Audition de M. Christian HUARD, président de Conso France, regroupant les associations de consommateurs ADÉIC, ALLDC, CNAFAL, CNL, CGL et INDECOSA-CGT

(24 janvier 2001)

M. Roland du Luart, président - Nous recevons maintenant M. Christian Huard, président de Conso France, qui regroupe plusieurs associations de consommateurs : ADÉIC, ALLDC, CNAFAL, CNL, CGL et INDECOSA-CGT.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Huard.

M. le Président - Je vous remercie, monsieur le Président. Vous avez la parole pendant une dizaine de minutes, si vous en êtes d'accord, pour présenter votre association et nous donner votre sentiment sur le problème sur lequel nous travaillons, après quoi le rapporteur ainsi que mes collègues vous poseront les questions qu'ils souhaiteront.

M. Christian Huard - Je ne vais pas prendre beaucoup de temps pour présenter Conso France, qui est effectivement une coordination d'associations nationales de consommateurs dont vous avez donné la liste et qui avait fait l'un des dossiers prioritaires, lors de sa constitution, sur le problème de la sécurité alimentaire en général.

Cela dit, pour répondre à la question sur le pourquoi et le comment, même si je ne pense pas que ce soit l'intérêt de la commission ni de votre rapport, sachez que je tiens à dire aujourd'hui que j'ai accepté de venir ici de bon gré non pas comme expert juridique, comme expert technique ou comme scientifique mais comme représentant des citoyens consommateurs qui se posent de grandes questions.

L'avantage de Conso France par rapport à la seule association dont je suis aussi responsable, l'ADÉIC-FEN, c'est de pouvoir disposer de témoignages (c'est la grande difficulté que nous rencontrons et que vous rencontrerez) tant de salariés de l'ensemble de la filière agricole que de chercheurs publics ou privés qui, notamment par la voie de l'adhésion, tiennent à nous informer d'éléments d'interrogation, que cela vienne d'éleveurs ou d'opérateurs économiques qui, pour la plupart, à chaque fois qu'on leur demande de bien vouloir témoigner officiellement, y compris en cas de recours, nous disent : « nous ne souhaitons pas le faire. Nous vous informons au titre de citoyens mais, à titre de professionnels, nous ne pouvons pas nous engager compte tenu des risques ou des difficultés que nous pourrions rencontrer ».

Je confirme ce que disait récemment un juge d'instruction chargé d'une enquête dans cette affaire. Nous sommes dans un dossier, et non pas seulement sur les farines, dans lequel il règne quand même une certaine loi du silence qui nous complique la tâche et nous oblige à faire preuve d'une encore plus grande vigilance par rapport à d'autres secteurs professionnels avec lesquels nous travaillons et dans lesquels il y a un peu plus de transparence et de respect des obligations.

Lors d'une émission télévisée au Sénat, à laquelle on m'avait invité avec vos collègues parlementaires, j'avais dit que le problème, aujourd'hui, n'était plus tellement de trouver de nouveaux droits ou de nouvelles lois mais de rechercher une meilleure application des lois, droits et obligations existants, tant il nous apparaît, quand on fait la somme des éléments d'information dont nous disposons, et non pas forcément des témoignages sur lesquels nous pourrions vous apporter des preuves, que l'un des grands problèmes de la filière bovine, et bien au-delà de celle-ci, c'est le respect des dispositions législatives et réglementaires qui sont prises.

Je le dis en introduction pour justifier le fait que je ne vais pas m'en tenir aux seules farines animales. En effet, le dossier, chez nous, n'est pas celui des farines animales mais celui de la vache folle, de la production bovine et, au-delà, de la production de viande. Cependant, nous aurons aussi l'occasion de revenir sur les risques que l'on fait prendre aux consommateurs dans les techniques et les méthodes de production des végétaux, même si je n'en parlerai pas aujourd'hui.

Sur l'ensemble des filières viande, il faut avoir une vigilance accrue compte tenu de méthodes qui sont utilisés dans ces filières et qui ne sont pas respectueuses, loin s'en faut, de la législation, qu'elle soit européenne ou nationale, mais néanmoins plutôt plus dans notre pays que dans d'autres --j'y reviendrai tout à l'heure--, ce qui nous pose de vrais problèmes et nous conduit à faire preuve d'un grande vigilance.

Ce n'est pas un spécialiste qui va vous parler mais plutôt un représentant des citoyens qui est à une place où il doit concentrer des informations d'origines variées et diverses.

In fine, pour la première fois, je sortirai d'un silence sur une question que l'on nous a posée et je vous en réserverai la primeur parce que je considère qu'aujourd'hui, en témoignant ici, je me dois, au nom de Conso France, de vous informer d'une interrogation forte qui n'a jamais été évoquée sur le problème de la vache folle et sur laquelle votre commission d'enquête pourra peut-être déblayer des terrains qui n'ont jamais été évoqués jusqu'alors, pas plus dans les médias que chez un quelconque responsable de la filière, et qui pourraient peut-être même exonérer certains acteurs de la filière de leur responsabilité en la matière.

Cela étant dit, en ce qui concerne cette affaire de la vache folle, je noterai tout d'abord que la gestion de cette crise, sur le terrain politique, a été vraiment en notre défaveur.

Quelques faits. Cette crise a redémarré en octobre 2000, à la suite de l'affaire Carrefour, mais nous avions déjà communiqué dans les mois précédents en disant : « nous sommes repartis vers une crise ». Nous ne savions pas quand elle allait éclater mais nous pressentions à l'époque que les choses n'allaient pas se lisser toutes seules et qu'elles allaient à nouveau éclater.

Lorsque nous avons vu la manière dont cette crise a été gérée en France et en Europe, nous avons été très inquiets. Jamais les organisations de consommateurs n'ont rencontré les ministres de l'agriculture concernés, qui se refusent à toute rencontre avec ces organisations. Les décisions sont prises essentiellement par les ministres de l'agriculture en Europe et il n'y a jamais eu une seule réunion du conseil des ministres de la consommation ni aucune réunion du conseil des ministres de la santé au niveau européen lors de cette crise de la vache folle.

Toutes ces décisions ont été prises par les ministres chargés de la responsabilité économique de la filière agricole, et je le dis avec beaucoup de sérénité.

Il faut dire qu'en France, nous n'avons toujours pas de ministre de la consommation. Nous avons un secrétaire d'Etat qui, après les PME, les PMI, le commerce et l'artisanat, qu'il a en charge directe, est "chargé de la consommation", mais non pas des associations de consommateurs.

Au niveau européen, en revanche, les choses ont beaucoup bougé. Sur les vingt-quatre commissaires, l'un deux est chargé aujourd'hui de la santé et de la consommation, le commissaire Byrne, que vous connaissez sûrement.

En France, nous n'avons pas du tout les mêmes structures. Même l'Allemagne, après la crise qu'elle vient de connaître, a décidé de créer un ministre de la santé et de la consommation. En France, il y a incontestablement une sous-estimation de l'intérêt de la santé et de la protection économique des consommateurs dans les prises de décision politiques. Je pèse mes mots et je suis méchant ou volontairement précis dans mes mots, mais je pense qu'aujourd'hui, on le paie gravement.

Il a donc fallu que les consommateurs, c'est-à-dire les individus, se mettent à refuser de consommer, à décider d'en consommer moins ou à choisir d'autres morceaux pour que la question politique soit posée.

Si l'on veut se ménager d'autres crises à venir (je sors du cadre de cette commission d'enquête mais c'est une réalité nationale ou européenne vécue et partagée par toutes les associations de consommateurs, si bien que ce n'est pas plus propre à Conso France), il faudrait changer les méthodes de concertation et de décision.

J'en veux pour preuve la réunion de la semaine dernière avec l'ensemble des acteurs de la filière bovine sur l'impact des tests. Qui va payer les tests ? Les consommateurs, alors que les seuls acteurs de cette filière économique qui n'ont pas été convoqués et que l'on a même refusé d'entendre : les organisations de consommateurs. La décision est donc tombée. Les absents ayant tort, ce seront les consommateurs qui paieront in fine le prix des tests. Circulez, il n'y a plus rien à voir !

Quand nous disons que c'est dramatique, y compris sur la filière bovine, nous nous retrouverons certainement dans deux ou trois mois pour constater les effets d'une décision qui n'a pas pris en compte les intérêts économiques et sanitaires des consommateurs et nous ferons encore du "pédalage à revers" pour remonter une nouvelle crise qui aura été créée faute d'entendre, de vouloir écouter et de vouloir prendre en considération à la hauteur nécessaire les intérêts des citoyens consommateurs. Cette formule n'est pas de moi mais je la fais mienne aujourd'hui.

A partir de là, nous avons transmis dix propositions, dès la fin octobre, à Mme Lebranchu (j'espère que vous les avez reçues également), au moment de son remplacement par M. François Patriat, secrétaire d'Etat des PME-PMI et du commerce. Cela se passait juste avant l'éclatement de l'affaire Carrefour et je vais revenir sur ces dix propositions pour en mesurer l'impact. En effet, si on nous avait écoutés à l'époque, on n'aurait pas perdu quelques mois de plus qui ont coûté fort cher aux acteurs économiques de la filière bovine. Ces dix propositions, que je vais résumer sans vous les exposer de façon précise, concernaient déjà le dépistage.

Nous pouvons dire que nous sommes satisfaits de la décision européenne, mais je rappelle qu'elle n'a toujours pas de forme juridique : il n'y a pas de règlement européen ni de directive européenne et on ne sait toujours pas quelle forme elle va prendre. De plus, comme elle va être soumise au Parlement européen, on a encore un délai de mise en oeuvre. Pour l'instant, nous en sommes encore dans le domaine de la bonne volonté des Etats et des acteurs pour la mettre en oeuvre.

Début janvier, on a simplement modifié l'arrêté fixant les obligations des abattoirs en France, mais je rappelle que cet arrêté ne porte que sur les viandes abattues en France, c'est-à-dire que, jusqu'au 1er juillet 2001, et pour autant que la disposition européenne soit prise et que le règlement ou la directive soit publié (il faut encore prévoir un délai de mise en oeuvre dans les Etats et c'est pourquoi nous préférons plutôt un règlement européen, mais ce n'est pas nous qui en disposerons, sachant que la Commission est en train de travailler sur la forme juridique de cette contrainte ou obligation), alors que sortent de Rungis 50 % des viandes qui sont produites et abattues en France, le reste étant produit et abattu hors de France (même si ce n'est pas la seule source d'approvisionnement de viande bovine en France, c'est quand même la principale), jusqu'au 1er juillet 2001, donc, 50 % des viandes qui seront encore mises en vente ne seront pas testées.

Quand nous demandons que l'on indique bien aux consommateurs quelles sont les viandes de plus de trente mois qui ont été testées et celles qui ne le sont pas, c'est simplement pour garantir au consommateur que, dans 50 % des cas, si cela a plus de trente mois, ce n'est pas testé. Cela permettra aussi de faire pression sur les viandes d'origine européenne, voire étrangère, qui ne sont pas soumises à cette obligation de tests, ce qui crée une pénalité pour les consommateurs de viande française. En effet, autant les viandes françaises vont avoir l'impact du test sur leur prix, autant les viandes importées de pays où les tests ne sont pas mis en place n'auront pas le même impact.

Au-delà de l'insécurité, nous aurons donc une forme de dumping économique sur les coûts. Au-delà du 50/50, nous risquons même d'avoir une importation massive de viandes européennes d'ici le 30 juin. Les indications qui me viennent "d'amis", c'est-à-dire d'adhérents, qui travaillent à Rungis me montrent que c'est en place. Autrement dit, pendant ces six mois, nous aurons non pas une relance de la filière bovine française sur laquelle on fait porter des responsabilités et des contraintes mais, à l'inverse, une importation massive de viandes européennes.

Je plaide pour cela ici parce qu'il me semble que les pouvoirs publics ne se montrent pas à la hauteur de leurs obligations de relance de la filière économique. Ce n'est pas mon rôle de le dire, mais je pense qu'une filière qui est saine et qui se porte bien économiquement a plus de chances d'être sûre en termes de produits donnés aux consommateurs. En tout cas, je crains que nous ayons des effets parasites forts d'un manque de cohérence européenne dans l'urgence des décisions à prendre.

Je n'en dirai pas plus sur le problème du dépistage mais nous sommes inquiets de voir qu'on laisse croire aux Français qu'ils ont maintenant des viandes de plus de trente mois dépistées alors que ce ne sera pas le cas avant au moins le 1er juillet si, d'ici là, le règlement ou la directive européenne n'est pas publiée, sachant que si c'est une directive, cela prendra plusieurs mois de plus.

Je rappelle aussi qu'en matière de traçabilité, la France est grande importatrice d'abats bovins. Les Français semblent davantage aimer les abats bovins avec une tradition de transformation par des cuisiniers de renom. Or beaucoup de scientifique attirent notre attention sur les risques supplémentaires non pas des matériaux à risques spécifiés mais de certains types d'abats. Il n'y a pas longtemps que l'on vient d'interdire le ris de veau, comme vous le savez, et bien d'autres abats sont encore en interrogation aujourd'hui.

M. Jean Bernard - On viendrait de le rétablir.

M. Christian Huard - Il est compliqué de s'y retrouver dans les abats qui sont autorisés ou non aujourd'hui, d'autant que le ris de veau vient du veau et qu'il n'y a pas de matériaux à risques spécifiés dans le veau dès lors qu'il est à moins de douze mois. Cela dit, nous y reviendrons aussi parce que nous avons des vrais problèmes d'interprétation de ces limites sur lesquelles nous n'avons pas forcément les précisions qui conviennent.

Sur le dépistage, nous avons des interrogations sur le choix des tests, même si ce n'est pas forcément sur ce sujet que nous en avons le plus, mais l'élément qui, à mon avis, a le plus d'importance, c'est la non-harmonisation des contrôles en Europe. Il s'agit là non seulement des statuts ou de l'organisation publique ou privée mais aussi de la compétence et des moyens techniques, je dirai même des normes techniques mise en oeuvre pour effectuer ces contrôles.

En clair --il n'est pas « franchouillard » de le dire mais il est bon de le rappeler--, il faut reconnaître qu'en France, sur le plan théorique, nous disposons de systèmes de contrôle et d'obligations de finesse de contrôle que l'on ne retrouve pas dans les autres pays. Comment peut-on comparer une chose qui est contrôlée dans un pays et qui ne l'est pas dans un autre alors qu'on n'a pas appliqué les mêmes normes ni les mêmes obligations techniques de contrôle ?

Pour ce qui est de la détection de la présence de morceaux d'os dans les farines végétales, on n'applique pas les mêmes contrôles. Il n'est donc pas étonnant que l'on n'ait pas forcément les mêmes résultats suivant que l'on considère que la farine a été contrôlée en Allemagne avec tel procédé ou ailleurs avec tel autre.

A cet égard, je tiens à apporter un témoignage qui m'a été apporté par des sources très diverses et à de multiples reprises. L'urgence, au niveau européen, aujourd'hui, serait d'harmoniser ces contrôles. Il n'est pas possible de continuer d'avoir des contrôleurs, notamment au Royaume-Uni, qui soient payés par les contrôlés.

Lors de l'adoption de ce qu'on avait appelé « la loi Vasseur » sur l'extension du code rural, toutes les associations de consommateurs avaient protesté contre le fait que, si les vétérinaires privés, dans leurs obligations avec leurs clients, étaient payés par leurs clients, cela ne pouvait générer que des troubles. On a eu le même problème dans le domaine financier : quand les contrôleurs aux comptes des entreprises sont payés par les entreprises, comment peut-on exiger d'eux une totale indépendance ? On ne peut pas être naturellement indépendant de ceux qui paient. C'est rêver que d'écrire cela dans une loi ou un texte réglementaire.

Voilà pourquoi la notion d'indépendance, de qualification des contrôles et d'agrément des contrôleurs devient vraiment un problème européen. Cela ne peut pas rester à la libre disposition des Etats. Il ne sert à rien d'avoir, pas plus en France qu'ailleurs, des obligations ou des directives réglementaires ou législatives si, derrière cela, on n'a pas harmonisé les moyens de contrôler leur bonne application dans les mêmes conditions dans tous les Etats.

Je pourrais prendre l'exemple des Pays-Bas, qui nous inquiète le plus. Cela figurera dans le compte-rendu et ils le sauront alors peut-être. Au Pays-Bas, il faut savoir que les contrôles, notamment dans les ports (c'est un pays de grande importation, ce qui permet de nationaliser hollandais des produits qui sont parfois fabriqués, produits ou élevés dans d'autres pays de l'Union européenne), portent essentiellement sur les taxes portuaires et non pas sur le contenu des matériaux ou des aliments, quels que soient les secteurs, dès lors qu'ils ne sont pas destinés à la consommation aux Pays-Bas.

En fait, le grand trou des contrôles en Europe est à rechercher aux Pays-Bas. C'est aussi pour cela que les Pays-Bas, pour ne prendre qu'un exemple récent, sont le seul pays où il n'y a pas eu de problèmes de dioxine dans l'alimentation. Les effets sont liés à la cause que je viens de donner : il n'y a pas de contrôle indépendant et efficace mis en place dans ce pays. C'est aussi pour cela que nous avons d'énormes trous en matière de sécurité sanitaire, et non pas simplement alimentaire.

Vous m'excuserez d'être un peu bavard, mais j'essaie pourtant d'aller à l'essentiel sur un certain nombre de faits, de reproches ou de constatations.

J'en arrive aux farines.

Je tiens tout d'abord à préciser que, depuis 1996, toutes les associations de consommateurs, en France, demandent l'interdiction des farines. Même si cela constitue un retour en arrière, vous me permettrez d'indiquer les fondements de cette demande.

Ce n'était pas une demande poujado-consumériste et il ne s'agissait pas d'affoler la population. Simplement, nous disions que le fait de l'interdire pour les bovins sans l'interdire pour tous les animaux comportait un risque de contaminations croisées lors des transports et des stockages (je suppose que bien d'autres personnes auditionnées ont dû intervenir sur ce dossier), même si nous n'y croyons pas beaucoup : ce n'était pas, pour nous, la principale cause.

Deux autres conséquences nous inquiétaient.

La première, c'est que le fait que ces farines animales étaient données aux poissons (bien que les pisciculteurs ont très vite décidé de ne plus utiliser de farines animales) faisait courir un grand risque de contamination de l'eau. Des spécialistes nous disent qu'un certain nombre de bovins ont pu être contaminés non pas par leur alimentation de farine mais par l'eau, notamment dans les élevages extensifs, où on ne leur avait donné aucune farine.

Or, si l'eau est contaminante pour les bovins, elle l'est aussi nécessairement pour les humains. Quand on sait que le prion, si c'est bien cette protéine qui est en cause --j'y reviendrai--, peut résister à des années et à des conditions climatiques et physiques extrêmement dures sans subir aucune dégradation ou modification chimique, on peut estimer aujourd'hui que l'on a fait prendre un risque, en n'interdisant pas les farines animales aux poissons, peut-être plus dangereux pour l'homme à terme de par les concentrations dans les nappes phréatiques.

Je dis cela à partir d'avis « d'experts » qui nous disent qu'il faudra fortement s'interroger, dans les années qui viennent, sur la contamination de cette maladie par l'eau.

M. le Président - M. le Rapporteur va vous interrompre.

M. Jean Bizet, rapporteur - Sur ce point précis, avez-vous des documents scientifiques ou des notes de ces experts ?

M. Christian Huard - Non.

M. le Rapporteur - Ce sont des conversations ?

M. Christian Huard - Nous avons des contacts avec un certain nombre de chercheurs du CNRS à ce sujet.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir des tirés à part ou des notes de ces chercheurs du CNRS ?

M. Christian Huard - Avant de venir, je leur ai demandé si je pouvais donner leur nom pour que vous les invitiez à témoigner et leur réponse a été non.

M. le Rapporteur - Ce serait pourtant important. Nous sommes une commission d'enquête et je me permets de vous rappeler que vous avez prêté serment devant l'ensemble de l'assistance. Par conséquent, à partir du moment où vous affirmez un certain nombre de choses, il faut aller jusqu'au bout.

M. Christian Huard - J'ai dit que la contamination par l'eau était une grande interrogation que nous devons avoir aujourd'hui sur les capacités chimiques du prion, si cette protéine est bien en cause.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir précisément le nom de ces chercheurs qui, au CNRS, partagent ces interrogations ou vous en ont fait part ?

M. Christian Huard - Ils ne sont pas habilités à témoigner en tant que chercheurs du CNRS.

M. le Rapporteur - C'est un peu surprenant.

M. le Président - C'est un établissement public français, quand même.

M. Christian Huard - Quand des gens parlent en confidence en tant qu'adhérents de l'association et viennent nous voir en tant que citoyens pour nous dire : « voilà les interrogations que nous avons à plusieurs », ce n'est pas du domaine du CNRS et je ne peux pas aller plus loin vis-à-vis de mes adhérents qui témoignent de beaucoup de choses dont je fais état ici par loyauté.

Sinon, j'arrête tout et je n'aurai plus grand chose à dire. Nous n'avons pas, nous, les outils d'investigation dont dispose une commission d'enquête parlementaire. Nous sommes amenés à travailler avec des gens variés qui sont, pour la plupart, des adhérents de l'association.

De la même façon, les éleveurs dont nous avons pu récupérer le témoignage dans certains départements refusent de venir témoigner de ce qu'ils nous ont dit ou de ce qu'ils ont fait.

M. le Rapporteur - Dans ce cas, au nom de notre commission d'enquête, nous demanderons au CNRS de mandater un certain nombre de chercheurs qui travaillent sur le domaine de l'eau et nous ferons état de vos allégations.

M. Christian Huard - C'est de votre responsabilité. Au contraire, si ces gens pouvaient être autorisés à se mettre à parler, ce serait une bonne chose.

M. le Rapporteur - C'est la responsabilité éminente de la commission.

M. Christian Huard - Je dis ce que je sais. Je vous ai dit en introduction que bien des témoignages et des éléments d'information nous sont transmis par les adhérents des associations réunies dans Conso France et que, dans un certain nombre de cas, ils ne souhaitent pas que l'on communique leur nom ni leurs coordonnées.

M. le Rapporteur - Comment voulez-vous que nous fassions des progrès sur ce point ? S'il y a eu des manquements, nous sommes obligés de les signaler. Ce point nous trouble énormément.

M. Christian Huard - Interrogez les spécialistes de l'eau et vous verrez bien ce qu'ils seront amenés à vous dire. Je ne peux pas témoigner à leur place ni donner leur nom.

M. le Rapporteur - On ne vous demande pas de témoigner à leur place. On vous demande simplement les noms de ces chercheurs au CNRS qui vous ont fait ces confidences.

M. Christian Huard - Ils n'ont pas fait des confidences en tant que chercheurs au CNRS car ils ne sont pas autorisés à en parler. Ce ne sont que des hypothèses et des travaux qu'ils mènent pour certains d'entre eux et le CNRS n'est pas le seul concerné, pour tout vous dire.

M. le Rapporteur - Dans ce cas, quels autres organismes travaillent sur cette question ?

M. Christian Huard - En tout état de cause, ils sont venus nous voir en tant qu'adhérents de l'association et j'atteste ici qu'ils ont été entendus soit par moi, soit par d'autres responsables de Conso France, car je n'ai pas tout entendu moi-même. Il est arrivé un certain nombre de témoignages sur le problème et les risques qui sont encourus aujourd'hui ainsi que sur les études à mener sur les problèmes de contamination de l'eau par le prion.

Cela dit, vous avez droit de ne pas prendre en considération ces affirmations. Je vous dis ce que je sais et non pas ce que j'ai inventé.

M. le Rapporteur - Nous les considérons justement au premier chef. Vous vous méprenez sur le sens de notre question. Nous ne mettons surtout pas en doute vos affirmations, vos interrogations ou les confidences qu'on a bien voulu vous faire ; nous voudrions simplement aller plus loin dans la problématique et l'expertise. Il est assez curieux que vous ne puissiez pas nous y aider. Je vous rappelle que vous avez prêté serment pour dire la vérité et toute la vérité en la matière.

M. Christian Huard - Le témoignage que j'ai reçu est un témoignage de citoyen et d'adhérent et non pas un témoignage de chercheur.

M. le Rapporteur - Ce n'est pas un citoyen anodin, si je puis dire. Si c'est un citoyen qui travaille au CNRS, il vous l'a fait en tant que chercheur du CNRS. Ce n'était pas "Mme Michu".

M. Christian Huard - Je vous fais une proposition. Le jour où une loi sera votée protégeant les salariés du secteur public et privé, voire les contraignant à témoigner lorsqu'il y a mise en danger... (Protestations des membres de la commission.).

M. le Rapporteur - Monsieur le Président, je pense que l'on fait fausse route.

M. Christian Huard - Excusez-moi, mais Conso France a demandé qu'une loi protège les salariés lorsqu'ils sont amenés non pas à témoigner mais à indiquer officiellement un certain nombre de pratiques auxquelles ils assistent dans leur entreprise, sachant que, ce faisant, ils risquent de perdre leur emploi. Aujourd'hui, il n'y a pas de protection des salariés, quel que soit leur statut, lorsqu'ils sont amenés à dénoncer des pratiques portant atteinte à la santé.

Vous pouvez vérifier la législation. C'est une demande très forte de Conso France et d'autres confédérations syndicales qui monte actuellement parce que, effectivement, le problème est aujourd'hui d'apporter des preuves. Quand nous allons devant les tribunaux pour faire sanctionner des pratiques qui ne conviennent pas dans certaines entreprises, dès lors que nous n'avons pas de preuves, nous nous retrouvons sans moyens d'agir. La seule façon d'avoir des preuves, c'est de pouvoir faire témoigner des gens qui sont dans ces filières en tant que salariés, acteurs, dirigeants ou responsables d'un certain nombre de pratiques.

Voilà ce que je puis vous dire.

M. Jean Bernard - Les gens du CNRS sont protégés par le statut de la fonction publique, voyons !

M. le Président - Les chercheurs sont très protégés, même si Claude Allègre disait qu'on avait beaucoup de mal à leur demander des comptes sur leur travail, mais c'est un autre problème.

Vous avez prêté serment, monsieur le Président, en vous engageant à dire toute la vérité, et notre commission d'enquête a justement pour but de contribuer à faire apparaître la vérité sur tous les problèmes posés qui rejoignent les préoccupations des consommateurs. Nous sommes donc exactement sur la même ligne.

Il est donc extrêmement grave que vous refusiez de donner des noms. Nous allons être obligés de mettre dans notre rapport que vous n'avez pas voulu donner le nom de gens « qui affirmaient que »... C'est très préoccupant. Nous sommes en plein dans l'ordonnance de 1958 et c'est passible d'amendes et de tout le reste. En outre, vous ne contribuez pas à la recherche de la vérité à laquelle, vous comme nous, sommes attachés.

M. le Rapporteur - J'irai plus loin, si M. le Président me le permet. Vous ne contribuez pas non plus à protéger le consommateur alors que c'est précisément votre rôle de président.

M. Christian Huard - Je comprends bien la question que vous posez et que l'on peut poser effectivement sur le terrain réglementaire et législatif ainsi que sous l'aspect du principe. En tant qu'organisation de consommateurs, nous avons besoin, pour mener des investigations sur certains dossiers, d'avoir des témoignages de personnes qui nous disent : « je vous le dis, mais, surtout, je ne suis pas à l'origine de cette information ». C'est très fréquent dans beaucoup de domaines.

Nous n'avons pas d'autres moyens d'investigation et lorsqu'il faut véritablement faire bouger les choses, il faut bien s'appuyer sur les éléments d'information que nous avons.

Je comprends bien votre question et je la mesure bien mais je vous avais prévenus d'entrée de jeu. L'intérêt, ou la malchance, d'être responsable d'une association de consommateur, c'est de disposer d'informations apportées par des gens qui viennent vous dire : « Surtout, ne dites pas que c'est moi qui vous ai apporté ces éléments d'information ». Je comprends parfaitement votre question, mais je vous ai prévenus tout à l'heure en disant que je n'avais pas les preuves écrites de mes informations et que je n'étais pas autorisé à donner les noms, et je tiens à maintenir les engagements que j'ai pris auprès de ces gens pour qu'ils puissent nous tenir informés d'un certain nombre d'éléments, d'hypothèses, d'analyses et d'informations dont ils disposent.

Il n'y a pas d'autre solution d'avoir de l'information, dans un pays comme le nôtre où tous les secteurs sont bien fermés, que de laisser des gens venir nous parler en toute liberté, sans incidence sur leur carrière, d'un certain nombre de faits dont ils ont connaissance.

M. le Président - Notre audition est enregistrée actuellement, mais je vous propose de nous donner par écrit le nom du laboratoire auquel nous pourrions nous adresser pour que la vérité apparaisse.

M. Christian Huard - Si vous me parlez des confidences des vétérinaires, je vais les retirer. De cette façon, vous n'aurez pas le nom des vétérinaires qui nous ont contactés pour nous donner des éléments d'information, mais vous serez alors privés d'éléments d'information dont je dispose et sur lesquels je ne peux pas vous donner le nom de la personne.

M. le Rapporteur - Monsieur le Président, nous avons retenu avec beaucoup d'attention le fait que vous vous plaignez de ne pas être des interlocuteurs privilégiés auprès des différents ministères et des différentes instances. Comment voulez-vous être un interlocuteur privilégié si vous vous bornez simplement à relayer des informations ou des suspicions et si vous n'allez pas plus loin pour faire éclater la vérité ? Je pense que vous n'êtes pas tout à fait dans votre rôle.

Vous êtes dans une commission d'enquête et vous avez prêté serment. Soit vous nous donnez oralement les noms de ces personnes qui vous ont fait « des confidences », soit vous les transcrivez par écrit, mais si vous ne souscrivez ni à l'une ni à l'autre de nos demandes pressantes, je crois que vous allez vous attirer quelque ennui.

M. le Président - Donnez-nous au moins le laboratoire.

M. Christian Huard - Ce sont des témoignages d'adhérents.

M. Jean Bernard - Mais ils sont en même temps membres du CNRS.

M. Christian Huard - Ce sont aussi des citoyens consommateurs.

M. Jean Bernard - Ils ont en même temps des compétences que vous jugez suffisantes pour vous donner des renseignements crédibles. Nous vous le demandons et je ne vois vraiment pas ce que cela a d'anormal.

M. le Président - Je répète que vous avez la possibilité de les consulter et de nous donner le nom du laboratoire si vous ne voulez pas nous donner un nom. Il faut que nous puissions avancer sur ce point, car c'est extrêmement important dans la recherche de la vérité...

M. le Rapporteur - ...et la protection des consommateurs.

M. le Président - Jusqu'à présent, après plusieurs dizaines d'auditions, personne n'a évoqué le problème de la contamination par l'eau. Voilà pourquoi le rapporteur et les membres de la commission sont très intéressés par ce que vous dites. C'est extrêmement important pour les citoyens consommateurs que nous sommes tous ici.

M. le Rapporteur - Vous n'avez pas demandé le huis clos. Par conséquent, à partir du moment où tout cela est enregistré et télévisé, vous vous mettez, vis-à-vis de vos adhérents, dans une position excessivement délicate.

M. Christian Huard - Je vais devoir retirer de la suite un certain nombre d'éléments d'information dont nous disposons, mais, dès lors que nous nous engageons auprès d'un certain nombre de nos adhérents qui disent : « voilà où nous en sommes dans nos recherches »...

M. le Rapporteur - Je me permets de vous interrompre immédiatement. Vous n'avez pas à retirer un certain nombre d'informations que vous vouliez nous donner suite à cette altercation, si je puis dire, parce que vous avez prêté serment en disant tout à l'heure : « je dirai la vérité et toute la vérité ».

M. Christian Huard - Je vous dis toute la vérité. Je dispose de cette information et je vous la donne.

M. le Rapporteur - Vous ne dites qu'une demi vérité. Nous vous respectons en tant que président de l'association des consommateurs que vous représentez, mais vous venez de nous livrer quelques informations détenues par des scientifiques et nous voudrions avoir, si je puis dire, ces informations.

M. le Président - Comme nous ne sommes pas en situation de huis clos, je vous propose de nous donner des indices par écrit. Sinon, cette affaire va très mal se terminer parce que nous nous trouvons devant un point de rupture. C'est la première fois qu'une audition se termine ainsi.

M. Christian Huard - Sur les informations dont je dispose, si je dois vous donner à chaque fois la source et la preuve, j'aurai terminé très vite de vous dire les choses. Si vous voulez savoir ce que l'on nous dit et ce que nous avons fini par apprendre non pas du fait d'études scientifiques ès-qualité (nous n'avons pas de laboratoire) mais par le biais de gens qui sont dans des laboratoires, qui sont nos adhérents et qui travaillent sur des dossiers annexes (ils travaillent sur un grand nombre de dossiers), ce qui nous permet d'avoir des compétences internes pour apprécier la dangerosité des choses, je ne vous dirai que la vérité, qui est celle qui peut être attestée par un témoignage et le nom d'une personne.

Je n'ai pas d'autre choix. Soit vous souhaitez que je vous dise toute la vérité que nous possédons dans l'ensemble des associations de consommateurs de Conso France et même ailleurs, puisque d'autres pourront vous confirmer ce que je vous dis là, soit nous sommes devant un piège qui nous est tendu. Je prends la responsabilité d'affirmer que le risque de contamination par l'eau est aujourd'hui présent dans la tête d'un certain nombre de spécialistes de la question et de gens qui travaillent dans ce domaine.

Il y a une étude anglaise à ce sujet, mais je n'en ai pas pris la référence car je ne pensais pas que l'on irait jusqu'à en rechercher la preuve. Si on en arrive là, je ne vais m'en tenir qu'à des éléments sur lesquels j'ai le document, la preuve, le témoignage et l'accord de la personne pour témoigner. Cela dit, je ne suis pas producteur d'informations.

M. le Président - Nous avons eu la déposition du professeur Dormont, par exemple, qui n'a jamais évoqué le problème de l'eau. Il est donc très important pour nous.

M. Christian Huard - Des chercheurs anglais, il y a deux ou trois ans, ont commencé à poser la question des risques de contamination par l'eau quand ils ont examiné les conséquences du stockage des farines animales en Angleterre et le fait qu'une certain quantité de ces farines était entraînée par les eaux de pluie. Cette étude a permis de commencer à se poser la question de fond sur cet agent pathogène qui n'a pas été détruit. Ils ont fait des expériences démontrant qu'au bout de sept ans, en dépit de températures très basses ou très élevées et de la présence dans l'eau, la protéine n'était pas chimiquement modifiée.

Je ne suis pas le seul à faire cette affirmation et à poser l'interrogation. La difficulté, pour les chercheurs, c'est de retrouver des protéines dans l'eau, car c'est plus qu'un micro organisme. On en revient aux difficultés scientifiques de mener aujourd'hui des expériences à terme pour en connaître tous les effets.

Je note d'ailleurs que, sur le stockage des farines en France, il est fortement question de les mettre dans des endroits où elles seront protégées de tout ruissellement ou de tout entraînement par l'eau. Si l'on prend cette mesure, c'est bien que, quelque part, un certain nombre de spécialistes ont dit que la question était au moins posée quant au fait de voir ces farines entraînées par l'eau.

J'indique cela pour démontrer que cette information n'est pas complètement sans fondement, mais si vous me demandez la liste, le nom et les coordonnées précises des gens qui m'en ont parlé, je maintiens que ce sont tout d'abord des informations que j'ai eues en mon nom personnel et qu'a eues mon association, mais que d'autres associations de Conso France les ont eues également par leurs propres adhérents. Quand nous faisons le point entre nous des questions qui restent posées et qui doivent encore être traitées dans les mois ou années qui viennent, ces questions viennent fréquemment.

Je ne connais pas non plus la liste de toutes les personnes en question ; je ne connais que celles qui m'en ont parlé à titre personnel, mais ce n'est pas l'objet de cette intervention. Je ne suis pas là comme citoyen ès-qualité mais comme responsable d'une association de consommateurs. C'est à ce titre que nous avons des informations.

Maintenant, si vous voulez y donner suite, vous pouvez le faire, mais j'ai un vrai problème avec les adhérents qui viennent nous voir ou qui viennent voir d'autres associations de consommateurs de Conso France pour apporter des éléments d'information dans des débats qui ne sont pas sains. Pour être certains, justement, d'assurer la bonne sécurité des consommateurs, on ne peut pas se contenter de faits officiels à traiter.

M. Jean Bernard - Je maintiens qu'il est dommage que vous ne puissiez pas nous donner des renseignements beaucoup plus complets parce que, dans le cadre de notre commission, nous nous occupons des farines animales. Dans mon département, on prévoit un entreposage de farines extrêmement important et il serait donc intéressant que des spécialistes donnent leur avis sur l'étanchéité, les moyens de les conserver, de les neutraliser, etc..

M. le Président - Il serait bon d'auditionner les personnes qui pourraient enrichir le débat.

M. Jean Bernard - Nous ne demandons qu'à savoir.

M. le Rapporteur - Monsieur le Président, permettez-moi de vous préciser un point. Ne vous méprenez pas : vous n'êtes pas ici sur le banc des accusés. C'est un partenariat que nous essayons de créer avec le président des différentes associations de consommateurs de France que vous êtes et nous vous faisons totalement confiance. Si vous nous relatez des confidences ou des informations, non pas de citoyens ordinaires --nous l'avons bien compris--, mais également de chercheurs au CNRS, informations qui sont des hypothèses de travail et qui se vérifieront ou non, cela ne vous mettra absolument pas en porte-à-faux et cela grandira même les chercheurs. Un chercheur cherche mais ne trouve pas forcément.

Si, pour reprendre le fil de vos propos, la nourriture des poissons d'élevage aurait généré --on le comprend bien-- du fait de ces farines animales, une éventuelle pollution des nappes phréatiques, il serait important que nous puissions expertiser ce point précis.

De même, il m'a semblé vous entendre parler également de quelques confidences que vous avez eues de la part de vétérinaires praticiens sur le terrain. Avant vous, nous avons auditionné, en début d'après-midi, le président du Syndicat qui nous a donné également quelques informations et nous allons recouper tout cela, sans vous mettre en porte-à-faux, évidemment, et sans vous mettre au banc des accusés.

A posteriori, si les hypothèses émises par les chercheurs du CNRS s'avéraient exactes, nous en serions tous ennuyés, et vous le premier, puisque vous nous avez mis l'eau à la bouche, si je puis dire, sans nous permettre d'aller plus loin dans nos investigations. Je ne crois pas que vous trahirez ceux qui vous ont fait ces confidences. Vous pouvez donc nous donner ces indications par écrit ; nous ne trahirons pas votre confiance, de même que vous ne trahirez pas la confiance des gens qui vous ont fait ces confidences.

J'ai été membre, en 1998, de la conférence des citoyens sur les biotechnologies et je peux vous dire que des passerelles ont été créées entre les politiques et les consommateurs. Si nous voulons essayer d'aller dans ce sens, il faut que chacun joue le jeu. Nous ne sommes pas des juges ; nous voulons trouver la vérité. Donc ne vous raidissez pas, si je peux me le permettre, et ne considérez pas que vous êtes sur le banc des accusés. Vous avez malgré tout prêté serment et il est important que nous allions plus loin dans nos investigations pour la santé de l'ensemble de nos concitoyens.

M. Christian Huard - Je vous ai donné au moins l'institution --elle a été citée à plusieurs reprises-- dans laquelle cette idée est évoquée par un certain nombre de personnes.

M. le Président - Je vous rappelle que, depuis 18 h 00, il n'y a plus de retransmission télévisée, et je ne vous trompe pas. On vient de me faire savoir que c'est coupé depuis 18 h 00, c'est-à-dire depuis six minutes.

M. Christian Huard - Très bien. Je vous ai donc donné le nom d'une institution publique qui dispose depuis 1996 de crédits de recherche non négligeables sur l'ensemble des maladies à prion et leur transmission. Si je m'adresse au directeur du CNRS, je n'aurai pas de réponse, de toute évidence.

M. le Rapporteur - Nous, nous l'aurons.

M. Christian Huard - Dans ce cas, interrogez-le pour savoir quels chercheurs ont déjà mené des pré-études sur le maintien chimiquement stabilisé, si je puis dire, de cette protéine dans les différents milieux où elle peut se retrouver. Encore une fois, je précise que des recherches internationales sont faites sur ce point et qu'une recherche anglaise a été publiée. Les premiers qui en ont eu l'idée sont des chercheurs anglais sur la base du stockage de leurs farines animales à l'époque.

M. le Rapporteur - Pourriez-vous nous communiquer cette note anglaise ?

M. Christian Huard - Je peux vous la retrouver.

M. le Rapporteur - Vous comprenez dans quel esprit nous souhaitons travailler.

M. le Président - Il est bien prévu dans l'article 6 sur les commissions d'enquête que "les rapporteurs des commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur place", que "tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis" et qu'ils doivent "se faire communiquer tout document de service à l'exception de ceux relevant du secret défense". Nous ne sommes pas dans le cadre du secret défense. M. le Rapporteur a donc tout à fait le droit d'aller plus loin pour enrichir cette recherche.

Nous voulons véritablement --c'est fondamental pour les associations de consommateurs-- que ce dossier sur les farines animales fasse avancer la vérité. La commission d'enquête n'est là que pour cela. Or nous nous rendons compte en vous entendant, mais en entendant aussi beaucoup d'autres personnes, combien c'est complexe et difficile du fait d'un manque de transparence dans certains secteurs alors que nous voulons faire avancer les choses.

Vous nous ferez donc parvenir le papier concernant les chercheurs anglais et nous demanderons des précisions au CNRS sur les études au sujet de l'eau.

Vous pouvez maintenant continuer.

M. Christian Huard - Concernant le deuxième argument sur les farines, le problème était de suivant. Les effets des farines animales sur les bovins sont connus, efficaces et rapides, c'est-à-dire qu'il ne convient pas de donner des farines animales sur une très longue période pour avoir un effet sur la masse musculaire des bêtes. Quant au lait, il faut régulièrement en donner pour avoir un effet sur l'augmentation importante de la quantité de lait produite. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on trouve plus de cas de vache folle chez les vaches laitières plutôt que sur les races à viande.

En effet, sur les races à viande (mais je me demande si je dois le dire parce qu'il s'agit encore d'une vérité que l'on sait sans que je puisse dire d'où elle vient), on sait qu'il suffit de donner des farines animales à certains bovins de races à viande sur quelques mois pour provoquer ce phénomène de grossissement. Par conséquent, on n'est pas tenu de les leur donner cinq ans avant avec les effets observés cinq ans après ; il suffit de les mettre, quelques mois avant leur vente, au grossissement par les farines animales.

Cela nous a donc également inquiétés puisqu'on ne sait pas véritablement à partir de quand une bête contaminée devient contaminante pour celui qui la mange. Là-dessus, il y a encore des incertitudes scientifiques. Lorsqu'on donne pendant trois mois à un bovin des poignées de farine animale dans sa farine végétale traditionnelle, cela a-t-il des effets sur l'homme ? On ne le sait pas, mais on sait que les farines animales ont continué d'être utilisées dans un certain nombre de fermes, surtout chez les marchands de bestiaux qui ont retenu les bêtes pendant un mois ou deux.

En effet, les marchands de bestiaux ne sont pas tous des parqueurs. Certains sont des engraisseurs finaux de leurs bêtes et on sait que c'est là que se pose le problème. L'un des problèmes de l'éleveur de l'Eure vient peut-être de toute une filière d'engraissement in fine des bêtes à viande et non pas des bêtes à lait.

Voilà pourquoi nous avions demandé, dès 1996, cette interdiction des farines animales, sachant que cette façon de faire existait déjà entre 1990 et 1996, période au cours de laquelle il était pourtant déjà interdit de donner des farines animales aux bovins.

Voilà nos trois raisons d'inquiétudes fortes :

- les contaminations croisées lors des stockages, transformations et compositions des aliments pour animaux,

- les contaminations par l'eau,

- le problème du « forcissement » des bovins juste avant leur mise en vente, ce qui provoque des kilos de viande supplémentaires à la vente.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur le problème des conséquences de l'interdiction des farines sur les filières végétales, mais je suppose que d'autres vous en ont parlé. Nous avons rencontré et demandé à rencontrer les acteurs de la filière des protéagineux et oléagineux pour en mesurer tous les effets.

Je ne vais pas répéter, car vous le savez sûrement déjà, que nous avons des risques, pour le consommateur, en termes d'assurance sur la sécurité sanitaire, du fait du remplacement d'une alimentation dangereuse, les farines animales, par une autre alimentation de compléments végétaux de type OGM. Vous connaissez cette problématique. Il ne faudrait pas que nous nous retrouvions, dans un ou deux ans, dans une nouvelle crise faute d'avoir réglé en temps utile la production de protéines végétales non génétiquement modifiées, en ayant remplacé une crise par une autre en termes de confiance des consommateurs.

Y a-t-il un risque ou non sur le soja génétiquement modifié ? Ce n'est pas la question de ce soir et je m'arrêterai donc sur ce point.

En tout cas, voilà les trois raisons qui nous avaient amenés à demander la suppression des farines animales dès 1996. Si nous avions été entendus depuis lors, nous aurions gagné quelques années sensibles dans cette crise de la vache folle. Maintenant, si vous me demandez pourquoi cela n'a pas été fait en 1996, je pourrai vous répondre.

Je reviens sur les contrôles. Je vous ai parlé des contrôles européens d'entrée de jeu parce que je pense que les parlementaires européens, avec lesquels je suppose que vous êtes en relation, vont prendre le dossier du contrôle au niveau européen, mais j'aimerais ajouter ici un problème que nous rencontrons, nous, assez fortement. Là aussi, nous avons des témoignages sur lesquels je ne peux pas vous apporter des preuves (excusez-moi de le dire comme cela) mais qui montrent qu'il y a un problème de coordination des contrôles en France.

Les contrôles et leur suivi, dans la filière bovine, dépendent d'administrations de l'Etat très différentes qui ne sont pas toutes mobilisées sur les mêmes intérêts ou les mêmes missions. Ils dépendent bien entendu de la DGCCRF (je suppose que vous avez eu ou que vous aurez l'occasion d'auditionner les responsables de cette administration), des services vétérinaires, des Douanes, dont je rappelle que la principale préoccupation est la fraude fiscale ou la déclaration douanière, de la police et de la gendarmerie. Or il nous revient assez fréquemment (si vous me le demandez, je m'arrêterai une nouvelle fois car je comprends bien le problème mais j'entends vous donner la vérité que nous connaissons par des témoignages croisés et divers) que nous avons, en France, des problèmes de suite dans les contrôles.

En clair, lorsqu'un agent de la DGCCRF de Rungis constate quelque chose et voudrait mener une enquête pour remonter les faits, il ne peut pas continuer à le faire pour des raisons de limites territoriales et lorsqu'il faut concentrer ou mettre en place des actions conjointes de la gendarmerie, de la police, de la DGCCRF et des services vétérinaires, les témoignages qui nous arrivent montrent que c'est toujours fortement compliqué.

J'affirme donc que nous avons un problème de coordination des autorités françaises, pour ne pas dire européennes, pour avoir des enquêtes non pas des services vétérinaires, de la DGCCRF ou des Douanes mais des enquêtes nationales inter administrations qui pourraient faire autorité et permettre d'avoir de véritables investigations de ces services de contrôle, plus importantes que l'investigation in fine.

M. le Président - Depuis 1996, je pense que les autorités françaises ont agi avec sérieux, notamment à partir de la traçabilité. On nous a dit tout à l'heure, au cours d'une audition avec le directeur de la Brigade nationale des enquêtes vétérinaires, que le vrai problème était un manque d'harmonisation européenne et que la France s'était appliqué un certain nombre de règles que les autres ne s'appliquaient pas. Avez-vous des contacts avec les associations de consommateurs des autres pays pour faire le point et aboutir à une harmonisation ?

M. Christian Huard - Même si ce n'est pas le cas de Conso France ès-qualité, mon organisation et d'autres organisations regroupées dans Conso France sont membres de l'Association européenne des consommateurs (AEC) qui s'est saisie de ce problème. Sa présidente est suédoise, comme l'actuelle présidence de l'Union européenne (ce sont des faits d'actualité), et elle est très préoccupée par ce problème de l'harmonisation des contrôles. Cette association travaille dans un certain nombre de pays pour tenter de faire prévaloir, dans tous les milieux politiques, qu'il y a urgence à obtenir au niveau européen cette politique commune des contrôles en matière de sécurité sanitaire et non pas simplement alimentaire, car nous avons d'autres problèmes dans le textile, les produits pour la maison, etc.

Nous avons en effet de vrais problèmes d'harmonisation des normes mais aussi des contrôles qui s'appliquent dans ces différents pays.

Nous n'allons pas parler de tout ce soir mais, encore une fois, c'est un problème général qui ne touche pas que l'alimentation. Le statut des contrôleurs, en Angleterre, pose de vrais problèmes. En effet, quand la plupart des contrôleurs sont payés par les contrôlés au Royaume-Uni, ce qui n'est pas le cas dans toutes les régions britanniques, cela pose un problème d'harmonisation pour le Royaume-Uni lui-même : ils sont déjà en dysharmonie au sein même de leur pays et ils sont donc en totale dysharmonie avec les autres principes de contrôle (statuts, corps, capacités, compétences, matériels, etc.) en Europe.

Par exemple, la France est la seule à s'être dotée de normes qui justifient d'utiliser des techniques très modernes comme la résonance magnétique nucléaire pour mener des investigations sur des produits et les repérer plus facilement, ce qui coûte très cher. Dans d'autre pays, on en est à peine à l'utilisation de la loupe, si je puis dire, pour examiner un produit.

M. le Rapporteur - Je voudrais vous poser une question sur les dispositifs de traçabilité, d'identification et d'étiquetage de la viande bovine. Vous avez dénoncé, le 18 juillet dernier, les dispositifs de l'Union européenne. Pouvez-vous nous préciser quelles en sont les lacunes et quels seraient les conseils ou suggestions que vous pourriez faire en la matière pour améliorer cette traçabilité et cet étiquetage de la viande bovine ?

M. Christian Huard - C'était un point fort des éléments que je comptais vous apporter. Je vous annonce d'ailleurs (pour notre part, nous allons résister encore parce que le problème est complexe) que l'UFC Que Choisir vient d'appeler les consommateurs à boycotter toutes les viandes sur lesquelles il n'y aurait pas les indications résultant de l'accord interprofessionnel, en France, sur la race, la catégorie et l'origine parce que cette proposition française d'extension a été profondément modifiée par le Parlement européen, qui a remplacé ces indications par des numéros d'abattoirs ou d'ateliers de découpe.

Pour un consommation, un numéro n'a aucune valeur d'information. Certes, cela permet la traçabilité en matière de contrôles, parce qu'un numéro d'abattoir est préférable, parfois, à l'origine d'un pays, mais on est en train de confondre la traçabilité, c'est-à-dire les techniques qu'utiliseront les services de contrôle pour un suivi et un éventuel rappel en cas de problème, et ce que nous appelons, nous, l'information du consommateur, c'est-à-dire l'étiquetage sur le lieu de vente.

Au point où nous en sommes de nos études et de nos discussions internes avec les consommateurs, nous estimons qu'il faut donner maintenant trois paquets d'information.

Le premier doit porter sur la race, la catégorie et l'origine. Il faut donc absolument que les pouvoirs publics français (nous le faisons et cela a d'ailleurs été bien repris pour l'instant) demandent au pouvoir européen de remettre sur le chantier ce problème d'indication des catégorie, race et origine et de revenir sur la décision du Parlement européen si c'est possible.

Le deuxième point sur lequel nous avons à travailler porte sur le dépistage de la viande au moment de l'abattage. Le problème se pose jusqu'au 30 juin, comme je l'ai dit, mais nous aurons aussi le problème, par la suite, des pays situés en dehors de l'Union européenne dans lesquels on pourra continuer d'importer des bêtes sans obligation d'obéir forcément au règlement européen qui demande un dépistage en amont. Il s'agit en effet du moment de l'abattage.

On peut donc imaginer aisément qu'un certain nombre de bêtes nées et élevées dans l'Union européenne partira dans des abattoirs situés dans des zones frontalières de l'Union européenne pour y être abattu et pour se soustraire alors à de telles obligations.

Voilà pourquoi nous demandons aussi --mais c'est contesté pour l'instant-- que les viandes dépistées soient signalées et connues du consommateur. Le consommateur a besoin de savoir si la bête de plus de trente mois qu'il achète a bien été dépistée ou ne fait pas partie de ces bêtes qui sont passées dans les trous de la réglementation.

Le troisième élément sur lequel nous travaillons d'arrache-pied actuellement avec les responsables de la distribution bovine est une chose qui avait été refusée en 1996 et qui était pourtant très demandée par les consommateurs : la nature et les modes d'élevage. En effet, on ne peut pas se satisfaire de n'avoir des informations ou des assurances sur les modes (à l'air ou autres), la nature de l'élevage (intensif ou extensif) et l'alimentation (au grains ou autres) que pour les viandes labellisées "bio".

Voilà les trois éléments sur lesquels nous essayons de travailler. Il me semble que ces aspirations et ces demandes très fortes des consommateurs dans tous ces secteurs mériteront d'abord d'être traitées au niveau national, où nous avons au moins des interlocuteurs relativement prêts, sachant que les distributeurs sont assez touchés par cette crise, à organiser en amont des contrôles et des vérifications, avant de passer dans le domaine réglementaire sur ces trois aspects qui nous semblent important en matière de vérification.

Cela ne répond pas entièrement à votre question mais vous démontre que, dans cette problématique, il faut à chaque fois bien scinder dans nos réflexions et nos propositions ce qui relève de la traçabilité pour les contrôles et les retraits en cas de problème et ce qui relève, à partir de la traçabilité, de l'information donnée aux consommateurs. Actuellement, on mélange trop ces deux aspects.

Encore une fois, tout n'est pas forcément dans l'étiquetage. Ce n'est pas le débat de ce soir, mais je tiens à vous donner la thèse que nous défendons à Conso France. A chaque fois, on surajoute des informations du consommateur sur l'étiquette alors qu'elle a une place et une dimension forcément limitées et, à un moment donné, il faudra bien que la législation différencie --cela peut être une bonne proposition pour le Sénat-- ce qui relève du droit de savoir par les consommateurs de l'obligation d'étiqueter pour un professionnel donné. Ce n'est pas la même nature.

Pour me faire comprendre et ne pas jouer les mystérieux, je peux vous dire qu'actuellement, nous travaillons beaucoup sur les produits allergéniques ou allergogènes (selon les spécialistes). Pour 0,1 % des Français qui ont besoin de savoir s'il y a du jaune d'oeuf dans la préparation, pourquoi devrait-on donner l'information à 99,9 % des Français qui n'en ont que faire ?

Il convient de mener une réflexion, en France, sur une modification de la législation à cet égard. Tout ce que le consommateur veut savoir ne doit pas forcément figurer obligatoirement sur l'emballage ou l'étiquette. Je referme vite cette parenthèse pour dire qu'il faut différencier, à notre sens, le problème de la traçabilité du problème de l'information donnée au consommateur. Après tout, cette information peut figurer sur le lieu de vente et non pas forcément sur l'étiquette.

M. Paul Blanc - Je voudrais avoir une précision. Si je vous ai bien compris, vous conseillerez aux consommateurs français, en ce qui concerne la viande bovine, de ne consommer que de la viande élevée et abattue en France. Vous avez dit "abattue", ce qui veut dire que vous êtes sûr qu'il y aura des tests, puisqu'on ne les fait qu'en France, et "élevée", dans la mesure où vous avez parlé de l'alimentation de la bête.

M. Christian Huard - En 1996, malgré des accusations assez fortes et malgré les limites, nous avions soutenu l'indication "VBF", viande bovine française. Nous avions pensé que c'était un point de passage obligé pour permettre au consommateur de retrouver une confiance dans ses choix alimentaires, même si ce n'était pas la totalité des éléments à mettre en oeuvre à l'époque pour réussir ce retour de la confiance simple et pour tranquilliser les consommateurs pour l'avenir. En effet, la pire des choses, pour une filière, c'est de sortir d'une crise tout en préparant la suivante.

En 1996, M. Vasseur, alors ministre de l'agriculture, nous réunissait tous les mois pour faire état des problèmes, des questions, des interrogations, une chose qui a disparu depuis. Je ne fais pas de la politique en disant cela ; je constate simplement les faits. C'est à cette époque que nous avons pu plus facilement et plus rapidement monter un certain nombre d'opérations consensuelles, si je puis dire, c'est-à-dire qui n'étaient pas dénoncées par l'une ou l'autre des parties dans la mesure où elles faisaient l'objet de discussions sur lesquelles nous essayions de trouver le compromis acceptable.

Aujourd'hui, vous me posez la question et je vous réponds donc que nous avons décidé, à Conso France, de ne pas donner de consigne aux consommateurs. Par conséquent, vous ne verrez pas de déclaration de Conso France appelant les consommateurs à boycotter le reste, parce que c'est un danger majeur dans la mesure où on n'est pas sûr d'avoir forcément donné le bon conseil. Je ne suis d'ailleurs pas sûr, aujourd'hui, que l'on ait scientifiquement les moyens de donner le bon conseil.

Notre mission, en tant qu'organisation de consommateurs, est de faire en sorte que toute viande qui est vendue, dans l'état de nos connaissances scientifiques, soit au moins sûre et qu'ensuite, le consommateur puisse disposer de choix entre viande de qualité ou non. Nous considérons que la sécurité est un droit et que le conseil : "mangez cela parce que c'est plus sûr" sous-entend : "ne mangez pas cela parce que ce n'est pas sûr". Si ce n'est pas sûr, notre rôle est de demander qu'on retire ces produits de la vente.

Nous sommes donc sur une ligne très difficile à tenir dans laquelle nous n'appelons pas au boycott. En revanche, nous avons soutenu "VBF" à fond et s'il faut, demain, prendre d'autres initiatives que nous sommes en train de prendre avec les distributeurs sur les méthodes d'élevage, nous le ferons. Simplement, cela ne veut pas dire que l'on demandera aux gens qui n'auront pas les modes d'élevage de certaines viandes de ne pas consommer ce type de viande.

M. Paul Blanc - Je vais vous poser ma question différemment et je vous demanderai de me répondre simplement par oui ou par non. Si je me place en tant que consommateur, faut-il aujourd'hui, pour être "sûr", ne manger que de la viande bovine élevée et abattue en France ?

M. Christian Huard - Si vous ne me laissez que la possibilité de répondre oui ou non, je vous réponds oui.

M. Paul Blanc - Cela me rassure.

M. le Rapporteur - J'ai une autre question mais, compte tenu des horaires, il vous sera peut-être difficile de l'aborder dans le détail. Si vous avez la réponse, il serait intéressant que vous puissiez nous faire passer les documents correspondants. Les associations de consommateurs se sont-elles penchées précisément sur les importations d'abats et leur cheminement au travers de la chaîne alimentaire, soit bruts, soit dans la composition d'aliments pour bébés ou autres ?

Si vous avez quelque chose, je vous prie de bien vouloir nous envoyer les documents correspondants.

M. Christian Huard - Nous ne nous sommes pas penchée spécifiquement là-dessus. Nous nous sommes penchés sur deux autres types de problème : ce que nous appelons, globalement, les produits transformés et les produits dérivés.

Pour ce qui est des produits dérivés, nous avons pris nos responsabilités à l'époque et nous continuons de les prendre quand on nous pose la question, même si nous ne faisons pas des campagnes forcenées parce que nous ne cherchons pas à multiplier la désassurance du consommateur. Nous pensons que ce sont des travaux nationaux et européens qui peuvent apporter à un moment donné les garanties nécessaires. Nous ne sommes pas des "affoleurs" dans le domaine médiatique et nous ne cherchons pas à nous faire un nom, loin s'en faut.

Pour ce qui est des gélatines, comme elles ne peuvent pas supporter les traitements qui sont susceptibles de détruire le prion, sachant qu'elles sont faites à partir de produits bovins pour la quasi-totalité, nous avons appelé au boycott des gélatines importées pour les enfants, notamment dans les confiseries. C'est la seule fois que Conso France a décidé d'appeler au boycott des bonbons importés contenant de la gélatine bovine.

Nous travaillons aussi en relation assez étroite avec le ministère de la santé sur les produits dérivés. En effet, nous avons aussi le problème des souches médicamenteuses, des souches des sérums qui sont pris sur des bovins ou des souches animales et nous demandons à ce sujet plus d'expertises scientifiques pour en mesurer les effets.

Nous travaillons aussi actuellement sur d'autres dispositions comme les transfusions sanguines et les dons d'organes, car nous ne voudrions pas nous retrouver avec une insuffisance de compréhension. Je rappelle que d'autres pays ont pris des dispositions tout à fait catégoriques à l'égard des personnes ayant séjourné maintenant en Europe, et non plus simplement en Angleterre, y compris pour les dons d'organes.

Nous avons une interrogation que d'autres scientifiques ont dû vous donner sur la possibilité très faible d'une contamination par les appareils chirurgicaux car les techniques de stérilisation des appareils n'assurent pas la destruction du prion. Comme on ne connaît pas les effets de transmission directement par interventions chirurgicales --les médecins sauront le dire mieux que moi--, la Grande-Bretagne a pris la décision de procéder à la destruction de tous les matériaux chirurgicaux après une utilisation sur des personnes relativement ciblées et à risques en termes de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

M. Paul Blanc - Il n'y a pas qu'en Angleterre que cela se passe.

M. Christian Huard - C'est vrai, mais c'est parti d'Angleterre dans un premier temps.

M. Paul Blanc - Aujourd'hui, dans notre pays, beaucoup de pratiques médicales d'endoscopie et chirurgicales se font avec des appareils jetables, du matériel à utilisation unique.

M. le Président - Il va nous falloir conclure. Nous allons vous poser une dernière question.

M. le Rapporteur - Je voudrais terminer sur les abats. Si vous pouviez nous rendre destinataires de tous les documents dont vous êtes en possession sur les abats et leur cheminement, nous pourrons les recouper avec les informations que nous avons par ailleurs.

M. Paul Blanc - J'ai une question complémentaire : avez-vous une connaissance précise de l'utilisation par les industries agro-alimentaires des abats et des graisses d'origine bovine dans les ravioli, les sauces tomates, bolognaises, etc. ? Avez-vous des informations précises là-dessus ?

M. Christian Huard - Oui. Nous avons même une information qui a eu un important retentissement sur les bouillons cubes, dans lesquels on a des concentrés de toutes origines et de tous morceaux bovins sans traçabilité et qui ne donnent aucune possibilité à un contrôleur, à l'arrivée, de vérifier la dangerosité ou l'origine de ce produit. Cela paraît dérisoire, mais cela sert énormément dans la fabrication de nombreux produits transformés.

Je réponds là-dessus avec beaucoup de sincérité, de simplicité et presque de naïveté. Nous nous inquiétons de ce problème mais nous n'avons jamais pu obtenir l'ombre d'une information. Lorsqu'une grande chaîne de télévision, à notre demande, a mené une investigation très poussée, elle n'a trouvé aucune réponse. Il y a un refus de réponse des professionnels au nom du secret industriel de fabrication.

M. Paul Blanc - Par conséquent, aujourd'hui, vous ne rassurerez pas le consommateur sur les plats cuisinés.

M. Christian Huard - Les plats transformés nous posent un énorme problème parce que la traçabilité et les origines deviennent quasiment impossibles à déterminer.

M. le Président - Nous devrons travailler sur le problème des plats cuisinés.

Monsieur le Président, vous vous avez dit tout à l'heure que vous auriez une information extrêmement importante à délivrer à la commission d'enquête. Etait-ce la révélation sur l'eau ou pensiez-vous à autre chose ? Si vous le permettez, nous allons conclure par là.

M. Christian Huard - Je termine rapidement. Nos interrogations portent sur un point : comment cette maladie est-elle apparue et quelles en seraient les causes ? D'autres scientifiques ont dû vous en parler et il y a de grandes interrogations sur ce point. Il y a en tout cas trois familles de réponses.

La première possibilité est une mutation naturelle, auquel cas il faut expliquer pourquoi les bisons aux Etats-Unis, les rennes au Canada et les élans dans les grandes forêts américaines sont atteints de cette même maladie. Comment se fait-il que la même mutation aurait lieu chez plusieurs mammifères dans plusieurs endroits du globe ? L'interrogation reste forte mais je ne pense pas que cette mutation soit porteuse, même s'il n'y aura jamais de certitude.

La deuxième thèse, que M. Dormont a dû exposer ici et qu'il partage avec d'autres scientifiques, c'est que la cause première serait un micro-virus (je ne suis pas spécialiste et je ne me lancerai donc pas sur ce terrain) ou, disons, une cause externe de type viral qui aurait entraîné la mutation du prion et qui, de prion en prion, modifie la totalité des prions dans une chaîne assez longue. Cette thèse est débattue dans les milieux scientifiques --mais je ne sais plus comment je dois le dire-- et certains ont déjà des plaidoyers contre cette thèse du micro-virus.

La troisième thèse, c'est ce qu'on avait appelé à un moment donné la "troisième voie" ; elle nous inquiète particulièrement. En 1996, dès l'apparition de cette maladie, en France, il n'y avait pratiquement qu'une seule équipe de recherche, un seul laboratoire qui travaillait sur ce point : le Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Les autres laboratoires et les autres centres de recherche (CNEVA, CNRS) publics ou privés en France ne menaient pratiquement plus de recherche sur ce sujet. On avait considéré qu'il n'y avait pas lieu de chercher.

J'avais donc demandé à l'époque, avec d'autres, pourquoi le Commissariat à l'énergie atomique était le seul à le faire. Certes, il a un département de sciences de la vie et il a des moyens, mais la question méritait d'être posée. Je rappelle que le test français a été mis au point par le CEA.

Nous avons mené l'enquête avec d'autres organisations de consommateurs pour savoir s'il y avait des éléments de corrélation ou de constante dans les autres pays. Or nous avons découvert avec une certaine stupeur et même avec crainte qu'aux Etats-Unis, l'essentiel des recherches sur les maladies à prion était fait à partir de financements de l'armée américaine.

Nous avons cette interrogation très forte --ce n'est pas une certitude-- qui est partagée par certains de nos amis et nous continuons cette investigation pour déterminer si la cause ne serait pas externe et liée à l'homme et non pas quelque chose de naturel, comme on semble trop vouloir nous imposer la thèse ici ou là.

Voilà l'interrogation dont je voulais vous faire part. Cette fois-ci, je ne me cache pas derrière mon petit doigt et je ne cherche pas à protéger quiconque. Cette interrogation est de plus en plus partagée par un certain nombre de personnes qui voudraient bien savoir si on ne se trompe pas sur la cause première de cette maladie.

Cela semblerait supposer à terme que ce ne sont pas les éleveurs ou la filière qui sont totalement responsables mais que nous serions plutôt tous victimes que responsables dans cette affaire.

Voilà ce que je voulais dire et exposer loyalement. Jusqu'alors, nous nous étions interdits d'exposer cette thèse publiquement ou de la donner à quiconque mais, ayant promis de dire la vérité, je vous dis où nous en sommes et ce sur quoi nous travaillons d'arrache-pied aujourd'hui pour essayer d'accumuler le maximum d'informations.

M. le Président - Cette affaire est assez troublante.

M. Paul Blanc - Jusqu'à preuve du contraire, je n'ai jamais entendu dire que des vaches qui n'avaient pas mangé des farines étaient malades.

M. Christian Huard - Les élans ne mangent pas de farines animales aux USA.

M. le Président - Ce qui est troublant, c'est que des animaux sauvages vivant dans les Rocheuses ont cette maladie et n'ont jamais mangé de farine.

M. Paul Blanc - Ils n'ont pas reçu non plus quelques armes chimiques américaines.

M. Christian Huard - Je vous livre un simple fait : on a trouvé un troupeau de bisons décimé qui avait changé son itinéraire de migration régulier. Il était passé dans une zone où, il y a fort longtemps, il y avait eu des explosions aériennes nucléaires, où on avait testé des bombes nucléaires.

Je vous livre cette information provenant de correspondants américains. Apparemment, des journalistes américains mènent des investigations sur ce terrain.

Quant aux rennes, ils viennent vivre en toute liberté, pendant des périodes un peu plus chaudes, dans des zones de l'extrême nord de l'Amérique où ont été faites également des expériences nucléaires.

Je vous livre ces éléments d'information avec certaines réserves, sachant que je me devais de dire la vérité et tout ce que je sais, sans pour autant afficher une quelconque théorie. Je me devais de le dire parce que si, demain, on sort le dossier, vous pourriez nous dire : "vous auriez pu nous en parler avant".

M. le Président - Vous vous demandez en fait pourquoi le CEA est le seul laboratoire qui faisait des recherches en 1996, sachant que c'est lui qui a mis au point le test, en liant ces éléments au fait qu'aux Etats-Unis, les recherches sur le prion sont financées par des crédits défense, en retrouvant derrière cela le lobby atomique à tous les coups. C'est, en quelque sorte, le raccourci des questions que vous vous posez.

M. Christian Huard - C'est une interrogation. Si j'avais une certitude, je vous la donnerais.

M. le Président - Nous la prenons bien comme telle. Il est évident qu'il faut être très prudent sur tout cela.

Monsieur le Président, nous vous remercions.

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