AVANT - PROPOS
Malgré les campagnes de dénigrement et les
attaques
insidieuses ou non fondées dont elle fait l'objet dans le monde et,
depuis quelque temps, dans notre pays, l'énergie nucléaire n'est
pas condamnée, loin s'en faut. On peut même affirmer qu'il s'agit,
à partir des considérations techniques, économiques et
politiques actuelles, d'une énergie décisive à l'horizon
du siècle qui vient.
Il ne sert à rien de proclamer que l'on veut réduire les
émissions de gaz à effet de serre si l'on se refuse à
utiliser le seul mode actuel de production massive d'électricité
qui soit à la fois efficace et sans rejet carbonique dans
l'atmosphère. Toutes les ressources potentielles de production
électrique à partir de l'énergie hydraulique doivent
être exploitées. Les énergies renouvelables peuvent et
doivent être développées ; cependant leur faible
rendement ne permet pas, pour le moment, de les considérer comme une
énergie de substitution, mais au mieux comme une énergie de
complément.
L'abandon du nucléaire se traduirait de fait par un recours accru aux
énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz, et donc par une
augmentation conséquente de l'effet de serre. Il faut redire, de ce
point de vue, que le gaz naturel n'offre pas d'avantages particuliers par
rapport au charbon ou au pétrole et que le dilemme dans notre pays se
situe entre l'énergie nucléaire ou le gaz, la
gestion des
déchets
ou
l'effet de serre
.
A l'aune de l'histoire, l'énergie nucléaire à partir de la
fission représente, comme bien d'autres, une solution transitoire. Les
progrès scientifiques et techniques permettent d'espérer,
à long terme, une source d'énergie qui n'aurait pas les
inconvénients liés à la radioactivité. Cependant,
à l'heure actuelle, elle reste la solution la plus
équilibrée. Prétendre qu'il serait possible de
" sortir du nucléaire "
dans les années qui
viennent relève de l'incantation et du voeu pieu, contradictoire avec
les objectifs du sommet de Kyoto et les fondamentaux de l'économie.
Qu'arrivera-t-il quand les Chinois, les Indiens, se donneront tous les moyens
pour tendre vers notre niveau de consommation d'énergie (ce qui serait
parfaitement légitime de leur part) en recourant exclusivement aux
énergies fossiles ? Les efforts des pays développés,
aujourd'hui les plus voraces en énergie à effet de serre, n'en
seraient que plus justifiés.
Ces évidences n'exonèrent pas l'industrie nucléaire des
critiques qui s'imposent. Comme cela a été dit, à maintes
reprises, dans les rapports de l'Office parlementaire d'évaluation,
cette industrie est une industrie qui manipule des produits dangereux et qui,
à ce titre, doit être contrôlée par les
autorités de sûreté spécialisées, mais
également être étroitement surveillée par les
pouvoirs publics et, en particulier, par le Parlement.
Que ses promoteurs l'acceptent ou non, l'énergie nucléaire est
perçue dans le public comme une industrie particulière dans
laquelle les règles de sûreté doivent être
appliquées sans aucune défaillance et dans laquelle la
transparence doit être totale. C'est un fait ! Par suite d'un
passé lointain, on est bien plus vigilant sur la radioactivité
que sur la présence de mercure ou de plomb, on considère que le
problème de la couche stratosphérique d'ozone n'est pas
urgent !
En quelques années, les esprits ont sensiblement évolué
dans ce domaine et le Parlement, par le biais de l'Office, a accès
très largement à l'information. Notre problème est
plutôt, désormais, de savoir comment nous allons gérer et
exploiter la masse de documents qui nous arrive régulièrement. On
peut toutefois regretter qu'une certaine culture de l'autosatisfaction et de la
non-transparence vienne conforter les arguments de ceux qui ont
décidé, une fois pour toutes, que tout était opaque et
secret dans le secteur de l'industrie nucléaire, comme il l'était
pour l'énergie atomique militaire.
Le problème de la dissimulation des informations dans le transport des
combustibles irradiés en est une bien piteuse illustration. Pourtant,
les responsables devraient comprendre que la transparence renforce la
crédibilité du secteur nucléaire vis-à-vis de
l'opinion publique, comme cela a d'ailleurs été le cas pour la
production des centrales électronucléaires d'EDF. A la fin des
années quatre-vingt, il y eut des campagnes de révélations
prétendument sensationnelles qui caricaturaient le problème des
déchets de faible activité. La loi du 30 décembre
1991, en organisant la publication, chaque année, de l'inventaire des
déchets, a largement contribué à apaiser une opinion
inquiète parce que peu ou pas informée.
Allons-nous pouvoir désormais aller plus loin et faire en sorte que les
responsables politiques puissent exercer normalement leurs pouvoirs de
contrôle dans le domaine de l'énergie ?
Le temps où quelques ingénieurs pouvaient décider seuls de
la politique énergétique du pays est révolu. Il ne doit
plus exister de domaine réservé duquel les citoyens et leurs
représentants seraient exclus au profit d'une technostructure qui
imposerait une pensée unique qu'elle serait seule à
définir.
Discuter ouvertement, librement, avec l'esprit critique, des grandes
orientations du cycle du combustible nucléaire ne porte pas, au
contraire, condamnation de l'ensemble de la filière. Par contre, cette
industrie, comme toutes les autres, doit pouvoir s'adapter aux
réalités nouvelles et aux attentes des citoyens.
L'industrie nucléaire française a, en son temps, surmonté
l'abandon de la filière graphite-gaz. De la même manière,
elle acceptera les adaptations du cycle du combustible avec la souplesse
nécessaire.
La gestion de l'aval du cycle est aujourd'hui un problème
décisif. Le temps est venu de réviser certains dogmes qui ne
correspondent plus à la réalité économique et
industrielle. Le
" tout retraitement "
fait partie de ces
dogmes qui ont fait leur temps. Dire clairement, comme nous l'avions fait dans
un précédent rapport de l'Office, que tout le combustible
irradié ne sera plus retraité ne porte pas atteinte à
l'industrie nucléaire, mais doit entraîner des adaptations claires
de la stratégie industrielle.
Au lieu de continuer à se comporter comme si les problèmes ne se
posaient pas, il vaudrait mieux se donner les moyens pour approfondir la
réflexion et, ensuite, prendre des décisions sur la destination
finale qui sera réservée aux éléments de
combustible qui ne seront pas retraités.
Il en est de même pour le combustible Mox usé que, de toute
évidence, l'utilisateur EDF ne souhaite pas voir retraité.
Ce rapport démontre, par ailleurs, que nous avons un stock de plutonium
de 65,4 tonnes, très supérieur à la marge de
réserve de 20 tonnes estimée nécessaire par EDF. Nous
devons, dès aujourd'hui, examiner la manière dont nous pourrons
soit utiliser, soit stocker une partie du plutonium déjà extrait
et qui ne trouvera pas de débouché à moyen terme.
Toutes les voies pour la gestion de l'aval du cycle doivent donc rester
ouvertes : la recherche fondamentale, la recherche en laboratoires, et
l'étude de la faisabilité du stockage de longue durée en
surface. Il est possible et même probable que, pour la gestion finale des
déchets nucléaires, il n'y ait pas une voie unique, mais que le
Parlement ait à se prononcer en 2006 sur des solutions combinant les
trois voies de la loi de 1991.
Dans le domaine du nucléaire, comme dans beaucoup d'autres domaines
liés au progrès scientifique, il faut savoir s'adapter et
réviser des conceptions trop rigides et dogmatiques. La pire des
solutions serait, face aux incertitudes que ce rapport recense, de rester
passif et de reporter sur les générations futures la solution de
problèmes que nous avons posés et que nous n'aurions pas le
courage de résoudre. L'avenir de l'énergie nucléaire
repose sur les solutions pour l'aval du cycle.
Le problème est difficile mais n'est pas insurmontable. Il faut poser
les problèmes, soutenir les recherches, préciser les
étapes du calendrier, avancer les solutions les unes après les
autres.
La voie est étroite entre un pouvoir technicien antidémocratique
et opaque et l'agitation désordonnée de minorités qui nous
conduisent à l'impasse ou nous emmèneraient au désastre.
Chacun voudrait imposer ses a priori, ses idées toutes faites. Or,
ce qui est décisif est de préserver une pluralité de
réponses possibles et, de ce point de vue, l'évolution des
connaissances, les résultats des recherches examinés
objectivement nous apporteront des enseignements précieux.
Divers rapports de l'Office ont déjà souligné les aspects
néfastes d'une culture nucléaire monolithique et dépourvue
de souplesse. Ils ont, avant tout, mis en exergue la nécessité
d'une pratique tolérante, maintenant dans l'avenir le plus grand nombre
de solutions possibles. D'aucuns veulent aujourd'hui fermer les portes
maintenues ouvertes par la loi de 1991. Par-delà l'irrationalité
de cette réaction, faut-il voir un avatar supplémentaire de la
pensée unique ?
La démocratie a encore bien des domaines à défricher et
à conquérir, là où le débat public doit se
substituer aussi bien à l'autoritarisme qu'aux conciliabules de couloir.
L'énergie nucléaire et sa domestication sur tout le
XXI
e
siècle est un de ces nouveaux territoires que la
démocratie doit irriguer.
Notre société, ses élus, ses dirigeants s'interrogent sur
la pérennité de choix qui, au demeurant, se sont jusqu'alors
révélés pertinents. Quoi de plus naturel que ces
interrogations, surtout quand il s'agit de poursuivre à long terme ?
Mais il faut aussi avancer en rythme et sans précipitation. Nous pouvons
sortir de cette étape par le haut. Une pratique plus transparente, plus
tolérante, plus démocratique sera plus en harmonie avec le temps
qui vient.