Audition de M. Philippe MANGIN,
Président de la
Confédération française de la Coopération
agricole,
et Mme DEBREDEVILLE,
Chargée des Relations
parlementaires pour la Coopération
agricole
(28 mars 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Vous êtes Monsieur
Philippe Mangin, Président de la Confédération
Française de la Coopération Agricole. Merci d'avoir
répondu à notre convocation. Vous êtes entendu ici dans le
cadre d'une commission d'enquête parlementaire mise en place par le
Sénat sur le problème des farines animales et des
conséquences pour la santé des consommateurs. Dans le cadre d'une
commission d'enquête vous devez témoigner sous serment. Je vous
lis le processus et je vous ferai prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Mangin
et Mme Debredeville.
M. Philippe Mangin
- J'interviendrai en qualité de
généraliste président de la Confédération
Française des Coopératives Agricoles, qui réunit
l'ensemble des coopératives du territoire national, tous métiers
confondus. Mes collègues, Daniel Rabiller, Président des
coopératives d'aliments du bétail, François Toulis,
Président des Coopératives de bétails et viandes ont
été auditionnés par cette commission en décembre et
ont pu évoquer les aspects plus techniques de la fabrication des
aliments et de l'évolution de la filière de fabrication.
J'évoquerai quelques réflexions sur les filières de
production et les choix qui pourraient être faits pour accroître la
sécurité alimentaire conformément aux attentes de nos
concitoyens, attentes légitimes après les peurs qui ont pu
être cultivées et révélées ces
dernières années.
J'articulerai mon exposé rapide autour de 3 points : la place et le
rôle des coopératives dans les filières de production
animale, et tout particulièrement d'aliments du bétail, la
traçabilité et la sécurité alimentaire dans les
coopératives et une conséquence qui m'apparaît
indispensable à évoquer, la nécessité d'un plan de
relance des protéines végétales à l'échelle
européenne.
1. La place des coopératives dans les filières de production
animale est importante. Je rappelle une spécificité forte qui
fait qu'un agriculteur qui fait le choix d'adhérer à une
coopérative est un actionnaire, un client de produits ou de services et
il est encore un fournisseur. Aucun acteur économique ne peut
aujourd'hui revendiquer une telle étroitesse de ses relations avec ses
actionnaires ou ses clients ou ses fournisseurs et rares sont les entreprises
qui peuvent réunir 3 ou 2 de ces conditions à la fois. Cette
spécificité coopérative offre une immense chance à
la structuration de filières organisées et donc organisées
peut sous entendre rassurantes pour le consommateur au sens où elles
peuvent raccourcir le processus que nous appelons souvent " de la fourche
à la fourchette " et mettre beaucoup de rigueur dans les relations de
cette chaîne de production.
Il existe de nombreux types de coopératives, mais historiquement ce sont
les coopératives de mise en marché qui ont connu le plus fort
développement notamment sur des produits très périssables
comme le lait. Depuis de nombreuses années, les coopératives se
sont impliquées dans le secteur de la viande, dans la création
d'outils industriels notamment les usines d'aliments, les abattoirs, les
unités de transformation, ceci dans la continuité de la mise en
place des groupements de producteurs, de cette mise en marché qui a
d'abord initié cette organisation, et dans un souci de conquête de
valeur ajoutée et de sécurité des débouchés.
Mais il faut souligner que tout ce mouvement organisationnel des agriculteurs,
cette naissance du monde coopératif dans la filière de production
d'aliments du bétail et de commercialisation de la viande s'est
créée aussi en réaction à des pratiques
professionnelles traditionnelles qui ont souvent été opaques et
contestées par les agriculteurs et par les consommateurs à
certains moments. Elles ont ainsi contribué à l'organisation des
filières et à la transparence des circuits de mise en
marché, condition indispensable à la sécurité
sanitaire, plus spécifiquement pour accompagner les besoins des animaux.
Ces organisations coopératives ont depuis longtemps investi, souvent
à plusieurs, dans des usines de fabrication d'aliments du bétail.
La part des coopératives représente 400 000 tonnes par an,
400 000 étant la capacité moyenne des outils des
coopératives dans ce secteur de production.
On estime qu'entre 1985 et 2000 la part de la coopération dans
l'alimentation animale est passée de 32 à 52%, donc il y a eu un
fort développement de la présence coopérative dans la
fabrication d'aliments du bétail, par croissance interne des outils ou
par rachat d'unités privées. Ce mouvement a été
initié le plus souvent par des coopératives polyvalentes
multibranches ou par des coopératives céréalières
soucieuses de trouver, à travers les productions animales, en
général, et l'aliment en particulier, un débouché
régulier pour les productions végétales de leurs
adhérents.
La part du prix de revient du kilo d'aliment dans le prix de revient du produit
final, porcins, volailles, ovins, moutons, connaît une importance
croissante selon les filières. Les outils d'alimentation animale ont
joué un rôle clef dans un secteur très concurrentiel et les
coopératives ont largement contribué à la croissance de la
production, qu'elles ont dû également accompagner par des
structures adéquates de mise en marché, qu'il s'agisse d'animaux
vivants ou de produits transformés.
Comme les autres entreprises de ce secteur, les coopératives ont
dû faire face à la pression croissante de la grande distribution,
qui a eu un impact direct sur l'amont des filières, ce qui les a
contraints à se concentrer, à essayer de réduire les
coûts pour offrir à leurs adhérents des produits et des
services aussi compétitifs que possible. J'insiste pour dire que le
renforcement de l'organisation des producteurs nous paraît être une
condition essentielle à l'évolution d'une agriculture dynamique
et plus encore au moment où on s'inscrit dans moins de politique
agricole sur les marchés, il nous faudra plus d'organisation de
producteurs pour rendre ces agriculteurs capables de conquérir ces
marchés et de rester des acteurs économiques dignes de ce nom.
Il faut qu'on milite pour amener les agriculteurs plus loin dans les
filières. On constate au cours de ces 20 dernières années
le déplacement de la valeur ajoutée d'un maillon à l'autre
des filières de production. C'est en essayant d'organiser les
producteurs le plus loin possible dans la filière que nous pourrons les
aider à conquérir plus de valeur ajoutée face à une
concentration des acteurs de la grande distribution sur laquelle il n'est pas
nécessaire de s'attarder ici.
2. La traçabilité et la sécurité alimentaire dans
les coopératives. Comment est-elle pratiquée ? Cette
particularité de l'actionnariat, du statut de client et de fournisseur
qui était celui des agriculteurs, c'est parce qu'elle regroupe les
différents maillons de la chaîne de production que la
coopération nous semble particulièrement
prédisposée à occuper une place de premier plan dans le
renforcement de la sécurité alimentaire. C'est le fondement des
entreprises coopératives que de valoriser la production de leurs
adhérents sur une zone bien définie. Si, comme les entreprises
concurrentes, elles n'excluent pas le recours à des importations,
à des apports de produits non issus de leur région territoriale,
leur activité technique et commerciale s'appuie quand même avant
tout sur des produits locaux et de ce fait contribue nettement à la mise
en valeur du territoire.
Avant de parler de qualité et de traçabilité, les
coopératives ont travaillé à la mise en place de cadres
interprofessionnels, encouragées dans leur démarche par les
pouvoirs publics.
Le mouvement interprofessionnel n'a pas d'équivalent en Europe. Il est
extrêmement puissant sur notre territoire national et il a
été fortement encouragé par les coopératives. A ce
titre nos coopératives sont, plus que d'autres entreprises,
attachées à la segmentation des produits et au
développement des démarches de qualité.
Tout ce qui concerne les signes officiels de qualité, AOC, Label Rouge,
HACCP, même agriculture biologique, c'est le mouvement coopératif
qui en est, si ce n'est à l'origine, en tout cas le vecteur, le support,
le vulgarisateur. Cette situation est à prendre à compte pour
essayer d'améliorer encore cette recherche de sécurité
alimentaire.
Depuis longtemps nos coopératives ont ainsi sensibilisé les
producteurs à l'importance des aspects qualitatifs, notamment dans le
secteur des produits élaborés, plus directement en contact avec
les marchés, comme le lait ou le vin.
A la fin des années 90, on a vu se mettre en place dans les outils
industriels agroalimentaires coopératifs les premières assurances
qualités système, selon des normes internationales ISO 9000, base
d'une organisation visant à améliorer la sécurité
des systèmes de production. En complément à cette mise en
place des normes ISO dans nos entreprises coopératives se sont
développés différents outils d'amélioration, comme
la démarche HACCP, et les premiers guides de bonne pratique, disponibles
progressivement dans toutes les filières. Depuis plusieurs
années, pour contribuer au renforcement de la qualité et à
la sécurité des approvisionnements, le programme Agriconfiance
concernant l'assurance qualité des exploitations agricoles voit le jour
sous l'égide de la CFCA.
Certifié par des organismes de certification indépendants,
Agriconfiance articule une démarche autour de la relation entre
l'agriculteur et la structure coopérative de mise en marché d'une
part, et entre cette structure coopérative et le besoin exprimé
par le client final d'autre part. En 2000, ce référentiel
Agriconfiance, en cours de développement dans la filière de
production d'aliments du bétail, a fait l'objet d'une normalisation par
l'AFNOR pour permettre à toute structure organisée des
productions agricoles de bénéficier des procédures
d'assurance qualité des exploitations agricoles. A ce jour 40
entreprises coopératives sont certifiées Agriconfiance, 130 sont
engagées dans la démarche, ce qui représente plus de
40 000 exploitations agricoles, ce n'est que 10% du total national. La
démarche est en cours dans toutes les filières, qu'il s'agisse
des filières de céréales, de vins, en passant par les
produits laitiers et la viande.
Cette approche est particulièrement adaptée à
l'organisation en filière, du producteur au consommateur, mise en oeuvre
dans nos coopératives et cette approche facilite la
traçabilité des produits et permet un meilleur suivi de la
qualité.
C'est donc l'effort global des entreprises coopératives sur les usines
et dans leurs relations avec les agriculteurs que j'ai plaisir à
souligner ici, même si nous sommes conscients que le chantier reste
ouvert et que les programmes d'assurance qualité se doivent d'être
encore plus développés.
En conclusion de ce deuxième point, la sécurité
alimentaire, par la traçabilité, c'est plus facile en
coopérative, plus rigoureux en coopérative et plus facilement
vulgarisable, développable en démarche coopérative. Quand
une entreprise coopérative qui réunit 3000 adhérents se
lance dans une telle démarche, c'est une dynamique de groupe qui suscite
l'adhésion de l'ensemble des agriculteurs et qui apporte plus de rigueur
que toutes autres démarches dispersées.
Dernier point : en conséquence de cette crise de l'ESB et de la
suppression des farines animales, nous croyons à la
nécessité d'un plan de relance des protéines
végétales à l'échelle européenne.
La décision de suppression des farines d'origine animale de novembre
2000 a de lourdes conséquences quantitatives et qualitatives. Dans le
contexte de consommation et de prix actuels, la commission européenne
estime le besoin complémentaire en protéines à 2 millions
de tonnes d'équivalents tourteaux de soja, ce qui vient s'ajouter aux
importations habituelles.
Sur le plan qualitatif le besoin supplémentaire va se traduire par
l'importation d'aliments oléo-protéiques dont il sera difficile
de contrôler la nature, risques liés aux organismes
génétiquement modifiés et plus encore le contrôle de
la traçabilité dans un marché mondialisé.
Au-delà de cet accroissement immédiat du besoin lié
à cette décision, c'est une réflexion sur l'ensemble de la
situation protéique européenne et les conséquences de
notre dépendance qu'il faut mener.
Très résumée, la situation actuelle de dépendance
se traduit par des conséquences économiques liées au
coût direct des importations massives de protéines qui nous sont
expédiées par les grands pays producteurs, USA, Argentine et
Brésil, et au manque à gagner pour la production agricole
européenne. Elle se traduit encore par des risques du point de vue de la
sécurité alimentaire car l'absence de choix réel et donc
l'obligation d'importer fragilise les mesures destinées à
accroître la traçabilité et à améliorer la
sécurité alimentaire souhaitée par les opérateurs
et les consommateurs.
Lorsqu'on nous présente un certain nombre de pays producteurs de
protéines comme indemnes d'OGM, et je pense notamment au Brésil,
et qu'en se rendant sur place dans des exploitations agricoles nous constatons
comme je l'ai vu au cours d'une dernière mission- des agriculteurs
désherber leur production de soja avec des produits supportables
uniquement par des semences résistantes à ce produit, et donc
génétiquement modifiées, vous nous permettrez d'exprimer
beaucoup d'interrogations quant à la sécurité et à
la traçabilité qu'offrent ces pays qui, pourtant, sont
présentés comme ayant chez eux interdit la production d'OGM. Si
on prend en compte l'ensemble des sources de protéines, on peut estimer
que le taux européen de dépendance est de 33% environ,
c'est-à-dire qu'environ un tiers de nos besoins globaux sont couverts
par des importations, avec une très large part accordée au soja
sous différentes formes, graines, farines et tourteaux. Ce taux
s'accroît jusqu'à 75% si on prend en considération les
besoins spécifiques des espèces mono gastriques, porcs et
volailles, et la réponse protéique particulièrement bien
adaptée, offerte notamment par le tourteau de soja, dont la composition
est proche des farines animales qui viennent d'être interdites.
Sur le tonnage équivalent tourteau de soja des matières à
haute teneur en protéines nécessaires au fonctionnement actuel de
l'alimentation animale, on estime que les 2 tiers sont importés.
Pour couvrir une partie de ce déficit, il nous semble indispensable de
mettre en oeuvre rapidement un plan encourageant ces productions
protéagineuses.
En plus ces cultures ont l'avantage de capter l'azote de l'air et donc
présentent des avantages sur le plan environnemental incontestables. Le
développement de ces cultures complémentaires, tant du point de
vue agronomique que zootechnique, a récemment fait l'objet de
propositions de la part de la profession. Il s'agit de demander des mesures
destinées à encourager la culture de ces plantes, qui souffre
aujourd'hui d'un certain désintérêt de la part des
agriculteurs, et pour des raisons essentiellement économiques. A cet
effet, il serait entre autres solutions envisageable soit d'utiliser les
jachères disponibles, soit de réorienter une partie des terres
actuellement consacrées aux céréales. Cette
dernière voie ne sera réalisable que dans la mesure où les
producteurs et les coopératives de collecte valident
économiquement ces orientations et tiennent compte des régions.
Naturellement, les producteurs devraient être accompagnés dans ces
évolutions par les instituts techniques et les organismes
économiques.
Nous pensons, dans les coopératives, être particulièrement
bien placés pour accroître la production de protéines
végétales destinées à l'alimentation animale. La
plupart des coopératives ont depuis longtemps mis en oeuvre des
productions contractualisées destinées à différents
opérateurs, la meunerie, le malt, il y a une culture de la
contractualisation dans nos coopératives qui est réelle et qui
pourrait permettre le développement de ce plan protéine de
façon rapide.
Une politique volontariste de la part des Pouvoirs publics pour une relance de
ces productions de protéines aurait également des
conséquences économiques directes sur l'accroissement de la
production végétale finale.
A ce jour, en dépit de l'analyse demandée lors des sessions du
4-12-2000 et du 26-02-2001 par le Conseil de l'Agriculture à la
commission européenne, il n'apparaît pas que des décisions
claires aient été prises et on pourrait même parler d'un
certain désintérêt pour ce problème de la part des
autorités européennes.
En conclusion, je me permettrai d'inviter les membres de la commission
d'enquête à souligner l'importance de l'enjeu proposé aux
coopératives agricoles, particulièrement bien placées pour
l'organisation des filières de production, la maîtrise des
relations avec les exploitations agricoles, et donc la rigueur dans les
procédés de traçabilité et de
sécurité alimentaire, vous inviter à soutenir la recherche
de solutions destinées à accroître la production de
protéines végétales, en relayant les propositions
formulées par la profession ; même si cette question est du
domaine européen, nous en sommes bien conscient, il nous paraît
quand même important que la France formule cette demande avec plus
d'insistance encore.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Concernant Syncopac, qui représente
les coopératives fabriquant des aliments pour animaux au sein de votre
confédération, avez-vous eu connaissance d'importations de
farines d'origine douteuse, et si oui vous êtes-vous porté partie
civile dans un certain nombre de procès ?
M. Philippe Mangin
- Non, nous n'avons pas eu connaissance d'importation
et de ce fait, nous n'avons pas été interrogés sur
l'opportunité de nous porter partie civile.
M. le Rapporteur
- Sur un plan plus général,
considérez-vous que le secteur de la production de farine animale est
suffisamment et efficacement contrôlé et encadré en
France ?
M. Philippe Mangin
- Je ne le pense pas. Je ne pense pas que nous nous
soyons entourés de toute la rigueur et de tous les contrôles qui
auraient été souhaitables. Je veux insister sur l'attitude
plutôt offensive des coopératives de fabrication d'aliments du
bétail, qui ont été les premières à poser le
problème de la présence de farines animales dans certains
aliments, notamment dans la chaîne de production d'aliments du
bétail pour bovins. Nous étions bien avancés
déjà dans nos réflexions avant que les décisions
n'aient été prises par les autorités publiques, nous
étions bien avancés dans des réflexions et dans des
stratégies visant à ce que des ententes coopératives
puissent séparer les circuits de production d'aliments. C'est ainsi que
plusieurs coopératives ont créé des alliances pour
spécialiser leurs usines et faire en sorte qu'il n'y ait plus de
contamination possible entre la fabrication d'aliment pour viande blanche pour
les mono gastriques et la fabrication d'aliments pour les bovins. Je suis
président d'une coopérative qui a participé à une
stratégie de ce type en alliance avec trois autres coopératives.
Cela nous a permis de spécialiser 4 de nos outils industriels de
façon à ce que plus aucune contamination ne puisse avoir lieu,
qu'on ait des camions de distribution qui n'aient eu aucun contact d'une gamme
de produit à une autre. Cela a été conduit dès le
début des années 99. Il est bon de rappeler que le Syncopac a
formulé publiquement des demandes en ce sens. On peut regretter une
insuffisance de rigueur de contrôle en la matière, effectivement.
M. le Rapporteur
- Êtes-vous toujours en phase avec les
décisions gouvernementales, c'est-à-dire interdiction totale des
farines animales sur l'ensemble des animaux, porcs, volailles, bovins ou
seriez-vous plus tolérant sur porcs et volailles ?
M. Philippe Mangin
- Sous réserve d'expertises scientifiques qui
resteraient à réaliser encore pour l'alimentation des mono
gastriques, j'aurais tendance à penser que, si nous avions pu
spécialiser complètement nos outils de production et assurer une
traçabilité la plus totale qui ne présente aucun risque de
contact et de mélange, autrement dit si nous avions des usines de
fabrication à destination des seuls mono gastriques et qu'il n'y ait
aucun contact possible avec l'alimentation des bovins -c'est par cette approche
que nous avons été longtemps guidés-, j'aurais tendance
à dire que, sous réserve d'expertise scientifique qui
démontre qu'il n'y a pas de risque dans la famille mono gastrique, cela
me semble être une solution qui pourrait redevenir possible.
M. le Rapporteur
- Vous n'avez pas peur qu'en terme d'image
vis-à-vis de l'opinion ce soit désormais impossible ?
M. Philippe Mangin
- Nous pourrons assez facilement, et c'est un peu le
cas, dire au consommateur que malheureusement l'origine des protéines
végétales aujourd'hui n'est pas beaucoup plus rassurante pour lui.
M. le Rapporteur
- Est-ce un discours que l'on peut tenir ? On peut
le tenir ici entre nous, on le comprend bien, mais ce n'est pas en disant que
l'origine des protéines végétales n'est pas plus
sûre qu'on peut aborder vraiment le problème.
M. Philippe Mangin
- Les peurs alimentaires, qui sont tout à fait
légitimes après les difficultés rencontrées ces
dernières années, sont quand même souvent excessives. Il
convient d'en revenir à la raison. Cette raison qu'il faut rechercher,
c'est l'expertise scientifique sous surveillance des pouvoirs publics qui nous
permettra d'y revenir. Si nous avons des instances scientifiques
indépendantes qui peuvent démontrer à l'issue de travaux
rigoureux que les farines animales dans l'alimentation des mono gastriques ne
présentent pas de danger, je ne vois pas pourquoi le consommateur
continuerait à s'affoler exagérément. Il faut tenter de
rassurer le consommateur sur la rigueur, l'indépendance, la
qualité de l'expertise scientifique. Cela demandera un peu de temps sans
doute. C'est selon nous le meilleur moyen pour que le consommateur s'y retrouve
dans les informations qui lui sont livrées pêle-mêle et qui
parfois sont davantage dues à des lobbies de tout poil qu'à des
supports crédibles.
M. le Rapporteur
- Vous avez fait un long exposé et plaidoyer
concernant les protéines végétales et le souci que vous
avez de relancer un plan protéine au niveau européen et
français en particulier. Nous sommes assez désemparés. Que
ce soit auprès de Franz Fischler, que nous avons rencontrée il y
a quelques semaines à Bruxelles, ou suite à l'audition de
Monsieur Moscovici où nous lui avons posé la question au sein de
la délégation à l'Union Européenne, on ne sent pas
une volonté très nette sur ce point et vous avez vu les
résultats du document de travail de la commission.
Je ne sais pas quels seraient les moyens pour bien faire comprendre
déjà au niveau national la pertinence. On a reçu le
président de la FOP, qui était d'une clarté exemplaire sur
ce point. Cela paraît excessivement rationnel de relancer un plan
protéique au plan national. Nous sommes encadrés par les accords
de Blair House sur une partie seulement de ce plan.
Une fois qu'on a rencontré ces personnes, on va reposer la question
à Monsieur Glavany, on ne sent pas de volonté très claire.
Cela ne passerait-il pas non plus par une action auprès de l'INRA, pour
avoir des variétés plus compatibles avec la climatologie
nationale ?
Toutes tendances politiques confondues, nous sommes très
réceptifs à cela pour faire un relais, mais nous sommes
déçus.
M. Philippe Mangin
- On se heurte à ce qui pourrait sembler
être un certain désintérêt de la commission
européenne sur la question. Si c'est le cas, c'est parce que cela cache
des préoccupations budgétaires importantes. Vouloir au niveau
européen être offensif en ce domaine et relancer un
véritable plan protéine supposerait un certain
rééquilibrage du budget en défaveur de certains secteurs.
Il y a 2 possibilités. Soit on se dit : pour relancer ce plan
protéine on va prendre un peu sur les filières animales. Ce n'est
pas le moment, puisqu'au contraire, du côté des filières
animales, il y a besoin de moyens budgétaires plutôt plus
importants.
Si tel n'est pas le cas, c'est peut-être dans la filière
céréalière qu'il faut trouver les moyens d'y parvenir. Je
ne sais pas si l'état de la céréaliculture
européenne peut permettre cette éventualité. La
filière a dû accepter de gros efforts ces derniers temps, en
France, en plus, avec la mise en place de la modulation, donc essayer
d'expliquer au secteur céréalier qu'on va devoir lui baisser les
primes à la faveur d'une relance du secteur protéine ne me
paraît pas non plus être chose facile.
L'équation de la politique agricole européenne aura du mal
à trouver une réponse à budget constant et à la
veille d'un élargissement. C'est ce qui nous encombre dans cette
recherche de solution que de se dire en préalable " nous ne pouvons
raisonner qu'à budget constant et à l'intérieur du budget
actuel".
Cela étant, une évolution budgétaire est-elle
possible ? La question me dépasse. Je sens que s'il y avait un
effort réalisé de ce côté, les choses pourraient se
dénouer assez vite. Deuxième crainte que peuvent avoir les
autorités européennes : la réaction des
États-Unis. Le panel soja que nous avons perdu n'est pas très
ancien. A la veille de l'ouverture de négociations difficiles, bon
nombre de négociateurs sont tentés de nous dire " patientez un
peu ". Or, il y a des intérêts que vous avez bien compris qui
pourraient nous permettre d'être plus offensifs dans ce domaine. J'en
rajoute un, cher à une région comme la mienne : toutes les
régions agricoles dites intermédiaires, le grand pourtour du
bassin parisien, qui va même jusque dans le Sud-Ouest, se heurtent
à la difficulté de ne pas pouvoir développer de cultures
dites industrielles, comme des régions du bassin parisien peuvent en
avoir avec la betterave, la pomme de terre etc.
Elles sont en système de production un peu enfermées en termes de
tête d'assolement, autour soit du tournesol dans le sud-ouest, et du
maïs, ou du colza pour une grande partie l'est de la France.
Développer le plan protéines, c'est redonner des chances à
l'agriculture de ces régions, qui présente toutes les conditions
pédo-climatiques pour redévelopper de la culture qui
historiquement se faisait, comme la féverole, le lupin et d'autres
productions de ce type.
Il y a un avenir pour les régions dites intermédiaires qui passe
par le développement de ces cultures de protéines. Il faut le
verser au débat politique.
Ce sont les régions actuellement qui souffrent le plus de
l'évolution de la réforme de la PAC des derniers accords de
Berlin, ce sont celles qui ont le moins de chance de diversification, sauf
à espérer relancer ces productions de protéines.
M. le Rapporteur
- Il faudra que l'on raisonne à budget constant.
Les informations qu'on peut avoir au plus haut niveau nous amènent
à le penser. Mais il y a des priorités. Celle-ci en est une,
voire la première. Au sein de votre système coopératif,
est-ce une réflexion à laquelle vous commencez à avoir des
conclusions entre vous ?
M. Philippe Mangin
- Beaucoup de coopératives ont commencé
à prendre le taureau par les cornes en réalisant ce qui peut
paraître bien petit eu égard à l'ampleur du
problème, mais en remettant dès l'année dernière
par exemple des parcelles d'essai de ces productions dans toutes les
coopératives à peu près, ce qui avait été
abandonné et ce qui nous amène à la difficulté dans
laquelle nous sommes. Il n'y a pas eu de recherche génétique
depuis des années, il n'y a pas eu de moyen tellement
développé auprès des instituts etc. Il y a une
mobilisation des coopératives. Certaines ont passé des accords
avec des collectivités territoriales, c'est le cas en
Languedoc-Roussillon où il y a un accord de la région pour
soutenir à titre expérimental, mais dans un souci de
vulgarisation, ces cultures à titre d'essai.
Donc cette mobilisation côté coopératives est
réelle. Elle est en train de se traduire par des faits concrets. La
première chose à faire est celle-là pour que les
agriculteurs se disent " j'ai intérêt à recommencer cela ".
Qu'on leur montre grandeur nature " nous avons fait des essais, les
résultats économiques ne sont pas aussi négatifs que
chacun a pu le penser ". Cette mobilisation existe. La volonté des
coopératives de mettre tout en oeuvre pour contribuer au retour de ces
productions est certaine, notamment pour celles qui sont aussi productrices
d'aliments du bétail, qui sentent bien l'intérêt, et qui se
disent que ce sera même comparatif très rapidement.
Pouvoir dire à ses sociétaires " je vous vends un aliment du
bétail qui certes n'a plus de farines animales, mais qui en plus
contient des protéines " du pays ", sera un avantage compétitif ".
M. le Rapporteur
- Au travers du secteur Languedoc-Roussillon, donc,
dans le cadre d'un contrat de plan État région, pourrons-nous
avoir un document sur ce point ? Il serait intéressant de le verser
au dossier de la commission. Cela pourrait être l'objet d'une incitation
au travers de ce document sur d'autres régions françaises.
Ma dernière question a trait à la réflexion sur la
réforme de la Politique Agricole Commune. Je suis persuadé que la
coopération y pense activement et de façon pertinente.
Cela doit être également l'objet d'une des réflexions de
cette commission d'enquête. Quelle est votre approche concernant la
réforme de la PAC ? Nous sommes là à un virage. La
PAC a été un élément fondamental dans la
construction européenne. Là on est au bord de l'implosion. Il
serait intéressant qu'on puisse vous entendre sur ce point. Cela
demandera sans doute d'autres rencontres, mais cela fait partie de l'objet de
la commission.
M. Philippe Mangin
- Nous craignons le glissement d'une politique
agricole vers une politique de revenus. Nous sommes persuadés qu'un jour
viendra où les agriculteurs vendront avant d'avoir produit ou ne
mettront rien en production sans avoir un contrat, un débouché,
une contractualisation.
Ce jour viendra. C'est en plein développement. Ce sera étendu
à la plupart des agriculteurs rapidement.
Cette simple analyse pourrait nous amener à dire " il n'y a plus besoin
de politique agricole, il n'y a que de la compensation à faire pour les
agriculteurs en situation plus défavorable ". J'émets une forte
réserve à cette déduction. Nous avons affaire là,
contrairement à des secteurs industriels, à du vivant. C'est une
production qui ne se contractualise pas et qui ne se régule pas comme
une chaîne de production de voitures. On peut se dire qu'un fabricant
automobile, à part dans la phase de lancement d'un nouveau produit, fait
ensuite travailler sa chaîne en fonction des bons de commande. Il adapte
sa production ainsi. En agriculture nous n'y parviendrons jamais
complètement, parce que nous avons affaire à du vivant. Cela
supposerait que la politique agricole européenne continue à
intervenir en deux directions :
* Qu'elle maintienne un filet de protection au sens où nous ne sommes
pas à l'abri de crise dans un sens ou l'autre en terme quantitatif. 2%
de plus d'excédent d'une production sur un marché mondial, c'est
tout le secteur qui connaît une très forte dégradation des
prix. Un agriculteur ne peut supporter de telles variations. Il est important
qu'on conserve dans cette politique agricole un niveau minimum de filet de
protection.
* Puisque c'est du vivant, nous sommes soumis à tous les risques que
présente le vivant et donc des risque sanitaires, liés à
la santé. On ne peut imaginer que la profession soit capable
elle-même d'assumer toujours les conséquences de tous ces
risques.
Ces 2 raisons m'amènent à dire que toutes les évolutions
de politique agricole européenne sont imaginables. Il faut être
ouverts à ces formes d'évolution à condition qu'on ait
bien pris en compte cette spécificité de l'agriculture qui vise
à traiter du vivant et qui donc nécessiterait ce filet de
sécurité et cette capacité à gérer les
crises maintenue au niveau européen. Ce sont 2 piliers sur lesquels il
faut axer notre réflexion. Je n'ai pas évoqué les
conditions climatiques et les variations qu'elle peut engendrer. L'Europe est
un des continents le plus stable en matière de production, par son
climat. Les variations climatiques sur d'autres continents sont
extrêmement fortes et vous voyez des courbes de production
extrêmement cycliques quand vous prenez la production de l'Australie ou
des États-Unis dans certains secteurs au cours des 10 dernières
années.
Ces 2 conditions étant posées, imaginer une autre intervention
des soutiens publics, une autre conditionnalité à l'octroi de
soutien aux agriculteurs me paraît souhaitable. Il faut que la profession
s'en ouvre et soit force de proposition en la matière. Nous devons dans
toute cette approche rassurer le consommateur et rendre des comptes au citoyen.
Ce sont deux questions qu'on ne pourra balayer d'un revers de main, comme la
profession l'a fait un peu trop sans doute dans les réflexions
précédentes en 1992 et en 1997 ou 1998.
M. le Rapporteur
- Au sein d'une contractualisation forte à
laquelle je crois personnellement, vous n'avez pas évoqué le
dernier maillon, celui de la grande distribution et de la concentration qui est
la sienne, que l'on dénonce. Au niveau de la coopération,
pensez-vous avoir un effet de levier sur lequel vous voudriez vous appuyer
davantage ? Concernant le partage de la valeur ajoutée, on voit de
plus en plus où va le glissement. Il est très net. Même
s'il y a un excellent rapport de nos collègues Le Déaut et
Charié sur ce point, on ne sent pas une volonté gouvernementale,
quel que soit le gouvernement, pour aider à déplacer ce niveau de
captation de valeur ajoutée. Avez-vous des propositions sur ce
point ?
M. Philippe Mangin
- Nous interpellons depuis longtemps
déjà, mais plus récemment encore, les pouvoirs publics
pour qu'ils conditionnent l'octroi des aides à l'organisation des
producteurs. Pas toutes les aides, mais un certain nombre d'aides en provenance
des offices notamment, pourraient être octroyées en étant
davantage conditionnées à l'organisation des producteurs.
L'organisation des producteurs procurera des économies aux pouvoirs
publics. Elle fera réaliser des économies aux pouvoirs publics
car elle limitera les crises. Plus nos agriculteurs seront organisés
pour être présents sur les marchés, moins nous serons
confrontés la crise.
Quand on en a les moyens au niveau des pouvoirs publics, comme c'est le cas
dans les offices, nous avons eu ce débat au Conseil supérieur
d'orientation et nous n'avons pas été suivis, nous
coopérations, et nous le regrettons. Nous n'avons pas été
suivis par une partie de la profession aussi. Nous avons eu ce débat et
nous pouvions sous-tendre, conditionner davantage un certain nombre d'aides
à ce degré d'organisation économique. Cela n'a pas
été fait mais nous continuons à la CFC à militer
dans ce sens et invitons avec force les entreprises coopératives
à créer des alliances pour essayer d'être plus
présentes dans la conquête de la valeur ajoutée, essayer
d'aller plus loin dans la chaîne alimentaire.
M. le Rapporteur
- Créer des alliances entre différentes
coopératives ?
M. Philippe Mangin
- Oui. Le terme " alliance " n'a pas toujours
été bien compris par les agriculteurs puis par les pouvoirs
publics, qui considéraient que nous invitions nos coopératives
à créer des choses monstrueuses que les agriculteurs ne
maîtriseraient plus etc. Nous n'étions pas tellement compris dans
cette approche. Il s'agit d'inviter les coopératives à
créer des alliances. Cela ne sous-tend pas toujours des fusions pour ne
créer qu'une seule entité. On peut être coopérative
en relation directe avec ses agriculteurs et sur un territoire donné,
s'en tenir là et, dans l'aval, dans les outils industriels, dans la
conquête de la valeur ajoutée, se doter d'outils à 2, 3 ou
5. J'ai 2 exemples en tête, dont Malt Europe, qui réunit 20
coopératives du grand Nord Est de la France, premier malteur
européen, deuxième malteur exportateur au monde. Ce sont 20
coopératives qui ont leur propre entité et ont su à une
époque créer un outil commun qui est devenu un des principaux
acteurs dans le malt au niveau mondial, qui a maintenant des malteries en
Espagne, en Allemagne, au Portugal, en Argentine et en Chine.
Des coopératives, donc, peuvent faire s'il y a la volonté des
hommes et si elles se sentent soutenues, invitées. Nous ne demandons pas
de privilège particulier mais une dynamique qui nous amène
à agir dans ce sens. Chaque fois que les pouvoirs publics pourront
inviter les agriculteurs à cette démarche d'organisation, ils
aideront ensuite les coopératives à des démarches
d'alliance pour cette conquête de la valeur ajoutée.
M. Jean-Marc Pastor
- Vous avez brossé un tableau
général de l'action et de l'action de groupe nécessaire au
monde agricole, auquel on adhère tous. Je reviens sur une des
interrogations qui est également la nôtre. Comment, dans la
période 1990 à 2000, où il y a eu fabrication d'aliments
du bétail, comment la confédération, vous-même, avez
été intégrés, mêlés de près, de
loin, à la mise en place de tout cela ? Derrière cette
préparation d'aliment du bétail planent les farines animales.
Avez-vous été interpellé sur cette question de
façon directe par des coopératives de fabrication d'aliments dans
cette période ? Je ne parle pas de 1999. Comment cela s'est-il
passé avant ? Quelle est la tutelle que peut exercer la
confédération par rapport aux coopératives ? C'est
lié.
M. Philippe Mangin
- Interpellée par nos coopératives, la
CFCA en tant que telle, non. Nous sommes une confédération qui
réunit 19 fédérations spécialisées par
métier, plus un certain nombre d'entreprises qui adhèrent
directement à la CFCA, en l'occurrence les polyvalentes et les plus
grosses d'entre elles.
Nous n'avons pas de relations directes à la CFCA avec les entreprises
coopératives, à l'exception des plus grosses. Ce sont nos
fédérations spécialisées qui ont cette relation.
Elles nous interpellent régulièrement, notamment quand une
relation avec les pouvoirs publics est souhaitable. La CFCA est la
confédération qui est chargée de porter des
préoccupations sectorielles au plus haut niveau.
Je fais une petite parenthèse : cette organisation ne nous
satisfait pas, sur laquelle depuis mon arrivée à la
présidence de la CFCA je travaille beaucoup pour faire que cette
confédération soit un peu plus fédération et faire
en sorte que le mouvement coopératif se dote d'une organisation plus
musclée en termes d'expertise. Notre expertise est diffuse dans ces
fédérations. Je souhaite la concentrer pour la renforcer et
l'améliorer, de façon aussi à renforcer notre expression
politique. Vous avez reçu 2 présidents, l'un de la
fédération d'aliments du bétail, le Syncopac, l'autre de
la fédération de production d'aliments de bétail et de
viande ; tout cela reste une voie assez dispersée. Qu'il y ait des
approches par filière et métier est indispensable. Que nous
soyons capables de nous réunir pour nous doter d'une vraie expertise me
paraît souhaitable, d'abord pour traiter de problèmes aussi graves
que ceux-là. La CFCA ne peut donner tout ce qu'elle pourrait compte tenu
de ce mode d'organisation, mais nous y travaillons et j'espère que 2001
sera révélatrice en termes d'amélioration.
M. Jean-Marc Pastor
- Dans le prolongement de ce débat et dans
une vision plus perspective, vous touchez du doigt que la notion de
confédération est difficile dans l'équilibre national pour
essayer d'être le porte-parole dans une diversité de points de
vue. Sur le terrain nous nous rendons compte de cette diversité de
points de vue. Soutien des pouvoirs publics, soutien du monde professionnel
agricole. Tant qu'il n'y aura pas une fédération, il y aura du
mal à trouver une adhésion, une expression unanime par rapport
à ce mode d'organisation économique. Vous avez là un point
faible qu'on retrouve dans notre interrogation pour essayer d'y voir plus clair
dans ce cheminement, cheminement qui vous échappe quelque part car il
n'y a pas de tutelle. Si l'idée est intéressante, dans la
pratique on se rend compte d'un point faible par rapport à cette
organisation. Il y a du chemin que l'on partage.
M. Philippe Mangin
- Je ne veux pas dresser un tableau trop sombre de la
situation. Nous exerçons une certaine tutelle, même si le mot est
un peu fort, sur nos fédération. Je ne peux nier cette situation
et je travaille pour que cela s'améliore.
M. Bernard Cazeau
- L'enseignement principal de la crise de l'ESB est
qu'il y a une préoccupation de plus en plus manifeste du consommateur
par rapport à la qualité des aliments. A cet égard, on
peut aujourd'hui s'interroger sur les précautions prises. L'ESB est un
problème que l'on vit, qui nous conduit à réfléchir
sur le passé. Si on regarde l'avenir, on voit des préoccupations
sur les pesticides, les herbicides par exemple, sur les résidus
très importants qu'on trouve dans l'eau et les produits alimentaires.
Dans cette idée de précaution maximum, y a-t-il des
démarches actives au niveau des coopératives qui ont plus que
d'autres le sens éthique, dans l'optique de faire en sorte que les
pesticides diminuent très vite dans les années qui viennent et
qu'on puisse dire dans 10 ans " on avait à l'époque pris les
précautions, on avait essayé de diminuer fortement les pesticides
" ? Y a-t-il une réflexion, un projet collectif sur ce point au
niveau des coopératives ?
M. Philippe Mangin
- On pourra toujours démontrer qu'on a
trouvé une coopérative qui n'est pas très soucieuse de ces
questions. Cela m'arrive fréquemment, quand je tente d'expliquer
l'action coopérative dans ce domaine, qu'on me trouve un contre-exemple.
Il y en a sans doute, comme dans tout secteur professionnel, comme dans toute
famille organisationnelle. Cela étant, l'investissement des
coopératives dans ce domaine est réel et déjà
ancien. Le rôle des coopératives est précieux. Elles ont
une capacité de levier auprès des agriculteurs qui est
très forte, bien plus que celle d'une chambre d'agriculture ou d'une
autre organisation. Lorsqu'une coopérative a décidé
qu'elle devait faire tous les efforts possibles pour diminuer la consommation
d'engrais azotés, elle met ses équipes techniques au travail et
une fois que le message part dans la nature, cela va très vite. Une
autre organisation agricole, avec toute son honnêteté et sa
légitimité, n'aura jamais cette capacité
d'entraînement, de mobilisation, d'adhésion des agriculteurs.
Même les agences de bassins, souvent réticentes à
l'égard des coopératives, notamment de celles qui peuvent
être acheteurs de produits et vendeurs d'intrans, ont revu cette approche
et ont vu qu'avec les coopératives, elles pouvaient jouer sur ce
rôle de levier qu'elles avaient, qui est incontestable. On a beaucoup de
démarches de gestion parcellaire, d'optimisation des itinéraires
conduites par des coopératives. Beaucoup des expérimentations et
des conseils diffusés aujourd'hui s'appuient sur de l'optimisation.
Comment réussissons-nous à inviter les agriculteurs à
être plus précautionneux ? Autour de la notion de marge
brute. Dire à un agriculteur " En diminuant tes doses d'intrans de x% tu
vas améliorer les conditions de la nappe phréatique etc., " c'est
bien ; lui démontrer en même temps qu'il y a un gain
économique qui va améliorer sa marge brute à l'hectare,
cela va encore mieux. Les coopératives savent le faire. Si en plus elles
peuvent ajouter une approche contractuelle avec un cahier des charges qui
permet auprès du client final une petite valorisation -car ces
écarts restent infimes-, l'adhésion est encore meilleure.
Beaucoup de coopératives sont dans cette logique de contractualisation
qui nous conduira nous l'espérons à dire que le produit
alimentaire a une origine mais qu'en plus, ses modes de production auront
été soucieux de l'environnement. On touche là la notion
d'agriculture raisonnée qui nous pose des problèmes pour
être reconnue et mise en oeuvre au niveau national. Nous progressons.