C. LA POLITIQUE DE LA CONCURRENCE
La politique de concurrence, qui comporte des règles applicables aux entreprises (articles 81 et suivants) et des règles applicables aux aides accordées par les Etats (articles 87 et suivants), joue un rôle très important en matière culturelle.
Dans le domaine culturel, les règles de concurrence applicables aux entreprises concernent plus particulièrement le secteur de l'édition et le secteur de l'audiovisuel.
La Commission s'avère un gardien vigilant des projets de concentration, ainsi que l'illustre la fusion Vivendi-Universal.
LA FUSION VIVENDI-UNIVERSAL Après avoir tout d'abord refusé la fusion entre EMI et Time Warner, la Commission européenne a autorisé la réunion entre AOL et Time Warner, puis, le 13 octobre 2000, elle a donné, sous certaines conditions, son accord à la fusion du groupe français Vivendi et de sa filiale Canal +, avec le groupe canadien Seagram, propriétaire des studios de cinéma Universal et de la compagnie discographique Universal Music (ex. Polygram). Cette fusion fait du nouveau groupe Vivendi-Universal, le deuxième groupe mondial en matière de communication, derrière AOL-Time Warner. En effet, le futur groupe concernera aussi bien la télévision, le téléphone et Internet que le cinéma, la musique et l'édition. Ces trois conditions posées par la Commission européenne ont été : - en premier lieu, la cession de BSkyB, un bouquet de programmes de télévision par satellite ; - en second lieu, l'engagement du groupe à ne pas restreindre l'utilisation des catalogues musicaux d'Universal Music du seul portail Internet Vizzavi ; - en troisième lieu, la Commission s'est montrée soucieuse d'éviter une position dominante à Canal + dans le cinéma. Ainsi, par le biais de ces conditions, la Commission européenne a donné un avertissement à tout projet de concentration en matière d'industries de " contenus " sur les marchés européens. |
Les accords pour un prix unique du livre dans des zones linguistiques homogènes qui dépassent les frontières des Etats font l'objet d'une attention de la direction générale Concurrence de la Commission européenne. Dans un contexte communautaire très controversé où éditeurs, libraires, consommateurs apparaissent divisés, la Commission considère actuellement ces accords comme des ententes. Ainsi, elle a interdit les accords passés entre les professionnels allemands et autrichiens pour appliquer le prix fixe à leurs échanges transfrontaliers. La Commission considère que, d'un point de vue culturel, la question du prix du livre n'est qu'un des éléments à prendre en compte dans la recherche et la mise en oeuvre d'une politique globale en faveur du livre et de la lecture (cf. infra p. 73).
En matière de règles applicables aux aides d'Etat, le principe posé par l'article 151 § 4 du traité CE trouve une traduction à l'article 87 § 3d, dans la mesure où ce dernier prévoit que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun " les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans une mesure contraire à l'intérêt commun ".
De manière générale, les aides en faveur du secteur culturel ne semblent poser guère de problème sous l'angle de la politique de concurrence. Ainsi, la promotion de la diversité culturelle a été acceptée comme justification du soutien apporté notamment aux arts plastiques et à l'exportation de livres.
Cependant, l'application des règles de concurrence à certaines aides publiques pose parfois de grandes difficultés, en particulier en ce qui concerne les aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel public
1. Les aides nationales au cinéma
La direction générale de la concurrence de la Commission européenne procède actuellement à l'examen des systèmes nationaux d'aide au cinéma sur la base des règles du traité relatif à la concurrence, en particulier l'article 87-3 du traité qui concerne les aides d'Etat.
Jusque-là, ces examens, qui ont concerné les régimes d'aide à la production cinématographique française, allemande (régime fédéral), irlandais, néerlandais et suédois, ont tous donné lieu à une approbation de la part de la Commission. Celle-ci examine actuellement la situation dans les Länder allemands, les communautés belges, ainsi qu'en Espagne, en Italie, au Portugal, au Royaume-Uni et au Luxembourg.
Les trois critères sur lesquels se base la direction générale de la concurrence sont l'importance de l'aide qui doit être limitée à 50 % du budget d'un film, l'absence de supplément d'aide pour certaines activités spécifiques et la liberté, pour le producteur, de dépenser 20 % du budget du film dans d'autres Etats membres de manière à favoriser la circulation des films dans l'Union européenne. En outre, la Commission a indiqué que les productions soutenues devaient avoir un contenu culturel. Enfin, les aides ne devraient pas couvrir toutes les étapes du film.
Cet examen a suscité les inquiétudes à la fois des professionnels et des Etats membres. Ainsi, la FERA (Fédération européenne des réalisateurs audiovisuels) a publié un communiqué, le 13 septembre 2000, dans lequel elle déclare que cette affaire " renforce son sentiment selon lequel les services de la concurrence ne comprennent pas les enjeux du secteur cinématographique et audiovisuel européens ".
Les Etats membres ont également fait part de leurs préoccupations, en particulier les petits Etats ou les entités régionales qui redoutent le plafond de 50 % pour les aides publiques nationales dans le budget de production d'un film. La Commission a indiqué, à ce sujet, que ce plafond n'était pas un critère formel, mais une orientation, et qu'il pourrait être dépassé pour les films à faible chance de succès, tournés, par exemple, dans une langue minoritaire.
Face à ces critiques, elle a annoncé qu'elle présenterait des orientations générales sur certains aspects juridiques du cinéma, avec un chapitre consacré aux aides d'Etat, sous la forme d'un Livre vert, qui devrait être publié entre février et mars 2001. Ce Livre vert serait suivi par une communication au deuxième semestre 2001. Parallèlement, elle pourrait publier une communication sur le cinéma qui aborderait les questions de définition d'une oeuvre européenne ainsi que les conditions de coproduction.
De leur côté, les ministres des Etats membres, réunis au sein du Conseil " Culture " du 23 novembre 2000, ont adopté une résolution sur les aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel présentée par la Présidence française. Selon les termes de ce texte, qui n'a pas de valeur juridique, " les aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel constituent l'un des moyens principaux d'assurer la diversité culturelle " et " les Etats membres sont fondés à mener des politiques nationales de soutien bénéficiant à la création de produits cinématographiques et audiovisuels " .
Cet engagement politique de l'ensemble des ministres à défendre leurs systèmes nationaux d'aide est essentiel, au moment où l'examen de ceux-ci par la Commission européenne a créé des inquiétudes quant à leur pérennité. Toutefois, il ne permet pas de clore le débat actuel.
AIDES NATIONALES AU CINEMA ET A L'AUDIOVISUEL Extraits de la Résolution adoptée par le Conseil le 23 novembre 2000 " Le Conseil de l'Union européenne, 1. Rappelant que la Communauté tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions du traité, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures, 2. Rappelant que les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans une mesure contraire à l'intérêt commun, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun, (...) 10. Souligne que, comme la Commission l'a reconnu : - l'industrie audiovisuelle constitue une industrie culturelle par excellence, - les aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel constituent l'un des moyens principaux d'assurer la diversité culturelle, - l'objectif de la diversité culturelle suppose un tissu industriel nécessaire pour satisfaire cet objectif et justifie la nature spécifique des aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel adaptés aux circonstances spécifiques concernées, - ces constats valent particulièrement pour le développement de l'industrie audiovisuelle dans les pays ou régions à faible capacité de production et/ou aire linguistique et/ou géographique restreinte, - le secteur cinématographique et audiovisuel européen souffre de faiblesses structurelles, dont la sous-capitalisation de ses entreprises, la fragmentation des marchés nationaux dominés par des productions non européennes, la faible circulation transnationale des oeuvres européennes les systèmes nationaux et européen de soutien à ce secteur ont un rôle complémentaire et indispensable à jouer pour remédier à ces problèmes 11. Réaffirme, en conséquence, et à la lumière de ce qui précède, que : - les États membres sont fondés à mener des politiques nationales de soutien bénéficiant à la création de produits cinématographiques et audiovisuels, - les aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel peuvent contribuer à l'émergence d'un marché audiovisuel européen, - il est nécessaire d'examiner les moyens de nature à accroître la sécurité juridique pour ces dispositifs de préservation et de promotion de la diversité culturelle, - par conséquent, le dialogue entre la Commission et les États membres doit être poursuivi. 12. Invite la Commission à présenter au Conseil l'état de sa réflexion dès que possible et, en tout cas, à la fin de 2001". |
2. La place du service public audiovisuel
La direction générale de la concurrence de la Commission européenne s'est également saisie de la question du financement du service public audiovisuel à la suite de plusieurs plaintes de chaînes privées contre des opérateurs publics français, italiens, espagnols et portugais, pour " concurrence déloyale ". Elle devrait rendre sa décision d'ici juin 2001.
Les plaignants font valoir que le financement d'organismes publics de radiodiffusion par l'Etat par le biais de redevance , de subventions directes ou d'apports réguliers de capitaux constituent une concurrence déloyale à leur égard.
Là encore, la direction générale de la concurrence examine la compatibilité du financement mixte (public et privé) de l'audiovisuel public au regard des règles de la concurrence. En effet, si la mission de service public est laissée à la libre appréciation des autorités nationales, en revanche, en ce qui concerne les mécanismes de financement, la Commission considère que ce système ne doit pas créer de distorsion " disproportionnée " de concurrence sur le marché de la publicité.
Selon M. Mario Monti, commissaire européen en charge du dossier, " l'aide d'Etat doit être limitée à la couverture des coûts encourus par l'entreprise pour la fourniture de la mission de service public " et " il est clair que des problèmes de concurrence se posent lorsque les radiodiffuseurs bénéficient de financement public, tout en concourant sur le marché de la publicité " .
Afin de clarifier la situation juridique, la Commission a donc l'intention d'élaborer des lignes directrices qui permettront d'apprécier les mécanismes de financement des radiodiffuseurs publics à la lumière des règles de concurrence. Ce n'est pas la première fois que la Commission se penche sur la question. En effet, en septembre 1998, la direction générale IV (concurrence), sous la direction de Karel Van Miert, commissaire chargé de la concurrence à l'époque, avait publié un document de travail où elle tentait de limiter le périmètre du service public audiovisuel, et excluait par exemple les événements sportifs ou considérés comme " événement d'importance majeure " . Ce document avait suscité une levée de boucliers de la direction générale X (audiovisuel-culture) et des Etats membres, ces derniers rappelant que la définition de la mission de service public et son mode de financement relevaient de leur seule compétence. Les Etats membres avaient alors exprimé leur préférence pour un examen au cas par cas.
La France avait fait de cette question très controversée l'une des priorités de sa présidence. Mais n'est pas parvenue à clarifier véritablement la situation juridique du financement de l'audiovisuel public.
En définitive, l'application stricte des règles de concurrence en matière culturelle apparaît contestable Elle semble en effet en contradiction avec la définition d'une action culturelle européenne et la défense de l'" exception culturelle " dans les relations extérieures de la Communauté.