Audition de M. Damien VERDIER, Président de la Commission
qualité, sécurité alimentaire du Syndicat national de la
restauration collective
(SNRC)
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Vous êtes M. Damien
Verdier, Président de la Commission qualité,
sécurité alimentaire du Syndicat national de la restauration
collective.
M. Damien Verdier
- Je suis maintenant président du Syndicat
lui-même.
M. le Président
- C'est parfait. Je vous précise que vous
êtes entendu au titre de la commission d'enquête du Sénat
sur les problèmes causés par l'utilisation des farines animales
et les conséquences sur la santé des consommateurs, que vous
êtes donc entendu dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire et qu'à ce titre, vous devez témoigner sous serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Verdier.
M. le Président
- Merci. Dans un premier temps, je vais vous
demander, de manière très synthétique, de nous donner
votre point de vue sur cette affaire par rapport à ce que vous
représentez, après quoi nos collègues vous poseront les
questions qu'ils souhaitent. Je vous passe la parole.
M. Damien Verdier
- Je vous remercie, monsieur le Président et
messieurs les Sénateurs. En quelques minutes, de façon
très synthétique, je vais vous expliquer qui je représente
et la manière dont nous travaillons dans les domaines de la
sécurité alimentaire.
Je rappelle qu'en France, environ 15 millions de consommateurs
bénéficient chaque jour d'une prestation de restauration
collective, que ce soit dans des entreprises, dans des écoles, dans des
établissements de soins ou dans des établissements pour personnes
âgées ou personnes handicapées.
Sur ces 15 millions de consommateurs qui, tous les jours,
bénéficient de cette prestation, les entreprises
spécialisées, regroupées au sein du Syndicat national de
la restauration collective, représentent une part qui est croissante,
année après année, mais qui reste minoritaire, de
25 % environ. Aujourd'hui, en France, 75 % des repas servis en
restauration collective sont réalisés par les
collectivités elles-mêmes et 25 % par les entreprises que je
représente.
Le Syndicat national de la restauration collective regroupe 22 entreprises
spécialisées de toutes tailles, des grandes et des petites, et
emploie environ 65 000 salariés en France.
Notre présence est très irrégulière selon les
secteurs d'activité. Nous sommes très présents dans le
secteur de la restauration d'entreprise, puisque environ 85 % des
entreprises ont confié leur restauration collective à des
entreprises spécialisées. En revanche, nous sommes quasiment
absents de tout le secteur des lycées et des collèges, où
nous sommes présents pour 2 %, puisque c'est l'Education nationale
qui assure elle-même la restauration des lycéens et
collégiens, et nous sommes également très peu
présents dans le milieu hospitalier public, à hauteur de
8 %, tout le reste étant effectué par les
collectivités elles-mêmes.
Par conséquent, la présence des sociétés de
restauration n'est pas du tout homogène suivant les secteurs
d'activité.
Je rappelle simplement que plusieurs entreprises de restauration collective
occupent des positions extrêmement significatives au plan mondial et que
l'on peut dire aujourd'hui que les savoir-faire développés en
France en matière de restauration collective font
référence dans le monde entier et sur certains domaines, y
compris aux Etats-Unis.
Dans toute sa diversité, notre métier se caractérise par
deux points importants. Le premier, c'est que les repas que nous servons ont un
caractère social très important, que ce soit en entreprise, dans
les établissements de soins ou dans les écoles ; le
deuxième, c'est que nous servons tous les jours des consommateurs, mais
toujours dans le cadre d'un contrat qui est signé avec la
collectivité à laquelle appartiennent les consommateurs.
Nous sommes toujours dans une relation directe, au quotidien, avec nos
consommateurs, mais toujours dans le cadre d'un contrat avec une
collectivité, et la collectivité a elle-même, bien entendu,
des points importants qu'elle peut exiger de son fournisseur. Elle a un
rôle très important en matière de définition de
cahier des charges ou d'établissement du marché.
Au niveau du syndicat, nous avons, depuis plus de dix ans, une commission de
sûreté alimentaire qui se focalise sur trois sujets essentiels.
Le premier est l'hygiène et la qualité. Je ne vais pas beaucoup
m'y attarder : ce sont tous les problèmes d'hygiène
alimentaire, sachant que beaucoup de progrès ont été faits
en France depuis quinze ans en matière de maîtrise de chaîne
de froid et autres.
Le deuxième est la nutrition. Je ne vais pas non plus m'y attarder, mais
je rappelle que c'est aussi l'une des questions clés de notre
métier quand on voit la progression de l'obésité chez les
jeunes ou les difficultés que l'on rencontre aujourd'hui, compte tenu
des habitudes alimentaires des enfants, à les faire néanmoins
déjeuner de façon équilibrée. Il est certain que si
on leur donnait du poulet-frites tous les jours, tout irait très bien,
mais ce n'est pas notre vocation. C'est donc souvent dans la restauration
collective qu'ils découvrent ce qu'est un repas équilibré
et que nous sommes chargés de leur faire manger des légumes, par
exemple, ce qui n'est pas la chose la plus simple. Je passerai donc assez vite
sur les questions de nutrition, sauf si vous avez des questions, bien entendu.
Le troisième, c'est que, depuis plusieurs années, nous avons un
groupe de travail qui
s'occupe d'approvisionnement et de
sécurité alimentaire. C'est le sujet clé qui vous
intéresse.
Je voudrais aussi rappeler en guise d'introduction que nous sommes
présents dans tous les groupes de travail, notamment au Conseil national
de l'alimentation, que nous avons beaucoup travaillé avec le GPMDA pour
établir toutes les règles qui sont en train d'évoluer sur
la passation des marchés publics en matière de restauration
collective et donc que notre syndicat est très présent et actif
auprès de tous les acteurs publics pour que certains textes
évoluent et soient de plus en plus précis et rigoureux.
Encore une fois, il s'agit du GPMDA et du Conseil national de l'alimentation.
Nous sommes très actifs en ce qui concerne le guide des bonnes pratiques
en matière d'hygiène qui devrait sortir bientôt dans notre
métier et cela fait partie du rôle du syndicat.
Enfin, je voudrais dire quels sont nos moyens d'action. On agit beaucoup en
matière de formation ; c'est un métier qui s'est beaucoup
professionnalisé ces dernières années et nous consacrons
une grosse part de nos budgets à la formation de nos personnels, que ce
soit en matière de connaissance des convives, de savoir-faire culinaire
ou de partenariat avec les écoles hôtelières.
Nous sommes extrêmement engagés sur des processus d'assurance
qualité et beaucoup de nos entreprises adhérentes ont
certifié leur service achats, ce qui implique des cahiers des charges
précis, des audits de qualité et des contrôles de
qualité. Nous menons aussi des actions de recherche sur les questions de
nutrition, notamment avec le CNRS, le Centre Foch, l'université de
Toulouse Le Mirail et l'Institut Pasteur de Lille sur les questions de
nutrition.
Nous avons aussi un dispositif de veille sur des problèmes sociaux et de
santé publique nouveaux comme les allergies et l'impact des 35 heures
sur les habitudes alimentaires (nous pensons que les 35 heures vont sans doute
accélérer les phénomènes de grignotage).
Nous travaillons également sur les techniques de cuisson et les
règles de l'intercommunalité pour mieux utiliser les
équipements de restauration collective et nous auditons
régulièrement des spécialistes chercheurs.
J'en viens tout de suite à la question de la sécurité
alimentaire. Nous avons mené depuis plusieurs années des
négociations actives auprès des filières agro-alimentaires
et nous avons fait deux grands types d'action.
La première, c'est que nous nous sommes entendus entre
sociétés de restauration, au niveau du syndicat, pour mettre au
point des cahiers des charges précis sur certains produits sensibles.
Par exemple, dès 1996, nous avons mis au point un cahier des charges
homogène pour toutes nos sociétés sur le steak
haché. Nous avions légèrement anticipé la
législation sur un steak haché 100 % pur boeuf sans viande
séparée mécaniquement et sans matériaux à
risques spécifiés.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Cela voudrait-il dire
qu'antérieurement, ce n'était pas le cas ?
M. Damien Verdier
- Antérieurement, nous n'avions pas, nous, en
tant qu'utilisateur final, la preuve absolue que, depuis l'année 1990,
qui correspond à l'arrêt des farines animales sur les ruminants en
France, toutes ces questions de fabrication des steaks hachés
étaient totalement garanties. On sait que le déclenchement de
l'ESB date de 1990 et il faut reconnaître qu'au début, y compris
nos fournisseurs n'étaient pas capables de nous répondre
là-dessus et que l'on ne savait pas qui était la cause de l'ESB
au Royaume-Uni. Nous nous sommes donc occupés surtout de mettre au point
un produit de qualité dès 1990 et nous avons exclu les viandes
séparées mécaniquement et les matériaux à
risques spécifiés dès 1996.
M. le Rapporteur
- Sur ce point précis, avez-vous eu connaissance
du fait que certains transformateurs en France utiliseraient ou auraient
utilisé des abats dans l'incorporation de steaks hachés, comme
cela a été déclaré officiellement en
Angleterre ?
M. Damien Verdier
- Dans le cadre de ces cahiers des charges "steak
haché", toute la profession s'est engagée en 1996. Nous avons
assuré, derrière, des contrôles histologiques que nous
avons confiés à des organismes spécialisés comme
l'Institut Pasteur et nous n'avons jamais eu d'analyse reflétant des
steaks hachés qui ne soient pas 100 % pur boeuf.
Pour les autres produits du boeuf, je rappelle que nous ne travaillons et que
nous n'achetons que du muscle. Nous n'achetons pas de carcasse, nous ne
désossons pas et nous ne débitons pas. Nous achetons des muscles
de bavette, de rumsteck et autres.
Je vais enchaîner sur ce que nous avons ensuite. Pour renforcer cela,
nous avons signé une charte de transparence, il y a un an et demi, en
précédant le texte du 25 août sur les questions de
lieu d'abattage et, depuis la signature de cette charte de transparence, que
j'ai à votre disposition, nous avons demandé à tous nos
fournisseurs de s'engager vers le "né, élevé et abattu"
et, dans un premier temps, vers la garantie du lieu d'abattage, qui existe
depuis un an chez nous.
Aujourd'hui, nous pouvons garantir une traçabilité du lieu
d'abattage, que nous faisons contrôler par le BVQI. Autrement dit, toutes
nos entreprises et tous nos fournisseurs sont contrôlés par le
BVQI sur la traçabilité d'abattage. En outre, nous nous sommes
battus pour que le "né, élevé et abattu"
précède le texte (qui le prévoit en janvier 2002) et nous
voulons absolument être en "né, élevé et abattu"
à la prochaine rentrée scolaire.
M. le Rapporteur
- Pour rester deux secondes sur cette partie concernant
le steak haché, avez-vous l'intention de revenir sur la
possibilité d'exercer des circuits courts, c'est-à-dire de
permettre à des boucherie "de proximité" de fournir des cantines
scolaires ou des établissements que vous fournissez habituellement ?
M. Damien Verdier
- Je ne vois pas bien ce que cela peut garantir en
plus à partir du moment où nous sommes en 100 % pur muscle.
M. le Rapporteur
- En automne dernier, lorsqu'il y a eu un
problème sur ce point, nous avons eu une réaction des maires des
différentes municipalités de France qui ont raisonné comme
cela en remettant le circuit court et les produits issus de boucheries de
proximité.
M. Damien Verdier
- A mon sens, cela ne change pas grand-chose. Pendant
la période de la crise, nous avons eu des clients qui nous ont
effectivement demandé de suspendre le service de boeuf et nous l'avons
fait raisonnablement, parce que le repas d'un enfant doit être pris dans
un climat de sérénité, ce qui n'était pas le cas
alors.
Aujourd'hui, on remet petit à petit, avec les mêmes conditions de
contrôle, que nous avons réexpliquées à nos clients,
dans les collectivités, notamment scolaires, la viande de boeuf à
nos menus et nous savons aujourd'hui apporter autant de garanties qu'un boucher
de quartier.
Ensuite, il faut savoir que, sur un certain nombre de collectivités, le
boucher de quartier ne peut pas fournir. Quand vous servez 10 000 steaks
hachés sur une même journée dans une collectivité,
le boucher de quartier ne peut rien faire.
M. Gérard César
- J'ai quelques questions à vous
poser. Tout d'abord, quelle est la traduction du sigle BVQI ?
M. Damien Verdier
- C'est ce qu'on appelait le cabinet Véritas.
Il s'agit d'un bureau de vérification et de certification
indépendant.
M. Gérard César
- Ensuite, pour continuer sur le steak,
avez-vous aujourd'hui le sentiment que les collectivités reviennent
positivement au steak haché ? Entre à la période de
la crise et maintenant, quel est le pourcentage de consommation du steak
haché ?
M. Damien Verdier
- Il faut savoir que ce phénomène a
touché surtout la restauration scolaire. Dans les autres
clientèles, l'émotion collective a été moins forte.
L'émotion a été manifestée spécialement dans
la restauration scolaire et nous n'avons pas eu la même émotion
dans les établissements de soin dans lesquels nous sommes
présents ou dans les entreprises. Cela ne veut pas dire que nous n'avons
pas informé nos consommateurs de ce que nous faisions, mais je veux dire
qu'il n'y a pas eu de retrait comme ce qui a été constaté
en matière de restauration scolaire.
On peut dire qu'avant la crise, c'est-à-dire avant Noël, une
collectivité sur deux cliente des sociétés de restauration
nous avait demandé de suspendre la présence de viande de boeuf
dans les menus et qu'aujourd'hui, nous devons avoir 10 à 20 % des
collectivités qui attendent des textes et encore des textes pour la
réintroduire. Il y a donc une espèce d'attente par rapport
à la réglementation. Ce sont des collectivités qui ne
souhaitent toujours pas mettre la viande de boeuf au menu. Cela dépasse
bien entendu le problème du steak haché : il s'agit de la
viande de boeuf.
M. Paul Blanc
- Quelle est l'origine française de votre viande de
boeuf ? Est-elle française ?
M. Damien Verdier
- Nous sommes à 80 % en approvisionnement
français.
M. Paul Blanc
- Et les 20 % restants ?
M. Damien Verdier
- Il s'agit de viande provenant de la
Communauté économique européenne en dehors des pays sous
embargo, évidemment.
M. le Rapporteur
- Êtes-vous satisfait de la
traçabilité telle qu'elle est faite aujourd'hui ?
M. Damien Verdier
- Comme je vous l'ai dit, il y a un an et demi, nous
étions la première profession (on n'a peut-être pas assez
bien communiqué là-dessus parce que la restauration collective a
été parfois désignée comme étant un mauvais
élève alors qu'à l'inverse, nous étions
plutôt le fer de lance) à demander du "né,
élevé et abattu" à nos fournisseurs, c'est-à-dire
une traçabilité d'origine complète. Il y a un an et demi,
nos fournisseurs ont accepté de rédiger la charte --je peux vous
la lire-- en disant qu'ils étaient d'accord pour aller vers le
"né, élevé et abattu", c'est-à-dire que nous ne
l'avions pas encore.
Nous sommes aujourd'hui sur la traçabilité d'abattage,
c'est-à-dire que nous connaissons le lieu d'abattage, ce qui n'est pas
mal et ce qui permet de faire des audits. Quant au "né,
élevé et abattu", comme je vous l'ai dit tout à l'heure,
alors que la réglementation l'exige pour janvier 2002, nous
espérons aller plus vite.
M. Paul Blanc
- Et sur les 20 % de viande provenant de la CEE ?
M. Damien Verdier
- Nous avons eu aussi la traçabilité de
d'abattage. Plusieurs sociétés se servent avec un fournisseur
italien, par exemple, qui a été extrêmement précis
sur les traçabilités d'abattage.
M. le Président
- Vous savez qu'en Espagne et en Allemagne, ce
n'est pas le cas, que la traçabilité n'existait pas.
M. Damien Verdier
- Je pense que nous ne nous fournissons pas en Espagne.
M. le Rapporteur
- "Né, élevé et abattu" est une
chose, mais êtes-vous susceptible de répondre à une
opération de retrait lorsqu'il se déclare un
événement désagréable sur la filière ?
M. Damien Verdier
- Vous pouvez interroger la DGAL, qui peut
témoigner que notre organisation est capable, en une
demi-journée, de procéder à des retraits sur 10 000
restaurants. Nous avons tout un système, qui a d'ailleurs
été mis au point au moment de la crise de la dioxine sur les
poulets. A cette époque, nous avons été capables de
vérifier tous nos stocks de volaille en trois heures de temps et de
consigner des lots. La DGAL pourrait en témoigner parce qu'elle nous
contrôle là-dessus.
M. le Rapporteur
- Vous avez donc élaboré un concept bien
particulier de réactivité très fort. Pourrions-nous avoir
ce document ?
M. Damien Verdier
- Je pourrai vous le donner. En liaison directe avec
la DGAL, nous avons tout un système de communication, en cas de crise,
avec le réseau des 22 adhérents et chaque adhérent a tout
son réseau pour mobiliser tout ces sites.
M. le Rapporteur
- Dans le droit fil de la notion de
traçabilité, n'avez-vous pas conscience qu'au fil du temps,
compte tenu du fait que l'un de vos objectifs majeurs est de comprimer vos
coûts de production, vous avez tiré vers le bas à la fois
la qualité gustative des repas et la qualité sanitaire ? On
sait bien que, comme vous l'avez dit vous-même, il y a une connotation
sociale dans votre activité.
M. Damien Verdier
- Je m'inscris totalement en faux sur le fait que
notre compétitivité ait pu se faire au détriment de la
qualité. Je pense qu'au contraire, depuis quinze ou vingt ans, la
restauration collective en France n'a cessé de progresser au plan des
savoir-faire. J'ai parlé tout à l'heure de la chaîne du
froid et de la maîtrise de notre professionnalisme. Notre concept de
cuisine centrale est une chose que le monde entier regarde avec envie et je
dirai qu'aujourd'hui, notre compétitivité est, certes,
liée aux achats (quand on arrive à massifier des achats, on est
plus compétitif que quelqu'un qui fait ses courses tout seul) mais qu'en
restauration collective, l'enjeu n° 1 de la gestion est d'abord le
gaspillage.
Comme je l'ai dit en deux mots tout à l'heure, il faut comprendre qu'en
restauration scolaire, par exemple, il y a encore beaucoup de gaspillage alors
que nos coûts et nos prix de revient en dépendent avant
tout : il s'agit de faire en sorte que ce qui est dans les assiettes soit
mangé par les enfants et ne passe pas à la poubelle.
Le deuxième enjeu, ce sont les frais fixes. Les frais de fonctionnement
de la restauration collective représentent des enjeux beaucoup plus
importants que le coût des denrées dans l'assiette. Aujourd'hui,
les expertises développées par nos entreprises concernent avant
tout le management et l'organisation des outils de travail (j'ai pris l'exemple
des cuisines centrales tout à l'heure, qui sont de vrais outils de
travail), et je rappelle qu'en restauration scolaire, il faut amortir ces
outils sur 140 jours de chiffre d'affaires par an. C'est là que se joue
la compétitivité de nos entreprises, de façon beaucoup
plus importante que de gagner 10 centimes sur un coût alimentaire. En
l'occurrence, on ne parle pas de 10 centimes mais de francs par repas et par an.
Cela dit, vous avez raison, monsieur le Sénateur, dans la mesure
où nous sommes au contact du consommateur et que nous avons
sûrement un défi difficile à relever aujourd'hui :
faire comprendre au consommateur, sans doute un peu comme la grande
distribution, que s'il veut manger de la viande de Salers, on est capable de
lui en servir, de même que l'on est capable de faire du Charolais et du
poulet label rouge tous les jours, sans aucun problème, mais qu'il faut
alors qu'il le paie.
Aujourd'hui, avec un certain nombre de villes, nous avançons sur cette
notion en essayant d'avoir une bonne communication et une bonne information aux
parents d'élèves, pour faire comprendre qu'effectivement, le prix
du kilo de la viande de Salers n'est pas le même qu'un rumsteck issu
d'une vache laitière française tracée VBF.
Allons-nous gagner ce défi ? Aujourd'hui, des sondages montrent que
des parents seraient prêts à payer 30 % de plus, mais ce
n'est pas vérifié.
M. Paul Blanc
- Ils demandent alors que les communes paient.
M. Damien Verdier
- Quant aux collectivités, nous nous sommes
aussi inscrits dans leurs attentes et je ne pense pas que les maires aient fait
n'importe quoi, sachant qu'ils ont aussi à gérer ce budget de
restauration collective qui est non négligeable. Les
collectivités participent déjà beaucoup par le biais des
quotients familiaux et autres prises en charge de coûts du repas et nous
sommes conscients aussi que ce ne sont pas les collectivités qui
paieront.
En rémunération de services, nous faisons un
bénéfice, mais cela n'a pas de commune mesure avec les
écarts de coût qu'il faudrait mettre si on veut faire de la viande
de race bouchère partout, par exemple. Comme les collectivités
ont un budget déjà très important à gérer,
il faut savoir si, au bout du compte, le consommateur est capable de payer.
En tout cas, j'insiste pour dire que ce n'est pas parce que nous avons cet
enjeu que, pour autant, les questions de prix de la restauration collective se
sont faits au détriment de la qualité.
M. le Rapporteur
- Vous avez malgré tout un défi
médiatique à relever, sans vouloir tomber dans l'excès.
Vous avez parlé de l'utilisation de produits sous signe de
qualité et, là aussi, sans tomber dans cette approche, il est
bien évident qu'il y a eu une spirale à la baisse. A l'identique
de ce qui s'est fait dans la grande distribution, dont vous avez parlé
tout à l'heure, je pense que cela s'est fait au détriment de la
qualité organoleptique de ce que vous serviez à vos consommateurs.
M. Damien Verdier
- Je ne le sais pas. Les études ne le
démontrent pas.
M. le Rapporteur
- Cela apparaît clairement suivant les
études qui ont été menées ici ou là. Je ne
parle pas de l'aspect sanitaire mais de l'aspect organoleptique qui est,
là aussi, très important. Je pense que vous avez là un
grand défi à relever.
M. Damien Verdier
- Nous avons un défi de communication et
d'information des consommateurs et des parents d'élèves à
relever. Je suis totalement d'accord là-dessus. Aujourd'hui, le
consommateur demande la transparence de tout. Nous commençons donc
à expliquer où nous achetons nos poulets et nous venons de signer
une charte de transparence sur les poissons d'élevage afin de l'afficher
dans tous nos restaurants scolaires. Il faut savoir que nous sommes les
premiers à signer cette charte de transparence sur les poissons
d'élevage qui ne représentent que 15 % de nos consommations.
Les signataires de cette charte s'engagent à ne pas utiliser d'hormones
de croissance, de farines animales, etc. et nous allons l'afficher.
Nous avons --c'est vrai-- besoin d'expliquer ce que nous faisons, mais de
là à dire que nous faisons moins bien aujourd'hui qu'avant, je
pense que ce n'est pas possible. Je pense sincèrement que la
restauration collective, en France, est professionnelle, à la fois au
plan des équilibres alimentaires et des savoir-faire.
Je vais vous donner un exemple. Dans nos sociétés
spécialisées (et je sais que nous n'avons pas communiqué
sur ce point), cela fait presque dix ans que nous avons mis au point une fiche
technique sur le poisson pané, qui est un grand sujet parce que les
enfants aiment le poisson pané. Les taux de panure et de matière
grasse dans le poisson pané ont été décrits dans
des cahiers des charges qui sont établis depuis pratiquement dix ans.
Nous avons des niveaux d'exigence, sur le poisson pané, qui sont
supérieurs à ceux de la ménagère. Cela veut dire
que ce que nous donnons aux enfants est meilleur que ce qu'elle achète
en moyenne.
En revanche, nous avons un déficit de communication. Il est clair
qu'aujourd'hui, la restauration collective est souvent mise au banc des
accusés, parce que c'est de la restauration de masse. Il est vrai que
nous nourrissons beaucoup de monde et que nous avons donc un devoir de
sécurité et de santé publique. Nous en sommes conscients.
Cependant, je crois --et j'insiste sur ce point-- que ce métier s'est
énormément professionnalisé.
M. Jean-François Humbert
- Pour vous permettre cette transparence
à laquelle vous êtes très attaché, et sans doute
parce que j'ai mal compris, je voudrais vous demander une précision, si
vous le voulez bien.
Lorsque l'un de mes collègues vous a interrogé sur l'origine des
viandes qui sont servies dans la restauration collective, vous nous avez dit
que 80 % étaient d'origine française et 20 % d'origine
Union européenne. Vous avez poursuivi en nous indiquant que l'on avait
la certitude, en Italie, par exemple, de connaître la
traçabilité de l'abattage, mais est-ce que le "né,
élevé et abattu" est possible avec ces viandes d'origine
européenne ?
M. Damien Verdier
- Je représente ici toute la profession. Notre
devoir est de référencer les fournisseurs, de les
contrôler, de les auditer et de vérifier qu'ils font ce qu'ils
promettent. Je dis donc que nous avons trouvé un ou deux fournisseurs en
Italie (je ne parle pas de l'Italie en général et je ne dis pas
qu'il y en a 250) qui sont, semble-t-il, aussi avancés en matière
de traçabilité que les meilleurs industriels transformateurs
français.
M. Jean-François Humbert
- Ils font du "né,
élevé et abattu" ?
M. Damien Verdier
- Ils y vont au même rythme que les
Français, sachant que tous les fournisseurs français n'en sont
pas non plus au "né, élevé et abattu".
M. Jean-François Humbert
- C'est vrai, mais cela a bien
avancé, quand même.
M. Damien Verdier
- Tout à fait. C'est pourquoi je vous dis que
j'espère que l'on va pouvoir anticiper la mise en place du "né,
élevé et abattu" avant l'obligation légale de janvier
2002. Nous travaillons pour cela.
M. le Président
- Avez-vous d'autres questions mes chers
collègues ? Non ? Vous avez peut-être quelque chose
à ajouter, monsieur Verdier.
M. Damien Verdier
- Je tiens simplement à souligner que nous nous
sentons très responsables en matière de sécurité et
de santé publique. Quand nous nourrissons des enfants, des personnes
âgées ou des salariés sur un lieu de travail, ce ne sont
pas des gens qui ont forcément choisi de venir déjeuner
là, contrairement à la restauration commerciale. Si vous
choisissez d'aller déjeuner dans un restaurant, c'est votre choix. Pour
notre part, nous travaillons dans des univers où les gens viennent
manger pour une raison donnée et ils n'ont pas le choix d'aller
ailleurs, du moins la plupart du temps. Nous sommes donc des acteurs
responsables.
Par ailleurs, les questions de santé publique ne souffrent pas de
compromis et nous représentons des entreprises qui sont le fer de lance
de tous ces sujets.
Cela dit, il y a des actions à renforcer et nous avons été
les premiers à déplorer des manques de transparence dans les
filières. Sur la filière des poissons d'élevage, il nous a
fallu dix mois pour aboutir à notre charte de transparence. Ce n'est pas
un hasard : c'est parce que nous faisons des contrôles afin de voir
si ce qui est écrit a des chances d'être respecté, sachant
que nous confions ensuite à des auditeurs externes le travail de
contrôle de ces chartes de transparence. On peut difficilement faire
mieux.
Je pense qu'effectivement, au-delà de tout ce travail de fond qui est
fait, il faut restaurer le capital de confiance.
Cela dit, il me semble que toutes les filières progressent et je ne
pense pas que l'on fasse moins bien qu'avant. Je pense que l'on fait toujours
mieux. Or, il se trouve que, malgré cette progression, le capital
confiance, malheureusement, ne se rétablit pas, ce qui est un vrai
souci. Cependant, ce n'est pas parce qu'on ne fait pas, que l'on fait moins ou
que l'on fait moins bien ; c'est parce qu'on a un vrai défi de
restauration du capital confiance. Nous nous sentons très
concernés sur ce capital confiance, qui dépend d'une
communication sur des choses simples que nous faisons.
J'ajoute que, dans ces périodes de crise, il y a eu parfois --il faut le
reconnaître-- des communications un peu compliquées à
comprendre. En effet, entre les avis scientifiques, l'Union européenne,
les mesures de la France et ce que nous nous engageons à faire en tant
que prestataires, il faut reconnaître que, pour le consommateur parent
d'élève dans une ville, il faut devenir expert pour tout
comprendre. Cela devenait très compliqué.
Je pense que le capital confiance vient de plusieurs leviers. Il faut d'abord
que l'Etat explique les contrôles qu'il fait. Nous avons un Etat qui ne
contrôle peut-être pas assez mais nous ne pouvons pas nous
substituer à lui sur les contrôles aux frontières ou dans
les filières. Il y a la DGCCRF et la DGAL pour cela et je pense que
l'Etat doit mieux communiquer sur les contrôles.
A un moment donné, on disait : "plus on dit que l'on
contrôle, plus cela sème le doute". Je pense qu'il faut aller plus
loin dans ce débat. En effet, après n'avoir rien dit pendant des
années, on s'est retrouvé face à des gens qui
découvraient d'un coup qu'il y avait des risques et à qui on
n'avait rien dit, ce qui faisait s'écrouler le capital de confiance,
même si ces risques étaient connus. Je pense donc qu'il y a eu un
manque de transparence dans la communication sur toutes ces crises.
La deuxième chose, c'est qu'il faut une harmonisation avec l'Europe
parce que, aujourd'hui, cela devient vraiment trop compliqué. Quand nous
sommes face à des parents d'élèves, il est difficile
d'expliquer ne serait-ce que la crise de fièvre aphteuse actuelle,
même si la France semble, pour l'instant, un peu
privilégiée. C'est trop compliqué. Il faut donc vraiment
une harmonisation européenne sur la sécurité alimentaire.
On sent que cela vient, mais il faut vraiment que cela vienne vite.
La troisième chose, ce sont nos engagements à nous. Il s'agit,
comme je l'ai dit, d'être plus transparents, d'être auprès
des élus dans les collectivités. Comme nous l'avons dit et comme
les élus le savent, nous sommes prêts à aller dans les
réunions de quartier. Les élus qui ont choisi de confier leur
restauration collective à des sociétés
spécialisées par choix, en considérant qu'elles exercent
tellement de métiers qu'elles ne peuvent pas tous les faire
convenablement, n'ont qu'à nous emmener avec eux. Nous sommes là
pour expliquer aux parents d'élèves ce que nous faisons et la
manière dont nous travaillons. Faisons des journées portes
ouvertes dans les cuisines centrales et ouvrons nos frigos. Nous avons vraiment
un gros travail de communication et de transparence à faire.
Nous nous y engageons, en tout cas, et nous faisons savoir à nos clients
que les cuisines centrales sont visitables et qu'il y a des journées
portes ouvertes. Encore une fois, il faut sans doute que nous allions
davantage, avec les élus, au contact du consommateur final qui est
l'élève, l'enfant et ses parents. En tant que professionnel, on
peut aussi aller s'engager directement auprès du consommateur final.
M. le Président -
Très bien. Nous vous remercions
infiniment de nous avoir apporté un certain nombre de renseignements qui
seront utiles pour notre rapport.
M. Damien Verdier
- Souhaitez-vous que je vous envoie mon texte en
filigrane ?
M. le Président
- Il a été pris en sténo et
nous devrions l'avoir. Merci beaucoup.