Audition de M. Alain GLON, Président de la société
Glon-Sanders
(14 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Alain Glon vous
êtes Président de la société Glon Sanders et je vous
remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Vous savez que vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission
d'enquête parlementaire et qu'à ce titre vous devez
témoigner sous serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Glon.
M. le Président -
Nous vous demanderons de nous parler de ce
problème des farines animales tel que vous l'avez vécu. Vous avez
pu voir comment les choses se sont passées par rapport à votre
entreprise, à la fabrication d'aliments pour le bétail et les
conséquences sur le développement de l'ESB.
M. Alain Glon
- J'ai 59 ans et, dans l'un de nos métiers
d'origine qui est la nourriture animale, je crois avoir tout fait depuis
l'époque du cheval et de la charrette.
Au fil de ma présentation et de vos questions, je pourrai apporter
quelques précisions.
J'ai une première interrogation car j'ai lu dans Ouest France de samedi
dernier : « Farines : les sénateurs face à des
silences ». Il s'agit probablement d'une nouvelle erreur journalistique.
Même si c'est vrai (cela l'est certainement en partie), c'est en raison
de l'histoire que l'on connaît qui, comme je vous le disais, est fort
longue. Aussi, sachant qu'aujourd'hui j'allais venir face à des
parlementaires, je m'interrogeais pour savoir s'il fallait leur dire une partie
de ce que nous savions de cette longue histoire et s'il était
intéressant que les représentants de la Nation connaissent le
climat psychologique qui règne autour de cette affaire.
Je vous laisse le libre choix.
M. le Président -
Nous avons la nécessité de tout
savoir et de tout comprendre. Aussi, nous vous laissons l'entière
liberté de pouvoir tout nous dire dans ce sens.
M. Alain Glon
- Il est important que vous compreniez le climat
psychologique qui règne autour de cette affaire. J'ai fait une note
interne reprenant les propos que j'échangeais dernièrement avec
mon fils Benoît.
« Alain : Bonsoir, Ben, il y a des jours avec et des jours sans.
Aujourd'hui, c'était une bonne journée, les flics sont sympas.
Ben : De retour après deux années en Asie, je trouve la
situation en France assez folle. Dis-moi papa, ce qui s'est passé dans
l'entreprise cette semaine, est-ce grave ?
Alain : Non, ce n'est pas grave, mais par contre c'est perturbant et pour
le moins pas banal de recevoir la visite impromptue de 15 policiers d'un coup
et je comprends ton interrogation.
Mais avant avoir d'avoir une réaction de rejet ou de
dégoût, il faut d'abord que tu intègres l'histoire
récente de la France, celle du sang contaminé, de la mise en
cause de l'Etat et de la perte de confiance du citoyen. Les analogies avec
l'affaire de la vache folle sont telles que chacun cherche en cette affaire,
depuis 10 ans, un coupable, voire un coupable alternatif.
En deuxième lieu, il convient, dans ce feuilleton à
rebondissements, de pondérer toute la partie irrationnelle ou, au
contraire, celle qui l'est trop comme le médiatique par exemple. Le
sujet fait monter l'audimat, la télévision a montré des
images terribles sur des malades anglais, et même si en France il n'y a
eu que deux, ou peut-être trois, cas humains, ceux-ci frappent plus
l'opinion que le cancer ou les accidents de la route.
Il y a aussi tous les aigris de la société dans ces milieux
scientifiques, juridiques, politiques et autres, tous ceux qui cherchent
l'occasion d'une revanche. Il y a aussi, comme en Grande-Bretagne, des
scientifiques qui annoncent un cataclysme humain pour se faire financer des
moyens de recherche.
Tout ceci est compliqué et il faut, pour mieux comprendre, que tu
intègres toutes ces composantes du dossier.
Dans un deuxième temps, il faut que tu considères qu'en France
l'Etat est gérant, c'est-à-dire qu'il se mêle de la
conduite des affaires et n'est pas seulement garant, c'est-à-dire
préoccupé essentiellement de ses droits et devoirs
régaliens comme c'est souvent le cas dans les pays qui connaissent le
même niveau de développement.
De ce fait, l'Etat doit gérer la crise et les angoisses entretenues dans
la population. Quand autant de bateleurs d'estrade réclament un
coupable, l'Etat est contraint d'agir pour rassurer l'opinion : « Je
veille sur vous braves gens ».
Bien sûr, c'est pour nous la cinquième commission d'enquête,
sans compter les deux commissions parlementaires, bien sûr celle-ci ne
découvrira rien de contrevenant ; cela aurait été
fait depuis longtemps, notamment par ceux qui viennent pour la troisième
fois.
Nous avons toujours anticipé les décisions et parfois contraint
l'Etat à agir. L'Etat pourra dire cette fois : « J'y ai mis
mes 15 meilleurs limiers qui sont arrivés à l'improviste avec
tous les mandats voulus ». Il est vrai que cette fois nous avons à
faire à des « super pro ». Fais-moi confiance mon fils, pas un
coupable ne pourrait résister au régime que l'on nous applique
depuis plus de 10 ans maintenant.
Ben : J'entends bien, mais tu me dis que cette fois il y avait 15
inspecteurs. Dans aucune série noire je n'ai vu la même chose.
Cela pourrait-il te conduire en prison ?
Alain : Tu sais que notre entreprise présente des
caractéristiques intéressantes pour faire de nous « le
responsable choisi pour être le coupable qui convient » selon
l'expression utilisée par ceux qui ont investi dans ce but.
Tu sais que ma tête a déjà, en 1996, été
confiée à des services très spéciaux et c'est la
raison pour laquelle j'avais différé l'acceptation de la
Légion d'Honneur. Je sais donc que tout est possible.
Quant à la « justice de mon pays », j'ai eu l'occasion de
vérifier personnellement que là aussi tout est possible. Mais
vois-tu, à ton âge il n'est pas bon de douter de tout alors je
n'en parlerai pas davantage. La presse en parle régulièrement,
les gens de ton âge doivent croire en la vie et relever des
challenges ; ils n'ont pas à épouser une
gérontocratie qui ne craint plus que pour sa santé.
Ben : Est-ce que cela a toujours été comme cela ?
Alain : La réponse n'est pas catégorique. Il faut d'abord
que tu saches qu'il existe la même proportion de voyous dans toutes les
couches de la société et qu'il convient que les autorités
adaptent leurs méthodes à ces contrevenants. Cependant, quand les
pratiques ne sont pas en harmonie avec les protagonistes, et surtout quand il
s'agit en quelque sorte d'obtenir un « effet de manche », c'est
dégradant pour l'enquêté et l'enquêteur.
D'ailleurs, les enquêteurs eux-mêmes s'étonnent quand nous
leur relatons toutes les enquêtes dont nous avons fait l'objet et dont
pas une seule ne s'est terminée par un document quelconque. Même
pas une copie de note, alors que j'ai vu le courrier écrit par le
ministre en charge des Douanes, à destination de son collègue de
l'Agriculture, pour lui indiquer qu'il n'avait rien trouvé de frauduleux
chez nous ou ailleurs.
Je ne te parle pas des perturbations que ces centaines de journées
d'enquêtes, ces tonnes d'archives et ces milliers de photocopies
engendrent pour nos collaborateurs dans l'entreprise. Nous les entrepreneurs,
nous sommes corvéables à merci. Tu sais que dans le concert
international on appelle cela l'arrogance française, mais la France
pense que c'est faux.
Ben : Dis-moi, cela a toujours existé et la population
l'ignore ?
Alain : Bien sûr, nous ne sommes pas un cas unique et d'autres
entreprises connaissent la même situation. C'est probablement un
problème de taille ou de secteur d'activité.
Mais j'en reviens à ta question. Nous concernant, 15 inspecteurs, c'est
un record, car jusque là nous en étions à 12 à la
fois, bien sûr sans annonce, sans suite ni mot d'excuse.
Maintenant, en remontant très loin dans le temps je pourrais te citer
l'exemple de Mamie que nous avons accompagnée dans son dernier voyage il
y a tout juste un mois. Elle a vécu toute sa vie le traumatisme des
fouilles du moulin en 1943/1944 lorsque nous étions levés la nuit
et alignés au mur le temps que des hommes en vert-de-gris cherchaient
les maquisards. Bien sûr, c'était différent car
ceux-là ne déclinaient pas leur nom et leur titre en arrivant.
Mais tu vois, à la suite de cela elle n'a plus voulu aucune
responsabilité en dehors de celles d'une mère. Je la comprends.
Pour ma part, j'essaie de garder la bonne distance par rapport à ces
événements. La frénésie et l'obsession nous
guettent, tout comme d'autres, par exemple :
- le militaire est tenté de guerroyer sans cesse et sans fin,
- le politique pourrait être tenté par l'abus de pouvoir personnel
et refuser le désaveu,
- le juge pourrait tomber dans l'intégrisme, à savoir inculper au
nom de la loi pour un fait non avéré, juger au nom des principes
(de précaution) et non plus selon la loi, condamner au nom de la justice
alors devenue ordre, ce qui nous ramènerait au temps de l'inquisition,
- l'homme d'affaires quant à lui peut sombrer dans l'amour
immodéré de l'argent.
Ben : Et comment vois-tu le futur ?
Alain : Tu sais que je suis optimiste, d'ailleurs sans cela je n'aurais
pas été un entrepreneur. Cependant l'évolution de la
France me paraît inquiétante. Le monde politique a perdu la
confiance de la population, nombre d'élus pensent essentiellement
à se défendre et à agir au gré des sondages ;
ce sont donc les médias qui orientent la politique du pays. L'absence,
le vide laissé par le politique est en passe d'être occupé
par des juges ; cela conduit à une rigidification de la
société, voire dans certains cas à une forme
d'intégrisme. J'y pense dans nos activités alimentaires pour le
zéro OGM ou le zéro salmonelle. Je pense à ce que l'on
peut faire dire à l'obligation de précaution. La France risque de
payer le prix fort pour la désagrégation de son système
politique. Ce prix sera aussi payé par toute la société
civile.
Une civilisation ne peut impunément laisser mettre en cause ses valeurs
fondatrices comme nous l'avons vu :
- les scientifiques rompent le tabou sur le génome humain,
- la mondialisation écrase l'homme pour la finance,
- le cinéaste a cru pouvoir utiliser le Christ en pornographie,
- un écrivain a cru pouvoir vilipender le prophète de l'Islam,
- un distributeur a cru pouvoir angoisser la population sur le produit des
autres.
Tu sais que pour notre part, au-delà du bon à manger, nous nous
appliquons pour que nos produits soient aussi bons à penser ».
M. le Président -
Il faut se recentrer sur le problème. Je
comprends bien votre amertume et votre attitude mais nous sommes dans le cadre,
je le répète, d'une commission d'enquête sur un
problème bien précis et je crois qu'il est nécessaire
maintenant de se remettre véritablement sur le sujet en traitant des
problèmes posés par la fabrication d'aliments pour le
bétail et celui de l'introduction des farines de viande et ses
conséquences.
Je le répète, je comprends votre position personnelle, mais je me
dois, dans le cadre de cette commission d'enquête, de recentrer les
débats.
M. Alain Glon
- Merci. Sur ce tableau mon intention est de vous montrer
les différents métiers et, si besoin est, d'éviter,
à vos yeux (car pour le reste je n'y crois plus) que la confusion soit
entretenue.
Un premier métier, celui d'équarrisseur, consistait à
ramasser les cadavres d'animaux dans la campagne ou dans les élevages
pour les transformer en farines animales.
Un deuxième métier est né, conjointement, pour traiter les
déchets des ateliers de découpe, à savoir des morceaux qui
ont la même qualité bactériologique que ce que nous mettons
dans notre assiette.
Pour des raisons qu'il vous appartiendrait de rechercher, ces personnes ont
été appelées, tout comme nous, « fabricants de
farines » et cette confusion a été volontairement entretenue
dans la population. Il serait intéressant que vous recherchiez qui
était propriétaire de ces entreprises.
M. le Président -
Il faut nous le dire.
M. Alain Glon
- Il s'agit de l'Etat.
M. le Président -
Il serait donc propriétaire des
équarrisseurs.
M. Alain Glon
- Oui, à concurrence de deux tiers ou trois-quarts
de l'activité en France.
Ensuite, les fabricants d'additifs mélangent des vitamines,
oligo-éléments ou autres, destinés à être
incorporés dans les aliments des animaux.
Il existe aussi des fabricants d'aliments d'allaitement. Il semblerait que ce
soit la nouvelle cible. A partir du lait, ils retirent la matière grasse
(le beurre) et ajoutent, en substitution, des matières grasses
végétales, telles que l'huile de palme, ou animales. Il s'agit
d'un métier qui n'a rien à voir avec le nôtre.
Par ailleurs, les fabricants de pet food (les aliments pour animaux de
compagnie) ramassent les déchets des ateliers de découpe.
Les fabricants d'aliments composés utilisent les farines animales
produites par d'autres.
Je crois qu'il conviendrait de vérifier qui était en charge de la
qualité de ces farines animales, qu'elles soient d'importation ou
produites en France.
Pour chercher la vérité, il faut avoir une notion de ce qu'est
chacun de ces métiers.
Jusqu'au 1er janvier 1999, date à laquelle nous avons repris le Groupe
Sanders, nous étions une entreprise familiale installée
essentiellement en Bretagne Depuis, nous avons comme actionnaires des
financiers et l'Etat qui est resté à 23
%
.
Concernant les dispositions prises par notre entreprise, nous n'avons jamais
utilisé de farines de viandes anglaises importées par nous pour
les bovins. Toutefois, puisque les équarrisseurs français ont
mélangé des farines anglaises à leur production, je ne
peux pas être aussi affirmatif sur l'absence de farines animales
anglaises dans nos produits.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Quels étaient vos circuits
d'approvisionnement ?
M. Alain Glon
- Nous importions des farines anglaises mais elles n'ont
jamais été incorporées aux aliments pour bovins. Nous
disposons de plusieurs usines qui sont plus ou moins spécialisées.
M. Gérard César
- A quoi servaient les farines anglaises
importées ?
M. Alain Glon
- Dans notre entreprise, les farines anglaises n'ont
jamais été utilisées dans les aliments pour bovins ;
elles servaient à fabriquer les aliments pour les volailles et les
porcs. Je parle des farines importées par nous de Grande-Bretagne.
Quand nous ne les importions pas de Grande-Bretagne, nous pensions que celles
achetées aux équarrisseurs français étaient
françaises.
M. le Rapporteur
- Avez-vous acheté des farines en Irlande ou en
Belgique ?
M. le Rapporteur
- Nous avons acheté des farines en Irlande.
Concernant la Belgique, Glon n'a jamais acheté de farines à ce
pays mais ce n'est pas le cas de Sanders.
M. Gérard César
- En Hollande ?
M. Alain Glon
- Nous ne pouvons pas le savoir ; c'est comme pour
certains produits tels que le sucre. Là aussi des sociétés
françaises étaient impliquées.
Nous avons arrêté les importations de Grande-Bretagne le 9 janvier
1989 ; c'est la date du dernier arrivage reçu de ce pays.
L'interdiction française date d'août 1989 alors que nos
importations avaient cessé 6 mois plus tôt ; nous avons
d'ailleurs beaucoup agi pour que ces importations soient arrêtées,
sans avoir toujours eu l'audience voulue.
M. le Président -
Vous disiez que des sociétés
françaises étaient impliquées dans l'importation de
farines provenant de Belgique ou d'ailleurs. De quelles sociétés
s'agissait-il ?
M. Alain Glon
- Ce sont les mêmes propriétaires que pour
les équarrisseurs français.
M. le Président -
Ce sont toujours les mêmes.
M. Alain Glon
- A partir de Belgique il peut en venir
énormément. Des sociétés d'équarrissage
françaises avaient un commerce européen.
Nous avons arrêté toute incorporation de farines animales dans les
aliments pour bovins en mai 1989, quand nous avons constaté que des
équarrisseurs français avaient importé des farines
anglaises pour les mélanger à leur production.
Nous avons tenté de faire interdire l'introduction de farines animales
dans tous les aliments pour ruminants et cette interdiction est arrivée
en juillet 1990, soit 15 mois après que nous ayons cessé
d'utiliser ces farines.
M. le Président -
Concernant cette décision (prise bien
avant la décision officielle, vous avez raison), comment aviez-vous
été informés, par quelle voie ou quel organisme
professionnel ?
M. Alain Glon
- Fin 1988 nous avons observé que la qualité
des farines de viandes importées de Grande-Bretagne se dégradait,
non pas au niveau des prions ou de la BSE (tout le monde en ignorait
l'existence) mais plutôt des salmonelles. Compte tenu de ce risque, nous
avons arrêté les importations le 9 janvier 1989 et
résilié les contrats.
Toutefois, nos concurrents continuaient à utiliser ces farines vendues
à des prix sensiblement inférieurs à ceux des farines
produites en France à l'époque. Cette distorsion de concurrence
nous a conduits à rechercher ce qui pouvait justifier la
dégradation des farines anglaises. En constatant le manque de
clarté de la situation en Grande-Bretagne nous avons
préconisé aux autorités françaises l'arrêt
des importations et ensuite l'arrêt des incorporations de farines dans
les aliments pour bovins.
M. le Rapporteur
- Avez-vous eu des échanges
téléphoniques ou épistolaires avec les autorités
françaises pour faire état de vos craintes ?
M. Alain Glon
- Oui.
M. le Rapporteur
- Pourrait-on avoir ces documents ?
M. Alain Glon
- J'ai un souvenir assez précis des échanges
téléphoniques mais il existait peu de documents.
M. le Président -
Nous sommes des béotiens et nous ne
connaissons pas tout. Vous dites avoir eu des échanges avec les
représentants de l'Etat : de qui s'agissait-il ?
M. Alain Glon
- Il s'agissait de personnes de la rue de Varenne.
M. le Président -
C'est donc directement avec le ministère
de l'Agriculture.
M. Alain Glon
- Tout cela sera su rapidement.
M. le Président -
S'agissant d'une commission d'enquête,
vous nous donnez des informations (mais pas volontairement car, je le
comprends, en votre qualité de chef d'entreprise, c'est difficile)
relevant d'une certaine habitude de fonctionnement. Nous ne sommes pas
informés de tout et c'est ce que nous voulons comprendre.
Quand vous indiquez que vous étiez en relation avec les
représentants de l'Etat de l'époque, nous devons savoir de qui il
s'agissait précisément. Nous n'avons pas lieu de douter de vos
affirmations puisque vous avez prêté serment, mais nous devons
connaître la Direction avec laquelle vous étiez en contact afin de
l'alerter sur ce problème.
M. Alain Glon
- C'était le ministère, le cabinet de la
Direction Générale de l'Alimentation.
M. le Rapporteur
- La DGAL, rue de Varenne à l'époque.
M. Alain Glon
- Dans une réunion nous ne faisons pas la
distinction pour savoir qui est de quelle administration.
M. le Président -
Bien sûr.
M. Alain Glon
- C'était au printemps 1989.
M. Georges Gruillot
- Vous disiez avoir constaté la
dégradation de la qualité des farines anglaises. Les farines
françaises vous semblaient-elles de qualité constante ?
M. Alain Glon
- Non.
M. Georges Gruillot
- A l'époque, il y avait de tout dans les
farines françaises.
M. Alain Glon
- Oui. C'était une dégradation de la
qualité.
Il faut comprendre que notre métier (je ne sais pas si d'autres avant
moi vous l'ont expliqué) consiste à établir des rations
pour les animaux à partir d'un nombre important de matières
premières pour lesquelles nous avons précisé environ 60
caractéristiques. Par ailleurs, le besoin des animaux est
déterminé avec 60 contraintes. Des calculs réalisés
par ordinateur ajustent l'offre et la demande.
Nos fournisseurs utilisent les mêmes techniques que nous et savent
à quel prix ils peuvent nous vendre ces matières
premières. Si nous utilisons, en compétition, soit du soja soit
des farines animales, le fournisseur sait à quel prix il faut vendre ces
farines animales.
Pour nous, l'intérêt économique (contrairement à ce
qui a été dit) est extrêmement faible. Il n'existe pas de
fournisseur assez ignare pour vendre très au-dessous du prix
d'intérêt de sa matière première.
Par ailleurs, les quantités de farines utilisées ont toujours
été très faibles ; c'est comparable à ce que
pratique la ménagère qui incorpore un bouillon en cube dans le
potage.
M. le Rapporteur
- S'agissait-il de 3
%
ou 5 % ?
M. Alain Glon
- Moins, mais cela peut varier. Les Anglais en
consommaient beaucoup car l'Angleterre n'a pas de très grands ports pour
recevoir de gros bateaux provenant du Brésil ou d'Argentine avec de la
protéine compétitive.
La protéine de soja vient du Brésil, d'Argentine ou des
Etats-Unis par bateaux jusqu'à Rotterdam ; elle est ensuite
transbordée et acheminée vers les ports anglais. Cela signifie
que pour les Anglais le soja (produit concurrent de la farine de viande)
était plus cher que pour nous sur le continent.
Par ailleurs, les Anglais ayant une aviculture peu développée
(les farines de viande sont consommées essentiellement par l'aviculture)
avaient des prix de farines de viande plus bas que ceux du marché ;
étant exportateurs, ils devaient payer le différentiel de
transport pour livrer sur le continent. C'est donc un pays qui consommait
traditionnellement beaucoup de farines de viande, y compris pour les ruminants.
La Suisse est dans le même cas. Elle dispose d'un système
très protectionniste taxant fortement les importations de tous produits
protéiques. C'est une façon pour ce pays de protéger son
herbe ou sa luzerne contrairement au système européen. De ce
fait, les farines animales produites en Suisse présentent un très
grand intérêt économique et leur taux d'incorporation est
de loin supérieur à ce qu'il était en France.
M. le Rapporteur
- En Suisse et Angleterre, quel était le taux
d'incorporation de ces farines dans la ration ?
M. Alain Glon
- J'ai entendu dire qu'il s'agissait de 7 % à
8 %.
M. le Rapporteur
- Soit trois fois plus qu'en France. Quel est le
différentiel de prix entre les farines anglaises, fabriquées
selon le concept ayant généré l'ESB, et les farines «
françaises » respectant les trois critères de
température, temps de chauffage et pression ?
M. Alain Glon
- Les farines françaises ne respectaient pas les
critères de température, pression, etc.
M. le Rapporteur
- Jusqu'à une certaine époque.
M. Alain Glon
- Jusqu'en 1983.
M. le Rapporteur
- Vous estimez donc que les farines françaises
ont été dégradées à partir de 1983.
M. Alain Glon
- En 1983, avec crise du pétrole tout le monde a
été incité à faire des économies
d'énergie, y compris cette profession. Les règles qui
régissent les farines animales portent sur des taux de contamination
bactériologique (campilobacter, salmonelles et autres) et cette
industrie a diminué l'intensité des traitements tout en
satisfaisant les obligations réglementaires. Tout le monde ignorait que
le prion était présent.
Les farines françaises étaient de même nature mais nous
avions peut-être moins de moutons atteints de tremblante.
M. le Rapporteur
- Sur ce plan, suite à l'audition de Mme
Brugère-Picoux, il semblerait (selon les connaissances scientifiques)
qu'il n'existe pas de relation entre la tremblante du mouton et l'ESB.
Quel était l'intérêt pour les producteurs français
(pour les transformateurs que vous êtes) de s'approvisionner avec des
matières premières anglaises ; était-ce une question
de prix ?
M. Alain Glon
- Oui.
M. le Rapporteur
- Quelle était la différence de
prix ?
M. Alain Glon
- Dans nos métiers nous dégageons moins de
1 % de marge et la matière première représente plus
de 80 % du prix de revient. Si une matière première procure
1 % ou 2 % d'écart de prix, nous mettons beaucoup de moyens en
oeuvre pour y accéder.
M. le Rapporteur
- Même avec une incorporation dosée
à 2 % ou 3 % ?
M. Alain Glon
- Oui, car nous sommes dans l'infiniment petit.
Vous faisiez référence (après les perquisitions tout sera
présenté) à la Commission d'enquête parlementaire.
Je peux vous lire la lettre que j'ai adressée le 23 janvier 1997
à Mme Guilhem qui était Présidente de cette Commission
d'enquête parlementaire.
« Madame la Présidente,
Vous savez le souci permanent qui est le nôtre, tant au plan de
l'éthique que de la vérité. J'ai la conviction que dans sa
recherche effrénée d'un responsable pour en faire un coupable,
l'Etat aurait détruit notre entreprise si nous n'avions pas
été d'une scrupuleuse honnêteté.
Je lis aujourd'hui dans le journal Libération une interview de M.
Josselin qui en réponse à la question : « Avez-vous
entendu André Glon ? » répondait : « Non, il
a décliné notre invitation ».
En dehors de l'erreur de patronyme, s'agissant d'Alain et non pas
d'André, la réponse me surprend. Vous vous souviendrez en effet
que nous étions convenus qu'il était préférable que
notre rencontre ait lieu en dehors de l'Assemblée Nationale ».
A l'époque, on parlait d'écoutes.
« Le rendez-vous avait été pris à notre stand
d'exposition au SIAL. Dans les derniers instants, vous aviez dû annuler
cette rencontre pour participer à un déplacement à Brest
dans le cadre de la Commission de la Défense nationale.
Le nouveau rendez-vous pris, pour la semaine suivante, a également
été annulé en raison d'une rencontre urgente avec M.
Vasseur.
Vous m'indiquiez alors que votre rapport devait être remis pour fin
octobre et qu'en raison du court délai qui vous était
laissé vous m'appelleriez téléphoniquement en tant que de
besoin.
S'agissant de l'aspect journalistique, en référence à
l'article cité, ceci ne me crée pas de difficultés tant
nous avons lu d'inexactitudes par ailleurs. Par contre, je ne voudrais pas
qu'un instant le Président, M. Josselin, et ses collègues
puissent penser que je me suis dérobé.
Concernant le fond de l'affaire et l'intérêt éventuel de ce
que j'aurais pu dire, je vous rappelle qu'autant j'ai pu me montrer inflexible
en 1989, quand il s'agissait de la santé animale, ou que je croyais
limitée à la santé animale, et en 1996 quand il s'agissait
de la santé humaine, autant je suis soucieux de ne pas accroître
le malheur.
Ceci explique d'ailleurs pourquoi je n'ai pas pu être plus explicite en
audience.
Le mélange des farines anglaises à des farines françaises
par les équarrisseurs, je l'ai vu confirmé dans le journal Ouest
France quelques jours plus tard. Le traitement insuffisant idem à celui
des Anglais appliqué par les équarrisseurs français, le
même article d'Ouest France en faisant état.
La séparation des cadavres et ASB que j'ai quasiment arrachée
nous met théoriquement à l'abri, mais les quelques angoisses qui
me restent m'amèneront à des positions fermes au 1er avril 1997
par rapport par rapport aux 3 bars, 133° et 20 minutes.
L'aliment volailles donné aux bovins, votre rapport en fait état.
La mise en cause des farines françaises par la Suisse, le journal
Libération du 13 janvier l'aborde. Les prélèvements
d'hypophyse à destination de l'hormone de croissance, c'est en cours et
le danger n'existe plus. Laissons faire la justice, les sessions et les
cotations. La contamination par la voie génétique et ses
conséquences, il ne convient pas d'en parler, mais c'est ce que j'aurai
à l'esprit pour décider de ce que je ferai de la farine au 1er
avril 1997.
Je n'ai repris que l'essentiel et deux choses me préoccupent :
l'échéance du 1er avril 1997 (traitement à la
pression), l'image que vous vous êtes faite de la DGCCRF alors que moi,
qui ai subi plus de 100 jours de contrôles en cette affaire, je la tiens
en très haute estime ; je l'ai d'ailleurs dit à M. Mattei.
Pardonnez-moi d'avoir été long, mais c'est de mon honneur dont il
s'agit. Merci de faire silence désormais, il n'y a plus que le travail
qui vaille ».
Je vous ai éclairés sur les différentes actions
entreprises et j'ai mentionné à chaque fois le décalage
entre le calendrier des obligations officielles et ce que nous avons
pratiqué.
Retrait des abats à risques et cadavres de la fabrication des farines
françaises : cela s'est passé à Lorient le 26 juin
1996. Nous étions, nous les fabricants d'aliments, accusés de
consommer n'importe quoi et chacun continuait, ou souhaitait continuer,
à mettre les cadavres et le reste dans les farines animales que nous
devions consommer. Nous avions organisé l'arrêt de tous les
achats.
Le 26 juin 1996, dans une réunion qui s'est tenue à la
sous-préfecture de Lorient, environ 13 personnes venant de Paris ont
essayé de nous convaincre de continuer la consommation. Nous avons
refusé de le faire et nous ne l'aurions fait que si les déchets
à risques avaient été retirés et c'est vraiment ce
jour qu'ils l'ont été.
M. le Rapporteur
- Le 26 juin 1996, 13 personnes étaient en
sous-préfecture de Lorient (ce sont sans doute des personnes du
ministère et il serait possible de retrouver leur nom) vous faisaient
obligation de continuer à incorporer des farines... Ce n'est
peut-être pas tout à fait cela.
M. Alain Glon
- La langue française possède des ressources
quand on écrit : « Ces farines doivent continuer à
être utilisées.... ».
M. le Rapporteur
- Avez-vous conservé ce courrier ?
(Présentation du courrier par M. Glon)
M. Alain Glon
- Je vous disais que pour nous l'intérêt
économique était extrêmement faible.
Le courrier indique : « En attendant et considérant que les
mesures de précautions prises en France, sur la base des recommandations
du Comité interministériel sur l'EEST dûment
notifiées, n'ont pas fait l'objet, à ce jour, de commentaires de
la Commission, la production et l'utilisation des farines de viande d'origine
française doivent se poursuivre dans le respect ».
Nous n'avons jamais pu faire éclaircir le terme « doivent ».
M. Gérard César
- C'était à la suite de la
réunion de Lorient.
M. Alain Glon
- Je n'ai plus la date de ce courrier mais je la
rechercherai.
Entre le risque de voir les abattoirs s'arrêter (car les déchets
n'auraient plus quitté les abattoirs) et le confort pour nous
d'arrêter l'utilisation, il était infiniment plus confortable, si
nous n'avions vu que notre intérêt, d'arrêter l'utilisation.
M. Gérard César
- Pourriez-vous nous indiquer le nom des
équarrisseurs français qui importaient ces farines
anglaises ? C'est important pour notre commission d'enquête car sans
nom cette information peut ne pas nous intéresser.
M. Alain Glon
- Je lis : « Le Groupe SARIA Industries
réalise des importations importantes par voie maritime dans son usine de
la Française Maritime de Concarneau : 4 000 tonnes arrivent
d'Ulster, l'Irlande britannique ». Il s'agit d'une déclaration du 6
septembre 1996.
Ce sont des chiffres confirmés par le Directeur commercial de cette
société, M. Patrick Colombier, interrogé par nos
soins. Nous n'avons aucun « complexe » à dire que nous avons
importé des farines de viande britanniques ; il s'agissait de
cretons qui sont des mélanges d'os et de suif (et non des produits
d'équarrissage), des produits dégraissés aux solvants et
retranchés avant utilisation.
Les enquêteurs précisent que toutes ces farines ont
été mélangées aux productions
métropolitaines du Groupe et vendues aux fabricants d'aliments sans
préciser l'origine partiellement britannique des produits. C'est ainsi
que des fabricants ont pu recevoir, sans le savoir, des farines d'origine
anglaise ».
M. le Rapporteur
- On peut considérer qu'elles étaient
utilisées pour les porcs et les volailles.
M. Alain Glon
- Celles-là l'étaient aussi pour les bovins
puisque les farines françaises étaient réputées
saines.
M. le Rapporteur
- Il s'agit de 1996.
M. Alain Glon
- Non, la déclaration est de 1996. Pour moi, il n'y
a pas eu d'importations illégales en France.
Les Douanes et la DGCCRF ont complètement réécrit
l'histoire. Cela aurait été stupide puisque le Gouvernement
anglais, quand il a mis un embargo sur l'utilisation des farines, a
également mis en place un dispositif de rachat des farines à un
prix infiniment plus cher que celui du marché. Si on voulait la
vérité, tout le monde pourrait vérifier cette information
très facilement.
Je n'imagine pas qu'une société importe des farines à un
prix beaucoup plus cher pour le plaisir qu'elles soient anglaises. Selon moi,
il n'y a pas eu d'importations frauduleuses. Je le dis aussi pour mes
collègues.
Depuis un certain temps, nous avons vu beaucoup de situations. Nous sommes
à près de 300 ou 400 jours d'enquête chez nous.
Que sont devenus les déchets de ces animaux, à savoir les veaux
anglais importés qui devaient être tenus en quarantaine pour ne
jamais devenir adultes ? Ils sont devenus des cadavres et ont
été recyclés naturellement dans des usines
françaises. Il existe un certain nombre de ces exemples.
M. le Président -
C'est en 1997.
M. Alain Glon
- Oui. On peut aussi parler des 40 000 bêtes
importées de Grande-Bretagne sur le continent au titre de la
génétique durant la période à risques.
M. le Rapporteur
- Il s'agit bien de génétique ?
M. Alain Glon
- Oui, les Anglais ont fait beaucoup de bêtises mais
aussi des études très sérieuses et selon eux 11 % des
animaux étaient des porteurs sains.
M. le Rapporteur
- Pouvez-vous nous donner des précisions
concernant ces animaux importés ?
M. Alain Glon
- C'était au titre de l'amélioration
génétique. De même que la France vend des embryons de
Charolais dans le monde entier, des éleveurs français ont
importé de la génétique anglaise avec des animaux de bonne
qualité.
M. le Rapporteur
- Sous quelle forme ?
M. Alain Glon
- Ce sont généralement des animaux vivants
et les statistiques anglaises indiquent que 40 000 bêtes ont
été exportées en France, dont 11 % étaient des
porteurs sains.
M. le Rapporteur
- Avez-vous un document sur ce sujet ?
M. Alain Glon
- Il en existait mais je n'ai pas tout gardé.
M. le Rapporteur
- La génétique anglaise n'est pas
très bonne.
M. Alain Glon
- Elle était de bonne qualité. Cela a eu
lieu jusqu'en 1993 et peut-être même au-delà.
M. Gérard César
- De quelle race s'agissait-il ?
M. Alain Glon
- La race Holstein mais il ne convient peut-être pas
de parler de toutes les voies de contamination.
M. le Rapporteur
- C'est la première fois que je prends
connaissance de cette information concernant l'importation d'animaux
génétiquement intéressants. Je n'avais pas l'habitude de
considérer que sur le plan laitier la génétique
était intéressante à partir de Grande-Bretagne.
M. Alain Glon
- Des animaux ont été contaminés chez
certains de nos éleveurs et cela porte à s'interroger. Il existe
une coïncidence assez forte entre les zones géographiques où
ont eu lieu les importations génétiques et le nombre de cas.
M. le Rapporteur
- C'était précisément notre souci
quand nous sommes allés dans les Côtes d'Armor qui est le premier
département tristement célèbre à travers le nombre
d'animaux contaminés. Nous nous interrogions et l'une des
réponses pourrait être celle d'importations de ces animaux
génétiquement intéressants à partir de
Grande-Bretagne.
Connaissez-vous les entreprises ayant importé ces animaux ?
M. Alain Glon
- Oui, mais il n'y avait rien d'illégal dans cette
pratique. Toutefois, nous supportons mal que le fabricant d'aliments soit le
seul « cloué au pilori » dans cette affaire.
M. le Rapporteur
- Nous cherchons à comprendre.
M. Alain Glon
- Vous ne le dites pas.
M. le Président -
Cela nous permet de remonter.
M. le Rapporteur
- Concernant les veaux, nous pouvions deviner ce qui se
passait quand ils étaient sur le territoire national. S'agissant des
animaux d'âge adulte, nous n'avions aucune information.
M. Gérard César
- D'où provient le chiffre de
40 000 bovins importés de Grande-Bretagne ?
M. Alain Glon
- Ils ont été exportés par la
Grande-Bretagne sur la totalité du continent. Ce sont les statistiques
anglaises et elles peuvent être demandées à la douane.
M. le Président -
Ce sont des bovins anglais importés sur
l'ensemble du continent européen.
M. Alain Glon
- Oui.
M. le Rapporteur
- Durant quelle période ?
M. Alain Glon
- Je ne sais pas depuis quand cela se pratiquait ;
jusqu'en 1993 et peut-être même au-delà.
M. le Rapporteur
- C'est une question que nous approfondirons.
M. Alain Glon
- Sur les statistiques nous pouvons constater des erreurs
de 30 000 tonnes. Ce n'est pas surprenant car les douanes ont
été « chahutées » au 1
er
janvier
1993 et les statistiques n'ont plus été tenues.
M. le Rapporteur
- Que signifie « les douanes ont été
chahutées au 1er janvier 1993 » ?
M. Alain Glon
- A cette époque la communauté
européenne a supprimé beaucoup de contrôles douaniers. A
cette époque, les documents en douane ont été tenus par
des agents en douane divers et variés, généralement des
professions portuaires, et la complexité de la nomenclature a
généré des erreurs. Ceci a donné à
M. José Bové l'occasion de beaucoup de « pirouettes
».
Pour ma part, j'ai toujours été surpris que les ordinateurs des
douanes acceptent d'enregistrer l'entrée d'un produit interdit sur le
territoire.
Tout cela a été rectifié après un mois mais comme
le fabricant d'aliments convenait en tant que cible, cela a duré. Vous
voyez encore ces derniers éléments, qui sont sortis tout
récemment, sur des différences de statistiques entre
l'exportation belge et l'importation française.
M. le Rapporteur
- On nous a expliqué cela «
scientifiquement » ou officiellement. A partir du 1er janvier 1993, entre
la notion de déclaration d'échanges de biens et la notion de
seuil (qui est différente selon les pays de la communauté), tout
est fait pour que personne ne s'y retrouve.
M. Alain Glon
- Ou que l'on fasse du fabricant d'aliments la cible
choisie.
M. le Rapporteur
- Je n'irai pas jusqu'à ce raccourci
intellectuel. Apparemment, nous avons eu les explications et nous retrouvons
à peu près, à 1 000 ou 2 000 tonnes près,
les tonnages.
M. Alain Glon
- Avez-vous vu les rectifications qui pourraient retirer
l'émoi dans la population ?
M. le Rapporteur
- Non. Les avez-vous ?
M. Alain Glon
- Dire la vérité à la presse ne
présente pas d'intérêt.
M. le Rapporteur
- Pour nous si, c'est l'objet de cette commission.
M. Alain Glon
- Vous savez que les différentiels de seuil entre
le niveau de déclaration en Belgique et en France provoquent des
écarts statistiques.
M. le Rapporteur
- Il est vrai que c'est ubuesque, mais nous en avons
pris acte. Si vous disposez d'autres informations autour de cette
période de 1993 nous sommes prêts à les entendre.
M. Alain Glon
- Mon intime conviction est qu'il n'y a pas eu de fraude
et cela aurait dû être dit depuis longtemps.
M. le Rapporteur
- Il y a eu incohérence.
M. Alain Glon
- Oui. Tout cela a été rectifié par
la DGCCRF en 15 jours et par les Douanes en un mois, mais les
communiqués qui devaient être publiés à la suite de
cette remise en ordre n'ont jamais été faits.
M. le Président -
Pour qui cette remise en ordre
était-elle nécessaire ?
M. Alain Glon
- Pour rétablir la vérité.
M. le Président -
Ce pourrait être consultable après
quelques années pour indiquer qu'il n'y avait rien. Qui cela pouvait-il
cacher ?
M. Alain Glon
- Le fabricant d'aliments est la cible qui convient.
M. le Président -
C'est le résultat. A votre avis,
c'était donc destiné à cacher quelqu'un d'autre.
M. Alain Glon
- On peut s'interroger pour savoir qui tamponnait les
certificats sanitaires des farines animales que nous importions, les uns ou les
autres, de Grande-Bretagne, qui vérifiait la qualité des
installations des équarrisseurs français ou qui contrôlait
les veaux, les vaches et les 130 000 tonnes d'abats importés, et
consommés, chaque année durant cette période ? Je ne
suis pas certain qu'il convienne d'en parler.
M. le Président -
Vous venez de le dire.
M. Alain Glon
- Je ne suis qu'un observateur et je me pose des
questions.
M. le Rapporteur
- Vous dites que malgré les incohérences
à partir du marché unique au 1er janvier 1993, on retrouve
malgré tout l'ensemble des tonnages.
Parlez-nous des fameux problèmes de contaminations croisées. Nous
avons visité des entreprises, tant dans les Côtes d'Armor que dans
d'autres départements. Je pense que doucement, ou plus rapidement, les
entreprises françaises se sont adaptées à séparer
les circuits de fabrication.
Toutefois, que pouvez-vous nous dire concernant la reprise des lots ? En
effet, nous nous interrogeons (et nous ne sommes pas les seuls) sur de telles
pratiques dans les exploitations agricoles où, la production
étant terminée, l'entreprise reprenait et réincorporait
les farines. Comment cela se passait-il chez vous ?
M. Alain Glon
- Nous avons fait l'objet d'enquêtes, au moins
autant que je vous l'ai indiqué, et pas un seul défaut n'a
été trouvé. Je crois que nous avons toujours
appliqué les méthodes avec une certaine rigueur.
Il serait simple de vérifier, pour chaque fabricant d'aliments, quel est
le nombre d'élevages (de clients) avec la BSE. Dans le premier
département que nous fournissons, le Morbihan, 9 cas de BSE ont
été constatés et il ne s'agit pas de nos clients. Cela
peut laisser entendre que nos méthodes étaient rigoureuses.
Concernant votre question, il est évident que des éleveurs (qui
ne s'en cachent pas) ont parfois donné des aliments pour volailles
à des bovins.
M. le Rapporteur
- C'est de la contamination croisée in situ,
à savoir dans l'élevage. Je parlais de la reprise d'aliments par
l'industriel, ce qui est logique, en cohérence avec l'éleveur.
Comment ces tonnages étaient-ils recyclés ensuite ?
Il me semblait, compte tenu du fait que les formulations des aliments du
bétail, jeunes bovins ou truies, étaient les plus simples qu'ils
pouvaient plus facilement recevoir ces retours de lots. Confirmez-vous que
c'est facile ?
M. Alain Glon
- Oui, en l'absence d'attention voulue, l'aliment repris
en élevage peut être considéré comme une
matière première comme une autre.
M. le Rapporteur
- Confirmez-vous que la réincorporation des
retours de lots est plus aisée sur les aliments pour truies ou jeunes
bovins, par rapport aux aliments pour bétail (par exemple les vaches
laitières) dont la formulation est plus rigoureuse ?
M. Alain Glon
- Non. Certains ont peut-être mis en oeuvre ce type
de pratique mais je n'en connais pas la raison spécifique.
Néanmoins, ce sujet m'interpelle. Même s'il y a eu une
contamination croisée, il aurait fallu que les farines animales entrant
dans l'alimentation des volailles ou autres soient contaminées. Comment
expliquez-vous que ces farines puissent être contaminées sur toute
la France ?
M. le Rapporteur
- Avant 1996, il n'était pas
procédé au retrait des matériaux à risques
spécifiés et certaines importations pratiquaient un
mélange.
M. Alain Glon
- Il est évident que dans certaines régions
(dans le Puy-de-Dôme ou les élevages de Montbéliardes)
aucune farines anglaises ne sont parvenues.
M. le Rapporteur
- C'est là où le relais semblerait pris
par les lacto-remplaceurs.
M. Alain Glon
- C'est la nouvelle cible.
M. le Rapporteur
- Il faut considérer que nous sommes ici presque
tous dans la même situation : nous cherchons à comprendre et
non pas à accuser.
Nous avons entendu parler ici des graisses, des suifs, etc. incorporés
dans les aliments d'allaitement. En tant que professionnel, pensez-vous que ce
pourrait être une explication sur les races allaitantes ?
M. Alain Glon
- Croyez-vous que beaucoup de matières grasses
(destinées à la fabrication des aliments pour veaux) aient
été importées de Grande-Bretagne ?
M. le Rapporteur
- Avant 1996 (la date fatidique du retrait des
matériaux à risques spécifiés) les farines ou les
co-produits animaux n'étaient pas sécurisés.
M. Alain Glon
- A ma connaissance, il n'y a jamais eu d'importations de
matières grasses animales en provenance de Grande-Bretagne car les
données du marché ne les justifiaient pas.
Que la graisse soit en cause, pourquoi pas, mais d'où provient la
contamination de cette graisse ?
M. le Rapporteur
- Des animaux recyclés avant 1996.
M. Alain Glon
- Vous laissez donc entendre qu'il y avait en France
beaucoup de vaches folles.
M. le Rapporteur
- Il y en avait.
M. Gérard César
- Comment expliquez-vous que les farines
françaises n'étaient pas saines ?
M. Alain Glon
- Les procédés de traitement
pratiqués en France, en Grande-Bretagne et dans d'autres pays
étaient les mêmes puisque les Anglais appelaient cela le «
procédé français » extrapolé de la fabrication
des farines de poisson. En raison de l'atténuation de l'intensité
du traitement et des mutations d'espèces (Mme Brugere-Picoux
pourrait vous en parler mieux que moi) il s'est passé certaines choses.
En Suisse, le nombre de cas d'ESB est important alors qu'ils n'ont
importé que 7 tonnes de farines de viande de Grande-Bretagne et quelques
dizaines de milliers de tonnes de France.
C'est un peu comme pour Tchernobyl, les prions respectent les
frontières. Des situations simples doivent être observées.
M. le Rapporteur
- Vous dites que les Anglais appelaient cela la «
méthode française », or en 1987/1988 les Pouvoirs Publics
français avaient alerté les fabricants d'aliments en leur
indiquant que les conditions de fabrication des farines anglaises ne
répondaient pas aux critères utilisés en France et
recommandés. Il était conclu et recommandé la plus grande
prudence.
D'après ce que j'ai lu, le process de fabrication des farines anglaises,
abaissant les 3 paramètres, relevait plutôt d'un brevet
américain. Contredisez-vous cela ?
M. Alain Glon
- C'est le procédé Stord bartz system mais
le même était également utilisé en France.
M. le Rapporteur
- C'était un brevet américain qui a
été pratiqué en France.
M. Alain Glon
- Le terme de « brevet » américain est
trop fort. Des fabricants de matériels en France ont reproduit les
mêmes équipements.
Des commissions ont circulé dans un certain nombre
d'équarrissages français et ont fait des constats pour
vérifier quelles étaient les méthodes appliquées.
M. le Rapporteur
- Vous êtes ferme : à partir de 1983,
date du choc pétrolier, la compression des coûts fixes a conduit
à une diminution de l'utilisation du pétrole pour chauffer les
farines aussi fort et aussi longtemps.
M. Alain Glon
- Oui. Tout cela nous interpelle et je pense que des
experts ont réalisé des tests, en laboratoire, pour savoir
jusqu'où il était possible de baisser l'intensité du
traitement tout en satisfaisant à la norme réglementaire
(campilobacter et salmonelles), en ignorant la présence du prion.
Quand on se rend dans un équarrissage à 2 ou 3 heures du matin,
on devient prudent sur la possibilité de transposer à l'usine ce
qui se passe dans le laboratoire. Si la Communauté a imposé le
chauffage à 133° pendant 20 minutes à une pression de 3
bars, elle a également précisé qu'aucun morceau ne devait
dépasser 10 mm de côté. En effet, la présence d'un
caillou peut percer une grille de broyeur et si un morceau plus gros passe,
alors que la pression n'est plus la même, je ne suis pas certain que le
produit soit traité à coeur.
Il y a probablement eu trop de certitudes scientifiques transposées dans
un univers qui n'avait rien à voir.
M. Gérard César
- Quelles sont les commissions ayant
visité des équarrissages ?
M. Alain Glon
- C'était pratiqué en plein jour. Nous en
avons parlé avec le professeur Dormont et nous sommes allés en
visiter. C'est un métier comme un autre.
M. Gérard César
- Concernant le process américain,
avez-vous des documents à nous remettre ?
M. Alain Glon
- Non.
M. Gérard César
- Ce n'est pas un brevet mais plutôt
un process.
M. Alain Glon
- Nous n'avons pas de documents car nous ne sommes pas
équarrisseurs.
M. Gérard César
- Vous travaillez avec eux.
M. Alain Glon
- Oui.
M. Gérard César
- Concernant la concurrence entre les
fournisseurs d'aliments, il semble que certains cas déclarés dans
les élevages révèlent qu'ils avaient été
alimentés par plusieurs fournisseurs d'aliments au cours des
années passées.
Y a-t-il eu une guerre des prix entre les fournisseurs d'aliments et, si oui,
quelles sont les raisons ayant permis à certains de baisser leurs prix
d'aliments ?
M. Alain Glon
- La compétition existe tous les jours. Nous sommes
dans des activités où la marge n'est que de 1 %. Je ne peux
pas appeler cela une guerre des prix ; il s'agit d'une concurrence
permanente comme entre tous commerçants. Je ne crois pas que certains
aient pu baisser leurs prix.
M. Gérard César
- Concernant les équarrisseurs,
vous indiquiez qu'à votre connaissance ils avaient un grand commerce
européen. Avez-vous eu des doutes ou des inquiétudes suffisamment
tôt sur l'origine des produits qu'ils commercialisaient auprès des
fournisseurs d'aliments ?
M. Alain Glon
- La géographie prime en la matière. Les
coûts de transport sont tels qu'en règle générale
l'approvisionnement vient d'un équarrissage voisin.
Quand les prix deviennent anormalement élevés par rapport aux
autres pays de la communauté, les fabricants d'aliments situés
à proximité des frontières se fournissent à
l'étranger. Pour le reste, c'est la loi du marché.
Nous n'avons pas eu de doute spécifique, hormis sur la volonté de
cacher leur existence.
M. Georges Gruillot
- Concernant les importations de farines pour les
Suisses, il s'agit de 7 tonnes provenant d'Angleterre. Or, d'autres personnes
auditionnées ici nous ont indiqué qu'il s'agissait d'un chiffre
bien plus élevé.
Sur quelle base pourrait-on s'appuyer pour avoir un chiffre correspondant
à la réalité ?
M. Alain Glon
- Sur les statistiques des douanes suisses.
M. Georges Gruillot
- Les Suisses ont-ils toujours importé
beaucoup de farines de viande, notamment de France ?
M. Alain Glon
- De France, oui.
M. Georges Gruillot
- Il y a 20 ou 25 ans, dans mon propre
équarrissage les farines produites n'étaient achetées que
par les Suisses car personne en France n'en voulait. Le chiffre de 7 tonnes me
semble faible.
M. Alain Glon
- C'était essentiellement pour fabriquer des
médicaments.
M. Georges Gruillot
- Pour l'alimentation, ne sont-ils pas passés
par la Belgique, la Hollande ou l'Allemagne ?
M. Alain Glon
- Je dispose de statistiques d'importations suisses ;
il suffit de les demander aux autorités suisses.
Le document que je vous présente indique : « 122 -
Grande-Bretagne - 75 kilogrammes ».
M. le Rapporteur
- Ce sont des farines ?
M. Alain Glon
- C'est la même rubrique douanière, ce qui
explique la complexité. Ces importations étaient destinées
à la fabrication de médicaments.
Pourquoi SANOFI a-t-il racheté SARIA Industries ?
M. le Président -
SARIA Industries n'est-il pas allemand ?
SANOFI est la filiale d'ELF.
A force de sous-entendus dans tous les domaines, nous en arrivons à ne
plus rien comprendre. J'aimerais que vous parliez clairement dans tous les
domaines et que vous alliez jusqu'au bout de vos phrases. Ce n'est pas une
accusation mais une constatation ; je vous demande de la clarté.
M. Alain Glon
- En 1973 les Etats-Unis ont mis un embargo sur le soja et
le Président Georges Pompidou a affirmé qu'il faudrait se passer
de ce produit. Cela ne se passera pas ainsi et le prix des farines animales a
beaucoup augmenté puisqu'il s'agit d'une protéine en
compétition avec le soja.
A l'époque, le Plan protéines a été
institué. Claude Calet indiquait que « les rognures
ramassées au bord des assiettes pourraient procurer une grande
quantité de viande ». Cela a d'ailleurs été fait plus
tard puisque dans les ateliers de découpe il ne s'agit que de cela.
A partir de cette date, l'Etat français a commencé à
racheter très cher les équarrisseurs qui étaient des
entreprises familiales. Elles ont été rachetées par deux
Groupes, EMC, pour fabriquer de la gélatine, et SANOFI, pour les
médicaments. Ces entreprises sont restées très longtemps
la propriété de l'Etat jusqu'à ce qu'elles soient vendues
à une société allemande. Elles ont été
ensuite rapidement revendues à un équarrisseur allemand qui est
donc propriétaire de SARIA Industries. C'est aujourd'hui allemand, mais
c'est récent.
La Suisse accusait la France de ne pas l'avoir prévenue suffisamment
tôt et des entreprises suisses ont continué à fabriquer des
médicaments avec des organes qui n'étaient peut-être pas
sans risques.
M. le Président -
Méfiez-vous de vos propos. Quand vous
parlez de médicaments, je n'imagine pas qu'ils puissent contenir des
farines animales.
M. Alain Glon
- Il ne s'agit pas de farines animales mais de glandes
bovines. Ceci explique les faibles quantités achetées à la
France pour fabriquer des produits pharmaceutiques.
M. le Président -
Je vous remercie de nous procurer une
photocopie du document concernant les importations suisses.
Merci d'être venu témoigner de ce qui s'est passé dans
votre entreprise, comme dans d'autres, et d'avoir fourni le maximum de
renseignements.
M. Gérard César
- Les articles de presse nous
intéressent également.