Audition de M. Yves BOISARD,
Directeur du contrôle qualité du
groupement d'achats Leclerc,
et de M. Hervé AUBÉ, Directeur
général de la société
Kermené
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Je vous remercie d'avoir
répondu à notre invitation et aussi d'avoir attendu patiemment.
Monsieur Yves Boisard, vous êtes Directeur du contrôle
qualité du groupement d'achats Leclerc et, monsieur Hervé
Aubé, Directeur général de la société
Kermené. Je vous précise que vous êtes auditionnés
dans le cadre de la commission d'enquête mise en place par le
Sénat sur le problème des farines animales et des
conséquences pour la santé des consommateurs et qu'à ce
titre, vous ne pouvez témoigner qu'après avoir prêté
serment. C'est pourquoi je vais vous rappeler le protocole de cette
opération.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Boisard
et Aubé.
M. le Président -
Dans un premier temps, je vais vous passer la
parole pour que vous puissiez nous indiquer assez succinctement l'organisation
qui est en place à l'intérieur de votre société,
après quoi nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous
poser.
M. Hervé Aubé
- Vous savez que le mouvement Leclerc est un
groupe de 550 indépendants à travers la France, mais aussi trois
autres pays : l'Espagne, le Portugal et la Pologne. Cela veut dire aussi
que ces 550 magasins disposent d'un acte d'achat séparé.
Moi-même, je représente le seul outil collectif que nous ayons,
c'est-à-dire un outil d'abattage et de transformation d'animaux, qui
représente un chiffre d'affaires de 3 milliards de francs, en
Bretagne, avec 1 800 personnes, mais qui ne représente que 12 à
20 % des besoins en produits carnés du groupe.
Par essence, ces 550 magasins déclinent régionalement leurs
achats de produits carnés et donc nous n'avons pas, à
l'intérieur du groupe, de filière organisée. Chacun est
libre de pratiquer ses achats comme il le veut.
M. Yves Boisard
- Compte tenu de la structure et de l'organisation en
magasins indépendants, le système qualité reflète
exactement ces dispositions.
Si l'on prend le problème par la base, chaque magasin a donc un
responsable qualité. Chaque magasin est une entreprise et un responsable
qualité est rattaché directement à la direction du
magasin.
Ces magasins sont regroupés en seize centrales régionales ou
plates-formes et il y a donc un responsable qualité par plate-forme.
Au niveau national, nous avons des responsables qualité par outil. Ce
qu'on appelle "outil", ce sont toutes les sociétés qui
référencent les produits : les produits alimentaires d'un
côté et les produits non alimentaires de l'autre. On va ensuite
dans un niveau encore plus détaillé avec le textile, le bazar et
ainsi de suite. On attache une importance particulière à tout ce
qui est marques de distributeurs, avec un service qualité
complètement intégré dans la société que
l'on appelle Scamarque et qui gère les marques des distributeurs.
Enfin, au dernier échelon, relié directement à la
structure dirigeante de l'enseigne, il y a un service qualité groupe
dans lequel je travaille et qui est chargé de trois tâches
principales : tout ce qui touche à la veille, au sens large, tout
ce qui touche aux préconisations quant aux démarches
qualité que chaque niveau doit adopter et une démarche de
surveillance du bon fonctionnement de l'ensemble des outils des centrales et
des magasins.
Au fond, nous avons une structure comparable à ce qu'on trouve dans les
groupes industriels, avec, de haut en bas, une direction de qualité
groupe, une direction de qualité branches (pour nous, ce sont les
régions) et une direction de qualité sur chaque site, un peu
comme si nous avions des usines.
M. le Président -
Si je comprends bien, cela veut dire qu'en
particulier pour ce qui concerne la viande, chaque magasin est
indépendant.
M. Yves Boisard
- Chaque magasin a la liberté d'acheter.
M. le Président -
Donc vous n'avez pas de cahier des charges
commun et réel pour l'ensemble des magasins Leclerc ?
M. Yves Boisard
- Absolument.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Je voudrais savoir quelle a
été l'incidence, à ce jour, de la crise de l'ESB sur vos
ventes, dans l'ensemble de vos magasins, si vous pensez retrouver le niveau de
consommation antérieur et, si c'est le cas, à quelle
échéance.
M. Hervé Aubé
- C'est une crise qui a amené une
variation dans les ventes. Les deux premières semaines de la crise,
c'est-à-dire au mois de décembre, les tonnages ont baissé
de pratiquement 40 à 50 % pour se relever dès la
troisième semaine, où nous avons atteint un niveau de -
20 %, et ce jusqu'à il y a quatre semaines, où nous
retrouvions nos tonnages, puisque, comme nous l'avons dit tout à
l'heure, les magasins sont indépendants mais que l'on a une vision
relativement précise de ce qu'achètent les magasins. Les magasins
achetaient surtout des races à viande et, de ce fait, avaient
retrouvé des tonnages qui devaient se situer entre - 8 et - 10 %.
C'est la crise de la fièvre aphteuse qui a fait replonger les magasins,
depuis trois semaines, à un niveau de - 20 %. Voilà la
situation.
Cela dit, il faut ajouter une particularité sur la viande
déstructurée, comme le steak haché, qui n'a jamais
retrouvé les tonnages que nous connaissions avant la crise. Ces tonnages
doivent se situer encore aujourd'hui autour de - 30 %.
M. le Rapporteur
- Imaginez-vous mettre en place des relations de
partenariat plus fortes qu'elles n'existent aujourd'hui entre producteurs,
transformateurs et distributeurs, les contractualisations allant jusqu'à
l'identification de l'exploitation agricole avec, à la clef, un partage
de la valeur ajoutée différent d'aujourd'hui ? Est-ce une
démarche à laquelle vous avez réfléchi et dans
laquelle vous allez vous lancer ? Si c'est le cas, n'est-ce pas une
difficulté pour vous compte tenu du fait que chaque magasin est
indépendant ?
M. Hervé Aubé
- Effectivement, c'est une
difficulté. En ce qui concerne l'outil collectif et les besoins qu'il
représente vis-à-vis de ces 550 magasins, on a déjà
pratiqué ce que vous évoquez, mais on l'a fait beaucoup plus sur
d'autres espèces animales que le bovin. Nous l'avons pratiqué
depuis dix ans sur le veau, en contractualisant avec les éleveurs sur un
veau spécifique élevé uniquement avec de la
protéine laitière dans un cahier des charges très
précis.
Nous avons aussi contractualisé ce type de cahier des charges pour les
espèces porcines parce que, avant cette crise bovine, nous nous
apercevions que les consommateurs voulaient un produit déjà sans
farine de viande. Nous avions donc contractualisé avec un certain nombre
d'éleveurs un produit à la fois sans farine de viande, sans
antibiotiques et sans facteurs de croissance. Nous avons vu ainsi les ventes
largement se développer au cours de la crise bovine.
La grande difficulté que nous avons, c'est de contractualiser avec 550
magasins, mais les 550 magasins jouent leur citoyenneté
municipale : leurs fournisseurs sont à côté des
magasins et ils sont connus. Ce sont donc des achats de proximité qui
sont faits. Par conséquent, même s'il n'y a pas une
contractualisation sur le papier, il y a une contractualisation morale avec un
certain nombre de fournisseurs, région par région.
M. le Rapporteur
- Avez-vous une harmonisation de votre cahier des
charges ou chaque magasin doit-il définir son cahier des charges ?
M. Hervé Aubé
- En fait, il y a une harmonisation des
cahiers des charges. Les magasins ont beaucoup d'espaces non pas en
libre-service mais que l'on appelle traditionnels et, de ce fait,
déclinent des achats d'animaux "boucher". Quand on parle d'animaux
"boucher", on parle pratiquement toujours des mêmes catégories
d'animaux. De ce fait, sans avoir de contractualisation écrite, les gens
se réfèrent toujours aux mêmes animaux.
M. le Rapporteur
- Êtes-vous satisfaits de l'état de la
traçabilité, aujourd'hui, vis-à-vis des demandes de vos
consommateurs ? Dans le même ordre d'idée, êtes-vous en
phase avec les consommateurs sur la décision de l'Union
européenne du 18 juillet dernier sur les normes d'étiquetage et
d'identification qui ont été en deçà de ce qui
avait été logiquement demandé et prévu ?
M. Yves Boisard
- A l'automne dernier, lorsque nous avons diffusé
les documents d'application des recommandations européennes, nous avons
conseillé aux magasins de continuer à indiquer les deux
informations qui étaient utilisées précédemment et
qui manquaient, à savoir la catégorie et le type racial, parce
que nous pensions --nous le pensons toujours-- que ces informations
étaient demandées par les consommateurs.
Il n'y a pas de difficulté particulière à l'indiquer,
puisqu'on l'a fait pendant très longtemps, et la marche arrière
que l'on a constatée à l'automne et qui a été
appliquée à partir du 1er janvier (il y avait une
tolérance de quelques mois pour mettre en place la démarche) nous
paraît être un recul par rapport à une chose qui
était parfaitement établie et qui ne posait pas de
problème particulier.
C'est pourquoi les magasins qui l'ont souhaité peuvent continuer
à indiquer sur leurs étiquettes à la fois la
catégorie et le type racial.
M. le Rapporteur
- Mais vous n'êtes pas en conformité avec
la législation.
M. Yves Boisard
- Non, mais nous pouvons aussi donner des informations
parce que nous pensons que les consommateurs les demandent.
M. le Rapporteur
- Quels sont vos rapports avec la DGCCRF sur ce point
précis ?
M. Yves Boisard
- A aucun moment elle ne nous a fait remarquer que nous
donnions plus d'informations que ce à quoi nous étions tenus,
mais il est possible que cela change. A ce moment-là, nous demanderons
aux magasins de rentrer dans la légalité, au moins sur ce niveau
d'étiquetage.
M. le Rapporteur
- Avez-vous, sur ce point précis, une
réflexion qui va plus loin en termes d'information du
consommateur ? En dehors du type racial, du lieu d'abattage, etc.,
avez-vous l'intention de médiatiser davantage ?
M. Yves Boisard
- Pas à ce jour. Les informations qui sont
données sont, à notre sens, très complètes pour la
viande bovine. Maintenant, on peut se demander si on est en mesure de faire le
même travail sur les autres espèces animales, sur la viande de
porc, sur la viande ovine et ainsi de suite.
M. le Président
- Très bien. Il n'y a pas d'autres
questions ?
Je pense que vous nous avez donné la totalité de ce que nous
attendions, sachant que nous avons pu poser les questions que nous voulions.
Merci d'avoir répondu à cette invitation. Nous avons ainsi
l'organisation telle qu'elle est établie chez vous, qui est
différente d'autres groupes.
M. Yves Boisard
- Très différente.
M. le Président -
Cela nous permet aussi de comparer. Merci
beaucoup.