(2) L'interdiction des farines carnées : la mauvaise foi du commissaire Fischler
La situation est un peu différente en ce qui concerne les farines carnées destinées à l'alimentation des animaux. En 1988, lorsque le Royaume-Uni a interdit l'utilisation de ces farines pour l'alimentation des bovins, il n'existait pas d'harmonisation au niveau communautaire. Toutefois, et contrairement à ce qui a été dit à la commission d'enquête par le commissaire autrichien Franz Fischler, les institutions communautaires disposaient de tous les moyens juridiques nécessaires pour qu'une décision puisse intervenir dans des délais raisonnables 37 ( * ) .
L'article 43 du traité permet en effet aux institutions communautaires d'adopter des textes concernant ces produits. En 1990, le Conseil a ainsi adopté une directive harmonisant la production et le commerce de l'alimentation animale, ainsi que des directives relatives aux contrôles vétérinaires mentionnant les produits destinés à l'alimentation des animaux et fabriqués à partir de protéines animales.
Il existait donc une compétence communautaire après l'adoption de la directive de 1990, mais les institutions européennes ont choisi de laisser les Etats membres mettre en oeuvre des mesures nationales.
Pourtant, de manière tardive, en juin 1994, la Commission européenne a adopté une décision interdisant dans tous les Etats membres l'utilisation, dans l'alimentation des ruminants, de protéines dérivées de tissus de ruminants. À cette date les institutions communautaires ont donc estimé qu'il n'était plus souhaitable de laisser fonctionner les mesures nationales et ont adopté une mesure communautaire. Il faut signaler qu'en mars 1994, au sein du Conseil, l'Allemagne avait estimé que les mesures communautaires lui paraissaient insuffisantes et s'était réservée le droit de prendre des mesures plus restrictives.
En résumé, il existait donc une compétence communautaire pour tous les aspects liés à l'ESB. Or, on constate que les institutions communautaires n'ont pas jugé nécessaire d'adopter des mesures plus restrictives.
La volonté de faire fonctionner le marché intérieur et d'assurer la libre circulation des marchandises semble donc l'avoir emporté sur d'autres considérations.
(3) Les petits pots pour bébés : le combat français pour interdire l'incorporation d'abats bovins à risque
Une autre illustration particulièrement marquante a été l'« affaire des petits pots pour bébés », qui a opposé la France à la Commission européenne à partir de 1992.
En effet, les autorités françaises ont, à cette date, pris un arrêté visant à interdire l'incorporation d'abats bovins à risque, tels que la cervelle, dans les produits destinés à l'alimentation infantile, suscitant une vive réaction de la Commission, comme l'ont confirmé M. Jérôme Gallot, Directeur de la DGCCRF, et M. Daniel Hulaud, Chef de Bureau aux produits d'origine animale dans cette administration, à la commission d'enquête.
M. Hulaud : « Cet arrêté a fait l'objet de très vives critiques par la Commission de Bruxelles et nous avons été contraints de nous en expliquer à Bruxelles. J'y suis personnellement allé et je peux vous dire qu'il nous a été rappelé à plusieurs reprises qu'il s'agissait d'une mesure visant à protéger le marché national, à entraver les échanges et que ce n'était nullement une mesure de santé publique ».
M. Gallot a ajouté : « Obtenir une interdiction pour les petits pots pour bébés a été un combat ».
La commission d'enquête a obtenu la communication de documents, notamment le compte rendu d'une réunion à Bruxelles le 9 juin 1995 et l'avis de la Commission du 29 novembre 1994, attestant l'attitude peu conciliante de la Commission européenne à propos de la prolongation de l'interdiction française, qui est allée jusqu'à prendre un avis circonstancié à l'encontre des autorités françaises et à menacer la France d'une procédure d'infraction devant la Cour de Luxembourg !
L'avis circonstancié de la Commission européenne, en date du 29 novembre 1994, à propos du projet de décret français visant à reconduire l'interdiction de l'utilisation des tissus bovins dans la fabrication des aliments pour bébés, énonce, en effet : « ceci revient à une entrave non justifiée de la libre circulation de marchandises à l'intérieur de la Communauté (...). Le projet devrait, par conséquent, être modifié (...). Autrement, il constituerait une infraction pure et simple à cette décision et en même temps une violation à l'article 30 du traité CE ». Par ailleurs, le compte rendu de la réunion tenue à Bruxelles, le 9 juin 1995, sur cette question est particulièrement éloquent. Ainsi, malgré les explications de la délégation française, les représentants de la Commission se sont montrés inflexibles. En effet, « en dépit d'une longue discussion les services de la Commission n'ont invoqué que des arguments juridiques pour justifier leur position et ils ont déclaré qu'ils ne pouvaient écarter une saisine éventuelle de la Cour de justice si le texte envisagé était pris ».
* 37 Le service juridique du Parlement européen l'a affirmé sans ambiguïté dans son avis, en date du 25 novembre 1996.