TABLE RONDE VI : Avantages et risques en matière de santé
Allergies, résistance aux antibiotiques,
métabolites, aliments fonctionnels... TABLE RONDE VI :
AVANTAGES ET RISQUES EN TERME DE SANTE (allergies, résistance aux
antibiotiques, métabolites, aliments fonctionnels...)
M. le Président
-
Nous allons reprendre
la dernière des quatre demi-journées d'audition en vous
remerciant, Madame et Messieurs, d'être venus participer à cette
sixième table ronde.
Hier M. Bernard Kouchner a été auditionné avant
la table ronde et ce sera l'inverse pour la recherche ; ce sont un peu les
hasards des calendriers.
Je voudrais vous dire que les risques éventuels en matière de
santé sont bien entendu ceux qui, potentiellement, inquiètent le
plus nos concitoyens.
Trois grandes catégories de questions sont posées ici :
- le problème des constructions génétiques faisant
appel à un gène marqueur de résistance à un
antibiotique, c'est le cas du maïs Bt de Novartis dont la culture a
été autorisée en France ; la question de l'avenir
concernera l'utilisation de virus ou de rétrovirus dans ces
constructions ;
- le problème de l'éventuelle allergénicité
des aliments produits à partir des plantes génétiquement
modifiées ;
- l'éventualité de possibilités de mutations
génétiques.
De même qu'en matière d'environnement les opinions sont
très divergentes, cette table ronde nous permettra peut-être de
nous faire une idée un peu plus précise de la réponse
à apporter à cette interrogation.
Il ne faut certainement pas oublier qu'un aliment peut être
allergénique pour certaines personnes sans être le moins du monde
transgénique.
Nous l'avons vu notamment en visitant Pioneer aux Etats-Unis qui avait
inséré le gène d'une protéine de noix du
Brésil dans le soja. A la suite de cette opération, le soja
était devenu allergisant. Il peut en être de même des
arachides, du kiwi, d'un certain nombre d'autres plantes.
Il n'y a pas que des risques dans ce domaine, nous pouvons tout à fait
penser que la transgénèse pourrait permettre de créer des
aliments meilleurs pour la santé humaine. Cela a déjà
été discuté ce matin.
En ce qui concerne les avantages éventuels nutritionnels des plantes
transgéniques, nous pouvons évoquer des huiles à haute
teneur en acide oléique fabriquées à partir de colza
transgénique et déjà étudiées par Du Pont de
Nemours aux Etats-Unis ou par Monsanto.
Lorsque nous assistons aux conférences d'un certain nombre de firmes,
c'est la deuxième génération des produits qu'ils veulent
sortir.
Enfin un problème qui inquiète également et dont
Monsieur Séralini a déjà parlé, est celui de
la toxicité d'un certain nombre de métabolites avec des
modifications de métabolisme à partir du moment où des
gènes ont été insérés dans certaines plantes.
Pour ce débat nous avons réuni autour de cette table un certain
nombre d'experts qui connaissent tous ces problèmes, ces avantages et
ces risques en matière de santé, que ce soit les problèmes
de résistance aux antibiotiques, de métabolites, d'allergies ou
encore d'aliments fonctionnels.
Sur votre droite, c'est-à-dire à ma gauche vous avez :
- Monsieur Patrice Courvalin, directeur de l'unité des
agents antibactériens à l'Institut Pasteur, qui vient
d'écrire un article dans "La Recherche" à ce sujet et que
vous avez dû lire. Cet article est paru entre l'audition dans mon bureau
à l'Assemblée Nationale et cette audition publique ouverte
à la presse ;
- Monsieur Philippe Gay, directeur des biotechnologies de
Novartis ;
- Monsieur Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie
moléculaire à l'université de Caen, qui a signé un
appel des scientifiques pour un moratoire ;
- Madame Anne Moneret-Vautrin, professeur à la
faculté de médecine de Nancy qui est une spécialiste
reconnue des allergies en France ;
- Monsieur André Rico, président de la Commission
d'Etude de la Toxicité des Produits antiparasitaires à usage
agricole et substances assimilées.
Ce sont nos intervenants, je vais leur demander comme dans toutes les tables
rondes que nous puissions avoir un temps après pour le débat.
Un certain nombre de questions m'ont déjà été
indiquées dans ces domaines lors des 200 heures d'auditions
privées sur le sujet.
Je vais vous demander d'être assez concis dans vos exposés
liminaires, étant entendu que vous pourrez reprendre la parole lors du
débat qui s'instaurera.
La parole est à Monsieur Gay.
M. Gay
-
Parmi les avancées permises par
les plantes transgéniques, la résistance aux insectes est
essentielle dans la mesure où il n'existe pas de gènes de
résistance efficaces dans le génome de nombreuses plantes
cultivées.
Les insectes posent deux types de problèmes au niveau de la santé
publique.
Le premier est qu'ils prélèvent une part non négligeable
des ressources alimentaires et qu'à un terme relativement proche ces
ressources pourraient manquer.
Le deuxième est que les insectes sont vecteurs de maladies et plus
particulièrement de maladies fongiques. Or les plus fréquents de
ces pathogènes (
Aspergillus, Fusarium
) sécrètent
des mycotoxines (nous connaissons l'aflatoxine, les zéaralénones,
les patulines), toutes responsables de pathologies variées allant de
l'induction de cancers à des troubles de croissance et de
fertilité chez les animaux.
Les premières études conduites aux Etats-Unis sur le maïs
transgénique montrent clairement que la présence des ces
mycotoxines est diminuée de façon très significative chez
les plantes rendues résistantes aux insectes par
transgénèse.
Il est important de dire qu'avant l'avènement des plantes
transgéniques, il n'est de denrée alimentaire qui n'ait
été soumise à des enquêtes aussi approfondies quant
à leurs conséquences sur le plan de la santé des hommes et
des animaux domestiques.
Pour ce qui est du maïs de Novartis, plus de trente comités
d'experts dans le monde se sont penchés sur le dossier et ont conclu
à l'innocuité du produit. Cette constatation a été
logiquement suivie d'une autorisation de mise sur le marché.
Ces comités se sont prononcés clairement sur des questions
reprises aujourd'hui par les média. Les principaux points traités
concernent deux domaines principaux :
- toxicologie et allergologie d'une part,
- transferts horizontaux de gènes d'autre part.
Dans le premier domaine, celui de la toxicologie et de l'allergologie, il
s'agit des effets directs des nouvelles protéines
synthétisées et des effets indirects sur le métabolisme.
L'analyse des plantes a été facilitée par le fait que les
protéines en question sont empruntées à des organismes
déjà présents dans notre environnement.
Nous pouvons citer deux exemples à ce sujet.
Les
delta
endotoxines de
Bacillus thuringiensis
qui sont la base
de certaines préparations insecticides utilisées depuis plus de
trente ans.
Tant les agriculteurs qui les épandent que les employés des
usines qui les fabriquent ont été exposés à de
très fortes doses de ces protéines. A notre connaissance, aucune
pathologie n'a été détectée dans ces groupes, qui
puisse être attribuée aux protéines Bt.
A l'inverse, les investigations associées à une tentative
d'amélioration de la composition protéique du soja - il y a
été fait référence il y a une minute par
Monsieur Le Déaut - ont permis d'identifier
l'allergène jusqu'alors inconnu de ce fruit.
Le produit n'a pas été développé, n'a pas
dépassé le stade expérimental. Ceci montre que les
garde-fous dans ce domaine sont efficaces.
Le deuxième domaine soumis aux investigations est celui des gènes
marqueurs et leur éventuelle dissémination horizontale,
c'est-à-dire leur transfert à d'autres espèces par des
voies non sexuées.
Les gènes marqueurs sont des gènes dont la présence dans
le produit final est une trace de la technologie employée tant pour les
étapes de clonage que pour celle de la transformation des plantes. Ils
ne sont pas forcément nécessaires au produit fini.
Parmi eux, vous avez des gènes de résistance à certains
antibiotiques dont le gène
bla
(bêta lactamase)
TEM1
présent dans le maïs de Novartis.
Il serait hors de propos de juger à ce sujet du bien fondé de la
technique mise en oeuvre pour créer ce maïs, je m'explique.
Toute semence transgénique commercialisée aujourd'hui est le
fruit de techniques qui l'ont précédée de dix ans. En ce
sens la technologie présente dans un produit sera toujours en retard sur
l'état présent des connaissances.
A l'inverse, il faut souligner que l'évaluation de la
sécurité biologique bénéficie, elle, des
développements les plus récents des connaissances. C'est ce que
nous allons faire aujourd'hui.
Pour en revenir au gène
bla TEM1
, la question a été
posée de la contribution éventuelle du maïs à la
dissémination de la résistance à l'ampicilline dans des
micro-organismes tant du sol que du tube digestif.
Je suppose que nous reviendrons sur ce thème dans la discussion et je
voudrais simplement le résumer.
D'abord aucun transfert de ce gène de la plante vers les
micro-organismes n'a été démontré
expérimentalement.
Ensuite, pour autant qu'elle soit possible, la fréquence de ce transfert
potentiel serait au moins des dizaines de milliards de fois inférieur
à celle des transferts naturels qui, eux, sont bien connus.
Ce sont là des arguments retenus par les comités scientifiques de
la Communauté Européenne pour conclure que le transfert en retour
du gène
bla
du maïs vers des micro-organismes est
virtuellement impossible et ne serait, s'il se produisait, pas significatif sur
le plan clinique.
La résistance aux antibiotiques est aujourd'hui un grave problème
de santé publique. Il serait regrettable qu'à ce sujet, le public
soit troublé par des amalgames ou des assertions trop spectaculaires.
Néanmoins les progrès de la technologie font que ce type de
marqueur ne sera probablement plus présent dans les nouvelles
générations de plantes transgéniques. Ceci contribuera
certainement à éliminer le trouble que ces marqueurs ont
causé dans l'opinion.
Je vous remercie de votre attention.
M. le Président
-
Merci beaucoup. La
parole est à Monsieur Séralini.
M. Séralini
-
Ma conviction est que les OGM
peuvent contribuer à l'amélioration de la santé de
l'humanité, mais qu'aujourd'hui, par bien des aspects, nous
fonçons dans le brouillard.
Bien que nous soyons dans un aspect analytique rapide de chaque groupe de
questions, j'insiste dès le départ sur le fait que la
synthèse des zones de non accord sur chaque question pose un réel
problème pour la mise en place des OGM sans avoir un moratoire de
recherche pour favoriser encore un certain nombre de contrôles et de
mises en place des filières.
L'innocuité à long terme ne repose sur aucune base scientifique
suffisamment sérieuse à notre avis comme à celui d'un
certain nombre de scientifiques qui ont signé cette demande de moratoire.
Sur les points non résolus, je voudrais dire que dans la majorité
des plantes génétiquement modifiées cultivées
aujourd'hui ou en instance de culture et à visées alimentaires,
trois groupes de gènes étrangers à leurs espèces
hôtes ont été insérés.
Tout d'abord, comme vient de vous le rappeler Monsieur Gay, les
gènes de résistance aux antibiotiques, puis ceux de
résistance aux insectes et enfin ceux de tolérance aux
herbicides. Chacun de ces points comporte des certitudes et des incertitudes.
Pour les gènes de résistance aux antibiotiques, les certitudes
sont qu'il n'y a pas d'utilité agronomique dans le champ de
l'agriculteur et que nous pourrions nous en passer, nous venons de l'entendre.
Ils pourront aussi sans doute se transférer dans le milieu. En tout cas
ils seront déposés dans le sol à la dégradation de
chaque plante qui comporte des dizaines de milliards de cellules. Il peut donc
y avoir une rémanence de ces gènes dans le sol.
Le débat porte sur l'impact de ce transfert soit aux bactéries
soit dans le tube digestif des mammifères qui consomment ces plantes.
Une autre certitude est que la résistance aux antibiotiques est devenue
un problème important de santé publique.
Les incertitudes sont l'impact du transfert, c'est en cours d'étude par
les comités qui ont été formés. A notre avis, ce
point est suffisant pour avoir un moratoire de manière à ce que
nous ayons le temps de développer des variétés sans ce
gène.
En ce qui concerne les gènes de résistance aux insectes, il y a
des certitudes.
Une certitude est qu'un insecticide est produit dans une plante alimentaire.
Une autre certitude est que les dérivés de ces plantes ne sont
pas étiquetés aujourd'hui en France.
Les incertitudes portent aussi sur l'impact sur la santé humaine et
l'écosystème non évaluable à long terme. Si ces
dérivés ne sont pas étiquetés, n'y aura-t-il pas
d'effets secondaires imprévus ?
Dans ce cas, nous ne pourrons ni tracer ni retirer les lots du marché si
bien que des filières entières de maïs et de soja auraient
des problèmes.
Pour les gènes de tolérance aux herbicides, en disant cela je ne
nie pas le bénéfice de l'utilisation des insecticides, mais je
dis qu'il y a encore des problèmes et que ceux-ci justifient un
moratoire.
Pour les gènes de tolérance aux herbicides, il y a des
certitudes : nous allons augmenter la consommation des herbicides auxquels
les plantes ont été rendues tolérantes. Il faut donc
être très prudent dans les affirmations disant que nous aurons un
bénéfice environnemental. Apparemment en effet ces herbicides ont
une rémanence moins grande.
Une autre certitude cependant est que des effets secondaires sur la
santé ont été publiés tant pour les deux principaux
herbicides dit totaux, qui ne le sont plus maintenant puisque ces plantes y
sont tolérantes. Il s'agit du glyphosate, principe actif du
Roundup
et du glufosinate, principe actif du
Basta
ou du
Liberty
.
Ces effets ont été publiés pour le Roundup avec des effets
négatifs sur la fertilité, la mutagenèse. Récemment
des dérivés du Roundup ont été trouvés
liés sur l'ADN de foie d'animaux en ayant consommé.
Vous avez également la neurotoxicité pour les embryons et les
bébés de mammifères.
Les incertitudes portent sur les métabolites de ces herbicides, pas
seulement de leur principe actif, mais des adjuvants utilisés avec dans
l'herbicide, qui pourraient s'accumuler dans la chaîne alimentaire comme
nous l'avons déjà vu pour d'autres insecticides comme le DDT ou
l'atrazine.
Même si ces herbicides sont moins rémanents, il peut y avoir des
adjuvants ou des dérivés de ces herbicides qui peuvent être
toxiques alors que nous ne l'avions pas prévu.
Il faut être prudent en donnant l'information que c'est un
bénéfice environnemental. Il y a un bénéfice
partiel, mais il faut, à notre avis, que le public soit informé
qu'il y a aussi des inconvénients partiels et que nous ne pouvons pas
dire que c'est tout beau.
A priori, il faut à notre avis, davantage de recherche pour
étudier cela sur les mammifères.
Pour lever ces incertitudes et favoriser à long terme toutes les parties
concernées, y compris les contrôles de qualité des
entreprises qui pourront ensuite exporter des produits de qualité
contrôlée et dûment vérifiée, il faut leur
donner du temps.
Nous faisons évidemment des contrôles aujourd'hui et nous faisons
toute confiance aux commissions qui les ont réalisés. Nous disons
que c'est pour cette raison que nous voulons leur donner du temps, pour
qu'elles puissent faire des contrôles sur le long terme.
Je suis donc favorable à un moratoire de cinq ans sur la
commercialisation dans l'alimentation des OGM et des dérivés.
Cela permettrait d'apporter des réponses plus précises à
ces questions.
Merci.
M. le Président
-
La parole est
à Monsieur Courvalin.
M. Courvalin
-
Je vais me concentrer sur les
gènes de résistance aux antibiotiques puisque je suis là
en tant que chef d'une unité à l'Institut Pasteur de Paris. Nous
travaillons maintenant depuis plus de vingt ans sur les transferts de
gènes dans les conditions naturelles ce qui est exactement le
problème du jour.
Je suis également responsable du Centre national de
Référence des Antibiotiques qui dépend du Ministère
de la Santé, de la DGS et qui étudie les mécanismes de
résistance aux antibiotiques.
Le problème tel que posé par les deux orateurs
précédents est la possibilité d'un retour vers les
bactéries des gènes de résistance utilisés au cours
de la transgénèse puisque ce sont les gènes
bactériens qui ont été introduits dans les plantes.
Comme il a déjà été dit, ce sont des gènes
parfaitement inutiles dans les plantes, ils ne s'expriment pas. Comme l'a dit
Philippe Gay, ce sont des vestiges des constructions intermédiaires
qui sont vraiment tout à fait inutiles.
Les critères de choix, car il y a de très nombreux gènes
de résistance aux antibiotiques, utilisés par les scientifiques
pour les sélectionner c'est d'une part leur incidence
élevée dans la nature et d'autre part le fait qu'ils
conféraient de la résistance à de vieux antibiotiques qui
ne sont plus utilisés en clinique humaine.
En fait il faut bien comprendre qu'il n'y a pas de gènes de
résistance anodins ou ubiquistes et, à mon avis, ces choix ont
été assez malheureux.
En ce qui concerne le gène
bla
qui confère la
résistance à l'ampicilline, mentionné par
Philippe Gay, il faut se souvenir que ce gène confère la
résistance aux pénicillines et que celles-ci sont une des
familles majeures d'antibiotiques utilisés tant en thérapeutique
humaine qu'animale.
Ce qui est extrêmement important c'est que des mutations ponctuelles dans
ce gène, c'est-à-dire le plus petit événement
génétique que vous puissiez imaginer, le changement d'une seule
paire de base, convertit ces pénicillinases en des
céphalosporinases.
Une enzyme va non seulement inactiver toutes les pénicillines mais
toutes les céphalosporines, c'est-à-dire les molécules les
plus récentes. Une seule mutation va abolir quinze ans de recherche de
toute l'industrie pharmaceutique.
Un autre type de mutation confère la résistance à un autre
type de produit qui sont des inhibiteurs de pénicillinases. Dans
l'arsenal thérapeutique, nous avons des molécules qui inhibent
ces pénicillinases, qui rendent les bactéries à nouveau
sensibles aux pénicillines et si nous les associons avec des
pénicillines, nous pouvons traiter les bactéries.
Là encore une mutation ponctuelle peut conférer la
résistance aux inhibiteurs de pénicillinases. Ce gène qui,
apparemment, est banal, peut évoluer très facilement vers la
résistance aux molécules humaines.
La deuxième chose est sa prévalence chez les bactéries
pathogènes responsables de diarrhées. Nous avons dit que
c'était un gène abondant, en fait c'est tout à fait
erroné car s'il est présent dans les bactéries
saprophytes, dans les bactéries commensales du tube digestif, il est
beaucoup moins fréquent dans les pathogènes qui sont responsables
de diarrhées comme les salmonelles, les shigelles,
Escherichia
coli
ou les
Vibriae
cholerae
.
La fréquence varie selon les espèces, mais elle est seulement de
quelques pour-cent. C'est notamment un gène absent chez
l'entérocoque, bactérie opportuniste qui donne des infections
nosocomiales, c'est-à-dire acquises à l'hôpital. Ce
gène est totalement absent chez cette bactérie qui est de plus en
plus fréquente en clinique.
Un autre gène, le gène aph3'-2 confère la
résistance à la kanamycine, à la néomycine. Il est
vrai que ce sont des antibiotiques très peu utilisés, mais
là encore une mutation ponctuelle peut conférer la
résistance à l'amikacine.
L'amikacine est l'antibiotique le plus utilisé dans les unités de
soins intensifs pour le traitement des infections acquises à
l'hôpital. C'est également un antibiotique qui connaît un
regain d'intérêt dans le traitement de la tuberculose du fait de
la multirésistance aux antibiotiques de cette maladie.
Un troisième gène confère la résistance à la
streptomycine, là encore un vieil antibiotique qui, lui aussi,
connaît un regain d'intérêt car les bactéries sont
devenues résistantes à la gentamicine et aux antibiotiques
apparentés.
La streptomycine est le seul antibiotique de cette famille qui n'a pas de
résistance croisée avec la gentamicine. Cela veut dire que les
souches résistantes à la gentamicine restent sensibles à
la streptomycine.
Là encore la streptomycine, en dépit de ses actions secondaires
(sa douleur au point d'injection, sa toxicité), est de plus en plus
utilisée dans le traitement des infections sévères chez
l'homme, notamment l'endocardite, ceci à cause de la
multirésistance.
Je crois que ces choix de gènes ne sont pas bons et de toute
façon il n'y a pas de gènes anodins de résistance aux
antibiotiques.
Maintenant il y a le problème du rétrotransfert, ce que
Philippe Gay appelait le transfert horizontal d'informations
génétiques, c'est-à-dire le retransfert du gène
chez la bactérie.
C'est un domaine où nos notions sont extrêmement fluctuantes et
cela rejoint les préoccupations de l'orateur précédent.
C'est un domaine dans lequel nous nous apercevons qu'il y a des transferts de
gènes qui se produisent dans la nature entre des règnes
- non plus des espèces ou des genres - qui ont divergé
il y a très longtemps.
Nous nous sommes notamment aperçus qu'il y avait des transferts des
bactéries aux cellules de mammifères, des mammifères aux
bactéries. Dans le dernier numéro de
Current Biology
, il y
a un très bel article sur un gène de résistance aux
antibiotiques chez une bactérie qui proviendrait des cellules de
mammifères.
C'est un domaine extrêmement fluctuant dans lequel il faut être
très prudent.
Nous arrivons vers cette notion de transfert horizontal d'informations
génétiques entre des organismes qui ont divergé il y a des
milliards d'années. Il faut donc être extrêmement humble et
prudent en ce qui concerne ces transferts de gènes.
Comme je l'ai dit, il y a deux exemples très bien
documentés : celui qui vient d'arriver de transfert des cellules de
mammifères aux bactéries.
Comme l'a dit Philippe Gay, des plantes aux bactéries, le transfert
n'a pas encore été démontré, mais il faut bien
savoir que ce domaine a été très peu étudié.
Ce n'est pas en faisant ce genre de manipulation que vous aurez le prix Nobel,
il y a très peu de chercheurs.
Comme cela n'a pas été démontré et pas non plus
été tellement étudié, ce n'est pas très
probant et de toute façon, en ce qui concerne un résultat
négatif en recherche, ce n'est pas parce que cela n'a pas
été observé que cela n'existe pas.
Encore une fois il y a une évolution de la notion sur les transferts
horizontaux de gènes parce que très récemment nous avons
eu des démonstrations que ces transferts se produisaient dans la nature.
Les constructions réalisées jusqu'ici - ce que dit
Philippe Gay est vrai, la technologie à cette époque n'est
pas du tout celle de maintenant -, de mon point de vue comme de celui de
nombreux collègues, sont des constructions génétiques
extrêmement grossières qui accumulent toutes les structures pour
que le gène puisse revenir chez les bactéries.
Les gènes ne s'expriment pas chez la plante, mais sont sous le
contrôle de signaux d'expression qui seront d'emblée
opérationnels chez les bactéries. Et ils sont flanqués de
grandes portions d'ADN bactérien qui facilite sa
réintégration dans la bactérie. S'il est
retransféré dans la bactérie, il pourra se restabiliser
beaucoup plus facilement parce qu'il est entouré de régions
flanquantes.
Comme il a également été dit, les techniques actuelles
permettent de se passer de résistance. Des constructions de ce type sont
d'ailleurs déjà soumises pour approbation.
Enfin il faut bien penser que la propagation à de très nombreuses
copies de ces gènes favorisera leur dissémination et leur
évolution par mutation ponctuelle vers des résistances encore
plus grandes.
Nous pourrions penser qu'il aurait été de bon sens d'appliquer le
principe de précaution à des constructions qui, comme l'a dit
Philippe Gay, sont de première génération. Elles ont
certainement fait progresser la technologie et nos notions dans ce domaine,
mais nous pouvons penser qu'elles sont inadéquates pour être
utilisées sur le terrain.
En plus, il faut bien réaliser que le système de biovigilance
sera incapable d'évaluer la contribution de ces gènes de
résistance à l'évolution vers la multirésistance
des bactéries. Ces gènes n'ont pas été
marqués, aucun signe spécifique ne leur est associé.
Si ces gènes repassent vers les bactéries, nous ne pourrons
jamais les détecter, les différencier des gènes dont
Philippe Gay a dit à juste titre, qu'ils se transféraient
à très haute fréquence entre bactéries.
Nous avons donc créé délibérément un risque
parfaitement inutile que nous sommes incapables d'évaluer ce qui, d'un
point de vue intellectuel, est quand même extrêmement
impressionnant.
Enfin je voudrais dire qu'en autorisant un gène nous créons un
précédent qui risque fort de faire jurisprudence et après
nous nous empêtrerons dans les demandes concernant d'autres gènes
de résistance.
Pour terminer je voudrais dire qu'il faut garder présent à
l'esprit que depuis plus de vingt ans maintenant, aucune nouvelle famille
d'antibiotiques n'a été introduite en thérapeutique
nouvelle.
D'un côté les bactéries évoluent vers la
résistance, de l'autre nous n'avons aucun antibiotique nouveau et sans
vouloir être alarmiste, le problème de la multirésistance
aux antibiotiques chez les bactéries est un authentique problème
de santé publique.
M. le Président
-
La parole est à
Monsieur Rico.
M. Rico
-
Je suis vétérinaire et
toxicologue. Je me suis plus particulièrement intéressé
aux problèmes de pesticides puisque je préside une commission qui
donne un avis au Ministre de l'Agriculture pour éventuellement les
enregistrer.
Je vais surtout m'attacher à ces problèmes toxicologiques.
Comme cela a été signalé, il existe des OGM qui ont la
propriété de tolérer certains herbicides, en l'occurrence
deux ont été cités et sont effectivement sur la sellette.
S'ils les tolèrent ce n'est pas parce qu'ils sont capables de les
accumuler, mais parce que la construction génétique mise en place
leur permet de les détoxiquer, c'est-à-dire de les
dégrader de façon à les rendre inoffensifs tout au moins
pour la plante.
En particulier pour les deux précédents, ce sont des
phénomènes d'acétylation faisant qu'ils deviennent
pratiquement tolérants, donc plus toxiques pour la plante.
Or ces processus d'acétylation qui sont des processus de
détoxication ne sont pas spécifiques à la plante, ils sont
connus chez les mammifères, chez l'homme. L'acétylation est un
processus de biotransformation tout à fait classique.
Nous parlons de pesticides et, en lisant un certain nombre de papiers, j'ai
l'impression qu'on ne sait pas très bien comment sont enregistrés
les pesticides en France.
L'enregistrement des pesticides en France est une affaire sérieuse qui
repose sur des textes et des structures.
Le texte actuellement en vigueur est un texte européen, la directive
n° 91-414 de 1991, qui est amendée au fur et mesure du
développement. Ce texte est très précis. Il demande toute
une série d'informations très complètes sur le produit
lui-même et sur ses formulations.
Nous avons toute une série d'informations à notre disposition,
des toxicités à court terme, à long terme, des
mutagenèses, des cancérogenèses, des
tératogenèses. Nous avons des informations sur le
métabolisme de la plante, sur le métabolisme du produit dans la
plante, dans le sol, chez les animaux.
Nous avons des informations éventuellement sur
l'allergénicité.
Je pense qu'il ne faut pas laisser dire que nous ne connaissons rien sur les
pesticides, que nous enregistrons et laissons passer des pesticides sans avoir
d'informations sur leur toxicité à long terme ou disons sur
d'autres aspects.
D'autre part les tests réalisés actuellement le sont dans des
conditions extrêmement précises, dans des laboratoires avec des
techniques parfaitement codifiées aux niveaux européen et
mondial. En fait nous avons une foule d'informations à notre disposition
pour pouvoir juger.
Quel est l'objectif de cette commission ?
Il est de préciser la sécurité d'emploi des pesticides
comme de préciser éventuellement la sécurité
d'emploi d'utilisation de plantes transgéniques, c'est-à-dire de
définir les risques et nous essayons de les définir dans trois
domaines :
- pour le consommateur au travers des résidus,
- pour le manipulateur, il ne faut pas oublier que des personnes
manipulent ces produits, les paysans,
- pour l'environnement.
Le deuxième point que je voudrais développer est la notion de
risque. Il ne faut pas confondre risque et danger. Ce sont deux concepts qui
sont forcément associés, mais pas totalement.
Le danger sont les caractéristiques toxicologiques d'un composé.
Vous analysez un produit, vous caractérisez sa toxicité, s'il est
toxique à long terme, s'il a une toxicité aiguë, etc. C'est
le danger et vous avez des substances plus ou moins dangereuses.
Le risque intègre un autre élément très important
qui est l'exposition, c'est-à-dire la quantité de substance
à laquelle vous risquez d'être soumis. Il ne faut pas oublier
qu'en toxicologie, il existe une règle qui a été
confirmée depuis fort longtemps : la dose fait le poison.
Par conséquent il existe pratiquement dans tous les domaines des doses
sous lesquelles les effets toxiques ne se manifestent pas.
La notion de risque est donc une notion qui doit tenir compte de la notion
d'exposition. Une substance peut être à haut danger, mais si
l'exposition est quasiment nulle, le risque est quasiment nul. En revanche une
substance peut être à faible danger, mais si son exposition est
importante vous avez des accidents.
Comme je suis vétérinaire je connais bien les intoxications par
le chlorure de sodium, c'est-à-dire le sel chez les porcs et les
poussins.
Lorsque l'on donne une alimentation un peu riche en chlorure de sodium à
ces animaux, surtout s'ils n'ont pas à leur disposition un abreuvement
suffisant, les porcs meurent très facilement de méningite
toxique, le chlorure de sodium passera dans le cerveau, y entraînera des
oedèmes et les fera mourir. Les poussins, eux, mourront de
diarrhées extrêmement profuses et très rapidement.
Le chlorure de sodium est toxique pour ces animaux, il le serait de même
pour l'homme s'il en ingérait des quantités importantes.
Lorsque nous parlons de dose, nous parlons aussi de concentration. Je voudrais
rappeler qu'en ce qui concerne les pesticides, ceux-ci ne sont présents
dans l'alimentation ou dans l'eau qu'à des doses quand même
extrêmement faibles. Il ne faut quand même pas penser que nous
avons dans l'alimentation des quantités absolument astronomiques de ces
composés.
Nous utilisons des unités tout à fait classiques, tout au moins
pour les toxicologues, qui sont des unités de concentration :
- la PPM est une très grosse unité, c'est le milligramme par
kilo,
- la PPB est mille fois plus petite, c'est le microgramme par kilo,
- la PPT est mille fois encore plus petite, c'est le nanogramme par kilo,
- la PPQ dont nous parlons maintenant, c'est-à-dire le picogramme
par kilo ; un picogramme c'est mille milliardième de gramme,
c'est-à-dire quelque chose d'extrêmement faible.
Pour illustrer un peu mon propos, je dirais que, par exemple, la PPT est une
pièce de 50 centimes perdue dans la ville de Paris. Il se trouve
qu'effectivement les chimistes sont maintenant capables de la trouver. Je
disais à mes étudiants que ce n'est pas parce que je trouve une
pièce de 50 centimes que je serai riche.
Nous identifions une substance dans un milieu, elle présente
forcément un caractère toxique. Comme il y a toujours des petits
astucieux, un jour un étudiant m'a dit : "Mais si c'était un
diamant ?" Je lui ai dit que c'était une très bonne remarque
et que dans ces conditions je serais extrêmement riche.
La probabilité que je trouve un diamant comme une pièce de
50 centimes dans la ville de Paris est très différente.
D'autre part, cela montre bien que le risque nul n'existe pas car le risque nul
est une utopie.
Je pense que vivre est risquer sa vie et je suis persuadé d'ailleurs
que, pour mes enfants et petits-enfants, je ne voudrais pas une vie sans
risque. D'abord cela n'existe pas et le risque c'est un peu le sel, c'est le
piment, le miel, les bulles de l'existence. Imaginez une existence sans risque,
elle serait absolument invivable.
Je viens de vous dire que le risque, c'est effectivement risquer sa vie, la
preuve est que de toute manière nous finirons tous par mourir. Ceci pour
une raison fort simple, c'est que nous pouvons définir la vie d'une
manière un peu anecdotique, mais quand même avec un certain fond
de vérité.
Qu'est-ce que la vie ?
C'est une maladie universelle, une maladie inguérissable, une maladie
toujours mortelle. Le seul avantage qu'elle a pour les hommes et les femmes
c'est qu'elle est sexuellement transmissible. Merci.
M. le Président
-
Madame Moneret-Vautrin va nous ramener à des problèmes
d'allergénicité. C'est un des sujets évoqués en
matière de santé. Vous avez quelques minutes pour le
présenter.
Mme Moneret-Vautrin
-
La préoccupation des
risques allergiques des OGM vient de deux types de données :
- la prévalence des allergies alimentaires a
considérablement augmenté depuis quinze ans, c'est donc une
préoccupation du grand public ;
- cette augmentation de prévalence est partiellement liée
aux modifications de l'alimentation et les OGM étant le dernier avatar
de ces modifications, il est légitime de s'intéresser à ce
risque.
En 1992 la FDA a avalisé toute une série de recommandations pour
l'étude du risque allergique qui venait de l'Organisme des
Biotechnologies alimentaires américain et de l'Institut d'Allergologie
et d'Immunologie.
Ces directives sont parfaitement claires et intéressantes à
connaître. Elles font la part des choses entre un transfert de
protéines d'une plante déjà connue comme ayant
donné des allergies alimentaires. Le deuxième cas de figure est
celui de protéines venant d'un organisme qui, jusqu'ici, n'a pas
provoqué d'allergies alimentaires.
Dans le premier cas, il faudra disposer de patients ayant l'allergie
alimentaire à la plante donneuse de façon qu'avec leur
sérum et leur peau, par le biais de tests cutanés, nous puissions
rechercher si la protéine une fois transférée dans la
plante accueil présente effectivement des risques allergiques
particuliers.
Tout à l'heure nous avons fait allusion à cette albumine 2S de la
noix du Brésil qui s'est révélée parfaitement
capable de donner des allergies dans le soja modifié si le sujet
allergique à la noix du Brésil consommait ce soja.
Par ailleurs il ne faut pas oublier que lorsque nous avons
transféré une protéine, nous connaissons par
définition parfaitement sa séquence linéaire d'acides
aminés. Il est donc possible de regarder dans les banques de
données des séquences de tous les allergènes connus s'il y
a une homologie, une ressemblance et de savoir s'il y a un risque quelconque
d'allergénicité.
Cela dit, soyons humbles, il y a certainement des dizaines de milliers
d'allergènes et nous n'en connaissons parfaitement actuellement dans les
banques de données qu'environ 2 à 300.
Si la plante d'origine de la protéine n'est pas connue comme donnant une
allergénicité ou si cette protéine vient d'une
bactérie - nous avons évoqué le problème de la
protéine de résistance aux herbicides, elle vient d'une
bactérie - dans ce cas, nous limiterons surtout les études
d'abord à la recherche éventuelle d'une homologie, mais nous nous
intéresserons également à sa fragilité dans des
milieux de digestion artificielle.
Il est certain que les allergènes majeurs que nous connaissons
résistent 30 mn à 1 h 30 dans des modèles
de digestion artificielle. Jusqu'ici les protéines
transférées dans des OGM ne résistent pas plus de
15 secondes. Il est certain que cet argument paraît très
intéressant même si pour des raisons que je ne peux pas
développer, il est tout de même un peu insuffisant.
Lorsque nous avons fait ainsi le tour de toutes ces évaluations avant en
quelque sorte commercialisation, nous ne pouvons qu'être frappés
d'une chose. Si chaque élément choisi n'offre pas une
sécurité à 100 % ce qui est impossible, l'ensemble,
la conjonction de tous ces tests permet déjà de serrer une
sécurité sanitaire importante.
Toutefois la seconde chose que nous devons absolument dire est que nous ne
pouvons nous référer qu'aux allergènes connus. Nous ne
pouvons pas assurer que cette protéine introduite dans l'alimentation
humaine n'aura pas un jour ou l'autre ce qu'on appelle une
caractéristique d'immunogénicité, c'est-à-dire
qu'elle ne sera pas capable de faire se développer une sensibilisation
qui n'avait jamais existé.
Dans la mesure où ces aliments nouveaux, ces OGM, sont soumis à
des études de l'ordre de celles que l'on impose aux médicaments,
il paraît tout à fait logique de transposer ce que nous faisons
dans le domaine du médicament.
Lorsque nous commercialisons un médicament, nous savons parfaitement
qu'il y a tout de même un risque qui ne peut pas être
détecté avant commercialisation et nous faisons ce qu'on appelle
une surveillance
post-marketing
. C'est un système que tout le
monde connaît qui s'appelle un système de pharmacovigilance.
Pour cette raison, je pense que si réellement les OGM envahissent
l'alimentation, il faut qu'il y ait une surveillance
post-marketing
.
Ceci veut dire qu'il faut un réseau national d'allergo-vigilance et que
ce réseau doit être structuré et coordonné par un
bureau de veille sanitaire du risque allergique qui serait, en somme, une
sous-direction de la prochaine agence de sécurité sanitaire de
l'alimentation.
Moyennant ceci, nous pouvons espérer, non pas atteindre un risque
zéro, mais en tout cas le contrôler efficacement.
Je voudrais faire remarquer qu'autrefois, nous ne nous préoccupions pas
de ces problèmes. Lorsque nous avons introduit le riz en Camargue, nous
ne nous sommes pas préoccupés de savoir si la
variété de riz était hypo- ou hyperallergénique.
L'expérience montre que, par chance, nous avons choisi une
variété hypoallergénique par rapport au riz japonais qui
est très allergisant, mais cela aurait pu être le contraire.
Il ne faut pas en quelque sorte imputer aux nouvelles technologies des risques
nouveaux dont nous nous serions occupés auparavant. En fait ce sont les
connaissances qui font naître la préoccupation de risques.
A mon avis, il est possible, grâce à une surveillance
d'allergo-vigilance
post-marketing
, de pouvoir veiller au risque.
Restent à fixer les transmissions, les nécessités
d'informations des allergologues et de dispositions pour les centres
d'allergologies spécialisés de ces fameuses protéines
transgéniques de façon à pouvoir éventuellement un
jour ou l'autre dépister un risque de sensibilisation.
Je suis persuadée qu'avec ce système il doit être possible
d'envisager tout de même à mon point de vue d'allergologue
alimentaire, les OGM avec une relative confiance.
M. le Président
-
Merci beaucoup,
Madame.
Comme dans le débat sur l'environnement ce matin, en-dehors de ce que
vous venez de dire sur l'allergénicité et son risque et sur les
autres dangers éventuels en matière de santé, nous avons
des positions très opposées.
Là encore, le travail politique sera de prendre des décisions
politiquement dures sur des certitudes scientifiques molles.
Lorsque je vous entends, c'est comme pour l'environnement, j'ai l'impression de
voir - pas sur l'allergie, mais sur les autres sujets - ou tout blanc
ou tout noir, il faut essayer de clarifier cela.
Si Monsieur Séralini dit qu'il y a des risques de
génotoxicité, un certain nombre de risques en matière de
cancérisation - nous parlerons des antibiotiques tout à
l'heure - et de toxicité, cela veut dire que les commissions
chargées d'examiner cela, ne font pas leur travail.
Nous avions une commission et comme nous en avons discuté hier dans la
partie réglementaire, je crois que tout le monde est convenu de dire
qu'il fallait faire évoluer les choses. Avoir pour la Commission du
Génie Biomoléculaire, un système d'experts techniques qui
font le contrôle ce n'est pas bon.
Nous arrivons pratiquement tous à une unanimité de la
décision, à côté de ce système de ceux qui
feront l'expertise technique, il faudra un système de vigilance ou de
veille et de contrôle du risque de personnes venant de la
société civile, des associations, du milieu de la recherche. Il
faut que ces personnes viennent de différents milieux et qu'elles
puissent effectivement donner un autre avis que l'avis scientifique pur.
Ce matin, lors de la table ronde sur la consommation, nous avons parlé
de la notion de seuil comme si les OGM avaient déjà envahi nos
étalages. Michel Edouard-Leclerc ne nous disait que cela et il
demandait qu'il n'y ait pas de seuil car s'il y en avait un il
étiquetterait tout OGM, ainsi ce serait classique et classé.
Ce matin nous n'étions pas du tout dans le débat qui est celui de
cet après-midi, nous avions l'impression que tout ceci était
déjà classé. Or il y a des décisions à
prendre en matière de santé, qu'il y ait seuil ou pas. Si un
produit OGM présente un risque sérieux en matière de
santé, il faut l'interdire.
Si j'entends Monsieur Séralini sur un certain nombre de points sur
lesquels nous reviendrons, il faut interdire un certain nombre d'OGM. Si
j'entends Monsieur Gay ou Monsieur Rico, au contraire, il faut aller
plus vite ou développer la totalité des OGM car il n'y a pas de
risques.
Il faut donc cerner cette question et puisque les OGM se sont
développés dans un certain nombre de pays du monde, je vais vous
poser une première question. Je rappelais hier les chiffres qui sont
impressionnants :
- 26 millions d'hectares dans le monde,
- 16 millions d'hectares aux Etats-Unis en 1998,
- 10 millions d'hectares dans trois pays principaux (Canada,
Argentine, Chine),
- cela se développe un peu en Australie et c'est en train de se
développer dans d'autres pays.
Ces études n'ont-elles pas été faites de manière
sérieuse ?
Les risques potentiels indiqués par Monsieur Courvalin - je
suis très sensible à la partie " antibiotiques " dont
nous avions déjà eu l'occasion de parler lorsque j'ai
auditionné Monsieur Courvalin - présentent-ils un
réel danger ? Cette possibilité est-elle réelle ?
Monsieur Séralini je vous pose aussi cette question.
Pour vous, en l'état actuel des choses, faut-il tout interdire, y
compris les OGM qui existent déjà, puisque vous dites qu'il y a
risque en matière de santé ?
Au contraire, les probabilités de risque sont-elles si faibles qu'il
n'est pas plus fort que pour des aliments classiques ?
Madame Moneret-Vautrin vient de dire qu'en matière d'allergies
finalement les connaissances de la science faisaient qu'il y avait sans doute
des risques nouveaux à étudier, ceux-ci n'étant cependant
pas supérieurs à ceux que nous aurions eus sans l'existence des
plantes OGM.
Faisons-nous supporter aux OGM tous les risques de l'alimentation ou faut-il
aussi faire porter la suspicion sur la totalité des aliments ?
C'est en quelque sorte ce que disait Monsieur Courvalin tout à
l'heure.
Finalement est-ce la gestion des antibiotiques aujourd'hui qui est en cause ou
les OGM en tant que tels ?
Je dis ceci en sachant qu'il faudra supprimer les constructions dont vous
parliez tout à l'heure, Bernard Kouchner en étant d'accord
comme il l'a dit hier soir ici.
Il faudra supprimer les constructions qui ont eu des résistances
à des antibiotiques. Comme nous sommes capables de faire autrement, nous
ne sommes pas obligés de les avoir et d'ajouter un risque
supplémentaire à cette mauvaise gestion des antibiotiques que
nous avons depuis 50 ans.
Je souhaiterais que vous puissiez vous exprimer sur ces sujets, avec des pour,
des contre comme ce matin, que vous essayiez d'avancer dans le débat,
non pas en parlant du risque potentiel, mais en parlant du risque pour les OGM.
Y a-t-il un risque nouveau du fait de l'apparition des OGM ?
M. Courvalin
-
Je n'ai pu venir ni hier ni ce
matin, mais d'après ce que vous dites, le problème des
gènes de résistance aux antibiotiques a l'air à peu
près réglé dans les esprits.
Lorsque nous entendons Philippe Gay, finalement il n'y a pas tellement de
différence. Evidemment les approches sont distinctes, mais nous sommes
d'accord tous les deux pour dire que ces gènes sont parfaitement
inutiles dans les constructions, ne serait-ce que parce qu'ils ne s'expriment
pas dans la plante.
Nous sommes également d'accord sur le fait qu'il y a un risque potentiel
de retour vers les bactéries. Il est sans doute faible, mais j'attire
votre attention sur le fait que nous sommes incapables de l'évaluer.
Encore une fois nous l'avons délibérément
créé, il est inutile et nous sommes totalement incapable de
l'évaluer ce qui est extrêmement gênant.
Nous sommes d'accord tous les deux sur le fait que ce sont des gènes
inutiles, que c'est un danger potentiel.
Le fait qu'il n'ait pas été démontré est un
argument très faible pour moi. Comme je l'ai dit cela n'a pas
été beaucoup étudié et en plus, d'avoir
travaillé pendant vingt ans sur les transferts de gènes dans les
conditions naturelles, nous a appris beaucoup d'humilité.
Il est en effet extrêmement difficile de faire des expériences de
reconstruction. Nous avons observé des transferts sur certains
critères, nous étions sûrs qu'ils s'étaient produits
dans la nature et nous avons eu beaucoup de mal à les reproduire en
laboratoire alors que nous nous mettions dans les conditions que nous estimions
les plus favorables.
En fait c'est sous-estimer les très nombreuses occasions
d'échange d'ADN dans la nature. Dans le tube digestif, il y a des
milliards de bactéries qui peuvent être en état de
compétence, c'est-à-dire d'incorporer de l'ADN, d'autres lyses le
relarguant.
Il y a en fait beaucoup plus d'occasions dans la nature de transferts de
gènes que ce que nous arrivons à reproduire en laboratoire. Il y
a même des manipulations que nous sommes encore incapables de refaire.
Comme je l'ai dit, ces notions évoluent très rapidement et les
échéances au laboratoire, surtout lorsqu'elles sont
négatives, ne sont absolument pas informatives. Le fait de ne pas avoir
réussi à le refaire ne prouve pas que cela n'existe pas, il faut
se méfier de ce genre d'argument que j'ai lu dans un papier en
France : "Comme on ne l'a pas démontré, cela n'existe
pas !". C'est en effet tout à fait anti-scientifique.
Je crois qu'il y a moins de divergences à ce niveau et qu'apparemment le
problème a l'air réglé, les personnes ont compris quand
même que...
M. le Président
-
... Sauf que les
personnes que j'ai vues après vous à qui je donnais vos
arguments, me disaient que vous aviez raison au niveau scientifique, mais que
la probabilité la plus forte de transfert de gènes est la
conjugaison entre des bactéries.
Il est évident - et vous l'avez dit dans votre exposé
liminaire - que même s'il y a peu de gènes de
résistance dans des bactéries pathogènes du tube digestif
qui sont en faible nombre, c'est là qu'existe déjà la
probabilité de transfert.
Ceci est malheureusement dû au fait que de nombreuses bactéries, y
compris des bactéries non pathogènes existent déjà
avec des gènes de résistances multiples dans le tube digestif. Ne
parlons pas des staphylocoques dorés pour lesquels certains citaient ce
matin le chiffre de 10 000 morts dues aux infections
hospitalières nosocomiales en France du fait de bactéries qui ont
la totalité des gènes de résistance.
Le contre-argument donné sur un problème sur lequel
personnellement je me suis fait une religion en tout cas pour l'avenir, la
vraie question est : quand ?
Bernard Kouchner l'a dit hier soir, là-dessus je ferai cette
proposition, mais quand faut-il la faire ?
Un certain nombre de constructions existent aujourd'hui dans notre pays.
D'après toutes les auditions effectuées, si la probabilité
d'acquisition de la résistance aux antibiotiques est faible, elle existe
déjà malheureusement aujourd'hui du fait non pas des plantes
transgéniques, mais de la mauvaise gestion de ces produits.
Il n'est pas du tout impossible qu'il y ait effectivement un jour un certain
nombre de problèmes supplémentaires en termes de
résistance à des antibiotiques.
Nous sommes d'accord là-dessus, mais que répondez-vous à
l'argument scientifique qui m'a été rapporté ?
M. Courvalin
-
Encore une fois je l'ai
écrit et rappelé au début de mon exposé et j'ai
confirmé ce qu'avait dit Philippe Gay.
Il est vrai que les mécanismes développés par les
bactéries pour transférer les gènes de résistance
sont extrêmement efficaces dans la nature, très
opérationnels, notamment dans le tube digestif. Il faut bien comprendre
que le tube digestif est un écosystème extrêmement
favorable aux échanges génétiques.
M. le Président
-
Combien de
bactéries y a-t-il dans un tube digestif ?
M. Courvalin
-
Comme plus de 90 % ne sont pas
cultivables, c'est difficile à quantifier, mais il y a des milliards de
bactéries dans le tube digestif. Cependant l'immense majorité des
espèces ne sont pas connues parce que nous n'arrivons pas à les
cultiver.
Nous sommes tous d'accord sur le fait que la résistance aux
antibiotiques est un problème majeur à l'heure actuelle.
Comme je l'ai dit, il n'y a absolument aucun nouvel antibiotique en perspective
actuellement. Comme il faut dix à quinze ans pour en développer
un, nous pouvons anticiper le fait que dans les dix prochaines années,
la situation ne fera que se détériorer puisque les
bactéries évoluent constamment vers la résistance, c'est
un cas particulier de leur évolution.
Encore une fois, les systèmes développés par les
bactéries pour transférer les gènes de résistance
sont extrêmement efficaces.
Compte tenu de l'ampleur du problème, du fait que nous n'avons pas
d'antibiotiques nouveaux, je crois qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter
un risque potentiel que nous sommes incapables d'évaluer, ceci
même si sa fréquence est faible.
Pour moi ce n'est pas une excuse de dire que parce que les gènes sont
là, qu'ils transfèrent etc., que nous ne pouvons en ajouter. Pour
moi c'est un argument extrêmement faible. Cet argument est tenu par des
personnes partisanes de mettre des antibiotiques comme suppléments dans
l'alimentation animale. Elles le font en disant :
"Vous avez vu dans les unités de soins intensifs, c'est tragique, les
hôpitaux, les infections nosocomiales et tout, qu'est-ce que cela peut
faire de rajouter des antibiotiques dans l'alimentation animale ?"
C'est également un facteur d'évolution vers la
dissémination de la résistance qui doit être pris en
compte, qui est certainement plus important que ce que nous discutons
aujourd'hui dans la dissémination de la résistance.
Là encore, en considérant le problème de santé
publique posé, je crois qu'il ne faut pas surajouter à la
mauvaise utilisation des antibiotiques en médecine humaine
mentionnée par le président au début de cette session, des
gènes de résistance dans les plantes transgéniques et ne
pas utiliser d'antibiotiques comme suppléments dans l'alimentation
animale.
M. Gay
-
Je voudrais éviter l'association
"antibiotiques dans la nourriture animale et plantes transgéniques" et
je vais me limiter à ces dernières.
Je suis un peu gêné d'entendre parler de risques que nous sommes
incapables d'évaluer. Est-ce qu'un risque que nous sommes incapables
d'évaluer en est un ?
Il faut faire très attention car il y a une sorte de dérive de la
notion de risque. Tout d'un coup nous ne savons plus de quoi nous parlons, je
prie Monsieur Courvalin de m'excuser, mais je n'aime pas cette faute
logique qui, à la limite, va conduire les personnes un peu nulle part.
C'est introduire dans le public, une angoisse épouvantable : " il y
a des risques que nous sommes incapables d'évaluer ", franchement
qu'est-ce que cela veut dire ?
Le deuxième point sera plus technique. Comme j'ai déjà
posé la question à Monsieur Courvalin, il pourra
éventuellement revenir dessus.
Le généticien que je suis s'est posé la question de la
résistance des bactéries d'une autre façon. A la limite,
étant donné le taux de mutation très élevé
des bactéries vers la résistance, un taux de mutation de l'ordre
de 10 puissance moins 7 à 10 puissance moins 9 est un taux
très élevé puisque la moindre population
bactérienne atteint 10 puissance 9 par millilitres de culture
où une colonie bactérienne représente déjà
un nombre important de bactéries.
Pourquoi étant donné ce taux de mutation élevé,
étant donné ces taux de transferts extrêmement
élevés par conjugaison, c'est-à-dire par contact direct
dans le milieu intestinal, toutes les bactéries ne sont pas
résistantes ?
Que voyons-nous ? Nous nous apercevons en fait que les populations
- je tiens l'information de Monsieur Courvalin, si jamais je me
trompe, il me démentira immédiatement - tendent vers une
sorte d'équilibre.
Qui dit équilibre dit que la proportion de ce qui cesse d'être
résistant et de ce qui le devient, s'équilibre. Ces
équilibres sont fonction non pas de la fréquence de mutation ou
de transfert, mais essentiellement de la pression de sélection à
laquelle sont soumises ces populations bactériennes, c'est-à-dire
l'utilisation ou non d'antibiotiques dans le milieu.
Je crois que c'est très important car il est impossible de comprendre le
phénomène de résistance aux antibiotiques si nous n'allons
pas plus loin dans l'analyse que simplement une analyse ponctuelle des
phénomènes de transfert. A mon avis arguer de possibles
phénomènes de transferts n'est pas pertinent.
Le troisième point est qu'il y a des ordres de grandeur, on a
cité des milliards de cellules de maïs. Je me suis livré
à un petit calcul, si tout le maïs du monde était le
maïs 176 de Novartis, il y aurait 10 puissance 24 copies du
gène " ampicilline " de plus sur la planète.
Nous avons essayé de transférer ces copies qui sont
présentes dans l'ADN de maïs, par transformation du colibacille et
nous n'avons pas réussi. A l'inverse lorsque nous avons pris les
plasmides entiers, nous sommes arrivés à des taux de
transformation de 20 %.
Cela veut dire que des plasmides entiers tels ceux présents dans les
corps bactériens dans les fèces, dans les bactéries
cultivées dans les laboratoires, ces plasmides ont des taux de
transfert, des taux potentiels de dissémination dans le système
de transformation de colibacille, 10 puissance 10 fois au moins
supérieurs à celui du maïs.
Cela veut dire que 10 ml de culture faits par un étudiant classique
à l'université voisine a probablement un pouvoir de
dissémination de résistance aux antibiotiques dans les
colibacilles ou coliformes supérieur à l'ensemble de la culture
du maïs si nous arrivions à prendre la totalité du
marché mondial.
Je crois qu'il importe que nous fassions attention à ces ordres de
grandeur pour ne pas, encore une fois, tromper l'opinion et transformer une
souris voire un microbe en une montagne. C'est très important car le
jour où la montagne arrivera, il s'agira de la voir, mais on la manquera
peut-être car nous nous serons occupés par autre chose.
M. le Président
-
Nous allons
peut-être juste terminer sur une question encore là-dessus car
nous évoluons quand même vers un système où, y
compris des fabricants jusqu'aux chercheurs, tout le monde dit que ce n'est pas
souhaitable d'avoir ce type de construction.
La discussion est pour les plantes qui ont déjà été
faites et l'argument qui consiste à dire qu'il ne faut pas en rajouter,
même s'il y a des échelles de risques entre le risque par OGM avec
le risque dans l'alimentation animale et l'utilisation des antibiotiques dans
les hôpitaux.
Aux Etats-Unis j'ai vu Madame Saliers qui est une des grandes
spécialistes de microbiologie et je lui ai posé la même
question. Elle a organisé un colloque à Talloires - dont
j'ai le compte rendu - et finalement la plupart des chercheurs ont conclu
un peu sur l'opinion qui vient d'être indiquée.
Ils disent que le risque est pratiquement nul et elle m'a
développé cela. Madame Saliers est professeur à
l'université de l'Illinois et fait référence au niveau
international.
Elle m'a dit qu'à son avis il faut les retirer - c'est la
même position - mais que le risque potentiel est très faible
dans la mesure où finalement les passages du végétal vers
des bactéries du sol sont certes possibles, mais que la fréquence
en est peut-être de 10 puissance moins 15.
Elle m'a également indiqué que les passages éventuels de
cette bactérie du sol vers des bactéries intestinales bovines,
puis humaines se font également à la même fréquence.
Celle-ci est très faible par rapport à toutes les autres
possibilités de conjugaison qui existent dans la nature.
Nous allons peut-être clore cette partie qui est plus scientifique que
décisionnelle. Un certain nombre d'arguments ont été
donnés et il y a également eu des arguments politiques. Il faut
bien entendu essayer d'éviter au maximum les risques potentiels.
Nous allons aborder les toxiques.
Même si cela a été dit de façon plaisante,
même si cela a été le plus tranché possible des deux
côtés, il y a eu des arguments opposés les uns aux autres.
Je souhaiterais que nous allions un peu plus avant.
Après votre audition, Monsieur Séralini, j'ai
interrogé un certain nombre de chercheurs qui m'ont exprimé leur
point de vue sur ce que vous indiquiez.
Non seulement la CGB, mais aussi le Comité supérieur
d'hygiène française et la Commission des toxiques, ont
étudié ces questions. Les accumulations - vous compariez au
DDT - ne peuvent pas se faire, de nombreux pesticides ne s'accumulant pas.
Un certain nombre de risques que vous indiquez avec des plantes
transgéniques n'existent pas réellement.
Je souhaiterais que d'un côté et de l'autre vous puissiez
éventuellement apporter des précisions en vous appuyant sur des
travaux de recherche pour nous indiquer à tous ce qui est réel et
que vous puissiez dire, Monsieur Rico, puisque vous êtes
président de la Commission des Toxiques, si vous travaillez bien ou non.
Comme vous avez des avis opposés, cela signifie-t-il que toutes ces
commissions travaillent mal ?
M. Séralini
-
Je voudrais dire un mot sur
les faibles risques de transferts de gènes.
Il est vrai que le risque peut être faible, mais cela ne veut pas dire
grand chose s'il y a une pression de sélection derrière. Nous
pouvons travailler avec de faibles risques de transferts et réussir
à cloner des choses très rares au laboratoire de cette
manière.
Aujourd'hui, pour moi, le problème de la résistance aux
antibiotiques n'est pas résolu dans la mesure où la
variété cultivée en ce moment ou en train d'être
plantée a ce gène de résistance.
M. le Président
-
J'ai posé la
question importante : quand ? Le problème est là.
M. Courvalin
-
Comme vous l'avez dit, nous ne
pouvons être experts et décideurs, ce n'est pas le genre de
question à nous poser. Nous pouvons dire ce que nous pensons, mais c'est
à vous de décider.
M. Séralini
-
Aujourd'hui le
problème se pose, même si dans les intentions, il ne se posera
plus dans l'avenir.
J'ai bien apprécié ce qu'a dit Madame Moneret-Vautrin sur la
mise en place d'un réseau. Cela me semble tout à fait judicieux
pour surveiller les allergénicités possibles de certains
produits. Pour aider ce réseau, il serait absolument nécessaire
qu'il y ait une traçabilité et un étiquetage des produits.
Aujourd'hui encore, les produits importés, ne sont pas clairement
identifiés. En ce moment le problème se pose, cela me permettant
de rebondir sur votre dernière question : les commissions
travaillent-elles mal ?
Je crois que la question est très mal posée. Il me semble que les
commissions travaillent bien, je leur fais confiance a priori. Mais,
à ma connaissance, elles n'ont pas été sollicitées
pour homologuer des herbicides aujourd'hui sur des plantes transgéniques
puisque celles-ci nous arrivent par l'importation.
Monsieur Rico ne peut donc être mis en cause à ce niveau et
je ne vois pas pourquoi vous posez la question en ces termes.
Monsieur Rico nous a parlé de dégradation d'un herbicide par
la plante, c'est vrai. Il faut savoir aussi que les produits de
dégradation des cancérogènes sont des
cancérogènes activés.
Les enzymes qui, justement, dégradent les acétylations, les
hydroxylations qui font partie des activités des enzymes cytochromes
P450 que nous étudions au laboratoire et qui sont impliqués dans
les dégradations de certains procancérogènes, les
transforment aussi quelquefois en cancérogènes activés.
Ensuite nous avons parlé de seuil au-dessous duquel une exposition ou un
effet ne se manifeste pas. Evidemment c'est lié là au
problème du long terme. Monsieur Rico et moi-même avons
parlé de long terme.
Le long terme pour les commissions est de 30 et 90 jours, de quelques mois
pour les rats et de 20 à 40 ans pour un homme. A ce
moment-là il est exposé non pas à un dérivé
d'herbicide ou de pesticide de manière bien contrôlée, mais
à une foule de substances qui viennent sur les mêmes enzymes de
détoxication dans son foie.
Je crois qu'il faut être très prudent dans la mesure où un
cancérogène peut ne pas avoir de seuil, être actif et
conférer une mutagénécité. A ce moment-là il
n'y a pas de seuil admissible qui puisse être pris en compte sinon au
niveau statistique. Le fait est cependant que la statistique ne
représente rien pour un individu vivant.
Je crois que le problème est le même pour les herbicides et les
résistances aux antibiotiques. Vous me demandez de m'appuyer sur des
références, je l'ai fait dans un texte que je vous ai
envoyé.
Effectivement il y a des risques qui ne sont pas évaluables en
l'état actuel de nos connaissances, Monsieur Gay, parce que tout
simplement dire qu'il n'y a pas de publication sur un sujet ne veut pas dire
que le risque est éliminé. Comme l'a dit Monsieur Courvalin,
je crois qu'il est anti-scientifique d'estimer que c'est alors vrai, un risque
pouvant ne pas être évaluable en l'état actuel des
connaissances.
D'autre part je crois que ce serait un leurre de ne pas se servir de
l'amélioration des connaissances sur les contrôles, y compris,
puisque nous voulons être techniques, de la mesure du poste des adduits,
du Roundup par exemple sur l'ADN des foies des animaux consommant ce produit
à travers les plantes ou leur alimentation.
Ce genre de test évolue assez vite, mais les commissions ne changent pas
leurs tests tous les jours. Lorsqu'un produit nouveau arrive, il est bon de
réaliser de nouveaux tests.
Ces produits nouveaux sont susceptibles d'accumuler des herbicides dans leurs
cellules puisque cela avait même empêché un soja de bien
pousser, si je me réfère au rapport des dix ans
d'expérience de la Commission du Génie Biomoléculaire. Ce
soja accumulait du Roundup dans ses méristèmes, dans les parties
de la plante en développement.
A mon avis le problème des faibles doses est tout à fait
important surtout lorsqu'elles sont combinées entre plusieurs herbicides
ou pesticides. Il ne peut être balayé d'un revers de main et il
faut faire ces expériences.
Pour cette raison, nous demandons un moratoire et je fais tout à fait
confiance aux commissions pour faire ces expériences ou les faire faire
à condition qu'elles soient saisies du problème et qu'elles aient
le temps de travailler dessus.
Il ne s'agit pas pour moi de mettre en cause les commissions, mais de dire
qu'il faut faire de nouveaux contrôles. Nous ne pouvons pas dire qu'il y
a des publications sur ces nouveaux contrôles puisqu'ils ne sont pas
faits. Toute une série de contrôles est faite, mais il y en a
aussi qui ne sont pas faits.
Cela dit, je ne considère pas que la vie est une maladie, mais que la
vie c'est la santé et quelque chose de merveilleux. Il faut la maintenir
et, pour cela, apporter au public le degré de sécurité que
nous avons dans nos connaissances.
M. le Président
-
Je voudrais poser
une question à Monsieur Rico. Il y a une Commission des Toxiques et
Monsieur Séralini vient de dire qu'un certain nombre de
contrôles nouveaux ne sont pas faits.
Quels sont les contrôles réalisés aujourd'hui dans notre
pays ?
Est-ce qu'on étudie les problèmes de toxicité posés
par de nouveaux produits dans la mesure il y a effectivement des
métabolismes qui sont changés du fait de l'apparition d'un
gène de résistance ?
Madame Moneret-Vautrin a dit que les produits des plantes
transgéniques sont étudiés de la même manière
que des médicaments. Ces études sont-elles effectivement faites
ou non ?
M. Rico
-
Le glufosinate et le glyphosate ne sont
pas des herbicides récents. Ils sont sur le marché, en
particulier le glyphosate, depuis fort longtemps.
Effectivement dans le papier de Monsieur Séralini il est fait
état pour le glyphosate de la formation d'adduits dans le foie du rat.
D'abord la technique utilisée, le postmarquage au phosphore 32, est
très difficile d'application et surtout d'interprétation.
C'est une technique que j'ai utilisée moi-même dans mon
laboratoire à une certaine période. La difficulté est que
lorsque vous prenez des animaux qui n'ont pas été traités,
c'est-à-dire qui n'ont rien reçu, et que vous faites une
recherche d'adduits sur un foie d'animal, il y en a toute une série qui
apparaissent.
Vous avez un bruit de fond d'adduits dus aux produits que nous pouvons
consommer et il est particulièrement difficile de faire la
différence. Cette technique n'a d'ailleurs pas encore été
validée.
Vous avez dit que les longs termes c'était disons trois mois. Je ne suis
pas d'accord car nous avons des longs termes maintenant systématiquement
de deux ans pour le rat, de dix-huit mois chez la souris, soit la
période complète de vie pour les pesticides.
Contrairement à ce qui se dit, cela veut dire que nous avons des
informations sur la toxicité à long terme.
La génotoxicité est étudiée au travers de toute une
série de tests. C'est un ensemble de manifestations : mutation,
aberrations chromosomiques, modifications de transfert de l'ADN, etc. Les tests
sont maintenant codifiés au niveau de la Commission européenne.
Ils ont été validés avec des protocoles parfaitement
décrits.
Il ne faut pas dire que nous n'avons pas d'informations, ce n'est pas vrai.
M. Séralini
-
Je n'ai pas dit cela.
M. Rico
-
Nous avons ce type d'informations et
nous l'analysons en toute bonne foi.
Contrairement à ce que vous avez dit, Monsieur le Président, je
ne suis pas pour une libéralisation de tous les OGM, ce n'est pas ce que
j'ai voulu dire. Si vous avez compris mon intervention comme cela, c'est une
erreur.
Je dis simplement que nous avons des estimations de risques à faire et
que celles-ci dépendent d'un certain nombre de facteurs. Dans la
commission que je préside depuis huit ans et qui l'était avant
par Monsieur Truaud, également bon toxicologue, nous travaillons
depuis de nombreuses années.
Cette commission sera renouvelée. Elle comprendra 50 personnes dont
36 toxicologues de spécialités différentes. Il y aura
des toxicologues de l'environnement, des spécialistes de la
génotoxicité, de la cancérogenèse, etc. Aussi
lorsque nous donnons des avis, je pense que ce sont des avis.
M. le Président
-
Le glyphosate et le
glufosinate ont-ils été étudiés avec leurs produits
de dégradation par votre commission ?
M. Rico
-
Le glyphosate ne l'a pas
été pour l'instant, puisqu'il n'a pas été
enregistré pour être utilisé sur les plantes
transgéniques.
Le glufosinate vient d'être autorisé, contrairement à ce
que dit M. Séralini, il n'y a pas longtemps et nous l'avons
examiné. Le métabolisme du glufosinate a été
étudié au niveau des plantes.
Il y a un métabolite qui n'est pas particulier mais en plus grande
quantité d'acétylation qui est connu. Ce métabolite a
été testé au plan toxicologique, c'est-à-dire en
toxicité et nous avons tous ces types d'informations.
Le glufosinate est utilisé dans des conditions bien précises avec
des quantités bien données pour traiter le maïs
transgénique. C'est une décision que nous avons prise très
récemment.
M. le Président
-
Vous avez
indiqué que les aliments qui viennent de l'étranger n'ont pas pu
avoir été étudiés.
Les aliments qui proviennent de plantes transgéniques sont soumis
à autorisation et nous savons éventuellement quel a
été le transgène. Les avez-vous
étudiés ?
M. Rico
-
Non, nous ne nous occupons pas de
transgènes.
M. le Président
-
Avez-vous
étudié l'effet du toxique qui correspond à ce
transgène ? Lorsque vous avez un gène de résistance
à un herbicide, étudiez-vous celui-ci ?
M. Rico
-
Oui, lorsque le gène de
résistance a pour objectif de transformer le métabolisme de la
plante, pour en fait transformer le produit.
Nous avons déjà fait les évaluations de toxicologie pour
le glyphosate. Il y a longtemps qu'il est enregistré aux Etats-Unis. En
France il a été étudié au niveau de l'OMS, etc.
Nous avons étudié les produits de transformation du produit sur
la plante non modifiée, fait des évaluations, donné des
limites maximales de résidus dans les denrées en fonction de
toutes les informations que nous avions.
Si nous avons une plante nouvelle qui entraîne des modifications,
c'est-à-dire une plante transgénique, le métabolisme de la
plante nouvelle est étudié avec le produit.
M. le Président
-
Y compris si elle a
été fabriquée à l'étranger ?
M. Rico
-
Un maïs transgénique a
été fabriqué de la même façon en France ou
aux Etats-Unis, c'est la même construction. Nous avons les études
qui sont réalisées en France.
M. le Président
-
Le glyphosate n'est
pas forcément construit de la même façon, est-ce cela que
vous vouliez dire, Monsieur Séralini ?
M. Séralini
-
Nous parlons du Roundup, le
glyphosate est un des composants du Roundup. Il y a peut-être des
composants non identifiés.
En plus il est vrai qu'il peut y avoir des métabolites majoritaires,
mais aussi des métabolites qui se lient à l'ADN et qui sont
difficiles à extraire. Cela complique le travail des commissions et le
long terme pour l'homme, c'est de 20 à 40 ans avec des expositions
multiples.
Une chose qui peut être préoccupante est le fait que nous
développons une politique d'utilisation de ces herbicides au besoin sur
des plantes alimentaires. Le Roundup a-t-il été homologué
pour le soja ?
M. Rico
-
Pour l'instant le Roundup n'a pas encore
été autorisé en France.
M. Séralini
-
Mais nous importons du soja
qui est traité au Roundup. Ce type de question peut se poser.
Nous sommes dans le même cas pour les allergies, pour les herbicides ou
les antibiotiques. Il est difficile d'estimer le risque et il faut prendre des
avis.
Pour les antibiotiques étant donné que c'est un problème
de santé publique, nous disons non. Pour les herbicides le
problème est différent puisque nous avons un
bénéfice sur d'autres herbicides que nous utilisons moins. Il
vaut mieux surveiller les herbicides qui seront davantage vendus. Il faut donc
faire également un réseau de biovigilance, cela veut dire une
traçabilité.
Par exemple pouvons-nous mesurer les résidus du Roundup dans le soja
transgénique importé ? Non parce qu'il est
mélangé au reste. Cela complique donc les études que nous
pourrions faire a priori.
M. le Président
-
Cela veut-il dire
que les études de toxicologie ayant été faites par les
Américains et lorsqu'il y a importation, en aucun cas ces études
ne sont faites au niveau européen ?
M. Rico
-
Lorsque nous avons des dossiers
d'enregistrement de produits, ce sont des produits internationaux.
Nous avons effectivement les firmes Novartis, Bayer ou autres qui nous
fournissent un dossier toxicologique comprenant toute une série
d'éléments ; la liste est longue. Tous les tests
réalisés l'ont été dans des laboratoires qui
peuvent être américains, suisses, éventuellement
français si c'est par exemple Rhône-Poulenc.
Tous ces tests réalisés l'ont été dans
différents pays. Si l'EPA a donné une autorisation pour du soja
qui est en fait du soja transgénique, il est évident qu'en termes
de résidus, l'EPA a étudié les problèmes de
résidus de soja.
Je suis tout à fait sûr que l'EPA - je la connais bien, elle
fonctionne comme nous - a demandé ce type d'information. Par
conséquent si cela a été autorisé, c'est que les
conclusions des toxicologues qui se sont penchés sur ce dossier ont
donné une définition de risques faisant que nous connaissons les
métabolites et que nous pouvons les apprécier.
On me dit que nous ne connaissons pas tous les métabolites.
Effectivement, nous ne les connaissons pas tous, mais certains sont quand
même mineurs.
D'autre part nous avons dit aussi qu'il fallait faire attention, les enzymes
étaient sollicités. Il faut faire très attention lorsque
nous parlons de sollicitation d'enzymes là aussi en fonction des doses.
Les systèmes mis en place au niveau hépatique sont des
systèmes qui ne s'appliquent pas aux substances hydrosolubles. Les
systèmes P450 sont des substances fixant tout ce qui est liposoluble, il
n'y a pas de spécificité.
Les capacités de biotransformation peuvent être
dépassées si vous donnez des doses considérablement
importantes. Si vous donnez des doses trop importantes, les processus de
détoxication sont saturés et vous n'obtenez pas les mêmes
résultats expérimentaux que ceux que vous avez.
La notion de dose est une notion très importante. Il faut savoir que
nous ingérons journellement une quantité astronomique de
xénobiotiques. Il ne faut pas croire que dans notre alimentation il n'y
en a pas. On nous dit que ce sont des xénobiotiques naturels.
Je suis désolé mais ces xénobiotiques naturels ont les
mêmes caractéristiques toxicologiques que ceux de synthèse.
Une publication d'un certain Monsieur Hems vient de sortir, il est une
référence en matière toxicologique, c'est lui qui a mis au
point le test d'Hems pour faire la recherche.
Il vous dit que si vous mesurez dans une tasse de café la
quantité de xénobiotiques qui s'y trouve, dont 19 produits
naturels ont montré des propriétés
cancérogènes sur la souris ou le rat et se sont donc
révélés cancérogènes dans des tests à
long terme, cette quantité correspond à un an d'ingestion de
résidus de pesticides aux Etats-Unis.
J'ai la publication ici, je peux vous la montrer.
Il ne faut pas faire le distinguo entre naturel et non naturel. Les cytochromes
P450 sont là pour trier voir ce qui vient, ce qui est naturel et ce qui
ne l'est pas.
L'alimentation des individus comme celle des animaux varie avec le temps. C'est
pour cette raison que ce système s'est progressivement adapté.
L'alimentation de nos ancêtres n'était pas la même que celle
que nous avons aujourd'hui.
Les bovins consomment des quantités de plantes dans lesquelles se
trouvent de nombreux produits toxiques. Ils ont mis au point un certain nombre
de systèmes de défense. Il ne faut pas oublier que les processus
de détoxication sont quand même faits pour défendre les
individus contre les toxiques qu'ils peuvent trouver dans leur alimentation.
M. le Président
-
C'est un cours de
toxicologie très intéressant, néanmoins il est
intéressant d'avoir de temps en temps des discussions techniques.
Monsieur Gay voulait dire un mot à ce sujet, je voudrais ensuite
donner la parole à Madame Moneret-Vautrin qui a eu beaucoup de
patience et puis peut-être poser une question complémentaire.
M. Gay
-
Je pensais pendant un moment que
Monsieur Rico était un peu humble dans sa façon de
présenter sa compétence et ce qu'il sait sur la toxicologie et
concernant entre autres tous les processus sur lesquels j'ai pris un cours
interne chez Novartis.
Pour tout ce qui est des propriétés cancérogènes,
des métabolites secondaires, tout un travail est réalisé
par les commissions des toxiques. Des études de carcinogenèse
sont faites sur ces substances et sur ces substances activées, ce que
Monsieur Séralini ignore ou ne citait pas.
A part cela, nous avons eu un petit cours de toxicologie et je vais
arrêter, merci.
M. le Président
-
Madame Moneret-Vautrin vous avez tout à l'heure fait une
proposition d'un système de biovigilance en matière d'allergie
qui pourrait être relié au système de veille.
Le ministre est-il favorable à cela ? Nous l'avons
auditionné hier soir et il n'en a pas parlé. Qu'en
savez-vous ? Etes-vous soutenue dans ce projet ?
Pensez-vous de manière plus générale, cela a
été le débat - et Monsieur Séralini,
Monsieur Courvalin et Monsieur Rico en ont parlé - que
tout le système de biovigilance en matière de plantes
transgéniques par rapport à la santé humaine est bien
organisé en France ? Comment faudrait-il l'organiser ?
Mme Moneret-Vautrin
-
Je pense que cette
idée d'allergo-vigilance est effectivement une idée que je lance
après réflexion.
Je vois en effet l'intérêt d'un système bien
organisé comme le réseau "grippe" qui fait remonter des
informations sur un laboratoire spécialisé, comme celui de
pharmacovigilance qui, à mon avis, est moins bien organisé sur le
territoire national avec cette fois une structure centrale de pharmacovigilance
qui l'est parfaitement.
Dans une structure centrale d'agence de sécurité sanitaire, il
faudra prévoir un bureau de risques allergiques qui sera fondé
sur un réseau d'allergo-vigilance qui, lui-même, comportera aussi
bien des laboratoires que des allergologues des centres
spécialisés éventuellement en allergologie
élémentaire, mais également des allergologues tous azimuts
qui pourront dépister les nouveaux risques.
Non, le système n'est absolument pas organisé actuellement et je
crois qu'en matière d'allergo-vigilance, nous n'avons pas de
leçon à prendre de la FDA et nous n'avons pas à avaler
leurs modèles tout crus.
Il faut vous dire que Monsanto a envoyé des experts, - ceux qui
écrivent tous les articles sur le risque allergique et le
dépistage de ce risque et de l'allergénicité -
à de nombreux allergologues un peu spécialisés comme moi
il y a un an. Il y a eu un véritable tour de démarchage
psychologique de ce que nous sommes en droit d'appeler des "leaders d'opinion".
C'est très intéressant de voir, il faut le savoir, que toutes les
personnes qui ont publié là-dessus sont des scientifiques
affiliés à Monsanto. Mes collègues renommés
pédiatres, allergologues comme Sampson, etc., ont tous fait partie
justement à la fois des discussions du schéma de base de la
surveillance et également ensuite des résultats.
Ce qui m'a frappée en étudiant de très près ce qui
a été fait, est d'une part le caractère extrêmement
satisfaisant théorique du modèle, mais en même temps les
questions qui se posent à chaque moyen d'étude proposé.
Ce qui attire mon attention, et je trouve honnête de le dire, c'est que
dans les articles toutes les questions qu'ils se sont forcément
posées comme j'ai pu me les poser, sont éludées. C'est un
magnifique schéma où nous avons l'impression que chaque moyen est
suffisant pour parfaitement voir le problème.
Je n'ai pas grand chose à dire sur l'état actuel des OGM de
première génération où nous sommes en train de nous
battre beaucoup sur le problème des gènes de résistance
aux antibiotiques et évidemment des gènes de résistance
qui codent pour la protéine résistante à l'herbicide.
La raison en est très simple, ce sont des protéines
exprimées de façon très faible, 0,4 % de l'ensemble
des protéines du soja pour le soja résistant au Roundup. Il est
vrai que 0,4 % de l'ensemble des protéines du soja, c'est
infinitésimal pour un allergologue. C'est déjà un argument
puissant de dire que le risque de sensibilisation pourrait être faible.
Ils ont également démontré que c'était
détruit par un modèle de digestion gastrique en 15 secondes.
Il faut savoir que certains allergènes majeurs des aliments sont
parfaitement détruits par la digestion gastrique, mais que lorsque nous
avons la curiosité d'analyser des fragments de ces allergènes
majeurs, curieusement ils ne le sont pas.
Il faudrait peut-être avoir des modèles un peu plus
étudiés de digestion intestinale. Dans les articles ils
développent beaucoup les modèles de digestion gastrique et
pratiquement pas les modèles de digestion intestinale.
Nous voyons bien qu'à chaque point du modèle américain, il
y a une réflexion supplémentaire à apporter. Je pense
qu'avaler tout cru le modèle américain risque tout de même
d'être un peu dangereux pour les OGM de deuxième
génération.
Ne nous faisons pas d'illusions, ces OGM de deuxième
génération sont surtout les OGM à visée
nutritionnelle. Lorsque nous parlons d'enrichir un aliment à
visée nutritionnelle, ce ne sera pas du 0,4 % de protéines,
mais du 4 à 6 %.
Lorsque nous savons qu'actuellement en Australie, nous avons un lupin
transgénique qui, paraît-il marche admirablement bien pour la
croissance des veaux avec une albumine d'une autre espèce et que
bientôt dans l'alimentation humaine, la farine de lupin arrivera
couramment, nous nous disons que dans dix ans cette fameuse farine de lupin
transgénique des veaux risque bien d'être proposée à
l'homme.
Indéniablement il faut prendre des précautions et je trouve qu'il
doit y avoir une discussion sur un modèle européen ou
français, je n'en sais rien, je ne suis pas du tout dans les
sphères dirigeantes. En tant qu'allergologue clinicienne, je
représente un point de vue qui manifestement peut être utile dans
la réflexion sur les moyens d'étude à appliquer.
En ce qui concerne le modèle américain, à chaque niveau,
des questions sont posées.
M. le Président
-
Merci, Madame, je
crois que votre suggestion est importante.
M. Rico
-
Je partage tout à fait l'avis de
Madame Moneret-Vautrin en ce qui concerne les deuxièmes
générations car un problème majeur se posera vraiment.
Je partage tout à fait son avis, nous ne suivons pas nous,
systématiquement les visions de l'EPA. Il m'est arrivé de "jeter"
violemment des toxicologues américains il y a quelques années.
Ces toxicologues venaient me dire que comme l'EPA leur avait donné cette
autorisation, ils ne comprenaient pas qu'en France nous ne la leur donnions
pas. Je leur ai dit que nous n'étions pas Américains et que nous
avions des techniques différentes.
Je voudrais dire qu'il existe une toxico-vigilance agricole qui s'est mise en
place dans différentes régions, qui vise à surveiller en
particulier les agriculteurs.
Dans le fond si nous réfléchissions bien, quelles sont les
personnes véritablement exposées aux pesticides ?
Est-ce que ce sont les consommateurs ? Personnellement je ne le pense pas,
car les concentrations sont faibles et que toutes les études faites
aussi bien aux Etats-Unis qu'en France sur les mesures de résidus dans
les denrées montrent que les limites maximales de résidus ne sont
pratiquement jamais dépassées.
D'autre part c'est fait sur des produits frais, c'est-à-dire qui n'ont
été ni lavés, ni épluchés. Lorsque nous
dosons les pesticides sur une banane, nous les dosons sur la banane
entière, donc lorsque vous enlevez la peau, certains partent, etc.
En revanche je pense et suis persuadé que les agriculteurs sont soumis
à des agressions importantes par les pesticides. Par conséquent
ce sont des témoins, des cibles qu'il faut particulièrement
surveiller pour pouvoir mettre en évidence des effets toxiques qui ne
sont pratiquement pas apparus sur les consommateurs.
M. le Président
-
Monsieur Séralini, vous souhaitiez répondre à
ce qu'avait dit Monsieur Rico tout à l'heure.
M. Séralini
-
Aux Etats-Unis on admet que
le Roundup est toxique pour les agriculteurs, c'est la troisième cause
de maladie liée aux pesticides pour une université
américaine.
Encore une fois je dis que tous les problèmes ne sont pas
résolus. Parler du problème des faibles doses en disant que c'est
la millionième ou milliardième partie d'un kilo, c'est aussi
à ces doses qu'une hormone agit dans l'organisme. Parler d'une
pièce de 50 centimes dans la ville de Paris, il est vrai que c'est
également à cette dose qu'une hormone peut agir dans l'organisme.
Je comprends le souci du réseau de toxico-vigilance agricole auquel fait
allusion Monsieur Rico et je crois que c'est très bien. Des
consommateurs peuvent être cependant aussi exposés aux pesticides.
Nier le fait que les pesticides aient un effet sur la santé est une
chose à laquelle je n'adhère pas. Les pesticides, surtout les
liposolubles, peuvent également s'accumuler dans la chaîne
alimentaire et il y a des pesticides homologués qui ont
été ensuite interdits, y compris dans certains pays comme
l'Allemagne.
Je crois qu'il faut être prudent et mettre en place un réseau de
surveillance pour, une fois que nous avons fait les cultures, une fois que les
produits sont là, doser de toute manière les résidus de
tous ces produits que nous avons aujourd'hui à notre disposition dans
les plantes et aussi dans les animaux qui les ont consommées.
Il me semble que c'est quelque chose qui pourrait très bien être
mis en place, ne serait-ce qu'à travers le Comité de
Biovigilance, le matériel est là pour le faire.
Il y a des précautions à prendre et je suis favorable à ce
qu'on les prenne.
M. Courvalin
-
A propos de la biovigilance, je
voulais indiquer l'expérience que nous avons eue de l'émergence
de la résistance aux antibiotiques chez les bactéries.
Chaque fois qu'un nouveau mécanisme de résistance émerge,
c'est ce qu'on appelle la théorie du périscope. Lorsque vous
voyez un périscope c'est qu'en général il y a un
sous-marin dessous. Lorsque nous détectons un gène de
résistance c'est qu'il est déjà extrêmement
répandu dans la nature.
Depuis vingt ans cela a toujours été le cas. Lorsque nous l'avons
décrit, il l'était souvent aux Etats-Unis quelques mois plus
tard. Le système de surveillance biologique est donc toujours
extrêmement en retard sur ce qui se passe, c'est souvent beaucoup trop
tard.
Par ailleurs à propos de la réunion de Talloires, vous avez
cité Abigaël Saliers, cette réunion était
organisée par l'université à Boston et était
financée par Novartis ou Roche, entreprise suisse qui fait des
transgènes. Ceci ne veut pas dire que les conclusions sont fausses, mais
je crois qu'il faut le dire.
M. le Président
-
C'était
Antoine Danchin qui la présidait.
M. Courvalin
-
Oui, il était là.
Enfin Philippe Gay disait qu'un étudiant qui fait une culture de
20 ml au laboratoire générait plus de gènes que...
M. Gay
-
...de potentiel de dissémination.
M. Courvalin
-
...plus de potentiel de
dissémination que le maïs.
Il faut bien savoir que dans les laboratoires nous sommes tenus de
stériliser nos cultures avant de les jeter. Tout passe à
l'autoclave alors que là ce sont des gènes qui sont
disséminés dans la nature. Il y a donc gènes et
gènes et il faut absolument comparer l'environnement et l'utilisation
que nous faisons des gènes.
Je voudrais poser une question au président.
Je ne suis pas député de l'actuelle majorité, personne
n'est parfait, je ne suis pas non plus député de l'opposition,
personne n'est totalement imparfait...
M. le Président
-
Cela peut venir.
M. Courvalin
-
Je ne sais pas comment je dois le
prendre.
Il est strictement interdit aux chercheurs académiques de mettre un
gène de résistance dans une espèce qui ne le
possède pas. Je voudrais savoir pourquoi les chercheurs de l'industrie
étrangère ont le droit de faire ce genre de manipulation et
pourquoi les lois de la République ne s'appliquent pas également
aux chercheurs académiques et à ceux de l'industrie.
M. Gay
-
J'ai lu une référence dans
l'article de Monsieur Courvalin dans "La Recherche" que je vous
conseille de lire car il contient toute l'argumentation pour et contre. Il
suffit de le lire vraiment sérieusement car cet article contient
beaucoup d'informations.
Dans cet article, il est fait référence à une publication
sur un
acinetobacter
. J'ai mis mon nez dans cette publication et j'ai vu
que nous avions construit une souche d'
acinetobacter
contenant le
gène de résistance à la kanamycine par conjugaison avec un
plasmide d'une autre bactérie.
Attention, certaines personnes enfreignent la loi,
Monsieur Courvalin !
M. Courvalin
-
La résistance à la
kanamycine a été décrite chez un
acinetobacter
, ce
n'est donc pas un nouveau gène que nous mettons dans une bactérie
qui était toujours sensible.
Par exemple, nous n'avons absolument pas le droit de mettre une
pénicillinase chez le pneumocoque ou d'autres choses du même genre
car l'espèce est toujours sensible. Dans le cas de
l'
acinetobacter
, la résistance à la kanamycine est banale,
il n'y a donc pas eu introduction d'un gène nouveau dans une
espèce qui était constamment sensible.
La question que je pose est la suivante : comment se fait-il que les
chercheurs industriels aient le droit d'introduire un gène dans une
espèce qui ne l'a jamais possédé ?
M. le Président
-
L'introduction se
fait suivant la loi des différents pays où cela a
été introduit. L'introduction de ces gènes ensuite se fait
après avis de commissions nationales.
M. Courvalin
-
La loi n'est pas la
même !
M. le Président
-
Là
l'introduction était déjà faite et ensuite la Commission
du Génie Biomoléculaire a autorisé effectivement
l'introduction de ces gènes.
M. Courvalin
-
C'est une loi à deux
vitesses.
M. le Président
-
Pour toute
introduction, vous êtes soumis à autorisation.
M. Courvalin
-
J'ai été dans la
Commission de Génie Génétique pendant plus de dix ans,
pour nous c'est strictement codifié. Par exemple je ne peux pas mettre
la résistance à la vancomycine chez le pneumocoque. C'est
très codifié.
D'un point de vue conceptuel, mettre un gène de résistance
à l'ampicilline dans le maïs ou à la kanamycine dans la
tomate ou le coton, c'est pareil, c'est introduire un gène de
résistance dans une espèce qui en a toujours été
dépourvue.
C'est en ceci que je dis encore une fois ce n'est pas de la
bactériologie et c'est pour cela que je plaisantais sur le fait que je
ne suis pas député de la majorité, je sors de mon domaine,
mais cela a attiré mon attention en tant que chercheur.
M. le Président
-
C'est une bonne
question mais nous n'allons peut-être pas la poser maintenant car M.
Claude Allègre est déjà là.
Merci beaucoup en tout cas, Madame et Messieurs, pour cette table ronde,
après les auditions des ministres tout à l'heure nous essayerons
de faire le bilan de ces six tables rondes, je crois que cela a
été très intéressant.