Audition de M. Jacques DRUCKER,
Directeur général de
l'institut de veille
sanitaire
(21 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- La séance est
ouverte.
Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre M. Jacques Drucker,
directeur général de l'institut de veille sanitaire, que je
remercie d'avoir répondu à notre convocation.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Drucker.
Je vous laisse maintenant la parole afin que vous exposiez à la
commission votre sentiment sur les conséquences sanitaires de
l'utilisation des farines animales, notamment dans l'alimentation du troupeau
ovin.
M. Jacques Drucker
- L'institut de veille sanitaire a pour mission de
coordonner la surveillance de l'état de santé de la population
française. En liaison avec divers partenaires, il est à ce titre
impliqué dans le suivi des conséquences du développement
de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine :
il est notamment chargé de la surveillance de la forme humaine,
c'est-à-dire de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
liée -on a toutes les raisons de le penser- à l'agent de
l'encéphalopathie spongiforme bovine.
C'est donc sous l'angle de vue d'un responsable d'institut
d'épidémiologie que je me propose de présenter mon
exposé introductif. Je commencerai ainsi par décrire la
façon dont le dispositif de suivi épidémiologique des
maladies humaines s'est mis en place depuis la déclaration de
l'épidémie animale pour surveiller les conséquences
sanitaires de celle-ci. Je présenterai ensuite les informations
aujourd'hui disponibles en France avant d'aborder les questions que
soulève le suivi épidémiologique dans notre pays.
Après la détection de la survenue et du développement de
l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine au
Royaume-Uni, les épidémiologistes et les chercheurs
spécialistes des maladies infectieuses humaines se sont, naturellement,
assez rapidement interrogés sur le risque de transmission de l'agent de
l'encéphalopathie spongiforme bovine à l'homme. Au tout
début des années 1990, nous avions déjà un
éclairage sur le rôle des farines animales et sur la similitude
entre la maladie des bovins et certaines maladies
neuro-dégénératives de l'homme.
Plusieurs pays d'Europe ont alors mis en place un dispositif de surveillance
des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles
-encéphalopathies dont font partie les formes de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob et notamment celle qui allait apparaître comme sa
nouvelle variante- dans le cadre d'une étude européenne dont
l'objectif était d'estimer l'incidence de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob et de préciser les différents facteurs de
risque.
Cette étude, dont la coordination a été assurée en
France par l'unité 360 de l'INSERM, l'institut de la santé et de
la recherche médicale, a eu une importance cruciale puisque c'est dans
son cadre que nos collègues anglais ont, en mars 1996, finalement mis en
évidence - ou, tout du moins, annoncé - les premiers cas de cette
nouvelle forme de maladie que l'on appelle maintenant la variante de la maladie
de Creutzfeldt-Jakob, forme qui est donc liée à l'agent de
l'encéphalopathie spongiforme bovine.
C'est aussi dans le cadre de cette étude que le premier cas
français a été identifié en 1996, ce qui a conduit
la France à renforcer son dispositif de surveillance des formes de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme en rendant obligatoire, à
partir du mois de septembre de cette même année, la
déclaration de toute maladie ou, plus exactement, de toute suspicion de
maladie de Creutzfeldt-Jakob.
En 1996, l'institut de veille sanitaire, appelé alors réseau
national de santé publique, s'est donc vu confié, comme pour les
autres maladies à déclaration obligatoire, la coordination en
liaison avec l'INSERM de la surveillance des formes de maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
Depuis 1996, le dispositif a encore été renforcé. Il
constitue aujourd'hui un véritable réseau national de
surveillance : multidisciplinaire, il associe des cliniciens, neurologues
ou neuropathologistes, des biologistes, travaillant dans les centres de
référence sur les maladies à prions ainsi que dans divers
laboratoires de recherche sur ces agents de transmission, et, bien sûr,
l'ensemble du tissu des professionnels de santé, puisque ceux-ci sont
censés, s'agissant d'une maladie à déclaration
obligatoire, signifier toute suspicion. Des outils de détection de plus
en plus sensibles ont en outre été développés.
Toutes les informations ainsi recueillies sont centralisées, d'une part,
à l'institut de veille sanitaire du fait de la déclaration
obligatoire, d'autre part et surtout, à l'unité 360 de l'INSERM.
Chaque suspicion notifiée fait en effet l'objet d'une investigation
destinée, d'une part, à établir le degré de
certitude, c'est-à-dire à déterminer s'il s'agit d'un cas
possible, probable ou certain de maladie de Creutzfeldt-Jakob ou d'un cas qui,
finalement, n'appelle pas ce diagnostic, d'autre part, à préciser
l'étiologie, c'est-à-dire à déterminer s'il s'agit
d'une maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, familiale, iatrogène ou,
et c'est ce qui nous intéresse ici, d'une forme variante.
Les objectifs du dispositif, qui fonctionne maintenant depuis huit ans, sont
donc de repérer d'une façon aussi exhaustive que possible les cas
de maladie de Creutzfeldt-Jakob, d'en préciser l'étiologie et
notamment de repérer les formes variantes, mais aussi d'explorer les
facteurs de risque de survenue, voire de repérer d'éventuels cas
regroupés, ce qui aurait une importance particulière pour la
compréhension de la transmission de la maladie.
Chaque mois, l'institut de veille sanitaire actualise les données
épidémiologiques recensées rapportées par ce
dispositif et les rend publiques sur son site web. Quelles informations
avons-nous recueillies au cours des huit dernières années ?
Depuis quatre ans, nous assistons à une augmentation du nombre des
déclarations de suspicion. C'est le résultat d'une recherche de
plus en plus active et d'une sensibilisation de plus en plus forte des
cliniciens, tant en matière de diagnostic que de déclaration des
cas.
Au cours des cinq dernières années, nous avons aussi
observé une augmentation du nombre des cas de maladie de
Creutzfeldt-Jakob sporadique diagnostiqués. Pour donner un ordre de
grandeur, 68 cas certains ou probables de maladie de Creutzfeldt-Jakob
sporadique ont été recensés en 1996 ; en 1999,
dernière année pour laquelle nous avons stabilisé les
chiffres, 91 de ces cas ont été enregistrés, soit une
augmentation d'environ 30 %, essentiellement due elle aussi à la
meilleure performance du système. De façon globale, l'incidence
de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique est en France d'environ 1,5 cas
par million d'habitants, ce qui place notre pays à peu près dans
la moyenne européenne.
S'agissant de la forme variante, comme vous le savez sans doute, ont à
ce jour été recensés en France deux malades
décédés avec certitude de cette maladie, l'un en 1996,
l'autre en 2000, et un malade classé pour le moment comme cas probable
puisqu'il est toujours vivant et qu'il n'y a donc pas eu de confirmation
possible. Au total, selon la définition européenne ou
internationale de la maladie, il y a donc en France trois cas certains ou
probables. Je rappelle qu'au Royaume-Uni 87 cas certains et 9 cas probables en
cours d'exploration ont été recensés. Un seul autre cas
à été recensé dans le monde, en Irlande.
La France dispose d'un système de surveillance assez performant, capable
de détecter la survenue de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans sa forme
variante, qui nécessiterait cependant d'être renforcé.
En effet, pour établir un diagnostic de certitude de maladie de
Creutzfeldt-Jakob, le clinicien doit à l'heure actuelle disposer d'un
examen anatomo-pathologique du cerveau, examen qui ne peut être
réalisé, bien entendu après le décès du
malade, que dans le cadre d'une autopsie. Or, en France, le taux d'autopsie en
cas de suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob plafonne à 55 % ou
à 60 %. Nos collègues anglais font un peu mieux que nous
puisque le taux d'autopsie dans ce type de cas est d'environ 80 % au
Royaume-Uni.
Pour permettre un suivi épidémiologique encore plus précis
à l'avenir, il paraît donc nécessaire de renforcer un
diagnostic qui ne repose aujourd'hui que sur les examens assez lourds et
complexes que sont les examens anatomiques du cerveau. Vous le savez, une
recherche assez active se poursuit actuellement en France pour tenter de mettre
au point des tests de diagnostic d'utilisation plus courante, en particulier un
test capable, le cas échéant, de détecter le prion ou la
protéine pathologique dans le sang. Nous disposerions ainsi d'un outil
plus performant de suivi épidémiologique.
La direction générale de la santé nous a demandés
s'il était possible d'organiser en France un dépistage du portage
de la protéine pathologique liée à la forme variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob. Nous avons donc procédé à
une expertise au cours des derniers mois avec le concours de plusieurs
spécialistes en la matière. Cette expertise nous a amenés
à conclure que, en l'état actuel, compte tenu des tests
disponibles et de la fréquence apparente de la maladie en France, compte
tenu aussi des grandes incertitudes qui demeurent sur la durée
d'incubation, compte tenu encore de considérations éthiques sur
l'exploitation éventuelle des résultats, il n'était ni
pertinent ni faisable de mettre en place un tel dépistage, cette
position pouvant bien entendu évoluer dans le futur, en fonction
notamment de la disponibilité de tests plus faciles à utiliser
à grande échelle.
En dehors des questions que je viens d'évoquer -renforcement de la
surveillance et pratique des autopsies, problème du dépistage-,
une autre question nous est posée : peut-on aujourd'hui faire des
prévisions ou des projections quant au nombre futur des malades compte
tenu des connaissances actuelles sur l'épidémie animale et sur
les risques de transmission du prion bovin à l'homme ?
Comme vous le savez, on trouve déjà dans la littérature
scientifique ce type d'extrapolation. Nos collègues anglais notamment
s'y sont livrés : sur la base de l'épidémiologie en
Angleterre et, surtout, sur la base d'hypothèses évidemment
relativement hasardeuses et encore assez instables -durée d'incubation,
dose minimum infectante pour l'homme, degré réel d'exposition de
la population à l'agent infectieux-, ils ont émis des chiffres
qui, au fil des mois, se « resserrent » et deviennent un peu plus
précis.
Les chiffres les plus raisonnables sur le plan scientifique ainsi
publiés par nos collègues anglais font état d'une
fourchette allant de 150 cas, hypothèse la plus basse, à environ
6 000 cas dans les trente prochaines années au Royaume-Uni.
L'institut de veille sanitaire n'a pas souhaité extrapoler à
partir des chiffres anglais compte tenu de l'ampleur des incertitudes et de
l'imprécision des hypothèses. Si l'on devait cependant donner un
ordre de grandeur pour évaluer ce que pourrait être le
développement de la maladie chez l'homme en France, le plus rationnel
serait en définitive, considérant qu'il y a aujourd'hui environ
trente fois moins de cas et étant estimé que l'exposition de la
population au prion responsable de l'encéphalopathie spongiforme bovine
a été environ vingt fois moins élevée en France
qu'en Angleterre, de diviser par vingt les prédictions anglaises. On
arrive ainsi à un résultat de l'ordre de quelque centaines de cas
-environ 300- appelant, encore une fois, de nombreuses réserves et
devant être interprété avec beaucoup de prudence.
Espérant avoir ainsi décrit à votre commission la
situation en matière de surveillance épidémiologique des
conséquences sanitaires de l'encéphalopathie spongiforme bovine
en France, je terminerai mon propos en disant que l'hypothèse selon
laquelle certains cas de tremblante du mouton seraient en fait liés
à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine paraît
tout à fait plausible.
M. Jean Bizet, rapporteur
- Je tiens, monsieur le directeur
général, à vous remercier des précisions que vous
nous avez apportées.
Cela dit, je voudrais revenir sur un point particulier : en effet, vous
nous avez dit que la population française serait vingt fois moins
exposée à la maladie de Creutzfeldt-Jakob que la population
anglaise.
Or, compte tenu, d'une part, de l'importation malgré tout massive
jusqu'au début de 1996 d'abats à risque provenant de la
Grande-Bretagne et, d'autre part, de la présence de cervelle dans les
petits pots pour bébé jusqu'en 1992, pensez-vous que la
population française ait été soumise à des risques
importants ?
Confirmez-vous cette notion de « vingt fois moins » ?
M. Jacques Drucker -
C'est effectivement ce que j'ai dit tout à
l'heure, mais bien évidemment, il y a tellement d'inconnues et
d'incertitudes dans ce dossier, en particulier concernant le degré et
les conditions d'exposition de la population -qui sont pourtant l'un des
paramètres essentiels de la démarche d'évaluation des
risques- qu'il nous faut rester très prudents.
L'institut de veille sanitaire, pour sa part, afin de procéder à
ce type d'évaluation des risques, ne peut disposer que
d'hypothèses fondées sur la situation en Grande-Bretagne qui,
elle-même, repose sur les informations disponibles, qui sont « sur
la table » si j'ose dire.
L'un des paramètres manquants pourrait s'énoncer ainsi :
dans quelle mesure les dispositions de prévention et de
précaution qui ont été prises dès le début
des années quatre-vingt dix ont-elles été
appliquées et, si oui, l'ont-elles été correctement ?
Si l'on part de l'hypothèse fondée sur l'importation des tissus
à risque spécifié, vous le savez comme moi, mesdames,
messieurs les sénateurs, il existe de fortes interrogations sur la
rigueur avec laquelle ces mesures ont été appliquées.
Dès lors, toutes les hypothèses sont possibles quant à
l'exposition de la population française à cet agent infectieux et
il nous faut, je le répète, rester extrêmement prudents.
M. le Rapporteur -
Vous parlez de « fortes interrogations ».
Disposez-vous pour cela d'autres éléments d'information ?
M. Jacques Drucker -
Je ne détiens aucune information
complémentaire, monsieur le rapporteur. Je me fonde ici sur le fait que,
finalement, aujourd'hui, tous les cas d'encéphalopathie spongiforme
bovine qui ont été rapportés depuis 1997 sont apparus chez
des bovins nés après l'interdiction des farines. J'en
déduis donc que l'interdiction de l'importation des farines
carnées n'a pas dû être absolue.
D'autres hypothèses ont également été émises
quant au mode de transmission de la maladie à l'homme, mais la plus
réaliste, à mes yeux, reste que l'interdiction de l'importation
des farines animales n'a pas été totale et, dès lors,
toutes les hypothèses portant sur l'exposition de la population restent
assez hasardeuses, il faut le dire.
M. le Rapporteur -
Vous avez parlé de cas « sporadiques
» de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de nouvelles variantes. Or le
diagnostic n'ayant pu être porté que post-mortem, j'aimerais
savoir si un clinicien averti peut détecter la maladie sur des sujets
vivants ?
M. Jacques Drucker -
Je ne suis pas neurologue, monsieur le rapporteur,
mais je sais, pour en avoir discuté à plusieurs reprises avec mes
collègues cliniciens, qu'il existe des caractéristiques cliniques
assez évocatrices de la nouvelle variante ; je pense notamment
à l'âge des personnes malades dont les manifestations cliniques
à forte composante psychiatrique sont plus perceptibles.
Il est vrai que jusqu'à présent, la commission de surveillance a
constaté des signes de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
chez des sujets jeunes et qu'il faudra sans doute étendre le recours
à l'autopsie car les caractéristiques cliniques de cette maladie
pourraient évoluer pour toucher des personnes plus âgées.
Dans ce contexte, la maladie de Creutzfeldt-Jakob risquerait d'être
confondue avec d'autres démences plus fréquentes chez les
personnes âgées telles que la maladie d'Alzheimer.
M. le Rapporteur -
Peut-on imaginer que certaines variantes de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob aient pu échapper à tout
système de surveillance ? Hélas, il est à noter une
sorte d'omerta des professions médicales à l'égard de
cette maladie.
M. Jacques Drucker -
Il n'est effectivement pas exclu, monsieur le
rapporteur, que des variantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob aient pu
passer entre les mailles de la surveillance, de sorte que certains cas auraient
pu survenir chez des sujets plus âgés, comme je viens de le dire.
Si votre question est : « le dispositif médical, en toute
connaissance de cause, aurait-il pu ne pas signaler un cas de variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob ? » Alors ma réponse est la
suivante : « personnellement, je ne le pense pas ». En effet, je
n'imagine pas que dans le dispositif actuel de surveillance qui, je le
rappelle, repose sur tout un réseau de recherche en matière de
santé publique, un cas de variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
ait pu être passé sous silence.
Notre souci, aujourd'hui, est orienté dans l'autre sens, si je puis
dire. En d'autres termes, quand un cas de suspicion de variante apparaît,
nous faisons toutes les études nécessaires, même si c'est
pour nous apercevoir que cette suspicion n'était pas fondée.
Cela dit, il n'est pas exclu que pour des raisons purement techniques de
sensibilité du système, quelques cas de forme variante aient pu
ne pas être repérés.
M. le Rapporteur -
En parallèle, monsieur le directeur
général, nous avons vu que la Commission européenne,
dès les années quatre-vingt dix, a fait preuve d'une
autorité très forte pour étouffer les cas
d'encéphalopathie spongiforme bovine, compte tenu des effets
économiques induits, notamment pour la Grande-Bretagne.
Or sur un plan purement sanitaire, peut-on imaginer que l'institut de veille
sanitaire puisse « discrètement » ne pas informer l'opinion
publique sur le nombre exact de nouvelles variantes ? Cela n'est pas
pensable, à votre avis ?
M. Jacques Drucker -
En effet, cela n'est pas pensable, monsieur le
rapporteur.
S'agissant de l'Europe, c'est la Commission elle-même qui, depuis 1992, a
contribué à développer la connaissance de ces nouvelles
maladies ; cela est indiscutable.
Pour ce qui est de l'institut de veille sanitaire, il ne paraît pas non
plus pensable que, pour cette maladie comme pour d'autres, il ne porte pas
à la connaissance des pouvoirs publics, des professionnels et plus
généralement de l'opinion publique l'apparition probable de
nouvelles formes variantes.
Ce qu'il faut comprendre dans le système de surveillance, c'est que,
entre le moment où la suspicion de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est
notifiée et le moment où le diagnostic est confirmé, il
peut se passer entre six à douze mois. La mise à jour doit donc
se faire de façon un peu décalée et aujourd'hui, nous
connaissons les données au 15 février, y compris les cas qui
sont en cours d'investigation, c'est-à-dire qui, pour le moment, ne sont
que des suspicions et non pas des maladies confirmées.
M. le Rapporteur -
Monsieur le directeur général, vous
avez tout à l'heure émis quelques craintes quant à la
contamination interhumaine, notamment à l'occasion d'une transfusion
sanguine. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?
M. Jacques Drucker -
Effectivement, il s'agit là d'un mode de
transmission possible de la maladie de Creutzfeldt-Jakob à
l'espèce humaine, mais cela doit être étudié au cas
par cas. Ainsi, dès qu'une suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob est
portée à notre connaissance, nous mettons en place un dispositif
d'hémovigilance au même titre qu'est explorée la voie d'une
transmission éventuelle de cet agent pathogène au cours d'actes
diagnostiques ou thérapeutiques invasifs.
A ce propos, un certain nombre de mesures ont été prises au cours
des derniers mois qui continuent d'évoluer, la dernière en date
étant une circulaire émanant de la direction des hôpitaux
et portant sur le renforcement des mesures de stérilisation des
appareils chirurgicaux. Or, comme vous le savez, il s'agit là d'un sujet
extrêmement difficile car, contrairement à la maladie de
Creutzfeldt-Jakob classique et « sporadique », il semble que le prion
pathologique, agent de la forme variante, ait une dissémination beaucoup
plus large par l'organisme que les agents des autres formes de la maladie qui,
elles, se confinent si j'ose dire au système nerveux.
M. le Rapporteur -
J'aimerais vous poser une dernière question,
monsieur le directeur général.
Sur les quatre-vingt sept cas recensés à ce jour au Royaume-Uni,
on a pu constater que treize patients étaient des donneurs de sang
potentiels. Vos collègues anglais ont-ils un peu plus de certitudes
quant au mode de transmission par transfusion sanguine notamment ?
M. Jacques Drucker -
Pas à ma connaissance, monsieur le
rapporteur. En effet, nos collègues épidémiologistes
anglais n'ont pas communiqué ou transmis à la communauté
scientifique d'informations permettant de mieux cerner le risque transfusionnel.
Par ailleurs, comme vous le savez, une expertise assez complète a
été menée à la fin de l'année
dernière sur ce risque-là en particulier, expertise au cours de
laquelle ont été analysées toutes les données
disponibles, y compris les informations anglaises.
Personnellement, je n'ai pas d'information complémentaire sur ce dossier.
M. Paul Blanc -
Je voudrais simplement revenir sur
l'épidémiologie des deux cas certains et d'un troisième,
probable, de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en France. A-t-on profité
de l'apparition de ces trois cas pour mener une enquête approfondie sur
les habitudes alimentaires et la possibilité de contamination par voie
digestive ?
M. Jacques Drucker -
Absolument, monsieur le sénateur : nous
avons fait une investigation aussi poussée que possible concernant les
habitudes alimentaires des deux malades décédés et du
troisième malade encore vivant, étant entendu que la prise en
compte de ces habitudes alimentaires doit remonter à plusieurs
années auparavant.
M. Paul Blanc -
Les médias ont évoqué un autre cas
possible...
M. Jacques Drucker -
A ma connaissance, ce cas n'a pas été
confirmé, monsieur le sénateur.
M. Paul Blanc -
La déclaration de Mme le secrétaire d'Etat
à la santé avait déclenché de nombreuses
réactions concernant de possibles cas à venir. Dès lors,
j'aimerais savoir si elle s'est appuyée sur des informations que vous
lui auriez transmises, monsieur le directeur général.
M. Jacques Drucker -
Non, l'institut de veille sanitaire n'a jamais fait
d'évaluation de risque et donc, a fortiori, transmis de rapport
contenant des prédictions quant au nombre de cas à venir.
Les éléments que vous avez pu lire dans la presse, monsieur le
sénateur, sont des extrapolations des données de l'unité
360 de l'INSERM. A ma connaissance, il n'y a jamais eu d'étude
structurée ou de modélisation en France, contrairement à
ce qu'ont fait les Anglais.
M. Paul Blanc -
Pouvez-vous nous dire, monsieur le directeur
général, si, à votre connaissance, une étude des
habitudes alimentaires aurait donné des résultats ?
M. Jacques Drucker -
Ce que je peux vous dire, monsieur Blanc, c'est que
nos collègues anglais, pour chaque cas suspect de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, ont employé le même protocole d'investigation
épidémiologique. Or à ce jour et à ma connaissance,
ces investigations n'ont rien donné.
De la même façon, vous savez qu'actuellement les Anglais
enquêtent sur un foyer de cinq ou six cas suspects se situant dans une
commune de taille relativement limitée. L'investigation est aujourd'hui
en cours, mais pour l'instant, aucune conclusion n'a été
apportée à cette étude.
Il entre aussi dans les objectifs du système de surveillance
français de repérer des cas regroupés
géographiquement, et ce afin de mener des investigations pouvant aboutir
à une meilleure connaissance des facteurs de risque. Nous n'avons pas
encore rencontré ce type de commune en France, mais, je le
répète, pour l'instant cette investigation de ce foyer de cinq
à six personnes malades en Grande-Bretagne n'a pas donné de
résultat.
M. Paul Blanc -
Mais alors, pourquoi les Anglais ont-ils retiré
les abats de la vente dès 1989 ? Est-ce parce qu'ils estimaient
tout de même qu'une concentration possible de l'agent pathogène
pouvait se révéler dangereuse pour l'homme ?
M. Jacques Drucker -
Absolument, monsieur le sénateur.
Le premier cas d'encéphalopathie spongiforme bovine a été
recensé en 1985 en Angleterre. Deux ou trois ans plus tard, les
vétérinaires ont fait le lien entre les farines carnées et
le développement de l'encéphalopathie spongiforme bovine. C'est
ainsi qu'à la fin des années quatre-vingt, la physiopathologie,
autrement dit la diffusion de l'agent pathogène dans le cas des bovins,
était parfaitement connue. C'est cela effectivement qui a incité
les Anglais à retirer de la vente ce que l'on appelle aujourd'hui les
« matériaux à risque ».
M. le Président -
Je voudrais revenir sur l'une des questions
posées par M. Blanc concernant la déclaration de Mme la
secrétaire d'Etat. Sur quoi était-elle fondée ?
M. Jacques Drucker -
Je pense que la déclaration à
laquelle vous faites allusion repose, je le répète, sur les
données émanant de l'unité 360 de l'INSERM, monsieur le
président.
M. Jacques Bimbenet -
Que penser, monsieur le directeur
général, des informations récemment
révélées concernant les moutons ?
M. Jacques Drucker -
Tout d'abord, monsieur le sénateur, je dois
vous dire que vous ne vous adressez pas ici à un spécialiste de
la maladie animale.
Cela étant dit, je pense - et ce n'est pas nouveau - que compte tenu de
ses similitudes avec la tremblante du mouton, depuis que
l'encéphalopathie spongiforme bovine a été
détectée, certains ont pu émettre l'hypothèse que
l'agent pathologique pouvait effectivement être transmis du mouton
à la vache et ensuite que les bovins nourris aux farines animales ont pu
à leur tour contaminer les moutons.
A ma connaissance, au cours de ces dernières semaines ou de ces derniers
mois, aucun élément scientifique nouveau n'est apparu confirmant
une telle hypothèse.
Par conséquent, est-il oui ou non justifié aujourd'hui de prendre
des mesures de précaution s'agissant des moutons ?
L'interprétation que j'en fais personnellement est qu'il vaut mieux
effectivement envisager des mesures de précaution sur un risque
théorique de ce type - « à froid » en quelque sorte -
plutôt qu'en situation de crise ou de réaction à l'annonce
d'un élément nouveau.
Bien sûr, reste à poser les limites de l'application du principe
de précaution, sujet un peu délicat, vous en conviendrez,
monsieur le sénateur.
Quoi qu'il en soit, l'hypothèse selon laquelle certains cas de
tremblante du mouton seraient en fait des maladies dues à l'agent de
l'encéphalopathie spongiforme bovine est une hypothèse tout
à fait plausible.
M. le Président -
La commission d'enquête vous remercie,
monsieur le directeur général, des informations que vous avez
bien voulu lui apporter.