Conclusion
Comment
produire l'électricité sans le nucléaire, en France et en
Europe ? Pour nos pays, la question n'a pas de solution à court
terme. Elle n'en a pas non plus à moyen terme, si l'on veut respecter
les engagements pris à Kyoto de réduire de 8 % à l'horizon
2008-2012 les émissions de gaz à effet de serre. Car la
montée en régime des énergies renouvelables va prendre du
temps et plafonner en raison des leurs contraintes techniques et de leurs
coûts. Indispensable dans nos pays développés,
l'électricité nucléaire le deviendra également dans
les pays en développement, où les besoins en énergie vont
exploser avec le développement économique. Pour vos Rapporteurs,
le dilemme est le suivant : déchets nucléaires ou changement
climatique.
C'est dans ce contexte que des échéances capitales se profilent
à l'horizon pour la filière nucléaire
française : le rendez-vous de 2006 fixé par la loi du 30
décembre 1991 pour décider de l'organisation de la gestion des
déchets radioactifs à haute activité et à vie
longue et le renouvellement du parc nucléaire.
Dans son rapport de mars 1996 sur les déchets civils, votre Rapporteur insistait sur le besoin de cohérence dans l'aval du cycle. Il semble que, dans la droite ligne de cette recommandation, il soit nécessaire de rappeler, à la mi-temps du délai instauré par la loi, les règles du jeu aux différents protagonistes.
Il est
malheureusement clair qu'aujourd'hui les acteurs de la filière
nucléaire sont soumis à des influences trop nombreuses.
Pendant des décennies, les grands choix de la filière
nucléaire ont été faits sous l'emprise de l'urgence par
des cercles restreints, sans consultation de la représentation
nationale, voire sans transparence vis-à-vis de l'opinion.
Voici venu le temps de la sollicitation tous azimuts des organismes de la
filière nucléaire. Pressés de toute part de
répondre à des demandes provenant de cercles divers -
habilités ou non à recueillir l'information ou à orienter
des programmes - il ne faudrait pas qu'ils n'aient plus le temps de faire leur
métier ou qu'ils cèdent à des fausses urgences.
Le cas du CEA est à cet égard éclairant. Il vient
d'encaisser, avec la fermeture de Superphénix, un coup d'arrêt sur
son programme d'expérimentation sur les réacteurs à
neutrons rapides de grande puissance. Le voici maintenant pressé de
définir dans l'urgence son futur réacteur d'irradiation,
destiné à la recherche fondamentale, en essayant d'en faire aussi
une machine à neutrons rapides, ce qui n'était pas du tout
prévu au départ. Simultanément, le soufflé
médiatisé des réacteurs hybrides prend une ampleur telle
qu'il lui faut aussi prendre parti sur les caractéristiques d'un
réacteur hybride européen dont les contours et le coût sont
aussi flous que sont nombreuses les écoles de pensée ou les
stratégies budgétaires des organismes concernés.
Le temps de la recherche n'est pas celui de l'année calendaire ou de
l'exercice comptable. Les coups de barre à intervalles trop
rapprochés, surtout quand ils sont peu ou totalement non fondés,
sont nuisibles au bon déroulement d'un programme de recherche
fondamentale et même de recherche appliquée.
La confusion des rôles est aussi un grand danger qui guette la
deuxième mi-temps de la période de 15 ans instaurée par la
loi du 30 décembre 1991. Les glissements progressifs de la commission
nationale d'évaluation dans l'exécution de la partition qui lui
est confiée, en sont un exemple.
L'opacité des décisions a été longtemps la
règle dans le nucléaire et est uniment dénoncée et
regrettée. La transparence s'installe peu à peu, grâce en
particulier à l'action persévérante et même
inlassable de l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques.
Il ne faudrait pas qu'après le temps de l'opacité, vienne le
temps de l'obscurité, où, sous l'action de quelques conseillers
et de lobbies occultes tout aussi simplificateurs que ne l'étaient les
nucléocrates en leur temps, s'élaborent des choix tronqués
déconnectés des responsabilités concrètes et de la
nécessaire transparence démocratique.
Laissons les acteurs de la recherche jouer leur rôle. Informons
clairement nos concitoyens sur les enjeux de la gestion des déchets, au
fur et à mesure qu'ils sont dévoilés par des études
aussi complètes que possible.
Réfléchissons aussi dès aujourd'hui sur les
critères de décision, en particulier économiques, dont la
représentation nationale devra disposer en 2006 pour faire face à
sa responsabilité écrasante mais assumée avec courage de
décider de l'organisation de la gestion des déchets radioactifs
à haute activité et à vie longue.