b) L'absence remarquée du ministère de la santé
Un des constats effectués par les auteurs de « L'affolante histoire de la vache folle », livre écrit à la fin de 1996, reste particulièrement d'actualité : « la crise n'est pas traitée par ceux qui ont la responsabilité de la santé publique, mais par ceux qui sont en charge des dossiers agricoles » 81 ( * ) .
Le ministre de l'agriculture, tant en 1996 qu'en 2000, a constamment occupé le devant de la scène, alors que les Français étaient d'abord inquiets pour leur propre santé.
Le compte rendu d'une réunion tenue le 26 janvier 1998 sous la présidence de M. Lionel Jospin, Premier ministre, montre, au sujet du « traitement thermique » des farines, que le ministre de l'agriculture et de la pêche plaide lui-même, emportant la conviction du chef du gouvernement, pour que « la communication [il s'agit de l'arrêté de février 1998 transposant la décision communautaire de 1996 sur les « 133°, 20 minutes, 3 bars] se fasse sous l'égide du seul ministère de l'agriculture et de la pêche » , « afin que l'opinion publique n'ait pas le sentiment que les nouvelles mesures sont motivées par un changement dans l'appréciation du risque sanitaire » .
Lors d'une réunion interministérielle tenue le 6 juin 2000, alors que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, le représentant de la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation et le représentant de la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés « regrettent que cette communication [il s'agit du lancement d'une campagne de communication autour du programme de tests] n'ait pas un caractère plus interministériel », le cabinet du Premier ministre « prend acte de cette remarque » , mais « rappelle toutefois que le Premier ministre a acté le principe que la communication devait être menée par un ministère chef de file, rôle pour lequel le ministre de l'agriculture et de la pêche paraît naturellement désigné » .
Malgré toute la maîtrise de l'actuel ministre de l'agriculture dans la gestion de la crise, soupçonné sans doute à tort de défendre les intérêts légitimes des filières agricoles, les consommateurs français attendaient aussi une information complémentaire, et d'une autre origine, pour être pleinement rassurés.
La commission ne peut que déplorer que le ministère de la santé ait été le grand absent de la crise : son silence a pu même laisser accréditer la thèse selon laquelle le problème de santé publique posé par l'ESB était plus important que ce qui était affirmé par ailleurs.
Les auteurs de « L'affolante histoire de la vache folle » observaient déjà que, du 21 mars 1996 au 30 juin 1996, les ministres de la santé européens ne s'étaient jamais réunis pour discuter des révélations de M. Stephen Dorrel, pourtant l'un des leurs.
Les seules interventions de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé, auront consisté à livrer à la presse une information brute, sans plus de commentaires, sur le nombre de cas humains à venir, puis à se rendre au chevet d'un malade... dont il s'est avéré qu'il n'était pas atteint du nv MCJ.
La commission d'enquête ne peut ainsi que constater -l'exemple du nouveau variant ne faisant que confirmer une donnée structurelle- l'absence de moyens pour définir et mener une véritable politique de santé publique.
Lors de son audition, M. Lucien Abenhaïm, directeur général de la santé, a rappelé lucidement que « la DGS doit avoir les moyens de sa politique. Jusqu'à présent, je ne disposais pas d'un bureau des aliments. Je n'avais qu'un bureau de l'eau et des aliments dans lequel j'avais une personne en charge des aliments, compte tenu des moyens dont je disposais (...) Il est exact que la Direction générale de la santé n'a pas les moyens juridiques dont disposent d'autres ministères pour assurer la sécurité alimentaire. Je ne peux pas dire que je considère cette situation totalement satisfaisante ».
* 81 L'affolante histoire de la vache folle, p. 118.