous ne pourrez pas toucher.
De plus, ces agents ont la propriété de se coller partout sur les
membranes et si l'on vous indique que les globules rouges n'en contiennent pas
on ne peut pas oublier que l'on n'est pas capable de concentrer ces derniers
suffisamment pour les injecter.
C'est facile pour les globules blancs, car les cellules sont peu nombreuses,
mais les globules rouges représentent un volume important, un cerveau de
souris pesant 400 milligrammes. L'on ne peut pas y injecter plus de 20
microlitres, ce qui montre les limites du système.
Concernant les produits labiles, il est également possible de
procéder à des nanofiltrations. Le LFB (laboratoire de
fractionnement du sang) a développé ce genre de technique sur les
facteurs anti-hémophiliques, mais j'ignore où il en est
exactement. En tout cas, ce sont là aussi des techniques reconnues comme
efficaces, qui diminueront énormément le risque. Cela semble
raisonnable ajouté au facteur de dilution.
M. le Rapporteur -
Qu'en est-il de la contamination éventuelle du
lait ?
M. Jean-Philippe Deslys -
Je ne vous ai pas parlé de la
contamination de l'environnement, qui est également un problème.
L'on n'a jamais rien trouvé pour le lait, mais là encore le
facteur de dilution est énorme et l'on est limité dans ce que
l'on peut inoculer. Par ailleurs, l'on ne s'est pas spécifiquement
intéressé, à mon sens, au lait d'animaux atteints de
mammite, etc., qui contient des cellules, d'autant plus quand il provient d'une
vache infectée. J'ai appris à cet égard que les vaches
développaient d'autant plus de mammites qu'elles sont traitées
avec des hormones de croissance, qui elles-mêmes sont
théoriquement interdites en France, mais pas aux Etats-Unis, où
elles sont utilisées à très grande échelle.
Concernant l'environnement, nous observons une contamination de tout le tube
digestif. Cela commence par les plaques de Peyer, qui sont les premiers relais
et -nous l'avons noté chez les souris que nous avons
étudiées- dans les endroits faisant l'objet d'une concentration
anatomique de cellules du système immunitaire, mais les cellules qui
sont dispersées dans la paroi sont contaminées et c'est à
la fin de la maladie le cas de tout le tube digestif, sachant que chez la
souris la répartition n'est pas la même en fonction des souches.
Dans le cas de la tremblante, tout le tube digestif est contaminé, alors
que pour l'ESB c'est uniquement le cas des plaques de Peyer, toutes les souches
ne se comportant pas de la même façon. Il est important de le
retenir.
Qu'en est-il chez les moutons ? Il a toujours été
indiqué officiellement que les fèces n'étaient pas
dangereux. Cependant, j'ai effectué des calculs pour voir s'ils
étaient dangereux ou pas, sachant qu'une souris produit par jour 1
gramme de crottes pour un poids de 20 grammes, ce qui est représente un
volume de dilution énorme. Je vous déconseille d'ailleurs
d'injecter des matières fécales concentrées dans le
cerveau d'un animal, car en général cela se passe mal.
Tous ces phénomènes mis bout à bout vous expliquent
pourquoi nous ne parvenons pas à nous y retrouver, mais il faut
également tenir compte d'un phénomène de logique. Par
exemple, un pays comme l'Islande n'arrivait pas à se débarrasser
de la tremblante malgré des campagnes très dures
d'éradication, sachant qu'il a pour caractéristique des hivers
très rudes, les animaux étant confinés dans des
étables pendant tout ce temps.
A l'inverse, l'Australie et la Nouvelle Zélande, qui ont importé
des moutons très contaminés de Grande-Bretagne du temps du Roi
George III, s'en sont débarrassés naturellement, sans campagne.
J'ai donc l'impression qu'un facteur de transmission horizontal pourrait
être lié aux fèces et pas seulement au placenta, comme
certains l'ont dit.
J'en ai discuté notamment avec les spécialistes américains
avec lesquels nous collaborons justement pour explorer ce
phénomène dans le cadre du « Chronic Wasting Disease ».
Quand les animaux sont maintenus en captivité, la maladie se
répand beaucoup plus rapidement. Ce sera par exemple le cas de
100 % des cerfs mulets (« mule deer ») maintenus dans
cet état, ce qui n'est pas lié au placenta, (la placentophagie
étant un système classique de défense contre les
prédateurs, afin de pas laisser traîner un tissu sanguinolent dans
l'environnement).
M. le Rapporteur -
Cela voudrait dire que la concentration de
fèces dans un environnement relativement limité peut
entraîner une pollution tellurique importante.
M. Jean-Philippe Deslys -
Les champs à tremblante sont connus.
L'on sait que certains champs ont été contaminés pendant
des années. Paul Brown a mené « l'expérience du
pot de fleurs », en mélangeant de la cervelle infectée
à de la terre dans un pot de fleurs qu'il a enterré dans son
jardin pendant trois ans. Quand il l'a déterré puis a
récupéré la terre, cela avait perdu moins d'un facteur 60,
alors qu'il avait mis plusieurs millions d'unités infectieuses.
Cela pose également des problèmes pour les instruments. L'on
raisonnait par rapport à ce que l'on savait desorber mais, quand on
inocule la souris directement par une tige en acier qui a été
contaminée, puis lavée et rincée, même si l'on ne
détecte plus rien sur celle-ci, elle se révèle infectieuse
pour la souris, ce qui pose problème.
M. le Rapporteur -
Par conséquent, on ne peut pas exclure la
contamination environnementale, loin de là.
M. Jean-Philippe Deslys -
Non.
Je ne suis pas trop inquiet pour les bovins dans la mesure où l'on ne
trouve pas ces agents à des niveaux détectables dans le tube
digestif, ce qui signifie que les maladies seront peu nombreuses. En revanche,
les données changent pour le mouton et la chèvre, de même
qu'il faut se poser des questions sur les stations d'équarrissage. Que
font-elles de leurs effluents liquides ? Que se passe-t-il dans les
stations d'épuration ? Que deviennent les boues d'épuration
ensuite ? etc.
Nous parvenons en laboratoire à diluer d'un facteur 1 000 à 10
000 un cerveau infectieux avant de perdre le signal. Par conséquent, si
le seuil diminue d'un facteur semblable, on se rend bien compte, en plus des
autres arguments que j'ai développés, que cela apporte une
sécurité, mais il faut vérifier qu'il n'existe pas de
maillon faible. Il faut savoir comment nettoyer et décontaminer
l'abattoir, quoi faire des effluents, etc.
Il m'a été demandé au moment de la mise en place des tests
s'il fallait les réaliser en P3, alors que paradoxalement les ouvriers
retiraient la moelle épinière à main nue dans les
abattoirs, ce qui était totalement incohérent.
Si l'on commence à dire qu'il faut absolument des P3 pour analyser des
bouts de cervelle, il faut mettre tous les abattoirs en P3, en étant
logique jusqu'au bout.
A l'inverse, s'agissant des tests, les bonnes pratiques de laboratoire
suffisent, étant entendu qu'il ne faut pas s'amuser à jeter
à l'égout certains éléments. Il suffit que les
laborantins portent des blouses, des masques et des gants pour travailler
proprement, dans une pièce qui ne soit pas ouverte aux quatre vents et
qui ferme avec une porte, ce qui n'est pas extraordinaire, les effluents devant
être décontaminés proprement. En appliquant ces mesures
simples, qui ne coûtent pas cher, le résultat est une
propreté cent ou mille fois supérieure à celle que l'on
trouve dans les abattoirs. Il faut une gradation ; sinon cela ne sert
à rien.
M. le Rapporteur -
Les USA nourrissent aussi leurs animaux avec des
farines animales et utilisent le même process : comment se fait-il
qu'ils n'aient enregistré aucun cas avéré de maladie ?
M. Jean-Philippe Deslys -
Le phénomène actuel est dû
à la conjonction de deux facteurs : une dose suffisamment
infectieuse au départ et une amplification. Les USA ont apparemment
réussi à verrouiller suffisamment leurs frontières pour
éviter des importations trop importantes d'Angleterre.
D'ailleurs, si nous suivons ce qui s'est passé à partir de
l'Angleterre, nous nous rendons compte que les pays géographiquement les
plus proches se sont retrouvés en première ligne, en dehors de la
Suisse, pour des raisons commerciales tout à fait particulières.
Nous savons que les USA ont rencontré des problèmes dans le
Vermont, avec des troupeaux de moutons qu'ils ont importés en 1996,
juste avant les mesures d'embargo, et qu'ils viennent seulement de les
sacrifier, après une bataille juridique effarante.
Si j'ai bien compris, d'après les informations en ma possession, les
moutons qu'ils ont importés ont développé des signes de
tremblante quelque temps après. Ils ont été mis en
quarantaine mais, du fait des particularités juridiques en vigueur aux
USA, ils n'ont pas pu être sacrifiés et ont donc été
maintenus.
Un scientifique a procédé à un essai et a trouvé un
western blot positif, avec un profil un peu bizarre, ce qui a été
ensuite amplifié et bloqué par les avocats. Les
prélèvements n'étaient pas disponibles et cela a
été une procédure extraordinaire. Je n'arrive pas à
titre personnel à comprendre comment, à partir du moment
où l'on sait qu'un problème de santé publique se pose, un
troupeau touché n'est pas abattu. C'est l'avantage des services
vétérinaires, mais c'est plus compliqué aux USA.
Quant aux farines, j'ignore si les USA en ont importé ou non. Ils ont en
effet la possibilité d'amplifier le risque de par leur système,
mais ils ont sur nous un avantage avec les tourteaux de soja. Ils n'avaient pas
le même besoin de supplémenter, ce qui renvoie à la notion
de dose. Si l'on en reste à des doses suffisamment basses, cela ne pose
pas de problème.
M. Paul Blanc -
Vous avez indiqué qu'à votre connaissance
l'importation des abats a été multipliée par 20.
M. Jean-Philippe Deslys -
Ce sont les chiffres que m'a fournis
Mme Brugère-Picoux.
M. Paul Blanc -
Il y a là une discordance avec ce qui nous a
été indiqué ce matin.
Vous pensez donc que les tests tels qu'ils sont pratiqués aujourd'hui
peuvent être qualifiés de sécuritaires. Cela signifie que,
s'ils sont négatifs, il n'y a pas de raison d'avoir suffisamment de
concentration de prion qui puisse contaminer.
M. Jean-Philippe Deslys -
Je considère à titre personnel
que c'est en cela qu'il manque une phase. Il faudrait qu'un débat
contradictoire ait lieu entre scientifiques, sur cette base, pour savoir s'ils
considèrent que le niveau de sécurité apporté par
le niveau de sensibilité d'un test utilisé dans telle et telle
conditions est garanti. En effet, mon raisonnement a été
validé sur le plan scientifique -il a été publié
dans une revue du type « Nature »-, mais cela s'est
arrêté là.
M. Paul Blanc -
Si tel est le cas, il n'est pas la peine de
développer des tests plus sensibles.
M. Jean-Philippe Deslys -
Plus les tests seront sensibles, plus vous
aurez une garantie, ce qui est toujours préférable. Si je pouvais
effectuer un test encore plus sensible, je serais encore plus content. Ceci
dit, le fait d'en être arrivé là avec la souris...
M. Paul Blanc -
Nous avons atteint un seuil de sécurité.
M. Jean-Philippe Deslys -
Nous atteignons un seuil qui semble
extrêmement satisfaisant.
M. Jean Bernard -
Quand nous sommes allés dans le Doubs, on nous
a parlé de la repopulation des élevages qui avaient
été supprimés sans qu'aucune mesure de désinfection
ait été prise.
M. Jean-Philippe Deslys -
S'il s'agit d'élevages bovins, cela me
gêne peu, car la transmission n'est pas horizontale parmi ceux-ci.
M. Jean Bernard -
Je le sais, mais cela pose problème aux yeux
des ressortissants qui ont eu à subir cela. Ils se sont
interrogés sur le fait de remettre des animaux dans un milieu
suspecté d'être infectieux.
M. Jean-Philippe Deslys -
C'est la tremblante qui pose problème,
l'Islande ayant mis en place des mesures drastiques. Elle a enlevé la
couche superficielle de terre, en traitant largement le sol à la chaux
vive.
Ce qui se dit s'agissant des élevages est que, dès qu'un cas
positif est détecté, il faut que le troupeau ait
été éliminé dans les six mois. L'on ne s'en sort
pas en attendant deux ou trois ans.
Cependant, cela dépend des modèles. Je vous décris le
modèle le plus extrême, la chronic wasting disease, qui a un
comportement anormal et peut toucher 100 % des animaux, ce qui est
très spectaculaire, mais le taux est estimé à 2 %
chez les moutons, qui sont pourtant parqués, et l'on considère
que chez le bovin il n'existe pas de transmission horizontale et que tout a
été transmis via les aliments contaminés.
Quant à la transmission materno-foetale, elle est estimée dans
10 % des cas au cours des derniers mois de gestation, sachant que
l'expérience n'était pas parfaite puisqu'elle avait
été menée sur des animaux qui avaient été
partiellement nourris avec des farines contaminées.
M. Jean Bernard -
Il nous a été indiqué qu'en
Australie la tremblante a été éliminée quasiment
naturellement.
M. Jean-Philippe Deslys -
En effet. C'est apparemment la concentration
des animaux qui augmente le risque.
M. Georges Gruillot -
Le délai d'incubation semble avoir une
relation directe avec la dose. Plus elle augmente, plus il est réduit.
M. Jean-Philippe Deslys -
Jusqu'à une certaine limite. Je vais
prendre l'exemple de la souris, car c'est le plus simple. Si je me prends un
homogénat à 25 %, 10 % ou 1 %, cela ne changera
rien à trois jours près. En revanche, si je dilue d'un facteur 10
supplémentaire, les souris mourront une semaine plus tard, si je le fais
à nouveau un mois plus tard, etc. La mortalité sera au
début toujours de 100 %, mais à la fin quelques animaux
survivront, puis 50 %, puis 99 % et en définitive plus aucun
d'entre eux ne mourra.
M. Jean Bernard -
Avez-vous des échanges avec les laboratoires
qui travaillent dans le même domaine de recherche que vous ?
M. le Président -
Notre collègue veut savoir si vous avez
des contacts avec des laboratoires tels que le vôtre qui travaillent sur
le même problème et si vous échangez vos connaissances.
M. Jean-Philippe Deslys -
Enormément de collaborations ont
été favorisées par les programmes de recherche
initiés en France. Les premiers ont commencé en 1994 et les plus
importants en 1996. Il s'agissait de programmes faits pour
fédérer les personnes et pour obliger de nouvelles équipes
à s'impliquer.
Dans la mesure où nous avions le savoir-faire et les installations, nous
avons collaboré avec beaucoup de personnes, le même
phénomène s'étant produit sur le plan européen. Je
pense que notre laboratoire est aujourd'hui celui qui a développé
le plus grand nombre de collaborations européennes et françaises,
ce qui a été très efficace.
Les PRR (Projets de Recherche en Réseau) ont été le second
phénomène efficace, à travers des actions
coordonnées ou assez libres, mais de façon plus incitative. L'un
des buts était par exemple de développer les anticorps.
M. le Président -
Nous avons reçu la semaine
dernière, en Angleterre, le Pr Will. Partagez-vous sa façon
de concevoir l'évolution de la recherche sur cette maladie ?
M. Jean-Philippe Deslys -
Le Pr Will est très ouvert -nous avons
en revanche, des difficultés à obtenir des informations d'autres
collègues- sachant que sa spécialité est
l'épidémiologie chez l'homme.
M. le Rapporteur -
Nous croyons savoir que depuis une dizaine
d'années, quand les enfants anglais subissent une extraction des
amygdales, cela donne lieu à des coupes histologiques, ce qui permet de
commencer à avoir une photographie de la quantité de prions qui
existe chez ceux ayant fait l'objet de ce type d'opération. Avez-vous
des échos sur les interprétations aujourd'hui possibles ? Un
document m'a été promis.
M. Jean-Philippe Deslys -
Vous aurez donc plus d'informations que nous.
M. le Rapporteur -
Il m'a été promis, mais je ne suis pas
certain que nous l'aurons ; c'est le problème.
M. Jean-Philippe Deslys -
Il est très difficile d'avoir des
informations, sachant que ce sont au début les équipes de
Cellenge qui s'étaient attelées à cela.
Je ne sais pas si les techniques utilisées à l'époque
étaient les plus sensibles, car les prélèvements
étaient formolés, donc inutilisables pour les autres techniques
ensuite.
Par ailleurs, les collectes ont commencé après la période
la plus à risque, étant entendu qu'avant 1996 il n'existait
officiellement aucun risque pour l'homme, raison pour laquelle personne ne se
préoccupait de ce genre de sujet.
Théoriquement, les individus n'ont plus été du tout
exposés à partir de 1996. Il faut voir à partir de quel
âge les enfants se font enlever les amygdales mais, le temps que cela se
mette en place, il est très probable que l'on ait affaire à une
population située au-delà de la période la plus
dangereuse. Il sera difficile, à l'intérieur de celle-ci, qui ne
sera plus assez représentative, de rechercher un événement
que l'on espère être rare, surtout en n'utilisant pas la technique
la plus efficace.
M. Michel Souplet -
Depuis que notre commission travaille, je me suis
aperçu que nous sommes en France relativement en avance sur le plan de
la recherche, des tests, etc. Cependant, je suis surpris : on nous parle
de 98 cas d'humains atteints en Grande-Bretagne -après qu'il ait
été question de 85 personnes-, d'un cas en Irlande et de trois en
France, dont le troisième date déjà de plusieurs
années.
On ne semble entendre parler de cas dans aucun autre pays du monde. Nous
camoufle-t-on la vérité, notamment s'agissant des pays
traditionnellement exportateurs, ou fait-on en sorte que cela ne transpire
pas ?
En effet, cela devient très grave. Nous parlons de
traçabilité pour satisfaire les consommateurs français ou
européens et nous allons consentir des efforts énormes, mais nous
serons concurrencés par les importations d'animaux provenant d'autres
pays qui nous diront n'avoir jamais détecté aucun cas. J'aimerais
que nous parvenions à savoir si des personnes meurent et sont malades
ailleurs.
M. Jean-Philippe Deslys -
Tout le monde a pu constater que, tant
qu'aucun test n'a été effectué, aucun cas n'a
été détecté chez les bovins dans plusieurs pays d'
Europe, cette certitude de l'absence de cas ayant même conduit à
une absence totale de mesures de précaution. Par exemple, l'Allemagne a
continué à incorporer de la cervelle et de la moelle
épinière jusqu'en novembre, sachant que les produits pouvaient
parfaitement revenir chez nous dans le cadre du libre commerce.
Par ailleurs, les cas sont encore très peu nombreux chez l'homme, tout
le monde espérant que nous en resterons là. De toute
façon, quand bien même beaucoup de cas feraient leur apparition,
nous serions toujours dans la situation où il s'agirait des personnes
qui ont été contaminées le plus tôt et avec les
doses les plus fortes, dans le pays qui totalise 98 ou 99 % des cas et
chez le principal importateur, à savoir la France. Quant à
l'Irlande, la personne touchée vivait auparavant en Angleterre. Par
conséquent, la situation est complètement logique pour le moment.
En revanche, nous devrions voir apparaître des cas ailleurs si le nombre
de ceux qui existent en Grande-Bretagne et en France croît de
façon importante. Nous sommes pour le moment dans une période
d'incubation courte.
M. le Président -
Nous avons pu vous poser toutes les questions
que nous souhaitions. Merci beaucoup pour la quantité et surtout la
qualité des renseignements que vous nous avez fournis. Vous nous avez
fait comprendre un certain nombre de choses.