Audition de M. Jacques ROBELIN, chef du département «
élevage et nutrition des animaux » de l'Institut national de la
recherche agronomique
(INRA)
(10 janvier 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Robelin, nous vous
remercions d'être venu. Je rappelle que vous êtes Chef du
département « élevage et nutrition des animaux » de
l'INRA, l'Institut National de la Recherche Agronomique.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Robelin.
M. le Président
- Monsieur Robelin, je vous demande de nous
parler des problèmes des farines animales par rapport à
l'alimentation des animaux ou, du moins, de l'utilisation des farines animales
pour l'alimentation des bovins.
M. Jacques Robelin
- Merci. Monsieur le Président et Messieurs
les Sénateurs, vous m'avez invité, par un courrier, à
introduire les débats en exposant ma position sur l'utilisation des
farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage. Je pense
être convoqué ici au titre de mes compétences scientifiques
liées à mes fonctions de Chef du département «
élevage et nutrition des animaux » à l'INRA.
Je me présenterai et j'aborderai le thème de la nutrition animale
pour situer le champ des compétences.
Pour résumer le C.V. que vous avez reçu, je suis Directeur de
recherches à l'INRA et, dans le cadre de ces recherches, j'ai soutenu
une thèse de Doctorat d'Etat, au début des années 1980,
dans le domaine de la croissance des animaux et plus précisément
la différenciation et la croissance des tissus musculaires et adipeux.
On m'a confié, en 1992, la direction d'un département de
recherche à l'INRA, grossi en 1994 par la fusion d'un autre
département. Celui que je dirige actuellement rassemble 180 chercheurs,
400 techniciens dans 15 unités de recherches disposées sur
l'ensemble du territoire. Ce département conduit essentiellement des
recherches sur la nutrition animale, la physiologie générale des
fonctions de production, la lactation, la croissance, et, plus globalement, les
processus de conduite d'élevage des animaux terrestres, oiseaux, porcins
et ruminants. C'est actuellement ce qui délimite globalement le champ de
mes compétences.
J'aborderai d'abord l'alimentation animale et, plus précisément,
les concepts sur lesquels elle repose. C'est à l'élaboration de
ces concepts que mon département a travaillé durant les
années 1960 à 1980. Je présenterai ensuite quelques
hypothèses sur les raisons de l'introduction des farines animales dans
l'alimentation des animaux.
J'ai fait le choix délibéré d'un message très
dépouillé et je risque probablement une trop grande
simplicité mais je compte sur vos questions pour me permettre de vous
apporter des précisions.
L'alimentation animale : un processus biologique et les concepts sur
lesquels elle repose
L'alimentation a pour finalité d'approvisionner l'animal en
éléments nutritifs nécessaires à sa survie, et
à celle de l'espèce, pour différentes fonctions telles que
l'entretien de l'organisme, la croissance chez le jeune, la reproduction chez
l'adulte, incluant la lactation ou la ponte, selon les espèces, sans
oublier le travail musculaire.
Les aliments ingérés par un animal sont dégradés en
éléments de plus en plus simples au cours des processus
digestifs. Chez les ruminants, cette digestion commence par un processus de
fermentation microbienne dans le rumen, la panse, avec des conséquences
bien particulières et, en premier, lieu la capacité de valoriser
la cellulose des végétaux, ce que ne peuvent pas faire les
monogastriques et l'homme en particulier.
Parcours des éléments nutritifs, produits terminaux de la
digestion
Ils sont absorbés au niveau de la paroi intestinale et ensuite
transportés par la lymphe ou le sang, transformés
éventuellement au niveau du foie et enfin utilisés au niveau des
cellules pour le fonctionnement des différents organes : le
cerveau, les muscles, le placenta, la glande mammaire, etc.
Tous ces phénomènes sont régis par un jeu complexe de
régulations hormonales qui modulent le fonctionnement de l'animal en
fonction de priorités liées à son état
physiologique interne, comme la lactation, ou à son environnement
externe.
Les protéines et précision de la nature de ces nutriments issus
de la digestion
On distingue principalement deux catégories de nutriments, les
nutriments énergétiques et les nutriments protéiques.
Les nutriments énergétiques sont constitués de
chaînes d'atomes de carbone, d'hydrogène et d'oxygène,
autrement appelés les hydrates de carbone. Ils représentent la
source d'énergie pour le fonctionnement de l'animal.
Les nutriments protéiques sont les acides animés composés
de chaînes carbonées comportant des atomes d'azote. Ils sont les
éléments constitutifs des protéines qui elles-mêmes
sont les entités caractéristiques des êtres vivants
à la base de leur fonctionnement.
Il existe plus de 20 acides aminés différents et leur
arrangement, dicté par le code génétique, détermine
la nature des protéines et leurs fonctions.
Les trois points essentiels constituant les concepts de la nutrition
protéique des animaux
Le premier est que certains de ces 20 acides aminés peuvent
être synthétisés, dans les tissus animaux eux-mêmes,
à partir d'autres acides animés. En revanche, une dizaine d'entre
eux ne peuvent pas faire l'objet d'une telle synthèse chez l'animal. On
les qualifie d'acides aminés indispensables, sous-entendu indispensables
pour l'animal qui doit alors les trouver dans son alimentation.
Le second point est que la proportion, dans les tissus animaux, de ces acides
aminés indispensables est différente de celle que l'on trouve
dans les végétaux. Ainsi il existe un déséquilibre,
a priori, entre les besoins des animaux pour la synthèse de leurs tissus
et les apports alimentaires qu'ils trouvent dans les végétaux. Ce
déséquilibre se traduit au niveau métabolique par une
utilisation partielle des acides animés à des fins
énergétiques avec, en corollaire, un rejet d'azote dans l'urine,
et une utilisation non optimale de l'alimentation.
Le troisième point, duquel découle la pratique de l'alimentation
animale, est que les différentes espèces végétales
renferment des proportions différentes de ces acides aminés
indispensables. Par conséquent, on peut ainsi, par un mélange
judicieux de différentes sources d'aliments, obtenir des rations
présentant un meilleur équilibre en acides animés
vis-à-vis des besoins nutritionnels des animaux.
J'ai résumé les concepts que le département que je dirige
a contribué à élaborer, avec de nombreux autres
laboratoires dans le monde, en précisant que ces concepts constituent
également la base de la nutrition humaine.
Traduction de ces concepts dans l'alimentation animale et utilisation des
déchets animaux
Dans la pratique de l'alimentation animale, on a d'abord
rééquilibré les rations à partir de tourteaux,
à savoir des sous-produits de l'industrie huilière (arachide,
soja, colza, etc.) contenant de fortes proportions de ces acides animés
indispensables.
Les différents éléments qui ont pu contribuer à
l'introduction de déchets animaux en tant que complément
protéique des rations sont difficilement hiérarchisables. On peut
néanmoins en citer quelques-uns.
Le premier est peut-être la disponibilité de ce sous-produit (les
déchets animaux) de l'industrie de la viande et l'accroissement de cette
disponibilité découlant de l'augmentation de la production de
viande au cours des années 1960, voire la nécessité de les
éliminer (ce en face de quoi nous sommes actuellement) avec, en
corollaire, un coût réduit. Cet élément
économique a dû compter dans la formulation des aliments
fabriqués par l'industrie de l'alimentation animale.
Un second élément est le fait que ces sous-produits sont en
très bonne adéquation en termes de proportion d'acides
aminés indispensables. Cela n'est d'ailleurs pertinent que chez les
animaux monogastriques car les ruminants sont plus autonomes en termes de
composition en acides aminés.
Un troisième élément est probablement la recherche d'une
indépendance nationale vis-à-vis des importations de soja
américain qui avaient été limitées dans les
années 1970.
Voilà brièvement cette contribution introductive au débat
où je n'ai abordé qu'une seule facette de l'alimentation animale,
à savoir sa finalité en tant que processus biologique ainsi que
les concepts sur lesquels elle repose, et auxquels a travaillé le
département que je dirige.
Je n'ai, volontairement, pas traité deux ou trois aspects sur lesquels
nous pourrons revenir, à savoir le lien de l'alimentation animale au
territoire et sa pratique dans les élevages, la conduite alimentaire des
différentes catégories d'animaux.
Je n'ai évidemment abordé ce sujet que sur un plan scientifique
correspondant à mes fonctions. Je suis toutefois disposé à
donner un point de vue de citoyen mais je ne prétends pas qu'il
s'imposait dans cet exposé introductif.
M. le Président
- Nous vous remercions de cette introduction qui
était parfaite pour remettre la situation en place par rapport à
vos fonctions.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Que pensez-vous des produits de substitution
qui sont maintenant obligatoires pour compenser la non-incorporation de ces
farines animales, pensez-vous qu'ils auront le même rôle et
sera-t-il aussi facile d'équilibrer les rations ?
Concernant l'alimentation des volailles, nous l'avons vu lors de notre
déplacement dans la Sarthe, il semblerait que cela pose quelques
problèmes non pas de formulation mais de fabrication des
granulés, ainsi que de qualité des carcasses.
L'INRA a-t-il un programme de recherches sur des variétés
semencières concernant les oléoprotéagineux pour les
adapter à l'alimentation des bovins, des porcins et des volailles ?
M. Jacques Robelin
- Vous m'avez posé la question sur les
volailles et j'éliminerai tout d'abord le problème des ruminants.
Il n'existe pas d'inconvénients, a priori, à supprimer les
farines animales du complément protéique des ruminants qui ne
sont pas les meilleurs valorisateurs de ces protéines de « haute
qualité ». Je vous rappelle que 70 % à 80 % des
protéines ingérées par les ruminants sont
dégradés dans le rumen, éventuellement à un niveau
assez avancé, jusqu'au niveau de l'ammoniaque. Les ruminants consomment
essentiellement les protéines microbiennes synthétisées
dans le rumen.
Concernant les volailles, j'aurai de la peine à répondre sur
certains aspects de vos questions car elles sont en dehors de mes
compétences.
Sur la capacité de granulation, je ne peux pas vous répondre car
c'est en dehors de mon champ de compétence. Si vous auditionnez mon
collègue responsable du département de technologie des produits
végétaux, il sera plus capable de répondre sur ce sujet.
Concernant les semences, mon collègue responsable du département
génétique et amélioration des plantes pourrait vous
répondre. Toutefois, il me semble évident que la
nécessité de développer notre autonomie, en termes de
compléments protéagineux, induira automatiquement un regain
d'intérêt pour des études de génétique et
d'amélioration sur les protéagineux. Je ne pense pas trop
m'avancer à sa place en affirmant cela.
Chez les volailles, cela ne pose pas de problèmes, mais les
compléments protéagineux peuvent poser des problèmes pour
certaines protéines de soja, notamment dans l'alimentation des veaux.
Concernant la qualité et l'aspect des carcasses, je ne vois pas, a
priori, quels pourraient être les inconvénients du remplacement de
protéines d'origine animale par des protéines d'origine
végétale. Peut-être pouvez-vous préciser de quels
aspects de composition des carcasses il s'agit ?
M. le Rapporteur
- Il semblerait, à la lecture de la presse
spécialisée, que les carcasses aient une couleur
différente et suintent, uniquement en raison de l'alimentation de la
volaille.
M. Jacques Robelin
- A ma connaissance, il peut exister un effet de
couleur quand on emploie du maïs, selon qu'il est jaune ou blanc. Sinon,
il pourrait peut-être s'agir de la couleur non pas des carcasses mais du
gras. Je ne pense pas que ce soit un problème de qualité de
carcasse chez les volailles. Cela peut être un problème chez les
ovins et bovins, d'ailleurs plus chez les ovins, mais pour les volailles je
n'ai pas connaissance de problème de qualité par rapport à
la couleur du grain. Concernant la couleur de la viande, j'avoue ne pas
comprendre.
M. le Rapporteur
- Je préfère votre réponse faite
en votre qualité de nutritionniste.
M. Jacques Robelin
- Cela dépend par quoi on imagine remplacer
les protéines animales. Je ne connais pas suffisamment la palette
actuelle des disponibilités de matières premières
alimentaires utilisables ; il est possible que certaines contiennent des
éléments donnant une couleur défavorable. On peut imaginer
que le maïs donne une couleur.
M. le Rapporteur
- En tant que nutritionniste, pensez-vous que
l'ingestion, depuis les années 1960, de protéines d'origine
animale par des herbivores n'a jamais soulevé de problèmes
scientifiques majeurs ?
M. Jacques Robelin
- Je n'ai pas parlé d'ingestion de
protéines animales depuis les années 1960. Je ne sais pas depuis
quelle date elles ont été utilisées car je n'ai pas de
statistiques sur le sujet ; peut-être à partir des
années 1980.
Il faudrait examiner les statistiques de production et d'utilisation. Il n'y a
aucun intérêt particulier à donner des farines animales
à des bovins. On peut même être surpris qu'elles aient
été utilisées pour ces animaux.
En effet, l'intérêt strictement nutritionnel des farines animales
chez un monogastrique est que la dégradation des farines dans la
digestion produit, à la sortie, un profil d'acides animés qui est
à peu près semblable à ceux des besoins de l'animal.
Dans le cas d'un bovin qui ingère des protéines, qu'elles soient
végétales ou animales, elles sont, à 60 % ou
80 %, dégradées au niveau du rumen en éléments
simples jusqu'au niveau ammoniacal. On ne trouve plus d'acides aminés ou
d'éléments appelés protéiques, en termes de
biologie, car ils sont complètement dégradés. Cet
ammoniaque, joint aux éléments énergétiques du
rumen, constitue l'alimentation des microbes du rumen qui, eux-mêmes,
font une croissance, et l'alimentation du bovin est constituée par les
microbes du rumen. Cela n'a plus « rien à voir » avec les
protéines initiales.
Il est inutile de donner des protéines « de bonne qualité
», en termes de profil d'acides aminés, à des ruminants car
elles sont dégradées, sauf dans certains cas. C'est ce que l'on
fait pour les tourteaux traités avec des tanins qui protègent les
protéines de la dégradation par les microbes du rumen ; de
ce fait on obtient, à la sortie du rumen, qui est l'équivalent de
notre estomac, la caillette, une composition en acides aminés des
tourteaux protégés.
Je n'ai jamais entendu dire que l'on ait protégé des
protéines de farines de viande. Il n'y a, a priori, aucun
intérêt à utiliser des farines de viande. C'est ce qui me
permettait de dire que la première hypothèse d'utilisation des
farines animales pour les bovins repose sur leur coût. Je pense qu'il
s'agit d'une augmentation de la disponibilité de ces matières
premières qui sont des déchets et ne valent pas, en termes de
coût, très cher. Il faut peut-être tenir compte
également des problèmes liés au soja.
M. le Rapporteur
- S'il n'existe pas d'intérêt positif,
existe-t-il des effets négatifs, en dehors du problème du
prion ?
M. Jacques Robelin
- Quel effet négatif pourrait-on
attendre ? Le fondement de cela consiste à savoir que pratiquement
tout est dégradé au niveau du rumen.
M. le Président
- On nous a dit, lors d'une visite chez un
fabricant d'aliments pour bétail, que l'INRA informe les fabricants
d'aliments du bétail. Des publications faites par l'INRA permettaient
d'indiquer les avantages et les inconvénients de l'utilisation de tels
ou tels produits. Or, dans ce petit livre rouge publié par l'INRA, on
incitait à mettre une certaine quantité de protéines
animales pour obtenir les quantités protéiques.
M. Jacques Robelin
- Je souhaiterais savoir de quel paragraphe il
s'agit. J'ai été chercheur de base à ce moment-là,
pas directement en nutrition, mais j'ai connu la période durant laquelle
nous avons préparé ce livre rouge.
Parmi l'ensemble des matières premières entrant dans
l'alimentation animale, nous avons fait quelques mesures sur des farines de
viande pour donner une « valeur » protéique et une
valeur énergétique à ces farines. Toutefois, je serais
fort étonné qu'il s'agisse de recommandations d'utilisation de
farines animales chez les ruminants.
Le principe de base de l'alimentation, du rationnement, d'un ruminant consiste
d'abord à lui faire manger la plus grande quantité de ce que l'on
appelle la ration de base : du fourrage, du foin, de l'herbe, de
l'ensilage d'herbe ou de l'ensilage de maïs. Quand on connaît, ou on
quand on peut estimer, la quantité de ration de base
ingérée par le ruminant, on calcule le complément qu'il
faudrait lui donner, s'agissant d'une vache laitière reproductrice, pour
arriver à la satisfaction de ses besoins. On ne part jamais, dans la
formulation d'une ration chez le ruminant, qui est faite à la ferme, sur
les aliments « concentrés » au départ. Je suis fort
étonné de cette allégation dans le livre rouge.
M. le Président
- Il faut vérifier.
M. Jacques Robelin
- Connaissant les personnes qui ont
rédigé ce livre, cela m'étonnerait beaucoup car elles
étaient plutôt des partisans de l'utilisation du fourrage.
Il est certain que nous avons supprimé toute notification en termes de
farines animales dès l'année où elles ont
été interdites pour les ruminants. Nous avons fait une nouvelle
édition à partir de 1992, 1993 ou 1994 et nous avons cessé
la vente des livres.
Autant que je me souvienne, car j'étais déjà Chef de
département, nous avons examiné en détail les passages
où l'on parlait de farines animales : elles étaient
citées dans les tables des aliments et peut-être dans un
paragraphe ou deux. Je préfère vérifier avant d'affirmer
qu'elles n'étaient pas mentionnées en termes d'encouragement
à les utiliser pour les ruminants. Je souhaite que l'on soit clair sur
les phrases utilisées dans le livre.
M. le Président
- Vous enverrez vos renseignements à la
Commission d'enquête du Sénat.
M. Paul Blanc
- Ma question est dans le droit fil du livre rouge. Il
semblerait que l'INRA ait eu la licence des tourteaux tannés ou du moins
ait beaucoup travaillé sur ces tourteaux tannés auxquels vous
faites allusion.
Faisant référence au livre rouge, je me demandais si je ne
pouvais pas répondre à votre place par rapport à ce que
vous avez évoqué, à savoir la difficulté
d'éliminer les déchets de carcasses animales. La
préconisation de l'utilisation des farines animales ne
répond-elle pas à un souci purement économique ? Je
me fais l'avocat du diable.
M. Jacques Robelin
- Je pense que nous ne les avons pas
préconisées ; nous le vérifierons dans le livre rouge.
M. Paul Blanc
- Vous n'avez peut-être pas mis suffisamment en
avant les tourteaux tannés par rapport aux farines animales ?
M. Jacques Robelin
- Il me semble que les tourteaux tannés sont
arrivés après les farines animales (il faudrait que je
vérifie) dans le début des années 1980, alors que les
farines animales commençaient à être utilisées. Je
ne peux pas fournir de précisions sur ce sujet.
J'aimerais connaître la quantité réelle de farines animales
utilisées en 1980 dans l'alimentation des ruminants. Je pense que
c'était vraiment minime car l'habitude était d'utiliser des
tourteaux, puis des tourteaux tannés et ensuite des acides aminés
de synthèse. Il doit exister des statistiques auxquelles,
personnellement, je n'ai pas accès.
M. Paul Blanc
- A quel moment l'INRA a-t-il été
informé du lien entre les farines de viande et d'os et
l'épidémie d'ESB en Grande-Bretagne ?
M. Jacques Robelin
- Je ne peux pas vous le dire car la date à
laquelle j'ai été informé n'est pas significative de la
date à laquelle l'INRA l'a été. J'ai été
informé comme tout le monde, à savoir au début de la
période ou j'ai été Chef de département, quand la
crise a éclaté.
M. Paul Blanc
- En 1989 ?
M. Jacques Robelin
- Non, car j'ai été Chef de
département plus tard. Je ne peux pas répondre pour l'INRA.
M. Paul Blanc
- Que pouvez-vous nous dire sur les lacto-remplaceurs
destinés à augmenter la production de lait ? C'était
aussi l'une des finalités de l'utilisation des farines animales
puisqu'elles ont surtout été données aux vaches
laitières.
Autrement dit, que pensez-vous de l'utilisation des farines animales pour
stimuler la lactation des vaches ?
M. Jacques Robelin
- Cela ne stimule pas la lactation.
M. Paul Blanc
- Alors pourquoi les avoir données surtout aux
vaches laitières ?
M. Jacques Robelin
- Elles ont été données en
termes de compléments nutritionnels mais pas pour augmenter la lactation.
M. Georges Gruillot
- Surtout parce qu'elles étaient moins
chères que les autres protéines.
M. Jacques Robelin
- Peut-être, mais elles ne stimulent pas la
lactation ; elles la « permettent », si la vache en
est capable, mais ne la stimulent pas.
M. Paul Blanc
- Les vaches qui absorbaient des farines animales
donnaient davantage de lait que celles qui n'en absorbaient pas.
M. Jacques Robelin
- Stricto sensu, non. Une vache qui a un potentiel
laitier de 8 000 kilos n'en fera pas plus même si vous lui
faites avaler des quantités importantes de farines animales chaque jour.
M. Paul Blanc
- Pourquoi a-t-on donné les farines animales au
cheptel allaitant ?
M. Jacques Robelin
- Non.
M. Paul Blanc
- Je voulais parler du cheptel laitier.
M. Jacques Robelin
- Les vaches laitières, et surtout les vaches
laitières Holstein, très hautes productrices, sont les seules qui
nécessitent réellement un complément protéique
important. Il n'y aurait pas eu de raison de donner cela à des
Montbéliardes dans le Jura.
M. Paul Blanc
- C'est quand même ce que l'on a beaucoup lu dans la
presse.
M. Jacques Robelin
- Les vaches les plus productrices sont les Holstein
dans l'Ouest.
M. le Rapporteur
- Il existe une relation directe entre la
complémentation alimentaire, à partir d'un complément
contenant 3 à 5 % de farine animale, et la production
laitière. Entre une Montbéliarde et une frisonne française
à pie noire, la ration de base est pratiquement identique, en fonction
du poids, mais si elle produit davantage de lait il faut mettre plus de
compléments alimentaires.
M. le Président
- Je suis d'accord concernant les
compléments, mais s'agissant des farines animales....
M. Georges Gruillot
- ... En minéraux et en protéines.
M. Jacques Robelin
- Ce sont des compléments alimentaires mais
pas nécessairement des farines animales.
M. Paul Blanc
- Des farines animales ont été
utilisées en complément avant tout.
M. Jacques Robelin
- Je ne pense pas que ce soit « avant
tout ».
M. le Président
- La quantité protéique fournie
l'était en grande partie par les farines animales incorporées
à l'aliment.
M. Jacques Robelin
- Non.
M. le Président
- Les compléments alimentaires qui ont
été donnés à tous les animaux, en particulier aux
vaches laitières, étaient, à une certaine période,
fournis en partie par des farines animales ; en effet, les 3 % de
protéines prévues dans presque tous les aliments étaient
d'origine animale.
M. Jacques Robelin
- Je ne peux pas répondre à cette
question aussi précisément. Il serait important d'examiner des
statistiques fiables sur l'utilisation des farines animales dans le cas des
vaches laitières.
On prétend parfois certaines choses sans connaître la
réalité. Je ne dis pas qu'elles n'ont pas été
utilisées, mais je doute qu'il s'agisse de la majorité de la
complémentation du troupeau laitier. Nous pouvons avoir une impression
sur un tel sujet mais je souhaiterais avoir des données écrites
et confirmées sur un sujet comme celui-là.
M. Jean-François Humbert
- Je reviendrai sur les
lacto-remplaceurs car, à la différence de la plupart de mes
collègues qui sont d'éminents scientifiques, je ne suis qu'un
modeste juriste et je ne comprends pas tout.
Les lacto-remplaceurs sont des laits que l'on transforme en lait en poudre et
auxquels, parfois, on ajoute des compléments en particulier des graisses
animales. Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur la composition de ces
lacto-remplaceurs et s'il s'agit de graisses animales, existe-t-il
éventuellement des risques de contamination ?
M. Jacques Robelin
- Je répondrai sur un plan du principe de
fabrication de ces produits. Je ne suis pas industriel fabricant de ces
produits et, par conséquent, je ne pourrai pas répondre à
votre question sur ce sujet.
Sur le principe même, on a utilisé des lacto-remplaceurs, ou
constitué des laits de remplacement à partir de protéines,
essentiellement végétales, issues du soja et d'autres
végétaux, avec comme complément énergétique
des lipides issus des graisses animales. L'objectif était à
nouveau de recycler des déchets, des graisses animales, au niveau de ces
aliments.
D'un point de vue nutritionnel, nous consommons des lipides animaux à
chaque fois que nous consommons de la viande et, en principe, ce n'est pas
toxique.
Concernant la composition de ces lacto-remplaceurs, l'information qui m'a
été donnée sur ce sujet, mais qui demande à
être vérifiée, est que la réglementation actuelle
impose de mettre dans ces laits de remplacement des matières grasses
d'origine animale avec exactement les mêmes caractéristiques que
celles imposées pour la biscuiterie.
Les risques, qui ont été évoqués assez
fréquemment, notamment à propos des veaux, pour expliquer un
certain nombre de cas d'apparition d'ESB chez les veaux, sont liés au
fait qu'il peut rester des traces de protéines après le
traitement des graisses que l'on incorpore aux lacto-remplaceurs.
D'après ce que l'on m'a dit, c'est de l'ordre de moins de 1 %. Pour
l'instant on ne peut pas certifier qu'il n'y ait pas de risque.
Je répondrai par écrit à l'affirmation concernant le livre
rouge car cela me paraît être un point important. Il faut que ce
sujet soit clair.
Ensuite, j'avoue que je ne suis pas complètement convaincu par la
prééminence des farines animales dans la complémentation
des vaches laitières en général. Je pense qu'il faudrait
disposer de statistiques précises sur ce sujet.
M. Georges Gruillot
- Des marques d'aliments n'ont jamais utilisé
les farines animales.
M. le Président
- Vous l'avez clairement expliqué.
M. Jacques Robelin
- Concernant la qualité des carcasses, je ne
vois pas sur quoi une telle remarque pourrait être fondée. Il
existe peut-être une raison qui m'échappe.
M. le Président
- Merci encore.