Audition de M. Lucien ABENHAÏM, Directeur général de la
santé
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Lucien
Abenhaïm, vous êtes Directeur général de la
santé et c'est à ce titre que vous êtes auditionné
dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur le
problème des farines animales et des conséquences que cela peut
entraîner sur la santé humaine. C'est pourquoi nous avons
souhaité vous entendre.
Comme vous le savez, nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête
parlementaire et, bien sûr, les témoignages doivent se faire sous
serment. Je vais donc vous lire le protocole habituel et, à la fin, vous
demander de bien vouloir jurer de dire la vérité et toute la
vérité.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Abenhaïm.
M. le Président -
Merci. Si vous le voulez bien, dans un premier
temps, je vais vous demander de nous dire quel est votre sentiment sur le sujet
qui intéresse notre commission, après quoi, avec nos
collègues, nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous
poser. Je vous passe donc la parole.
M. Lucien Abenhaïm
- Monsieur le Président, messieurs les
Sénateurs, je vais très rapidement vous exposer la vision de la
Direction générale de la santé sur la question
spécifique des farines animales, puisque j'imagine que vous souhaitez
que je centre mon exposé sur ce point. Je précise que, bien
entendu, pour la Direction générale de la santé, c'est
à la fois une question centrale mais également une question
périphérique parce que nous n'avons pas directement de
compétence dans la gestion de l'alimentation animale, ni même de
compétence, au sens juridique et strict du terme, en termes de
sécurité des aliments, dont la compétence revient au
ministère de l'agriculture et au ministère qui a la charge de la
consommation.
Néanmoins, c'est une question centrale, dans la mesure où, en
termes de santé humaine, d'épidémiologie et de suivi
éventuel de l'épidémie de la maladie de Creutzfeldt-Jakob,
qui nous intéresse directement, les facteurs de risques de cette maladie
nous concernent, bien entendu, et que les farines animales sont donc un facteur
de risques principal. C'est en ce sens que nous l'abordons.
Je vais simplement vous dire rapidement comment nous
réfléchissons à ces questions du point de vue de la
santé publique. Nous nous intéressons à cette question en
termes de risques de développement d'un nouveau variant ou de la
nouvelle variante (les scientifiques changent d'appréciation pour savoir
si on doit parler de "nouveau variant" ; je pensais qu'il avait
été décidé que c'était une "nouvelle
variante") de la maladie de Creutzfeldt-Jakob pour laquelle, en France, nous
avons eu jusqu'à présent deux cas confirmés et certains et
un cas très probable et encore vivant. Nous avons donc pour l'instant un
certain nombre de cas relativement peu nombreux dans ce pays, mais nous savons
qu'au plan international, on en est aujourd'hui à cent cas, l'essentiel
d'entre eux étant bien entendu au Royaume-Uni et un cas confirmé
se situant en Irlande. Aucun cas ailleurs dans le monde n'a été
rapporté pour l'instant.
Cent cas d'une maladie inconnue jusqu'alors, même si on connaît
d'autres formes approchantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, c'est
évidemment une épidémie, même s'il ne faut pas
confondre épidémie et maladie contagieuse. En effet, cela ne veut
pas dire que la maladie soit contagieuse et puisse se transmettre de l'homme
à l'homme de façon simple, mais il est très clair que cela
représente une épidémie et un nouveau
phénomène.
Quelles sont les raisons de ce phénomène ? Je pense
qu'aujourd'hui, il ne fait pratiquement aucun doute dans l'esprit des
scientifiques que l'origine en est la consommation d'aliments contaminés
par le prion pathologique, en particulier la consommation qui pourrait provenir
de la transformation de produits d'origine bovine. On n'en a pas de preuve
absolue au sens scientifique du terme puisque, évidemment, on n'a pas pu
faire d'expérience chez l'homme mettant en évidence cette
transmission, mais on a suffisamment d'éléments
épidémiologiques pour pouvoir l'affirmer avec certitude.
Une autre source pourrait être la contamination inter humaine, ne
serait-ce que par le partage des produits du sang ou à travers les
soins. Pour l'instant, nous n'avons pas d'éléments
épidémiologiques qui nous permettent de mettre en évidence
ce facteur de risques. J'ajoute que, pour la consommation d'aliments, nous
n'avons pas non plus d'éléments épidémiologiques
formels sur l'origine bovine. C'est simplement la correspondance entre les
types de maladie que l'on a pu détecter chez l'homme et ceux que l'on
connaît chez l'animal qui nous fait penser à une relation causale,
mais on n'a pas pu le mettre en évidence comme on peut le faire dans
d'autres maladies.
Par exemple, entre le tabac et le cancer du poumon, on a une relation
statistique établie. En l'occurrence, la relation statistique n'est pas
établie. En revanche, on dispose d'éléments biologiques et
de coïncidences temporelles qui nous font penser que l'on a une relation.
Pour les animaux contaminés, quel est le facteur de risque principal et
peut-être unique qui a pu être mis en évidence pour la
contamination de ces animaux ? Ce sont bien entendu les farines. C'est
évident pour vous et vous l'avez évidemment beaucoup entendu,
mais je crois qu'il faut remonter l'ensemble de la filière pour se le
rappeler.
On n'a pas pu démontrer que les farines animales sont responsables
expérimentalement mais on a pu le faire sur le plan
épidémiologique. En effet, on a vu très clairement, en
particulier, la chute considérable de l'épidémie chez les
bovins britanniques à partir du moment où les farines animales
ont été retirées et interdites et où cette
interdiction a été effective. C'est l'argument principal sur
lequel on se fonde pour considérer que les farines qui ont
été consommées en Grande-Bretagne étaient à
l'origine de l'épidémie de l'encéphalopathie spongiforme
bovine.
On a déterminé une autre source qui pourrait être une
transmission verticale et qui ne serait pas responsable d'une très
grande partie de la contamination, et on cherche une troisième voie,
depuis un certain temps, qui n'a pas pu être mis en évidence ni
expérimentalement, ni biologiquement : il n'est pas strictement
impossible que les lacto-remplaceurs, qui contenaient des graisses d'origine
animale, y compris des graisses d'os d'origine bovine ou de ruminants, soient
considérés comme une autre voie possible, théoriquement,
sans en avoir aucune preuve scientifique, de contamination.
A partir du moment où ces farines sont mises en cause, il se pose la
question de savoir ce qui est vraiment mis en cause, si c'est le fait d'avoir
des farines de viande et d'os, si c'est le fait d'avoir des farines de viande
et d'os qui n'ont pas été traitées de façon
adéquate ou si c'est le fait d'avoir des farines de viande et d'os qui
proviennent d'animaux contaminés ou qui n'ont pas subi les
opérations de prévention nécessaires.
Assez rapidement, vers la fin des années 80, on s'est rendu compte que
les farines de viande et d'os pouvaient être à l'origine, en
Grande-Bretagne, de l'épidémie qui commençait à
être identifiée. Il faut se rappeler qu'en 1987 ou 1988, on n'en
était encore qu'à quelques centaines de cas, uniquement en
Angleterre, après quoi la courbe a été exponentielle dans
les années qui ont suivi. On a donc pensé immédiatement
à ces farines comme étant à l'origine éventuelle de
l'épidémie, et les mesures qui ont été prises, en
Grande-Bretagne, ont été d'abord, bien entendu, la
déclaration obligatoire des cas et l'interdiction des farines de viande
et d'os en juillet 1988 pour les ruminants, puis une interdiction totale qui
n'est survenue que beaucoup plus tard.
En Grande-Bretagne, on a ensuite interdit l'utilisation des abats à
risques pour la constitution des farines, évidemment, mais
également pour l'alimentation animale en général et pour
l'alimentation humaine à partir de 1990 et, en théorie, ces
interdictions ont été considérées comme effectives
à partir de 1991.
C'est la raison pour laquelle des mesures ont été prises pour
limiter la consommation de certains abats à risques dans l'alimentation
humaine pour les animaux qui seraient rentrés dans la chaîne
alimentaire après 1991.
Vous connaissez tout cela. J'insisterai simplement sur le fait que, lorsque je
suis arrivé à la Direction générale de la
santé, en août 1999, j'ai pris connaissance du fait que la
Direction générale de la santé, assez rapidement, en 1992
mais surtout en 1994, avait été la première à
réellement alerter un certain nombre de partenaires. En particulier, une
démarche spécifique a été faite avec une
délégation de la DGS qui est allée en Allemagne pour
renforcer l'alerte par rapport au fait que la transmission de l'ESB ou, en tout
cas, d'une encéphalopathie spongiforme, pouvait être plus
importante que l'on pouvait le croire. Cette conséquence avait
été mise en évidence par mes services quand ils ont appris
qu'une quarantaine de chats étaient atteints en Angleterre.
Cela remettait en question le dogme qui prévalait jusqu'alors et selon
lequel la transmission inter espèces n'était pas très
facile. Il faut bien se dire que, jusqu'à cette date, l'opinion
majoritaire était que l'ESB que l'on voyait chez les bovins en
Angleterre était de la "tremblante du mouton recyclée",
c'est-à-dire que les bovins avaient développé l'ESB
à cause du fait qu'ils avaient consommé des farines étant
elles-mêmes contaminées par les carcasses de mouton. On disait
alors que l'on connaissait la tremblante du mouton depuis deux siècles
(elle existe depuis peut-être plus longtemps) mais qu'elle n'avait jamais
été transmise à l'homme et il n'y avait donc aucune raison
qu'elle le soit.
C'est donc le fait qu'en 1993, les Britanniques aient mis en évidence la
transmission à des chats qui a fait penser que la barrière inter
espèces pouvait être franchie beaucoup plus facilement.
A ce moment-là, la DGS, fin 1993, a participé au Conseil de la
santé, au niveau européen, du 30 mars 1994 et a conduit une
mission à Bonn qui a débouché, à la suite d'une
réunion à Matignon, le 14 juin 1994, sur une démarche
simultanée des ministres français et allemands auprès de
la Commission. C'est donc la date à laquelle on a commencé
à se dire, à la DGS, qu'il y avait peut-être un
problème.
Par la suite, jusqu'en 1999, le nombre de cas d'encéphalopathie
spongiforme bovine en France était extrêmement
limité : il y avait eu cinq cas en 1991, zéro en 1992, un
cas en 1993, quatre cas en 1994, trois cas en 1995, six en 1997... On n'avait
donc pas le sentiment que l'on avait, en France, à faire face à
un problème de l'ampleur de celui qui était vécu en
Grande-Bretagne. Nous n'avons d'ailleurs jamais eu un problème de cette
ampleur.
Quand je suis arrivé à la DGS en 1999, mes services m'ont
alerté sur le fait qu'ils avaient le sentiment que, dans le dernier
trimestre 1999, il y avait eu une légère augmentation du nombre
de cas par rapport aux années précédentes. Effectivement,
sur 1999, nous avons eu trente cas, dont une bonne partie se sont
accumulés dans le dernier trimestre 1999, et, en l'an 2000, nous avons
eu 102 cas rapportés de façon clinique chez l'animal.
Tout cela pour dire que la plupart de ces animaux étaient nés
dans les années 1993, 1994 et 1995. On parle de 13 cas nés en
1993 pour les animaux qui ont déclaré la maladie en 2000, 43
nés en 1994 et 33 nés en 1995, c'est-à-dire "nés
après l'interdiction des farines", des cas NAIF.
Très clairement, on a donc eu un deuxième pic, même s'il
n'est pas extrêmement élevé par rapport aux centaines de
milliers de cas que l'on a connus en Grande-Bretagne, dans
l'encéphalopathie spongiforme bovine, et il s'est passé quelque
chose. Il est probable que notre système de surveillance
précédent n'était pas très bon ni suffisant, mais
la DGS n'a pas les moyens de savoir quel était notre système de
surveillance précédent et cette explication ne peut pas
s'appliquer à tous les cas. En effet, lorsqu'on examine les chiffres
avec précision, on se rend compte qu'à système de
surveillance à peu près équivalent, si on compare
plusieurs années, on a le même phénomène qui se
reproduit.
Donc le système de surveillance n'est pas suffisant pour expliquer le
phénomène. On sait que, bien entendu, il y a eu beaucoup de cas
infracliniques, mais il n'y a pas de raison de penser que le rapport entre cas
cliniques et infracliniques ait changé considérablement.
Ce qui s'est passé très probablement, au début des
années 90, c'est la consommation par des bovins français de
farines ou d'alimentations contaminées. Evidemment, il n'y a que trois
sources possibles : soit la contamination croisée entre le
producteur, le transporteur et l'utilisateur, soit la fraude, soit
l'utilisation illégale.
Il ne faut pas complètement mettre de côté
l'hypothèse des lacto-remplaceurs, puisqu'ils ont été
utilisés jusqu'à la fin de l'année 2000, à notre
grande surprise d'ailleurs. En effet, les services de la DGS étaient
persuadés, sur la base de discussions qu'ils avaient eues en 1997, que
cette consommation n'existait plus ou, en tout cas, qu'elle était
marginale. Nous avons donc appris vers le milieu de l'année 2000 qu'en
fait, elle était encore très largement répandue.
Voilà ce que je voulais vous dire en introduction, sachant que vous
connaissez déjà ces éléments. Je vais maintenant
répondre à vos questions.
M. le Président
- Merci. Je vais passer la parole à notre
rapporteur pour qu'il vous pose les premières questions.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Directeur, je voudrais revenir
sur un point qui nous a un peu surpris, non seulement les sénateurs mais
également l'ensemble de la population française, suite aux propos
de Mme Dominique Gillot, lorsqu'elle s'est exprimée, il y a quelque
temps, sur le nombre futur de cas français de la nouvelle variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob. Quand elle s'est exprimée, l'a-t-elle fait
en disposant d'informations que possède la Direction
générale de la santé ? Comment pouvez-vous expliquer
non pas un écart de langage mais une crainte manifeste de sa part ?
M. Lucien Abenhaïm
- Je ne me permettrai pas de dire que c'est un
écart de langage. Nous avons effectivement des données qui sont
des analyses faites par des scientifiques et dont Mme Gillot s'est fait
l'écho.
Une modélisation a été effectuée en Angleterre par
une grande équipe de scientifiques britanniques qui a utilisé
tous les modèles possibles et imaginables.
M. le Rapporteur
- Vous voulez parler de la modélisation du
professeur Anderson ?
M. Lucien Abenhaïm
- Exactement. Le premier chercheur, dans la
publication, est Mme Ghani.
Cette modélisation, qui est mathématique et pour laquelle 5
millions de modèles ont été testés, a montré
que, selon certains modèles, on pouvait soit avoir quelques dizaines de
cas attendus en Angleterre, soit 136 000 cas, au maximum de la fourchette
qui avait été étudiée. Je précise que ce
chiffre de 136 000 cas correspondait à un temps d'incubation moyen
--je dis bien moyen-- supérieur à soixante ans pour l'ESB.
Mme Annick Alpérovitch, Directrice de l'unité de recherche de
l'INSERM en France, a repris ces données dans le cadre du groupe de
travail de l'Agence française de sécurité sanitaire des
produits de santé (AFSSAPS), chargé de faire des recommandations
sur le sang et les produits dérivés du sang. Elle a
défendu l'idée, qui est rapportée dans le rapport et qui
est d'ailleurs reprise par le groupe d'experts en question, selon laquelle
l'hypothèse d'une durée d'incubation moyenne supérieure
à soixante ans était peu réaliste et que, si on utilisait
une durée moyenne d'incubation pouvant aller de trente à soixante
ans, c'est-à-dire assez élevée (il est évident que
plus la durée d'incubation est courte, plus le nombre de cas attendus
est faible, puisque si la durée moyenne d'incubation est de cinq ans,
nous aurions déjà passé cette durée et
l'épidémie serait derrière nous, ce qui n'est pas vrai
puisqu'on voit que l'on a encore des cas et que cela ne baisse pas en
Angleterre), une hypothèse pessimiste mais non pas impossible, on
arrivait à environ 6 000 cas d'une nouvelle variante de
Creutzfeldt-Jakob attendus au total pour la Grande-Bretagne.
On peut faire des hypothèses sur l'exposition française
comparée à l'exposition britannique, sachant qu'il y a deux
sources d'exposition en France : soit la consommation de viandes ou
d'aliments provenant de Grande-Bretagne, directement ou indirectement, soit,
bien entendu, la consommation de viandes et d'autres produits français.
Tous les modèles font penser qu'au début des années 90, on
a eu une exposition qui, en France, pouvait être au maximum de 5 à
10 % au maximum de celle qui a été connue en Angleterre.
Autrement dit, en croisant ces deux données et en tenant compte d'autres
petits facteurs épidémiologiques ou statistiques,
Mme Alpérovitch est arrivée, avec le groupe de travail de
l'AFSSAPS dirigé par le professeur Begaud, à évaluer qu'en
France, l'exposition pouvait être à l'origine d'un maximum de 300
cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob à
l'intérieur de ce modèle, que les hypothèses les plus
réalistes étaient peut-être inférieures à
celle-ci mais que celle-là n'était pas impossible, sachant que
c'est une estimation qu'elle considérait comme pessimiste.
Mme Gillot a repris ces chiffres quand elle a parlé de quelques dizaines
de cas attendus dans les prochaines années. Il s'agit de 300 cas sur
soixante ans, bien entendu, puisque le modèle part d'une
hypothèse de trente à soixante ans d'exposition.
Voilà les chiffres que je peux vous donner. En tout cas, nous en avions
parlé avec elle.
M. le Rapporteur
- Dans le droit fil de cette approche, avez-vous pris
des mesures concernant la contamination du matériel chirurgical et les
problèmes liés à la transfusion sanguine compte tenu de la
problématique de la contamination interhumaine ?
M. Lucien Abenhaïm
- Je vous prie de m'excuser de ne pas avoir
abordé cette question. Je pensais en effet que vous souhaitiez surtout
parler des farines animales, mais il est évident que j'aurais dû
aborder ces questions qui nous concernent beaucoup plus directement et dont
nous sommes responsables. Si vous le permettez, je vais prendre quelques
minutes pour répondre à cette question extrêmement
importante.
La position de la Direction générale de la santé, dans
cette affaire, a consisté à rechercher l'éradication du
nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. En santé publique,
on fait face à deux types de modèle : soit la recherche de
l'éradication, soit la gestion du risque. Quand on n'est pas en mesure
d'éradiquer complètement une maladie, on cherche à
gérer son risque.
Quand on sait comment éradiquer une maladie et que c'est possible
techniquement, nous cherchons bien entendu l'éradication ou, en tout
cas, nous nous en faisons les avocats. Cette éradication a
été atteinte dans un certain nombre de maladies comme la variole,
par exemple, qui est pour l'instant complètement
éradiquée. En Europe, nous avons aussi éradiquée
complètement la poliomyélite, même si elle ne l'est pas
complètement dans le monde. Les conditions, c'est que l'on connaît
l'origine de la maladie et que l'on est en en mesure de mettre en place les
mesures.
C'était notre analyse pour le nouveau variant de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, dont on sait que l'origine est la consommation de viande
contaminée provenant de différents types d'animaux souffrant
d'encéphalopathie spongiforme bovine et qu'en outre, chez ces animaux,
le facteur de risque, sinon unique du moins principal, ce sont les farines.
C'est la raison pour laquelle la Direction générale de la
santé a toujours défendu l'idée de la
nécessité d'éradiquer cette maladie et d'aboutir à
son éradication par des mesures aussi importantes que possible.
En effet, si le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob se
développait dans l'espèce humaine, on se trouverait dans une
situation extrêmement difficile en termes de gestion du risque, par la
suite, au sein de l'espèce humaine, parce que le prion du nouveau
variant semble être distribué très largement dans
l'anatomie humaine, c'est-à-dire qu'on en trouve bien entendu dans le
cerveau et les tissus nerveux centraux, mais également dans les tissus
nerveux périphériques, au niveau des plaques de Peyer ou des
tissus lymphoïdes. Il s'agit donc d'une distribution très
importante et on ne peut pas exclure non plus sa présence dans le sang,
même si, pour l'instant, aucun élément scientifique ne nous
permet de le mettre en évidence.
Vous savez qu'on a été capable de transmettre --on l'a appris
l'été dernier--l'encéphalopathie spongiforme bovine d'un
mouton à un autre par transfusion de sang du premier au second.
Autrement dit, par la suite, la gestion du risque est extrêmement
difficile.
Il faut savoir que nous n'avons pas de moyens de test nous permettant
d'identifier, par exemple, parmi les donneurs de sang et les personnes qui
subiraient des interventions chirurgicales, des endoscopies ou un certain
nombre de gestes médicaux, ceux qui pourraient être
contaminés, contrairement au VIH, par exemple.
Par ailleurs, le prion semble extrêmement difficile à
éliminer. Les procédures de stérilisation et de
désinfection efficaces demandent des moyens importants, drastiques et
très compliqués.
C'était donc la troisième raison pour laquelle nous étions
en faveur de l'éradication, sachant que le risque, par la suite, serait
très difficile à gérer.
Néanmoins, nous avons émis assez récemment une circulaire
pour la stérilisation et la désinfection appropriée au
risque du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il nous a fallu
attendre les positions de l'OMS et des groupes d'experts, très
divergents d'ailleurs jusqu'à il y a très peu de temps, pour nous
amener à prendre cette position, la circulaire ayant été
signée par la ministre il y a quelques semaines. Voilà ce que je
peux dire pour répondre à votre question.
Sur le sang, j'ai saisi une première fois, fin 1999, l'Agence
française de sécurité sanitaire des produits de
santé, qui a remis un rapport en février 2000 en expliquant que,
grosso modo, les mesures de sécurisation ou de sécurité
sanitaire qui étaient déjà prises étaient
suffisantes et qu'il n'y avait pas de raison d'ajouter d'autres mesures
à l'époque mais que, bien entendu, tout ce que l'on pouvait faire
devrait être fait.
Nous avons saisi à nouveau l'AFSSAPS en août ou en septembre 2000,
à la lumière des nouvelles données scientifiques, en
particulier celles auxquelles je faisais allusion, sur la transmission par le
sang chez un mouton, et l'AFSSAPS nous a remis un rapport dans lequel elle a
à nouveau considéré que le risque associé à
l'utilisation du sang ou des produits dérivés du sang ne
justifiait pas de remettre en cause leur utilisation aujourd'hui.
Le groupe d'experts, dans sa majorité, était en faveur de ne pas
exclure du don de sang les personnes qui avaient vécu en Angleterre
compte tenu du fait que le risque absolu en excès qui pouvait leur
être attribué a été considéré par ce
groupe d'experts, dans sa majorité, comme extrêmement faible,
voire négligeable. En revanche, une partie du groupe d'experts a
considéré que, puisqu'on pouvait le faire, autant le faire. C'est
ainsi que les ministres ont décidé de suivre cette opinion et
que, par mesure d'extrême précaution, les personnes qui avaient
séjourné en Angleterre plus de douze mois ont été
exclues du don de sang.
M. le Rapporteur
- Une chose est assez troublante en ce qui concerne la
Direction générale de la santé, c'est qu'elle n'est pas en
première ligne médiatique sur le plan de la gestion de ce type de
problème, cette place étant plutôt gérée,
médiatiquement parlant, par le ministère de l'agriculture. Cela
ne vous gêne-t-il pas trop ?
D'un autre côté, pouvez-vous nous parler de l'articulation qui
existe entre l'Institut de veille sanitaire, l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments et la DGS ?
M. Lucien Abenhaïm
- La DGS n'est pas en première ligne
uniquement médiatiquement. Je me permets de dire qu'en termes de
responsabilités, puisqu'il s'agissait surtout et qu'il s'agit encore
d'un problème de sécurité des aliments, la
compétence, au plan juridique, de la DGS est extrêmement
limitée. Nous n'avons pas des moyens de contrôle, d'inspection ni
de police sanitaire par rapport aux aliments au sens strict du terme. Cela
relève de la Direction générale de l'alimentation et de la
DGCCRF et, jusqu'à un certain point, l'AFSSA, l'Agence française
de sécurité sanitaire des aliments, a un pouvoir d'enquête
que je n'ai pas personnellement au niveau de la Direction
générale de la santé. Autrement dit, notre pouvoir est
extrêmement limité.
Néanmoins, il a été décidé, en 1998, en
réunion interministérielle, que toutes les saisines de l'AFSSA
devaient être, autant que faire se peut, interministérielles,
entre l'agriculture, la consommation et de la santé. Malgré cette
limite au point de vue juridique, il est très clair que la Direction
générale de la santé se sent concernée par tout ce
qui peut se passer dans le domaine de l'alimentation et, dans la limite des
moyens dont elle dispose, elle essaie d'alerter et de soulever les
problèmes qui lui sont évidents. Je l'ai d'ailleurs fait à
plusieurs reprises au cours des dernières années, de même
que mes prédécesseurs.
Il faut rappeler que, dès 1994, c'est la DGS qui a alerté les
autorités sur ce risque, qu'en 1999, c'est à la suite d'une
initiative de la DGS que l'AFSSA a été saisie à nouveau en
novembre 1999, de façon interministérielle, compte tenu du fait
que nous sentions ce frémissement dans l'augmentation du nombre de cas
d'ESB chez les bovins, et que c'est à nouveau la DGS qui a poussé
à la saisine de l'AFSSA en novembre 2000 à propos de l'ensemble
du dispositif.
Nous jouons donc ce rôle d'alerte en posant des questions et en ne nous
satisfaisant des réponses que lorsqu'elles vont dans le sens que nous
considérons comme étant le meilleur pour la santé publique.
Le ministre de la santé a la tutelle complète de l'institut de
veille sanitaire et il partage la tutelle de l'AFSSA avec l'agriculture et la
consommation, sachant que 80 % du budget de l'AFSSA vient de
l'agriculture. Cela n'empêche pas que nous puissions jouer un rôle
de tutelle complet au point de vue administratif.
M. le Rapporteur
- C'est quand même, en bout de chaîne, la
problématique de santé humaine qui se pose. Je trouve donc un peu
anormal que la DGS ne soit pas en première ligne.
J'ai une dernière question sur ce point. Je trouve un peu curieux que ce
ne soit que sous la pression des associations des familles de victimes que
l'administration de la santé ait daigné sortir une circulaire sur
la prise en charge des malades. Que pouvez-vous nous dire sur ce point ?
M. Lucien Abenhaïm
- Puisque vous y faites allusion, je pense
également, en tant que Directeur général de la
santé, que ces questions concernent la santé publique et que la
DGS doit avoir les moyens de sa politique. Jusqu'à présent, je ne
disposais pas d'un bureau des aliments. Je n'avais qu'un bureau de l'eau et des
aliments dans lequel j'avais une personne en charge des aliments, compte tenu
des moyens dont je disposais.
Evidemment, pour l'ESB, j'ai mobilisé plusieurs personnes au sein de la
DGS que j'ai fait sortir de leur activité normale pour s'occuper de la
question de l'ESB et de la nouvelle variante de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, mais il est exact que la Direction générale de
la santé n'a pas les moyens juridiques dont disposent d'autres
ministères pour assurer la sécurité alimentaire. Je ne
peux pas dire que je considère que cette situation soit totalement
satisfaisante.
Grâce à l'annonce du Premier ministre, nous avons de nouveaux
moyens dans le domaine de l'alimentation et nous créons d'ailleurs un
bureau des aliments pour lequel je suis en train de recruter le chef de bureau
(mes services font des entrevues à ce sujet cette semaine). Nous serons
donc, je l'espère, de mieux en mieux armés dans ce domaine
à l'avenir.
J'en viens à votre question sur la circulaire de prise en charge des
malades. La plus grande partie de cette circulaire reprend et explique mieux la
manière dont fonctionne un certain nombre de mécanismes et de
prises en charge auxquels les malades ont toujours eu droit. Elle identifie
cependant deux éléments nouveaux par rapport aux malades qui
souffrent de ces pathologies.
Le premier est la mise en place d'une cellule de référence et de
coordination. Cette cellule, dans sa grande partie, existe et fonctionne
déjà de façon informelle, mais il s'agit qu'elle soit plus
formellement mise en place, notamment sur des éléments
psychologiques nouveaux.
Le deuxième élément, qui a été
rajouté dans les toutes dernières heures avant la sortie de la
circulaire, c'est l'identification d'une somme forfaitaire pour l'aide aux
familles des patients vivants.
M. le Rapporteur
- De quel ordre ?
M. Lucien Abenhaïm
- De 200 000 F au maximum.
Cela dit, la maladie de Creutzfeldt-Jakob n'est pas la seule maladie dont on
peut mourir et qui entraîne des situations difficiles, voire dramatiques,
pour les patients. Nous avons commencé par identifier le type de maladie
auquel cela pourrait correspondre. Selon les définitions, on peut
retenir les maladies à évolution subaiguë et très
graves comme la sclérose latérale amyotrophique, par exemple.
Faudrait-il la classer avec des maladies comme le mélanome malin ou tous
les cancers ? La question pourrait se poser. C'est donc un problème
très important.
C'est en raison de la grande émotion qui a été
soulevée à ce sujet que le gouvernement a souhaité que
cette circulaire soit faite et que ces éléments soient pris en
compte, mais il est certain que nous devons mener un débat pour savoir
jusqu'à quel point les personnes atteintes de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob sont les premiers exemples de ce qu'il faudrait
élargir ou si elles ont une singularité telle que cette
circulaire ne devrait s'appliquer qu'à elles ou à une forme de
maladie très similaire.
Le débat n'est pas du tout évident, et vous savez qu'il est
d'ailleurs soulevé à partir d'autres questions.
M. le Rapporteur
- Combien avez-vous de personnes qui, au sein de la
DGS, suivent ces problèmes des maladies
neuro-dégénératives ?
M. Lucien Abenhaïm
- Actuellement, nous avons une cellule sur le
nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob qui comporte, si je ne me
trompe, six ou sept personnes et qui suit très
régulièrement tous les développements sur cette question,
ce qui est important comparativement à d'autres maladies. Ce n'est pas
forcément non justifié compte tenu des incertitudes qu'il y avait
et qu'il y a encore sur le développement possible de cette maladie en
termes épidémiques.
Il est certain que l'on ne traite pas une situation épidémique ou
possiblement épidémique (pour la France, nous n'en sommes pour
l'instant qu'à une maladie possiblement épidémique et nous
n'en sommes pour encore au début d'une épidémie) de la
même façon que des maladies endémiques ou chroniques, pour
lesquelles on a une stabilité du nombre de cas.
Je rappelle qu'au début de l'épidémie de sida, pendant
plusieurs années, le nombre de cas, en France, se mesurait en
unités ou en quelques dizaines et qu'il a fallu un certain temps pour
atteindre quelque 100 000 personnes contaminées. Pendant plusieurs
années, dans une épidémie d'une maladie nouvelle et
mortelle, il est normal que la veille soit renforcée.
Cela concerne la DGS, mais il ne faut pas oublier que nous avons aussi
l'Institut de veille sanitaire qui fait une surveillance
épidémiologique approfondie avec l'équipe d'Annick
Alpérovitch à l'INSERM, ainsi que, bien entendu, l'AFSSA et
l'ensemble des agences qui travaillent, notamment l'AFSSAPS en matière
de sang. Ce sont autant d'organismes qui font aussi partie de nos ressources
puisque nous en avons la tutelle. Si on compte l'ensemble de ces organismes, il
y a probablement plusieurs dizaines ou centaines de personnes qui travaillent
sur cette question aujourd'hui. C'est donc une question qui, à mon avis,
est surveillée de très près par rapport à d'autres
maladies.
M. Georges Gruillot
- Monsieur le Directeur, j'ai essayé de bien
vous écouter, mais j'ai quelques problèmes de chronologie avec
les dates que vous nous avez indiquées.
Vous nous avez dit qu'à la fin des années 80, l'Angleterre
était certaine de l'origine de l'épidémie : les
farines, que l'on a pris des mesures en Angleterre, en 1988, en interdisant de
distribuer ces farines aux ruminants et qu'en 1990, les Anglais ont pris aussi
des décisions pour interdire les matériaux à risques.
Dans le même temps, vous nous indiquez qu'entre 1992 et 1994, votre
Direction informe ses partenaires de sa certitude d'une transmission possible
de l'ESB inter espèces, donc éventuellement à l'homme.
Vous nous avez alors dit que c'est en mars et en juin 1994 que vous aviez
officiellement informé un certain nombre de partenaires européens.
Cela bouleverse un peu ce que j'avais appris depuis quelques mois. Il me
semblait en effet que les Anglais, de manière bien plus précoce,
s'étaient rendu compte que les matériaux à risques
étaient dangereux pour une éventuelle transmission à
l'homme et qu'ils les avaient interdits en Angleterre en 1989, alors que l'on a
continué à les exporter sur la France qui, elle, ne les a
interdits qu'en 1992, soit trois ans plus tard. On savait donc bien en
Angleterre, en 1989, quand on a pris cette décision, qu'il y avait, par
là, une transmission possible à l'homme. Je suis donc surpris que
la Direction générale de la santé, en France, n'ait
réagi que trois, quatre ou cinq ans postérieurement à
cette découverte anglaise.
Je suis un peu perdu dans ces dates. Il me semble qu'au cours de ces quatre ou
cinq années-là, soit on n'a pas bien géré les
problèmes, soit on s'est trompé dans les dates.
M. Lucien Abenhaïm
- Je ne le pense pas. Les dates que je
possède, à quelques mois près, sont les mêmes que
celles que vous avez indiquées. En juillet 1988, l'Angleterre interdit
les farines de viande et d'os pour les ruminants et, en 1996, elle interdit
leur utilisation totale, non pas simplement pour les ruminants.
Jusqu'en 1996, tout le monde pensait, y compris les Britanniques, contrairement
à ce que j'ai cru entendre dans ce que vous avez dit, que la
transmission de l'ESB en dehors de l'espèce bovine, ou même en
dehors des ruminants, était très peu probable, puisque les
Britanniques eux-mêmes qui, entre 1990 et 1992, avaient plusieurs
centaines de milliers de bovins malades (en 1994 ou 1995, ils en étaient
à 175 000), ont attendu 1996 pour interdire les mêmes farines
qui avaient rendu malades un million de leurs bovins (175 000
déclarés et près de 1 million probablement). Autrement
dit, ils ont attendu 1996, avec la découverte des premiers cas humains,
pour interdire ces farines chez d'autres animaux que chez les ruminants.
Il faut bien comprendre qu'en Angleterre, des centaines de milliers d'animaux
étaient malades et que les Anglais pensaient eux-mêmes qu'ils
n'avaient pas à interdire ces farines.
M. Georges Gruillot
- Je ne vous parle pas des farines mais de
santé humaine. Les Anglais ont interdit en 1989 de consommer des
cervelles...
M. Lucien Abenhaïm
- Si je peux me permettre de le dire, ils ne
l'ont pas fait sur des arguments de santé humaine. L'initiative
franco-allemande de 1994 (à l'initiative de la DGS, je le rappelle)
demandant de rendre plus stricte l'interdiction des farines au niveau
européen et de prendre des mesures à ce niveau s'est
heurtée à un refus de la Commission, d'après laquelle il
n'y avait aucune raison de penser que l'ESB pouvait être transmise
à l'homme.
On a sinon mis en évidence, du moins très sérieusement
suspecté la transmission à l'homme pour la première fois
à l'occasion d'une publication dans le Lancet fin 1995 ou début
1996 (je ne me souviens plus des dates exactes) mais, surtout, quand les dix
cas ont été rapportés en Angleterre, en mars 1996. Le
premier article soulevant la question de la possibilité d'une
transmission à l'homme date de fin 1995/début 1996.
Jusqu'à cette époque, aucune des mesures qui ont
été prises ne l'a été en fonction de la
transmission à l'homme ou pour le risque humain.
Il n'était pas du tout question, à l'époque, d'une
transmissibilité à l'homme et si la DGS a soulevé la
question en 1994, c'était à partir de la transmission à
des chats en Angleterre, fin 1993. La DGS a dit à l'époque :
"puisque cela peut se transmettre à des chats, on peut émettre
l'idée que la barrière inter espèce peut être
franchie. Donc soyons prudents et prenons des mesures par rapport aux farines
pour l'homme".
Il ne faut pas oublier qu'en France, en 1991, il y avait en tout et pour tout
cinq cas d'ESB qui ont été rapportés alors que les
Britanniques, si je ne me trompe pas, en avaient 30 000 cette
année-là. En France, on n'avait absolument pas le sentiment
d'être au niveau d'une épidémie comparable. Je ne
prétends pas que rien n'aurait dû être fait, mais
l'impression que l'on avait, c'est que le risque était extrêmement
faible.
Ce qui est plus problématique, c'est le fait qu'on ne dispose toujours
pas d'évaluation française du nombre d'animaux malades qui ont pu
entrer dans la chaîne alimentaire en France. Les services de
l'agriculture ont fait une étude épidémiologique
récente à partir des animaux abattus d'urgence, dont les
résultats ont été rapportés par l'AFSSA, mais pour
savoir combien d'animaux ont pu entrer dans la chaîne alimentaire, en
France, à la fin des années 80 et au début des
années 90, on ne dispose que d'une évaluation qui a
été publiée par une Britannique, Mme Donnelly, dans Nature
et on va disposer très bientôt d'une évaluation de
chercheurs français.
Le problème est là. En tout cas, quand on se demande si, en 1994,
la transmission à l'homme pouvait être établie, je
réponds que non seulement elle n'était pas établie mais
qu'elle s'opposait à l'opinion de l'ensemble de la communauté
scientifique de l'époque. A l'époque, on n'avait pas une seule
preuve ou un seul élément scientifique pour le dire et on n'avait
aucun cas rapporté chez l'homme. Je répète que le premier
cas humain a été rapporté en 1996 ou fin 1995 (quand on
retourne dans les dossiers, on se dit qu'il avait peut-être
été rapporté un peu avant) en Angleterre et qu'en tout
cas, nous n'en avons eu connaissance au plan international qu'en mars 1996.
M. le Président -
Vous avez répondu déjà
à un certain nombre de questions et vous nous avez donné votre
opinion et votre avis sur cette affaire.
Il est certain --vous l'avez dit vous-même-- que, de plus en plus, dans
l'avenir, votre Direction sera appelée à intervenir dans de
nombreux domaines de ce type, parce qu'on se rend bien compte que les
problèmes qui peuvent toucher l'alimentation animale concernent
très vite des problèmes de santé publique. C'est à
la lumière de ce qui se passe que l'on peut évoluer. Je pense que
nous n'y couperons pas, ni les uns, ni les autres.
M. le Rapporteur
- D'où l'intérêt du livre blanc et
de l'Autorité alimentaire européenne.
M. Lucien Abenhaïm
- Il ne m'appartient pas de vous encourager en
ce sens, mais c'est évident.
M. le Président
- Nous l'avons bien compris. Monsieur le
Directeur, merci d'avoir répondu à nos questions et merci encore
d'être venu.