Audition de M. Jean-Jacques MENNILLO,
PDG de la société Agro
marchés internationaux
(28
février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Tout d'abord, merci,
monsieur Mennillo. Je rappelle que vous êtes M. Jean-Jacques Mennillo,
PDG de la société Agro marchés internationaux, que vous
êtes auditionné à ce titre dans le cadre de la commission
d'enquête du Sénat sur le problème des farines animales et
de la propagation de la maladie de l'ESB et qu'étant auditionné
dans le cadre d'une commission d'enquête, je suis obligé de vous
faire prêter serment. Auparavant, je vais rappeler les conditions dans
lesquelles fonctionne notre commission.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à MM.
Mennillo et Volant.
M. le Président -
Très bien. Dans un premier temps, je
vais vous passer la parole pour que vous nous disiez, à votre niveau, ce
que vous pensez du problème qui nous concerne, après quoi mes
collègues et moi-même vous poserons les questions que nous
souhaitons vous poser.
M. Jean-Jacques Mennillo
- Merci, monsieur le Président. Je vais
commencer par vous dire qui je suis et ce que je représente.
L'entreprise que je dirige et qui est installée sur huit pays en Europe
s'est spécialisée depuis de très longues années
dans tout ce qui est mise en marché des produits agro-alimentaires frais
dans lesquels entrent les produits de la pêche, les fruits et
légumes et, bien entendu, les animaux vivants. C'est sans doute à
ce titre que je me trouve ici aujourd'hui, d'autant plus que notre groupe a
développé, depuis mars 1989, une démarche de
traçabilité.
A cette époque --le mot "traçabilité" n'était pas
dans le dictionnaire il y a deux ans--, vous pouvez imaginer que c'était
une avancée considérable. Nous étions donc
considérés comme des gens très curieux et bizarres, tout
le monde ne voyant pas l'intérêt de la traçabilité
à cette époque. Aujourd'hui, évidemment, avec tout ce qui
se passe, en particulier avec l'ESB, la traçabilité est devenue
à l'ordre du jour et tout le monde en parle beaucoup.
Cependant, je ne suis pas certain que tout le monde sache avec précision
ce qu'on met dans la traçabilité et que les différents
opérateurs des différents intervenants sur les filières,
depuis le producteur jusqu'au consommateur final, savent exactement ce qu'on
peut mettre dans la traçabilité.
Bien entendu, je n'ai strictement aucune compétence en matière
d'ESB. En revanche, le gros avantage d'une entreprise comme la mienne et de
tous les gens qui font de la traçabilité, c'est de vivre au
quotidien avec les producteurs, avec les éleveurs, avec les
pêcheurs, etc., c'est-à-dire avec toutes les personnes qui font
les matières premières pour lesquelles nous avons mis en place
des services.
Vous savez par ailleurs que le Salon de l'agriculture vient de se terminer. Je
ne sais pas si vous avez eu l'occasion de le visiter, mais il était
remarquable de noter que, cette année, il n'y avait pas un seul stand
sur lequel on ne trouve pas le mot "traçabilité". Dieu sait ce
que cela recouvre, mais tout le monde se targue de faire de la
traçabilité.
Par ailleurs, on a vu ça et là apparaître des termes comme
"tiers de confiance" ou "nécessité absolue d'une forme de
labellisation" de cette traçabilité.
Tous ces éléments font qu'en tant que personnes qui parlons de la
traçabilité et qui la faisons de façon concrète
depuis plus de dix ans, nous sommes un peu choqués. Vous me permettrez
d'être très direct. Je crois qu'il faut arrêter d'insulter
(j'utilise le terme à dessein, même s'il peut paraître fort)
les producteurs, les éleveurs et les pêcheurs en leur parlant de
"tiers de confiance", de "contrôle", etc.
Je pense en effet que, dans la population des producteurs de l'agroalimentaire
et des produits frais, au sens très large du terme, il y a très
exactement la même proportion d'escrocs que celle que l'on trouve dans la
population nationale. On pourra parler de 0,8 ou 0,6 %. Vous me permettrez
de faire une autre lecture de ce chiffre, qui veut dire que nous avons 99,2 ou
99,4 % de gens qui font leur métier d'une façon claire,
nette et sincère, en véritables professionnels, qui tiennent
depuis la nuit des temps des cahiers d'élevage, puisque c'est le sujet
dont on parle aujourd'hui, des cahiers de culture ou des cahiers de
pêche, pour les pêcheurs, et qui ont découvert, de
même que M. Jourdain ne savait pas qu'il faisait de la prose, qu'ils
faisaient de la traçabilité depuis des décennies.
Nous qui nous targuons d'être des professionnels de la filière,
nous disons : "arrêtons, cela suffit !" Ces gens sont, dans leur
grande majorité, des vrais professionnels qui notent tout ce qu'ils font
sur les animaux et qui n'ont pas besoin du tout de tiers de confiance, voire de
gendarmes qu'il faudrait poster derrière chacun des producteurs.
Par conséquent, dans leur grande majorité, les éleveurs,
puisque le sujet porte sur les farines animales, de façon très
précise et détaillée, ont toujours noté ce qu'ils
faisaient, comme je viens de le dire. La grande nuance, aujourd'hui, c'est que,
premièrement, on a donné un nom à ce travail --c'est la
traçabilité-- et que, deuxièmement, on leur demande de
transmettre ces informations.
Que se passait-il jusqu'à ce qu'on rencontre tous ces problèmes
bactériologiques, ces maladies dues à des virus ou des prions sur
le marché ? Lorsqu'un camion venait charger la production ou les
animaux d'un éleveur, on ne transmettait pas le cahier d'élevage,
c'est-à-dire que le camion partait avec un produit qui avait eu une
traçabilité à un moment donné et qui arrivait chez
un autre opérateur, lequel refaisait lui-même sa propre
traçabilité pour ce qui se passait chez lui, et ainsi de suite
jusqu'au bout de la filière.
La nouveauté, c'est qu'il faut tirer un trait d'un bout à l'autre
et c'est le travail dans lequel le groupe que je préside s'est
engagé dans huit pays d'Europe. Cela implique un travail très
précis au contact des producteurs en leur donnant la capacité de
faire cette transmission.
Vous me direz qu'il existe des systèmes qui imposent aux producteurs de
fournir des informations sur le cheptel qui est géré à
l'intérieur de l'exploitation, sur les animaux qui sont à
l'intérieur de cette exploitation, sur les numéros des boucles de
chacun des animaux, sur les numéros des boucles des numéros de
cheptel, sur les numéros dans le cheptel, etc., autant de choses que
vous avez dû voir en détail depuis le début de vos
auditions. Toutes ces informations sont transmises à des bases de
données officielles qui sont gérées
généralement sur le plan national. En France, sauf erreur ou
omission de ma part, ce sont les ARSOE qui gèrent cela.
Je peux donc vous en donner la répartition, car cela peut être
intéressant : 70 % des inscriptions se font encore par minitel
aujourd'hui, bien que nous soyons à l'ère d'Internet --cela
prouve que c'est un bon outil--, mais nous n'abandonnons pas pour autant
Internet, puisque 5 % des éleveurs font leurs inscriptions sur les
bases officielles des ARSOE par Internet, et 25 % le font sur papier, soit
par fax, soit par courrier. C'est un système qui fonctionne parfaitement
bien et qui sert à renseigner une base de contrôle permettant
à tous les opérateurs, notamment les vétérinaires
et autres personnes chargées de contrôler la filière, de
pouvoir identifier ce qui se passe à l'intérieur de chaque
cheptel et de chaque exploitation.
Sur le petit document que je me suis permis de vous apporter, sur un seul
schéma --c'est parfois mieux qu'un long discours--, vous voyez une ligne
en pointillés qui sépare bien ce qui est du domaine des
inscriptions obligatoires officielles d'un autre monde complètement
différent : le monde du commerce et de la traçabilité
commerciale.
Ce qui est intéressant -vous trouverez cela dans un dossier que j'ai
apporté-, c'est de savoir quelles sont les attentes des personnes qui,
sur le marché, in fine, vont s'approvisionner avec le produit qui a
été élevé avec soin par les producteurs.
Mon groupe a fait faire un sondage par l'IFOP, dont je vous transmets quelques
échantillons, pour savoir quelles étaient les attentes des
distributeurs. Il s'agit d'un très gros document que je vais vous
résumer, sachant que, si vous souhaitez avoir le document in extenso, il
est bien entendu à votre disposition. Il est tout à fait
remarquable de voir qu'aussi bien les ménagères que les acheteurs
de la distribution finale, quelle que soit sa forme, sont des personnes qui
attendent de la tranquillité, si vous me permettez d'utiliser ce terme.
Ils veulent en effet savoir ce qui impose la traçabilité dans les
textes, par exemple le fait de dire que l'animal est arrivé chez M. un
tel, qu'il est reparti tel jour chez M. un tel, qu'il a été
transporté de telle façon vers tel marché et qu'il est
allé à tel abattoir, mais ce qui est beaucoup plus important et
intéressant, c'est ce qui est arrivé à cet animal,
à ce produit lors de son passage chez M. X, le contexte dans lequel cela
s'est fait et ce qu'il a mangé. Il s'agit de savoir si cet animal, parce
qu'il s'est blessé, a été vacciné et combien de
temps après avoir été vacciné il est allé
à l'abattoir. Ce sont des informations essentielles qu'il faut ajouter
aux éléments de traçabilité pour permettre à
un certain nombre d'acheteurs d'avoir des informations exhaustives sur un
produit.
C'est pourquoi nous faisons une distinction, sur le schéma que je vous
ai remis, entre des données obligatoires d'identification et des
données qui complètent la traçabilité par des
éléments commerciaux pour permettre d'informer l'aval des
marchés.
Cette information n'est pas neutre. Je vous ai dit tout à l'heure en
commençant que nous nous occupons de deux choses, la première
étant l'organisation des marchés et la commercialisation des
produits et la deuxième étant la traçabilité, qui
est absolument indissociable aujourd'hui. Or la mise en marché des
produits, aujourd'hui, ne peut plus être réalisée si les
éléments de traçabilité ne sont pas
communiqués aux marchés.
Nous nous retrouvons donc dans une période où la mise en place de
ces éléments qualitatifs qui viennent compléter la
traçabilité est essentielle pour fluidifier le marché et
vendre les produits.
Quelle est la situation exacte des éleveurs que nous connaissons ?
D'origine, je ne suis pas un grand spécialiste des bovins. Ce n'est pas
mon métier : j'ai commencé mon métier et mon
entreprise sur les problèmes de la pêche et des bateaux de
pêche, mais lorsque nous avons voulu aborder le marché des bovins,
nous sommes allés voir des spécialistes des bovins et avons
passé un accord avec eux. C'est ainsi que la plus grande structure
française de commercialisation de bovins sur pieds est notre partenaire
et que c'est avec elle que nous avons commencé à découvrir
et à vivre ce marché et le drame dans lequel vivent les
éleveurs aujourd'hui.
Je pense que vous devez savoir mieux que moi qu'il y a quinze jours, en
Bretagne, il a été créé un numéro vert "SOS
suicide éleveurs". Bon nombre d'éleveurs se trouvent dans une
situation absolument dramatique du fait de la psychose du marché
à l'heure actuelle. En effet, la commercialisation des bovins se fait
très mal (j'enfonce une porte ouverte car la presse s'en est fait
l'écho) et les prix ont chuté sur le marché ; c'est
un effet mécanique habituel.
Le problème, c'est qu'il n'y a pas que des marchés locaux et
nationaux. Il y a des marchés à l'étranger qui sont
parfaitement accessibles mais que l'on ne savait pas toucher et exploiter
encore très récemment. Je vous dis donc, sans vous en faire la
démonstration (sachant que je peux bien entendu la faire), que l'un des
très grands intérêts de ce qu'on appelle communément
aujourd'hui la mise en place des nouvelles technologies est de permettre
d'associer les éléments statistiques obligatoires, ce qu'impose
l'Etat, pour pouvoir suivre le cheptel, les éléments de
traçabilité et les éléments de qualité et
d'aboutir à une mise en marché, à une reprise commerciale
des exportations ou à la constitution de lots convenables (les
spécialistes pourront identifier ce que je viens de dire) afin de
réamorcer la commercialisation des produits.
Voilà, à grands traits et très rapidement, l'exposé
général que je peux faire en associant ce qui est obligatoire et
qui est géré par l'Etat de façon parfaite, disons-le, et
ce qui est absolument nécessaire commercialement pour permettre une
reprise.
Je vous ai dit que j'avais commencé mon métier avec le poisson.
Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais, en février 1994, sauf
erreur de ma part, les pêcheurs ont mis le feu au Parlement de Rennes au
cours d'une manifestation un peu forte. C'est en tout cas ce qu'on a dit. Dans
quelle situation étaient les pêcheurs à cette
époque ? Il ne s'agissait pas de problèmes de virus ou de
maladies mais de problèmes d'organisation et de dynamisation du
marché pour toutes sortes de raisons.
Je ne ferai pas de parallèle entre le prion et les difficultés
que connaissait le poisson en 1994, mais le résultat était le
suivant : un marché stagnant et des pêcheurs qui
travaillaient extrêmement durement, au péril de leur vie, et qui
n'arrivaient pas à commercialiser leurs produits. Que s'est-il
passé entre 1994 et 2001 ? Les méthodes et les moyens mis en
oeuvre pour améliorer la commercialisation des produits, garantir la
qualité et assurer la traçabilité ont été
modifiés. On a intégré, dans les moyens de mise en
marché de ces produits, les nouvelles technologies.
Je peux vous dire qu'aujourd'hui, nous assurons un tout petit peu moins de
50 % des transactions de la pêche fraîche française, ce
qui fait quand même beaucoup. Savez-vous sur quoi cela se fait ?
Intégralement sur des systèmes électroniques.
Cela veut dire qu'il est temps, vu de notre côté, d'associer le
savoir-faire incontestable de 99,4 % des producteurs (et je
répète qu'il faut arrêter de les insulter) et de leur
donner les moyens de réaliser ce qui va leur permettre de sortir de la
crise dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui et à laquelle on a
encore ajouté une nouvelle couche de difficultés avec cette
véritable maladie qui est apparue et qui arrive à un très
mauvais moment.
Voilà le schéma général, monsieur le
Président. Bien entendu, je suis prêt à répondre
à l'ensemble de vos questions.
M. le Président -
Merci. Je vais passer la parole à notre
rapporteur pour qu'il puisse vous poser les premières questions.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Président, si je regarde
le petit document de synthèse que vous nous avez livré, je vois
que la traçabilité a pour but de rassurer le consommateur qui,
dans son supermarché, veut avoir davantage d'informations sur la
barquette ou le produit qu'il est en train d'acheter. Comment se déroule
ensuite tout le processus informatif ? On connaît le langage des
codes barres, mais ce n'est pas un langage qui parle directement au
consommateur. Par conséquent, à partir de votre structure,
comment le consommateur peut-il avoir ensuite toutes les informations
concernant les pièces de l'animal, son vécu chez
l'éleveur, etc. ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- C'est une remarquable question, comme on le
dit à la télévision. Je vous remercie de me la poser parce
qu'elle me donne la possibilité d'expliquer comment un éleveur
(vous savez que nous en avons 230 000 ou 240 000 en France) peut transmettre
toutes les informations qui sont nécessaires à l'aval pour
valoriser le produit, sécuriser l'ensemble des personnes et garantir la
qualité des produits.
Au-delà de la traçabilité stricto sensu, qui est
obligatoire et qui consiste à dire où était le produit
à tel moment et où il est passé, j'ai insisté tout
à l'heure sur tout le côté qualitatif qu'il faut ajouter et
qui, en fait, se retrouve dans les cahiers d'élevage de chacun des
éleveurs dans lesquels il dit ce qu'il fait.
Il importe de donner une façon simple à l'éleveur de
transmettre ses informations. J'ai parlé des nouvelles technologies et,
évidemment, on parle tout de suite d'Internet, mais tous les
éleveurs français ne disposent pas d'Internet. Pour une
entreprise comme la mienne, notre réponse a été
extrêmement simple, mais nous ne sommes pas les seuls à faire de
la traçabilité dans le monde, fort heureusement : elle se
retrouve dans ce petit appareil.
(M. Mennillo montre un téléphone portable.)
Il suffit de donner la possibilité à chacun des éleveurs
de nous appeler sur un numéro, après avoir été
abonné à notre base de données, et de nous transmettre des
informations. C'est extrêmement simple, cela prend quelques dizaines de
secondes chaque jour ou toutes les semaines et cela nous permet de saisir pour
leur compte un certain nombre d'informations qualitatives qui vont venir
ajouter des éléments sécurisants à l'ensemble du
produit.
C'est un exemple parmi beaucoup d'autres. Il y a également le fax et,
évidemment, l'Internet.
M. Paul Blanc
- Le problème, c'est que, dans
l'arrière-pays, il y a des endroits où ni Itinéris, ni SFR
ne passent, mais fermons la parenthèse... (Rires.)
M. Jean-Jacques Mennillo
- Monsieur le Sénateur, intervenez pour
qu'il n'en soit plus ainsi.
M. Paul Blanc
- Je suis fatigué d'intervenir...
M. le Rapporteur
- En quelque sorte, votre société
gère une banque de données qui est nourrie par les informations
que vous livrent les éleveurs.
M. Jean-Jacques Mennillo
- Exactement.
M. le Rapporteur
- Il faut donc qu'il y ait une interrogation de la part
du consommateur qui vient d'acheter son produit dans un supermarché.
M. Jean-Jacques Mennillo
- C'est vrai, mais cela ne se passe pas
exactement de cette façon. Lorsqu'un lot est proposé à un
organisme de distribution, que ce soit la grande distribution ou autre chose,
il est évident que beaucoup d'offres se font électroniquement
aujourd'hui et que les avant-derniers vendeurs font leurs offres aux acheteurs
de la distribution par des moyens électroniques. A ce moment-là,
nous associons aux lots l'ensemble des fiches de traçabilité pour
que l'acheteur puisse disposer de ces informations en ligne.
M. le Rapporteur
- J'ai bien compris l'ensemble du système mais
ce qui me manque, c'est le dernier chaînon, si je puis dire.
M. Jean-Jacques Mennillo
- J'y arrive si vous me le permettez. Cela
donne la possibilité à l'acheteur qui a choisi un lot (parce
qu'il ne choisit évidemment pas la totalité des lots qui lui sont
proposés) de faire selon les moyens qu'il a jugé utiles. Parmi
ces moyens, il peut fort bien imprimer tout ou partie des informations, sachant
que toutes les informations ne sont pas bonnes à donner au consommateur
final.
Je crois savoir qu'il y a des médecins, des vétérinaires
ou des pharmaciens parmi vous. Vous pouvez imaginer ce que peut penser une
ménagère à qui on dit que, dans telle entrecôte, il
y a 800 000 germes au gramme en flore totale mésophile à
30 degrés. Elle va partir en courant alors que c'est une norme
parfaite. La ménagère ne sait pas que, sur le bout de sa langue
ou de la mienne à l'heure actuelle, nous flirtons avec les 2,5 millions
ou les 3 millions de germes au gramme et que cela n'empêche personne de
se porter très bien.
On ne va donc pas dire cela à la ménagère. On va lui dire
que c'est un produit conforme aux normes, aux règles, aux cahiers des
charges ou à un cahier des charges de label, par exemple. A partir du
moment où la centrale d'achats a eu le choix entre les lots, a pu
obtenir la traçabilité on line et a choisi un produit de
qualité en toute conscience, elle dispose des moyens de transmettre ces
informations jusqu'au point de vente final.
Je vous donne un exemple. Nous sommes en train de travailler à l'heure
actuelle sur la mise en place de bornes interactives de saisie pour permettre
aux charmantes mamans de nos bambins de savoir ce que leurs enfants vont manger
à l'école et, dans les semaines qui viennent, on pourra savoir
d'où vient la vache qui a donné le steak que l'on va donner
à ces bambins. C'est une information importante qui permet de
sécuriser l'ensemble et d'être conforme aux normes et aux
règles qui sont imposées sur la traçabilité en
ajoutant des informations de nature commerciale.
Je vous choque peut-être en disant que je fais non pas un amalgame mais
un parallèle entre l'efficacité commerciale et la gestion de la
traçabilité à laquelle on ajoute des
éléments qualitatifs. Sans les deux, on ne sortira pas de la
crise la tête haute parce qu'il faut que les ventes reprennent. Donc il
faut bien transmettre les deux informations.
Vous voyez que, sur le schéma que je vous ai remis, j'ai fait une
distinction très précise entre les informations obligatoires qui
sont l'apanage des organismes de contrôle de l'Etat habilités
à faire ces contrôles et les éléments commerciaux
qui relèvent d'un autre monde, le monde du commerce et du business, qui,
in fine, est celui qui valorise le travail rigoureux et difficile que le
producteur a réalisé dans son exploitation.
M. le Rapporteur
- Dans un domaine à peu près voisin, en
ce qui concerne par exemple la traçabilité
génétique, l'analyse de l'ADN est-elle, pour vous, une chose qui
doit se développer et qui a un avenir compte tenu de son prix ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- A titre personnel, ma réponse est oui,
mais, en tant que chef d'entreprise, je n'ai pas à porter de jugement.
En tout cas, je peux vous dire que nous avons pris des dispositions pour
recevoir des informations provenant de laboratoires agréés et
pour les stocker en parallèle sur la base de données.
Nous l'avons prévu et nous sommes en train de le mettre en place. Nous
avons un partenaire mondial pour ces opérations, dont je ne dirai pas le
nom mais qui est l'un des plus grands au monde en matière de bases de
données et nous développons avec lui le stockage de ces
informations sur notre base de traçabilité. C'est un
élément qui doit nous permettre de suivre de façon
extrêmement précise et sans aucun doute le produit d'un bout
à l'autre.
Cela étant dit, monsieur le Sénateur, vous me permettrez de
revenir sur un élément sur lequel je n'ai pas insisté. Il
faut savoir ce que coûte, pour un éleveur, le fait de gérer
sa traçabilité. Comme cela vous intéresse sans doute, je
vais vous donner ces éléments de coût. Entre les
abonnements au serveur et les coups de téléphone qu'il a à
donner, le coût est d'un peu moins de 300 F par mois. Pour un certain
nombre de personnes, cela peut apparaître comme très bon
marché. Pour un éleveur, je vous assure que ce n'est pas
neutre : cela fait environ 3 600 F par an. Je pense donc qu'à ce
sujet -mais c'est vous qui êtes juges-, il conviendrait d'instaurer une
aide aux éleveurs pour ce genre d'opération, non pas une aide
directe ou financière mais plutôt un avoir fiscal ou une chose de
ce genre.
Ne vous méprenez pas. Mon groupe a été construit sur fonds
privés, sans subventions. Nous ne réclamons aucune subvention.
Nous disons simplement que, pour que ces services soient accessibles au plus
grand nombre, que ce soient les nôtres ou les services d'autres
entreprises (encore une fois, nous ne sommes pas les seuls, même si nous
sommes les premiers et les plus gros en Europe), il conviendrait qu'une aide
appropriée soit mise en place pour aider cette chose-là.
C'est l'une des conditions sine qua non de l'efficacité de la
sécurisation du marché et d'une véritable reprise de la
commercialisation, qui sont deux éléments essentiels sans
lesquels on va constater la crise sans savoir comment en sortir tant que la
psychose n'est pas terminée.
J'ajoute que nous avons des discussions extrêmement précises,
aujourd'hui, avec des compagnies d'assurance, parce que nous disons que la
traçabilité pourrait fort bien être gérée
comme une assurance. Il faut réfléchir à ce sujet.
M. le Président -
Permettez-moi de vous reposer une question.
Votre entreprise met donc à disposition, moyennant un abonnement, une
banque de données dans laquelle sont rentrées toutes les
caractéristiques de l'animal, mais cela s'arrête-t-il
là ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- Pas du tout. Si cela s'arrêtait
là, nous ne serions pas distincts des stockages d'informations que font
à juste titre les organismes officiels. La vocation de ce stockage est,
bien entendu, de déboucher sur quelque chose.
M. le Président -
D'accord. Ensuite, vous faites donc la
commercialisation ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- C'est très complet, mais je ne vais
pas entrer dans les détails. Dans l'ensemble du système, vous
avez des animaux qui vont être mis en vente dans des marchés
physiques, par exemple des marchés comme Guerlesquin, où on va
vendre l'animal aux enchères à des acheteurs qui sont autour.
Nous gérons ce marché, c'est-à-dire que nous avons des
systèmes, à l'intérieur du marché, qui permettent
à l'exploitant du marché d'utiliser des moyens
électroniques. On ne se tire plus l'oreille ou on n'aboie plus
très fort pour dire que l'on est acheteur d'un animal ; on appuie
sur un bouton et notre base de données est derrière ce bouton,
c'est-à-dire qu'elle est capable de dire que tel animal de M. Mennillo
qui vient d'arriver en vente dans le marché vient d'être
racheté par M. X à un prix qui existe, qui est connu et qui
permet de sortir les statistiques commerciales du marché en temps
réel, sur écran. Aujourd'hui, sur Internet, si vous vous
connectez sur notre système, vous avez les cours en temps réel.
M. Paul Blanc
- C'est la criée, en fait.
M. Jean-Jacques Mennillo
- Exactement. Un animal, par exemple, va passer
quelques semaines ou quelques mois dans un élevage quelconque, ce qui
est très bien : on sait où il est allé, après
quoi il va réapparaître sur le marché parce qu'il va
être engraissé, et, au bout de quelques mois, l'éleveur qui
sera détenteur de l'animal va dire qu'il est temps de le vendre. On en
arrive alors dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui :
comme il n'y a plus de marché, il n'arrive pas à écouler
son animal et comme on est en hiver, il faut qu'il achète des aliments.
On retrouve tout ce que l'on connaît aujourd'hui et ce que la presse a
longuement retracé.
J'énonce une nuance extrêmement importante qu'il faut bien
comprendre. Dans tout ce qui est distribution et exportation, vous avez
aujourd'hui l'apparition de cahiers des charges du fait même des
difficultés. Cela veut dire que tout acheteur qui va proposer un produit
a un cahier des charges de plus en plus exigeant et contraignant.
Je vais schématiser cela de façon très simple. On ne vous
dit plus : "je veux 200 tonnes de viande pour alimenter mes
restaurants" ; on vous dit : "je veux 200 tonnes de viande selon le
cahier des charges n° X".
Il y a trente-quatre ans que je suis dans le métier, monsieur le
Président. Quand j'ai commencé, les cahiers des charges que nous
recevions représentaient deux pages alors qu'aujourd'hui, on
reçoit des cahiers des charges de quatre kilos dans lesquels on va tout
vous définir : la longueur et la largeur minimum ou maximum de
l'entrecôte, comme si la nature faisait tout au moule, le taux
d'aponévrose, le taux de graisse, la longueur des fibres, la couleur de
la viande (en fait, on ne vous parle pas de la "couleur de la viande" mais de
sa couleur selon tel colorimètre et tel numéro), etc. Cela veut
dire que c'est de plus en plus contraignant.
Mettez-vous à la place d'un acheteur --les puristes vont me pardonner de
schématiser-- ou d'un exploitant qui va, dans un abattoir, acheter ces
200 tonnes de viande. Autrefois, il disait : "je veux 200 tonnes de
viande", tous les négociants du coin allaient dans les marchés et
dans les fermes trouver les 800 vaches qui faisaient les 200 tonnes de viande
finie et c'était terminé ! Aujourd'hui, avec les cahiers des
charges et les contraintes, l'acheteur ne demande plus 800 vaches ; il
dit : "il me faut 800 Holstein de quatre ans". Comment pouvez-vous les
trouver si vous n'avez pas une base de données ? Il vous faut une
base de données. C'est notre travail.
M. le Rapporteur
- Votre société existe depuis quelle
année ? Depuis 1984 ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- J'ai commencé avec une entreprise de
conseil en 1984, nous sommes passés aux "nouvelles technologies" (ce qui
était à l'époque les nouvelles technologies) en mars 1989,
ce qui ne date pas d'hier matin, et nous sommes passés sur les bovins il
y a deux ans en faisant une joint venture avec la SICAMOB, que je citais tout
à l'heure et qui est l'une des plus grandes structures françaises
de commercialisation.
Nous venons par exemple de reprendre la majorité des quatre plus grands
marchés de bestiaux en Hollande mais nous sommes également
implantés en Allemagne, où nous avons importé des
systèmes pour la gestion des marchés.
M. le Rapporteur
- Combien avez-vous de personnes dans votre
société ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- J'ai 160 ingénieurs aujourd'hui et
l'équivalent d'une capitalisation boursière de l'ordre de 450
millions de francs.
M. le Rapporteur
- Où sont-ils basés ?
M. Jean-Jacques Mennillo
- Ils sont répartis entre la France,
l'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre, la Hollande, la Finlande, l'Islande (nous
détenons l'équipement de la totalité des 31 criées
au poisson d'Islande), le Maroc, la Tunisie et, au travers de la Tunisie,
l'Algérie et la Libye.
Nous sommes en train de nous installer en Pologne, parce que nous avons
commencé des accords commerciaux pour la traçabilité des
produits polonais et leur commercialisation, et nous y serons installés
physiquement d'ici deux mois. Nous serons également en Grèce
avant les vacances.
C'est une entreprise totalement privée qui se développe. Nous
avons fait le contraire de ce que l'on voit dans les "dot.com" ou les nouvelles
technologies : nous sommes partis de quelque chose de très
concret : le sol, la discussion avec les agriculteurs et les producteurs
et la connaissance de leur métier. Sur les 160 ingénieurs qui
sont chez moi, 130 sont des spécialistes de l'agroalimentaire, de
l'aquaculture, du poisson et de l'halieutique, et il n'y a que quelques
ingénieurs informaticiens, c'est-à-dire que ce n'est pas la
cohorte de masse. Pour nous, l'informatique, c'est de la plomberie. Ce qui est
important, c'est d'être capable de discuter avec l'éleveur et de
connaître son problème pour lui ciseler un produit qui va lui
permettre d'être performant.
Je vous livrerai une dernière anecdote, si vous me le permettez. Il y a
trois semaines, l'un de mes amis, au fin fond de la France profonde, m'a dit un
jeudi soir : "à 20 h 30, je réunis quelques-uns de mes
éleveurs qui ont besoin de discuter parce qu'ils ont vraiment de
très gros problèmes". Le matin même, il me
téléphone en disant : "je suis navré, mais je n'en
aurai que quatorze". Je lui ai répondu que j'avais promis de venir et
que je viendrais. C'était un jeudi et il y avait un quelconque "Navarro"
à la télévision. Nous pensions que nous n'aurions personne.
Je peux vous dire, messieurs, qu'il y avait 137 personnes dans la salle et
qu'à minuit moins le quart, ces éleveurs étaient encore en
train de nous poser des questions pour savoir comment ils allaient pouvoir s'en
sortir et si, en faisait ceci ou cela, ils seraient performants sur le
marché.
Il faut avoir vécu cela pour voir l'état et la situation dans
lesquels ils sont. Il y a tout ce qui peut être fait du point de vue
administratif pour contrôler les choses, mais je répète une
troisième fois avec force --vous me pardonnerez--qu'il faut
arrêter de mettre un gendarme derrière eux. Ils n'en ont pas
besoin. Ce sont des gens qui travaillent de façon dure et raisonnable
pour faire un produit de qualité et qui sont prêts à se
suicider quand on leur démolit leur troupeau. Il faut le savoir.
Ajoutons à la performance de ces gens des outils d'aujourd'hui. Ce n'est
pas de leur faute si on élève les vaches de la même
façon depuis des centaines d'années et ce n'est pas leur faute si
le marché qui est chargé de vendre leurs produits a changé
d'outils. On est en train de confronter des gens qui sont en trottinette
à des gens qui sont en BMW de l'autre côté. Il faut
harmoniser les moyens.
Nous essayons d'y parvenir en connaissant finement le travail de ces
producteurs et en leur donnant des outils d'une façon aussi transparente
que possible. Qu'ils prennent le téléphone s'ils ne savent pas
travailler sur un écran. Il s'agit d'adapter leurs moyens aux exigences
de ceux qui sont chargés de mettre en vente leurs produits. Voilà
le vrai challenge. Nous attendons donc une collaboration étroite sur ce
plan.
Sur mon schéma, j'ai mis une ligne en pointillés entre les deux
bases de données avec un point d'interrogation. Ma base de
données, en Hollande, est connectée avec la base de
données officielle de la Hollande. Nous l'avons obtenu du gouvernement
hollandais sans aucun problème. Notre base de données, en
Allemagne, est connectée avec la base officielle allemande. Même
en Pologne, sans être encore une société polonaise, nous
avons obtenu la même chose. Je ne dirai pas que nous avons des
difficultés en France, mais nous attendons toujours la
possibilité d'obtenir des informations sur une base de données
officielle. C'est un élément de fond.
M. le Président -
Très bien, nous vous remercions de cette
intervention et nous réfléchirons sur ce sujet