Audition de M. Benoît ASSEMAT, Président du Syndicat
national
des vétérinaires inspecteurs de l'administration
(SNVIA)
(17 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Benoît
Assemat, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle
que vous êtes ici en tant que président du Syndicat national des
vétérinaires inspecteurs de l'administration.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Assemat.
M. le Président
- Dans un premier temps, je vais vous demander
d'exprimer, au cours d'une introduction liminaire, la position du syndicat que
vous représentez par rapport à l'ensemble du problème qui
est posé par les farines animales et le problème sous-jacent de
l'ESB.
M. Benoît Assemat
- J'ai prévu de faire cette intervention
liminaire en trois temps : le premier pour rappeler rapidement le
rôle des vétérinaires inspecteurs dans le contrôle
sanitaire des filières animales ; le deuxième pour faire un
bref rappel sur l'histoire récente des services
vétérinaires et la place du contrôle des farines animales
dans le dispositif administratif ; le troisième pour exprimer un
point de vue sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des
farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage.
Sur le premier point, le rôle des vétérinaires inspecteurs
dans le contrôle sanitaire des filières animales, vous savez que
les vétérinaires assument cette fonction dans presque tous les
pays du monde. C'est la formation initiale des vétérinaires, qui
associe des compétences en matière de zootechnique et des
connaissances des productions animales à des compétences
médicales, qui prédispose particulièrement les
vétérinaires à agir en matière de contrôle
sanitaire des filières animales.
Je rappelle qu'en France, nous avons, en plus de cette formation initiale des
vétérinaires, une formation spécialisée d'une ou
deux années qui est effectuée à l'Ecole nationale des
services vétérinaires et qui apporte surtout des connaissances en
matière juridique et en matière de gestion des ressources
humaines.
Enfin, je tiens à dire que les vétérinaires inspecteurs
exercent, sur cette base d'une expertise technique vétérinaire et
cette formation spécialisée, des fonctions d'expertise, de
direction et d'encadrement qui, comme vous le savez, s'exercent principalement,
dans la grande majorité, à la Direction générale de
l'alimentation et dans les Directions des services vétérinaires
qui existent dans chaque département.
Ces missions recouvrent toute une série d'éléments que je
citerai rapidement : la sécurité sanitaire des aliments dans
les filières animales, le bien-être des animaux, les mesures de
prévention et de lutte contre les maladies animales ainsi que les
mesures qui ont trait à la protection de l'environnement dans le rapport
entre les animaux et les industries alimentaires. Toutes ces missions sont
regroupées sous le concept de "santé publique
vétérinaire" et concourent au bien-être de l'homme sous
toutes ses formes : le bien-être physique, moral et social.
La sécurité sanitaire de l'alimentation n'est pas la seule
concernée. Les autres aspects, notamment ceux qu'attend le citoyen en
matière de bien-être animal et de protection de l'environnement,
sont couverts par les services vétérinaires.
Cette présentation préliminaire me conduit à
évoquer très rapidement l'histoire récente des services
vétérinaires et la place du contrôle des farines animales
dans le dispositif.
Je voudrais tout d'abord rappeler ici que c'est grâce à la loi du
8 juillet 1965, qui a créé un service d'Etat d'hygiène
alimentaire, que nous sommes dans la situation actuelle. Cette loi avait une
très grande ambition que l'on aurait presque eu tendance à
oublier ensuite. Cette grande ambition existait dès le départ car
elle ne limitait pas le service d'Etat à prendre en charge l'inspection
qui existait dans les services municipaux. Cette loi a constitué un
service d'Etat à partir des services municipaux d'inspection.
Il n'a pas été seulement question de l'inspection dans les
abattoirs : dès le départ, le législateur a voulu
organiser une inspection sanitaire sur toute la filière de la viande,
depuis les marchés attenants aux abattoirs jusqu'à la remise des
denrées aux consommateurs, et non pas seulement dans la filière
viande, puisque le législateur a prévu que ce contrôle
devait être effectué sur toutes les denrées alimentaires
d'origine animale, quelles qu'elles soient.
C'est une très grande ambition qui a été fixée
à l'époque --je le répète--avec un objectif
très clair de protection de la santé publique. Ce sont les
premiers mots de cette loi du 8 juillet 1965 : « dans
l'intérêt de la protection de la santé publique, il doit
être procédé à l'inspection sanitaire ».
Dès le départ, en 1965, parce qu'il s'agissait uniquement de la
santé publique, des discussions ont eu lieu sur le ministère de
tutelle qui devait être retenu.
Je terminerai l'évocation de cette loi, en vous indiquant qu'elle avait
organisé (c'était la conception de l'époque ;
personne ne l'avait imaginé) un contrôle unifié sur les
filières animales, depuis l'animal vivant entrant dans l'abattoir
jusqu'au consommateur, mais n'avait pas prévu le contrôle
sanitaire en amont de l'abattoir, dans les élevages ou dans les usines
d'alimentation animale. Le législateur, à l'époque,
n'avait donc pas pensé que le contrôle sanitaire devait remonter
si haut. En 1964, on a conçu un dispositif à partir des
marchés attenants aux abattoirs de l'époque jusqu'au
consommateur. C'était le but de cette loi.
J'ajouterai que le rattachement au ministère de l'agriculture, qui a
finalement été retenu, a permis, dans les départements, de
constituer les directions des services vétérinaires telles que
nous les connaissons maintenant, en additionnant ce nouveau service d'Etat
d'hygiène alimentaire au Service départemental des
épizooties et aux laboratoires vétérinaires qui ont
été créés à cette période. Nous avons
eu, à cette période, au 1er janvier 1968, la constitution des
directions des services vétérinaires que nous connaissons
maintenant.
Cette loi était très ambitieuse. Ensuite, durant toutes les
années 70, une réglementation sanitaire très importante a
été élaborée. Elle portait sur tous les
établissements agro-alimentaires et même sur la restauration
commerciale par un arrêté de 1980, ce qui montre bien que l'esprit
de cette loi était d'organiser un contrôle sanitaire sur toute la
chaîne alimentaire. Cependant, je dois dire aujourd'hui que les moyens
qui ont été consacrés par les pouvoirs publics pour
organiser ce contrôle sanitaire n'ont pas été à la
hauteur des ambitions qu'avait voulues le législateur en 1965.
L'organisation que je représente aujourd'hui a constamment
dénoncé, en tout cas depuis plus de dix ans, l'insuffisance des
moyens qui ont été consacrés par les pouvoirs publics pour
réaliser cette grande ambition qui avait été celle du
législateur dans les années 60.
A cette époque, une chose extrêmement positive a été
obtenue : l'unification du contrôle sanitaire dans les
filières animales, l'unification de l'animal vivant pour ce qui touche
aux maladies animales jusqu'au consommateur, sauf pour le thème qui vous
intéresse et qui est celui du secteur de l'alimentation animale.
Je dirai donc quelques mots sur ce secteur de l'alimentation animale.
Jusqu'à la loi d'orientation agricole, qui a été
votée il y a dix-huit mois, deux services administratifs avaient des
fonctions complémentaires pour le contrôle de l'alimentation
animale. Je veux dire par là que le Code rural et les services
vétérinaires avaient en charge la partie liée à la
transformation des déchets animaux, c'est-à-dire le
contrôle sanitaire au niveau des équarrissages, et
également le contrôle de l'importation de ces déchets
animaux.
En revanche, le contrôle de l'utilisation des farines animales, terme qui
est stipulé dans l'intitulé de la commission d'enquête,
c'est-à-dire l'intervention dans les usines d'alimentation animale, n'a
jamais été prévu puisqu'aucun pouvoir n'était
prévu à ce titre pour les agents des services
vétérinaires. C'est donc sur la base du code de la consommation
que la Direction générale de la concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes a organisé le contrôle
sanitaire de l'utilisation des farines animales.
Voilà ce que je devais dire sur ce cas tout à fait particulier de
l'alimentation animale et la matière dont, jusqu'à la loi
d'orientation agricole, les choses étaient organisées.
Cela me conduit à évoquer devant vous les relations entre les
services vétérinaires et les services de la Direction de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi
que l'articulation des activités de ces deux services.
Selon une idée reçue qui est largement partagée, puisqu'on
lit cela très souvent, les services vétérinaires auraient
en charge l'amont de la filière et la DGCCRF aurait en charge l'aval,
c'est-à-dire la remise au consommateur. Cette idée reçue
est une conception qui prévaut depuis de longues années et qui a
conduit jusqu'à aujourd'hui à cette conception qui veut que l'on
considère que le contrôle sanitaire est de la compétence de
plusieurs ministères et qu'il faut donc organiser
l'interministérialité au niveau local en mettant en place ces
pôles de compétences qui se développent depuis quelques
années.
Je tiens à exprimer aujourd'hui mon point de vue sur le fait que la
réalité juridique est différente de cela, en tout cas sur
ce qui touche les filières animales. En effet, il ne fait pas de doute
--et je reviens sur la volonté du législateur de 1965-- que le
rôle des services vétérinaires, en appliquant le code
rural, est d'organiser un contrôle sanitaire du respect des règles
tout au long des filières animales et que ce respect des règles
sanitaires est assuré beaucoup plus par des mesures de police
administrative qui ont un but préventif. En effet, pour assurer la
sécurité de la population, il faut prendre des mesures
préventives. Ces mesures de police administrative sont très
développées dans les services vétérinaires qui
l'appliquent prioritairement, car on dispose d'un code rural qui a
élaboré une réglementation sanitaire spécifique.
Le rôle de la Direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes, sur la base du code de la
consommation et, notamment, du titre I relatif à la conformité
des produits, celui qui prévoit le délit de tromperie et de
falsification, est un contrôle des règles en matière de
loyauté des transactions commerciales. Ce rôle, qui a pour but de
rechercher les tromperies, y compris en matière alimentaire, est
essentiellement fondé sur la police judiciaire et a un but
répressif mais, pour ce qui concerne les filières animales, du
fait que, sur la base du code rural, une réglementation sanitaire a
été élaborée pour toutes les filières
animales, cela signifie, en droit administratif, que ce sont ces règles
sanitaires d'un droit administratif spécial qui prévalent sur les
règles générales qui sont celles du code de la
consommation.
En matière de filières animales, il est faux de dire que les
services vétérinaires ont en charge l'amont des aspects
sanitaires et que la DGCCRF a en charge l'aval. Cette situation a
été dénoncée à plusieurs reprises et j'ai
prévu de citer deux extraits d'un rapport récent de l'Ecole
nationale de l'administration qui a travaillé sur ce thème de
l'interministérialité au niveau local :
« Le fait que la sécurité alimentaire se
caractérise par un enchevêtrement des compétences est donc
un obstacle considérable à sa gestion
interministérielle ».
« L'interministérialité au niveau local devrait
consister à mettre en oeuvre de manière coordonnée des
compétences distinctes exercées par des services
différents mais intervenant dans un même domaine, comme c'est le
cas de la politique de la ville à celle de l'eau ».
Il serait beaucoup plus sain d'organiser le travail sur des bases d'objectifs
complémentaires de chaque service plutôt que de continuer à
dire que le respect des règles sanitaires est une fonction
attribuée à plusieurs administrations et qu'elles n'ont
qu'à se mettre ensemble pour l'organiser.
Je crois en réalité que la vraie politique
interministérielle au niveau local qui pourrait être mise en place
devrait porter sur l'alimentation et non pas sur le respect des règles
sanitaires. Je veux dire par là que différents aspects doivent
être arbitrés au niveau local : les aspects sanitaires, les
aspects économiques, qui sont portés par l'administration de
l'agriculture, la DDA, les aspects liés à la loyauté des
transactions, les aspects liés à l'état de santé
des populations, un domaine sur lequel la France rattrape son retard sur le
plan de la surveillance des maladies humaines, et, enfin, les aspects
nutritionnels.
On pourrait imaginer que, si on rassemblait des services qui ont des
compétences distinctes (je veux dire par là très
précisément que les services vétérinaires ont en
charge le respect des règles sanitaires et que les services de la
répression des fraudes pour les filières animales ont en charge
d'abord le respect en matière de loyauté des transactions
commerciales), on pourrait faire travailler de manière beaucoup plus
profitable l'ensemble des services plutôt que d'organiser un genre de
concurrence qui conduit soit à des doublons dans l'organisation du
dispositif soit, plus grave, à des trous dans le dispositif. En effet,
en disant que chacun organise le respect des règles sanitaires, cela
permet à chacun d'organiser les choses comme il le veut, ce qui
entraîne des trous dans le dispositif en matière de respect des
règles sanitaires, dans les départements, compte tenu de
l'insuffisance des moyens.
Voilà ce que je souhaitais dire sur l'organisation administrative et sur
la partie liée au contrôle de l'utilisation des farines animales.
Je souhaite terminer cette présentation par un point de vue qui sera
plus personnel que celui de l'organisation que je représente. Il s'agit
d'un point de vue sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des
farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage. Je dis bien
que c'est un point de vue plus personnel car notre organisation, le Syndicat
des vétérinaires inspecteurs, n'a pas pour tradition de se
positionner pour commenter les décisions qui sont prises par le pouvoir
politique en matière de respect des règles sanitaires. Je veux
dire par là que nous ne commentons pas l'opportunité ou non de
telle ou telle mesure. Nous sommes sur un terrain où nous attirons
l'attention de notre ministère de tutelle, lorsque qu'il le faut, sur
l'insuffisance des moyens, par exemple, ou sur des problèmes d'ordre
général, mais pas sur le contenu. Ce que je vais vous dire
là est donc un point de vue personnel mais c'est aussi celui du
professionnel puisqu'il est lié à mon activité
professionnelle.
Je rappellerai que les mesures qui ont été arrêtées
en avril 1996 puis à la fin du mois de juin sont tout à fait
essentielles pour la protection du consommateur. D'ailleurs, quand on se
replonge dans les missions d'information parlementaires de l'époque, on
s'aperçoit que l'on jugeait ces mesures excessives et que les questions
qui étaient posées portaient plutôt sur le
côté excessif de ces mesures.
Je tiens donc à dire que les farines animales qui sont utilisées
ou qui ont été utilisées récemment n'ont rien
à voir avec celles qui étaient utilisées avant 1996,
à savoir celles qui sont mises en cause dans l'évolution de
l'encéphalopathie spongiforme bovine. En effet, vous savez que les
animaux les plus jeunes confirmés actuellement -il y en a cinq ou six-
sont nés en janvier 1996 et qu'il n'y a pas d'animaux plus jeunes
confirmés. Cela fait donc cinq ans maintenant, de janvier 1996 à
janvier 2001.
L'efficacité de ces mesures arrêtées en 1996, à mon
avis, n'a jamais été remise en cause. Au contraire, il me semble
que, plus le temps passe, plus il se confirme que ces mesures ont
été efficaces. Je veux dire par là, sans être un
expert du dossier, qu'au cours des années précédentes,
bien qu'il y ait eu beaucoup moins de cas déclarés qu'en l'an
2000, au cours du dernier trimestre de chaque année civile, on a eu
l'apparition des nouveaux cas d'ESB de la nouvelle génération
d'animaux : des animaux âgés de 4 ans. Nous avons
observé systématiquement, en 1997, 1998 et 1999, l'apparition
d'une nouvelle génération d'animaux contaminés. Nous ne
l'avons pas observée en l'an 2000 alors qu'il y a eu plus de 150 cas
déclarés.
Je vous répète que les derniers cas remontent à des
animaux qui sont nés en janvier 1996.
Cela me paraît extrêmement important. C'est pourquoi je pense que
les mesures qui ont été arrêtées récemment
par le gouvernement répondent d'abord à l'inquiétude et
à la crise de confiance qui s'est déclenchée au sein de
l'opinion publique. C'est une décision politique qui n'a d'ailleurs pas
à répondre qu'à des considérations scientifiques.
Il est parfaitement légitime que ces décisions répondent
à des considérations socio-économiques et il est vrai que,
si la société et les consommateurs ne veulent plus que les
animaux qu'ils consomment soient eux-mêmes alimentés à
partir des farines animales, on peut comprendre qu'on ait interdit ces farines
animales, mais j'estime que la justification sanitaire est faible et ne peut
apporter qu'une amélioration marginale à la
sécurité sanitaire de l'alimentation des animaux
d'élevage, compte tenu de l'importance considérable de ce qui a
été arrêté en 1996.
Cependant, nous saurons mieux, dans quelques mois, si ces mesures se
révèlent particulièrement efficaces, sachant que c'est au
fil du temps que la sécurisation s'est améliorée. En
effet, au début de 1998, on a franchi une nouvelle étape pour la
sécurisation des farines animales, mais je pense que, dès
l'année 1996 et la mise en place du service public
d'équarrissage, on a divisé dans des proportions
considérables le risque que représentait l'utilisation des
farines animales dans les filières d'alimentation des porcs, des
volailles et des poissons.
Je terminerai cette troisième partie en faisant une remarque sur la
notion de « farines animales ».
Si on parle des farines animales qui étaient fabriquées avant le
printemps 1996, c'est-à-dire celles qui sont mises en cause pour les cas
d'ESB que nous connaissons maintenant et qui étaient
élaborées à partir de cadavres d'animaux, j'attire votre
attention sur le fait que la production qui était faite à partir
de cette matière première contenant des cadavres d'animaux
conduisait à produire un genre de produit brut que l'on appelle la
« farine grasse », une farine contenant 20 à
30 % de matières grasses. Ce produit brut n'était pas
utilisé en tant que tel dans l'alimentation : il faisait l'objet
d'un traitement qui conduisait à avoir, d'une part, des farines
dégraissées, qui sont les farines animales dont on parle
couramment, des farines très riches en protéines et
dégraissées à un certain taux et, d'autre part, des
graisses d'équarrissage qui étaient normalement utilisées
dans l'alimentation des animaux d'élevage et des ruminants
jusqu'à la mise en place du service public d'équarrissage.
Il me semble qu'il y a parfois une confusion entre les farines animales et ces
farines grasses. Le produit brut que sont les farines grasses conduit à
deux produits : les farines et les graisses d'équarrissage. Je le
dis parce que le prion, comme tout le monde le sait, je pense, est une
protéine dont le caractère hydrophobe est très
marqué. Comme les scientifiques le savent et comme l'indiquent tous les
traités de biochimie, la protéine du prion est très
hydrophobe, c'est-à-dire liposoluble, ce qui n'étonnera pas ceux
qui savent où elle se trouve. En effet, elle se trouve dans le
système nerveux central, une matière qui est d'abord
constituée de lipides.
Je n'ai personnellement jamais vraiment pensé que l'on avait
suffisamment approfondi le rôle qu'avait pu jouer cette protéine
liposoluble dans l'apparition des cas que nous constatons maintenant et qui
surviennent sur des animaux nés essentiellement en 1993, en 1994 et en
1995.
En guise de conclusion, je dirai qu'il me paraît tout à fait
essentiel de préserver absolument l'unité du contrôle
sanitaire dont nous avons la chance de bénéficier en France
depuis 1968, depuis l'unité de la santé animale jusqu'à
l'hygiène des denrées remises aux consommateurs. J'affirme qu'il
n'y aurait rien de pire que de rattacher le contrôle sanitaire
effectué sur les animaux, comme cela a été le cas dans
beaucoup de pays d'Europe qui en paient les conséquences maintenant en
découvrant très tardivement leurs cas d'encéphalopathie
spongiforme bovine, à un ministère de tutelle, par exemple au
ministère de l'agriculture, et le contrôle sanitaire
effectué à partir de l'abattoir à un autre
ministère de tutelle, car on romprait l'unité du contrôle
sanitaire qui est ce que nous avons de plus précieux et de plus efficace
dans l'organisation de notre dispositif.
Enfin, je tiens à répéter que le syndicat que je
représente a toujours défendu l'organisation de ce contrôle
sanitaire unifié indépendant des services chargés de
l'appui économique aux filières animales. Le SNVIA défend
depuis 1984 une conception du contrôle sanitaire qui conduit à ne
pas se placer dans la situation d'être juge et partie. Ce combat, qui a
été mené dès 1985 par l'organisation que je
représente et qui a été difficile à mener et
très long (nous sommes maintenant quinze ans après), a
commencé à porter ses fruits après la première
crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine de mars 1996.
Nous constatons que tous les ministres de l'agriculture successifs, depuis
M. Philippe Vasseur jusqu'à M. Louis Le Pensec et M. Jean Glavany,
se sont efforcés de préserver la qualité du contrôle
sanitaire et son indépendance par rapport à l'appui
économique aux filières. Cependant, je tiens à dire qu'il
reste encore beaucoup d'efforts à faire pour arriver au bout de cette
démarche.
M. le Président
- Merci. Je vais demander à notre
rapporteur, M. Bizet, de poser la première question.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- J'aurai trois questions à l'adresse
du président du Syndicat national des vétérinaires
inspecteurs.
La première m'amènera à revenir sur les derniers propos
que vous venez de tenir, monsieur Assemat, concernant votre approche
personnelle au sujet des conséquences de l'utilisation des farines sur
la santé animale. J'aimerais savoir quelle est votre analyse personnelle
sur les conséquences de cette utilisation sur la santé humaine.
Vous n'êtes pas un épidémiologiste, certes, mais vous avez
certainement une idée personnelle de la question.
J'ai une deuxième question. Nous avons bien compris que vous
dénoncez (nous sommes d'accord avec vous et nous avons été
plusieurs, sur ces bancs, à le dénoncer lors de l'examen du
projet de loi de finances 2001 dans le budget de l'agriculture) l'insuffisance
des moyens humains mis à disposition. On avait noté à
l'époque cinquante créations de postes pour le secteur de la
sécurité alimentaire contre 410 pour la gestion des aides
agricoles et des contrats territoriaux d'exploitation. Etes-vous satisfait du
projet de loi de finances 2000 dans sa version finale ?
Troisième question : pensez-vous que le retrait des
matériels à risques spécifiés est aujourd'hui
effectué correctement dans les différents abattoirs et quels sont
vos moyens pour contrôler les carcasses importées ? C'est
aussi un problème important. Nous avons noté au travers des
différentes auditions que l'identification pérenne des animaux,
en France, est d'une grande qualité et d'une grande fiabilité
--il faut le dire--, surtout par rapport à certains pays, notamment le
Royaume-Uni, où on ne faisait pas d'identification pérenne il y a
encore quelques années. Nous pouvons donc nous vanter, en France,
d'avoir été des pionniers sur ce point, notamment pour
éradiquer un certain nombre de maladies réputées
légalement contagieuses.
Cela étant, l'identification des carcasses, notamment quand on
s'adresse, au fur et à mesure de l'aval, à la restauration
collective et la restauration hors foyers, laisse à désirer.
Quelles sont donc aujourd'hui vos analyses en matière d'importations et
en matière d'identification et de traçabilité sur les
carcasses importées ?
M. Benoît Assemat
- Sur le premier point, à savoir les
conséquences sur la santé humaine, je pense comme beaucoup
d'experts que le risque sanitaire est derrière nous, qu'il s'est
essentiellement produit avant 1996, avant que l'on retire de l'alimentation
humaine les organes qui renferment le prion, principalement le système
nerveux central et la liste des organes qui a été
augmentée.
Je pense en revanche que les conséquences sont encore devant nous, ce
qui est difficile à comprendre pour la population. Je pense que, depuis
1996, le risque qui existait auparavant fait l'objet de beaucoup d'incertitudes
quant à son importance, mais j'ai vu récemment qu'une expertise
française évoquait un ordre de grandeur de 10 à
300 cas au cours des soixante prochaines années. Ce sont les
estimations qu'a livrées Mme Alpérovitch avec un groupe
d'experts, soit une fourchette très large, avec une moyenne maximum de
cinq cas par an au cours de chacune des soixante prochaines années.
Je pense en tout cas que c'est très probablement avant 1996 que la
contamination s'est produite et que les mesures prises en 1996, quelle que soit
l'importance du nombre de cas, ont à mon avis diminué dans des
proportions considérables le risque d'exposition de la population. Je
n'en connais pas les proportions. Est-ce un rapport de cent, de mille ou de dix
mille ? Les proportions sont en tout cas considérables.
Je ne pense donc pas qu'il y ait de risques réels, même si le
risque zéro est poursuivi, parce que c'est la nature humaine. A mon
avis, il n'y a plus maintenant de nouveaux risques à prévoir. Il
n'y a que les conséquences du risque passé.
Votre deuxième question concerne l'insuffisance des moyens humains.
Effectivement, notre organisation avait décidé, au cours des
derniers mois, de porter l'accent sur ce point. L'actualité a fait que
le ministère de l'agriculture et le gouvernement ont apporté une
réponse tout à fait concrète par la mise en place de ce
plan pluriannuel de trois cents emplois dans les services
vétérinaires. Il ne s'agit pas uniquement d'emplois de
vétérinaires inspecteurs, car il faut aussi des techniciens, des
agents administratifs et des ingénieurs. Ce plan de trois cents emplois
sur deux ans prévus pour le plan ESB est important car il sature les
capacités de formation du ministère de l'agriculture.
En revanche, nous demandons, même si nous savons que c'est difficile, que
la réflexion ne soit pas limitée au dossier de l'ESB ni aux
seules deux prochaines années. Nous estimons qu'il y a un
véritable défi à relever pour organiser un contrôle
sanitaire moderne. Il ne s'agit pas de mettre un gendarme derrière
chaque entreprise, évidemment, mais nous pensons qu'il y a un
défi important à relever et qu'il faut voir au-delà des
deux ans qui viennent.
Nous souhaiterions que la réflexion soit menée au cours des cinq
à dix ans qui viennent pour mettre en place un grand service public de
contrôle de la sécurité alimentaire de l'alimentation et
que l'on prévoie, sur un plan pluriannuel plus important, les moyens qui
devraient correspondre à ce qu'attend la société et aux
besoins du service public. Voilà ce que nous pensons sur ce dispositif.
Quant au retrait des matériels à risques spécifiés,
de même que toutes les mesures de lutte contre l'ESB, c'est la
priorité des services vétérinaires sur le terrain.
Cependant, vous savez ce qu'est une moelle épinière qui se trouve
dans le canal rachidien d'un bovin. Le fait même de fendre la carcasse
à l'abattoir en passant par le canal médullaire et de retirer
à la main les morceaux de moelle épinière pour les mettre
dans un petit sac montre que tous les efforts sont faits pour retirer les
matériels à risques spécifiés dans les meilleures
conditions possible mais qu'il y a certainement encore des marges pour faire
mieux.
Il s'agirait notamment de mettre en relief la nécessité d'un
échelon intermédiaire de pilotage de l'activité des
services qui n'existe pas actuellement. Entre la Direction
générale de l'alimentation et les Directions
départementales des services vétérinaires, il n'y a pas
--et cela fait défaut-- un échelon intermédiaire de
pilotage qui pourrait être une délégation
interrégionale à la sécurité sanitaire des aliments
et qui aurait pour but de réaliser une expertise afin de diriger les
choses sur le plan technique. En effet, vous savez comment cela se passe :
les personnels sont très sollicités et chacun est à son
poste dans son abattoir ou dans son département alors qu'il serait
souhaitable d'avoir une coordination plus effective pour améliorer
encore le dispositif.
Cependant, je pense que tous les efforts sont faits, dans les conditions
actuelles, pour retirer les matériels à risques
spécifiés.
Enfin, sur votre dernière question relative au contrôle des
carcasses importées, je tiens d'abord à dire que le terme
"importées" peut avoir deux sens. En effet, en matière
d'importations de pays tiers, un contrôle est organisé au niveau
des postes d'inspection frontaliers. Il est systématique mais il ne
concerne que ce qui rentre des pays tiers. En revanche, si on parle
plutôt de ce qui se passe en pratique avec les échanges
intracommunautaires, qui ne font pas l'objet de contrôles
systématiques, comme vous le savez, il est vrai qu'il y a une attente de
traçabilité.
Je tiens donc à revenir sur ce que j'ai dit dans ma présentation.
Nous sommes en effet devant deux sujets différents.
Le premier porte sur la sécurité sanitaire des aliments. Il faut
savoir que tous les produits qui sont proposés au consommateur, qu'ils
soient labellisés ou non, qu'ils soient d'origine allemande, espagnole
ou française, qu'ils soient proposés à un prix bas de
gamme ou qu'il s'agisse de produits réservés à des gens
plus aisés, doivent répondre à un degré
élevé de sécurité.
Le deuxième sujet ne concerne pas la sécurité mais
l'identification du produit. Il est légitime de demander qu'il y ait de
la viande française dans une collectivité, mais autre chose est
de le garantir. Lorsqu'il y a une tromperie, par exemple, sur une viande qui
serait déclarée française alors qu'elle viendrait
d'Allemagne, c'est évidemment un délit qui peut être
poursuivi (il s'agit là de la loyauté des transactions
commerciales), mais la viande qui vient d'un autre pays d'Europe, sauf si c'est
celle de l'embargo dont fait l'objet le Royaume-Uni, répond aux
critères de salubrité de la même manière que la
viande française, car le principe, dans un marché unique, c'est
la réciprocité et la confiance mutuelle entre les services de
chaque Etat-membre.
Il y a sûrement des efforts à faire en ce moment car il y a
peut-être des fraudes en matière d'importations de carcasses et je
ne sais pas exactement à quoi vous faites référence, mais
j'insiste bien sur le fait qu'à mon avis, il n'est pas bon de
mélanger la segmentation qualitative des marchés à la
sécurité sanitaire des denrées alimentaires. Cette
confusion est faite de plus en plus souvent. Malheureusement, le consommateur
croit de plus en plus que, pour avoir un produit de qualité qui soit
sûr pour lui, il doit aller vers une filière de garantie
qualitative, vers un label ou un produit de l'agriculture biologique, ce qui
est à mon avis un défaut majeur dans la compréhension
actuelle.
Je pense qu'il serait extrêmement important, à chaque fois qu'on
le peut, de bien distinguer ce qui relève de la sécurité
sanitaire de ce qui relève de la loyauté des transactions. On en
revient à ce que j'ai dit tout à l'heure sur la confusion des
genres entre les fonctions de deux administrations. Cette confusion existe
à tous les niveaux, et même dans le code rural tel qu'il avait
été voté en 1965. Je me permets cette digression car elle
m'a beaucoup intéressé : le rapporteur du Sénat de
cette loi qui, en 1965, avait créé le service d'Etat
d'hygiène alimentaire, avait lourdement insisté pour supprimer le
terme "qualitatif" des fonctions du service. Au lieu d'avoir la notion
d'inspection sanitaire et qualitative, le Sénat, par la voix de M.
Victor Golvan, avait demandé à plusieurs reprises que l'on retire
le terme "qualitatif" car il entraînait une confusion par rapport
à l'objectif de protection de la santé publique.
C'est l'Assemblée nationale qui a eu le dernier mot et c'est pourquoi on
trouve aujourd'hui dans le texte cette notion d'inspection "sanitaire et
qualitative" qui est désuète et qui n'a d'ailleurs plus de sens
aujourd'hui. Cependant, il est assez intéressant de se rendre compte que
ces débats ont eu lieu, il y a trente-cinq ans, entre l'Assemblée
nationale et le Sénat à l'occasion de l'examen de cette loi.
M. le Rapporteur
- Je voudrais revenir sur cette dernière
question, que je vous reposerai à l'envers : êtes-vous
satisfait, aujourd'hui, des contrôles des carcasses importées des
pays tiers ?
M. Benoît Assemat
- Sur les pays tiers, à mon avis, il n'y
a pas de problème. Pour le peu que j'en connaisse, à partir du
moment où, en 1993, on a ouvert les frontières internes du
marché unique européen et où on a non seulement
concentré les moyens existants auparavant pour le contrôle des
pays tiers mais structuré de manière très importante le
contrôle des pays tiers par le contrôle dans les postes
d'inspection frontaliers, je pense que si un secteur est bien
maîtrisé et parfaitement cadré (c'est le seul dans ce cas
par rapport au niveau communautaire et au niveau national), c'est bien celui du
contrôle par rapport aux pays tiers, ce qui ne veut pas dire qu'il ne
puisse pas y avoir de fraudes.
En revanche, en ce qui concerne le système intracommunautaire, c'est un
autre sujet.
M. le Rapporteur
- Est-ce qu'il vous satisfait ou non ?
M. Benoît Assemat
- Il me paraît satisfaisant, à la
réserve près des moyens disponibles. En effet, quand on
considère la répartition des moyens existant actuellement dans
les services vétérinaires et les effectifs consacrés
à ce contrôle en pays tiers --un peu plus de trente
équivalents temps plein sur 3 850--, on se dit que cela fait très
peu.
Cela dit, quand on a supprimé les contrôle intracommunautaires aux
frontières, c'est une masse considérable de marchandises qui ne
faisait plus l'objet d'un semblant de contrôle. En effet, avant 1965, on
faisait semblant d'organiser le contrôle puisqu'on ne pouvait pas
contrôler systématiquement les camions. Vous connaissez le nombre
de camions qui passaient à « risquons tout »,
à la frontière de la Belgique ou dans d'autres lieux dont le nom
est moins évocateur...
A partir du moment où on ne contrôle que ce qui vient des pays
tiers, ce contrôle est beaucoup plus efficace. C'est un point sur lequel
les services de l'Etat fonctionnent très bien.
Cependant, sur l'alimentation animale, ce n'est qu'en février 2000 que
les marchandises venant des pays tiers ont fait l'objet de ce contrôle.
En effet, avant la loi d'orientation agricole, l'alimentation animale en
général, mises à part les farines animales, n'était
pas soumise à la réglementation sanitaire
vétérinaire. Seules les farines animales ont toujours
été soumises à un contrôle sanitaire.
M. Paul Blanc
- Si je comprends bien, les contrôles qui sont
opérés chez les industriels de la nutrition animale afin
d'examiner les risques de contamination croisée ne sont pas de votre
ressort mais plutôt du ressort de la concurrence et des prix.
M. Benoît Assemat
- En fait, c'est plus compliqué que cela
car il y a des compétences croisées. Les agents des services
vétérinaires sont également habilités à
contrôler ce qui relève du code de la consommation. Ce sont des
agents de la répression des fraudes au même titre que les agents
de la DGCCRF, de même que les agents de la DGCCRF sont habilités
à relever les infractions aux textes sanitaires.
Cela étant dit, on n'a parlé des contaminations croisées
qu'à partir de 1997 et 1998. Avant 1996, à ma connaissance,
personne n'évoquait les contaminations croisées. Il est
très clair qu'aucun contrôle à l'usine d'alimentation
animale n'était effectué avant 1996 par les services
vétérinaires départementaux de terrain qui n'en avaient
pas la compétence. C'était un contrôle qui relevait de la
DGCCRF, qui l'organisait de la même manière, sachant que c'est un
service dont le sérieux est reconnu de tout le monde. Simplement, on ne
parlait pas, à cette époque, des contaminations croisées.
Depuis que les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine se sont
développés, des enquêtes épidémiologiques
sont menées par les services vétérinaires, notamment par
la Brigade nationale d'enquête vétérinaire et sanitaire, et
ces contrôles amènent les agents des services
vétérinaires à faire des contrôles en matière
d'alimentation animale, mais c'est surtout la loi d'orientation agricole qui,
depuis, a fait progresser les choses sur la base du code rural.
Quand on est dans les services vétérinaires, on a beau savoir
qu'on est aussi agent de la répression des fraudes, en
réalité, on a largement assez à faire en appliquant la
réglementation sanitaire. Par conséquent, quand on est dans une
direction des services vétérinaires, on applique d'abord les
textes qui sont issus du code rural. Autrement dit, jusqu'à une
période récente, on ne contrôlait pas l'alimentation
animale mais l'équarrissage et l'importation des farines animales.
Cependant, les compétences croisées font que la réponse ne
peut pas être aussi carrée. Il y avait des instructions internes
entre le ministère de l'agriculture et le ministère de tutelle
des fraudes qui prévoyaient que les contrôles en usine
d'alimentation animale étaient du ressort de la DGCCRF, que les services
vétérinaires pouvaient contrôler, dans les élevages,
les étiquettes des sacs, par exemple, et qu'en cas de problème,
ils pouvaient transmettre une étiquette à la DGCCRF, cette
administration ayant alors la charge d'organiser le contrôle en usine.
Cela prouve bien qu'il n'était pas prévu que les services
vétérinaires contrôlent les usines. De toute façon,
ils n'avaient pas le droit d'y pénétrer. Si l'agent des services
vétérinaires ne met pas sa casquette d'agent chargé
d'appliquer le code de la consommation, il ne peut pas rentrer dans une usine
d'alimentation animale pour faire un contrôle.
M. Paul Blanc
- La DGCCRF vous demandait-elle d'aller
contrôler ?
M. Benoît Assemat
- Absolument pas. C'est un domaine qui
était particulièrement clair. Nous avons souffert et nous
souffrons encore, sur le terrain, de chevauchements de compétences. En
matière de contrôle de la restauration, on peut en effet se
demander qui contrôle, si cela ne concerne personne ou l'un et l'autre,
si on doit séparer le département en deux, si on doit le faire
selon ses compétences, etc. Toutes les hypothèses existent.
Cependant, dans ce domaine, les choses étaient parfaitement claires. Il
n'est venu à l'idée de personne, à mon avis (en tout cas
pas de moi, sachant que j'étais dans le département des Vosges
puis dans celui de la Corrèze à cette époque), d'aller
dans une usine d'alimentation animale pour cela. C'est un domaine qui
était parfaitement clair.
M. Paul Blanc
- Toujours dans le même esprit, des contrôles
étaient-ils opérés sur les équarrisseurs concernant
la sécurité des farines ?
M. Benoît Assemat
- Les industries d'équarrissage
étaient contrôlées tout d'abord au titre d'installations
classées en matière de protection de l'environnement. Dans tous
les départements, le directeur des services vétérinaires
et ses services étaient chargés d'appliquer cette
réglementation. Les dossiers passaient en conseil départemental
d'hygiène après une enquête publique pour avoir une
autorisation. Les moyens consacrés au contrôle des entreprises
d'équarrissage n'étaient pas très importants mais on ne
peut pas dire qu'il n'y avait pas de contrôle. Simplement, lorsque ce
contrôle se pratiquait, il portait plutôt sur le respect des
règles en matière de protection de l'environnement car il y avait
un arrêté d'autorisation au titre des installations
classées.
Il faut savoir qu'avant 1996, l'industrie de l'équarrissage
n'était rien d'autre qu'une industrie de valorisation de déchets.
Je ne sais pas si vous avez vu ce que récupéraient les
entreprises d'équarrissage : parfois des cadavres d'animaux
décomposés depuis huit jours, ce qui n'est pas
particulièrement ragoûtant. Nous avions donc là une
industrie qui récupérait des déchets, qui les transformait
et qui les valorisait dans des produits vendus ensuite. Sur le plan
hygiénique et sanitaire, il n'y avait pas grand-chose à faire. Il
fallait notamment vérifier l'étanchéité des
camions, par exemple.
M. Paul Blanc
- Y avait-il des contrôles sur les
températures, les conditions de cuisson et le retraits des abats
à risques pour la sécurité des farines ?
M. Benoît Assemat
- Avant 1996, nous n'étions pas dans ce
contexte. Nous avions des équarrissages bruts avec des textes
réglementaires. Le traitement des 133 degrés, vingt minutes
et 3 bars n'était pas pratiqué et la question ne se posait donc
pas de savoir si on pratiquait ce contrôle.
M. Paul Blanc
- Que se passe-t-il depuis ?
M. Benoît Assemat
- Depuis, bien évidemment, ce secteur a
fait l'objet d'un contrôle renforcé. Cependant, si on regarde,
là aussi, les moyens officiellement consacrés (je pense qu'ils
sont de huit équivalents temps plein au niveau national), on se rend
compte de la limite des effectifs consacrés à chaque secteur
d'activité. Désormais, les services vétérinaires se
sont beaucoup mieux organisés pour aller régulièrement
dans les équarrissages et, en tout cas, pour accorder à ce
dossier une attention beaucoup plus grande qu'avant 1996.
Cela dit, je suis mal placé pour répondre, monsieur le
Sénateur, car je n'ai jamais eu, ni dans le département des
Vosges, ni dans celui de la Corrèze, d'équarrissage dans mon
département, ce qui fait que je n'ai jamais pratiqué cela.
M. Paul Blanc
- Ne pensez-vous pas qu'il y a quand même une
certaine opacité dans le secteur de la nutrition animale ?
M. Benoît Assemat
- Vous voulez parler du contrôle ?
M. Paul Blanc
- Je veux parler de l'ensemble de la filière.
M. Benoît Assemat
- Non. Avant 1996, nous avions une industrie de
la valorisation des déchets qui était ce qu'elle était et
qui rendait bien service puisque, lorsqu'il y avait une grève de
l'équarrissage dans les départements, le problème de
santé publique que cela posait était important.
A partir de 1996, progressivement, on a mis en place une double
activité : celle du service public d'équarrissage et celle
de la valorisation des sous-produits avec des garanties sanitaires que je juge
importantes car elles sont essentielles pour protéger la santé
des consommateurs.
Quant à l'opacité sur les farines animales, il faut compter avec
la presse, l'actualité et les enquêtes qui sont menées. Je
n'ai pas plus d'informations que cela.
M. Paul Blanc
- Je parle de l'ensemble de la nutrition animale.
M. Benoît Assemat
- Je n'ai aucun a priori sur le secteur de la
nutrition animale.
M. Paul Blanc
- Enfin, je vous poserai une question personnelle :
quel est votre sentiment sur le système du service public de
l'équarrissage qui, en réalité, fait appel à deux
monopoles ?
M. Benoît Assemat
- C'est une situation très ancienne.
Avant le service public tel que nous le connaissons maintenant, il y avait
déjà des secteurs d'activité. Pour que cette
activité fonctionne, j'imagine que le législateur a voulu
dès le départ qu'il y ait des monopoles d'activité, sans
quoi c'était un peu la foire. Je suis trop jeune pour avoir connu cette
mise en place.
En ce qui concerne le service public d'équarrissage, le fait de faire
appel à des sociétés privées qui sont
chargées d'un service public ne me choque pas. Maintenant, l'aspect des
monopoles n'est pas vraiment notre rayon. Nous n'avons pas vocation à
évaluer, sur le plan économique, la pertinence de telle ou telle
mesure. Y a-t-il une situation de concurrence qui n'est pas suffisamment bien
assurée car le monopole est trop fort ? Je n'ai pas de
compétence pour répondre à cette question.
M. Georges Gruillot
- Je voudrais vous poser deux ou trois questions, si
vous le permettez.
Vous avez répondu tout à l'heure au rapporteur, M. Bizet, si j'ai
bien compris, que vous faisiez tout à fait confiance aux viandes
importées des pays de l'Union européenne. Cela veut-il dire que
vous faites absolument confiance aux services vétérinaires dans
les pays de départ ?
M. Benoît Assemat
- Non. Je veux dire par là que le
principe de base du marché unique européen s'appuie sur la
confiance mutuelle et la réciprocité de l'activité des
différents services.
M. Georges Gruillot
- A titre personnel, faites-vous totalement
confiance aux vétérinaires allemands, espagnols, grecs ou
italiens ?
M. Benoît Assemat
- Voyant ce qui s'est passé sur le
dépistage de l'ESB, notamment en Espagne et en Allemagne, je ne vais
évidemment pas...
M. Georges Gruillot
- Je ne parle pas seulement d'ESB. Je parle en
général. Quand vous avez un papier d'un confrère d'Italie
ou du Portugal, c'est tout bon ?
M. Benoît Assemat
- Je pense qu'il n'y a pas suffisamment
d'harmonisation. Au niveau communautaire, l'espace sanitaire européen
n'est certainement pas encore fait. Un office alimentaire et
vétérinaire intervient régulièrement et sa fonction
est d'aller contrôler l'efficacité des services mis en place par
chaque Etat-membre. Vous savez que lorsque l'office alimentaire et
vétérinaire vient en France --il le fait
régulièrement--, il fait souvent des observations critiques sur
le fonctionnement de notre service national. Il a la même attitude avec
d'autres services.
M. Georges Gruillot
- Ce n'est pas la question que je vous pose. Je vous
demande votre position personnelle. Faites-vous confiance les yeux
fermés à vos collègues des autres pays ? Si c'est
vrai, cela a bien changé... (Rires.)
M. Benoît Assemat
- Je vous réponds à titre
personnel. Je dis oui à partir du moment où des denrées
d'origine animale sont remises aux consommateurs, qu'elles viennent de France,
d'un élevage industriel qui a été nourri avec des facteurs
de croissance ou autre chose ou que ce soit un poulet sous label, un poulet
biologique ou un poulet qui vient d'Espagne ou d'ailleurs. J'estime que l'on ne
peut pas fonctionner normalement s'il n'y a pas une reconnaissance de ce qu'est
la garantie apportée par les services officiels, ce qui ne veut pas dire
qu'il ne faut pas l'améliorer.
Au sein de notre organisation, nous nous battons, dans notre pays, pour
améliorer le service public. Je ne suis pas satisfait du service public
tel qu'il fonctionne en France et je ne connais pas suffisamment le rôle
de contrôle des autres Etats-Membres. C'est celui de l'Office alimentaire
et vétérinaire. Simplement, en tant que consommateur, je ne me
dis pas que je suis plus inquiet...
M. Georges Gruillot
- Je parle au président du syndicat des
vétérinaires inspecteurs et non pas au consommateur. Je comprends
que vous ne puissiez pas me répondre.
M. Benoît Assemat
- Je vous réponds.
M. Georges Gruillot
- J'ai une deuxième question à vous
poser. En 1992, on a interdit, en France, l'utilisation de cervelle
importée majoritairement du Royaume-Uni qui entrait dans des aliments en
France alors qu'elle était interdite depuis 1990 à la
consommation en Angleterre. Vous savez cela. Comment pouvez-vous nous
l'expliquer ? Jusqu'en 1992, en France, on a consommé des cervelles
anglaises, en particulier dans les pots pour bébés.
M. Benoît Assemat
- L'arrêté qui a été
pris en 1992 n'a concerné à ma connaissance que les pots pour
bébés et je ne pense pas qu'avant l'embargo du 21 ou 22 mars
1996, il y ait eu une mesure d'interdiction.
M. Georges Gruillot
- Cette mesure a été prise en 1992 en
France et en 1990 en Angleterre.
M. Benoît Assemat
- Vous parlez des cervelles et moelles
épinières ?
M. Paul Blanc
- Les Anglais, en 1989, ont interdit la commercialisation
des abats chez eux et il a fallu attendre plus de deux ans pour que ce soit
interdit dans notre pays.
M. Benoît Assemat
- Je l'ignorais car, à ma connaissance,
c'est en août 1989 que l'on a interdit, sauf dérogations,
l'importation des farines animales venant du Royaume-Uni. Quant à
l'importation des cervelles ou autres abats à risques, je n'ai pas
connaissance d'un tel texte. Je n'ai connaissance que d'un texte sur les petits
pots pour bébés qui ne venait pas du ministère de
l'agriculture et qui date de 1992 mais, à ma connaissance, c'est de
l'embargo de mars 1996 que date l'acte réglementaire d'interdiction de
l'importation des sous-produits que vous évoquez.
M. Georges Gruillot
- Mais l'interdiction des cervelles dans les pots
pour bébés date bien de 1992 ?
M. Benoît Assemat
- Il ne s'agit pas des cervelles britanniques
mais des cervelles en général.
M. Georges Gruillot
- Il s'agit des cervelles dont la majorité
étaient importées d'Angleterre alors qu'en Angleterre, elles
étaient déjà interdites à la consommation depuis
deux ans.
M. Benoît Assemat
- Je n'ai pas la moindre information sur la
provenance des cervelles qui entraient auparavant dans les petits pots pour
bébés, mais je ne pense pas qu'une mesure ait été
prise à ce sujet en France en 1992, à moins que cela m'ait
échappé. Je n'en ai pas le souvenir.
M. Georges Gruillot
- J'ai une troisième question. J'ai
trouvé que vous étiez très affirmatif quand vous avez dit
que le prion était une protéine liposoluble. En effet, le
professeur Dormont qui, pour nous, est le nec plus ultra des connaissances en
matière de prion, l'est beaucoup moins que vous. Est-ce lui qui est un
peu rétro ou vous qui allez trop vite ?
M. Benoît Assemat
- Vous pouvez consulter tous les traités
de biochimie. Ils disent tous que le prion est une glycoprotéine dont le
caractère hydrophobe est très marqué. Tous les experts le
savent et il n'y a absolument aucun doute là-dessus. Je ne pense pas
qu'un quelconque expert puisse le contester ; ce n'est pas la question.
M. Georges Gruillot
- Je vous interroge simplement là-dessus.
M. Benoît Assemat
- La présence du prion dans les farines
animales n'a jamais été mise en cause. Elle est évidente.
On a toujours mis en cause les farines animales et je ne veux pas contester
leur rôle. Je dis simplement qu'avant 1996, les farines brutes
d'équarrissage conduisaient à un produit qui s'appelle la graisse
d'équarrissage, qui n'est plus utilisée aujourd'hui mais sur
laquelle je n'ai jamais eu de réponse satisfaisante qui me permette de
comprendre pourquoi on ne mettait pas en cause le rôle éventuel
joué par ces graisses d'équarrissage.
M. Paul Blanc
- Si je vous comprends bien, vous pensez que ce sont plus
ces graisses d'équarrissage qui seraient en cause, puisque le prion est
liposoluble, que les farines à base de protéines
elles-mêmes ?
M. Benoît Assemat
- Je ne vais pas si loin que cela. Je dis que la
question ne me semble pas avoir été suffisamment creusée.
En tout cas, lorsque je m'y suis intéressé, je n'ai jamais eu de
réponse qui me paraisse satisfaisante.
M. Georges Gruillot
- J'en viens à ma dernière question
à laquelle vous me répondrez facilement en tant que
président du syndicat : aujourd'hui, quel salaire horaire accorde
l'Etat aux vétérinaires inspecteurs vacataires ? Je voudrais
savoir si cela a beaucoup progressé.
M. Benoît Assemat
- Nous avons eu le grand plaisir de voir que
l'action que nos avions menée au titre du syndicat avait conduit M. Jean
Glavany à demander une revalorisation de plus de 40 % du taux de la
vacation horaire, qui est donc passé de 70 F nets à 100 F
nets au 1er janvier 2001. L'arrêté n'est pas sorti mais il sera
rétroactif au 1er janvier 2001.
Cette augmentation de 40 % conduit donc à rémunérer
un vétérinaire qui est recruté par exemple à 135
vacations par mois, ce qui est un cas relativement fréquent qui
correspond à 80 % de mes confrères, sur la base de 13 500 F,
ce qui est beaucoup mieux que 9 200 F nets. Nous dénoncions cette
situation qui nous paraissait tout à fait scandaleuse. Nous avions
indiqué que, pour nous, c'était une insulte au rôle
joué par les vétérinaires en matière de
contrôle sanitaire.
M. Georges Gruillot
- Nous allons y réfléchir.
M. le Rapporteur
- Vous avez dit tout à l'heure que les risques
en matière de contamination humaine étaient un problème
qui relevait plutôt du passé qu'autre chose en relevant que la
date fatidique de 1996 pour les retraits de matériels à risques
spécifiés était importante, ce qui est vrai. Cela
étant, je reste marqué par cette notion d'incorporation de
cervelles dans les pots pour bébés jusqu'en 1992, ce qui
m'amène à être moins rassurant, en termes de prospectives
épidémiologiques, que Mme Alpérovitch. Je suis quand
même assez inquiet.
Quand on écoute également Mme Jeanne Brugère-Picoux, qui
souligne que, jusqu'en 1994-1995, nous avons importé des tonnages
importants d'abats d'origine britannique, on peut peut-être se dire que
le danger est derrière nous mais que de nombreux cas humains sont
terriblement devant nous.
Je repose donc indirectement la question que vient de vous poser mon
collègue Gruillot en ce qui concerne les mouvements intracommunautaires
et, en particulier, sur les quantités d'abats et de carcasses provenant
d'Angleterre en 1994-1995. Je crois avoir les chiffres précis en
tête : il y avait à cette époque environ 220 000
tonnes de viandes anglaises exportées, dont environ 50 %
étaient importées en France.
Je suis désolé, mais il faut bien admettre que les Anglais ont
interdit unilatéralement, chez eux, les farines, les carcasses ou les
matériels à risques spécifiés mais qu'ils ont tout
fait pour les exporter. C'est un point fondamental que la commission va
creuser. Quelle est votre analyse sur ce point ?
M. Benoît Assemat
- Je la partage totalement. J'ajoute qu'à
mon avis --je répète ce que j'ai dit tout à l'heure--,
jusqu'en mars 1996, ont pu être incorporées dans certaines
préparations à base de viande (et je ne parle pas de la viande
hachée car, en France, la réglementation prévoit que la
viande hachée ne contienne que de la viande) des éléments
du système nerveux central. Je précise que je n'ai pas du tout le
souvenir de cet arrêté de 1992.
M. le Président
- Compte tenu du délai d'incubation dans
l'espèce humaine, on peut se poser des questions.
M. Benoît Assemat
- Il est possible --je n'en sais rien-- que le
pic de contamination des humains, en France, se trouve entre 1993 et 1995 alors
qu'au Royaume-Uni, il se retrouve avant, mais je n'ai pas de compétences
pour l'affirmer et je n'ai pas plus d'éléments que ce qu'indique
la presse.
M. le Président
- En 1992, ce sont uniquement les MRS qui ont
été retirés des compléments alimentaires et des
produits destinés à l'alimentation infantile.
M. Benoît Assemat
- A mon avis, des éléments des
systèmes nerveux centraux britanniques ont pu rentrer en France jusqu'en
mars 1996. Je ne dis pas qu'ils sont rentrés mais,
réglementairement, ils ont pu le faire.
M. le Président
- C'est le cas jusqu'à l'embargo, qui date
de mars 1996.
M. Benoît Assemat
- C'était mon analyse, jusqu'à
présent, de l'évolution de la réglementation.
M. le Rapporteur
- A mon avis, pour faire la moindre projection en ce
qui concerne l'incidence sur la santé humaine et le nombre de cas que
l'on pourrait malheureusement découvrir chez nos concitoyens, je pense
qu'il faudra attendre encore quelques années en constatant cette
incidence sur la population anglaise.
Cependant, je souscris totalement à ce que nous a dit ici
Mme Brugère-Picoux : après la population anglaise,
c'est la population française qui a été la plus soumise au
risque entre 1993 et 1996.
M. Benoît Assemat
- Je le pense aussi.
M. le Président
- S'il n'y a plus de questions, nous vous
remercions.