Audition de M. René BAILLY, Président du Syndicat
national
des vétérinaires d'exercice libéral
(SNVEL)
(24 janvier 2001)
(Huis clos demandé)
Audition de M. Jean-Jacques RÉVEILLON,
Directeur de la Brigade
nationale des enquêtes
vétérinaires
(24 janvier 2001)
M.
Roland du Luart, Président
- Mes chers collègues, nous
recevons M. Jean-Jacques Réveillon, Directeur de la Brigade
nationale des enquêtes vétérinaires.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Réveillon.
M. le Président
- Monsieur le Directeur, je vais vous demander de
faire le point de ce que vous savez sur le sujet des enquêtes
vétérinaires, après quoi M. le Rapporteur vous
questionnera, ainsi que mes différents collègues.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Monsieur le Président,
mesdames et messieurs les membres de la commission, je prendrai d'abord
quelques minutes pour vous présenter la Brigade et l'esprit dans lequel
nous travaillons.
Nous sommes une petite unité composée d'une vingtaine de
personnes, dont quatorze enquêteurs. Cette unité a
été créée en 1992 pour faire face à
l'organisation des trafiquants d'anabolisants qui se constituaient en
réseau et qu'il était difficile de réprimer par les
structures du ministère, c'est-à-dire, en particulier, par
l'organisation et les compétences territoriales départementales.
Nous avons donc créé la Brigade avec une compétence
territoriale nationale pour lutter contre la délinquance sanitaire
organisée. C'était sa première vocation.
Nous sommes peu nombreux, quatorze enquêteurs. C'est une volonté
et nous ne souhaitons pas augmenter ce nombre parce que nous fonctionnons d'une
manière particulière. J'en suis le directeur et j'ai un directeur
adjoint qui s'occupe de tout ce qui est gestion et administration, mais nous
travaillons en direct avec chacun des agents, qui dispose d'une assez grande
autonomie d'action, de déplacement et de liberté afin
d'être le plus efficace possible. Je précise que, dès que
possible, nous nous plaçons sous autorité judiciaire, parce que
nous n'apprécions pas les administrations avec des électrons
libres et ne souhaitons donc pas en être une.
Nous développons nos activités dans trois secteurs.
Le premier est un secteur essentiellement d'enquêtes judiciaires. C'est
principalement à ce titre que nous apportons notre appui à
l'autorité judiciaire, à la Gendarmerie et à la
police ; nous travaillons en collaboration avec la Direction nationale des
enquêtes douanières et la Direction nationale des enquêtes
fiscales.
En général, nous travaillons après une enquête
préalable menée de notre propre initiative en fonction des
pouvoirs qui sont conférés aux agents par le code rural, le code
de la consommation et le code de la santé publique. Dès que nous
avons réuni un faisceau de présomptions suffisant pour supposer
qu'il existe un système de délinquance, nous saisissons le
procureur de la République compétent en fonction du territoire
qui, en général, nous désigne un service de police
judiciaire, gendarmerie ou police, et nous place, par commission rogatoire,
sous l'autorité de l'officier de police judiciaire qu'il charge de
l'enquête.
C'est le premier aspect de nos activités.
Le deuxième aspect, c'est le développement d'une capacité
d'expertise que je qualifierai de bas niveau. Nous sommes assez
originaux : nous utilisons un créneau auquel personne n'a recours.
Tout le monde recrute des experts de haut niveau et nous recrutons, nous, ce
que nous appelons des experts de bas niveau, l'expression n'étant
absolument pas péjorative. Parmi mes agents, j'ai des techniciens, des
ingénieurs et des vétérinaires, sans hiérarchie
(ils fonctionnent chacun à leur tour en fonction de l'enquête,
qu'ils peuvent diriger ou non), qui ont la particularité d'avoir une
forte expérience de terrain. J'ai un technicien qui a été
agriculteur pendant quinze ans, des gens qui ont passé des années
dans des abattoirs, un vétérinaire qui a été
praticien pendant dix ans, etc. Ce sont donc des gens qui sont capables de
détecter, quand ils rentrent dans un abattoir, le geste anormal qui
cache quelque chose qui ne va pas.
En matière scientifique, nous nous appuyons, quand c'est
nécessaire, sur l'AFSSA, sur les écoles
vétérinaires et même sur la faculté de
médecine, c'est-à-dire sur tous les gens que nous pouvons trouver
pour nous aider, sachant que nous n'avons pas de problème pour les
trouver.
Cette capacité d'expertise nous permet de faire des enquêtes
techniques et administratives pour voir comment la loi est appliquée par
les professionnels, déceler ce qui ne va pas dans l'application des
règles et déterminer les règlements qui, peut-être,
ne sont pas applicables.
La troisième partie, celle qui nous intéresse plus
précisément aujourd'hui, a été confiée
à la Brigade début 1996 : il s'agit des enquêtes
épidémiologiques en élevage et des enquêtes
alimentaires concernant l'encéphalopathie spongiforme bovine.
Dans ce domaine, nous avons quatre enquêteurs depuis le mois de
septembre. Auparavant, nous n'en avions qu'un, mais, du fait de l'augmentation
importante des cas déclarés et de l'augmentation des cas
liés à la mise en oeuvre des tests, nous avons augmenté le
nombre, sachant que nous ne pourrons pas l'augmenter indéfiniment parce
que, dans une matière où il y a aussi peu de certitudes en
matière scientifique, il importe de ne pas multiplier les
enquêteurs pour conserver des enquêtes exploitables au plan
statistique et avoir des démarches homogènes entre les
enquêteurs.
Si vous le souhaitez, je peux continuer dans ce domaine plus particulier qui,
je crois, est l'objet de votre travail.
Nous n'intervenons pas immédiatement après la déclaration
d'un cas d'ESB, mais, par principe, seulement environ un mois après
l'abattage des animaux. En fait, c'est ce qui se passait il y a quelque temps.
En effet, nous avons pris du retard en raison du grand nombre de cas, ce qui a
provoqué un décalage d'environ quatre à cinq mois. Nous
procédons ainsi parce que, tout simplement, nous souhaitons intervenir
à froid et non pas dans un cadre émotionnel. Notre objectif est
d'essayer de savoir ce qui s'est exactement passé après que
l'éleveur a surmonté toute sa phase de culpabilisation parce
qu'il a eu un cas d'ESB et qu'il s'interroge sur ce qu'il a pu faire, ainsi
qu'après une deuxième phase un peu dépressive parce qu'on
lui a abattu ses animaux. Nous attendons donc qu'il ait reconstitué son
cheptel pour passer chez lui. C'est une technique absolument volontaire.
Actuellement, nous sommes malheureusement un peu débordés et nous
espérons que cela va diminuer, non pas seulement, d'ailleurs, pour les
besoins de la brigade. Nous intervenons à peu près quatre ou cinq
mois après.
Les investigations portent sur l'ensemble de l'exploitation : sa structure
générale, son équilibre économique, ses diverses
productions, les aliments qu'ont pu recevoir les bovins, les
médicaments, les divers traitements et les diverses pratiques, notamment
celles qui concernent l'épandage.
Il s'agit d'un entretien que je qualifierai de semi-directif, qui est
fondé avant tout sur une enquête documentaire. A l'occasion de
cette enquête, nous prenons toutes les factures de l'éleveur.
Il faut être conscient que nous intervenons sur un cas pour un animal qui
a pu s'infecter six ou sept ans auparavant. Donc les enquêtes portent sur
une durée qui remonte à environ trois mois avant la naissance du
cas jusqu'à deux ans avant sa mort, ce qui nous fait des périodes
d'enquête extrêmement longues. Il faut en avoir conscience parce
que, sur une durée moyenne d'enquête de quatre à cinq ans,
nous trouvons entre 2 et 140 dénominations commerciales
d'aliments qui sont rentrés sur l'exploitation, avec une moyenne
d'environ 55 à 60, ces dénominations commerciales pouvant
correspondre à plusieurs lots de fabrication.
Cela rend ces enquêtes extrêmement difficiles, et je pourrai vous
donner quelques exemples si vous le souhaitez. Je pourrai même vous en
communiquer des rapports écrits pour que vous voyiez ce que nous
demandons. Je n'ai pas amené de documents parce que je ne savais pas
exactement quoi vous apporter mais je vous communiquerai ce dont vous souhaitez
disposer ensuite.
Comme nous recueillons toutes les factures alimentaires et pharmaceutiques,
nous visitons également le vétérinaire sanitaire de
l'exploitation pour essayer de retrouver le passé sanitaire de
l'exploitation, sachant qu'à partir du moment où nous avons les
factures, nous avons les fournisseurs. Dès lors que nous avons les
fournisseurs, nous communiquons tout le dossier d'enquête
épidémiologique à l'un des deux enquêteurs
chargés des enquêtes alimentaires en usine et nous repartons dans
l'usine à l'envers, à partir du compte client, en recueillant
tout le compte client. Cela nous permet de recueillir toutes les livraisons que
l'éleveur aurait pu recevoir et qu'il a oublié de nous indiquer.
Je précise bien que c'est un oubli le plus souvent. En effet, quand vous
avez 140 ou même 80 aliments dans une exploitation sur une période
de cinq ans, vous pouvez avoir des oublis relativement logiques.
Donc nous avons une vue exhaustive. A partir de là, nous regardons les
formules et, en fonction de cela, nous examinons les aliments que l'on qualifie
de sensibles parce qu'ils sont censés contenir des protéines
animales ou végétales, parce qu'on peut avoir une substitution de
l'une à l'autre.
Nous examinons aussi l'ensemble des productions de l'exploitation, en
particulier les productions de porcs, de volailles ou autres, et nous
recueillons tous les aliments qui ont été fournis aux porcs, aux
volailles, etc.
Par dossier, cela nous fait une masse de données qui est relativement
importante.
Voilà, en gros, la manière dont se déroulent les
enquêtes. Il faut savoir que, du fait de l'expérience, on peut
considérer que l'on peut faire trois à quatre enquêtes par
semaine et que, pour une enquête alimentaire, il faut, selon le cas,
entre un jour et demi et trois jours dans une usine.
Je vais m'étendre quelque peu sur ce point des enquêtes dans les
usines pour vous indiquer la manière dont procèdent les
enquêteurs pour obtenir des résultats. Bien sûr, il y a des
visites d'usine, mais aujourd'hui, elles n'apportent pas
énormément de choses : chacun a ses silos bien
séparés, alors que, au départ, nous avions effectivement
trouvé des choses qui, dès la visite, montraient qu'il y avait
des anomalies.
Ces enquêtes consistent à prendre tous les documents comptables de
l'entreprise, à voir à peu près à quelle date ses
responsables ont fait les investissements nécessaires pour les
séparations qui s'avéraient nécessaires, à regarder
les systèmes informatiques pour voir si la succession des productions
est bien programmée et à prendre la photocopie (nous n'emmenons
pas les originaux) de tout ce qu'on appelle les documents de production
photocopiés, que l'on appelle les documents « du fil de
l'eau », c'est-à-dire l'enregistrement de l'ensemble des
productions. Ce sont des documents très précieux mais qui,
malheureusement, n'étaient pas, jusqu'ici, obligatoires dans les
entreprises. Ce n'est que le règlement du 8 février 2000 qui les
rend obligatoires ; aux époques sur lesquelles nous
enquêtons, ils ne l'étaient pas.
Cela nous permet de voir si, par exemple, une fabrication d'aliments pour
ruminants a succédé à une fabrication d'aliments pour
volailles sans rinçage intermédiaire. Cela nous permet de voir
également à partir de quel silo ont été pris les
différents composants, sachant qu'en remontant, on peut aussi savoir ce
que contenaient ces silos en analysant aussi, au fil de l'eau,
l'approvisionnement de l'entreprise.
Ces bilans sont très longs. Aujourd'hui, nous ne disposons pratiquement
plus de fil de l'eau parce que ces documents ne sont pas obligatoires. Ce sont
des documents qui étaient nécessaires aux entreprises et que
celles-ci devaient garder six mois, des documents servant aux assurances, au
cas où il y aurait des intoxications ou un problème dans le
cheptel à la suite d'une mauvaise fabrication.
Certaines entreprises ont archivé ces documents et d'autres les ont
détruits au bout de six mois. Cela fait que, dans les résultats
que nous obtenons en matière judiciaire, dans bien des cas, ce sont les
entreprises qui n'appliquaient pas les règles d'archivage qui se sont
retrouvées un peu compromises du fait des documents qu'elles avaient
conservés : bien entendu, pour celles qui les avaient
détruits, comme elles en avaient le droit, on n'a plus
d'éléments.
Que trouvons-nous ? En règle générale, nous
décelons les contaminations croisées qui ne sont pas un mythe.
Elles sont de trois types. Comme on vous en a certainement déjà
parlé, je ne sais pas si je dois y revenir en détail. Il faut
savoir que l'aliment bovin a toujours servi, historiquement, pour recycler les
retours de non consommés, les sacs éventrés et les
aliments porcs et volailles. Les porcs et volailles sont des productions
industrielles qui nécessitent une composition alimentaire très
précise et, dès lors que vous arrivez en fin de lot, qu'il vous
reste un aliment « porc finition » ou « volaille
finition » et que vous devez repartir avec un aliment
« porcelet », ce n'est pas le même aliment. S'il
reste suffisamment d'aliment, le fabricant le reprend. Seulement, comme c'est
un aliment composé, il est très compliqué de le
réintégrer dans une formule « porc » ou
« volaille ».
Chez les bovins, c'est plus simple puisqu'en fait, ce n'est pas le bovin que
l'on nourrit mais les bactéries du rumen, qui s'adaptent relativement
rapidement en fonction de la composition de l'aliment. C'était donc une
habitude.
M. le Président
- M. le Rapporteur a une question à vous
poser.
M. Jean Bizet, rapporteur
- Monsieur le Directeur, puis-je vous
interrompre dès maintenant ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Tout à fait. Je ne sais pas
comment faire ; donc je parle, vous m'interrompez et je réponds aux
questions quand vous voulez.
M. le Rapporteur
- En ce qui concerne cette problématique des
contaminations croisées et donc des retours d'aliments non
consommés pour porcs et volailles, à quelle date,
précisément, avez-vous pris conscience de cette notion de
contaminations croisées et de son importance et, par ailleurs, quelles
entreprises françaises avez-vous listées ? Nous
souhaiterions avoir des noms parce que, lorsque nous nous
déplaçons sur le terrain, nous n'en avons pas, sachant que chaque
entreprise lave « plus blanc que blanc ».
A quelle date en avez-vous pris conscience et quelles entreprises
françaises se sont-elles livrées à ces
réincorporations ayant généré des contaminations
croisées ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je précise que j'ai pris mes
fonctions il y a un an, si bien que j'ai un peu de recul d'un côté
mais que, d'un autre côté, je n'ai pas totalement en tête
l'atmosphère générale qui présidait aux
décisions, ce qui est très important pour savoir ce qui s'est
passé.
Cependant, d'après les rapports et d'après ce que me disent mes
agents, nous en avons pris conscience assez tôt. Dès la
première année, c'est-à-dire en 1996, puisque, auparavant,
nous ne faisions pas ces enquêtes, nous nous sommes aperçu que
certaines pratiques n'excluaient pas les contaminations croisées, loin
de là. J'ajoute que nous en avons trouvé jusqu'en 1997- 1998, au
fur et à mesure de nos enquêtes.
Lorsque nous avons pu les trouver, nous avons transmis des dossiers au
procureur de la République. Ce sont des dossiers très complexes
à monter juridiquement. En effet, comme nous enquêtons dans le
cadre d'un cas qui a eu lieu cinq ou six ans avant, sachant qu'il y a de
nombreux lots, il est impossible de prouver que ce sont tel lot et telles
farines qui ont provoqué tels cas. Nous enquêtons donc dans le
cadre d'un cas mais nous constatons des défauts d'application du
règlement qui veut que l'on n'utilise pas de farines animales dans
l'alimentation des ruminants.
S'agissant des nombres, nous avons actuellement six dossiers qui sont au
parquet, qui ont été retenus et qui ont fait l'objet d'un
numéro de parquet. Je précise que ce sont des entreprises
relativement importantes. Je n'ai pas souhaité avoir le huis clos mais,
d'un autre côté, il m'est un peu difficile de communiquer des
noms. En conséquence, je souhaite plutôt vous les communiquer par
écrit, si cela ne vous dérange pas, parce que je ne sais pas
quelle attitude prendre par rapport à la publication des noms.
Je ne suis pas du tout opposé à vous les communiquer ; je
n'ai pas demandé le huis clos parce que j'estime n'avoir rien à
cacher. D'un cotre côté, ces dossiers font l'objet de
procédures judiciaires et ils ont un numéro de parquet. Je vous
communiquerai donc les noms et les numéros de parquet, si vous le
permettez.
M. le Rapporteur
- Peu importe la formulation. Nous notons bien que vous
allez nous communiquer six documents avec des numéros comportant donc
six noms d'entreprises.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je vous donnerai la liste des six
noms avec les numéros de parquet.
M. le Rapporteur
- Très bien. J'en reviens à la date de
1996 à partir de laquelle vous avez pris conscience des problèmes
de contaminations croisées...
M. Jean-Jacques Réveillon
- C'est dans le rapport de la Brigade.
A partir de 1996-1997, on voit très bien qu'il y a des contaminations
croisées. Attention : je parle ici de contaminations
croisées d'entreprises alors qu'il y a aussi des contaminations
croisées d'élevage.
M. le Rapporteur
- Cela étant, vous avez informé les
parquets correspondants. Avez-vous informé la Direction
générale de l'alimentation ou le ministère de
l'agriculture ? Si je vous pose cette question, c'est que, entre 1996 et
2000, date à laquelle le ministère a pris la décision
d'interdire toute incorporation de farines dans l'alimentation animale, il
s'est écoulé quatre ans. Avez-vous donc informé le
ministère parallèlement, dès 1996 ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Le ministre est destinataire de nos
rapports épidémiologiques d'ESB et c'est contenu dedans.
M. le Rapporteur
- Très bien. Nous notons les quatre
années.
M. Jean-François Humbert
- Je voudrais dire un mot sur les
rapports transmis au ministère. Pourriez-vous nous les faire
parvenir ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Bien sûr. Cela ne pose aucun
problème. Le rapport de 1996, donc publié en 1997, a
été rendu public et le rapport provisoire 1999 a
été mis sur Internet. Les rapports de 1997 et 1998 n'ont pas
été rendus publics parce qu'ils sont nominatifs,
c'est-à-dire qu'ils donnent le nom des entreprises et le nom des
dénominations commerciales d'aliments, mais je peux vous les
communiquer.
Quant au rapport définitif 1999 et début 2000, il est
pratiquement prêt. Il a été plus long à
rédiger parce qu'on voulait le rendre public, ce qui nous a
obligés à coder tous les noms et toutes les nominations
commerciales pour ne pas avoir d'ennuis, sachant que nous n'émettons que
des hypothèses tant que nous n'avons pas de certitude. Il a
été plus long à élaborer mais il est terminé
et je pourrai également vous le communiquer.
M. Michel Souplet
- Aujourd'hui, après avoir constaté un
certain nombre de cas, en particulier dans la région du grand ouest
où ils sont les plus nombreux, a-t-on pu faire un rapprochement entre
l'origine des farines et les cas que l'on constate ? Cela vient-il d'un,
deux ou trois producteurs d'aliments ou n'y a-t-il pas du tout de
corrélation ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Comme je vous l'ai dit, en
matière d'ESB, nous nous refusons d'émettre des affirmations et
d'avoir des certitudes, sans quoi nous aurions le prix Nobel... Nous faisons
donc des hypothèses que nous confirmons, que nous infirmons ou que nous
détruisons au cours du temps, quand les faits sont établis
ultérieurement.
Nous avons retenu l'hypothèse britannique de contamination par les
farines de viande et d'os, bien sûr, mais sans éliminer les autres
hypothèses, c'est-à-dire que nous cherchons à voir s'il y
a des corrélations avec des médicaments ou des vaccins qui
auraient été préparés à partir de
sérum bovin ou à partir de cellules.
Nous faisons aussi à chaque fois l'analyse de
l'éventualité d'une transmission mère-fille (je dis
"mère-fille" parce que, jusqu'ici, on n'a que des femelles, sachant que
les mâles meurent trop tôt pour exprimer des symptômes et
qu'on ne sait donc pas ce qu'ils deviennent) mais nous n'avons pas
trouvé d'éléments probants.
Pour être clairs, nous examinons ce qu'est devenue la mère
après la naissance du veau qui est devenu un cas et nous examinons tout
ce qui s'est passé pendant l'année qui suit. Or, pendant cette
année qui suit, dans aucun des cas nous n'avons retrouvé une mort
anormale de la mère. Soit la mère était vivante au bout
d'un an, soit elle a été abattue parce que c'était son
âge normal d'abattage en tant que vache de réforme. Nous n'avons
donc rien de probant en matière de transmission mère-fille sur
les quelque 250 cas que nous avons et les 170 cas sur lesquels nous avons
enquêté, puisque des enquêtes n'ont pas été
menées sur tous les cas à ce jour.
En ce qui concerne les farines animales, nous avons plusieurs hypothèses
qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Si vous analysez les dates de
naissance des cas que l'on découvre aujourd'hui et des cas de 1999-2000,
il faut savoir que, jusqu'en 1999, on avait si peu de cas que l'on était
très timide. Je ne dirai pas que je suis content d'en voir plus mais, au
plan statistique, on est plus ferme quand on parle de 200 cas que lorsqu'on
parle de 20 cas.
Nous avons déterminé que les animaux nés entre 1993 et
1995 ont été soumis à une exposition plus importante que
les autres. Nous estimons donc qu'il s'est passé quelque chose entre
1993 et 1995, après leur naissance (ce sont les hypothèses des
Anglais mais nous avons deux ou trois cas qui prouvent qu'ils ont
été contaminés de façon certaine entre trois mois
et un an), qui a fait que les aliments distribués aux bovins ont
été plus contaminants.
A partir de là, nous avons trois possibilités de contamination
des farines.
La première possibilité est une contamination à partir des
farines britanniques importées, quand c'était tout à fait
légal, entre 1986 et le 5 février 1990. Il faut savoir que l'on a
importé à cette époque entre trente et quarante mille
tonnes de farine. Quand on regarde la liste des origines (on les a puisque
c'était légal et qu'il n'y avait donc pas de raison de cacher les
choses), on s'aperçoit que, parmi les importateurs, on a des fabricants
de farines anglaises qui sont ceux qui ont été à l'origine
de l'épidémie britannique.
Par conséquent, entre 1986 et 1989, nos animaux ont mangé une
farine contaminante, puisque ces mêmes farines ont provoqué en
Grande-Bretagne, dans les années 1992 et 1993, 30 000 cas par an. Chez
nous, en important entre 5 et 10 % de la production britannique,
même si nous les avons données en grande partie aux porcs et aux
volailles, parce qu'il est vrai que les ruminants en mangent peu, nous avons eu
quelques cas.
La question qui se pose est la suivante : pourquoi, à partir des
mêmes farines, les Britanniques ont-ils eu 30 000 cas alors que nous n'en
avons eu que quelques-uns ? On ne se l'explique pas.
J'ai eu conscience de cette hypothèse à partir des cas de
suspicion. En effet, quand on analyse les suspicions de maladie et non pas
seulement les cas positifs, on s'aperçoit par exemple qu'en l'an 2000,
on doit être aux environs de 426 suspicions (à dix unités
près, car je ne suis pas tout à fait sûr du nombre), dont
323 négatives alors que, dans les années 1993 à 1995, on
en était à 20 ou 30 suspicions. Or ces négatives
d'aujourd'hui devaient bien exister à cette époque-là.
Celles qui sont négatives sont celles qui n'avaient pas l'ESB.
Par conséquent, sauf à avoir une autre maladie comparable
à l'ESB qui se serait développée ensuite, cela prouve que
le réseau épidémiologique est monté en puissance
très progressivement et que nous n'avons peut-être pas
décelé tous les cas.
Cela signifie que, selon notre hypothèse (car c'est bien une
hypothèse), nous avons, dans les années 1993 et 1994,
recyclé des cas qui ont pu ne pas être déclarés (on
pourrait en examiner les raisons, sachant qu'il peut y en avoir plusieurs) et
que l'on a pu recontaminer nos farines françaises.
Il faut savoir qu'à l'époque, l'esprit qui prévalait dans
nos équarrissages, c'est que si les Anglais avaient eu ces
problèmes, c'est parce qu'ils chauffaient les farines à 70 ou 80
degrés mais que nous pouvions nous sentir en sécurité
parce que nous les chauffions non pas encore à 133 degrés,
puisque c'est venu progressivement, mais suffisamment pour éliminer les
clostridium et leurs spores ; c'était en effet le critère
retenu.
Or on s'aperçoit maintenant que non seulement les 120 degrés ne
suffisent pas mais que les 133 degrés, vingt minutes et 3 bars (il
suffit de voir ce qui se passe en Allemagne) n'étaient pas non plus une
sécurité.
Par conséquent, s'il y a eu des sous-déclarations et si des
animaux contaminés sont passés dans la filière
d'équarrissage, il n'y a pas de raison que nos propres farines n'aient
pas été recontaminées.
C'est l'hypothèse de la contamination des farines françaises. Il
est possible que je déçoive, mais je ne veux pas que l'on puisse
dire toujours : "ce sont les autres". Il faut analyser ce qui se passe
chez nous aussi.
La première possibilité, c'est la contamination des farines
françaises, la deuxième étant les farines d'origine
britannique et la troisième les farines d'autres origines.
J'en viens donc à la deuxième hypothèse : les farines
d'origine britannique, qui se subdivisent en deux.
Nous avons d'abord les farines d'origine britannique avérée. A
cet égard --et nous sommes un peu désolés de ne pas aller
dans le sens courant--, nous n'avons pas trouvé, au cours de nos
investigations, qui ont parfois été très poussées
sur le plan documentaire, de farines de viande et d'os de ruminants
marquées "origine britannique".
Cela veut-il dire qu'il n'y en a pas eu ? C'est une autre affaire parce
que le marché des farines est paneuropéen et qu'il est
lié, en cours et en qualité, au marché des
protéines en général, qui est un marché mondial. Il
y a, dans ces affaires, des courtiers et des commerçants en farines.
Quand on dit : « je veux tant de farine de telle
caractéristique », cela passe par un certain nombre de pays et
de silos et, il n'y a pas de traçabilité.
Peut-on masquer l'origine d'une farine en ne mettant que la provenance et en
faisant passer la provenance pour l'origine ? J'émets une
hypothèse : quand un produit est interdit et que l'on a un moyen de
s'en procurer d'une autre manière, on ne va pas s'amuser à
marquer « farine anglaise » sur le produit. Donc s'il y en
a eu, elles sont peut-être passées autrement et pour les
identifier, cela relève de l'enquête internationale, de
l'enquête documentaire sur dix ans chez les courtiers, de l'enquête
des importations et exportations de tous les pays pour voir si certains
n'auraient pas fabriqué plus de farines que déclaré, etc.
C'est une hypothèse dont il faut tenir compte. Je ne dis pas qu'il n'y a
pas eu de farine britannique. J'ai même lu dans la presse des articles
qui indiquaient que nous avions fourni des documents inexploitables. Nous ne
pouvons pas inventer des documents que nous n'avons pas. Nous avons des
documents sur les importations de farines et nous n'avons pas trouvé de
farines d'origine britannique. Je parle bien de farines de viande et d'os de
ruminants. Il n'en est pas de même pour les farines de volaille.
M. le Président
- Le rapporteur va vous interrompre.
M. le Rapporteur
- Pouvons-nous imaginer, à ce stade de votre
information, que votre curiosité vous a poussé, malgré
tout, à comparer les tonnages d'importation au niveau français
par rapport aux exportations des différents pays, le Royaume-Uni,
certes, mais également la Belgique, l'Irlande, les Pays-Bas, etc. ?
Avez-vous pu voir certaines concordances ou discordances ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Cela n'a pas encore été
fait mais nous avons engagé plusieurs choses dont je vais vous parler au
fur et à mesure et cela fait partie des choses que nous sommes en train
d'engager. Des gens travaillent là-dessus et il y a même sur le
réseau Internet une « liste ESB » sur laquelle un
grand nombre de correspondants sont en train de faire des calculs. Je regarde
donc ce qui se passe. Je ne peux pas vous l'affirmer, mais il semble que la
réponse soit affirmative. Il semble que certains pays ont produit
beaucoup de farines.
M. le Rapporteur
- Depuis combien de temps cette approche de concordance
entre importations et exportations a-t-elle été
menée ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Nous ne faisons que la commencer
parce que ce n'était pas notre travail. Dans notre action, nous nous
sommes arrêtés à l'enquête alimentaire et dès
que nous avions des documents intéressants, nous travaillions avec la
section de recherche de la gendarmerie de Paris et nous lui avons fourni des
documents sur d'éventuelles enquêtes sur les courtiers
internationaux ou autres, mais nous n'avons pas le pouvoir d'aller plus loin.
Il faut savoir que nous n'avons pas une méthode d'école,
c'est-à-dire que nous travaillons toujours au ras du terrain. Nous
prenons des documents, nous les analysons à fond et nous recherchons des
documents supplémentaires. Nous ne partons pas d'une étude
d'ensemble pour essayer de voir comment s'organisaient les flux. Nous partons
d'un point de détail et nous démontons des pelotes de laine. Il
s'agit d'un travail d'enquêteur assez comparable à ce que peut
faire la gendarmerie ou la police.
Donc ce n'est pas tout à fait notre travail de faire ces analyses
économiques générales, mais à partir du moment
où on en arrive à cette hypothèse que je viens
d'évoquer, nous sommes en train d'essayer de recueillir des documents
afin de la confirmer. Le problème est d'avoir des chiffres valables.
M. le Rapporteur
- A quelle date pensez-vous pouvoir annoncer quelques
chiffres ou quelques conclusions ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je suis ennuyé pour vous
répondre parce que ce n'est pas un travail qui devrait être fait
par nous. Normalement, une brigade d'enquêteurs ne fait pas ce genre de
chose. Nous ne le faisons qu'en interne, sachant que nous faisons un certain
nombre de choses en interne.
M. le Rapporteur
- Qui doit logiquement le faire et qui vous a
mandaté pour le faire si ce n'était pas votre travail ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Personne ne nous a mandatés
pour le faire. Comme je vous l'ai dit, nous émettons des
hypothèses et nous partons donc d'éléments logiques. Quand
je vous parle de ces hypothèses, je vous dis que, sur les farines, il y
a trois possibilités : soit elles sont françaises, soit
elles sont britanniques, soit elles sont d'autres origines.
Pour ce qui est des farines françaises, il y a deux possibilités,
dont l'une que je ne vous ai pas donnée parce que nous sommes partis sur
un autre sujet. Il y a la possibilité de recyclage des bovins
français contaminés dans les farines françaises, mais il
faut aussi examiner la possibilité de recyclage de carcasses d'animaux
anglais qui auraient pu contenir encore la moelle épinière dans
l'équarrissage français. Il faut être exhaustif.
Quant aux farines d'origine britanniques, il y a également deux
hypothèses : soit elles étaient marquées
« origine anglaise », soit l'origine a été
masquée et on a substitué la provenance à l'origine.
Beaucoup de farines transitent par les Pays-Bas et la Belgique, mais aucun pays
n'est à viser en particulier. Il faut reprendre toute la liste de ce
qu'on a trouvé.
Pour ce qui est des farines de volaille, nous avons trouvé par hasard
des importations de volailles d'Italie. S'ils n'avaient pas commis l'erreur de
laisser le dossier avec les feuilles de route derrière, nous n'aurions
jamais su qu'elles venaient d'Angleterre. Comme c'étaient des farines de
volaille, nous ne pouvions rien faire, mais le fait est là.
Je veux bien faire faire ce travail si vous le voulez, même s'il faudrait
que j'en parle à ma directrice puisque c'est elle qui donne les
attributions de la Brigade.
Je n'en ai pas encore parlé, mais il faut savoir que je dépends
directement de Catherine Geslain-Lanéelle, la Directrice
générale de l'alimentation, et que je suis contrôleur
général, ce qui me permet de m'assurer d'un statut me permettant
de parler et de ne pas avoir d'ennuis si je ne suis pas d'accord,
c'est-à-dire un statut d'impartialité. Nous avons donc toutes les
conditions de l'impartialité.
Cela étant dit, je vous réponds oui à sa place et nous
allons voir ce que nous pourrons faire dans quelques mois, mais je fixerai la
date plus tard parce que nous n'en sommes qu'au début et que nous devons
évaluer les documents disponibles. Entre nous, si un service devait
faire cela, c'est bien celui des Douanes.
M. le Rapporteur
- Nous voudrions avoir cette information début
mai compte tenu des délais de notre commission.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Pouvez-vous poser la question au
service des Douanes et me permettez-vous de prendre contact avec le service des
Douanes pour savoir comment nous pourrions nous organiser sur cette
affaire ?
M. le Rapporteur
- Bien sûr.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Ce sont eux qui ont les documents et
qui ont la correspondance avec leurs homologues des autres pays.
M. le Rapporteur
- L'important, c'est le résultat.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je vais voir cela avec les Douanes.
M. le Président
- Nous allons recevoir les représentants
des Douanes françaises le 31 janvier. Donc nous ferons passer le message.
M. le Rapporteur
- Dans cet ordre d'idée, pourrions-nous avoir
votre rapport 1999 « nominatif », si je puis dire ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui, s'il n'est pas publié. Je
ne veux pas me retrouver en diffamation puisque ce sont des hypothèses.
M. Paul Blanc
- Toujours dans le même ordre d'idée, si j'ai
bien compris, les enquêtes que vous menez sont diligentées soit
à la demande de votre directrice, soit à la demande du parquet.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui.
M. Paul Blanc
- Or vous avez dit tout à l'heure qu'un certain
nombre de vos procédures ont été transmises au parquet.
Est-ce que ce sont uniquement celles qui vous ont été
demandées par le parquet ou est-ce que, de votre propre initiative, vous
en transmettez au parquet ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- C'est de notre propre initiative que
nous les transmettons au parquet, et nous en avons deux ou trois en cours.
M. Paul Blanc
- Pour quelle raison les transmettez-vous au parquet ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Parce que nous avons noté des
éléments que nous estimons des présomptions suffisamment
fortes et concordantes pour estimer qu'il y a un non-respect des textes en
matière d'incorporation de farines animales dans l'aliment bovin.
M. Jean Bernard
- Savez-vous quel sort est réservé
à ces transmissions ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Actuellement, c'est en cours.
M. Paul Blanc
- Il s'agit du secret de l'instruction, mon cher
collègue.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Si un sort leur était
réservé, je vous le dirais, mais les six dossiers dont je vous
parle sont, pour certains, en enquête préliminaire, sous
autorité du procureur et, pour d'autres, en information judiciaire sous
autorité du juge. Cela devrait donc aller assez vite et je sais que,
pour un ou deux dossiers, l'enquête a apporté une confirmation de
ce que nous avons fait.
M. le Rapporteur
- Ce qui est, malgré tout, frustrant est
ennuyeux, si je puis dire, c'est qu'en la matière Mme le juge Boizette
est excessivement lente dans ses investigations. Quand on sait qu'au bout de
trois ans, il y a prescription, on peut se poser beaucoup de questions. Dans le
cas du département de la Manche, que je connais bien, des plaintes ont
été déposées auprès d'un certain nombre de
tribunaux et il n'y a jamais eu de suite jusqu'à maintenant. C'est assez
troublant et frustrant.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Dans la Manche, vous allez avoir une
ou même deux suites, mais vous verrez le dossier que je vais vous
envoyer. Dans la Manche, il se passe des choses.
M. le Rapporteur
- Nous l'attendons avec impatience.
M. Paul Blanc
- J'ai plusieurs autres questions à vous poser. Au
cours de vos enquêtes, avez-vous des difficultés à obtenir
des industriels des renseignements sur la composition de leur formule ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Non.
M. Paul Blanc
- A votre avis, est-il possible ou probable que certains
éleveurs mélangent directement de la poudre d'os dans un aliment
végétal acheté par leurs soins ou provenant de leur
production ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui.
M. Paul Blanc
- Des élevages ayant eu des cas d'ESB l'ont-ils
fait à votre connaissance ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je suis assez content que l'on aborde
ce problème, parce que je ne souhaite pas uniquement orienter le tir
vers ceux pour lesquels on peut prouver quelque chose. Au cours de nos
enquêtes épidémiologiques, que je qualifierai de "douces",
dans lesquelles nous souhaitons avant tout savoir ce qui s'est passé,
nous obtenons des confidences en général indirectes et
codées qui nous donnent à penser qu'effectivement, la pratique
consistant à donner des aliments de volaille aux jeunes bovins n'est pas
inexistante.
La deuxième chose sur laquelle nous commençons à
travailler, à la suite de nos enquêtes et des hypothèses
que nous émettons, concerne un autre secteur dans lequel nous avons
enquêté à partir de cas. En effet, nous constatons que nous
avons une très forte proportion de cas qui se produisent dans des
exploitations multi-espèces par rapport au pourcentage d'exploitations
multi-espèces existant. Nous avons donc commencé une étude
statistique pour voir s'il y a une différence signifiante et si ce sont
des contaminations croisées d'aliments pour ruminants au niveau de
l'usine. En effet, nous n'avons pas de raison d'avoir des différences
significatives entre ceux qui n'ont que du ruminant et ceux qui ont autre chose.
Si ce sont des contaminations croisées au niveau de l'exploitation, il
est moins étonnant que l'on ait une forte contamination dans les
exploitations multi-espèces. C'est aussi une hypothèse mais nous
avons maintenant des chiffres.
Nous engageons maintenant des enquêtes hors cas dans trois zones, que je
ne désignerai pas pour l'instant, c'est-à-dire que nous avons
commencé à prélever chez des industriels des listes
d'acheteurs de produits pour volailles et porcs. Ensuite, nous vérifions
si les acheteurs ont des volailles et des porcs, auquel cas nous essayons de
voir si les indices de consommation sont tels que l'atelier peut être
rentable directement, en tant que volailles, ou s'il n'y a pas un peu
d'aliments qui passent chez les bovins.
Ce sont des choses très délicates. Nous n'avons aucune certitude
mais nous sommes en droit de penser que cela peut exister.
Entre les deux choses, il peut y avoir éventuellement des contaminations
de transports. On a constaté en effet que, dans certains cas, le reste
de la livraison précédente arrivait au début de la
livraison suivante, mais il y en a de moins en moins maintenant.
M. Paul Blanc
- J'ai encore des questions. En ce qui concerne les
aliments complémentaires que l'on peut donner dans des élevages
allaitants qui, a priori, n'utilisent pas de farines animales, pensez-vous que
ces aliments complémentaires pourraient être mis en cause ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui. Ils le pourraient. Si on fait
l'analyse des cas qui ont fait l'objet d'enquêtes, nous avons un cas
(nous en avons même deux parce que nous avons fait une enquête
avant-hier qui le confirme mais il reste à faire l'enquête en
usine et on veut voir, malgré la déclaration de l'éleveur,
ce qu'il a vraiment acheté) qui est très simple : il s'agit
d'un cas qui n'a consommé que deux aliments qui sont des
compléments protéiques pour jeune bovin. Deux
dénominations commerciales d'aliments sont rentrées sur
l'exploitation, dans laquelle il n'y a ni porcs, ni volailles, qui ne fait pas
d'épandage et qui ne compte qu'une vingtaine de bovins, sachant que ce
sont des aliments qui sont livrés en sacs.
Comme il n'y a pas de contamination possible au niveau de l'élevage,
nous sommes remontés à l'usine d'alimentation, qui fait 90 %
de son chiffre d'affaire en porcs et volailles. Nous avons donc fait une
recherche de contamination croisée et nous sommes remontés au
marchand de farines. Sur la période, nous avons relevé plusieurs
centaines de mouvements de farines entre les différents sites, les
importations, les exportations, les passages par les courtiers et autres.
Cela fait que nous ne pouvons pas rattacher ce cas, alors que nous avons une
relative certitude, à un lot déterminé ou à une
origine déterminée de farine. C'est le cas le plus simple.
Nous avons d'autres cas simples qui viennent d'arriver. Nous sommes très
intéressés à aller voir les cas de l'Ain et du Doubs. Ce
sont deux affaires que l'on va regrouper dans les semaines qui viennent --le
Doubs la semaine prochaine et l'Ain la semaine suivante-- parce que ce sont des
cas intéressants. Plus nous avons de cas, plus nous allons trouver des
cas exceptionnels qui vont nous permettre de déterminer quelque chose.
Il faut se garder de tout sophisme mais, dans tous les cas, il y a eu
consommation de compléments « jeune bovin »
protéinés. Tout le monde, bien sûr, n'a pas eu de
complément « vache laitière », en particulier
pour les allaitantes, et tout le monde n'a pas eu de lacto-remplaceurs, y
compris dans les vaches laitières. Nous avons quelques cas dans lesquels
il n'y a pas eu de lacto-remplaceurs. Cela ne veut pas dire que les
lacto-remplaceurs ne sont pas en cause mais que, s'ils le sont, ce ne sont pas
les seuls. Je parle bien de quelques cas chez les laitières, parce que,
chez les allaitantes, il n'en est pas question.
M. Paul Blanc
- Vous avez évoqué les courtiers.
Pouvez-vous transmettre quelques noms à la commission ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui.
M. Paul Blanc
- J'ai une dernière question. Vous avez
déclaré tout à l'heure que, lorsque vous meniez vos
enquêtes, vous commenciez trois mois avant la naissance. Est-ce à
dire que vous n'éliminiez pas a priori une possibilité de
contamination placentaire ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- De toute façon, nous
n'éliminons rien a priori et nous avons des hypothèses plus ou
moins fortes. Nous étudions cette hypothèse de contamination
mère-fille. Simplement, comme nous estimons que, lorsqu'un aliment
rentre dans une exploitation, il y a un certain délai pour être
consommé, il est possible qu'un animal qui naisse trois mois
après consomme un aliment rentré trois mois avant. Donc nous
remontons pour avoir l'historique en matière d'aliments
éventuellement consommés par le cas.
Pour les contaminations mère-fille, nous examinons le curriculum
vitæ de la mère et nous regardons, dans l'année qui a suivi
la naissance du veau qui est devenu un cas, ce qu'il est advenu de la
mère. Nous vérifions en particulier s'il n'y a pas eu une mort
avec départ à l'équarrissage. Nous n'en avons pas
trouvé une seule sur les cas que nous avons étudiés. Dans
deux ou trois cas, nous n'avons pas retrouvé la mère pour des
problèmes d'identification, mais de façon générale,
soit la mère était partie à l'abattage à un
âge normal de réforme parce que c'était son dernier veau
(vous savez comment les choses se passent : on attend quatre ou cinq mois
pour la retaper et on l'emmène à l'abattoir), soit elle
était vivante et a refait d'autres veaux.
M. le Président
- Pour intervenir dans une exploitation,
avez-vous un mandat du procureur ou de votre ministère ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Ce sont les droits qui nous sont
conférés par le code rural. En général, dans la
Brigade, nous utilisons trois codes.
Le premier est le code rural, qui nous autorise d'entrer dans tous les lieux
où sont entretenus les animaux, où des denrées sont
entreposés ou travaillées et, maintenant, où sont
fabriqués des aliments. C'est très récent : il faut
savoir que l'alimentation animale est réglementée, non pas dans
la composition mais dans la fabrication, depuis très peu de temps.
Ce sont des pouvoirs de police qui sont complémentaires des pouvoirs de
police des gendarmes.
Deuxièmement, nous sommes habilités à agir au titre du
code de la consommation et nous travaillons avec les services de la
répression des fraudes sur un certain nombre de dossiers.
Enfin, en matière de code de la santé publique, nous sommes
habilités pour les médicaments vétérinaires, les
substances, etc.
M. le Président
- Les gens jouent-ils le jeu ou sentez-vous une
certaine obstruction ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Comme je vous l'ai dit tout à
l'heure, il est important, dans une enquête
épidémiologique, de savoir ce qui s'est passé. Parmi les
enquêteurs que nous envoyons chez les éleveurs, nous n'envoyons
pas des gens très répressifs, sans quoi nous ne saurions rien. En
revanche, nous arrivons à obtenir des confidences codées, comme
je vous l'ai dit.
On nous dit des choses du genre : "à bien y
réfléchir, je me demande si elle ne s'est pas
détachée un jour et si elle n'est pas allée manger dans le
silo des cochons"...
M. le Président
- Chez les fabricants d'aliment, je suppose que
c'est beaucoup plus difficile.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Non. Ils nous donnent les documents
quand ils les ont. En fait, cela devient difficile maintenant parce qu'ils
savent bien que c'est le "fil de l'eau" qui est le document compromettant. Il
ne doit plus en rester maintenant puisque ce n'est pas un document obligatoire.
Nous n'avons donc pas l'espoir d'aller beaucoup plus loin dans les
enquêtes, d'autant plus que les farines animales sont désormais
totalement interdites.
Cela dit, nous n'avons pas de difficultés à nous faire
communiquer les papiers de la part des fabricants d'aliments quand ils les ont.
M. François Marc
- J'ai une question à vous poser
concernant la contamination croisée à la ferme. Nous avons
visité la société Glon, où on nous a dit qu'il n'y
avait pas de risque que les éleveurs fassent un mélange parce que
ce n'est pas la même formule et donc que personne n'aurait l'idée
d'aller donner de l'aliment de volaille à des bovins.
Je voudrais avoir votre sentiment sur ce point, mais également sur
l'information inverse qui nous parvient aux oreilles, dans nos cantons ruraux,
et qui provient d'éleveurs qui font état de conseils qui leur
auraient été donnés par des techniciens de
sociétés d'aliments ou des coopératives en disant :
« donnez donc un peu d'aliments porcs à vos jeunes bovins pour
les démarrer ; c'est plus efficace et vous ne prenez pas de
risques ».
Je voulais avoir votre sentiment sur ces deux perceptions des choses. D'un
côté, on dit que la différence de formule fait qu'il ne
faut pas mélanger et que personne n'aurait idée de le faire. D'un
autre côté, y a-t-il eu, en ce qui concerne les responsables de
ces aliments, un certain laisser-aller dans les conseils ou des choses un peu
irresponsables qui ont été constatées sur le terrain ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je vous rappelle que nous nous
situons dans les années 1993 et 1994, où il n'y avait que quelque
cas par an, et je ne pense pas que les éleveurs auraient imaginé
que les choses allaient atteindre de telles proportions.
Le fait de donner de l'aliment pour bovin aux porcs me paraît un peu
compliqué, mais pour l'inverse, je ne vois pas où est le
problème.
M. le Président
- Le coût n'est-il pas le même ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- L'aliment porc ou volaille
coûte moins cher.
M. Jean Bernard
- Les fabricants d'aliment du bétail avaient dit
qu'il n'y avait pas de justificatif de prix, que ce n'était pas
rationnel. C'est une chose qui nous a été affirmée de
façon péremptoire.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Lorsque le producteur d'aliment ne
reprend pas les aliments dans un silo parce qu'il arrive en fin de bande de
production et qu'il en reste, que fait l'éleveur, à partir du
moment où cet aliment ne peut pas servir au démarrage de la bande
suivante, puisque ce n'est pas le même ?
M. le Président
- Il ne les jette pas, évidemment.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Demander à un éleveur
de jeter de l'aliment est insupportable moralement et psychologiquement.
M. le Rapporteur
- Je conclus sur ce point précis. Ou bien cet
aliment fait l'objet d'une contamination in situ, dans l'exploitation agricole,
ou bien il fait l'objet d'un retour et il y a alors une contamination
croisée, mais non plus dans la ferme.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Petit à petit, en
avançant dans notre discussion, nous en venons à des
éléments fermes. Or je rappelle que ce sont des hypothèses
et des possibilités que, personnellement, je n'exclus pas du tout.
M. le Rapporteur
- A contrario, avez-vous la confirmation que, dans une
ferme où il y a eu un cas d'ESB, le fournisseur d'aliments pour
bétail n'utilisait pas de farines animales ? Avez-vous eu des cas
de ce type ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Non. Très peu de fournisseurs
fabriquent exclusivement des aliments pour bovins. Cela doit faire environ
10 % à 15 % du marché au maximum. La plupart des
producteurs de farines font aussi des farines pour volailles et porcs. Il faut
avoir une très forte concentration pour se spécialiser.
M. le Rapporteur
- Nous en revenons donc à cette date de 1996.
Dès 1996, vous avez pris conscience de la problématique de la
contamination croisée.
M. Jean-Jacques Réveillon
- A l'analyse des cas de 1996, donc
début 1997.
M. le Rapporteur
- Ce qui est inquiétant, c'est de voir que les
pouvoirs publics ont mis trois ans pour réagir et pour interdire
définitivement l'utilisation des farines pour toutes les espèces
animales. Je relève la concordance des dates ou le différentiel
entre 1997 et 2000, mais je comprends que vous ne répondiez pas.
M. Jean-Jacques Réveillon
- C'est votre avis.
M. le Rapporteur
- J'ai une autre question. Vous avez parlé de
pratiques d'épandage. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à
travers vos enquêtes épidémiologiques ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Nous sommes partis d'une autre
hypothèse : le fait que l'agent infectieux (j'évite de
parler du prion pour m'entourer de toutes les précautions),
n'étant pas sensible aux divers enzymes et produits du tube digestif,
peut le traverser et se retrouver dans le lisier quand on donne de l'aliment.
Nous nous sommes donc dit que si quelqu'un reçoit du lisier sur son
champ, sachant que le porc a été nourri aux farines animales, on
pouvait éventuellement se retrouver avec un cas de pollution du milieu
extérieur. C'est une chose que nous notons, mais nous n'avons encore
trouvé aucun élément qui permet de nous orienter dans ce
sens.
Nous sommes en permanence en train de nous poser des questions. Je vous les
pose mais je ne voudrais pas qu'on en déduise que ce sont des
certitudes. Je ne suis pas un scientifique. Nous sommes des enquêteurs et
nous nous posons des questions.
M. le Rapporteur
- Sur ce point précis, avez-vous des relations
particulières avec l'AFSSA ? C'est quand même une
problématique qui, si elle se révélait exacte, aurait des
conséquences éminemment lourdes.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je n'ai pas posé de question
particulière à l'AFSSA. Ce n'est pas notre rôle. Il nous
est arrivé de travailler avec elle sur le fameux cas de 1998. Je dirai
que nous sommes complémentaires puisque nous faisons, nous, l'expertise
de terrain et qu'elle fait de l'expertise scientifique de haut niveau.
Cela dit, je n'ai pas posé cette question à l'AFSSA. Je me
contente de regarder ce qui se passe dans la presse et sur Internet concernant
ces problèmes de rapports entre le milieu et l'agent infectieux pour
voir s'il y a quelque chose de précis, mais nous sommes vraiment dans
l'incertitude à cet égard.
M. le Président
- Dans votre passé professionnel, vous
avez été DSV et DDAF. Vous avez donc une grande expérience
du terrain. Aujourd'hui, lorsqu'un cas d'ESB est détecté et
prouvé, on abat l'animal avec tout le troupeau, après quoi on
permet à l'éleveur de renouveler son cheptel, sachant que c'est
à lui de le trouver, mais on ne pratique pas ce qu'on appelle le vide
sanitaire et la désinfection, comme on le faisait autrefois. N'y a-t-il
pas matière à réflexion sur ce point ?
Il me paraît curieux que, devant cette maladie sur laquelle on
s'interroge, on ne prenne pas les précautions que l'on prenait pour
d'autres maladies autrefois en pratiquant un vide sanitaire et une
désinfection.
M. Jean-Jacques Réveillon
- C'est une question qui relève
plutôt de la compétence de l'AFSSA puisqu'elle porte sur le fait
de savoir si, par le milieu extérieur, on peut avoir une contamination.
Je précise quand même que tous les aliments sont
éliminés, bien sûr. C'est une chose que vous pourriez
demander à l'AFSSA car je ne me sens pas vraiment compétent pour
répondre. Je ne veux pas induire des questions sur des
éléments qui ne sont pas de ma compétence.
Pour notre part, nous prenons toutes les précautions et nous posons donc
un tas de questions. Nous regardons même s'il n'y a pas quelque chose
entre les races.
M. le Rapporteur
- En feuilletant la liste de vos différentes
expériences professionnelles, je m'aperçois qu'en octobre 1999,
vous avez été missionné pour effectuer une mission sur les
stockages des farines animales. Pourrions-nous être destinataires de
votre rapport et pouvez-vous nous en donner brièvement les
conclusions ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- C'est un rapport qui a fait suite aux
auto-combustions qui s'étaient développées dans plusieurs
silos, notamment en Bretagne. Dans ce contexte, il s'était agi
d'examiner les différents stockages de farines animales et de voir
quelles dispositions étaient prises pour juger de leur incidence par
rapport à l'environnement.
A la suite de ce rapport, j'ai demandé que l'on élimine en
priorité certains silos. C'est ainsi que l'on a éliminé en
priorité celui de Cléguer, ce qui est une bonne chose parce que,
du fait des inondations que nous venons de connaître, tout serait parti
à la mer.
Je me suis fait toujours accompagner des DSV pour donner des instructions sur
les dimensions des tas, la façon dont cela brûlait, les
dératisations et désinsectisations, et j'ai fait une
évaluation des différents sites pour déterminer ceux qu'il
fallait vider en priorité et ne plus utiliser. Voilà, en gros,
l'esprit de ce rapport. A l'époque, il restait 106 000 tonnes de
1996 en stock.
M. le Rapporteur
- Il serait intéressant que la commission puisse
l'avoir.
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je peux vous le communiquer.
M. François Marc
- Il a été fait état tout
à l'heure de quelques cas pour lesquels les dossiers sont transmis
à la justice et qui concernent des entreprises de fournitures d'aliments
qui n'ont pas respecté la réglementation. Au-delà, on peut
aussi évoquer le principe de précaution, dans la mesure où
les informations que nous avons pu collecter au cours de nos entretiens avec
des entreprises font état d'interrogations, dès 1989, de
certaines entreprises.
Selon votre analyse, beaucoup d'entreprises n'ont-elles pas manqué de
vigilance sur l'application de ce principe de précaution ? N'y
a-t-il pas des informations qu'elles pouvaient déjà anticiper et
qui auraient dû les conduire à être plus vigilantes sur
leurs pratiques ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je ne partirai pas du principe de
précaution mais de l'application de la règle. A partir du moment
où il ne fallait pas mettre de farine de ruminants dans l'alimentation
des bovins, puis de farine animale dans l'alimentation des bovins, beaucoup
n'ont pas été très rapides pour appliquer la règle.
Pour les enquêteurs que nous sommes, nous voyons si on applique la
règle ou non ; le principe de précaution implique une
évaluation qui n'est pas de notre domaine. Maintenant, si la question
est de savoir si beaucoup de producteurs n'ont pas appliqué la
règle, je vous réponds oui, et si vous me demandez si on peut le
prouver, je vous réponds que c'est possible pour certains.
Je n'ai pas envie d'aller au tribunal. Donc je me méfie de ce que je
dis. Je forme l'hypothèse que beaucoup n'ont pas appliqué la
règle, mais j'ai au moins six cas pour lesquels je peux le prouver.
M. Jean-François Humbert
- Pour éviter que vous n'alliez
au tribunal, êtes-vous en mesure de nous fournir, dans les jours ou les
semaines qui viennent, les noms des principaux fabricants de lacto-remplaceurs
que vous avez rencontrés directement à travers vos dossiers et y
a-t-il une possibilité, parmi d'autres, que ces lacto-remplaceurs soient
éventuellement à l'origine de cas de vache folle ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Je peux vous fournir les noms des
fabricants de lacto-remplaceurs, mais je ne dispose d'aucun
élément me permettant de dire que ces produits ont joué un
rôle.
M. Jean-François Humbert
- J'ai été aussi prudent
que vous dans ma formulation.
M. le Président
- S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons
en terminer avec cette audition parce que nous en avons une autre qui doit
suivre. Avez-vous quelque chose à ajouter ?
M. Jean-Jacques Réveillon
- Oui. J'ai parlé de trois
hypothèses sur les farines et je voudrais donc parler de la
troisième, qui n'est pas neutre. En effet, on s'aperçoit
aujourd'hui que l'on a échangé des farines avec différents
pays européens et que ces pays étaient contaminés.
Pour être complet, je résume donc les trois
hypothèses : farines françaises, farines britanniques,
d'origine masquée ou non, et farines européennes, qui ne sont pas
exclusives l'une de l'autre. Voilà notre idée sur la chose.
M. le Président
- Très bien. Monsieur le Directeur, nous
vous remercions de votre intervention qui était extrêmement
intéressante et enrichissante pour nous tous. Nous attendons simplement
que vous puissiez nous faire parvenir les différents documents que nous
vous avons demandés, sachant qu'ils sont de droit pour une commission
d'enquête. Je précise que nous devons rendre nos travaux pour la
mi-mai. Toutes les contributions que vous pourrez nous apporter nous seront
donc très précieuses.
J'ajoute que beaucoup de choses sont tenues secrètes jusqu'au moment de
la publication du rapport de la commission d'enquête et que nous vous
soumettrons ce qui vous concerne avant qu'il soit publié, du moins les
points qui peuvent être sensibles.