1.2. la montée des isotopes pairs du plutonium au cours de l'irradiation, une donnée fondamentale pour les combustibles et les réacteurs actuels ou futurs
L'irradiation du combustible à l'oxyde d'uranium
conduit, on
l'a rappelé plus haut, à la formation de plutonium à
partir de l'uranium 238 fertile. Plusieurs isotopes apparaissent, le plus
abondant de loin étant le plutonium 239. Différents facteurs
influent sur la proportion de ces isotopes. Or les isotopes du plutonium n'ont
pas la même qualité fissile dans les réacteurs à
neutrons thermiques. De sorte que le plutonium issu du retraitement est plus ou
moins adapté à un recyclage éventuel dans les
réacteurs à eau pressurisée.
Dans la situation actuelle où, du fait de la fermeture de
Superphénix, la filière des réacteurs à neutrons
rapides - qui eux peuvent brûler tous les types de plutonium - perd de
son actualité, cette question de la qualité du plutonium de
retraitement doit occuper une place fondamentale dans les décisions sur
l'aval du cycle.
Montée des isotopes pairs et recyclage du plutonium
Le taux
de combustion est un paramètre fondamental de l'exploitation d'un
réacteur nucléaire. Par hypothèse, on cherche à le
maximiser afin de rentabiliser le coût du combustible et de maximiser le
rendement de la centrale, en réduisant les arrêts pour
rechargement. Ceci peut se faire en enrichissant le combustible de
départ, soit en uranium 235, soit en plutonium 239.
Des améliorations très importantes ont été
apportées au combustible à l'oxyde d'uranium, aux alliages des
aiguilles de combustible ainsi qu'à l'architecture des coeurs,
principalement par l'industrie française qui a pu, de ce fait, renforcer
ses positions dans la filière nucléaire. C'est grâce
à ces améliorations que les taux d'irradiations ont pu progresser
significativement. Des 33 000 MWj/t des années 70, l'on est aujourd'hui
passé à une moyenne de 43 000 MWj/t, l'irradiation maximale
autorisée étant de 47 000 MWj/t. On n'exclut pas d'ailleurs de
repousser cette limite à 52 000 MWj/t.
La limite à respecter dans cette montée des taux de combustion
est bien sûr celle fixée par des considérations de
sûreté. En effet, l'enveloppe des aiguilles de combustible se
fragilise quelque peu au fur et à mesure de l'irradiation. Par ailleurs,
les produits de fission formés au cours des réactions
s'accumulent dans la gaine, nuisent à sa tenue mécanique et dans
une certaine mesure empoisonnent le combustible lui-même. Afin
d'éviter des ruptures de gaine qui se traduiraient par une pollution
radioactive du circuit primaire de refroidissement, des limites d'exploitation
très précises sont imposées par les autorités de
sûreté, en fonction du type de combustible et de réacteur.
Il semble bien qu'un autre facteur doive être pris en
considération dans l'augmentation du taux de combustion, c'est celle la
montée des isotopes pairs du plutonium qui rend celui-ci de plus en plus
difficile à recycler dans les réacteurs à eau
pressurisée.
Le tableau ci-après illustre la montée des isotopes pairs du
plutonium en fonction du taux de combustion.
taux de combustion (MWj/t) |
33 000 |
40 000 |
45 000 |
50 000 |
55 000 |
60 000 |
Pu 238 en % |
1,5 |
2,0 |
2,8 |
3,3 |
3,8 |
4,3 |
Pu 239 en % |
58,6 |
55,8 |
53,7 |
51,8 |
50,7 |
48,9 |
Pu 240 en % |
24,7 |
25,6 |
24,5 |
25,2 |
24,8 |
25,3 |
Pu 241 en % |
10,0 |
10,4 |
11,8 |
11,8 |
12,0 |
12,0 |
Pu 242 en % |
5,2 |
6,2 |
7,2 |
7,9 |
8,7 |
9,5 |
Isotopes pairs (%) |
31,4 |
33,8 |
34,5 |
36,4 |
37,3 |
39,1 |
Isotopes impairs : Pu fissile (%) |
68,6 |
66,2 |
65,5 |
63,6 |
62,7 |
60,9 |
Pu total (kg/t) |
9,3 |
10,3 |
10,6 |
10,9 |
11,6 |
11,9 |
Tableau 11 : l'augmentation des isotopes pairs du plutonium dans le Mox en fonction du taux de combustion 22( * )
taux de combustion (MWj/t) |
33 600 |
36 700 |
41 000 |
Pu 238 en % |
3,1 |
2,7 |
3,4 |
Pu 239 en % |
37,1 |
36,7 |
35,5 |
Pu 240 en % |
33,7 |
33,8 |
34 |
Pu 241 en % |
14,4 |
14,9 |
14,3 |
Pu 242 en % |
11,8 |
11,8 |
12,8 |
Isotopes pairs (%) |
48,6 |
48,3 |
50,2 |
Isotopes impairs : Pu fissile (%) |
51,5 |
51,6 |
49,8 |
Un autre
phénomène plus important dans le cas du Mox doit être
souligné. C'est la montée des isotopes pairs du plutonium au fur
et à mesure du recyclage.
Le combustible Mox - voir plus loin - est un mélange d'oxyde d'uranium
et de plutonium. La concentration moyenne en oxyde de plutonium est de
5,3 %. Afin de maximiser les performances du combustible, un
mélange isotopique particulier est effectué où les
isotopes impairs représentent environ les deux tiers du total. Le
phénomène fondamental est que, comme l'indique le tableau
suivant, une montée des isotopes pairs se produit au cours de
l'irradiation du combustible Mox.
kg/TWh(é) |
avant irrad. |
% isotopique |
après irrad+4 ans |
% isotopique |
bilan matière |
Pu 238 |
6,8 |
2,9 |
7,5 |
4,4 |
0,7 |
Pu 239 |
126 |
53,0 |
63,5 |
37,4 |
-62,5 |
Pu 240 |
59,5 |
25,0 |
52,8 |
31,1 |
-6,7 |
Pu 241 |
26,9 |
11,3 |
24,6 |
14,5 |
-2,3 |
Pu 242 |
18,7 |
7,9 |
21,5 |
12,7 |
2,8 |
total Pu |
237,9 |
100,0 |
169,9 |
100,0 |
-68 |
total isotopes pairs du Pu |
|
35,8 |
|
48,2 |
|
Après une irradiation correspondant à 43 500 MWj/t, la part des isotopes pairs passe de 35,8 % du total à 48,2 %.
- • les isotopes pairs du plutonium, poisons des réacteurs à neutrons thermiques et excellents combustibles pour les réacteurs à neutrons rapides
Les isotopes pairs du plutonium constituent un poison de la réaction en chaîne dans les réacteurs à eau pressurisée. En revanche, les réacteurs à neutrons rapides sont indifférents à la composition isotopique. La raison en est exposée dans le tableau suivant.
Tableau 13 : ordre de grandeur des sections efficaces des différents isotopes du plutonium 23( * )
isotope du plutonium |
nb de neutrons émis par neutron absorbé en spectre thermique |
nb de neutrons émis par neutron absorbé en spectre rapide |
Pu 238 |
0,2 |
1,29 |
Pu 239 |
1,84 |
2,17 |
Pu 240 |
0,007 |
1,09 |
Pu 241 |
2,01 |
2,44 |
Pu 242 |
0,04 |
0,98 |
Le cas
du plutonium 240 est éclairant à cet égard. En spectre
thermique, le nombre de neutrons qu'il réémet pour un neutron
capturé est de 0,007. Autrement dit, cet isotope absorbe les neutrons et
compromet la poursuite de la réaction en chaîne. Il en est de
même pour les autres isotopes pairs. Les isotopes impairs, au contraire,
fissionnent en nombre suffisant et réémettent des neutrons,
participant ainsi au processus de la réaction en chaîne et en
parallèle générant de l'énergie.
Les réacteurs à neutrons rapides sont en conséquence
souvent décrits comme des réacteurs
" mange-tout "
. Ceci vaut pour les actinides mineurs mais bien
évidemment et au premier chef pour le plutonium. Mais la fermeture de
Superphénix, décidée sans explications par le
Gouvernement, signifie l'abandon pour une cinquantaine d'années de la
filière des réacteurs à neutrons rapides, technique
où la France se trouvait à la pointe mondiale de ce type de
réacteurs. Le phénomène de la montée des isotopes
pairs du plutonium sous la double action de l'accroissement des taux de
combustion et du nombre de recyclage pèse donc de tout son poids sur les
réacteurs à eau pressurisée actuel (REP paliers CP1-CP2)
et sur les réacteurs à eau pressurisée du futur, en
particulier le
" European Pressurized Reactor "
(EPR).
1.3. le plutonium considéré comme déchet et son immobilisation dans des matrices à longue durée de vie
Le plutonium est considéré à juste titre comme une matière à haut potentiel énergétique en France comme dans certains pays en raison de ses caractéristiques fissiles. A l'inverse, d'autres pays le considèrent comme un déchet au demeurant dangereux en raison de son utilisation militaire potentielle mais aussi en raison de sa radiotoxicité. L'immobilisation et la dénaturation du plutonium viennent aujourd'hui au premier plan des préoccupations, en raison de l'abondance des stocks de plutonium militaire. Des travaux de plus en plus nombreux portent sur ce thème. La problématique de l'usage ou du non-usage du plutonium civil pourrait en être modifiée.