4. Les responsabilités respectives de la Commission européenne et de certains Etats membres
Si le contexte et le mode de décision expliquent en partie l'inertie bruxelloise en matière d'ESB, ils n'exonèrent pas les institutions -la Commission européenne et les Etats membres- de leurs responsabilités.
Or, il apparaît que ces institutions portent une lourde responsabilité dans la gestion de la crise de l'ESB. En particulier, les autorités du Royaume-Uni, à l'époque sous la direction du Premier ministre conservateur, M. John Major, et la Commission européenne, notamment entre 1988 et 1996, ont eu une attitude plus que contestable, ainsi que l'a démontré le rapport de la commission temporaire d'enquête en matière d'ESB du Parlement européen.
On ne saurait, cependant, être complet sans mentionner la responsabilité particulière de certains Etats membres , qui, s'estimant indemnes de l'ESB, ont, jusqu'à une date très récente, empêché l'adoption de certaines mesures qui auraient permis une meilleure approche dans la lutte contre l'ESB et le rétablissement de la confiance des consommateurs.
a) L'attitude injustifiable des Britanniques à l'égard de leurs partenaires européens
Le rapport de Lord Phillips a dressé un constat sévère des dysfonctionnements constatés dans la manière dont les autorités britanniques de l'époque ont géré l'affaire de l'ESB. Pourtant, ce rapport est étrangement silencieux à l'égard de l'attitude qui a été celle du Royaume-Uni au niveau communautaire.
Or, si le système communautaire repose sur la confiance mutuelle entre les Etats membres et la coopération entre les autorités nationales, la commission d'enquête ne peut que constater que le Royaume-Uni n'a pas « joué le jeu » d'une coopération loyale et transparente qui devrait régir les relations entre des Etats engagés dans la construction européenne. Comment expliquer, en effet, que le Royaume-Uni n'ait pas interdit l'exportation des farines animales potentiellement contaminées, alors qu'il avait interdit leur utilisation pour les bovins en 1988, ni même informé les pays importateurs des risques auxquels ils s'exposaient ?
En réalité, à l'égard de ses partenaires européens, le Royaume-Uni a pratiqué une politique de rétention de l'information, qui est allée jusqu'à des pressions au plus haut niveau.
(1) Une politique délibérée de rétention de l'information
Comme l'a confirmé M. Henri Nallet, ancien ministre de l'Agriculture, devant la commission d'enquête : « Je pense que les autorités publiques britanniques en 1988-1989 n'ont pas joué le jeu pour plusieurs raisons. Elles ont retenu l'information. On ne m'a pas prévenu. Mon collègue ministre ne m'a pas dit «je te signale que l'on vient d'interdire l'utilisation des farines (...)» . Leur attitude, que j'ai reconstituée depuis, me paraît inadmissible, parce que je crois que les autorités britanniques ont interdit l'utilisation des farines animales dangereuses dans leur espace national, mais qu'elles n'ont rien fait pour empêcher leur exportation et, du point de vue de la responsabilité publique, une telle attitude est injustifiable. »
Ce témoignage est confirmé par celui du commissaire autrichien M. Franz Fischler devant la mission d'information commune de l'Assemblée nationale : « Il est vrai que cela a été une erreur de la part du Royaume-Uni de n'avoir pas pris la peine d'informer ni la Commission ni les Etats membres de l'évolution de la situation et surtout de la réalité d'un soupçon formulé par les scientifiques et étayé par l'apparition de dix nouveaux cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il est vrai que la politique d'information n'a pas répondu au minimum auquel on peut s'attendre entre partenaires » .
Or, cette politique s'est poursuivie de nombreuses années. M. Jean-Marc Bournigal, attaché agricole à l'Ambassade de France à Rome et ancien conseiller technique au cabinet de M. Philippe Vasseur, a évoqué devant la commission d'enquête le climat d'incertitude qui a entouré la déclaration du ministre britannique 42 ( * ) à la Chambre des communes qui a provoqué la crise de 1996 : « La déclaration publique du ministre britannique devant le Parlement et la presse nous a énormément inquiétés car elle n'avait pas été préparée, et ses collègues des autres pays n'avaient pas été prévenus préalablement, ce qui n'est pas une pratique habituelle. Nous l'avons su le matin avant la communication. Ensuite, nous avons tenté désespérément d'avoir des informations complémentaires de la part des Britanniques. J'ai essayé d'avoir mon homologue au ministère de l'Agriculture. En désespoir de cause, M. Vasseur et M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la Santé, avaient fait de même. »
* 42 Celui-ci annonçait la possible transmission de la maladie à l'homme.