Audition de M. Bernard KOUCHNER, Ministre délégué
à la
Santé
(4 avril 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Tout d'abord, merci,
Monsieur le Ministre, d'avoir répondu à notre convocation. Vous
êtes auditionné cet après-midi en tant que Ministre
chargé de la santé dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire mise en place par le Sénat sur le problème de
l'utilisation des farines animales et les conséquences que cela a
entraîné avec le développement de l'ESB ainsi que celles
qui en résultent pour la santé des consommateurs. C'est bien
sûr plus à ce titre que nous vous auditionnons.
Je ne vous apprendrai rien en vous indiquant que dans les commissions
parlementaires les témoignages doivent avoir lieu après avoir
prêté serment. C'est la raison pour laquelle je vais vous rappeler
les conditions dans lesquelles fonctionne une audition. Je vous demanderai
à la fin de bien vouloir prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Kouchner.
M. le Président -
Je dois également demander à vos
collaborateurs de bien vouloir prêter serment, car nous devons respecter
les règles s'ils ont à s'exprimer à un moment ou un autre.
M. Salomon
- Je le jure.
M. Brucker
- Je le jure.
M. Voiturier
- Je le jure.
M. le Président -
Je vais dans un premier temps, si vous le
voulez bien, vous passer la parole pour que vous puissiez nous donner votre
sentiment sur cette affaire et ses conséquences sur la santé
publique. Ensuite, si vous le permettez, nos collègues pourront vous
poser les questions qu'ils souhaitent.
M. Bernard Kouchner -
Merci, Monsieur le Président. Je suis
très heureux d'être devant vous et de répondre avec le plus
de précisions possible aux questions des sénateurs qui sont avec
vous.
Ce sera peut-être un peu fastidieux pour vous qui connaissez le sujet
-vous venez de plus d'entendre des spécialistes-, mais je me dois du
point de vue du Ministre de la Santé de vous indiquer assez sommairement
comment je vois la situation, comment nous l'avons vue et comment
éventuellement nous la verrons.
Les maladies à prions sont devenues -elles ne l'étaient pas
auparavant car nous ne les connaissions pas- une priorité pour le
Ministère de la Santé à partir des descriptions des
premiers cas iatrogènes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Je vous
rappelle qu'il existe plusieurs formes de celle-ci :
La maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, que l'on connaît depuis le
début du siècle (avec 80 à 90 cas par an) et dont
l'incidence est stable.
Les formes familiales, d'origine génétique, qui sont
extrêmement rares. Nous avons répertorié 62 cas depuis 1992.
Les formes iatrogènes. Nous déplorons aujourd'hui 84 cas, dont
hélas 78 décès, sur les 1 000 enfants potentiellement
contaminés qui avaient été traités par l'hormone de
croissance extractive entre 1983 et 1985 en France, la première
description de ces cas datant des années 1990.
On note plusieurs dizaines de cas mondiaux après utilisation de la
dure-mère, c'est-à-dire en neurochirurgie, en stomatologie, en
oto-rhino-laryngologie et en radiologie interventionnelle.
On note également quelques cas mondiaux après utilisation
d'instruments neuro-chirurgicaux contaminés ou d'électrodes de
stéréo-électroencéphalogramme.
2 à 3 cas mondiaux ont été détectés
après des greffes de cornée.
En revanche, aucune transmission verticale (mère-enfant) ou par
transfusion n'a été démontrée, ce qui
résulte d'une étude européenne.
Nous avons concernant les premiers cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob pris
rapidement des mesures de santé publique en France en renforçant
la surveillance, à travers :
Depuis 1992 -j'étais Ministre de la Santé à
l'époque-, le réseau de surveillance multidisciplinaire,
l'INSERM, des neurologues et des biologistes.
Le centre national de référence de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob iatrogène, qui siége à la Pitié,
avec déclaration obligatoire des encéphalopathies spongiformes
subaiguës depuis 1996.
Le réseau coordonné par l'Institut national de veille sanitaire,
depuis l'an 2000, c'est-à-dire l'INSERM (avec l'unité 360), les
DDASS, les neurologues et le CEA.
Le réseau français est intégré dans une action
concertée européenne, Biomed.
Nous avons également tenté de prévenir le risque
iatrogène, des mesures ayant été prises et au fur et
à mesure de l'évolution des connaissances scientifiques, car je
vous rappelle que nous n'y connaissions pas grand-chose.
Elles ont concerné tous les risques connus, avérés ou
théoriques, et se sont appuyées à chaque fois sur les avis
d'instances comme le Conseil supérieur d'hygiène publique de
France, le Comité interministériel sur les
encéphalopathies spongiformes, dirigé par le Dr Dormont, ou les
agences que nous avons créées au fur et mesure depuis 1992.
L'hormone de croissance extractive a été traitée
dès 1987 puis remplacée par une hormone de synthèse
dès 1988.
Nous avons décidé en 1992 que la maladie de Creutzfeldt-Jakob
était une contre-indication aux dons d'organes et de sang et nous avons
interdit l'utilisation de la dure-mère dès 1994, celle-ci ayant
été remplacée par du tissu de synthèse. Je vous
rappelle que la dure-mère était avec d'autres tissus ce qui
était conservé de façon assez curieuse dans les
frigidaires autour des salles d'opération, etc.
Enfin, des mesures spécifiques de prévention ont
été prises contre la transmission par les instruments en milieu
hospitalier dès 1995. D'ailleurs, nous poursuivons et nous modifions les
consignes données aux établissements hospitaliers au fur et
à mesure des connaissances, car bien entendu la situation évolue.
Concernant la sécurité sanitaire du médicament, nous avons
évalué à partir de 1991 au cas par cas le risque le risque
d'encéphalopathie spongiforme bovine avec la Direction de la pharmacie
puis l'Agence du médicament.
Nous avons commencé par retirer les lyophilisats de foie de bovins, de
testicules de taureaux, d'extraits d'hypophyses et de surrénales, etc.,
qui représentaient des fortifiants dont certains étaient
utilisés par voie injectable.
Nous avons interdit les matériaux à risques
spécifiés en 1992, 1996 et 1997 et l'embargo sur les produits
bovins d'origine britannique date de 1991, alors que j'étais
déjà Ministre de la Santé.
Nous avons en 1996 substitué progressivement des dérivés
végétaux aux dérivés animaux et nous sommes
partenaires d'une certification européenne pour les médicaments
contenant des gélatines d'origine bovine depuis mars 2001, sachant que
la revue de tous les dossiers d'AMM prend beaucoup de temps, mais qu'il
faudrait savoir remplacer au mieux les gélatines, ce que nous ne savons
pas faire actuellement.
Concernant les mesures de sécurité sanitaire et de
précaution vis-à-vis des produits sanguins, nous avons dès
1992 exclu du don du sang les malades atteints de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
Nous avons en 1993 rappelé systématiquement les
dérivés du sang issus d'un donneur ayant développé
ultérieurement la maladie.
Nous avons en 1997 exclu les donneurs à risque
(antécédents familiaux, traitement par hormones extractives,
neurochirurgie, transfusés et greffés).
Nous avons en 1998 déleucocyté -l'on dit aujourd'hui «
leuco-réduit », car le déleucocytage n'est jamais
effectué complètement- les produits sanguins labiles, avec
l'interdiction du plasma d'origine britannique.
Nous avons en décembre 2000 exclu du don du sang les personnes ayant
séjourné plus d'un an en Grande-Bretagne entre 1980 et 1996.
La leuco-réduction des plasmas destinés au fractionnement a
été rendue opérationnelle en avril 2001.
Nous avons procédé à la nanofiltration des
médicaments dérivés du sang et à l'information des
prescripteurs pour le respect strict des indications relatives aux produits
sanguins.
Concernant la sécurité sanitaire des greffes, nous avons exclu du
don les donneurs dits à risque, entre 1992 et 1996, et interdit les
greffes de dure-mère, tympans, rochers.
S'agissant de la sécurité des dispositifs médicaux, nous
évaluons le risque -j'aimerais en parler avec vous, car il est
difficilement évaluable- en appliquant le principe de précaution
depuis 1996.
Nous procédons à la vérification des procédures de
désinfection, mais cela évolue, et nous prônons le
développement du matériel à usage unique, ce qui est
facile à dire, mais très difficile à mettre en place.
Enfin, nous avons mis en oeuvre le marquage CE et la traçabilité.
Pour revenir sur le matériel à usage unique, les premières
tentatives faites pour les endoscopes ont été couronnées
d'échecs, sachant que c'est horriblement difficile et que cela
coûte très cher.
De plus, un certain nombre d'oto-rhinos nous font remarquer -même si nous
devrons passer sur cela- que le prix de la consultation équivaut
à peu près au tiers de celui de l'enveloppe de plastique
destinée à protéger l'endoscope.
Pour les matériels à usage unique, par exemple en endoscopie
digestive, nous entrons dans des domaines inimaginables. La désinfection
des instruments et les mesures de stérilisation -nous avons
envoyé la dernière circulaire il y a un mois- coûte plus de
650 MF, et nous ne sommes pas vraiment certains du résultat. C'est ce
qu'indique en particulier le Comité du Dr Dormont.
Nous avons considéré pendant très longtemps
-c'était une culture commune- l'encéphalopathie spongiforme
bovine comme une maladie animale facile à éradiquer et qui
concernait essentiellement la Grande-Bretagne.
En tout cas, l'encéphalopathie a probablement toujours existé,
avec des cas sporadiques et rares, une tremblante ayant été
décrite chez le boeuf en 1882, l'incubation moyenne étant
à notre connaissance pour le moment -mais cela évolue- d'environ
cinq ans.
Nous avons considéré initialement l'encéphalopathie comme
une maladie animale fort proche de la tremblante du mouton, connue depuis des
siècles et qui à notre connaissance n'a jamais
présenté de danger pour l'espèce humaine.
Quant au suivi des épizooties et à la sécurité des
denrées animales et alimentaires, ils sont juridiquement du ressort
exclusif du Ministère de l'Agriculture, même si nous entretenons
avec ce dernier des rapports excellents et une consultation permanente, ce qui
n'était pas évident il y a dix ans.
Cette situation de connaissance partielle de la maladie a prévalu
jusqu'au début 1996, quand nous avons eu connaissance de la description
du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de son lien avec
l'encéphalopathie spongiforme bovine.
Nous avions auparavant pris des mesures à titre de précaution,
dont certaines à mon initiative. Par exemple, nous avons retiré
les petits pots des pharmacies qui contenaient des cervelles ou des
ingrédients animaux à risque, en particulier quand ils venaient
d'Angleterre. Nous l'avons fait à notre initiative, en 1991 et 1992,
pour éviter la contamination humaine.
L'encéphalopathie a toujours été considérée
comme un problème transitoire dès lors que son origine
était identifiée. Non seulement elle nous semblait beaucoup plus
frapper les animaux et donc être du ressort du Ministère de
l'Agriculture, mais elle nous paraissait également poser un
problème transitoire.
Les farines animales de viande et d'os, qui ont permis le passage d'agents
infectieux lors d'une modification des procédés de fabrication
des farines en Grande-Bretagne, en 1982, la délipidation à
l'hexane ayant été supprimée, nous semblaient encore une
fois concerner les animaux.
Les animaux malades ont été initialement recyclés -ce qui
est une autre faute- après l'arrêt de la délipidation, dans
le circuit des farines, à un stade où l'épizootie
n'était pas encore reconnue, ce recyclage n'ayant fait que l'amplifier.
Enfin, l'importation des farines britanniques a été interdite
dès 1989 et l'utilisation des farines de viande et d'os pour les bovins
dès 1990, par un arrêté que vous connaissez.
Voilà pourquoi la situation nous semblait à cette époque
non pas maîtrisée, mais en voie de l'être. Par ailleurs,
l'encéphalopathie spongiforme bovine nous a semblé pendant
très longtemps être un problème qui ne concernait que le
Royaume-Uni puisqu'il n'existait en France aucun signe d'épizootie, au
début des années 1990, après la mise en place de la
Brigade nationale d'enquête vétérinaire, sachant que la
décision avait été prise d'abattre tout le troupeau
lorsqu'un animal était atteint.
Enfin arrive la description d'un lien entre le nouveau variant de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob et l'encéphalopathie spongiforme bovine, en 1996, ce
qui représente une nouvelle menace pour la santé publique.
Le premier cas est détecté en Grande-Bretagne, en 1994, et la
description officielle arrive en mars 1996, sachant que depuis, hélas,
97 cas ont été répertoriés en Grande-Bretagne, 1 en
Irlande et 3 en France, dont 2 décès.
La présentation clinique est très particulière :
troubles neuropsychiatriques, pas d'élément pour une origine
iatrogène, dépression, anxiété, etc. Il s'agit en
fait d'un syndrome au départ relativement banal, mais il est
aggravé par un syndrome démentiel, des douleurs très
fortes, etc.
L'attention portée à partir de 1996 témoignait d'une
infectiosité très différente de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob classique. En effet, l'agent semblait beaucoup plus virulent
et la distribution de la maladie d'abord périphérique (organes
lymphoïdes, rate, puis système nerveux, liquide
céphalo-rachidien).
Quelle en est l'origine ? A moins que vous ayez des éclairages
à ce sujet, nous n'avons que des hypothèses. S'agit-il de viandes
broyées mécaniquement ? L'infectiosité est-elle due
aux couteaux de boucherie contaminés par la cervelle dans les
années 1980 ? S'agit-il en outre d'une prédisposition ou
d'une susceptibilité génétique ?
Personne n'en sait rien. J'ai assisté pendant deux jours à une
réunion à l'Académie des sciences, avec les meilleurs du
monde et en particulier le Prix Nobel M. Prusiner : il existe en
effet des hypothèses sur la distribution génétique, mais
ce ne sont que des hypothèses.
On pense que l'incubation est très longue (au moins 10 à 15 ans),
certains parlant d'une plus longue durée, sachant qu'il n'existe pas de
traitement et que la moyenne d'âge des personnes atteintes est de 30 ans.
Nous avons réagi en terme de sécurité sanitaire,
c'est-à-dire que nous avons tenté, par des circulaires, de
prévenir la transmission de ce nouveau variant en milieu de soins.
Le risque réside dans une infectiosité supérieure, la
distribution plus large de l'agent infectieux dans les tissus et le postulat
d'une exposition large de la population à l'agent du nouveau variant, en
général par voie alimentaire.
Concernant les mesures prises, nous avons garanti un haut niveau de
sécurité et d'efficacité des soins, à travers une
stérilisation des dispositifs médicaux, les meilleures techniques
reconnues comme inactivantes, l'amélioration des conditions de
désinfection des endoscopes -mais là aussi nous sommes imparfaits
dans ce domaine- et le renforcement de l'utilisation du matériel
à usage unique lors des contacts avec des tissus à risque.
Ces mesures ont bien sûr été prises après avoir
été validées scientifiquement, en particulier par l'OMS et
le Comité Dormont.
Nous avons mis en place une politique d'assurance qualité en
stérilisation, en dépensant 652 MF. Je ne vous donne pas le
détail, mais je le tiens à votre disposition.
Nous avons pris les mesures d'accompagnement des malades suivantes :
Information des professionnels de santé, qui n'avaient pas ce syndrome
présent à l'esprit au début. De plus, il est multiforme.
Il fallait donc les aider à établir leur diagnostic et à
orienter les malades.
Création d'une cellule nationale de référence pour les
professionnels afin de renforcer la connaissance des équipes soignantes
et la prise en charge.
Recommandations pour assurer des soins de qualité, améliorer la
vie quotidienne des malades et des familles (filières de soins,
hospitalisation à domicile et soins palliatifs).
Prise en charge médico-sociale avec des aides financières
d'urgence, des aides sociales et fiscales et une relation particulière
entretenue avec les services sanitaires et sociaux.
Un véritable accompagnement -autant que faire se peut, car nous n'avons
pas assez de personnel- psychologique de l'entourage.
Nous avons suivi avec une extrême attention tous les dossiers
dépendant de l'agriculture, des douanes, de la consommation et de
l'environnement et relatifs à l'encéphalopathie spongiforme
bovine.
Je voudrais enfin attirer votre attention sur les problèmes qui
demeurent. Concernant l'encéphalopathie, nous avons observé une
forte contamination dans les années 1993-1995. Pourquoi ? Nous
pensons que l'interdiction n'était pas respectée, que des fraudes
massives avaient lieu et que les aliments étaient contaminés, y
compris par les matériaux à risques spécifiés.
De plus, dans la mesure où le délai d'incubation est de 5 ans,
nous avons besoin de recul pour connaître l'efficacité des mesures
prises en 1996 et 1998 et surveiller les cas super naïfs,
c'est-à-dire ceux qui concernent les animaux nés après les
interdictions et particulièrement après les mesures de
sécurité renforcées en 1996, 1997 et 1998.
L'agent peut-il passer à d'autres espèces ? Personne n'en
sait rien. Nous avons s'agissant du porc (peut-être) quelques indications
provenant d'Allemagne, mais elles sont peu recoupées. C'est simplement
une conversation avec le Ministre de la Santé allemand qui a
attiré notre attention sur ce point, mais rien n'a été
confirmé.
L'agent ne pourrait apparemment pas s'attaquer aux volailles et aux poissons,
tout d'abord parce qu'ils ne vivent pas assez longtemps et sans doute aussi
parce que les volailles et en tout cas les poissons ont été
très rapidement nourris avec des farines spécifiques, mais pas
les mêmes.
Quant aux ovins et caprins -vous avez entendu à ce sujet une personne du
Comité Dormont-, le risque est non négligeable que l'agent de
l'encéphalopathie spongiforme bovine puisse passer chez ces
espèces, masqué par une tremblante.
Nous sommes très vigilants sur ce point. L'Agence de
sécurité des produits alimentaires ayant diffusé un avis
dont nous avons tenu largement compte avec le Ministère de
l'Agriculture, étant entendu que tout ce que je vous indique a
été rendu public. En effet, depuis que j'ai été
Ministre de la Santé en 1991 et 1992, aucun document n'a
été conservé secret, ma règle absolue étant
de tout rendre public.
Enfin, je suis inquiet devant les problèmes environnementaux, sachant
qu'il existe un risque de persistance de l'agent prion dans le sol, apparemment
pendant jusqu'à trois ans. Faut-il faire un rapport entre le sol et la
tremblante du mouton ? En tout cas, il faut sans doute régler au
plus vite le problème du traitement des boues, de l'épandage des
déchets liquides et de l'utilisation d'eau potentiellement à
risque en agriculture, y compris dans les cultures maraîchères. Je
suis très attentif à la qualité de l'eau de boisson,
puisque c'est mon domaine, avec le Ministre de l'Environnement. Nous devons
avancer vite dans ce domaine.
Nous devons également réfléchir au problème de la
substitution, ce qui concerne 400 000 tonnes de farines animales et 270 000
tonnes de graisse. Cela demande un stockage complexe, leur destruction
présentant des risques de pollution, y compris dans le sol et les eaux.
Nous devons nous interroger sur le remplacement par des farines
végétales. Quelles seraient les conséquences pour la
santé ? Les risques sont les suivants :
Risque chimique : contaminants, mycotoxines.
Risque biologique : OGM -ils ne me font pas très peur, mais il faut
les surveiller-, bactéries, allergénicité.
Baisse de la qualité de la viande.
Conservation de moins bonne qualité, avec une oxydation.
Rejets de phosphore, de métaux et d'ammoniaque.
Il reste des mesures importantes à prendre : s'assurer de la mise
en oeuvre effective et complète de celles déjà prises
étant l'essentiel.
Si nous n'avons pas de suivi -c'est souvent le cas-, il faut auditer les
installations et les circuits et assurer la transparence de ces
contrôles, mettre en place des indicateurs de suivi et aboutir -je le
demande depuis des années- à une harmonisation communautaire.
Il faut maintenir l'interdiction des farines et des graisses,
réfléchir aux phosphates bicalciques et aux gélatines. La
saisine du Comité Dormont est en cours mais, comme je vous l'ai
indiqué, nous ne savons pas remplacer les enveloppes des
médicaments très rapidement et nous ne pouvons pas supprimer
immédiatement la majorité de ceux concernés, même si
nous y travaillons.
Nous devons procéder à la sécurisation des rejets liquides
et penser à la qualité de l'eau (épandages à
proximité de stations de traitement) ainsi qu'à la surveillance
stricte du risque ovin, ce à quoi nous travaillons avec le
Ministère de l'Agriculture, la question étant de savoir si
l'agent de l'ESB est passé aux ovins et aux caprins.
Nous devons aussi éviter au maximum la transmission inter-humaine, ce
qui est mon rôle. Nous l'assumons au maximum à travers les
activités de soins (pour la chirurgie et l'endoscopie), les dispositifs
médicaux et les produits dérivés du sang et des greffes.
Voilà, trop brutalement et trop sommairement, ce que je voulais vous
dire quant au rôle du Ministère de la Santé. Je vous ai
présenté la chronologie des mesures prises, mais je serais ravi
de répondre à vos éventuelles questions.
M. le Président -
Merci Monsieur le Ministre. Vous avez
évoqué dans votre discours des fraudes massives :
vouliez-vous parler d'importations de farines animales ?
M. Bernard Kouchner -
Oui.
M. le Président -
Je pense que vous avez des preuves, parce que
nous n'en avons pas forcément eues à travers les auditions que
nous avons effectuées et auprès des personnes qui normalement
sont concernées et auxquelles nous avons posé des questions.
Si vous avez des preuves réelles et formelles, cela nous apporterait des
renseignements supplémentaires, ce qui serait parfait. Par
conséquent, si c'est effectivement le cas, nous vous demandons les
documents sur lesquels vous vous appuyez.
M. Bernard Kouchner -
Je ne m'appuie que sur des hypothèses, mais
je ne vois pas comment la maladie aurait pu persister dans nos troupeaux sans
une utilisation probablement massive des farines animales après les
interdictions.
Je n'ai aucune preuve de cela, mais j'ai hélas la conviction que,
au-delà de notre pays, des ventes ont massivement eu lieu, en Europe
Centrale et dans le Tiers Monde, ce qu'il est assez facile de savoir.
Cependant, pour ce qui concerne la France, puisque c'était interdit, je
n'ai pas de preuve et je n'en ai pas recherché de façon
policière. Hélas, les conséquences -en tout cas sur les
troupeaux- ont été telles que, en dehors d'autres
hypothèses qui sont toujours évocables -transmission par le sol
ou verticale-, cela me paraît difficile à prouver.
Il apparaît, quand nous parlons avec des utilisateurs, que certains
paquets ne portaient même pas la mention « produit
protéinés d'origine animale ». Cependant, encore une fois,
hélas, je n'ai pas de certitude à vous apporter dans ce domaine.
M. le Président -
Merci. Je vais maintenant passer la parole
à notre rapporteur, qui va vous poser des questions.
M. Jean Bizet, Rapporteur -
Monsieur le Ministre, j'ai relevé un
certain nombre de points dans vos propos. Le premier concerne les pots pour
bébés. Vous nous avez indiqué avoir en 1991-1992
procédé à leur retrait dans les pharmacies, notamment
s'agissant de ceux dans lesquels étaient incorporées des
cervelles en provenance de Grande-Bretagne.
J'en suis ravi. Ceci étant, nous avons noté, notamment en
auditionnant M. Gérard Pascal, le Directeur du Comité
vétérinaire permanent, que la demande de retrait a
été annoncée officiellement en août 1992. Cela
voudrait dire que, antérieurement, vous aviez déjà le
sentiment qu'il fallait agir. Est-ce bien le cas ?
M. Bernard Kouchner -
Honnêtement, je ne me souviens plus si
c'était en août, mais en tout c'était en 1992. Je me
souviens très bien que nous avions été alertés
après les rapports Dormont sur les maladies à prions et l'hormone
de croissance extractive. C'est à ce moment-là que la maladie de
Creutzfeldt-Jakob est devenue une contre-indication aux dons du sang et
d'organes, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France
ayant rendu son avis.
Nous avons alors agi avec la Direction de la sécurité sanitaire
de l'alimentation et nous avons en effet retiré des pharmacies des
aliments pour bébés, dont des petits pots qui comportaient des
abats et des cervelles.
M. le Rapporteur -
Vous avez en fait anticipé la décision
du Comité vétérinaire permanent, qui date d'août
1992.
M. Bernard Kouchner -
Je ne me souviens plus du mois. Nous avons
réagi en 1992, les médicaments ayant été en 1991
réévalués au regard du risque ESB, à travers
l'embargo sur les produits bovins d'origine britannique dans les
médicaments.
Je me souviens en particulier que cela concernait des extraits injectables avec
des doubles ampoules, sachant que la suppression des petits pots a
été un parcours difficile.
M. le Rapporteur -
Quand vous dites que cela a été un
parcours difficile, sous-entendez-vous que vous avez été
confronté à certaines réticences ?
M. Bernard Kouchner -
Oui, il fallait convaincre. Il est très
difficile de dire à des personnes -cela fait référence
à toute la pédagogie du risque que nous n'avons tenté de
mettre sur pied que plus tard- que des petits pots, qui sont
nécessairement l'aliment le plus évident pour les
bébés, afin qu'ils croissent et embellissent, sont dangereux.
M. le Rapporteur -
L'annonce de la transmission à l'homme a
officiellement été faite en 1996. Ceci étant, on savait de
par le décès d'un chat siamois anglais qu'il existait un passage
de la barrière d'espèce.
M. Bernard Kouchner -
Encore une fois, replacez-vous dans
l'atmosphère de 1991-1992 : la maladie de Creutzfeldt-Jakob, avec
l'hormone de croissance d'origine extractive, provenait de matériaux
spécifiés et en particulier des cervelles. C'est ce qui nous a
fait réagir pour les petits pots, sachant que nous n'avions pas de
certitude et que c'était une mesure de précaution, comme l'on
doit toujours en prendre.
J'ai reçu les familles et cela a été très
difficile, car l'angoisse était très grande pour les enfants qui
avaient été traités. C'est seulement longtemps
après que nous avons fait le rapprochement avec une autre infection, le
nouveau variant.
M. le Rapporteur -
Vous nous avez indiqué que vous aviez des
rapports réguliers avec vos homologues, et notamment avec les Allemands
à propos du porc. Vous pourriez d'ailleurs peut-être nous en
parler si vous avez quelques informations supplémentaires.
Vous devez également avoir sans doute des échanges de vues avec
votre homologue anglais. Or, lors de notre séjour en Angleterre la
semaine dernière, on nous a laissé entendre qu'une étude
épidémiologique était basée sur l'analyse des
coupes histologiques des amygdales des jeunes anglais depuis une dizaine
d'années. Serait-il difficile pour votre Ministère de
récupérer ces informations ? En effet, il serait important
de voir, sur dix années, si effectivement les prions sont de plus en
plus présents dans les amygdales de ces enfants. Il serait
intéressant que nous puissions faire figurer cette information dans
notre rapport.
M. Bernard Kouchner -
Je ne pense pas que ce soit impossible. Nous
pouvons très bien tenter d'obtenir ces informations auprès de mon
homologue.
J'ai parlé des endoscopes, en tous cas chez les oto-rhinos, et de la
nécessité de se méfier d'un trajet qui touche les
amygdales, parce qu'une alerte a été donnée et parce que
le test se fait en particulier au niveau de celles-ci : nous sommes
là devant un problème de santé publique
considérable, la question étant de savoir s'il faut utiliser un
endoscope à usage unique ou des procédés plus anciens qui
permettaient de ne voir qu'imparfaitement, sans endoscopie à fibre de
verre, ou s'il faut consacrer suffisamment d'argent à la protection de
l'endoscope à chaque fois. Il serait en tout cas en effet
intéressant de disposer de cette publication anglaise.
M. le Président -
Nous vous demandons officiellement de faire une
démarche auprès de votre homologue anglais. Nous jugerons du
résultat de votre efficacité, dont bien sûr nous ne doutons
pas, Monsieur le Ministre.
M. Bernard Kouchner -
Je vais essayer.
M. le Rapporteur -
Nous ne doutons pas de votre efficacité, mais
nous craignons la rétention de votre homologue. Nous sommes
interrogatifs.
Ma troisième question fait suite à l'audition de M. Deslys, qui
est intervenu dans l'heure précédente.
Concernant les tests de détection, il apparaît maintenant
très clairement que le test Biorad est beaucoup plus précis et
sensible que le test Prionics. En avez-vous eu confirmation vous-même au
sein de votre ministère ? Cela semble assez patent de la part du
spécialiste qu'est M. Dormont. Si c'est le cas, pourquoi n'est-il pas
mis beaucoup plus couramment en oeuvre sur le territoire national ?
M. Bernard Kouchner -
Le CEA et les chercheurs suisses étaient
présents lors des deux journées à l'Académie des
sciences. Je me trompe peut-être -il faudrait que mes collaborateurs me
démentent-, mais la comparaison n'a pas été faite en ma
présence.
M. le Rapporteur -
Pouvons-nous dans les jours qui viennent attendre de
votre part une recherche sur ce point confirmant ou infirmant la qualité
supérieure du test Biorad par rapport au test Prionics ?
M. Bernard Kouchner -
Oui, si la comparaison existe.
M. le Rapporteur -
Il serait important que le Ministère de la
Santé puisse nous donner son avis à ce sujet.
M. Bernard Kouchner -
Nous allons essayer.
M. le Président -
Cela ne doit pas dépendre du
Ministère de la Santé dans la mesure où ces tests sont
exclusivement réservés aux animaux. C'est la raison pour laquelle
vous ne disposez pas nécessairement d'une étude sur la
qualité et la capacité de ces tests, qui doivent être
rapportés uniquement au Ministère de l'Agriculture.
M. Bernard Kouchner -
Nous avons avec Jean Glavany la co-tutelle de
l'AFSSA. J'ai vu son Directeur hier et nous avons fait un tour d'horizon des
nouveautés, car je voulais vous présenter mes dernières
connaissances, qui sont imparfaites, mais je lui poserai la question.
Nous en avons parlé s'agissant d'une publication qui a
défrayé la chronique dans les jours qui ont suivi à partir
d'un test sanguin éventuel, mais je crois qu'il y a beaucoup de bruit
pour pas grand-chose pour le moment car, en revanche, j'ai parlé
très directement avec le responsable du Commissariat à
l'énergie atomique, qui était le chercheur en charge de ce
problème.
En tout cas, c'est une piste très importante, et nous avons, avec le
Ministre de la recherche dépensé beaucoup d'argent dans ce cadre,
ce qui débouchera peut-être sur des développements, mais
pour le moment c'est un peu prématuré. Après tout, cela
signifie non pas forcément que le champ serait contaminant, mais qu'il
existerait un marqueur.
M. le Rapporteur -
Vous avez à juste titre parlé de la
substitution des protéines animales par des protéines
végétales, qui préoccupe également M. Glavany et
M. Moscovici. Cependant, nous nous heurtons à la Commission
européenne et notamment à M. Fischler, et il n'existe aucune
ouverture sur ce point, à travers une éventuelle
renégociation des fameux accords de Blair House.
Or -cela fera partie d'une des recommandations de notre rapport-, il serait
important que nous puissions aller au-delà des demandes aimables
à l'adresse de M. Fischler, car nous ne pouvons pas accepter cela.
Enfin, je comprends mal le « silence » du Ministère de la
Santé face à ce problème, qui est depuis 1996 devenu un
problème de santé publique, par rapport aux propos de Mme Gillot,
il y a quelques mois, sur le nombre de cas futurs de nouveaux variants.
Est-ce à dire que vous ne confirmez pas les modélisations de M.
Anderson ou de Mme Alpérovitch ? Quelle est votre analyse du
degré de contamination éventuel de la population
française ?
M. Bernard Kouchner -
Concernant votre avant-dernière question,
Monsieur le rapporteur, je n'ai pas peur des OGM. En revanche, je crains
terriblement la dictature de l'incompétence.
Je pense que nous allons vers une grave crise de société si d'une
part nous ne pouvons plus manger de viande alors que d'autre part nous nous
méfions du progrès scientifique.
Je suis presque l'auteur de l'application à l'espèce humaine et
à la santé du principe de précaution et je sais qu'il faut
toujours l'appliquer, mais je sais aussi qu'il faut savoir raison garder.
La détresse paysanne est très grande, mais je n'aime pas les
sociétés sans risques, ces derniers devant être connus,
choisis et éventuellement assumés. Dans ce cadre, dire que nous
nous protégerons de tout me paraît très dommageable pour la
pensée en général et la pensée honnête en
particulier.
Je pense personnellement qu'il faudrait en effet faire pression sur
M. Fischler, que je connais puisque j'étais Président de la
commission du développement et de la coopération du Parlement
européen alors que ce digne homme était déjà
Commissaire à l'agriculture et que je lui parlais déjà de
la santé, en essayant d'éveiller son attention sans y parvenir.
Il appartient aux politiques de décider, non aux commissaires. En tout
cas, je sais qu'il faudra un jour développer les cultures de
substitution pour les protéines végétales et en
général pour les céréales.
On ne parle pas du vrai sujet dans tout cela, à savoir la
démographie mondiale. Si d'une part les individus sont beaucoup plus
nombreux et que d'autre part l'on n'arrive pas à produire, je me demande
comment ils seront nourris. En tout cas, le vieux dogme consistant à
dire qu'il y a assez à manger sur la terre pour tout le monde est faux,
d'autant plus que nous devons aujourd'hui, très légitimement,
prendre des précautions, car nous avons été assez fous
pour nourrir des ruminants avec de la viande. Nous l'avons tous accepté
et nous n'avons pas protesté, moi non plus. Peut-être ne nous en
sommes-nous pas rendu compte. De plus, c'était tellement facile, mais
nous l'avons fait et cela ne fonctionne pas, ou en tout cas moins bien qu'avant.
Il faut avoir un vrai débat à ce sujet et, si votre rapport peut
aller dans ce sens ou éveiller l'attention, vous aurez fait un travail
formidable. J'appelle cela la pédagogie du risque.
Je reviens du Kosovo, qui est un endroit différent : la maladie
concerne trois personnes, sachant que je déplore qu'elles soient
atteintes et que j'ai développé des agences pour que le principe
de précaution soit employé, ce que je ferai toujours, mais il
faut savoir raison garder.
Voyons les conséquences et les difficultés qui sont devant nous.
Quand je vois qu'en France il existe 750 000 cancéreux dont le
système de santé ne tient pas assez compte et que l'on ne peut
pas faire de prévention et de recherche suffisamment en amont, sans
attendre que les personnes soient malades, je pense qu'il faut agir dans ce
domaine et pour le reste, comme pour la maladie de Creutzfeldt-Jakob. De plus,
je trouve un peu difficile de brûler les cultures.
M. le Rapporteur -
Me permettez-vous, Monsieur le Ministre, d'être
provocateur ?
M. Bernard Kouchner -
Oui, je vous le demande.
M. le Rapporteur -
Au sein de vos collègues et du gouvernement,
j'essaie désespérément d'aborder ce sujet, qui est
fondamental, avec Mme Voynet. Comme vous l'avez souligné -nous avons
reçu l'an passé le Président de la FAO-, il existe 80
millions d'habitants et de consommateurs supplémentaires sur cette terre
chaque année. Ce n'est pas à vous, qui revenez du Kosovo, que
nous l'apprendrons. Or, il faudra bien trouver des solutions, non pas modernes,
mais équitables, rationnelles et sécurisantes pour nourrir toutes
ces personnes.
M. Bernard Kouchner -
Vous avez raison, sachant que Mme Voynet est
beaucoup plus souple que la moyenne des militants du parti Vert. Je crois
qu'elle évolue et qu'elle évoluera. Ils se méfient
terriblement, la meilleure façon de leur faire admettre
l'évolution scientifique étant d'accepter les contrôles, le
regard scientifique ainsi que l'audit et la révision permanents de nos
notions. Je pense qu'ils l'accepteraient.
M. le Rapporteur -
La loi sur la bio-vigilance, qui faisait d'ailleurs
partie de la loi d'orientation agricole, avait formidablement encadré la
problématique en question.
M. Bernard Kouchner -
C'est ce que je crois personnellement, mais je
comprends aussi que nous sommes dans une période où les dangers
qui menacent la planète sont très présents au coeur des
jeunes militants et des jeunes générations politiques. C'est sans
doute un élément dont il faut absolument tenir compte.
Je voudrais également vous parler du nucléaire. Je pense que les
risques sont dans ce domaine mal maîtrisés, mais qu'il faut
continuer.
Concernant le Kosovo, l'uranium appauvri et la crise mondiale, j'ai dit
à tout le monde de venir -y compris aux membres de Greenpeace,
même si les militaires n'étaient pas contents car ils sont leur
ennemis- pour que nous mettions nos compteurs de radiations les uns à
côté des autres afin de comptabiliser les rayons alpha.
Je ne dis pas que tout est parfait, mais aujourd'hui tous les résultats
crédibles et scientifiques à propos de l'uranium appauvri vont
dans le sens de l'absence de conséquences. C'est ainsi : il faut
contrôler et être transparent en permanence, ce que nous avons
fait, sachant qu'il n'était pas facile au début, étant
donné la culture d'un ministère et surtout celle du celui de la
Santé, de rendre publics tous les rapports. C'était absolument
révolutionnaire.
Concernant les modélisations, je sais ce que Mme Alpérovitch a
dit. Il s'agit d'une double modélisation, à savoir de celle,
éventuelle, des résultats anglais à partir de
l'étude de l'absorption supposée, rapportée au nombre de
troupeaux dans le cadre des fameuses fraudes dont je n'ai pas l'évidence
ni la certitude en France, et d'une nouvelle modélisation par rapport
à la France partant du postulat qu'il existerait -je n'étais pas
là, mais je sais à peu près ce qui s'est passé- des
dizaines de milliers de cas potentiels en Angleterre et en France. Cependant,
cela n'a été contrôlé par personne et n'a absolument
pas été validé scientifiquement ; c'est une
hypothèse.
M. Prusiner, qui est l'homme de l'art, en répondant aux questions qui
lui étaient posées -qui sont d'ailleurs en partie parues dans
« Le Monde » et que vous avez sans doute lues-, a indiqué que
personne n'était capable d'affirmer quoi que ce soit aujourd'hui dans ce
domaine, ni dans un sens ni dans l'autre, c'est-à-dire ni par
défaut ni par excès.
J'estime donc qu'il faut pour le moment continuer à appliquer la
précaution la plus stricte, en essayant d'obtenir de l'argent pour la
recherche.
Franchement, les chiffres du Ministère de la Santé
n'étaient que des hypothèses que je ne peux ni infirmer ni
confirmer.
Encore une fois, il s'agissait d'une maladie qui, en dehors de la façon
dont elle peut potentiellement toucher les hommes depuis 1996 et de quelques
cas, heureusement rares dans notre pays, concernait beaucoup les animaux et le
Ministère de l'Agriculture.
En Angleterre, d'où vous revenez, l'on dit : « Jusqu'à
l'abattoir, c'est le Ministère de l'Agriculture et ensuite celui de la
Santé ». Nous pouvons grosso modo dire de même, mais nous
sommes allés plus loin, parce que nous avons partagé les agences.
L'agence majeure, celle de la sécurité alimentaire, est
partagée entre le Ministère de l'Agriculture et celui de la
Santé.
Nous nous voyons très fréquemment et, là aussi, nous avons
décidé de rendre publics tous les rapports et toutes les
publications de l'agence. Nous trouvons parfois que c'est trop tôt,
même si elle nous prévient par décence avant, mais elle est
libre de le faire, le public devant savoir.
M. Michel Souplet -
Monsieur le Ministre, je vous ai
écouté avec beaucoup d'intérêt et je vous rejoins
sur la quasi-totalité de vos propos.
Nous sommes ici en commission non pour juger les personnes ni le passé,
mais pour connaître la vérité et pour faire des
propositions concrètes et applicables le plus rapidement possible.
Je voudrais revenir un instant sur la fiabilité des tests
évoquée par mon collègue M. Bizet. Il nous a semblé
comprendre cet après-midi, à travers les propos tenus par votre
prédécesseur à cette table, que nous pouvions aujourd'hui
disposer d'un test permettant de garantir quasiment à 100 % que la
viande qui a été testée est saine, le délai qu'il
faut pour permettre de l'affirmer étant d'environ 4 ou 5 heures.
Or, il se trouve que la viande est mise en stock pour réessuyage dans
les abattoirs pendant plus de 5 ou 6 heures.
On serait susceptible aujourd'hui, si ces tests pouvaient être
appliqués dans chaque abattoir, de dire pour tous les animaux abattus,
au moment de les sortir du frigo, s'ils ont sains ou présentent un
risque. Il serait formidable de pouvoir déjà apporter cette
garantie, sachant que ce serait apparemment possible très rapidement.
Par ailleurs, nous voulons -vous comme nous- que la traçabilité
soit la plus précise et la plus fiable possible, mais il faudra pour ce
faire être extrêmement exigeant s'agissant de celle des produits
français ainsi que de celle de ceux importés. Or, nous allons
nous trouver, dans le cadre de la liberté mondiale du commerce, face
à des personnes qui voudront nous envoyer, sous prétexte qu'une
traçabilité existe, des produits qui seront beaucoup moins
garantis que les nôtres. Comment pourrons-nous nous protéger sur
ce plan ?
M. Bernard Kouchner -
Ce n'est pas de mon ressort ; c'est
évidemment le problème des douanes et celui du Ministère
de l'Agriculture. Je comprends très bien que la
traçabilité, concernant nos produits, soit au mieux, sachant que
nous nous enorgueillissons, au Ministère de la Santé, d'avoir
commencé à la mettre en place avec nos agences de façon
très systématique depuis des années.
Concernant les contrôles aux frontières, le suivi, les
certificats, les dispositifs électroniques de lecture, etc., je sais que
beaucoup de systèmes sont étudiés, que Jean Glavany est
très sensible à la question et que le Ministère
l'Agriculture y travaille, mais je ne peux pas vous répondre, en ce qui
me concerne, s'agissant de ces contrôles, qui sont manifestement plus
douaniers que sanitaires.
Je sais qu'un test français est comparé à un test suisse,
et il m'a semblé comprendre- mais là aussi c'est du domaine de
l'agriculture, car il s'agit des animaux- que le premier serait apparemment
plus sensible.
Il est en cours d'évaluation, mais je suis tout à fait content si
cela vous a été affirmé car, si cela diminue la
durée de séjour des carcasses au frigo pendant quelques jours,
c'est évidemment très important.
M. Michel Souplet -
Cela nous permettrait d'apporter très
rapidement une garantie aux consommateurs français et de leur redonner
confiance.
M. Bernard Kouchner -
Tout à fait. Cela permettrait
également de redonner confiance aux consommateurs étrangers,
puisque nous exportions énormément, ce qui j'espère
reprendra très rapidement.
M. Paul Blanc -
Monsieur le Ministre, il semblerait qu'un rapport de
l'Académie de médecine de 1990 indique qu'une contamination de
l'ESB à l'homme ne serait pas à exclure. En avez-vous eu
connaissance au ministère ?
M. Bernard Kouchner -
Je fouille dans ma mémoire, mon cher
confrère. Je ne crois pas, mais je ne connais pas tout. Je n'ai aucune
raison de douter, si c'est ce qu'a indiqué l'Académie de
médecine, qu'une communication a été faite dans ce sens,
mais je ne m'en souviens pas ; je pourrais rechercher. Je suis
arrivé au Ministère de la Santé en 1991 ;
peut-être ceci explique-t-il cela.
M. Paul Blanc -
Vous avez insisté sur les contaminations
possibles à partir de fraudes sur les farines animales. Il semble,
d'après les enquêtes que nous avons menées,
qu'au-delà des fraudes s'est posé le problème des
croisements de farines animales de bétail, sachant que celles
destinées à l'alimentation des bovins avaient en effet
été interdites, mais qu'elles continuaient à être
utilisées. Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu interdire les farines
animales pour toute alimentation de bétail, quel qu'il soit ?
M. Bernard Kouchner -
Oui, mais il était très difficile de
le savoir à l'époque, car nous étions dans un domaine
extrêmement flou. Je trouvais en tant que médecin un peu
excessives les mesures, que je jugeais parfois arbitrairement administratives,
que nous prenions, en particulier pour retirer des produits
médicamenteux du circuit.
Il aurait fallu le faire -je l'ai demandé quand je suis revenu au
Ministère de la Santé- et il est évident que cela nous a
effleurés à propos des volailles, des poissons et des porcs, mais
ce n'est qu'à partir de 1996 que nous avons compris comment cela
fonctionnait. Nous étions en 1991 et 1992, hélas, un peu
bloqués dans notre raisonnement, car il n'était question que de
l'hormone extractive.
J'ai officiellement demandé en 1998 au Comité national de
sécurité sanitaire de le faire, mais nous aurions pu en effet y
penser plus tôt.
Il m'a été indiqué -je crois me répéter- que
pour les poissons cela avait très vite disparu, mais de toute
façon les farines animales ont continué à nourrir les
bovins. Sinon, il n'y a pas d'explications pour les animaux que l'on appelle
naïfs -ceux nés après l'interdiction- et super naïfs,
nés après 1996. Peut-être faut-il rechercher une autre
hypothèse, mais je pense que nous pouvons nous satisfaire partiellement
de l'explication de la consommation illicite de farines animales.
M. Paul Blanc -
Vous avez demandé l'interdiction des produits
d'origine animale dans les produits médicamenteux (extraits de foie,
etc.). Est-ce surtout par apport aux conséquences des extraits
d'hypophyse qui avaient été administrés et qui avaient
provoqué des maladies de Creutzfeldt-Jakob ou pensiez-vous
déjà à l'ESB à ce moment-là ?
M. Bernard Kouchner -
Pour être honnête, il est tout
à fait certain que c'était en rapport avec les terribles cas qui
frappaient les enfants qui étaient traités par l'hormone
extractive. Je me vanterais en indiquant que j'avais pensé à
autre chose.
M. Paul Blanc -
Oui, mais cette hormone était d'origine humaine.
M. Bernard Kouchner -
Oui. Nous pensions même à ce
moment-là qu'il s'agissait probablement également de la
façon dont les hypophyses étaient extraites et conservées
et qu'il existait un vrai trafic dont nous bénéficiions.
N'oubliez pas qu'un contrôle était exercé par un
pédiatre très fameux, etc. Nous pensions que les conditions
d'extraction (en particulier dans les pays de l'est) étaient
probablement responsables de la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène
et nous avons, en allant un peu loin, retiré les petits pots des
pharmacies.
Par rapport à la gélatine qui constitue l'enveloppe de bien des
gélules, je continue à penser qu'il faut certainement agir en
fonction du principe de précaution, mais il serait étonnant que
l'agent infectieux se retrouve, après les traitements qu'elle a subis,
dans la gélule qui entoure un antibiotique, même si c'est
aujourd'hui une règle et qu'il n'est pas question d'y déroger.
A cette époque, honnêtement, je ne me souviens pas d'avoir
pensé à un nouveau variant, puisque pour nous la maladie de
Creutzfeldt-Jakob était à incubation très longue. Or,
voilà qu'arrivent des enfants faisant l'objet d'une période
d'incubation différente, ce qui est terrible.
M. Paul Blanc -
Je suis tout à fait d'accord avec vous, de la
même façon que j'ai été choqué, lors de nos
différentes visites, par le nombre de carcasses parties à
l'équarrissage pour deux cas et demi de maladies de Creutzfeldt-Jakob
par rapport au nombre d'enfants qui meurent de faim dans le monde entier.
M. Bernard Kouchner -
Un certain nombre de pays ont demandé
à récupérer les carcasses, mais cela pose des questions
considérables.
M. le Président -
Il est vrai que quand on voit -comme cela a
été notre cas au cours de nos différentes visites dans
tous les abattoirs- des séries d'animaux manifestement sains abattus et
la viande dépecée, puis traitée avant d'être
envoyée directement à l'équarrissage, cela fait
très mal, non seulement à ceux qui les ont élevés,
mais aussi aux simples citoyens que nous sommes tous, ainsi que, comme le
disait notre collègue M. Blanc -vous le savez mieux que quiconque-, par
rapport à tous ceux qui meurent de faim dans le monde. Cependant, il est
vrai que le principe de précaution fait que si nous l'appliquons chez
nous, il doit être appliqué pour tous dans le monde entier.
M. Bernard Kouchner -
Vous avez raison, mais un de vos collègues
a posé une question sur le test qui pourrait nous permettre de savoir
rapidement si les carcasses sont saines ou pas et peut-être de les
consommer et des les exporter de façon presque complètement
sûre.
M. le Président -
Je reviens sur le problème des petits
pots. Etait-ce à l'époque une décision purement
française ou européenne ?
M. Bernard Kouchner -
A ma connaissance, cette décision a
été purement française.
M. le Président -
En fait, aucune décision
européenne n'a été prise.
M. Bernard Kouchner -
Nous étions des précurseurs.
M. le Président -
C'était bien surtout et avant tout par
rapport au problème d'hormones de croissance, plutôt que par
rapport à la maladie de Creutzfeldt-Jakob ?
M. Bernard Kouchner -
Oui.
M. le Président -
Monsieur le Ministre, merci.
M. Bernard Kouchner -
Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je
vais tenter de retrouver pour vous les documents que vous nous avez
signalés.