Audition de Mme Marie-José NICOLI, Présidente de l'UFC-Que
Choisir ?
(14 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président -
Merci d'avoir
répondu à notre invitation. Je rappelle que vous êtes
Présidente de l'Union Française des Consommateurs - Que Choisir
et que vous êtes entendue dans le cadre d'une commission d'enquête
du Sénat sur les farines animales et sur les conséquences que
cela a entraîné avec la propagation de l'ESB.
Comme dans toute commission d'enquête, vous devez témoigner sous
serment. Je vais vous lire la note officielle et je vous demanderai ensuite de
prêter serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme
Nicoli.
M. le Président -
Nous vous demandons de donner votre opinion sur
ce problème et nous vous poserons ensuite des questions.
Mme Marie-José Nicoli
- Mon intervention sera partagée en
deux. Dans la première partie je ferai ressortir tous les manquements et
le manque de rigueur d'un certain nombre d'Etats, notamment l'Angleterre, la
France et l'Union Européenne, à travers des exemples que je vous
fournirai.
Il est important de revenir en arrière sur ce point qui doit nous servir
de leçon pour les prochaines années. Il est possible d'être
plus fermes qu'il y a 15 ans en raison du recul et des connaissances nouvelles.
Cela signifie toutefois qu'il a existé beaucoup de laxisme dans des
décisions qui ont été prises tardivement, etc.
Aujourd'hui, le dossier des farines animales cristallise la peur alimentaire
des consommateurs, parfois à tort d'ailleurs pour une partie des farines
animales françaises qui auraient encore pu être données aux
porcs et aux volailles si les problèmes de contaminations
croisées n'existaient pas.
L'Angleterre connaît des problèmes d'alimentation des bovins avec
des farines animales depuis septembre 1979. A cette époque, un rapport
très officiel, le rapport Zukerman indiquait qu'il existerait des
problèmes pour l'homme avec la propagation d'agents infectieux provenant
de cette alimentation. Je pourrai vous transmettre ce rapport.
Le Gouvernement anglais était informé mais il n'a pas
réagi.
En 1981/1982 les procédés technologiques (que je ne vous
rappellerai pas) ont été modifiés par les fabricants de
farines animales anglaises. Il faut le répéter : baisse du
chauffage et suppression de solvants ; de ce fait, le prion n'était
pas supprimé des farines.
Le Royaume-Uni a quand même été informé, en juin
1987, de l'existence de la maladie de l'ESB et n'a pris les premières
mesures qu'en juillet 1988.
A cette date, l'interdiction de nourrir les bovins avec des protéines
provenant de ruminants a été rendue obligatoire mais elle n'a pas
été complétée d'une interdiction d'exportation.
Cela signifie que l'Angleterre, qui considérait que ses produits
étaient dangereux pour les ruminants, les a vendus en grande
quantité à partir de cette période. Tout le monde
connaît tous les chiffres des exportations de farines animales anglaises.
Par exemple, pour la France, les importations ont été
doublées en 1989 par rapport à 1988 ; les prix étant
très bas, c'était très intéressant pour les
fabricants d'aliments.
En 1989, la France a importé 16 000 tonnes de farines provenant du
Royaume-Uni.
En Grande-Bretagne, l'interdiction de consommation humaine d'abats date de
1989. Or, jusqu'en 1992 l'importation d'abats a été très
importante et elle a même été multipliée par 15 en
France. Les Anglais précisent que ces abats ne contenaient pas
forcément des cervelles contaminantes et qu'il s'agissait d'autres
abats. Toutefois, nous ne pouvons que constater la montée en puissance
des importations.
Le Royaume-Uni n'a réellement déclaré l'existence d'un
danger en contamination humaine qu'en mars 1996, ce qui est très tard
par rapport à tout ce qui a été fait durant les
années précédentes.
Tout le monde sait aujourd'hui que le développement de
l'épizootie au niveau européen, voire international, est dû
à la responsabilité des fabricants de farines animales anglaises,
mais ils n'ont jamais été sanctionnés. C'est un point que
nous considérons inadmissible et nous avons déposé une
plainte auprès de la Commission européenne en juillet 1999 pour
l'ensemble des consommateurs français et européens.
Les produits alimentaires sont industrialisés et en 48 heures partent
d'un endroit pour aller à l'autre bout de l'Europe. Il n'est donc pas
possible de ne pas protéger juridiquement les consommateurs sur les
problèmes de certains aliments fabriqués dans tel État
membre et provoquant des problèmes sur les consommateurs d'un autre
État membre.
Nous sommes les seuls à avoir déposé une plainte il y a
plus d'un an, en juillet 1999, auprès de la Commission
européenne. Elle a essayé de la classer l'année
dernière, durant une période plus calme, mais nous l'avons
réactivée.
La Commission européenne est très ennuyée car, depuis, le
rapport de Lord Phillips confirme tous les manquements soulignés dans
notre plainte au niveau communautaire.
Nous ne savons pas ce que deviendra cette plainte, mais pour l'instant la
Commission européenne fait profil bas. La classer signifierait qu'elle
« passe l'éponge » sur tout ce qui a été fait au
Royaume-Uni ; poursuivre l'action devant la Cour européenne
tendrait à reconnaître, d'une certaine manière, sa propre
responsabilité durant la période en question.
Tout ceci permet de relever un certain nombre de manquements au Royaume-Uni.
En France, des mesures ont été prises. La suppression des farines
animales chez les bovins en 1990 est une bonne mesure. La deuxième
mesure positive est celle du retrait des cadavres et des matériaux
à risques en juillet 1996 ; c'est même la mesure la plus
importante. Au début de l'année 1998, la France s'est mise aux
normes pour le chauffage des farines animales.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Seulement en 1998 ?
Mme Marie-José Nicoli
- La Commission européenne a
procédé à plusieurs avertissements et il a
été nécessaire qu'elle menace la France d'une
procédure pour que ce soit mis en oeuvre début 1988. J'ai
d'ailleurs assisté à une réunion à la DGAL sur ce
sujet.
M. le Président -
Il s'agissait des équarrisseurs.
Mme Marie-José Nicoli
- Oui, mais les fabricants d'aliments
étaient également présents.
M. le Rapporteur
- Cette précision est importante. Les fabricants
étaient d'accord mais les équarrisseurs ne mettaient pas en
oeuvre le procédé.
Mme Marie-José Nicoli
- Pour les équarrisseurs, si les
matériaux à risques étaient supprimés, ils
chauffaient mais pas dans les conditions demandées par la directive
européenne. Suivant l'avis d'un certain nombre de scientifiques
(notamment anglais) précisant que même à 133°,
à 3 bars et pendant 20 minutes le prion ne disparaissait pas
obligatoirement, les équarrisseurs considéraient que leur
chauffage suffisait puisque les matériaux à risques
étaient supprimés.
C'est la raison de ce refus et cette demande précise de la Commission
européenne a été nécessaire début 1998. On
peut estimer que la conformité n'a pas eu lieu avant la mi-1998.
Par ailleurs, il faut préciser certaines dispositions prises par la
France qui, avec le recul, nous semblent assez légères.
Début 1989, la France a importé massivement des farines
britanniques. Un avis aux importateurs, le 13 août 1989, paru au Journal
Officiel et confirmé par une note en décembre 1989,
précise l'exclusion pour les bovins de tout produit composé de
farines animales britanniques. En 1989, on pouvait continuer à donner
des farines animales françaises aux bovins mais plus de farines
britanniques.
Il s'agissait seulement d'un avis aux importateurs et non pas d'un
décret ou d'un arrêté. Je tiens ces documents à
votre disposition. Ils sont le reflet d'une enquête et le travail d'un an
d'investigations pour un journaliste. Je dois vous donner ces informations qui
ne seront publiées que dans quelques jours.
En outre, il existait une possibilité de dérogation, pour les
fabricants d'aliments, d'importer ces farines anglaises. Il leur suffisait
d'établir une déclaration sur l'honneur pour obtenir une
dérogation des Services Vétérinaires. Ce type de
déclaration ne signifie pas grand-chose.
Depuis 1989, il était interdit de donner ces farines aux bovins mais
elles pouvaient être importées et utilisées pour les porcs
et les volailles. Aucun décret, aucun arrêté, aucune
circulaire n'a été publié par les autorités
françaises pour interdire définitivement les importations de
farines britanniques. Il s'agit seulement d'un message sur minitel du
ministère de l'Agriculture aux Services Vétérinaires,
daté du 5 février 1990 et référencé SVSPA97,
pour mettre fin au système de dérogation pour les porcs et les
volailles. Je dispose de ce document et je pourrai vous le remettre.
A partir de 1990, il a été interdit de donner toutes farines aux
bovins mais début 1990 d'énormes quantités de farines
animales (provenant du Danemark, d'Irlande, de Belgique) destinées aux
porcs et aux volailles ont été importées en France. En
effet, jusqu'en 2000 en France les porcs et les volailles pouvaient consommer
des farines animales. On peut se demander si ces farines importées ne
sont pas des farines anglaises recyclées ayant transité par ces
pays.
M. le Rapporteur
- Vous dites : « On peut se demander ».
Vous avez des suspicions mais pas de confirmations ou de preuves.
Mme Marie-José Nicoli
- On peut faire un rapprochement entre, par
exemple, les quantités de farines animales que la Belgique pouvait
produire. Pour chaque État membre, on sait à peu près
quelles quantités de farines animales peuvent être produites
à partir de son cheptel. Dans ce cas précis, on constate que la
Belgique, l'Irlande et le Danemark importaient et exportaient. Il existe donc
des suspicions et il serait sans doute possible de recouper des chiffres.
M. le Rapporteur
- Votre association l'a-t-elle fait ?
Mme Marie-José Nicoli
- Je crois que notre journaliste l'a fait
et cela paraîtra dans le prochain Que Choisir.
Les farines animales ont été supprimées en France et en
Europe quelques mois après, à savoir depuis le 1er janvier 2001.
Des Etats membres avaient l'interdiction d'utiliser les farines. Or, depuis
1996, date à laquelle nous avons pris cette décision, d'autres
Etats membres continuaient à donner des farines carnées aux porcs
et aux volailles alors que les matériaux à risques
n'étaient pas retirés ; ils n'ont été
supprimés qu'en octobre 2000.
En France, il a pu exister des contaminations croisées avec des farines
importées, par exemple avec des aliments contenant des farines venant
d'Allemagne, puisque l'Allemagne a attendu octobre 2000 pour supprimer les
matériaux à risques.
Pour l'instant, les cas d'ESB ne dépassent pas l'année 1996. On
peut penser que les contaminations croisées peuvent provenir de farines
françaises, mais j'ai quelques doutes sur ce point car elles
étaient propres depuis 1996.
La décision de juillet 1996 de supprimer les matériaux à
risques n'a vraiment été mise en application qu'à la fin
de l'année. On peut considérer que l'on pourra se poser de
réelles questions pour les animaux nés en 1997 et 1998. Pour
l'instant, il n'y en a pas ; je pense qu'à la fin du second
semestre 2001 nous devrions constater une diminution des cas d'ESB grâce
aux différentes mesures qui ont été prises.
Au niveau communautaire, je ne reviendrai pas sur le sujet. Concernant les
farines telles qu'elles sont aujourd'hui, que pouvons-nous en faire ?
Pour leur destruction, nous pensons qu'il existe des propositions pour en
incinérer une partie mais aussi pour fabriquer des produits inertes. Il
faut développer cette recherche car l'incinération en France nous
obligerait à multiplier par trois nos systèmes
d'incinération. Ce serait assez long en raison des demandes et des
procédures, au niveau de l'environnement, qui nécessiteront des
mois ou des années.
Nous pensons qu'il peut exister des débouchés sur des
matériaux dont il a été question dans la presse. Des
produits nous ont été présentés et si des
scientifiques peuvent nous donner leur avis pour que ces matériaux
puissent être utilisés, cela diminuera les quantités
à incinérer. Par ailleurs, cela permettrait d'avoir moins de
pollution et de valoriser ces farines.
S'agissant de ces farines qui ne servent plus du tout à l'alimentation
(je pense que ce sera définitif) actuellement on chauffe celles qui sont
les moins contaminantes et on ne chauffe pas celles qui sont les plus
contaminées. C'est un paradoxe et c'est assez étonnant. Je ne
sais pas s'il est normal que l'on ne chauffe pas toutes les farines, tant
celles à hauts risques que celles à bas risques.
M. le Rapporteur
- Qu'appelez-vous les farines à bas ou hauts
risques ? Il me semble que les MRS sont retirés.
Mme Marie-José Nicoli
- Les farines à bas risques sont
celles qui étaient données aux porcs et aux volailles il y a
encore quelques mois. Il s'agissait de farines composées de carcasses
d'animaux dont nous mangeons la viande, où l'on avait retiré les
matériaux à risques. Cette farine continue à être
chauffée. Les farines à hauts risques, composées de tous
les matériaux à risques (saisies d'abattoirs, cadavres, etc.) ne
sont pas chauffées.
M. le Rapporteur
- Cela va directement à l'incinération.
Mme Marie-José Nicoli
- Il existe un travail de manipulation, de
transport, etc.
On pouvait comprendre, il y a quelques mois, que les farines à bas
risques soient chauffées puisqu'elles allaient à l'alimentation
alors que l'on ne se préoccupait pas trop du reste. Actuellement, c'est
un paradoxe puisque toutes ces farines ne doivent normalement plus aller
à l'alimentation.
Il existe un problème dans la gestion de ces farines et dans leur
dénomination : s'agit-il de déchets, jusqu'à quand
sont-elles considérées comme déchets, à partir de
quand deviennent-elles des matériaux pouvant être
valorisés ?
C'est important car la démarche n'est pas la même pour les
citoyens et pour les associations de consommateurs ou de l'environnement. Les
déchets peuvent être surveillés jusqu'à la fin. Pour
ce qui n'est pas considéré comme déchets, comme cela se
passe actuellement dans les départements, des CLI (Comités Locaux
d'Information, et non pas de surveillance,) sont mis en place. S'il s'agissait
de déchets, ce seraient des CLIS, Comité Locaux d'Information et
de Surveillance. Ce n'est pas exactement la même chose et il me semble
que cette question devrait être réglée assez rapidement
pour que nous sachions exactement à quoi nous en tenir.
Je précise que j'ai eu le courage d'indiquer que toutes les mesures
prises ces derniers mois (les moratoires, les interdictions, les changements de
réglementation, etc.) ne changeront rien à l'évolution de
l'épidémie pour les bovins, notamment en France. Si elle doit
s'éteindre dans le deuxième semestre et aller en diminuant, ce ne
sera pas grâce aux dernières mesures prises mais plutôt
grâce à celles prises avant, à savoir en 1996, etc.
Par ailleurs, cela ne changera rien pour les êtres humains car les cas de
maladie de Creutzfeldt-Jakob sont en incubation pour un certain nombre de
personnes. Cette maladie a été contractée il y a 10 ou 15
ans et non pas ces derniers mois. J'espère que nous n'aurons pas
beaucoup de cas mais actuellement plus de 90 cas ont été
recensés : 88 ou 89 en Grande-Bretagne, 3 en France, 1 en Irlande.
Il est à espérer que nous n'irons pas très loin dans ces
chiffres, du moins pour les humains.
Aujourd'hui, nous payons, et nous payerons encore, le manque de
décisions prises entre 1986 et 1996. Il est important de le dire.
En tant qu'UFC, nous avons déposé une plainte et nous sommes
partie civile dans environ 12 affaires concernant les farines animales. Au
niveau communautaire, fin juin 1996 nous avons déposé une plainte
auprès du juge Boizette, avec d'autres organismes, pour essayer d'avoir
une bonne information sur les farines.
Depuis, nous sommes partie civile dans un certain nombre de procédures.
La dernière est celle déclenchée par les familles dont un
membre ou un proche a été victime de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob. Nous agissons comme nous l'avons fait pour les
problèmes rencontrés avec l'hormone de croissance il y a quelques
années.
Je précise que j'étais chez le juge Boizette il y a environ un
mois et demi ; l'affaire n'avait pas beaucoup évolué. Mme
Boizette nous a indiqué qu'elle avait eu d'autres occupations pour la
mise en place du pôle financier et que le reste était moins
important ; du moins, elle n'avait pas pu faire progresser ce dossier.
M. le Rapporteur
- Cela signifie-t-il que les moyens actuellement mis en
place par le Gouvernement pour la justice sont insuffisants dans ce domaine,
comme dans d'autres ?
Mme Marie-José Nicoli
- Oui, mais ce n'est pas nouveau. Cela se
démontre facilement, mais Mme Boizette le dit également. La
plainte que nous avons déposée, ainsi qu'un certain nombre de
professionnels ou d'autres organismes, l'a été au titre de la
tromperie et de la falsification ; de ce fait, il n'a été
possible que de remonter sur trois ans avant son dépôt, soit de
1993 à 1996. Or, les années importantes sont situées entre
1988 et 1993. Mme Boizette nous a indiqué que si la partie civile
voulait contourner cette prescription il fallait remettre des
éléments nouveaux.
Les autres procédures sont en cours. Concernant celle sur
Creutzfeldt-Jakob, c'est différent car nous nous joignons à la
plainte pour empoisonnement et homicide involontaire ; dans ce cas, il est
possible de remonter aussi loin qu'on le souhaite car il n'existe pas de
problèmes de prescription.
L'affaire des farines animales, notamment en France, montre qu'une
réglementation a été prise en 1996 (matériaux
à risques et cadavres supprimés des farines animales) en
s'appuyant sur des avis de scientifiques. Or, rien n'a bien fonctionné
à cause de partenaires (qui sont plus sur le terrain) tels que les
fabricants de farines animales, les stockeurs ou les transporteurs.
C'est une leçon à retenir car il existait des farines animales
propres (que l'on peut considérer comme propres dès l'instant
où elles avaient bien été nettoyées), mais les
circuits de fabrication et de transport, entre l'alimentation des porcs, des
volailles et des bovins, n'étant pas étanches, et il a
été nécessaire de supprimer ces farines. Les pratiques sur
le terrain n'étaient pas en adéquation avec la
réglementation.
Je crois qu'à l'avenir il faudra, dans la gestion d'un risque, prendre
en compte tous les acteurs d'une filière. Les Pouvoirs Publics ont fait
une réglementation qui leur convenait, les politiques ont
considéré qu'elle était bonne, mais cela n'a pas suivi sur
le terrain en raison d'un manque de contrôleurs. Par ailleurs, il
était impossible de mettre un gendarme derrière chaque acteur de
cette filière pour contrôler ce qu'il faisait.
C'est un point extrêmement important, d'autant plus important que la
gestion du risque relève d'un Gouvernement ou des politiques ; on
ne doit pas simplement se cacher ou indiquer que l'on a bien travaillé
en établissant une réglementation reprenant un avis scientifique.
Il faut prendre en compte tout ce qui se trouve en aval et n'a pas bien
fonctionné. Concernant des décisions au niveau de la gestion du
risque, il faut aussi travailler sur le terrain.
M. le Rapporteur
- Vous affirmez, et nous partageons largement votre
analyse, qu'à partir de 1996 les mesures prises ont
généré une meilleure sécurité et
sûreté alimentaire pour les consommateurs.
Mme Marie-José Nicoli
- Oui. Toutefois, la mesure prise en 1990
concernant la suppression des farines animales chez les bovins est
également importante ; il me semble toutefois qu'elle n'a pas, sur
le terrain, été appliquée complètement car à
cette époque peu de personnes se questionnaient sur la transmission de
cette maladie à l'être humain.
Je vous rappelle qu'en 1991, trois pays ont mis un embargo sur la viande
britannique (l'Italie, la France et l'Allemagne) mais il n'a pas tenu 48
heures. En effet, sous la pression des Anglais et du Commissaire de
l'époque, l'embargo a été levé à condition
que les Anglais mettent en pratique toutes les mesures qui ont
été reprises en 1996 et qui n'ont pas été mises en
application en 1991.
Si l'embargo avait été maintenu, avec des contraintes importantes
telles que celles imposées en 1996, l'épidémie aurait sans
doute été moins importante en Angleterre et il aurait
été possible de limiter les dégâts dans les autres
États membres et au niveau international. En effet, s'agissant des
chiffres de ventilation des exportations de farines animales anglaises, on
constate que beaucoup de pays dans le monde en ont acheté car elles
étaient à très bas prix. Des pays comme la Chine prennent
actuellement des mesures pour essayer de se préserver.
M. le Rapporteur
- Partagez-vous l'inquiétude, au-delà de
la problématique des farines, de Mme Brugère-Picoux concernant
l'importation et la consommation importante d'abats en provenance d'Angleterre
jusqu'en 1996 et avez-vous des commentaires à faire sur ce point ?
Mme Marie-José Nicoli
- Les Anglais ont été
capables d'exporter des farines animales auxquelles ils donnaient le nom de
« poison » chez eux. Je pense que dans les importations d'abats en
France, qui ont été multipliées par 15 dans la
période critique (Mme Brugère-Picoux vous a sans doute remis des
chiffres), on devait trouver des abats contaminants qui ont servi pour des
plats cuisinés, pour les liants de certains steaks hachés qui
n'étaient pas pur boeuf, etc.
M. le Rapporteur
- Nous avons quelques difficultés à
connaître le cheminement de l'ensemble des abats. Votre association,
à partir des tonnages importés en France, peut-elle nous procurer
des informations sur la ventilation et la destination de ces 47 000 tonnes
d'abats entre 1988 et 1996 ?
Mme Marie-José Nicoli
- Non.
M. le Rapporteur
- Où pourrions-nous trouver ces
informations ?
Mme Marie-José Nicoli
- Chez les importateurs qui ont revendu ces
abats ; ils ont été importés et ensuite
ventilés dans des entreprises qui devaient fabriquer des plats
cuisinés, etc. Il s'agit de documents qui peuvent être saisis par
une commission rogatoire faite par un juge.
Ces abats ont été importés et seuls les importateurs
peuvent indiquer comment ils ont été ventilés, du moins si
l'on retrouve les documents à ce sujet. C'est un point très
important car si l'on découvre d'autres cas de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob en France, cela risque de concerner des personnes
relativement jeunes qui auront été contaminées par des
petits pots pour bébés ou des hamburgers, à savoir des
steaks hachés qui ne sont pas pur boeuf.
M. le Rapporteur
- Vous confirmez l'incorporation de petits pots pour
bébés jusqu'en août 1992.
Mme Marie-José Nicoli
- Oui, ensuite une autre
réglementation a pris des dispositions à ce sujet.
A cette époque, pour beaucoup de Français, à quelque
niveau qu'ils soient, les problèmes alimentaires n'étaient pas
une priorité. Nous avons, depuis 1989, donné une information sur
l'ESB et des articles dans Que Choisir, publiés depuis cette date,
faisaient régulièrement état des cas d'ESB en
Grande-Bretagne. Nous avions même une interview de Mme
Brugère-Picoux qui, à l'époque, indiquait qu'il fallait
faire attention et qu'il y aurait des problèmes.
Nous avons même publié (cela figure dans le dossier) la lettre qui
avait été adressée par M. Castille à l'UFC
concernant le fait que la Commission étouffait quelque chose
d'important. La publication de ces extraits, en 1991, n'avait pas
soulevé des « montagnes » et pas un journaliste n'avait
relevé le sujet. Cela n'a été repris qu'en 1996, quand il
a été indiqué que cette maladie pouvait être
transmise à l'être humain.
Auparavant, quand des informations étaient données cela ne
provoquait pas la Une des journaux comme c'est le cas depuis quatre ans en
France.
M. le Rapporteur
- Vous parliez de trois cas reconnus (ou deux cas et un
cas possible de nouvelle variante) de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Avez-vous eu des contacts ou des rapports avec l'Institut de veille sanitaire
ou des épidémiologistes pour imaginer quelle serait la situation
à l'horizon 2020/2040 ?
Mme Marie-José Nicoli
- Non, car les déclarations sont
effectuées avec de telles fourchettes qu'elles ne servent à rien.
Quand on dit qu'il pourrait y avoir entre 30 000 et 150 000 cas, cela
signifie que personne ne sait rien précisément.
Malheureusement, il faut attendre et avoir beaucoup de rigueur et d'attention
dans les hôpitaux, pour que le système
d'épidémio-surveillance fonctionne bien, et faire la
différence entre une maladie de Creutzfeldt-Jakob « normale »
et la nouvelle variante.
M. le Rapporteur
- Le corollaire indispensable de la sûreté
alimentaire s'avère être l'étiquetage et la
traçabilité. On sait quelle était la teneur de l'accord
interprofessionnel conclu en 1997.
La proposition récente de la Commission européenne, que vous avez
dénoncée le 18 juillet dernier, nous laisse penser, suite
à l'entretien que nous avons eu la semaine dernière avec le
Commissaire Fischler, qu'il y a de la part de certains pays, notamment toujours
de l'Angleterre, un lobbying très fort des pays qui ne sont pas
prêts en matière d'identification des bovins (de
traçabilité) à adopter la position française qui
était, à juste titre, maximaliste. Quelles seront vos
actions ?
Mme Marie-José Nicoli
- Nous demandons que les consommateurs
boycottent les viandes bovines qui n'indiqueront pas l'origine, le type racial
et la catégorie.
Actuellement, nous faisons pression auprès de l'interprofession pour
qu'ils reprennent cet accord interprofessionnel.
M. le Rapporteur
- Quelles sont les réponses ?
Mme Marie-José Nicoli
- Les éleveurs sont d'accord mais le
milieu de filière (les industriels et les abatteurs) n'est pas
d'accord ; il estime que la réglementation communautaire est trop
compliquée.
M. le Rapporteur
- Avez-vous des échanges de courriers à
ce sujet ?
Mme Marie-José Nicoli
- J'étais présente à
leur congrès de la Fédération nationale bovine. Il en a
été question longuement en tribune et M. Spanghero et
M. Toulis ont pris l'engagement de signer cet accord interprofessionnel.
Depuis, ils ont certainement changé d'avis.
M. le Rapporteur
- Les éleveurs sont d'accord mais les
professionnels de la première transformation ne le sont pas.
Mme Marie-José Nicoli
- La grande distribution et les bouchers
sont d'accord avec nous pour garder l'information. Toutefois, depuis quelques
semaines la DGCCRF fait des enquêtes dans les magasins et verbalise les
enseignes ou donne des avertissements. Les textes qui sont envoyés
à la grande distribution indiquent que s'il faut choisir, il faut
retenir l'étiquetage européen, qui est obligatoire, alors que
l'étiquetage français ne l'est pas.
La DGCCRF verbalise si le règlement européen n'est pas
appliqué et dissuade la grande distribution et les bouchers de continuer
à mettre l'étiquetage français. Or, celui-ci est fortement
demandé par les consommateurs et touche vraiment le produit.
Je ne vous apprendrai pas quelles informations peuvent apporter ces trois
éléments alors que le numéro d'atelier de découpe
ou d'abattage ne signifie rien pour le consommateur. Il est évident que
cela facilite le travail des Pouvoirs Publics, des relations entre
professionnels, mais le consommateur est complètement oublié de
ce processus.
M. le Rapporteur
- Sans déflorer ce que seront nos
recommandations au travers de ce rapport, cela pourra faire partie, quand nous
travaillerons sur les conclusions, de l'une des recommandations fortes.
Mme Marie-José Nicoli
- Aujourd'hui, les consommateurs sont de
plus en plus informés ; il ne se passe pas un jour sans qu'un
article de presse sur la vache folle soit publié. Les consommateurs ont
donc leur propre idée sur ce dossier. Quand ils se rendent dans un
magasin, une étiquette mentionnant le type racial (laitier ou race
à viande) a une signification pour eux.
De plus, dans les catégories, actuellement le consommateur est en train
de payer le prix des tests et de la taxe d'équarrissage que la grande
distribution a reportés sur le prix du kilo de viande. Nous sommes
à 6 % à 10 % d'augmentation des prix ; on va
diminuer l'information sur l'étiquetage et, de plus, des informations
prennent aujourd'hui du relief.
Par exemple, concernant le jeune bovin, qui est une bête tuée
avant 24 mois, son prix ne doit pas augmenter car le test ne doit pas
être appliqué sur cette viande. Or, certains l'appliquent sur
toutes les viandes.
Il faut également tenir compte de l'origine : actuellement, il est
préférable de manger de la viande française plutôt
que de la viande allemande.
Il y a peu de temps, des éleveurs sont allés dans une
restauration collective. Ils ont trouvé beaucoup de viandes allemande et
espagnole mais peu de viande française. La viande française
était étiquetée mais les autres viandes ne
l'étaient pas.
M. le Rapporteur
- Je me suis permis de vous adresser récemment
un courrier sur ce point car je pense qu'il est fondamental. Si l'on veut
rétablir la confiance du consommateur, cela doit commencer par ce point.
Mme Marie-José Nicoli
- J'en ai récemment parlé
à M. Glavany qui indique que la France a insisté pour une
réglementation communautaire. Maintenant, il n'est pas possible de
revenir sur ce point en indiquant qu'elle ne convient pas et qu'il faut faire
autre chose.
Nous n'aurons pas beaucoup d'aide de ce côté, mais cela peut
changer.
M. le Rapporteur
- Si ce n'est que relever le niveau d'informations au
niveau communautaire.
Mme Marie-José Nicoli
- Il faut changer certains
éléments. Une étiquette n'est pas un « roman »
et il n'est pas possible d'y présenter 50 indications. De ce fait, un
choix doit être fait. Nous avons choisi, car le numéro d'atelier
et le numéro d'abattoir ne nous intéressent pas. Il semble que le
numéro d'identification de l'abattoir permet de connaître tous les
autres numéros. J'estime que c'est de la « cuisine de Pouvoirs
Publics » et cela ne nous apporte rien.
M. le Rapporteur
- Effectivement, ce n'est pas un langage pour le
consommateur.
Etes-vous satisfaite ou quels sont vos commentaires et vos critiques sur le
Livre blanc sur la sûreté alimentaire, la création de la
future autorité alimentaire européenne et également sur la
problématique de l'abattage total ou sélectif des troupeaux lors
de la détection d'un cas d'ESB ?
Mme Marie-José Nicoli
- Le Livre blanc est une très bonne
chose et nous avons insisté pour qu'il existe et soit publié.
L'autorité européenne va à peu près dans le sens
que nous souhaitons en tant qu'association française puisque nous ne
sommes pas tous d'accord sur son fonctionnement.
Nous avons demandé que cette agence fasse la différence entre
l'évaluation des risques et la gestion des risques. Nous ne voulons pas
de représentants de la société civile dans les
comités scientifiques, même en tant qu'observateurs.
Par contre, nous avons trouvé un compromis. En effet, en acceptant en
tant qu'observateurs des représentants d'associations de consommateurs
et des représentants d'associations de l'environnement, il n'y a pas de
raison de ne pas avoir aussi des représentants de l'industrie. C'est
tout à fait normal.
Quand des scientifiques débattent d'un avis devant des personnes venant
de la société civile, j'estime qu'ils ne sont pas libres de faire
ce qu'ils veulent.
Par contre, l'AFSSA a trouvé une solution : les comités
auditionnent les personnes qu'ils souhaitent auditionner. C'est de leur propre
initiative et ils peuvent auditionner des industriels, des associations de
consommateurs, etc.
J'estime que c'est une ouverture possible. M. Byrne en a pris note et a
considéré que c'était une bonne chose.
Concernant l'abattage sélectif ou total, nous sommes toujours pour le
maintien de l'abattage total tant que nous n'aurons pas les résultats et
l'analyse des 48 000 cas dans le programme des tests. Ces résultats
devraient nous donner un certain nombre d'indications sur les troupeaux ayant
des bêtes malades pour savoir s'ils sont plus exposés que
d'autres, etc.
A partir de ce moment et avec le test systématique des animaux de plus
de 30 mois, n'ayant pas une position idéologique, nous
réagirons avec les éléments qui nous seront
communiqués.
Nous attendons toutefois le résultat de ces 48 000 tests car il
n'existe pas encore de données nouvelles. Quand un animal est
testé à 30 mois, cela ne signifie pas qu'il est sain.
En testant un animal à 30 mois on ne prend pas beaucoup de risques pour
trouver l'ESB puisqu'elle se rencontre essentiellement sur les bêtes de 4
ou 5 ans. Pour se rassurer encore plus, autant tester les animaux de 24 mois
car nous n'en trouverons pas du tout, surtout si on continue à tester
les cervelles.
M. le Président -
Faites-vous des enquêtes chez les
industriels de l'agro-alimentaire qui fabriquent des plats
cuisinés ?
Mme Marie-José Nicoli
- Nous n'avons aucun pouvoir pour rentrer
dans une entreprise privée.
La seule chose que nous pouvons faire (nous sommes la seule organisation de
consommateurs à le faire en France ; l'INC pratique des tests mais
c'est un institut d'Etat) consiste à tester les produits présents
sur le marché et indiquer ce que nous y avons trouvé.
Nous ne sommes pas une Administration et nous ne rentrons pas dans les
entreprises. J'ai réalisé beaucoup de visites d'abattoirs et
d'usines d'équarrissage, mais je l'ai toujours fait en demandant
préalablement l'autorisation. J'ai pu entrer parce que le P.D.G. de
l'entreprise était d'accord ou parce que je m'y rendais avec un
inspecteur de la DGCCRF ou de la DSV. Personne ne peut pénétrer
ainsi dans une entreprise ; même des sénateurs ne pourraient
pas le faire.
M. le Président -
S'agissant d'une commission d'enquête,
nous pouvons aller où nous voulons. Il est bien évident que nous
nous annonçons.
Mme Marie-José Nicoli
- Personnellement, je ne peux pas aller
où je veux.
M. le Président -
Concernant le dépistage, selon vous, qui
doit le payer et le financer ?
Mme Marie-José Nicoli
- La décision a été
prise : le consommateur paie. Sur les tests, l'observatoire mis en place
indique que cela ne sera pas plus que 1,50 F par kilogramme de viande.
Personnellement, je pense que cela pourrait être 3 F.
Conjointement, la taxe d'équarrissage est très importante. Est-il
normal qu'un produit de consommation soit taxé pour
l'équarrissage qui est un service public ? Il ne devrait pas
être possible de taxer un produit car cela reviendrait à pouvoir
taxer tous les autres produits de consommation. Ce n'est pas logique.
Cette taxe a été reportée sur la grande distribution qui,
évidemment, nous l'a répercutée, d'ailleurs sur toutes les
viandes, les salaisons et les raviolis. Il ne s'agit pas que de la viande
bovine.
M. le Président -
Cela dilue le coût.
Mme Marie-José Nicoli
- Je trouve anormal qu'il n'y ait pas eu
une répartition tout au long de la filière. On ne parle pas des
fabricants d'aliments qui devraient être concernés.
M. le Président -
Nous vous remercions pour votre présence
et les informations que vous nous remettez.