Audition de Mme Chantal JAQUET, Directrice prévention
santé,
sécurité et environnement du groupe
Carrefour,
accompagnée de M. Christian D'OLÉON, Directeur
de la
communication
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Nous vous prions de nous
excuser de vous avoir fait attendre longtemps. Vous aurez compris que lorsque
nous avons le ministre de l'agriculture en audition, nous ne pouvons que
déborder.
Vous êtes donc Mme Chantal Jaquet, Directrice de la prévention
santé, sécurité et environnement du groupe Carrefour, et
vous êtes accompagnée par M. Christian d'Oléon. Vous
êtes auditionnés dans le cadre de la commission d'enquête
sur le problème des farines animales et des conséquences sur la
santé des consommateurs, qui a été mise en place par le
Sénat, et vous savez que, dans le cadre d'une commission
d'enquête, les personnes qui sont auditionnées doivent le faire
sous serment. Je vais donc vous lire les dispositions et vous demander à
la fin, à l'un et à l'autre, de bien vouloir prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Jaquet
et à M. D'Oléon.
M. le Président -
Dans un premier temps, je vais vous demander,
très brièvement, de nous fait un topo sur la manière dont
vous procédez, dans votre entreprise, par rapport à ce qui s'est
passé, à ce que l'on vit actuellement et à ce que vous
prévoyons pour l'avenir, après quoi nous en viendrons aux
questions que nous avons à vous poser les uns et les autres.
Mme Chantal Jaquet
- Je souhaite tout d'abord excuser le
président Daniel Bernard. Comme il a perdu son père hier, il n'a
naturellement pas pu être là aujourd'hui et il vous prie de bien
vouloir l'excuser.
M. le Président
- Vous lui ferez part de nos condoléances.
Mme Chantal Jaquet
- Je n'y manquerai pas. Comme vous l'avez
souligné, je suis Chantal Jaquet, Directrice de la prévention, de
la santé et de la sécurité pour le groupe Carrefour. Ce
poste est tout récent puisque j'ai été nommée il y
a quelques mois, après l'affaire dont nous avons été
victimes.
Je vais me permettre de lire l'intervention que Daniel Bernard souhaitait vous
faire.
Avant 1991, nos achats de viande bovine étaient réalisés
par magasin et de façon non centralisée. A cette époque,
nous connaissions rarement l'origine de la vente et, encore moins,
l'alimentation des animaux. Les éléments concernant les origines
des viandes étaient difficiles à constituer puisque
c'était une filière extrêmement atomisée et que les
relations avec le monde agricole étaient inexistantes. Avant 1991, nous
passions par des intermédiaires et nous n'avions aucune relation avec le
monde agricole.
Dès 1991, Carrefour a été le premier distributeur à
engager un partenariat de longue durée avec le monde agricole en
valorisant les qualités organoleptiques de la viande bovine
française et en privilégiant certaines origines telles que la
race normande, la première race avec laquelle nous avons commencé
à travailler sur nos filières "Qualité Carrefour".
C'est donc ainsi que sont nées nos filières "Qualité
Carrefour", dont la filière bovine a été le premier
maillon. Le terme "Qualité Carrefour" est un sigle que, dès 1993,
nous avons apposé sur des viandes sur lesquelles nous avions une
certaine démarche que je vais vous relater ici.
Nous avons aujourd'hui 83 filières qui regroupent 36 000
producteurs dans des domaines très variés, aussi bien des
filières végétales, comme la carotte ou la pomme de terre,
que la filière bovine ou le saumon.
Les filières, dont la viande bovine a été le premier
exemple, s'inscrivent dans une démarche de progrès continu dont
l'objectif est de répondre aux attentes des consommateurs, bien
évidemment, et cette démarche est fondée sur les principes
suivants :
- le principe de partenariat,
- le principe d'authenticité,
- le principe de sécurité,
- le principe de transparence,
- le principe de précaution.
L'application des principes de partenariat et d'authenticité, en ce qui
concerne la filière bovine, nous a amenés à engager
directement des partenariats avec le monde agricole et les
sociétés d'abattage pour assurer un approvisionnement de viande
française et identifier les meilleures races.
Dès 1991, nous avons voulu concentrer nos achats, pour la filière
"Qualité Carrefour", sur les viandes d'origine française.
L'application du principe de sécurité, dans une première
étape, nous a aidés à construire la
traçabilité des troupeaux en identifiant les origines. En effet,
vous n'êtes pas sans savoir que le secteur de l'élevage bovin,
surtout à l'époque, était très peu
structuré. Nous nous sommes retrouvés face à un
véritable challenge, à l'époque, consistant à
fédérer, sous le couvert d'un même cahier des charges et
d'une même doctrine, environ 20 000 éleveurs, mais nous nous
sommes appuyés pendant toute cette étape sur la
réglementation en vigueur et, en particulier, sur l'interdiction
d'utiliser des farines carnées, puisque celle-ci date de 1991.
Notre volonté était de construire une traçabilité
du troupeau qui rassure le consommateur, qui sécurise son choix et
conforte son attachement à différents terroirs. C'est pourquoi,
dès 1991, nous avons pris parti pour un approvisionnement 100 %
français. Dès 1991, toutes les filières "Qualité
Carrefour" étaient fondées sur cet approvisionnement 100 %
français.
Notre démarche s'est concrétisée en 1994 --elle a donc
duré quatre ans-- par un contrat et un cahier des charges qui
engageaient les trois partenaires. C'était une chose extrêmement
innovante, à l'époque, parce que c'était la
première fois qu'un distributeur, des partenaires agricoles et des
intermédiaires tels que les abatteurs se trouvaient ensemble et,
ensemble, définissaient un cahier des charges commun.
Au-delà du marché, une prime supérieure au cours du
marché était versée par Carrefour aux éleveurs qui
s'engageaient dans cette démarche. C'était, là aussi, une
rémunération de la valeur ajoutée.
L'application du principe de transparence nous a conduits à mettre en
place, progressivement, un système de qualification des élevages
et de sécurisation de l'alimentation des animaux. Notre première
démarche a été vraiment de dire que l'on assurait la
traçabilité, ce qui n'était pas du tout évident
à l'époque. Il faut dire que cela a été
intéressant puisque, en 1996, lors de la première crise de la
vache folle, avec les problèmes venant de Grande-Bretagne, tous les
éleveurs, dès le lendemain, ont pu être dans les magasins
Carrefour pour dire : "les viandes issues des filières viennent de
chez nous et viennent de troupeaux français".
L'opération "qualification des élevages" est une démarche
de partenariat entre Carrefour et les associations de groupements
d'éleveurs consistant à établir des codes de bonne
pratique que les éleveurs adoptent ensuite de leur plein gré.
C'est vraiment fondamental. Il s'agit d'une démarche de progrès
à laquelle adhèrent les différents partenaires et d'une
série de dispositions concrètes avec, comme élément
essentiel, la tenue d'un cahier d'élevage dans lequel tous les
événements liés à la vie du troupeau sont
consignés. En particulier, sont notés les formulations des
aliments, les traitements thérapeutiques, avec le classement des
ordonnances des vétérinaires, le nom des matières actives
utilisées, la dose et la date d'application, afin de vérifier si
les délais légaux avant abattage sont bien respectés, les
conditions de nettoyage et les dispositions concernant le bien-être des
animaux.
Dans le cadre d'un partenariat basé sur une confiance réciproque,
les contrôles de ces dispositions sont réalisés par les
techniciens des associations d'éleveurs. Il est admis que Carrefour
puisse procéder à des audits de manière à s'assurer
que les préconisations apportées d'un commun accord dans le
cahier des charges sont bien suivies d'effet.
Ces audits sont réalisés par un organisme tiers
indépendant qui, lui aussi, est choisi par les trois parties. Ce qui est
original dans cette démarche, c'est qu'à chaque fois, les parties
se mettent d'accord.
Ces contraintes sont donc librement consenties et sont le socle qui justifie
les plus-values que nous donnons aux éleveurs.
Ces démarches ont été initiées en 1994 et sont
finalisées depuis décembre 2000. Cela montre bien la
progression : de 1991 à 1994, on assure la
traçabilité, on crée ce climat de confiance et on a un
approvisionnement 100 % français ; en 1994, on contractualise
notre partenariat et on s'engage jusqu'en 2000 pour arriver à la
qualification des élevages puisque, aujourd'hui, l'ensemble des
élevages bovins de filière "Qualité Carrefour" a un
certificat de qualification.
C'est un contrôle réciproque parce que les éleveurs
viennent dans nos magasins, de même que les organismes de contrôle,
pour voir si les viandes que nous mettons sous la filière
"Qualité Carrefour" sont bien celles qui sont issues de nos
élevages certifiés. C'est un double contrôle qui consiste
à contrôler à la fois nos magasins et les élevages.
Le principe de précautions nous a amenés à interdire, en
1999, les farines animales terrestres dans l'ensemble de nos filières en
anticipant les dispositions légales. Nous avons commencé cette
démarche en 1996 avec les filières porcines, et l'aboutissement
de tout cela a été l'année 1999.
En effet, nous nous sommes aperçu que les contaminations
croisées, surtout, chez les éleveurs pluri-espèces,
paraissaient possibles. Les opérations de rinçage des
installations n'étaient pas adaptées au faible volume d'aliments
pour les petits élevages, puisqu'on sait que, dans l'élevage
bovin, on peut avoir quelques petits producteurs qui ont une dizaine de vaches
dans leur troupeau et que c'était financièrement trop
coûteux pour eux.
Nous avons pris aussi cette décision parce que l'alimentation
végétale était reconnue comme un élément de
valorisation dans tous les signes de qualité. Le comité des
labels et de certification, notamment, dans tous ses labels, recommande
l'alimentation végétale.
Cette mesure a été accompagnée de la suppression de tous
les antibiotiques utilisés comme facteurs de croissance afin de
prévenir les risques de résistance que de nombreux scientifiques
estimaient comme probables. Là aussi, aujourd'hui, dans l'ensemble des
filières "Qualité Carrefour", nous avons, encore une fois d'un
commun accord avec nos partenaires, supprimé les antibiotiques facteurs
de croissance.
En 2000, nous avons fédéré autour d'un seul
référentiel l'ensemble des associations. Ce dossier a
été reconnu et certifié par le Comité national des
labels et des certifications.
Il s'agit toujours de ce principe de précaution. On en parle maintenant
beaucoup, mais il est vrai que nous l'utilisions depuis longtemps. C'est ce
principe de précaution qui nous a conduits, le 21 octobre 2000, à
faire une information immédiate à l'ensemble de nos
consommateurs, à la suite de l'incident dont nous avons
été victimes dans un site d'abattage pour un produit hors
filière "Qualité Carrefour", alors que la bête
incriminée n'était jamais rentrée dans le circuit
commercial.
Le rappel des produits a pu être fait, parce que nous avons, dans
l'ensemble des enseignes du groupe Carrefour, une procédure de rappel
qui est extrêmement efficace et qui nous permet de rappeler les produits
très rapidement.
Toujours dans le cadre du principe de précaution, nous avons
sollicité, dès octobre 2000, la mise en place systématique
des tests avant abattage et la suppression des farines carnées pour
l'ensemble des filières animales. On nous a souvent reproché
d'avoir fait de cette opération une opération marketing, ce qui
n'est pas du tout le cas. Tout ce que nous avons mis en place, tant la
suppression des farines carnées que celle des antibiotiques facteurs de
croissance ou la demande du test que l'on avait déjà
évoquée sont des choses dont vous avez peu entendu parler dans la
presse. Nous le faisons parce que nous estimons que, pour nos clients, ce sont
des précautions supplémentaires dans des marques qui engagent
l'enseigne.
Ce long cheminement dans le temps concrétise bien la
préoccupation constante de Carrefour de proposer à ses
consommateurs des produits à la fois bons, sains et sûrs. Notre
démarche est pragmatique et non pas scientifique ; elle est pleine
de bon sens et vise à réintégrer les valeurs d'origine de
l'élevage français auxquelles nous croyons fortement. C'est un
partenariat avec des hommes, une alimentation la plus saine possible pour les
animaux, des conditions d'élevage avec un maximum de liberté pour
les animaux et des conditions de transport et d'abattage qui respectent les
animaux.
Pour conclure, je dirai que nous avons besoin de transparence pour que les
constats du passé puissent nous donner la mesure de l'avenir. Nous avons
toujours souhaité avoir une concertation avec les pouvoirs publics et
les professionnels de l'agriculture pour mieux appréhender les
avancées scientifiques et les nouvelles données du monde
agricole, et nous sommes heureux que cette commission puisse nous permettre de
nous exprimer sur ce sujet.
Nous tenons à votre disposition les résultats et les moyens dont
nous disposons pour mieux appréhender ces nouveaux
phénomènes de société, et nous pensons même
que des réflexions du même type pourraient être
menées sur un certain nombre de problèmes que l'on voit
aujourd'hui émerger, par exemple sur l'utilisation de l'épandage
des boues urbaines. Je pense qu'il faut que nous ayons une vraie
réflexion sur ces thèmes, notamment sur l'utilisation des
antibiotiques comme facteurs de croissance, qui sont toujours
tolérés aujourd'hui, ou sur les OGM. Je pense que ce sont des
vrais problèmes de fond qu'il serait important de creuser de
façon dépassionnée et objective.
En tout cas, je vous remercie de votre attention et je me tiens à votre
disposition pour répondre, dans la mesure du possible, dans le cadre de
mes compétences et de mes connaissances, à toutes les questions
que vous jugerez utile de nous poser.
M. le Président
- Merci, madame. Vous faisiez allusion au
problème qui s'est passé dans votre marque ou sous votre toit, si
je puis dire. L'animal en question n'était pas parti dans la
chaîne alimentaire, effectivement. Je suppose donc que vous aviez
déjà eu une alerte au niveau de l'abattoir et que d'autres
animaux du même troupeau étaient, eux, partis dans le circuit
alimentaire. Est-ce que je me trompe ?
Mme Chantal Jaquet
- Nous avons été prévenus par
les services vétérinaires qu'un animal avait été
retiré de l'abattage et évacué du service et qu'il nous
fallait procéder à un retrait des produits dont on nous avait
donné les éléments. On l'a fait immédiatement et
l'animal en question n'était donc absolument pas rentré dans la
chaîne alimentaire et dans nos magasins. En revanche, il y avait des
animaux du même troupeau qu'on nous a demandé de retirer. Ce sont
donc les services vétérinaires qui nous en ont informés.
De plus, un juge a fait une déclaration publique pour annoncer ce qui
s'était passé. Il nous paraissait donc extrêmement
important d'informer nos clients, sachant que les services
vétérinaires nous avaient demandé de retirer les lots de
bêtes et que le juge a fait une déclaration publique à
travers les médias.
M. le Président -
D'accord. Je donne la parole à M. Bizet.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Je vous prie de m'excuser car j'étais
absent au début de votre intervention, mais j'ai simplement noté
un point, dans la dernière partie de votre intervention, sur lequel je
voudrais rebondir. Vous avez en effet utilisé le mot "partenariat".
C'est un mot à la mode qui sous-entend un travail véritablement
en commun et, surtout, un partage équitable de la valeur ajoutée,
qui dépasse très largement le problème de l'ESB.
Là aussi, je pense que nous sommes à un virage. Avez-vous pris
conscience qu'en tirant les prix par le bas, soit au niveau de votre enseigne,
soit au niveau d'autres enseignes, il y a un moment où on atteint le
plancher, si je puis dire, et qu'il faudra malgré tout revenir à
des productions d'un autre aspect et d'une autre qualité, ce qui suppose
également une élévation du prix et un meilleur partage de
la valeur ajoutée ? Que pouvez-vous nous dire à ce
sujet ?
Mme Chantal Jaquet
- Le mot "partenariat" est effectivement un peu
galvaudé aujourd'hui ; vous avez raison de le souligner. Comme je
l'ai rappelé tout à l'heure, cette démarche que nous avons
initiée date de 1991. A l'époque, c'était une chose
totalement originale. Nous avons beaucoup travaillé avec les pouvoirs
publics à l'époque (c'était M. Philippe Guérin qui,
à ce moment-là, était le directeur de l'alimentation et
nous avons beaucoup travaillé avec ses équipes) sur les
référentiels des filières "Qualité Carrefour", un
travail dont nous nous sommes beaucoup inspirés par la suite.
Je précise que les filières "qualité Carrefour"
étaient, en gros, 10 % plus chères, en magasin, que les
viandes de nos concurrents ou le VBF couramment vendu. Cela représentait
entre 70 et 80 % des ventes de viandes de Carrefour et plus de 60 %
du nouveau groupe, parce que, là aussi, ces filières ont
été mises progressivement en marche. On sait bien que ce sont des
démarches longues qui s'inscrivent dans la durée avec des projets
communs.
Cela a donc représenté environ 60 % des ventes de viande du
nouveau groupe Carrefour et entre 70 et 80 % auparavant, et il y avait une
prime que nous donnions aux agriculteurs. Lors de la première crise de
1996, nous avons payé environ un ou deux francs du kilo de plus,
malgré la prime que nous donnions déjà naturellement
à l'époque, pour aider les agriculteurs à sortir de cette
crise.
Je crois vraiment que cette démarche que nous avons initiée
depuis le départ permet de rémunérer la valeur à
son juste prix. C'est vrai pour les filières bovines, pour les
filières porcines ou pour des filières comme les carottes, pommes
de terre ou d'autres produits que nous vendons aujourd'hui sous notre sigle. Ce
ne sont absolument pas les produits les moins chers des rayons et nous
valorisons justement les terroirs français, les origines
françaises et une qualité avec ces partenaires.
M. le Rapporteur
- Qui dit partenariat dit contractualisation avec un
groupement de producteurs, mise en place d'un cahier des charges commun, avec
une négociation entre un groupement de producteurs et votre enseigne,
mais quid de la propriété du cahier des charges ? Est-ce la
propriété de Carrefour ou celle du groupement de
producteurs ?
Mme Chantal Jaquet
- C'est une propriété partagée,
puisque nous l'élaborons ensemble. En général, nous
faisons ces cahiers des charges avec les représentants des groupements
de producteurs. Si je prends l'exemple de la race normande, comme nous avons
20 000 producteurs, nous ne faisons pas un cahier des charges avec les
20 000 producteurs.
Nous avons donc des groupements en essayant, en fonction de l'implantation de
nos magasins, d'avoir des groupements de directeurs. Nous travaillons avec le
groupement "la Montbéliarde", avec "l'Abondance", avec la
"Charolaise"... Je précise que les Charolais sont venus les derniers et
que ce sont eux qui sont venus nous le demander parce qu'au début, nous
avons commencé avec des petits groupements de producteurs et que les
Charolais nous disaient : "cela ne nous intéresse pas parce que
nous sommes gros". Cela dit, assistant à nos démarches, ce sont
eux qui sont venus nous voir ensuite pour nous dire : "nous aussi, nous
voudrions nous inscrire dans les démarches filières
Qualité Carrefour".
Nous mettons donc en place ces cahiers des charges avec les groupements de
producteurs qui, ensuite, démultiplient avec leurs producteurs.
M. le Rapporteur
- Il serait souhaitable, malgré tout --car je
connais un peu le problème--, que le cahier des charges reste la
propriété des éleveurs. Je pense que vous pouvez deviner
pourquoi. Je trouve que ce serait plus rationnel.
Mme Chantal Jaquet
- Ce cahier des charges nous engage nous aussi dans
la façon dont nous mettons en vente nos produits. A partir du moment
où cela engage les deux partenaires, je pense qu'il est important qu'il
soit partagé. Il est même partagé entre trois partenaires,
parce qu'il comprend aussi les conditions d'abattage, le bien-être des
animaux, les conditions de stockage, de transport, etc. Là aussi c'est
un engagement fort. Si vous souhaitez que l'on vous fasse parvenir un cahier
des charges, nous le ferons avec grand plaisir.
M. le Rapporteur
- Tout à fait.
J'ai une dernière question à vous poser : êtes-vous
satisfaits de la traçabilité ? Je sais que de gros efforts
ont été faits, mais pensez-vous aller encore plus loin en
matière de traçabilité et de transparence afin de
permettre aux consommateurs d'avoir l'information la plus large possible, qui
soit conciliable avec un packaging bien encadré, avec des signes de
qualité qui sont, là aussi, bien encadrés mais qui
mériteraient peut-être d'être diminués, parce qu'il
ne faut pas non plus que le consommateur soit noyé dans trop
d'informations ? Avez-vous une réflexion sur ce point pour vous
permettre d'aller plus avant dans une meilleure information du
consommateur ?
Mme Chantal Jaquet
- Je dirai d'abord que plus les filières sont
organisées, plus la traçabilité est facile. Les
filières porcines ou avicoles, par exemple, sont très
organisées et la traçabilité ne pose vraiment aucun
problème, ni en matière d'alimentation, ni en matière de
conditions d'élevage. On arrive vraiment à maîtriser non
pas parfaitement, parce que rien n'est jamais parfait, mais relativement bien
la traçabilité.
Effectivement, plus les filières sont éclatées, plus c'est
difficile. La filière bovine, aujourd'hui, n'est pas encore très
organisée, d'autant plus qu'il y a beaucoup d'intermédiaires. On
a vu qu'il y avait beaucoup de problèmes à travers des
intermédiaires qui commercialisent des viandes bovines, et je pense
qu'il faudrait se pencher un peu plus sur la façon de suivre les animaux
à travers leurs différents circuits depuis leur naissance.
On a eu parfois du mal à avoir l'origine totale des animaux. On avait la
traçabilité à partir du moment où le producteur
l'avait ainsi qu'à partir du moment où il avait acheté la
bête, mais il était assez difficile --c'est très
particulier à la filière bovine-- de remonter jusqu'à
l'origine et la naissance des bêtes pour des bêtes qui ont une
dizaine d'années. Je pense qu'il faut vraiment se pencher ce
problème particulier.
Nous avons été les premiers sur la filière porcine.
Auparavant, une fois que le porc était découpé, on n'avait
plus la traçabilité. Or, aujourd'hui, dans nos filières,
nous suivons la bête, même découpée ; elle a un
numéro et on peut la suivre. Dans nos magasins, aujourd'hui, dans nos
filières porcines, nous pourrions mettre le nom du producteur,
même si c'est un peu difficile en matière de marquage.
En revanche, aujourd'hui, sur les filières bovines, c'est beaucoup plus
difficile. Nous pouvons donner le centre d'élevage : le groupement
d'éleveurs certifie un certain nombre d'élevages qui ont
été qualifiés. Les viandes arrivent et nous les avons donc
parfaitement tracées à partir de l'éleveur et de
l'abattoir. En revanche, pour des bêtes qui ont dix ans, nous avons
beaucoup de mal, encore aujourd'hui, à retracer ce qui s'est
passé les trois ou quatre premières années.
M. Jean Bernard
- Vous avez dit, madame, que le contrat avec les
éleveurs vous permettait d'avoir une fourniture d'un certain pourcentage
de vos ventes, mais cela ne les concerne pas toutes.
Mme Chantal Jaquet
- Pas toutes, en effet.
M. Jean Bernard
- Au niveau de l'étal, y a-t-il des marques
distinctives et le prix supérieur se justifie-t-il par une
indication ? Le consommateur peut-il faire la différence entre une
viande dite "foraine" et une viande provenant d'un éleveur avec lequel
vous êtes sous contrat ?
Mme Chantal Jaquet
- Oui. Chez Carrefour, depuis 1991, nous ne
commercialisons que des viandes françaises. Nous avions soit du VBF,
soit des viandes de qualité filière. Sur ces viandes de
qualité filière, on certifiait un certain nombre de choses, dont
nos élevages qui sont certifiés, alors que les viandes VBF
étaient françaises mais ne venaient pas forcément
d'élevages certifiés.
Nous nous sommes d'ailleurs rendu compte qu'après la première
crise, en 1996, Carrefour avait eu des résultats bien meilleurs que les
autres enseignes de distribution parce qu'à l'époque, le label
VBF n'existait pas (il n'a été mis en place que plus tard). Tous
les éleveurs étaient venus dans les magasins, puisqu'on leur
avait donné la possibilité de valoriser la viande
française, et nous avions eu des résultats bien meilleurs (on le
voyait à travers le FCD) que nos autres concurrents.
Dans cette nouvelle crise, on s'aperçoit qu'à chaque fois que
l'on a des viandes filières, elles se vendent mieux que les autres. Par
exemple, dans l'ancien périmètre de Continent, dans lequel on
n'avait pas eu le temps de faire monter en puissance l'ensemble des viandes
vers la filière qualité, les résultats sont un peu moins
bons. De la part du consommateur, il y a vraiment une reconnaissance de ces
produits.
M. François Marc
- J'ai deux ou trois petites questions à
vous poser.
La première concerne les décisions que vous avez prises au mois
d'octobre dernier, qui ont été spectaculaires et
importantes : le retrait des viandes et une information assez
médiatisée. N'avez-vous pas eu l'impression d'écraser une
mouche avec une marteau-pilon ou, par rapport à un
phénomène limité et sporadique, de créer quelque
part une psychose ? Est-ce une chose que vous avez analysée a
posteriori ?
Ma deuxième question concerne les viandes que vous mettez aujourd'hui
sur le marché. Pouvez-vous nous confirmer qu'il n'y a pas de viande
espagnole ou allemande ? On entend en effet des éleveurs qui
disent : "ce n'est pas normal ; il y a des viandes allemandes ou
espagnoles qui viennent !"
Enfin, j'ai un dernier point lié à cela. Nous avons aujourd'hui
un certain nombre de producteurs qui souhaitent que l'on crée au plus
vite un observatoire des marges, puisqu'ils ont constaté que les prix
étaient très élevés alors qu'on leur achetait leurs
bêtes trois fois rien. Êtes-vous favorable à ce que l'on
crée un observatoire des marges pour dire clairement où passe
l'argent, où sont les marges et comment se répartit la valeur
ajoutée au sein de la filière de la viande bovine ?
Mme Chantal Jaquet
- Je vais répondre à vos trois
questions.
Nous avons un comité scientifique chez Carrefour, même si nous
n'en parlons pas, ce qui nous paraît normal dans le cadre de nos
responsabilités. Nous nourrissons aujourd'hui près de 25 %
de la population française et nous ne pouvons donc pas faire les choses
n'importe comment. Nous nous étions donc penchés sur ce
problème de l'ESB parce que nous sommes vraiment au coeur de la
chaîne alimentaire, entre le producteur et le consommateur. Comme
beaucoup de choses se passent, nous nous sentons responsables aujourd'hui et
nous voyons à quel point nos clients, qui sont en même temps
consommateurs, citoyens et écologistes, nous rendent de plus en plus
responsables d'un certain nombre de choses.
Par exemple, on a pu nous dire : "vous vous occupez de ce qui ne vous
regarde pas" dans un certain nombre de cas, alors qu'en fait, tout nous regarde
parce que nous nous sentons responsables devant nos clients et que ceux-ci nous
rendent de plus en plus responsables d'un certain nombre de choses.
Dans le cadre de ce comité scientifique, puisque nous entendions parler
de l'ESB comme tout le monde et que nous voulions savoir ce qui était
vrai ou non, nous avons fait venir M. Dormont, quelques jours avant que se
déclare ce problème chez Carrefour. Cela nous a permis d'avoir
connaissance de ce qu'était l'ESB et de ses conséquences, et nous
avons été vraiment extrêmement perturbés par ce que
nous avons appris.
Par conséquent, quand cet événement s'est
déclaré, c'était pour nous quelque chose d'important et
non pas un épiphénomène. De plus, les services
vétérinaires nous ont toujours fait confiance, de même que
nous faisions confiance à la compétence et la diligence des
services vétérinaires ainsi qu'aux pouvoirs publics. Le fait de
retirer un produit était donc un acte important pour nous.
Par ailleurs, il y a eu la déclaration du juge. Je pense que nos
consommateurs n'auraient pas compris que nous ne fassions rien. Je ne puis pas
là pour parler de nos concurrents, mais, dans quelques enseignes qui
n'ont rien fait, les clients (on l'a vu à travers des enquêtes
récentes n'ont pas trouvé normal qu'on ne les prévienne
pas.
Je pense que nous avons un devoir vis-à-vis de nos clients. Les
enquêtes que l'on a pu faire montrent que Carrefour a été
reconnu par les consommateurs, auxquels nous devons répondre en premier,
comme une entreprise responsable. Là aussi, nous pourrons mettre ces
enquêtes à votre disposition si elles vous intéressent.
Voilà ce que je peux répondre sur votre première question.
Je passe à la deuxième question sur les viandes venant
d'Allemagne, d'Espagne ou d'ailleurs. Je peux vous assurer que, chez Carrefour,
tout le périmètre des hypermarchés, aujourd'hui, ne se
fournit en aucun cas avec une viande autre que française. C'est vrai
également pour les supermarchés.
Simplement, vous savez que, depuis la fusion avec Promodès, nous avons
des affiliés et des associés qui, ici ou là (mais je ne
veux surtout pas dire que cela existe), de façon très sporadique,
pourraient faire un achat de viandes étrangères, mais ce n'est en
aucun cas une pratique de l'entreprise puisque, depuis 1991, nous menons cette
action. Nous le faisons vraiment pour tout. Par exemple, par rapport aux
fraises d'Espagne, nous achetons des fraises le jour où la production
française démarre et, en général, nous travaillons
avec les organisations françaises pour ne pas trop baisser les prix de
façon à ce que, lorsque les fraises françaises arrivent,
il n'y ait pas de décalage au point de vue des prix. Dès que la
production française arrive, nous mettons en place la production
française.
Nous faisons la même chose pour les tomates et pour un certain nombre de
produits.
Je vous assure qu'en interne, ce ne sont pas toujours des positions faciles
à tenir vis-à-vis des directeurs de magasin, parce que certains
de nos concurrents ont des prix beaucoup plus bas mais nous le faisons.
Voilà ce que je peux répondre à votre deuxième
question.
Enfin, sur l'observatoire des marges, je vais vous donner une réponse
qui m'est très personnelle et que j'avais faite à
l'époque. En effet, au moment de tous les problèmes sur la
filière lait, je faisais partie d'Onilait parce que je m'occupais de la
marque "Carrefour" et j'ai été concernée par le
problème parce que je faisais partie de la commission constituée
autour du ministre pour traiter ce problème.
Ce qui est fondamental, c'est que les producteurs soient
rémunérés à leur juste prix et au prix de leur
juste travail. Je pense qu'à partir du moment où ils sont
payés et que c'est indiqué sur la facture (je ne m'étais
pas fait toujours des amis quand je l'avais dit à l'époque),
personne ne peut s'y opposer. Il est important que le producteur soit
rémunéré à son juste prix.
Ensuite, les marges des transformateurs et des distributeurs appartiennent
à chacun, selon sa politique commerciale. Des grands groupes comme
Danone, Nestlé ou Yoplait ont aussi, entre eux, des bagarres
commerciales et ils doivent pouvoir, en fonction de leurs produits, de leur
stratégie ou de leurs outils, être libres de leurs marges. De la
même manière, les distributeurs doivent aussi être libres de
leurs marges, parce qu'ils peuvent à un moment donné, pour telle
ou telle raison, décider de mettre en avant tel ou tel produit.
En revanche, il est fondamental que le producteur soit
rémunéré à son juste prix. Il faut se battre pour
cela et j'en suis partisane. C'est possible.
J'espère avoir répondu à vos questions.
M. le Président -
Très bien. S'il n'y a pas d'autres
questions, nous allons vous remercier d'avoir fait le tour de la question.
Merci d'avoir répondu à toutes les questions des collègues.
Mme Chantal Jaquet
- Nous vous ferons parvenir les
éléments dont j'ai parlé : le cahier des charges et
l'enquête consommateurs.
M. le Président
- Très bien. Cela nous intéresse.