Audition de M. Jean GLAVANY, ministre de l'agriculture et de la
pêche
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Mes chers collègues,
nous pouvons reprendre nos travaux.
Monsieur le Ministre, merci d'avoir répondu à notre invitation.
Je vous rappelle que vous êtes entendu dans le cadre de la commission
d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur les
problèmes posés par l'utilisation des farines animales et les
conséquences qui en résultent pour la santé des
consommateurs et que, comme vous le savez, ces témoignages doivent se
faire après avoir prêté serment. Je vais donc vous rappeler
la formule consacrée et vous demander, ainsi qu'à vos
collaborateurs, si vous leur passez la parole, de bien vouloir prêter
serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Glavany.
M. Jean Glavany
- Je le jure. Je vous présente les collaborateurs
qui m'entourent : Mme Geslain-Lanéelle, directrice
générale de l'alimentation, que vous avez déjà
auditionnée, ainsi que Bénédicte Herbinet et Loïc
Evain, qui sont tous les deux membres de mon cabinet.
M. le Président -
Nous avons eu également la chance de
voir Mme Herbinet.
M. Jean Glavany
- Quand vous l'avez auditionnée, elle
était fonctionnaire des services alors qu'elle est maintenant dans mon
cabinet.
M. le Président
- Tout est donc changé...
M. Jean Glavany
- Quand j'ai vu la qualité de sa
déposition devant vous, je me suis dit qu'il fallait absolument l'amener.
M. le Président -
Très bien. Je me permets de vous faire
prêter serment les uns et les autres.
Mme Geslain-Lanéelle -
Je le jure.
Mme Bénédicte Herbinet -
Je le jure.
M. Loïc Evain
- Je le jure.
M. le Président
- Merci. Si vous le permettez, monsieur le
Ministre, je vais vous donner la parole pour que, dans un premier temps, vous
nous donniez votre opinion et votre position sur ce phénomène,
après quoi, avec l'ensemble de nos collègues, nous nous
permettrons de vous poser les questions qu'il nous semble important de vous
poser.
M. Jean Glavany
- Je vous remercie, monsieur le Président. Je
suis très heureux d'être là, devant vous, un peu
intimidé, même s'il m'est déjà arrivé de
présider des commissions d'enquête parlementaires et d'être
à votre place. C'est la première fois que je suis de ce
côté de la barrière, mais il faut de tout pour forger une
expérience. Je suis heureux d'avoir l'occasion de parler devant vous
aussi librement que possible d'un sujet qui, à bien des égards,
est passionnant et difficile en même temps.
J'ai choisi de le faire en commençant évidemment par la
problématique du risque en général et du risque
alimentaire en particulier. Je crois que la France avait, de ce point de vue,
beaucoup de progrès à faire et qu'elle en a encore beaucoup
à faire, mais que ces dernières années ont permis à
notre organisation publique de faire des progrès considérables,
notamment avec la création de l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments, en 1999, Agence, dont, d'une
certaine manière, je voudrais remercier le Sénat, puisque c'est
une proposition de loi d'initiative parlementaire, notamment du Sénat,
qui en est à l'origine. Elle marque à mon avis un bouleversement
extrêmement positif et constructif pour l'approche du problème des
risques, en particulier alimentaires.
Dans une démocratie moderne, transparente et qui se veut efficace, il
était indispensable de séparer les fonctions d'évaluation
et de gestion du risque. L'évaluation du risque relève de la
compétence de l'autorité des scientifiques, si possible
indépendants, alors que la gestion du risque ne peut relever que des
autorités publiques démocratiquement élues et responsables
devant le peuple.
Le mélange des genres est dommageable à bien des égards,
aussi bien quand les responsables politiques et publics se targuent de pouvoir
évaluer le risque mieux que les scientifiques que lorsque des
scientifiques veulent sortir de leur rôle pour entrer dans la gestion du
risque, ce qui n'est pas forcément meilleur, parce qu'ils ne sont pas
responsables, eux, devant le peuple et qu'ils ne sont pas forcément non
plus détenteurs de ce sens de l'intérêt
général qui doit animer tous ceux qui gèrent la chose
publique.
En tout cas, pour avoir vécu cette mise en place, puisque j'ai
été nommé ministre à la fin de 1998, alors que
l'initiative parlementaire était en pleine gestation, mais aussi parce
que l'essentiel des moyens accordés à l'AFSSA sont d'anciens
moyens du ministère de l'agriculture et que nous suivons la
montée en puissance de l'AFSSA avec les moyens budgétaires du
ministère de l'agriculture, je considère que l'AFSSA est l'une
des plus belles réussites de création d'agences ou de nouvelles
entités administratives depuis ces dix ou vingt dernières
années.
J'ajoute même que, lorsque, après un an et demi à peine, on
fait le bilan de son action, on est assez émerveillé de la place
qu'elle a prise dans le dispositif d'évaluation des risques, de sa
respectabilité et de son indépendance. Pour une entité
administrative aussi neuve et aussi jeune, la réussite est assez
exemplaire.
En tout cas, je veux dire ici que, maintenant qu'on s'appuie sur ce dialogue
public entre les gestionnaires du risque que sont les gouvernements, le
gouvernement français en l'occurrence, et les évaluateurs du
risque que représente l'AFSSA, j'imagine bien ce que cela devait
être avant, quand on avait une espèce de confusion des genres et
un manque de visibilité entre l'évaluation et la gestion.
J'ajoute, pour finir sur ce point, que ce que nous avons réussi à
faire dans notre pays, il est indispensable de le faire maintenant au plan
européen. La nécessaire mise en place de l'Autorité
alimentaire européenne, qui est une proposition faite par la France, me
paraît plus que jamais urgente parce que, là aussi, il y a eu et
il y a toujours des dysfonctionnements au niveau européen --j'en dirai
un mot tout à l'heure-- entre l'évaluation et la gestion du
risque. Là aussi, nous avons besoin d'une autorité
indépendante qui puisse animer le débat entre les
autorités nationales, éclaircir un certain nombre
d'évaluations et conseiller les gestionnaires des risques au niveau
européen.
C'était mon premier point.
Le deuxième, c'est que, dans cette gestion du risque, j'ai
souhaité moi-même, quand je suis devenu ministre, procéder
à une réforme de l'administration, et en particulier de la
Direction générale de l'alimentation, qui m'était apparue
comme héritant d'une sorte de vice constitutif, dans la mesure où
la Direction générale de l'alimentation exerçait la
tutelle des industries agro-alimentaires et, en même temps, assurait les
tâches de sécurité alimentaire, notamment la gestion des
services vétérinaires et toutes les tâches de
contrôle de ces industries agro-alimentaires.
J'ai considéré que le procès qui pouvait être fait,
et qui était d'ailleurs fait ça et là, à la
Direction générale de l'alimentation d'être juge et partie
vis-à-vis des industries agro-alimentaires devait nous amener à
la réformer. J'ai donc transféré la tutelle des industries
agro-alimentaires à la Direction de la production, la DPEI, de sorte que
la Direction générale de l'alimentation, dont la directrice
générale est à mes côtés, est devenue la
Direction de la sécurité alimentaire à part entière.
C'était une sorte de gageure ou de révolution culturelle, je dois
le dire, parce que, y compris pour les fonctionnaires de cette administration,
cela n'allait pas de soi. J'ai souhaité que ce ministère, trop
souvent perçu comme le ministère des agriculteurs, des
producteurs, devienne aussi à part entière le ministère de
la sécurité alimentaire. J'ai donné des consignes
extrêmement rigoureuses en ce sens parce que je pensais que
c'était à la fois une nécessité de la
société moderne et une attente de l'opinion et surtout, pour tout
vous dire, que si nous ne le faisions pas, d'autres le feraient à notre
place et que cette direction serait peu ou prou rayée de la carte,
puisque telle était l'attente centrale que l'opinion affichait ou
exprimait à l'égard de l'administration en matière
d'alimentation.
Je l'ai fait et, en même temps --j'en dirai aussi un mot plus tard--,
j'ai souhaité qu'avec les autres ministres en charge de ces
problèmes, nous franchissions un cap dans la fluidité, la
transparence et l'harmonie du travail interministériel en matière
de sécurité alimentaire.
Traditionnellement, les territoires de sécurité alimentaire sont
traités par trois ministères : le ministère de
l'économie et des finances, avec l'administration de la consommation, la
DGCCRF, le ministère chargé de la santé, par le biais de
la Direction générale de la santé, et le ministère
de l'agriculture et de la pêche, à travers la Direction
générale de l'alimentation.
Reconnaissons que des décennies de travail de ces trois directions ont
été émaillées de bien des rivalités, de bien
des difficultés, de bien des heurts et de bien des incidents. Nous avons
donc pensé, depuis la réforme de la Direction
générale de l'alimentation, qu'il fallait forcer le pas sur
l'interministérialité et qu'au fond, loin d'être un
handicap, cette interministérialité touchant les consommateurs,
la santé et la Direction générale de l'alimentation
pouvait être une chance à condition qu'on arrive à
harmoniser totalement les travaux de ces trois directions.
C'est ce que, peu ou prou, nous sommes en train de réussir. Cela n'a pas
été simple compte tenu des histoires de ces trois
administrations. Je n'en dirai pas plus car vous connaissez ces histoires, qui
sont traditionnelles, avec leur autonomie, leurs identités et leurs
histoires propres, mais nous sommes en train de réussir cela, les trois
directeurs généraux apprenant à travailler ensemble sur la
base d'une régularité de rencontres et de protocoles de
communication communs. Nous avons essayé de forcer le pas à toute
cette interministérialité et nous sommes même en train de
réussir la mise en place des pôles de compétence de
sécurité alimentaire dans des départements, auprès
des préfets, ceux-ci ayant reçu une circulaire des trois
ministres concernés, plus le ministre de l'intérieur, il y a un
an et demi, les incitant à mettre en place, au plan
départemental, des pôles de sécurité alimentaire
réunissant les services vétérinaires, les services de la
DGCCRF et les DDASS pour les forcer à travailler ensemble et nommant un
animateur de ces pôles de compétence. Dans un certain nombre de
préfectures, ce sont les DSV, dans d'autres, ce sont les DDASS, dans
d'autres encore, ce sont les directeurs départementaux de la concurrence.
Cela marche bien et, en cas de crise, cela permet de faire face de
manière commune, harmonieuse et efficace, sur le terrain. Aujourd'hui,
plus d'une vingtaine de départements ont mis en place ces pôles de
compétence et une autre vingtaine sont en train de se mettre en place.
Nous aurons ainsi une quarantaine de pôles de compétence d'ici la
fin de l'année.
Le troisième point que je voulais évoquer avec vous, après
avoir parlé de cette problématique du risque et du positionnement
de l'administration que j'ai l'honneur de diriger, concerne le problème
des farines animales, qui vous préoccupe, en essayant d'aller droit au
but sur ce qui m'est apparu être le déficit d'Europe dont je
parlais tout à l'heure.
À partir du moment où on a interdit, en 1990, les farines
animales pour les bovins, toute la problématique de la gestion des
farines animales a tourné autour des matériaux à risques
spécifiés (MRS). Il s'agissait de savoir si, bien qu'on les ait
interdites pour les bovins, puisqu'elles restaient autorisées pour les
porcs, les volailles et les autres bétails, on arrivait à les
sécuriser non seulement par les conditions de cuisson que vous
connaissez comme moi (133 degrés pendant 20 minutes et à 3 bars
de pression), mais aussi en en retirant tous les matériaux à
risques spécifiés.
D'où les décisions qui ont été prises en 1996 et
auxquelles je rends toujours hommage. Je pense en effet qu'Alain Juppé
et Philippe Vasseur, à l'époque, ont pris des décisions
courageuses qui sont la base même du dispositif de sécurité
que nous avons mis en place. Je ne sais pas si c'est à 80, 85 ou
90 % que le dispositif a été arrêté à
cette époque ; ensuite, nous avons sophistiqué les choses,
mais les dispositions ont été prises à ce
moment-là.
D'où les dispositions qui ont été prises en France en
1996, mais aussi d'où les difficultés que nous n'avons
cessé de connaître depuis.
Nous avons continué à connaître ces difficultés tout
simplement parce que, jusqu'à l'automne dernier, certains pays que vous
connaissez comme moi, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche et
même le Danemark jusqu'à l'année dernière (il a
viré six mois avant les autres), considérant qu'il n'y avait pas
d'ESB chez eux, au nom d'une certaine forme --je ne sais pas comment le dire--
d'aveuglement, d'autisme ou de surdité, estimaient qu'il n'y avait donc
pas de prion. Ces pays disaient : "circulez, il n'y a rien à voir,
vous nous embêtez avec tout ce que vous nous proposez !", alors que,
d'évidence, ils ne pouvaient pas ne pas en avoir, tout simplement parce
qu'on leur disait quotidiennement, hebdomadairement ou mensuellement, à
chaque fois qu'on les rencontrait à Bruxelles : "vous ne pouvez pas
ne pas en avoir puisque vous avez importé des farines animales anglaises
entre 1985 et 1995, comme nous, dans cette période où elles
étaient contaminées et dangereuses".
Simplement, ils ne voulaient pas regarder les choses en face et ils
s'opposaient donc à toute mesure européenne de restriction ou de
sécurisation de la fabrication des farines animales.
D'où cette attitude qui est finalement parmi les plus choquantes et sur
laquelle je pense que les historiens, et peut-être même les
juristes ou les juges, devront s'interroger un jour : certains pays ont
continué à mettre non seulement des matériaux à
risques spécifiées mais des cadavres d'animaux dans les farines
animales pour nourrir leur bétail jusqu'à il y a encore quelques
mois ! Devant nos protestations, nous étions face à des murs
d'obstination et de refus de toute évolution sur le sujet.
Pour moi, c'est un problème central.
Il aura fallu que se produise cette espèce de miracle et cette
concordance des temps étonnante, au moment de la crise de l'ESB, en
novembre et décembre derniers, entre deux Conseils de l'agriculture,
dont l'un s'était très mal passé, avec une crise
larvée, et le suivant s'était mieux passé. Ce miracle,
c'étaient les cas d'ESB qui s'étaient déclarés en
Allemagne et en Espagne, bousculant tout sur leur passage et permettant, au
mois de décembre, que toutes les propositions soient adoptées,
non seulement l'interdiction des farines animales, l'allongement et
l'harmonisation de la liste des matériaux à risques
spécifiés, mais aussi la mise en place des tests
systématiques.
Il aura fallu des années, de 1996 à fin 2000, pour que cette
évidence que représentait le danger des MRS dans l'alimentation
animale et dans les farines qui continuaient à être
distribuées aux porcs et aux volailles soit enfin admise par les pays
qui gardaient se pouvoir de blocage et nous empêchaient d'harmoniser le
dispositif sur le plan européen.
L'Europe, à cet égard, a montré des défaillances
évidentes qui, en matière de gestion du risque, doivent nous
amener à nous poser des questions et, surtout, à trouver des
solutions.
J'en viens au quatrième point de mon exposé quant à
l'interdiction elle-même des farines animales en France. En Europe, il
s'agit d'une suspension pour six mois, mais je dis tout de suite à votre
commission d'enquête, comme je l'ai dit devant le Conseil
européen, que je ne crois pas qu'une disposition de ce type puisse
marquer quelque retour en arrière que ce soit. A partir du moment
où nous avons pris ce pli de l'interdiction, je ne vois pas le Conseil
européen ou quelque gouvernement que ce soit retourner devant son
opinion en disant : "compte tenu de tout ce que nous savons depuis, nous
allons nous permettre de les réutiliser". Je crois que la page est
tournée et bien tournée. Tant mieux.
Cela dit, je voudrais distinguer deux choses : tout d'abord
l'évaluation du risque par les scientifiques et, ensuite, la gestion de
ce risque par les politiques.
En l'occurrence, vous aurez noté que l'actualité politique,
nationale et européenne nous aura amené à prendre la
décision de l'interdiction des farines animales avant l'avis des
scientifiques, qui était demandé à l'AFSSA à la fin
du mois de novembre et que nous aurons peut-être la semaine prochaine,
quand les scientifiques auront terminé leur travail. Peut-être
pourrez-vous vous nourrir de cet avis vous-mêmes pour le rapport de la
commission d'enquête.
D'une certaine manière, je pourrais presque vous dire mon intuition de
ce que sera cet avis. Je ne dis pas que je suis un scientifique et que je peux
me mettre à leur place, car je ferai ainsi une faute par rapport
à ce que j'ai dit tout à l'heure, mais je pense que les
scientifiques nous diront quelque chose du genre : "si vous pouviez nous
donner des garanties absolues sur les conditions de fabrication de ces farines,
sur la sécurisation des filières, sur l'hermétisme les
lignes de production et de transport et si vous pouvez nous donner des
garanties absolues sur le fait qu'il n'y a pas d'alimentation croisée, y
compris dans les exploitations mixtes, celles qui ont à la fois des
bovins, des porcs ou des volailles, si vous pouvez nous donner, sur tous ce
points, des garanties, y compris sur les conditions de fabrication (sur les 133
degrés, 20 minutes et 3 bars dont on parlait tout à l'heure) et
sur le retrait absolu de tous les MRS, si vous pouvez nous garantir tout cela,
alors il n'est pas nécessaire d'interdire les farines animales. Mais
comme nous subodorons que vous ne pouvez pas nous donner ces garanties et que,
d'une certaine manière, aucun gouvernement ne pourrait jamais donner des
garanties absolues qu'il n'y a pas de fraude, de légèreté
ou quoi que ce soit, la décision d'interdiction ne manque pas de
sagesse".
Je respecte l'indépendance des scientifiques et nous verrons si c'est ce
qu'ils disent, mais cela ne devrait pas être très
différent.
Nous avons donc été amenés, pour des raisons que vous
connaissez bien et que je n'ai pas tellement envie de commenter, parce que cela
n'apporte rien, à les interdire d'abord en France et, aussitôt
après, au niveau européen.
Je vais vous dire pourquoi j'ai plaidé dans ce sens et vous rappeler que
j'ai été le premier ministre de l'agriculture, en Europe,
à dire qu'il faudrait interdire les farines animales. Je l'ai fait
quelques semaines après ma nomination, à la fin de 1998, dans un
Conseil de l'agriculture au niveau européen.
Je l'ai fait d'abord pour des raisons européennes, en
dénonçant la faiblesse que j'indiquais tout à l'heure. Je
l'ai fait en disant très clairement que, puisque certains pays ne
veulent pas harmoniser les conditions de fabrication des graisses animales et
ne veulent pas entendre raison, tôt ou tard, nous serions amenés
à interdire ces farines.
J'avais retiré cette conviction d'une conversation que j'avais eue avec
un certain nombre de scientifiques, notamment avec le professeur Dormont, qui
me disait que la faille du dispositif en matière de farines animales
était européenne, avec cette possibilité d'harmoniser les
conditions de fabrication. Il m'avait dit : "si vous n'obtenez pas cette
harmonisation, tôt ou tard, les scientifiques français vont vous
demander de prendre une décision d'interdiction parce que la faiblesse
se trouve là".
Très vite, entre fin 1998 et fin 1999, je me suis engagé dans
cette voie en fixant l'objectif d'une interdiction, avant tout pour des raisons
européennes.
Je l'ai fait aussi pour des raisons d'ordre pratique, je dirai presque
pragmatique, en pensant à la charge de travail et aux missions des
services du ministère, en particulier ceux de la Direction
générale de l'alimentation et des Directions
départementales des services vétérinaires.
En effet, la sécurisation des filières de fabrication et tout ce
que je citais tout à l'heure, c'est-à-dire
"l'hermétisation", si je puis dire, des lignes de fabrication et de
transport, la vérification des conditions de cuisson et du retrait
effectif des MRS ainsi que la lutte contre les alimentations croisées
dans les exploitations, étaient autant d'éléments qui
imposaient des tâches de contrôle tellement importantes que je me
suis vite fait l'idée qu'au fond, le plus simple était de
décharger l'administration de ces tâches en interdisant purement
et simplement les farines animales.
Je me suis dit que le jour où je les interdisais, je libérais
l'administration d'un gros problème, sachant qu'elle a bien d'autres
tâches au moins aussi utiles à faire. J'ai trouvé que, sur
le plan pragmatique, il était plus utile d'aller dans ce sens.
Je l'ai fait aussi pour des raisons que je qualifierai de politiques --c'est
d'ailleurs ce qui a mené à la décision politique qui a
été prise--, parce que l'opinion avait focalisé son
attention sur les farines animales. On a vu à quel point le débat
était devenu public sur le sujet. Au fond, je sentais depuis longtemps
qu'il fallait en finir avec ce feuilleton douloureux des farines animales en
disant : "basta ! C'est fini, il n'y a plus de farines".
L'opinion nous a amenés à le faire, y compris, reconnaissons-le
et soyons francs, avec cette forme d'irrationalité dont elle est
capable. Je vous renvoie à la crise de la filière bovine du mois
de novembre, cette deuxième crise de l'ESB que vous connaissez. On a vu
l'opinion, dans son irrationalité, dire que, premièrement, il
fallait absolument interdire les farines animales (les sondages le montraient
de manière massive), que, deuxièmement, elle consommait beaucoup
moins de viande bovine (la chute de la consommation de viande bovine a atteint
presque 50 % au pire de la crise), alors que les bovins n'étaient
plus du tout produits avec des farines animales depuis 1990, et que,
troisièmement, elle transférait sa consommation sur les porcs ou
les volailles alors qu'ils étaient encore nourris avec des farines
animales.
Il y a donc une forme d'irrationalité. L'opinion est comme cela. Il faut
la prendre comme elle est et gérer cette irrationalité comme une
donnée de la difficulté de notre tâche.
J'ai un dernier point sur lequel je souhaite insister. Je pense que l'on a bien
fait de prendre cette décision à la fois au plan national et au
plan européen et que l'on a clos ainsi un feuilleton qui a
été difficile et douloureux et qui a duré trop longtemps,
mais il reste --c'est ma responsabilité de le dire ici comme je l'ai dit
devant le Conseil des ministres du gouvernement français ainsi que
devant le Conseil des ministres de l'agriculture-- que c'était simple
à dire mais, en même temps, très difficile à faire.
On a mis, en France, quelques semaines à étudier ce dispositif et
reconnaissons que, alors qu'on nous a accusés de tarder, même
quand on l'a fait, on a été encore très vite. C'est le
débat politique. Cependant, nous n'étions pas encore tout
à fait prêt --reconnaissons-le pour la filière
elle-même (avec les entreprises, on a frisé la correctionnelle du
point de vue de leur équilibre économique) mais, surtout, pour le
problème considérable que posait le stockage de ces montagnes de
farine qu'il fallait gérer.
De ce point de vue, je tiens vraiment à rendre hommage au préfet
Proust pour le travail effectué par sa mission. Il quitte aujourd'hui sa
mission pour devenir préfet de police de Paris, ce qui est une juste
récompense de la qualité du travail qu'il a exercé au
moins pendant ces six derniers mois, sachant qu'il a d'autres titres qui
méritent cette récompense. Le travail qu'il a fait avec son
équipe a été remarquable. En effet, improviser dans
l'urgence une quinzaine de sites de stockage sécurisés, se mettre
en disposition de stocker cette année, à la fin de 2001,
près de 400 000 tonnes de farines animales et, à la fin de
2002, près de 600 000 tonnes avant que le dispositif mis en place
permette de résorber le stock, de repartir à la baisse et de
lancer des appels d'offres et des contrats pour l'incinération de ces
sites, le tout dans des conditions d'urgence et de sécurité
écologique et environnementale maximum, est une véritable
prouesse.
Je tiens à dire ici que ce travail qui a été fait par
cette équipe limitée mais très efficace a
été remarquablement bien fait et que nous avons ainsi pu
étaler la difficulté sans grand drame, même si je sais que,
ça et là, il reste quelques tensions locales que je ne veux pas
minimiser... Je vois certains d'entre vous grimacer, mais mettez-vous, quelques
mois en arrière, devant la difficulté de la tâche. Si on
m'avait dit à l'époque que, venant ici devant vous au mois de
mars, je dirais que les choses se sont bien passées, j'aurais
signé tout de suite, même avec ces difficultés.
C'était un problème considérable et la capacité que
nous avons eue, grâce à cette équipe
interministérielle, de faire face à ce dossier est globalement
très satisfaisante.
Voilà l'exposé que je voulais faire de manière liminaire.
J'ai sûrement oublié beaucoup de choses, surtout compte tenu de
vos connaissances du dossier, mais je vais essayer de me rattraper en
répondant à vos questions.
M. le Président
- Merci, monsieur le Ministre. Vous nous avez
rappelé au début de votre propos que vous aviez
réorganisé l'ensemble des services, pensant en cela, sans doute
avec juste raison, que le cloisonnement pouvait engendrer des
difficultés dans les prises de décision. Avez-vous le sentiment
qu'auparavant, le fait que ces services soient séparés et non pas
coordonnés ait pu entraîner, par exemple dans le cas de la crise
de l'ESB, des retards de prise de décision à une époque
où des décisions n'ont peut-être pas été
prises de façon suffisamment ferme pour éviter quelques
propagations ?
M. Jean Glavany
- Je ne peux vraiment parler que de ce que je connais et
donc de ce que j'ai vécu. Dans tout ce que j'ai eu à
connaître depuis que je suis ministre de l'agriculture et de la
pêche, je n'ai pas le souvenir de cas spécifiques, de retards ou
d'incidents particuliers. Ce que je sais, c'est que j'ai vécu, dans les
premiers mois du ministère, avec les autres ministres qui sont en charge
de ces problèmes, qui ont d'ailleurs changé les uns et les autres
à plusieurs reprises, les restes ou les suites de dysfonctionnements
interministériels qui n'avaient pas lieu d'être.
J'ai toujours dit, et je le répète ici devant vous, qu'avant
d'être fonctionnaire d'une direction, on est fonctionnaire de l'Etat et
qu'il ne peut pas y avoir de concurrence entre les administrations, surtout
quand on traite un problème de sécurité et de santé
publique.
Trop longtemps, ces administrations ont vécu une sorte de concurrence
que je n'hésite pas à qualifier de malsaine et je suis--je le dis
en pesant mes mots--assez fier du travail que l'on a fait pour forcer le
passage de l'interministérialité, qui est beaucoup plus
harmonieuse maintenant.
M. le Président
- Merci. Je passe la parole au rapporteur, M.
Bizet.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Ministre, j'ai une série
de questions à vous poser, dont la première concerne les farines,
mais vous y avez déjà en partie répondu. Je note, comme
vous l'avez souligné, que l'interdiction totale des farines fait l'objet
aujourd'hui d'un moratoire qui prendra fin dans quelques semaines et que la
position que vous semblez prendre aujourd'hui, qui est très rationnelle
et médiatiquement incontournable et qui consiste à continuer
à les interdire pour l'ensemble des animaux d'élevage ne semble
pas correspondre, malheureusement, à l'approche que le commissaire
européen, David Byrne, a présentée lorsque nous l'avons
rencontré à Bruxelles, il y a quelques semaines.
Cela veut-il dire que, lorsque la question sera posée lors d'un prochain
Conseil agricole européen, vous aurez une position très ferme au
nom de la France ?
M. Jean Glavany
- Bien sûr. Je ne suis pas inquiet, pour tout vous
dire, monsieur le Rapporteur. En effet, la position que je viens d'exprimer
devant vous et que j'ai exprimée devant le Conseil de l'agriculture est
quasi unanimement partagée. Il ne reste qu'un ou deux pays qui, dans
leur rationalité protestante anglo-saxonne, se demandent pourquoi on ne
pourrait pas y revenir si on prouve que ce n'est vraiment pas dangereux, mais
une immense majorité a une position inverse dans le Conseil de
l'agriculture.
Je sais que David Byrne est plus prudent et je le regrette, mais c'est le
Conseil qui décidera.
M. le Rapporteur
- En termes d'image, je pense qu'il est impensable que
l'on puisse revenir en arrière, même si, scientifiquement, pour
les porcs et les volailles, cela pourrait s'appréhender correctement. Ce
n'est pas vendable.
M. Jean Glavany
- Je le pense aussi.
M. le Rapporteur
- Ma deuxième série de questions sur les
farines a trait au laps de temps, que vous avez également
souligné (a posteriori, on trouve que cela a été long,
mais vous avez aussi souligné l'excellent travail qu'a fait le
préfet Proust), qui s'est écoulé entre 1997 et la date
d'interdiction totale des farines, c'est-à-dire novembre 2000, alors que
vous dites que les services de votre ministère --vous n'étiez pas
encore en place-- étaient au courant, à partir de la fin 1997,
d'une contamination croisée qui était inévitable en
matière de farines. Pourquoi ce laps de temps aussi long ?
J'ai une deuxième question, toujours en ce qui concerne les farines.
Pourquoi, dans ce laps de temps qui nous paraît a posteriori assez long
entre la directive européenne fixant les conditions d'attribution des
farines, les fameuses trois règles que vous connaissez
(température, pression et temps de cuisson), et sa transcription dans le
droit national qui a eu lieu en février 1998, c'est-à-dire
quasiment 18 mois après, ce process --on le sait aussi-- n'est-il pas
parfait à 100 % ?
Ce laps de temps, sur ces deux points --je le dis toujours avec
précaution--, a posteriori, nous semble assez long.
M. Jean Glavany
- L'hypothèse des contaminations croisées
n'est pas une hypothèse des services mais des scientifiques,
c'est-à-dire du Comité Dormont et de l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments. Elle ne mettait en rien en cause
le dispositif tel qu'il était arrêté parce qu'elle portait
sur un dispositif datant d'avant 1996. Il faut bien le comprendre.
Nous sommes dans une situation où nous gérons un risque qui est
incertain et toujours décalé. Le risque de l'ESB est incertain,
à l'inverse de la fièvre aphteuse, qui n'est ni un
problème de santé publique ni même, quasiment, un
problème de santé animale et qui n'est qu'un problème
économique. C'est surtout un problème bien
maîtrisé : il s'agit d'un virus que l'on connaît et que
l'on sait traiter.
Avec l'ESB, on gère une incertitude, et je vous assure que, dans la
gestion des risques, c'est une difficulté majeure, ne serait-ce que
parce que nous sommes obligés d'adapter en permanence le dispositif
à l'évolution de la connaissance scientifique, qui a encore de
considérables zones d'ombre sur l'ESB, et que la succession de
décisions que nous sommes amenés à prendre pour tenir
compte de l'évolution de la connaissance scientifique désoriente
l'opinion. Elle a le sentiment qu'on en rajoute et qu'à chaque fois, on
recommence tout à zéro.
C'est donc une difficulté majeure, mais nous avions aussi des points de
repère. Dans ces points de repère, l'année 1996 est
essentielle. Je vous ai dit ma conviction de quelqu'un qui a passé
quelques dizaines ou centaines d'heures sur ces dossiers : le coeur du
dispositif de sécurisation vis-à-vis de l'ESB, c'est 1996, avec
à la fois le retrait des MRS et ces conditions de fabrication des
farines.
Or les alimentations croisées portent sur des événements
entre 1990 et 1996. Ce sont des alimentations croisées dans des
élevages ou des exploitations après interdiction, d'où
l'expression "NAIF" ("né après l'interdiction des farines"),
c'est-à-dire après 1990 mais avant 1996, c'est-à-dire
avant la sécurisation sur les farines animales. Ce sont donc des bovins
qui, bien que ne s'alimentant plus avec des farines animales depuis 1990,
pouvaient être nourris avec des farines animales destinées aux
porcs ou aux volailles entre 1990 et 1996 alors que ces farines
n'étaient pas encore totalement sécurisées. La
difficulté est là.
Le fait de donner cette explication sans en tirer de conséquences
n'était en rien dommageable, puisque les conséquences avaient
été prises en 1996. Simplement, l'effet de ces
conséquences tirées en 1996 intervient cinq ans après
l'incubation moyenne, après 2001.
Il est donc normal, compte tenu de cette connaissance scientifique --et je le
dis avec prudence-- que nous ayons eu une croissance (d'ailleurs, les
scientifiques l'ont toujours dit) du nombre de cas NAIF jusqu'en 2001.
Théoriquement, nous sommes dans la dernière année de
montée de la courbe. Les décisions de 1996 produisant leurs
effets, nous devrions avoir une baisse à la fin de cette année et
l'année prochaine et, très sincèrement, je n'ai pas de
raison de ne pas le croire à ce stade.
Donc le fait que nous fassions l'hypothèse que les cas d'ESB qui
étaient révélés étaient des cas NAIF avec
des alimentations croisées, qui était l'hypothèse la plus
scientifiquement vraisemblable, ne changeait en rien le dispositif, puisque les
conséquences avaient été tirées en 1996. Suis-je
assez clair ?
M. le Rapporteur
- Oui.
M. Jean Bernard
- Monsieur le Ministre, vous avez parlé du
problème des stockages et vous avez rendu hommage au préfet
Proust, qui fait effectivement preuve d'une pugnacité et d'un engagement
formidables. Cependant, je suis au coeur du problème dans mon
département parce que, à 300 mètres d'un village, on va
entreposer 50 000 tonnes de farines. Il y a des peurs irrationnelles, dont
vous avez parlé et vous avez raison, mais il y a aussi des
résistances.
M. Jean Glavany
- Dans quel département êtes-vous ?
M. Jean Bernard
- La Marne. On mobilise l'opinion publique pour moins
que cela et vous le savez.
Cela dit, dans notre secteur, des espaces militaires extrêmement
importants sont désactivés depuis la réorganisation de nos
forces, avec des locaux immenses, et j'ai donc j'ai interrogé le
ministre de la défense, par l'intermédiaire de M. de Villepin,
président de la Commission de la défense, pour savoir s'il y
avait d'autres possibilités. Je souhaiterais vivement avoir une
réponse pour pouvoir informer la population, qui est alarmée par
cette affaire, qu'il n'y a pas d'autre possibilité, mais on ne me
répond pas. Cela crée une espèce de réticence dans
cette commune.
Il y a la proximité des usines Calcia, l'une des plus grandes
cimenteries d'Europe, qui brûlent déjà de la farine et il y
a donc une opportunité à situer ce stockage dans ce secteur,
mais, grand Dieu, qu'on me dise que les militaires n'en veulent pas ou ne
peuvent pas les stocker.
M. Jean Glavany
- Je ne peux pas vous répondre sur ce point mais
je pourrai vous donner des éléments le moment venu. Je peux
simplement vous indiquer la manière dont nous avons fonctionné
sur le plan méthodologique. Nous avons sollicité le
ministère de la défense, qui a fait des propositions à la
mission Proust sur un certain nombre de sites qui ont été
recensés par les préfets. Je le sais puisque l'un deux a
été proposé dans mon département.
Le ministère de la défense a donc fait ses propositions et
celles-ci ont ensuite été évaluées par la mission
Proust, soit à l'aune d'un certain nombre de critères de
protection (ce n'est pas parce que c'est un site de la défense que, pour
autant, il est sécurisé), soit en fonction des besoins,
c'est-à-dire d'une répartition géographique aussi
harmonieuse que possible.
La démarche a été faite. Maintenant, je peux prendre des
dispositions pour qu'on vous donne les réponses précises.
M. Jean Bernard
- Cela me permettrait de répercuter cela
auprès de la population locale.
M. Jean Glavany
- Bien entendu. Très sincèrement, si, dans
la même zone, il y a un site de la défense et un autre site civil
qui a été préféré, c'est sûrement que,
soit le site de la défense n'était pas disponible compte tenu des
besoins des forces armées, soit, s'il l'était, qu'il ne
répondait pas aux critères de la mission Proust. C'est une
réponse que je fais a priori et que je vais faire vérifier pour
vous apporter la réponse.
M. Jean Bernard
- J'y serai très intéressé. Merci.
M. Gérard César
- Monsieur le Ministre, nous avons vu tout
le secteur des farines animales, mais la question que je veux vous poser
concerne les éleveurs eux-mêmes. Où en êtes-vous par
rapport aux indemnités et aux problèmes qui entraînent le
surcoût lié au fait que l'on doit garder les animaux beaucoup plus
longtemps à la ferme ? Les agriculteurs, dans certaines
régions, ont aujourd'hui des problèmes de fourrage et aussi de
surcoût.
Tant que j'y suis, je vais vous poser une autre question, avec votre
autorisation, monsieur le Président, concernant la substitution des
farines animales par les protéines végétales et sur la
position que vous pouvez avoir au niveau du Conseil de l'agriculture
européen, en particulier, par rapport à la PAC et aux accords de
Berlin. C'est un problème qui nous est posé aujourd'hui au sujet
des aides qui pourraient intervenir de la part de Bruxelles.
Enfin, sachant que cela pourra être fait, avec l'autorisation du
président, en fin d'audition, je souhaiterais que vous nous fassiez un
point sur le problème de la fièvre aphteuse, ce dossier
douloureux entre tous.
Voilà quelques questions très précises, monsieur le
Ministre.
M. Jean Glavany
- Sur le premier point, dans la gestion de la crise de
l'ESB, nous avons deux grands volets : le volet sanitaire et le volet
économique.
Je dirai ici non pas que le volet sanitaire est réglé mais que
l'on est au mieux de ce que nous pouvons faire. Avec l'interdiction des
farines, avec l'allongement de la liste des MRS et son harmonisation au plan
européen et avec la mise en oeuvre des tests systématiques sur
les bovins de plus de trente mois depuis le début du mois de janvier, je
pense que nous avons un dispositif qui, du point de vue de la
sécurité sanitaire de la filière bovine, est bon. Il
était temps. On a mis du temps et on a beaucoup traîné,
mais on y est et je ne peux que m'en féliciter. Ce dispositif ne devrait
plus beaucoup bouger, sauf découverte particulière des
scientifiques.
Il est possible que la première décision sera d'abaisser
l'âge des bovins pour les tests, en passant de 30 à 24 mois dans
quelques semaines ou quelques mois, mais cela ne va pas changer l'essence du
dispositif.
Par ailleurs, il y a le traitement économique. A ce sujet, je veux
distinguer deux choses : les éleveurs touchés par l'ESB et
la crise économique.
Pour ce qui est des éleveurs, il y a deux éléments :
le problème de l'abattage total du troupeau et le problème de
l'indemnisation.
Nous n'avons pas de problème d'indemnisation. Nous avons choisi, il y a
plusieurs années --cela a été fait par un gouvernement
précédent--, de bien indemniser les éleveurs au-dessus de
la valeur du marché pour les inciter à ne pas cacher la maladie,
pour qu'ils sachent que, s'ils ont un cas d'ESB, ils vont avoir une bonne
indemnisation. Il n'y a donc pas de problème d'indemnisation pour ces
éleveurs.
En revanche, il y a un problème d'abattage total des troupeaux qui
provoque, reconnaissons-le, un traumatisme croissant et une difficulté
croissante pour les services vétérinaires à faire
appliquer la mesure. Comme je l'ai dit publiquement, ainsi que devant le
Sénat et l'Assemblée nationale : dès que je peux
revenir à un abattage sélectif, je le ferai tout de suite.
D'abord, ce sera économique pour les deniers de l'Etat et, ensuite, cela
fera une charge de travail moins importante pour les services
vétérinaires.
Simplement, je pense qu'il faut le faire avec un signal à l'opinion qui
soit positif, c'est-à-dire avec un prétexte. Si je prends cette
décision aujourd'hui, en pleine défiance à l'égard
de la consommation de la viande bovine, je pense que l'opinion serait
désorientée. Il faut donc que j'aie l'occasion de le faire.
Evidemment, j'interroge l'AFSSA et je la presse de me dire s'il n'y a pas des
données nouvelles qui nous permettent de ne faire qu'un abattage
sélectif. En particulier, je lui demande si le test systématique
sur les bovins de plus de 30 mois ne nous donne pas l'occasion de lever un peu
le dispositif. J'espère avoir, en avril, mai ou juin, un avis de l'AFSSA
qui nous permettra d'aller dans ce sens.
Les scientifiques de l'AFSSA, à vrai dire, se fondent moins sur le
dispositif de mise en place des tests systématiques que sur des
études épidémiologiques, c'est-à-dire qu'ils font
des tests sur les animaux à risques et sur tous les troupeaux abattus et
qu'ils se font une idée épidémiologique pour voir si,
effectivement, l'abattage sélectif ne présente aucun danger. Ils
veulent que leurs séries statistiques soient suffisamment nourries pour
que leur avis soit éclairé.
Par ailleurs, il y a la crise économique, dont il faut bien mesurer le
poids dans la mesure où, aujourd'hui encore, quatre mois après,
même si la consommation a quelque peu repris, le niveau de consommation
de viande bovine se situe entre - 20 et - 25 % en ce qui concerne la
consommation des ménages, - 40 % pour ce qui concerne la
restauration collective (beaucoup de collectivités locales n'ont
toujours pas rétabli la consommation de viande bovine dans leurs
cantines) et entre - 90 % et - 100 % pour l'exportation, puisque la
fièvre aphteuse nous a mis un verrou supplémentaire.
Nous sommes donc dans une situation de sous-consommation considérable
qui provoque évidemment cette surproduction. Autrement dit, nous avons
des problèmes à la fois physiques et financiers.
Le problème physique, c'est que cette surproduction fait que l'amont de
la filière, dans les exploitations, garde des bêtes qui
s'engraissent et qui représentent un poids et un surcoût
considérables pour les éleveurs. Il nous faut absolument purger
cet amont. Si nous ne trouvons pas les moyens de le faire, nous ne retrouverons
pas les équilibres de marché qui, eux seuls, seront le signe de
la sortie de crise en termes économiques.
L'abattage destruction a été mis en place. Cependant,
aujourd'hui, sur quinze pays en Europe, quatre ou cinq le font, dont seulement
deux le font sérieusement : l'Irlande et la France. Tous les autres
pays répugnent à le faire parce qu'ils nous expliquent, de
manière tout à fait convaincante, que cela pose des
problèmes à leur opinion que de détruire des bêtes.
Moi aussi, cela me pose des problèmes, de même qu'à
l'opinion française et, surtout, aux éleveurs français qui
doivent envoyer leurs bêtes à la destruction alors qu'ils ont mis
des années à produire de la qualité. C'est
évidemment un crève-coeur et un déchirement. Simplement,
si on ne le fait pas, on va traîner cette crise pendant des mois.
La problématique qui nous est posée est donc de convaincre
l'Union européenne de passer à la vitesse supérieure pour
purger cet amont que nous n'arrivons pas à purger, loin de là.
C'est un problème fondamental.
Le deuxième problème est économique et financier. Nous
avons effectivement des éleveurs, quoique de manière
inégalitaire, qui sont dans une situation économique et
financière déplorable, sachant que la crise de la fièvre
aphteuse rajoute là-dessus une difficulté considérable.
Nous avons mis en place un plan de 1,400 milliard de francs d'aides directes
pour les éleveurs, que j'ai annoncé il y a environ un mois. Les
enveloppes départementales ont été définies et
elles sont dans les départements. Elles ont été
débattues ou sont en train de l'être devant les CDOA, parce que
j'ai fixé des critères nationaux mais laissé des marges
d'appréciation pour tenir compte des réalités
départementales ou locales.
Maintenant, il faut que les éleveurs déposent leurs dossiers, le
plus vite étant le mieux. Je suis en train de prendre des mesures pour
que cela aille le plus vite possible. Je souhaite que, lorsqu'on a donné
la date limite de fin avril pour le dépôt des dossiers, on puisse
faire remonter cela au 15 avril si possible et que, pour instruire ces dossiers
et pour aller plus vite, on verse les crédits de telle sorte que, fin
avril ou début mai, les premières avances arrivent, même si
on régularise après, parce que je pense qu'il y a urgence et que
cette solidarité doit se traduire le plus vite possible. En tout cas, je
suis très préoccupé par cette urgence.
La deuxième grande question que vous me posiez concerne la substitution
végétale des farines animales et les plans protéines.
Je suis très choqué de la manière dont la Commission a
pris le problème. Dans un premier temps, elle a arrêté une
"mesurette" sur le bio et les oléoprotéagineux ou les
protéagineux bio sur la jachère, une mesure qui n'est pas
mauvaise en soi mais qui n'est pas du tout à la hauteur du
problème, en nous promettant, pour le dernier Conseil de l'agriculture,
un plan digne d'intérêt parce qu'elle reconnaissait que cette
mesure n'était qu'une mesurette, sachant qu'in fine, le dernier Conseil
de l'agriculture nous a dit : "on a bien tout compté : cela
n'a pas de sens de faire un plan protéines ; mieux vaut importer".
Pourquoi est-ce choquant ? Parce que, pour moi c'est la négation de
la Politique agricole commune. On dit : "on est dans une telle situation
qu'il vaut mieux acheter à l'extérieur". C'est l'absence totale
de volontarisme, de régulation, de solidarité et d'action.
Le gouvernement français ne peut pas se satisfaire de cette situation et
de cette proposition ; il l'a fait savoir et le refera savoir avec force.
Reconnaissons honnêtement que nous sommes devant une difficulté
majeure : le fait que les caisses de l'Europe agricole sont vides,
notamment du fait de la crise bovine, et que, pour faire un plan
protéines, il faut trouver des incitations à l'hectare dignes de
ce nom. Or il est difficile de le faire sans moyens financiers nouveaux. C'est
donc un peu la quadrature du cercle.
Votre troisième question concerne la fièvre aphteuse...
M. Gérard César
- ...qui nous intéresse tous.
M. Jean Glavany
- Evidemment, j'ai scrupule à en parler devant
votre commission d'enquête, mais évidemment, je vais m'y
prêter de bonne grâce...
M. le Président -
Vous comprenez bien que cela intéresse
tout le monde.
M. Jean Glavany
- J'avais l'intention de venir demain après-midi,
mais je crains que le fait que nous en parlions ce soir ne me dispense pas de
venir demain... (rires.)
M. le Président
- Je le pense aussi.
M. Jean Glavany
- Sinon, je vous aurais demandé l'autorisation.
J'ai donc des scrupules à en parler ici parce que je pense que nous
avons vraiment tous intérêt à ne pas faire d'amalgame entre
l'ESB et la fièvre aphteuse. L'ESB est un problème de
santé publique incertain et difficile alors que la fièvre
aphteuse n'est vraiment pas un problème de santé publique. Moi
aussi, je suis très irrité et choqué de la multiplication
de ces images télévisées qui, en montrant ces charniers et
ces bûchers, participent du traumatisme de la campagne anti-viande, avec
des effets sur l'opinion qui sont sûrement détestables.
On n'a pas besoin de cela. Je ne vois pas pourquoi on se délecterait de
passer ces images. Quel besoin avons-nous de le faire ? C'est
l'actualité, certes, mais je ne sais pas pourquoi on a besoin de montrer
ces cadavres d'animaux par centaines ou milliers, en prenant une espèce
de plaisir malsain à le faire, alors que les conséquences
économiques sont sûrement beaucoup plus grandes qu'on ne le croit.
Ce n'est pas un problème de santé publique, ni même,
quasiment, de santé animale. C'est un problème économique.
Aujourd'hui, le point que je peux vous faire, c'est que, premièrement,
c'est un virus clairement importé du Royaume-Uni --cela ne fait pas de
doute--, que, deuxièmement, nous avons pris des dispositions qui ont
été qualifiées de drastiques, de draconiennes ou de
brutales autour du premier foyer de la Mayenne et de l'Orne mais que mon
sentiment, c'est qu'on a bien fait de le faire et que de cette brutalité
dépendait la suite et notre capacité à juguler
l'épizootie au moment où elle naissait en France.
Au fond, nous sommes en train de faire la démonstration qu'à
l'inverse des Britanniques, nous sommes plutôt dans une logique de
prévention que dans une logique curative. Les Anglais courent
après l'épizootie alors que nous l'avons, semble-t-il,
maîtrisée, même si je reste très prudent et si je
touche du bois avec vous.
Nous avons donc eu deux foyers. Honnêtement --je vous parle sous le sceau
du serment--on aurait pu éviter le deuxième si nous avions eu
toutes les coopérations. Je ne veux montrer personne du doigt, mais si
nous avions eu tout de suite la transparence sur les mouvements d'animaux, nous
aurions pu éviter le deuxième. Il est survenu parce qu'on ne nous
a pas tout dit alors que nous aurions vraiment pu nous en passer.
Je ne montre pas quelqu'un du doigt et je ne veux pas faire de
polémique ; je parle sous le sceau du serment et, de toute
façon, je l'ai déjà dit. Quand je parle de pratiques
frauduleuses, je ne parle pas du tout des éleveurs. Il y a
peut-être des éleveurs qui fraudent, comme c'est le cas chez les
Français : la proportion d'éleveurs qui fraudent doit
être la même. En revanche, dans la filière du commerce, du
transport et de l'import-export, il y a beaucoup de fraudes. On les
tolère parce que c'est la souplesse de l'économie de
marché, mais enfin...
Commençons par la fraude à l'import-export. La directive de 1992
sur l'identification des traçabilités n'est pas du tout
respectée en matière ovine. Elle est très bien
respectée en matière bovine grâce à la crise de
l'ESB (maintenant, toutes les vaches ont leurs boucles aux deux oreilles ;
c'est impeccable), de même qu'en matière porcine, parce que c'est
par lots que se fait l'identification. En revanche, en matière ovine, il
n'y a quasiment aucune identification.
Comme nous sommes un pays fortement importateur, cela veut dire que nous
importons des lots entiers d'ovins sur lesquels nous n'avons aucune
espèce de véritable information en matière de
traçabilité et d'identification. C'est un premier
problème. Quand ils ne respectent pas ces réglementations de
1992, les exportateurs prennent une responsabilité lourde.
En matière de transport, vous savez que des réglementations
sanitaires font que chaque transporteur, après avoir transporté
du bétail, doit désinfecter son camion. On ne peut pas mettre des
gendarmes derrière chaque transporteur pour vérifier s'il a bien
désinfecté sa bétaillère.
En matière de ventes, les ventes "au cul de camion" ou sur les parkings
sont des pratiques assez courantes. Cela permet de faire un peu de fraude
à la TVA. C'est la souplesse de l'économie de
marché ; on ne va pas mettre des gendarmes derrière chaque
parking non plus.
Simplement, le jour où on a une crise comme celle-là à
gérer, toutes ces petites fraudes deviennent un énorme handicap,
parce qu'on ne sait pas retrouver les lots. La lutte contre l'épizootie
de fièvre aphteuse est une course contre la montre considérable
pour rattraper tous les lots qui ont été au contact et qui sont
donc susceptibles d'avoir été contaminés avant que la
maladie éclate. Les services vétérinaires, ces
dernières semaines, ont passé des week-ends entiers à
rechercher des adresses et à faire des enquêtes pour essayer de
retrouver, notamment en région parisienne, où était
passé tel ou tel lot.
Ces fraudes deviennent un véritable handicap. Malgré tout --je
touche du bois--, il semble que nous maîtrisions à peu près
la situation.
Il reste le problème de la vaccination. Honnêtement, pour moi,
c'est un faux débat. Tout d'abord, il faut distinguer la vaccination
préventive ou la vaccination curative. La vaccination préventive
a été arrêtée en 1991 sur un raisonnement
parfaitement mûri de l'Union européenne, qui est à la fois
--c'est vrai-- économique et sanitaire. On peut toujours reprendre ce
débat, mais, en l'occurrence, ce n'est pas le moment.
Il s'agit aujourd'hui de savoir si on doit faire de la vaccination curative.
Elle peut être nécessaire (j'espère qu'elle ne le sera pas,
mais je touche encore du bois) le jour où on ne fait pas face et
où on n'arrive plus à maîtriser la situation. Dans ce cas,
il faut effectuer une vaccination curative notamment périfocale pour
empêcher la dissémination des foyers.
Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans cette situation et j'espère
franchement que nous ne le serons pas. Il faut savoir que, si on fait de la
vaccination curative (certains d'entre vous le savent sans doute), cela ne nous
dispenserait nullement de faire, malgré tout, de l'abattage. C'est de la
vaccination curative périfocale dans l'attente de l'abattage des
troupeaux. Si on les abat assez vite, il n'y a pas besoin de faire de la
vaccination curative.
Personnellement, j'ai le souci de la filière de l'élevage en
France, qui représente une richesse considérable pour notre
agriculture et le secteur agroalimentaire. Je citais les chiffres suivants
hier, à l'Assemblée : le commerce extérieur de la
filière bovine en France représente 8 à 8,5 milliards pour
le bétail vivant, 10 à 10,5 milliards pour les viandes
transformées, 25 ou 26 milliards sur les produits laitiers et produits
transformés. Cela fait 44 à 45 milliards potentiels. Tout ne
serait pas sous embargo, y compris parce que des pays, dans le monde,
consomment ouvertement des produits qui sont eux-mêmes touchés par
l'épizootie de fièvre aphteuse (je pense à des pays
d'Afrique ou d'autres pays de ce type), mais ce serait une handicap
considérable à l'exportation pour une filière difficile
qui a déjà suffisamment de mal.
Il faut donc garder à tout prix notre statut de pays indemne de
fièvre aphteuse. C'est ce que j'essaie de faire. J'espère y
arriver. Je ne peux pas vous donner l'assurance que j'y arriverai, mais toutes
nos forces sont tendues vers cela. Là aussi, je touche du bois, je
croise des doigts et je fais tout ce que vous voulez, mais je pense que l'on
est plutôt dans une logique de maîtrise. Cependant, compte tenu de
ce que j'ai dit tout à l'heure sur ces pratiques, je ne peux pas en
avoir la certitude.
M. Georges Gruillot
- Monsieur le Ministre, je voudrais m'adresser au
ministre des consommateurs. Chacun sait --vous plus que quiconque-- combien les
consommateurs français sont attachés maintenant à la
qualité de l'alimentation. Ils l'ont démontré dans toutes
les crises. Cela a été le cas de la crise de la dioxine mais,
avec l'ESB, on a vu le paroxysme de la crise, qui nous a provoqué une
baisse de 50 % la consommation de viande bovine.
Dans cet esprit, les médias ont, à mon avis, trop joué
leur rôle puisqu'on était en face d'une véritable psychose
du consommateur, qui demeure aujourd'hui et qui fait que, dans l'esprit du
consommateur français --je schématise un peu-- les produits de
qualité sont forcément ceux qui sont produits localement, en
petite quantité et avec des certifications d'origine. C'est ainsi que
l'on exclut les produits de masse et tout ce qui est passé par les
grandes surfaces. C'est un peu ce qui est dans l'esprit des consommateurs
actuellement et je pense qu'on a été beaucoup trop loin dans ce
sens, au point que l'on en arrive à une espèce de
désinformation.
Je crois que c'est particulièrement vrai quand on pense à
l'agriculture biologique. Dans l'esprit des Français, non
informés, le "biologique" signifie qu'ils peuvent manger en toute
sécurité. C'est peut-être vrai sur le plan de la
qualité gustative, mais cela ne l'est pas du tout en matière de
qualité et de sécurité sanitaires. C'est un ancien
vétérinaire qui vous parle et qui a vu cela professionnellement,
toute la journée, pendant une vingtaine d'années.
Si je vous interroge, c'est que je viens d'avoir, dans ma région, en
Franche-Comté, deux cas d'ESB dans une exploitation biologique. Le
premier s'est produit en Haute-Saône, il y a quelques semaines (nous
avons le président de la région ici), dans un troupeau qui avait
fait sa conversion en "bio" depuis seize ou dix-sept années,
c'est-à-dire depuis longtemps. La presse, même la presse locale,
n'en a pas parlé. C'était le black-out total, ce qui nous a un
peu surpris quand on l'a appris quelque temps après.
Or nous venons d'avoir récemment, il y a huit ou dix jours, puisque le
troupeau n'est pas encore abattu, un nouveau cas d'ESB, cette fois dans le
Jura, également sur un troupeau en agriculture biologique mais, lui,
depuis seulement deux ans. Là aussi, il nous semble qu'il y a une
espèce de black-out (qui, finalement, a éclaté quelque peu
puisqu'on le sait quand même) dû essentiellement à tous les
gens de la filière bio et non pas tellement à nos fonctionnaires
qui ont fait leur travail normalement.
En tout cas, je voudrais profiter de cette occasion, monsieur le Ministre, pour
que vous puissiez officiellement clarifier les choses. Je n'ai rien et nous
n'avons rien contre l'agriculture biologique, mais essayons d'être
honnêtes avec nos consommateurs français et de leur faire
comprendre qu'avec des produits d'origine biologique, ils n'ont pas une
sécurité sanitaire supérieure à ce qu'ils peuvent
trouver ailleurs, bien au contraire, malheureusement.
De plus, je voudrais vous interroger sur ce que l'AFSSA en pense. Je sais que
l'AFSSA a été saisie, sur ce thème, d'une enquête ou
d'une étude dont nous n'avons pas aujourd'hui les résultats. Je
ne sais pas si vous connaissez déjà peu ou prou ces
résultats, mais pourriez-vous nous les communiquer ?
M. Jean Glavany
- Je vais vous parler franchement. Il y a eu ces deux
cas, en effet, sur lesquels il n'y a pas de lock-out particulier. Simplement,
l'un des deux éleveurs ne veut pas y croire et demande des
vérifications à n'en plus finir, notamment en matière
d'ADN.
M. Georges Gruillot
- C'est surtout pour faire monter les
enchères financières.
M. Jean Glavany
- Je ne ferai pas ce procès d'intention, monsieur
le Sénateur. Je n'imagine pas que cela puisse arriver. En tout cas, je
ne crois pas que ce sont les premiers cas bio. Il me semble bien qu'il y en a
déjà eu un l'année dernière.
M. Georges Gruillot
- Peut-être, mais je vous parle des deux que
l'on connaît.
M. Jean Glavany
- La difficulté dans laquelle on est, c'est que,
compte tenu de la durée d'incubation de la maladie, le problème
n'est pas de savoir s'ils sont bio maintenant mais s'ils l'étaient au
moment de la naissance de l'animal. Les derniers cas dont on parle sont des cas
nés en 1993 et donc tout à fait dans le cadre de la
période critique, entre 1990 et 1996, des alimentations croisées
dont on parlait tout à l'heure. Si l'exploitation s'est convertie au bio
en 1994, en 1996 ou en 1998, le bio n'est nullement à l'abri de
désagréments.
En règle générale, je suis très favorable au
développement de l'agriculture bio, mais je ne considère pas que
ce soit la solution de l'agriculture française ou européenne. Il
faut la développer parce qu'il y a une vraie demande, que, là
aussi, nous ne sommes pas autosuffisants et que nous importons du bio qui est
souvent de moins bonne qualité que le bio français. Il vaut donc
mieux développer notre bio à nous, si j'ose dire. En tout cas, ce
n'est pas du tout l'antidote à la problématique de l'ESB. Je
pense simplement qu'il faut prendre des mesures de précaution pour tous
les modes d'élevage, bio ou non. Je vous dis les choses très
clairement.
M. Georges Gruillot
- Ma question concerne le consommateur, monsieur le
Ministre. Je pense que le consommateur français est leurré dans
cette affaire et qu'il faudrait vraiment que l'on arrive à lui faire
comprendre que le bio a des qualités mais que ce n'est pas là
qu'il va trouver la sécurité sanitaire.
M. Jean Glavany
- Le cahier des charges sur le bio est exigeant, encore
plus en France qu'au niveau européen. Ce n'est pas seulement en termes
de sécurité sanitaire que se pose le problème, mais aussi
en termes de sécurité environnementale. De toute façon, le
label bio n'est pas estampillé "sécurité sanitaire des
aliments". A aucun moment il n'y a une publicité autorisée sur ce
thème.
M. le Rapporteur
- Si ma mémoire est bonne, monsieur le Ministre,
sur le plan du cahier des charges, la filière bio est soumise à
une obligation de moyens mais non pas à une obligation de
résultat. Donc j'appuie totalement l'interrogation de mon
collègue Gruillot. Je pense qu'il faut faire très attention en la
matière. L'agriculture biologique représente 1,1 % de la
surface agricole utile nationale, ce qui est très bien, mais si elle est
multipliée par cinq ou par dix, il ne faudra pas oublier les 95 ou les
90 % du restant de l'agriculture française.
Nous n'avons aucune aversion envers cette forme d'agriculture, mais je crois
qu'il faut faire attention. En France --vous le savez mieux que quiconque--, on
mute souvent par coups de balancier assez amples. On risque donc d'avoir des
déconvenues et de nuire à l'agriculture biologique si on ne
l'encadre pas davantage.
M. Jean Glavany
- Je vous rejoins. En même temps, je ne voudrais
pas qu'à l'inverse, de manière paradoxale, on fasse le
procès de l'agriculture bio, qui donne des garanties sur les modes de
production mais qui n'a pas une obligation de résultat.
M. Paul Blanc
- Monsieur le Ministre, j'ai une série de questions
à vous poser.
Si vous le permettez, je voudrais vous faire une remarque sur les derniers
propos que vous nous avez tenus concernant l'Europe et le développement
des cultures de substitution aux oléoprotéagineux, auxquels il
faut prêter attention. J'ai lu récemment un article de presse dans
lequel on dit que, finalement, l'Europe n'est pas mécontente de cette
crise, car si l'élevage européen disparaît, cela
coûtera moins cher à l'Europe. C'est extrêmement grave,
parce que si jamais cela venait à se produire, cela voudrait dire que
nous serions totalement dépendants de l'Amérique ou de l'Afrique
du sud.
Je pense qu'en tant que ministre de l'agriculture de la France, vous avez une
position très ferme à défendre à cet égard
par rapport aux autres pays européens. Vous m'excuserez de faire cette
remarque mais, compte tenu de ce qu'on commence à entendre, je dirai
qu'un homme averti en vaut deux.
Je voudrais ensuite vous poser une série de questions, dont la
première est très simple : quand avez-vous pris la
décision d'interdire les farines ? Je sais que cette
décision a été prise au mois de novembre, mais vous nous
avez dit tout à l'heure que vous aviez déjà pensé
le faire avant. Pouvez-vous dire quand, exactement, vous avez pensé le
faire ?
J'ai une deuxième question. Actuellement, les farines à haut
risque, qui sont destinées à l'incinération, ne font pas
l'objet d'une sécurisation par la température à la sortie
de l'équarrissage. Cela veut dire que les 133 degrés à 3
bars et pendant vingt minutes ne sont pas respectés. Il y a donc
là, à mon sens, un risque, dans la mesure où ces farines
vont être transportées et stockées. Quelle est votre
position là-dessus ?
Sur le problème de l'équarrissage, dans le cadre de notre
mission, nous avons entendu à plusieurs reprises que le secteur de
l'équarrissage et de la production de farine valorisable était
insuffisamment contrôlé. Les industriels nous disent que c'est
hyper contrôlé, mais on nous dit ailleurs que ce n'est pas aussi
sûr. Quelle est votre position là-dessus ?
Troisièmement, que pensez-vous de la réintroduction des farines
animales dans l'alimentation des animaux domestiques ? Pour l'instant,
c'est interdit, mais on parle de les autoriser à nouveau. Compte tenu
des cas d'ESB chez les chats, en particulier en Angleterre, que pensez-vous de
ce problème ?
Ma dernière question concerne les importations de farines animales
depuis des pays dans lesquels les matériaux à risques
n'étaient pas exclus. Ne pensez-vous pas qu'entre 1996 et 2000, il a pu
y avoir une faille dans le système de sécurisation des produits
et des farines produites en France ? Dans cette hypothèse,
pensez-vous, comme nous le souhaitons tous, bien entendu, que la décrue
de l'épidémie d'ESB puisse intervenir très
rapidement ?
M. Jean Glavany
- Je vais répondre à votre première
réflexion sur l'Union européenne, qui ne serait pas
mécontente qu'après tout, cela fasse disparaître tout ou
partie de l'élevage. C'est un discours que l'on entend y compris au
niveau national, compte tenu du système d'aide que l'on met en place.
Je vous dis les choses comme je le pense : je n'ai aucune raison de
suspecter cela de la part de la Commission. Aujourd'hui, elle met en oeuvre des
dispositions contre l'avis d'un certain nombre de gouvernements ; je pense
au groupe de Londres, réformé groupe de Capri,
c'est-à-dire à ces quelques gouvernements très
libéraux qui mettent en cause la notion même de PAC et qui
accusent aujourd'hui la Commission d'intervenir dans la gestion de la crise
bovine en disant : "de quel droit vous mêlez-vous de cette
crise ? Laissez faire le marché". Je vois la Commission clairement
résister et, par son intervention publique, défendre la notion
même de Politique agricole commune et défendre donc l'existence
des éleveurs de bovins. Je n'ai donc aucune raison de suspecter la
Commission, dans la gestion de la crise, d'avoir cette mauvaise pensée.
Quant au gouvernement français, c'est une question de jugement
politique. On peut toujours considérer que le gouvernement
français "ne serait pas fâché de cela", mais je peux vous
dire que je ne mobiliserais pas 1,4 milliard de francs d'aides ciblées
sur les plus petites exploitations si je souhaitais les voir disparaître.
Les choses, de ce point de vue, sont assez claires pour moi.
Quand ai-je commencé à envisager l'interdiction des
farines ? Au premier semestre de 1999. J'ai été nommé
ministre le 20 octobre 1998 et c'est au premier semestre 1999 que j'ai dit au
Conseil de l'agriculture européen que je ne voyais pas d'autre moyen que
de se préparer à aller vers l'interdiction. Je n'ai pas fait un
franc tabac à ce moment-là, je dois le dire, mais je
précise qu'alors qu'elles ont été suspendues en
décembre, quand j'en parlais en novembre, j'étais quasiment le
seul à le faire. Cela a donc basculé entre fin novembre et
début décembre.
M. Paul Blanc
- Si vous me le permettez, j'exprimerai un petit regret
devant vous : lorsque je vous ai posé cette question écrite
en juin 2000, vous ne m'avez pas répondu.
M. Jean Glavany
- J'en suis absolument navré. C'est contraire
à tous les usages et, en tout cas, à toutes les règles que
je souhaite appliquer à mon propre travail.
J'en viens au service public d'équarrissage. C'est une vraie
difficulté. Je ne vais pas fuir votre question qui consiste à
demander s'il est assez contrôlé. On suit, dans le service public
d'équarrissage, la procédure équivalant au traitement
à 133 degrés, 20 minutes et 3 bars pour les farines
destinées à la destruction et on a des contrôles avec deux
visites par mois par les DSV.
Cela dit, mon angoisse ou mon inquiétude n'est pas là. Le
problème, c'est qu'on a un service public de l'équarrissage qui
est saturé et à la limite de l'explosion compte tenu de ce qu'on
lui met sur la tête actuellement. Il a son travail normal, plus les
farines, plus le retrait et la destruction. Cela explose de partout. Si, en
plus, je devais multiplier les visites de contrôle, que se
passerait-il ?
On a donc un vrai problème de capacité d'agir du service public
de l'équarrissage, qui est aujourd'hui saturé par la succession
des crises et les dispositions nouvelles que nous avons prises en termes de
destruction. A cet égard, j'ai une vraie inquiétude.
Quant au pet food, c'est-à-dire à l'alimentation pour les animaux
domestiques, nous envisageons effectivement, au niveau européen, un
retour en arrière, c'est-à-dire une libéralisation, mais
avec des conditions beaucoup plus strictes qu'auparavant, en n'autorisant
notamment que des produits propres à la consommation humaine, dans des
conditions de fabrication qui seront draconiennes.
Sur les importations qui se passaient avant, que voulez-vous que je vous dise
en un jour où, actualité oblige, la séparation des
pouvoirs fait l'objet d'un grand débat public ? À partir du
moment où des plaintes ont été déposées sur
cette période, je suis obligé de me référer
à ce que fera la justice. Je suis comme vous : je trouve que cela
pourrait aller plus vite. Alors que nous avons recensé environ seize
plaintes, concernant ces années-là, sur les importations
illicites, très sincèrement, je souhaiterais non seulement que
cela aille plus vite mais que, si c'est avéré, les condamnations
soient fermes et exemplaires et qu'il y ait là une base d'appui pour une
réaction du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et de
l'opinion devant de telles pratiques. Cela dit, je ne peux pas faire autrement
que de me référer à l'action de la justice et de regretter
que cela n'aille pas plus vite.
M. Jean-François Humbert
- Pour prolonger ce que vous venez de
dire, monsieur le Ministre, sans vouloir à mon tour mettre à mal
la séparation des pouvoirs, au-delà de l'information sur les
seize plaintes, en savez-vous un peu plus sur les procédures judiciaires
qui sont conduites contre des fabricants de farine et, si oui, que pouvez-vous
nous dire sur ce point ?
M. Jean Glavany
- Je ne peux que vous donner mon sentiment, car j'ai
vécu une chose très étonnante. Un expert mandaté
par le tribunal de Besançon, M. Mouton, je crois, a interpellé le
ministère par voie publique en le mettant en demeure de fournir des
éléments sous huitaine sous peine d'astreinte d'un million de
francs par jour. Je peux simplement vous dire --et je suis prêt à
corriger mes propos si cela est démenti-- que cet expert avait
été nommé depuis quatre ans.
M. Jean-Marc Pastor
- Monsieur le Ministre, je vous poserai une question
double. Vous nous avez dit tout à l'heure que l'une des
difficultés, c'est qu'il y avait de la fraude par rapport aux
problèmes évoqués, en particulier, dans la filière
ovine.
M. Jean Glavany
- Je le dis pour l'import-export. Certaines pratiques
s'affranchissent de la directive de 1992 en matière ovine, mais, pour
tout ce qui est négoce et transport de bestiaux, cela ne concerne pas
que la filière ovine. Cela concerne les intervenants commerciaux du
transport ou du négoce de bestiaux au sens large.
M. Jean-Marc Pastor
- Ma première question est de savoir ce que
vous comptez faire sur ce problème particulier.
Deuxièmement, dans un problème aussi complexe que celui que nous
vivons depuis maintenant plusieurs mois entre, d'un côté, l'ESB
et, de l'autre côté, le problème nouveau qui est
arrivé avec la fièvre aphteuse, comment les choses se
passent-elles entre, d'un côté, vous qui représentez le
gouvernement et, d'un autre côté, les partenaires professionnels
et, particulièrement, la profession ? Comment les uns
s'impliquent-ils sur cette voie et comment y a-t-il un soutien
réciproque du gouvernement par rapport à la profession et de la
profession par rapport au gouvernement ?
S'il n'y a pas d'échange, on risque de buter contre un mur. Pouvez-vous
nous en dire deux mots ?
M. Jean Glavany
- Je vais vous dire ce que je pense. En matière
d'identification et de traçabilité, les éleveurs ont fait
beaucoup d'efforts, pour ce qui est des bovins, sur le plan européen.
L'ESB nous y a aidés. Il y a maintenant une identification de
traçabilité quasi parfaite en matière bovine, à la
fraude près, bien sûr, mais il est évident que, dans aucun
secteur d'activité, aucun gouvernement, même le plus totalitaire
(je dois dire d'ailleurs que c'est sous les gouvernements les plus totalitaires
qu'il y a le plus de fraude et que ce n'est donc pas cela qu'il faut
souligner), ne peut garantir 0 % de fraude chez lui.
Il y a donc un
système, en matière bovine, qui est satisfaisant au niveau
européen.
En matière ovine, la France est sûrement en avance. Nous avons une
bonne coopération avec la fédération nationale ovine, qui
a fait des efforts et qui fait des progrès, mais nous sommes victimes de
notre dépendance à l'égard de l'extérieur. En
Europe, nous avons des efforts considérables à faire. Je pense
(nous pourrons l'exiger d'autant plus facilement de nos partenaires
européens) qu'en France, nous sommes plutôt en avance. Les
éleveurs français, en matière ovine, sont plutôt en
avance en matière d'identification et de traçabilité.
Cela ne veut pas dire que tout est parfait chez nous, loin de là, mais
nous n'en exportons quasiment pas alors que nous en importons beaucoup. De ce
point de vue, honnêtement (et j'ai eu, ces derniers jours, beaucoup de
conversations avec certains de mes collègues), pour traiter le
problème de la fièvre aphteuse, je pense que ce besoin de
progrès en matière d'identification et de
traçabilité pour ce qui est du secteur ovin est bien
identifié en Europe. C'est l'une des principales leçons que nous
tirerons de cette crise très vite
M. le Rapporteur
- Monsieur le Ministre, je voudrais rebondir sur deux
ou trois points en ce qui concerne la problématique de l'abattage total
ou sélectif. Nous avons bien compris que vous attendiez l'avis de
l'AFSSA, mais également...
M. Jean Glavany
- Vous me permettrez de vous interrompre. J'attends
l'avis de l'AFSSA, bien sûr, mais j'attends aussi tout
élément qui me permettrait d'expliquer à l'opinion que
cette mesure n'affaiblit pas le dispositif de sécurité sanitaire.
Si j'en avais un autre, je le prendrais, tout simplement parce que je pense
qu'il est urgent de le faire pour les raisons que j'ai expliquées tout
à l'heure. Cela dit, pour l'instant, celui qui s'annonce le plus proche,
c'est l'avis de l'AFSSA.
M. le Rapporteur
- C'est ce que j'allais vous dire. Vous recherchez donc
également une fenêtre de tir qui n'est pas facile vis-à-vis
de l'opinion publique.
M. Jean Glavany
- Méfiez-vous de l'expression "fenêtre de
tir"... (Rires.)
M. le Rapporteur
- Je le dis tout à fait à dessein.
Aujourd'hui, la législation fait que, si ma mémoire est bonne,
l'agriculteur chez qui un cas d'ESB a été décelé et
confirmé par analyse a un mois pour abattre son cheptel. C'est bien
cela ?
M. Jean Glavany
- Absolument, mais on le fait le plus vite possible et
cela se passe d'un commun accord et de manière harmonieuse. Ce n'est pas
lui qui, tout seul dans son coin, procède à l'abattage, qui se
fait avec les services vétérinaires qui sont présents.
Dans le cadre de cette disposition, le préfet met parfois des moyens de
force publique pour que cela se fasse dans la discrétion, avec les DSV.
Cela se fait donc le plus vite possible, en coopération avec
l'éleveur.
M. le Rapporteur
- J'ai eu l'occasion de le constater, malheureusement,
dans mon département, et je peux dire que cela se fait "correctement".
M. Jean Glavany
- Je vous arrête. Cela se fait de plus en plus
difficilement, c'est-à-dire que l'on rencontre de plus en plus de
difficultés.
M. le Rapporteur
- Cela étant, tant que vous n'avez pas pris un
autre arrêté, la législation, qui prévoit l'abattage
dans un délai aux alentours d'un mois, doit s'appliquer. Or nous avons,
dans nos départements, surtout ceux du grand ouest, de plus en plus de
difficultés, et j'avoue que je suis inquiet, parce que le cas auquel je
fais référence sans le nommer et que vous connaissez nous pose un
énorme problème.
M. Jean Glavany
- Tout à fait. A moi aussi.
M. le Rapporteur
- Je voulais le souligner.
M. Jean Glavany
- En même temps, monsieur le Sénateur, au
total, depuis le début de la crise de l'ESB en France, nous sommes
aujourd'hui, je crois, à un total de 292 cas (je vérifierai ce
nombre pour vous le donner très précisément) et nous
n'avons qu'une difficulté d'application concrète avec un
éleveur. Donc ce n'est pas un phénomène très
important, mais je reconnais que c'est de plus en plus difficile. L'abattage
total est de moins en moins accepté. Par conséquent, plus vite je
m'en affranchirai, mieux cela vaudra.
M. le Rapporteur
- Par ailleurs, je voudrais revenir sur les propos de
mon collègue César concernant la filière protéique.
Nous avons eu l'occasion de rencontrer M. Franz Fischler, qui ne nous a pas non
plus satisfaits en ce qui concerne ses réponses. Au-delà de
l'indispensable accompagnement financier des agriculteurs qui s'orienteraient
vers ce type de culture, compte tenu du statut de l'INRA et de vos rapports
avec cet institut, l'avez-vous mandaté pour la recherche de
variétés correspondant aux spécificités
climatologiques nationales ? Suite à diverses auditions, il
apparaît que les agriculteurs restent habitués aux performances
techniques de variétés qui ne sont peut-être plus à
l'ordre du jour.
Avez-vous demandé à l'INRA de travailler sur de nouvelles
variétés ? Je pense que ce serait important.
M. Jean Glavany
- Tout d'abord, j'ai retrouvé le chiffre et je
peux vous dire qu'il s'agit bien de 292 cas (dernier cri hier soir).
Ensuite, il se trouve que nous avons eu une rencontre de travail avec
l'ensemble des dirigeants des organismes de recherche nationaux et que nous
avons parlé de cela, sachant que l'INRA s'était mis
spontanément sur l'affaire et sur ce dossier. Je pense donc
qu'effectivement, l'INRA va nous aider très vite à faire cette
prospective de solutions alternatives. Il s'y était mis
spontanément.
M. le Rapporteur
- Vous nous le confirmez ?
M. Jean Glavany
- Tout à fait.
M. le Rapporteur
- Ma troisième question concerne la
problématique de la fièvre aphteuse. Je suis d'accord avec vous
sur l'approche qui est celle de votre ministère et de l'ensemble de vos
services. Il est évident que tant qu'on peut tenir sans procéder
à une vaccination, cela permet une classification de la France par
rapport aux autres pays de l'Union européenne. A contrario, à
partir du moment où un pays de l'Union européenne, en
l'occurrence la Grande-Bretagne, dont on connaît, sans être
méchant, les carences en matière de réseau
épidémiologique, ne peut pas contenir une infection de ce type,
dans quelle mesure, au niveau de l'Union européenne, un ou plusieurs
pays parmi les Quinze peut obliger précisément la Grande-Bretagne
à procéder à une vaccination systématique, soit
périfocale, soit générale, de son cheptel ?
Il y a là, sans attendre la mise en place de l'autorité
alimentaire européenne, si je puis dire, des dérives
inacceptables. C'est le fruit, à mon avis, d'un laxisme très
ancien et très fort de la Grande-Bretagne sur ce point. Dans quelle
mesure la France peut-elle obliger nos amis anglais, par le biais de l'Union
européenne, à vacciner ?
M. Jean Glavany
- Pour ce qui concerne l'opportunité de la
vaccination au Royaume-Uni, le débat est en cours et les Britanniques
sont, en ce moment même, en train d'en discuter avec les autorités
vétérinaires européennes. Ils y viennent enfin, mais, dans
leur incapacité à maîtriser les choses --je le dis devant
vous même si ce n'est pas le sujet de votre commission d'enquête--,
il est tout à fait probable qu'ils ont eu "du retard à
l'allumage".
Ce qui a fait notre chance, c'est que nous avons démarré vite et
fort, avant le premier foyer alors que, pour ce qui les concerne, on doute
qu'il aient démarré vite et fort ; on subodore même
qu'ils ont eu du retard à l'allumage, y compris pour nous informer, mais
avant tout parce qu'ils n'étaient pas informés eux-mêmes.
Ils courent donc après l'épizootie et ils ne la maîtrisent
pas.
Comme ils ne la maîtrisent pas, ils ont le débat sur la
vaccination. Ils vont donc y être amenés tôt ou tard. C'est
d'ailleurs presque acquis au niveau du Royaume-Uni.
Deuxièmement, il est bien évident que, dans ces conditions, nous
ne pouvons obtenir des pays tiers qu'un traitement régionalisé de
l'Union européenne, dans la mesure où il n'y a pas de raison que
l'Union européenne tout entière subisse le contrecoup. On peut
régionaliser les mesures à l'export. Si je puis dire, c'est
encore plus facile quand c'est une île. La régionalisation
fondée sur un blocus à l'égard d'une île facilite
les choses. Il faut bien que les Anglais aient aussi, de temps en temps, les
inconvénients de leur insularité.
M. Paul Blanc
- On va refaire le blocus continental... (Rires.)
M. Jean Glavany
- Pour eux, ils ont fait le blocus sur le continent et
non pas l'inverse.
Donc je vous réponds que l'on doit régionaliser.
M. le Rapporteur
- Il faudrait que cela serve, en quelque sorte, de
jurisprudence pour une malheureuse prochaine fois, même si c'est triste
à dire.
Mon dernier point n'appelle pas, de votre part, une réponse qui serait
trop longue mais que vous pourriez peut-être formaliser au travers d'un
document que vous pourriez nous transmettre d'ici quelque temps. Toute la
problématique de l'ESB et de la fièvre aphteuse, mais surtout de
l'ESB, pose le problème de la réorientation, à terme, de
la PAC, pour laquelle on est arrivé à un tournant. Dans quelle
mesure pourrez-vous concilier (l'exercice est particulièrement difficile
mais, à mon avis, vous êtes tout à fait habilité
à le faire) la réorientation de la PAC, d'un côté,
et les exigences d'un grand pays agricole comme la France, d'un autre
côté, notamment au travers de la production de produits
agro-alimentaires, qui est le fleuron de l'industrie française ?
Nous serions très satisfaits si vous pouviez produire un document pour
la commission. Ce serait d'autant plus intéressant, monsieur le
Ministre, que les chambres d'agriculture viennent d'être
réinstallées. Je ne parlerai pas des contrats territoriaux
d'exploitation, parce que c'est le dossier de notre ami César...
M. Gérard César
- Il n'y a pas de chasse gardée.
M. le Rapporteur
- ..., mais on sent poindre à l'horizon une
forme de "renationalisation" de la PAC. Pourriez-vous donc nous livrer (mais
pas ce soir, parce qu'il sera trop tard) vos réflexions en la
matière ?
M. Jean Glavany
- J'ai souri quand vous disiez : "vous êtes
habilité à le faire", parce que les mots sont précis et
lourds de sens, en l'occurrence. Disons que j'en serais peut-être capable
ou que, à défaut, j'ai quelques idées assez
précises sur la question. Cependant, le mot "habilité" est
pertinent parce que nous sommes en cohabitation et que celui qui engage la
France sur la scène internationale est le président de la
République. Or je ne suis pas tout à fait capable de vous dire si
je pense exactement la même chose que lui, ou s'il pense la même
chose que moi.
M. le Rapporteur
- Dites-nous ce que vous pensez.
M. Jean Glavany
- Je ne voudrais pas que ce soit une position du
gouvernement français sur la scène internationale. Il est
important de le dire comme cela.
Cela étant, j'y réfléchis et j'y travaille, puisque je
pense que c'est de ma responsabilité, y compris pour mes successeurs.
Des services du ministère travaillent sur le sujet et font de la
prospective parce que c'est fondamental. Pour tout vous dire, y compris pour
régler le problème de l'habilitation, et donc de la cohabitation,
en ce qui concerne la PAC, on ne peut pas toucher au cadre qui a
été fixé par les accords de Berlin et qui va
jusqu'à 2006, un cadre de visibilité et de lisibilité
indispensable pour les agriculteurs, parce qu'on ne peut pas changer les
règles du jeu tous les ans ou tous les deux ans. Les agriculteurs sont
des agents économiques qui ont besoin, pour programmer leurs
investissements et leur endettement, de lisibilité à moyen terne.
En même temps, je tiens à dire ce que je pense avec un minimum de
culot. Je ne pense pas que l'on peut attendre 2006 pour donner des signes de
réorientation. Il faut donc trouver le moyen de garder le cadre et, dans
ce cadre, de donner des signes que l'opinion publique attend. Je pense que
c'est possible.
Cela dit, je tiens à vous mettre en garde. En effet, vous avez dit que
la crise de l'ESB et celle de la fièvre aphteuse nous amenaient
forcément à nous poser la question, mais je ne pense pas que les
choses se posent en ces termes. Pour ce qui est de l'ESB, c'est vrai. A un
moment, le fait de faire manger des farines animales à des bovins
correspondait à une logique productiviste.
En revanche, la fièvre aphteuse est une maladie vieille comme le monde.
C'est presque une logique de maladie de pays pauvre, d'une certaine
manière. Donc elle n'est pas le fruit du productivisme, sauf à
dire que c'est parce que nous avons des élevages très
développés, et parfois intensifs, que nous sommes plus
exposés aux risques d'une contamination rapide. Sinon, cette
épizootie n'est pas le fruit naturel du productivisme, d'autant plus que
l'on sait, comme l'indique la FAO, qui a suivi les progrès de
l'épizootie à travers le monde, que ce sont des tendances
géographiques lourdes qui viennent --on le sait bien-- d'un certain
nombre de foyers qui se trouvent dans des pays en difficulté ou en voie
de développement.
Ce n'est donc pas du tout le fruit naturel du productivisme et c'est pourquoi
je ne veux vraiment pas que l'on fasse l'amalgame.
M. le Président -
Monsieur le Ministre, merci d'avoir
consacré autant de temps aux travaux de notre commission et merci de vos
réponses.
Je terminerai avec un petit clin d'oeil. La commission va se rendre en
Angleterre demain...
M. Jean Glavany
- Quelle chance ! Surtout, utilisez les
pédiluves, messieurs !... (Rires.)
M. le Président
- C'est ce que je voulais dire. Devons-nous
emmener nos pédiluves personnels ?...
M. Jean Glavany
- Je serai très heureux de lire les commentaires
que vous ferez sur les informations auxquelles vous serez confrontés au
cours de votre voyage.
M. le Président
- Nous verrons. Je voulais simplement vous poser
une petite question : que pensez-vous de l'attitude des Anglais,
après 1989, par rapport à l'ESB, puisque c'est après cette
date que l'on a continué à vendre les farines anglaises et
même les abats ?
M. Jean Glavany
- Vous pouvez bien deviner ce que j'en pense. Je l'ai
d'ailleurs dit une fois. L'honnêteté commerciale eut
été au moins de dire à l'époque : "attention,
nous vous vendons cela, mais c'est interdit chez nous".
M. le Président -
Très bien. Merci, monsieur le Ministre.