b) La voie lactée : une contamination possible par les lactoremplaceurs
La commission d'enquête a été sensibilisée très tôt, notamment à l'initiative d'un de ses membres M. Jean-François Humbert, à la question des lactoremplaceurs .
Elle a ainsi organisé une série d'auditions sur cette question, qui ont révélé de grandes incertitudes, lesquelles n'ont pas été levées lors des déplacements.
Selon certains, les lactoremplaceurs expliqueraient la contamination de bovins qui n'ont jamais consommé de nourriture « industrielle ». Des éleveurs ont estimé que ces produits pourraient être également à l'origine de la contamination de bovins du cheptel allaitant.
M. Jean-Paul Emorine, membre de la commission et « éleveur allaitant », a précisé que lorsqu'un problème de lait se pose pour la mère, « tous les élevages allaitants peuvent se trouver dans la nécessité de recourir à du lait artificiel de façon momentanée, c'est-à-dire pendant quinze jours, voire un mois » . Les fabricants de lactoremplaceurs entendus par la commission ont indiqué pourtant ne pas en vendre pour le cheptel allaitant.
Si les lactoremplaceurs ne contiennent pas des farines de viande et d'os, en raison de la typologie du produit, ils ont intégré des graisses animales. La commission rappellera une fois de plus que cette dénomination regroupe trois types de produits : les suifs fondus, les graisses de cuisson dites « graisses 15 » et les graisses d'os.
L'AFSSA rappelle dans son avis du 7 avril 2001 que « la sécurité d'utilisation des lactoremplaceurs dépend essentiellement de la pureté des graisses utilisées, des caractéristiques physico-chimiques du procédé de fabrication et du contrôle des sources ; toutes choses égales par ailleurs, l'absence de contaminant protéique d'origine bovine ou ovine constitue un facteur de sécurité au regard du risque ATNC. La structure et les conditions de collecte dans les abattoirs est en cours de révision afin d'éviter les pollutions accidentelles des graisses par des esquilles osseuses de nature vertébrale ».
A partir du 14 novembre 2000, les graisses de cuisson et les graisses d'os ont été interdites, tandis que les suifs fondus -qui ne constituent pas un produit d'équarrissage- restaient seuls autorisés.
Mais, selon l'AFSSA, les « suifs » -à la différence des saindoux, mis hors de cause, ne présenteraient pas une sécurité maximale, en raison de la fente de la carcasse : « ces produits, qui servent à la fabrication des suifs et des cretons, sont issus de graisses de parage des carcasses mais également, dans une moindre proportion, d'os. Elles sont actuellement autorisées pour les espèces ruminantes et non ruminantes.
Lorsqu'il y a présence d'os de ruminant (et potentiellement de vertèbres), ces graisses pourraient présenter un risque au regard des ESST en se fondant sur un raisonnement similaire à celui qui est développé pour les gélatines d'os et le phosphate bicalcique.
Les suifs, qui font partie des graisses de fonte, proviennent des graisses recueillies actuellement en abattoirs et en ateliers de découpe comme souligné dans la note du Comité interministériel sur les ESST en date du 30 mars 2001 transmise à l'AFSSA. Ces graisses peuvent être contaminées lors de la fente de la carcasse ainsi que dans les ateliers de découpe par des esquilles d'os de nature vertébrale. C'est la raison pour laquelle, on s'achemine vers une valorisation des graisses recueillies exclusivement en amont de la chaîne d'abattage, et en pratique avant la fente de la carcasse » .
Pour M. Bernard Lepoitevin, directeur général de la SOFIVO, les graisses animales utilisées étaient inoffensives. Jusqu'à la fin de 2000, « les graisses étaient essentiellement constituées en France, de suif et de coprah, un peu de saindoux et de l'huile de poisson » .
Le suif était majoritairement employé : il s'agissait de suif de première catégorie, « du premier jus issu de la fonte des tissus adipeux d'animaux récoltés à l'abattoir » . Ces tissus adipeux sont traités dans un laps de temps court et sont « broyés, traités à 85°C avec un peu de vapeur, pressés et filtrés » . Il s'agit des mêmes matières grasses qui sont utilisées en alimentation humaine pour fabriquer les biscuits, le pain, etc.
Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Laurent Beaumont, directeur de l'entreprise d'équarrissage Caillaud, a indiqué avoir vendu des graisses d'os à un fabricant d'aliments d'allaitement.
Un fabricant de lactoremplaceurs a confirmé qu'au début des années 90, l'entreprise avait incorporé des graisses d'os pour répondre à la demande du marché nord européen : les Allemands étaient les premiers demandeurs, suivis des Hollandais. Cette pratique a été modifiée en août 2000. On a indiqué à la commission que le coût de la graisse d'os était inférieur à celui des autres matières grasses.
Devant la commission, la SOFIVO ne semblait pas informée des pratiques de la concurrence, puisque son directeur général, M. Bernard Lepoitevin, a estimé que des graisses d'os n'avaient jamais été ajoutées dans les lactoremplaceurs destinés aux bovins : seul un fabricant de produits laitiers gras, destinés à des aliments pour porcelets, en aurait utilisé, « cet opérateur devant consommer plus des trois quarts de la production de graisse d'os française » .
Il a ajouté que le marché était dominé par les Pays-Bas, qui produisent 43 % des aliments d'allaitement européens, et qui représentent 20 % des produits vendus en France : dès lors, toute « traçabilité » des ingrédients entrant dans la composition de ces produits d'allaitement repose sur la bonne volonté des producteurs d'origine. Selon M. Lescène, de la SOFIVO, « on peut penser qu'un certain nombre de produits issus de la graisse d'os ont été utilisés » , ce qu'a confirmé un autre fabricant de lactoremplaceurs entendu par la commission. Il semble par ailleurs impossible de détecter la nature des graisses animales utilisées : toutes les possibilités de dissimulation sont ainsi autorisées.
La commission d'enquête tient cependant à rappeler que la responsabilité des lactoremplaceurs ne peut être établie de manière certaine.
Selon la Brigade nationale d'enquête vétérinaire, si l'on examine les cas français dépouillés, les lactoremplaceurs n'ont pas été donnés de manière systématique, mais seulement dans un tiers des cas. Les lactoremplaceurs ne peuvent être ainsi accusés d'être la cause unique de l'infection des bovins « naïfs ». Ils ont cependant pu jouer un rôle.