L'utilisation des organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation

LE DRÉAUT (Jean-Yves), Député, Président de l'Office ; REVOL (Henri), Vice-Président

RAPPORT 545 (97-98), Tome 2, Partie 1 - OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

Table des matières




AUDITIONS PUBLIQUES DU JEUDI 28 MAI 1998

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut.

Table ronde IV : Information du consommateur

Etiquetage, traçabilité, sécurité alimentaireTABLE RONDE IV : INFORMATION DU CONSOMMATEUR, ETIQUETAGE, TRAÇABILITE, SECURITE ALIMENTAIRE

M. le Président -
Je vous remercie d'être présents à cette heure matinale et je remercie les intervenants de cette quatrième table ronde puisque, hier, nous avons eu une table ronde sur :

- les enjeux agricoles,

- les enjeux en matière de recherche,

- la réglementation, l'expertise et le contrôle.

Nous avons également auditionné trois ministres (Madame Lebranchu, Monsieur Le Pensec et Monsieur Kouchner) et nous en auditionnerons deux ce soir : Monsieur Allègre et Madame Voynet.

Nous avons souhaité avoir une table ronde sur l'information du consommateur : étiquetage, traçabilité, sécurité alimentaire.

C'est un des problèmes majeurs puisque, depuis un certain nombre de mois, ce thème donne lieu à de grandes controverses sans que des solutions ne se dégagent de façon nette et certaine.

Comme vous le savez une réglementation a été édictée au niveau européen, mais n'a pas été appliquée jusqu'à ces jours-ci, faute de précisions concernant un certain nombre de définitions et parmi celles-ci la fameuse notion d'équivalence en substance.

Cela a évolué avant-hier. Nous allons parler de ce problème d'étiquetage avec la nouvelle réglementation qui vient d'être édictée ; nous en avons déjà parlé avec Madame Lebranchu hier soir.

Savoir s'il est nécessaire ou non d'étiqueter les aliments issus des plantes transgéniques, suscite des prises de position passionnées. Je reviens des Etats-Unis où j'ai discuté avec les Américains qui y sont totalement opposés.

Aux Etats-Unis, il n'existe aucun étiquetage particulier dans la mesure où, disent-ils, ces aliments sont considérés par la Food and Drug Administration comme semblables aux aliments classiques.

Un certain nombre de pays européens ont pris des initiatives comme les Pays-Bas et la Grande-Bretagne et, à l'extérieur de l'Union Européenne, la Confédération Helvétique.

L'étiquetage entraîne un autre problème qui a été posé hier par l'intermédiaire de plusieurs questions dans la salle. Il s'agit du problème de la traçabilité qui semble difficile à mettre en oeuvre en raison de la grande technicité des méthodes et de leur coût.

Nous devrons également nous prononcer sur l'existence ou non de seuils.

Cela a également fait partie du débat d'hier soir et semble indispensable non pas pour rassurer, mais pour régler et s'exonérer d'un certain nombre de problèmes juridiques qui se sont déjà posés.

Nous aurons l'occasion de parler tout à l'heure du fait s'il faut ou non un seuil si on veut éviter des difficultés importantes.

Se posera également la question de la mise en place de filières séparées de production d'aliments avec le problème - les associations de consommateurs m'ont saisi de cette question - des coûts inhérents à ce type d'organisation surtout dans les marchés de masse comme ceux des grands produits agricoles.

Voilà un certain nombre de questions posées, il y en aura d'autres.

Je vous rappelle que pour les tables rondes, nous avons réussi à fonctionner avec des questions que vous posiez. A partir du moment où en tant que rapporteur, j'aurai posé un certain nombre de questions, je donnerai la parole à la salle.

Je vous présente les intervenants. Sur votre droite, c'est-à-dire à ma gauche, vous avez :

- Monsieur Eric-Marie Boullet, directeur des relations extérieures de Nestlé France, il nous dira comment se passe l'étiquetage dans le groupe ; vous nous avez annoncé dans les auditions un produit Findus dont vous nous parlerez ;

- Monsieur Didier Marteau, secrétaire général adjoint de la FNSEA qui suit le dossier OGM ; nous avons eu l'occasion de le rencontrer à l'Office également dans le cadre des auditions ;

- Madame Nicole Zylbermann, chef du bureau "Sécurité"  à la DGCCRF, à la consommation et à la répression des fraudes ; elle a également été auditionnée et nous indiquera quel est le point en matière de réglementation aujourd'hui ;

- Monsieur Michel Edouard-Leclerc, co-président des centres distributeurs Edouard Leclerc ;

- Madame Marie-José Nicoli, présidente de l'UFC Que Choisir ;

- Monsieur Jean-François Molle, directeur général de la Sécurité alimentaire, de la réglementation et de l'environnement du Groupe Danone.

La règle du jeu, Mesdames, Messieurs, est claire. Pour que le débat puisse avoir lieu, il faut absolument vous limiter à cinq minutes de présentation. Ce sont des contraintes parlementaires, mais on peut dire beaucoup de choses en cinq minutes.

Vous aurez de nouveau la parole, il ne faut donc pas vouloir tout dire dans un premier temps. Cinq minutes de présentation initiale, après il y aura des questions et vous pourrez vous exprimer à nouveau.

Qui ouvre le feu ?

Madame Nicoli, je vous donne une minute de plus puisque vous avez accepté de commencer.

Mme Nicoli - Simplement, je crois que la position de l'UFC est une position de bon sens.

Il est normal aujourd'hui avec tout ce qui se passe dans l'actualité du point de vue alimentaire ou même des dossiers concernant directement notre santé, de vouloir être rassuré, protégé, défendu et informé.

En préliminaire, je dirai que l'UFC n'est a priori pas opposée aux OGM. Nous avons l'habitude depuis 40 ans de travailler et de voir évoluer toutes les nouvelles technologies, nous pensons que l'agriculture doit aussi en profiter sauf que cela concerne directement l'alimentation.

L'alimentation est quand même un acte banal et quotidien qui, dans la mesure où il est soumis au libre choix des consommateurs, demande à être encadré très en amont pour que ce produit arrive sur le marché comme un produit sûr.

Le problème aujourd'hui pour les consommateurs, en tout cas pour l'UFC qui ne se place ni d'un point de vue éthique ni d'un point de vue philosophique, est d'obtenir un maximum d'information et une bonne traçabilité pour exercer nos droits fondamentaux que nous revendiquons depuis 1962 : ce sont des droits à l'information et au libre choix.

Je crois que ceci doit être défendu par tout le monde. Même lorsqu'on a une fonction différente dans la société, si on est industriel, ou autre, on doit défendre le droit, le libre choix de pouvoir prendre dans un magasin l'aliment que l'on veut et ne pas laisser à d'autres le choix de décider ce qui est bon pour nous ou pas.

Ce libre choix est important et l'étiquetage qui va avec est également extrêmement important.

L'étiquetage peut paraître comme une demande primaire de la part du consommateur, mais c'est la précaution que l'on doit avoir si, dans dix ans par exemple, des maladies se déclarent et qu'il faut faire des recherches sur les causes.

Nous savons aujourd'hui que l'alimentation, les mauvaises habitudes alimentaires sont parfois la cause d'un certain nombre de maladies. Il faut que l'on puisse retrouver et tracer le produit jusqu'à son origine pour pouvoir rechercher si c'est une des causes des maladies qui viendront dans les années à venir.

En ce qui concerne les outils à mettre en place, en premier je crois que c'est le principe de précaution.

Le doute doit évidemment être favorable au consommateur et un industriel n'a pas le droit de mettre sur le marché un produit s'il y a un doute au niveau de la sécurité.

On a parlé de traçabilité. De celle-ci, on peut dire aujourd'hui que le débat sur l'ADN, sur les protéines, ne nous convient pas complètement. Nous pensons que la traçabilité doit se faire de manière croisée, en priorité avec des éléments comptables.

Lorsque le fisc a envie de remonter et d'épingler tout le monde, il reprend tous les éléments comptables des différents opérateurs. Dans une filière les opérateurs se succèdent, ils ont entre eux des factures, des documents qui permettent de remonter à la source.

Nous demandons que l'on puisse tracer le produit jusqu'à son origine.

Actuellement, dans la décision qui a été prise mardi par le Conseil des Ministres, il y a un point positif, c'est-à-dire le "peut contenir" qui est écarté.

Mais contient ou ne contient pas, aujourd'hui on en est au même point : on n'a toujours rien comme réglementation et on a un marché qui nous a rattrapé. Nous savons tous que tous les jours les animaux d'élevage mangent des tourteaux de soja transgénique.

C'est évident car nous sommes consommateurs en priorité et en majorité de soja transgénique venant des Etats-Unis en particulier, donc d'importation.

En France il y a une culture d'à peu près 60 000 ha de soja traditionnel et il serait intéressant de demander où va ce soja traditionnel. 60 000 ha représentent quand même une certaine quantité, où vont-ils ?

Vont-ils au biologique ? Vont-ils aux produits pour bébé ? Vu le coût de cette filière, est-ce mélangé au reste du soja d'importation qui est du soja transgénique ?

Aujourd'hui la réglementation ne nous sert pas à grand chose. Même lorsqu'elle sera mise en application, nous nous rendrons compte que peu de produits seront étiquetés car, pour l'instant, la lécithine est un additif qui n'est pas concerné par la réglementation.

On nous dit qu'il y aura une réglementation future. S'ils mettent autant de temps pour la mettre en application que ce qu'ils ont fait jusqu'à maintenant, nous en mangerons allègrement depuis longtemps.

Nous pouvons nous demander si l'objectif n'est pas tout de même de faire en sorte qu'avec les produits transgéniques on mette le consommateur devant le fait accompli ce qui est le cas aujourd'hui.

Cela paraît un peu dérisoire de demander une traçabilité et un étiquetage, mais il est vrai aussi que, dans les années à venir, nous allons avoir des produits transgéniques de toute sorte.

Lorsqu'on aura vingt maïs avec des gènes marqueurs différents ou par exemple un melon avec un gène marqueur à base de poisson ou de crustacé, si vous êtes allergique aux crustacés, aux poissons, vous ne penserez sûrement pas au melon si jamais il faut faire des recherches ; il faut donc cette information.

Cette information peut passer par autre chose que de l'étiquetage, elle peut passer par des banques de données alimentaires où on aurait la composition complète des ingrédients d'un produit. Plus les produits sont sophistiqués et industrialisés, plus ils contiennent d'ingrédients différents qui ne pourront pas être marqués sur un étiquetage.

Ce serait fait en respectant les formules pour la concurrence comme cela se fait pour les centres antipoison. Ils ont toutes les formules des produits dangereux, qui ne sont pas données au grand public. Mais lorsqu'un enfant ou un adulte est agressé par un de ces produits, le centre antipoison a la formule et peut immédiatement donner l'antidote pour essayer de pallier au mieux les conséquences.

Aujourd'hui, en particulier en France, à l'heure actuelle un test a lieu et l'UFC y sera très attentive, je l'ai dit plusieurs fois, il s'agit du maïs.

En ce qui concerne le soja, je ne veux pas être pessimiste, mais il relève de relations internationales et je pense que nous sommes très faibles dans ces relations. Que ce soit l'Union Européenne ou les états membres, nous subissons la pression et le "diktat" des Américains.

Cela veut dire que le soja restera mélangé et que ce n'est pas demain la veille que nous aurons des cargos avec des fèves de soja triées. Ceci veut dire qu'il nous faudra faire avec.

Pour le maïs en revanche, il y a une récolte en train de pousser, entre 1 000 et 5 000 ha, il faudra savoir exactement combien il y en a. Si on multiplie par 6, cela veut dire entre 6 000 et 30 000 tonnes de maïs transgénique.

Où ira ce maïs ? Qui prendra la responsabilité éventuelle de le mélanger au reste du maïs traditionnel ce qui serait bien dommage ?

Si c'est le cas, l'UFC n'aura plus cette position relativement raisonnable que nous avons jusqu'à maintenant où nous acceptons de discuter et de rencontrer toutes les personnes de la filière.

Nous voulons que, pour ce maïs, on fasse un exemple et qu'on fasse une filière à part. Parler d'étiquetage, de traçabilité est tout à fait inutile et d'un ridicule consommé si on n'a pas des filières différentes.

Si on n'a pas le choix entre des produits OGM et des produits non-OGM, à quoi cela sert d'étiqueter et de tracer ? Cela ne sert strictement à rien, on nous mène en bateau et, pour nous, cela n'a aucun intérêt.

Avoir demain tous les produits à base de soja transgénique marqués soja transgénique , cela nous fait une belle jambe, on s'en moque éperdument si on n'a pas la possibilité d'avoir une filière à part.

C'est en gros ce que je voulais vous dire.

M. le Président - Qui veut réagir ?

M. Marteau - Pour l'agriculture il faut faire une distinction entre l'amont et tout ce qui sera aval après l'utilisation de nos produits.

En amont, nous n'avons pas de refus, d'a priori contre l'utilisation d'OGM, même si nous émettons toutes les réserves d'usage qui portent sur la sécurité pour la santé, l'environnement. Il est important de le rappeler, même si cela paraît évident.

D'autre part, en matière de recherche, il est important que la France et même l'Europe, garde un certain potentiel pour que nous ne soyons pas complètement dépendants de pays, voire de groupes, qui aujourd'hui, on l'a vu encore depuis quinze jours, la monopolisent. Ceci nous fait un peu peur et nous mettrait dans une position de dépendance catastrophique.

C'est un deuxième point important sur lequel j'insiste et sur lequel l'ensemble de la profession que je représente insiste également.

Le troisième point qui me permettra de faire le lien avec l'aval, est l'exigence en matière de sécurité que nous plaçons au niveau de la traçabilité. Il est facile de la réaliser au niveau de l'agriculture, cela concerne des champs qui sont bien identifiés.

Ce n'est pas seulement la volonté d'un seul secteur du maillon de la chaîne, mais il faut essayer de trouver un consensus avec l'ensemble de la filière. Depuis que j'ai la responsabilité de ce dossier, la volonté est de trouver un consensus sur l'ensemble de la filière avec l'ensemble des partenaires professionnels.

On parle souvent de "la fourche à la fourchette" et si je dis fourchette, il s'agit des consommateurs. Il me semble important que nous puissions avancer ensemble sur ce dossier et je salue le travail de rapprochement fait au CNC. Même si tout n'a pas été parfait, si on n'a pas obtenu l'accord total de l'ensemble des consommateurs, il y a eu des avancées certaines et je voulais le saluer.

Pour me résumer et intervenir plutôt sur la partie filière aval, il faut prendre acte des décisions de lundi et mardi et les saluer. Même si elles ne sont pas parfaites, c'est une bonne avancée qui marque une volonté des ministres de prendre leurs responsabilités face aux propositions de la Commission qui ne convenaient pas du tout.

C'est une bonne chose, cela va dans le bon sens, mais il ne faut pas s'arrêter là, il faut continuer car il y a malheureusement encore un certain nombre de points d'ombre.

Parmi les points positifs il y a le fait qu'une position a été prise ce qui n'était pas évident. C'est aussi un peu un succès démocratique car ce sont les politiques qui ont pris leurs responsabilités.

Le contenu qui aurait été susceptible d'être retenu, ne l'a pas été et il fallait le faire admettre par l'ensemble des professionnels.

La dernière chose est qu'il y a la liste, mais je vais y revenir.

En revanche il y a des points d'ombre sur lesquels je vais peut-être insister pour dire qu'il faut continuer à travailler.

Le premier point concerne les seuils. Dans la profession, étant les premiers à l'avoir souhaité, tout le monde est d'accord sur le fait qu'il faut essayer de se mettre d'accord sur un seuil. Aujourd'hui on n'est pas encore capable de définir, d'établir ce seuil.

En tout cas il y a la volonté d'avoir un seuil qui permette d'"accepter à la marge" les mélanges ou les pollutions, peut-être même simplement des pollinisations. Ce seuil doit être travaillé, il est souhaité par tous de façon à arriver à une solution raisonnée, raisonnable.

La pire des choses serait de refuser ce seuil car cela obligerait tout le monde à marquer et donc à banaliser les produits OGM, ce qui serait le meilleur moyen d'enterrer le dossier.

Le deuxième point est l'intention d'éviter toute distorsion de concurrence. Aujourd'hui il n'est pas question et nous insistons bien là-dessus, qu'une position politique soit prise sur nos produits au niveau national voire européen et que rien ne soit fait sur les produits importés.

J'insiste beaucoup là-dessus, nous devons être traités à équivalence, on nous le rappelle assez souvent dans notre réglementation à venir dans les politiques agricoles communes par rapport aux politiques américaines. Ce dossier doit être un exemple : pas de distorsion de concurrence, même réglementation pour tout le monde !

Le troisième point porte sur le contenu de la liste.

Nous n'avons pas les produits, mais qu'il y ait une liste positive de choses que nous marquons ou non est important, nous le saluons également.

Pour nous la traçabilité est importante, c'est une chance pour nous, agriculture, pour toute la filière, de jouer la transparence et notre volonté de communication de transparence par rapport au consommateur et au citoyen.

Nous sommes capables de le faire, nous devons relever ce défi, la profession en a bien pris acte. Pour nous la meilleure solution, la moins coûteuse par rapport à des analyses d'un coût énorme, c'est d'insister beaucoup sur la traçabilité.

Là aussi il faudra faire des progrès, des efforts, ce sera peut-être un coût, mais en matière d'étiquetage et d'information, car cela dépasse largement les OGM, c'est une bonne chose. Et si cela peut être le moyen de l'imposer, ce sera parfait.

Le quatrième point est la mise en place d'une instance qui permette de suivre au quotidien tous ces dossiers, toutes ces questions qui se poseront. Madame Lebranchu en a parlé hier, elle a dit qu'elle était d'accord pour le faire et la créer au niveau du CNC.

Peu importe où elle sera créée, le principal est que cette instance soit mise en place et qu'elle permette d'étudier tout ce qui touche à la traçabilité, l'étiquetage, etc.

Le cinquième point est de traiter une filière non-OGM comme il y a aujourd'hui des filières biologiques ou autres.

Il faut que cela puisse être une niche à valorisation avec des normes, un cahier des charges très strict qui puisse permettre de traiter demain de façon bien identifiée les produits que certains consommateurs souhaitent utiliser puisque sans OGM. Il faut donc que ce soit une filière bien identifiée.

Pour en finir et essayer de respecter mes cinq minutes, je regretterai quand même que si une réglementation "Nouveaux aliments" évolue, il n'y ait rien en matière de réglementation concernant l'alimentation animale.

Il nous paraît en effet aussi important que l'information soit faite pour le consommateur que pour l'éleveur qui doit savoir demain ce qu'il utilise.

S'il y a peut-être quelque réticence des agriculteurs - Madame Nicoli a terminé là-dessus et il est vrai que nous sommes plus près de 2 000 ha que de 5 000 ha semés en maïs - c'est peut-être parce qu'il y a une pression énorme.

L'agriculteur, souvent accusé à tort comme hier sur la dioxine ou avant-hier sur la vache folle, est très prudent aujourd'hui dans ce qu'il fait, ce qu'il utilise et dans la façon dont il peut être accusé demain alors qu'il n'en est pas responsable.

Merci de votre attention.

M. le Président - Monsieur Molle a demandé la parole.

M. Molle - Je voudrais intervenir sur deux points :

- la qualité du débat public d'abord,

- le lien entre traçabilité, filière et étiquetage ensuite.

En ce qui concerne la qualité du débat public, même si, aujourd'hui et grâce à ce genre d'initiative, nous progressons, elle est très moyenne ce qui est dommage.

Nous avons deux exemples en Europe aux deux extrémités : la Suisse et la Hollande.

Le débat public en Suisse en ce moment à quinze, dix jours du vote est d'une qualité franchement mauvaise.

Les pour et les contre sont : d'un côté des menaces de délocalisation, c'est-à-dire que si les citoyens ne votent pas en faveur du génie génétique toute la recherche s'en va, toutes les grandes industries s'en vont, c'est une sorte de chantage ; de l'autre côté c'est : le génie génétique donne en principe le cancer généralisé, à peu de choses près.

C'est cela qu'il faut éviter. En France, nous sommes à peu près au milieu. Nous avons encore des arguments éculés, cela fait cinq ans que nous tournons autour de toutes ces histoires de noix du Brésil, d'allergies, etc.

A l'autre bout, vous avez la Hollande qui, il y a trois ans, sans faire de bruit, a commencé à avoir des groupes d'échanges entre pouvoirs publics, industriels, associations de consommateurs, associations écologistes. Finalement ils ont fait le tour des difficultés et se sont mis d'accord sur une approche.

En France, je pense que nous sommes capables d'avoir des lieux où l'on mette de l'intelligence de façon préventive dans des débats qui seront forcément de plus en plus compliqués.

Nous l'avons déjà fait à une certaine époque, à la fin des années 80, je pense à l'initiative sur le PVC avec les associations écologistes, entre les minéraliers et les producteurs de PVC. Même s'il y avait des problèmes avec le PVC, nous avions abordé la réalité de ces problèmes.

Je crois qu'à l'avenir il est important dans notre secteur alimentaire où le consommateur est inquiet, de mettre en place des lieux où l'on pourra agir de façon préventive.

Ce n'est pas facile car lorsque le problème est froid, il n'intéresse pas grand monde et lorsqu'il est chaud, que la crise est là, tout ce que peuvent dire les différents partenaires du débat est décrédibilisé. Il faut donc trouver un équilibre entre les deux.

En ce qui concerne la traçabilité, la filière, l'étiquetage, le génie génétique intervient dans nos produits alimentaires à quatre niveaux. Dans l'ordre sinon d'importance, mais de logique vous l'avez dans :

- la nourriture animale (tourteaux de soja, corn gluten feed ),

- les enzymes alimentaires, la plupart d'entre eux sont produits de façon exclusive à partir de micro-organismes modifiés génétiquement,

- les ingrédients eux-mêmes, maïs et soja aujourd'hui,

- des produits eux-mêmes à très court terme, oui, il y aura des melons modifiés génétiquement, etc.

La difficulté est que l'utilisation du génie génétique est relativement inodore et sans saveur dans de nombreux produits. Or le rêve du consommateur que l'on comprend bien aujourd'hui, est qu'on l'informe sur l'origine des produits puisqu'il se méfie du génie génétique.

Même si le résultat final est strictement identique, cela impliquerait que nous ayons effectivement deux filières totalement séparées depuis les champs, les étables, les fabricants d'enzymes, les fabricants industriels et même les distributeurs. Autrement dit, dans un point de vente vous auriez un quasi-doublement des références ce qui devrait poser un certain nombre de difficultés.

Nous pouvons obtenir ces deux industries alimentaires complètement étanches entre elles, celle qui a recours au génie génétique pour la nourriture animale, les enzymes, les ingrédients et les produits, à ce moment-là c'est clair ce sera une nourriture modifiée génétiquement alors que l'autre sera totalement exempte de tout recours au génie génétique.

Mais qu'arrivera-t-il si nous n'obtenons pas ces deux filières et que nous n'arrivons pas à imposer aux Américains, ce qui est plus que probable, la récolte séparée du soja ? Si je prends le Groupe Danone, nous utilisons l'équivalent de 4 000 tonnes de soja par an sur une production mondiale qui dépasse les 100 millions de tonnes. Nous pouvons monter sur la table et faire une crise nerveuse, l' American Soybean Association risque d'être assez impavide.

Nous n'obtiendrons donc effectivement pas cela ; à ce moment-là, si nous voulons savoir jusqu'au dernier millionième de base de gènes s'il y en a dans le produit final, que va-t-il se passer ?

Nous en trouverons absolument partout. L'augmentation de la transparence demandée légitimement par le consommateur, en l'état actuel des choses, va malheureusement de pair avec une diminution du choix.

Devant l'imprécision des textes réglementaires en matière d'étiquetage, d'une part pour ne pas se faire accuser de volonté de cacher des choses alors que nous avons tout à fait confiance dans la sécurité des produits et d'autre part comme il y a un principe de liste négative sans qu'il n'y ait rien dedans puisqu'il y a un seuil qui n'est pas défini et que les méthodes d'analyse quantitatives ne sont pas prêtes, la tentation est forte dans l'industrie finalement d'en arriver à une situation où on considérera qu'il n'y a ni liste négative, ni seuil.

Le bilan est que sur un linéaire de biscuits, sur 150 références, 150 seront étiquetées et que les consommateurs seront furieux. Ils diront que les industriels se sont entendus entre eux pour que, au jour J, tout le monde étiquette et que cela ne devienne plus un élément compétitif sur le marché.

Vous voyez que ce sont des débats compliqués et que finalement l'attitude des industriels consistant à dire qu'ils étiquetteront lorsque le produit sera différent, n'est peut-être pas si stupide que cela.

M. le Président - Qui souhaite maintenant s'exprimer ?

Madame Zylbermann, vous allez donner l'avis de l'administration.

Mme Zylbermann - L'administration n'a pas d'avis, elle applique la réglementation, elle l'élabore avec d'autres et elle la contrôle.

Je voudrais revenir un peu sur la définition de certains termes, on parle beaucoup d'OGM et en fait on n'a pas souvent affaire à eux.

Il y a effectivement des organismes génétiquement modifiés, mais ce dont nous parlons beaucoup depuis hier sont en fait les produits dérivés de ces organismes génétiquement modifiés.

Une chose est sûre : les organismes génétiquement modifiés stricto sensu doivent être étiquetés clairement et ce depuis le Règlement "Nouveaux Aliments" de janvier 1997, là au moins une chose est claire.

Si nous discutons beaucoup depuis quelque temps, c'est sur les produits dérivés qui ne sont plus des OGM et sur la non-équivalence substantielle puisque c'est elle qui devait servir de base à l'étiquetage.

Il faut dire aussi que le texte qui était en discussion depuis si longtemps ne concerne que deux variétés végétales qui sont un soja et un maïs. Ce texte était important car les principes y figurant serviront à l'avenir à la définition des étiquetages des produits futurs.

Le Règlement "Nouveaux Aliments" prévoit une autorisation au cas par cas pour les organismes génétiquement modifiés qui seront mis sur le marché. A cette occasion on définira l'étiquetage qui va avec l'OGM ou ses produits dérivés puisque pour l'OGM l'étiquetage est relativement clair.

Par ailleurs on parle beaucoup des Américains. Il se trouve que je reviens également des Etats-Unis et je n'ai peut-être pas tout à fait la même vision des Etats-Unis que Monsieur le Président.

J'ai rencontré des Autorités américaines mais également des organisations de consommateurs. Finalement si nous regardons la position de la France il y a quelques années, nous ne pouvons pas dire que les délégations françaises dans les instances diverses poussaient tellement pour un étiquetage très détaillé.

Nous avons évolué car les consommateurs français se sont exprimés et ont exprimé un désir très net d'information. Nous pouvons peut-être imaginer que les Américains feront de même.

On m'a cité une enquête auprès des consommateurs américains signalant que 80 % des consommateurs américains voulaient un étiquetage des organismes génétiquement modifiés et sans doute des produits dérivés.

Certes la délégation américaine dans les instances internationales continue à défendre sa position : ils ne veulent pas d'étiquetage sauf s'il y a une différence sur le produit et un intérêt en matière de sécurité publique, mais qui nous dit qu'elle n'évoluera pas ?

Il ne faut pas non plus s'arc-bouter sur le fait que les Américains sont contre un étiquetage, les choses peuvent évoluer.

Je voulais également parler un peu de ce qui se passe au plan international car hier nous avons parlé du Codex , de l'OMC. Dans le cadre de l'OMC, il faut rappeler que ce qui sert de base dans la résolution des conflits sont les normes internationales et, dans le cadre alimentaire, ce sont celles du Codex Alimentarius .

Dans ce domaine est actuellement en négociation une norme générale sur l'étiquetage. Il se trouve que cette semaine, la négociation est en cours au Canada et qu'est abordé pour la énième fois le sujet de l'étiquetage des produits issus des biotechnologies.

Les Américains vont effectivement défendre leur position qu'il n'y ait pas d'étiquetage, les consommateurs qui sont observateurs vont essayer de faire plier les Américains et ils n'y arriveront sûrement pas.

M. le Président - Donc vous êtes bien d'accord avec ce que je disais.

Mme Zylbermann - Non, nous sommes dans un cas de négociation, nous n'avons pas encore abouti.

M. le Président - La position des officiels américains est bien qu'ils ne souhaitent pas d'étiquetage.

Que les consommateurs veuillent l'évolution, nous sommes bien d'accord puisque vous le voyez dans un sondage, mais la position officielle aujourd'hui est qu'ils ne souhaitent pas d'étiquetage.

Mme Zylbermann - Oui aujourd'hui, mais si vous m'aviez demandé la position officielle française il y a trois ans, je vous aurais peut-être dit qu'on ne voulait pas étiqueter.

M. le Président - Oui, mais on l'a fait changer.

Mme Zylbermann - Peut-être que les Américains changeront aussi car ils sont en train de se rendre compte qu'ils ne sont pas tout seuls sur le marché, qu'il y a des Européens et j'ai bien ressenti ceci au cours de mes contacts.

Il faut arrêter de se dire que nous sommes dans un contexte de commerce international et que nous devrons plier devant la position américaine, je crois que nous sommes dans le cadre de négociations et que les choses peuvent évoluer.

Je voudrais aussi rappeler que l'étiquetage des produits dérivés (du soja et de cette variété de maïs) est obligatoire depuis le 1er novembre 1997. Il ne faut donc pas que les professionnels continuent à dire qu'ils attendent que l'administration prenne position.

Les professionnels français ont pris une position en interne en décembre 1997, les administrations françaises, que ce soit le Ministère de l'agriculture ou celui chargé de la consommation ont invité les professionnels français à étiqueter en fonction des règles qu'ils s'étaient données en estimant que c'était déjà un premier pas.

Je crois qu'il y en a au moins un à cette table qui a mis en pratique ces règles internes que s'est donnée la profession française. Ceux qui ne l'ont pas fait, je pense qu'ils font peut-être preuve d'un peu de mauvaise foi, et je pèse mes mots.

Ceci dit, l'administration partant du principe que les règles d'étiquetage étaient en vigueur depuis le 1er novembre, a entrepris des contrôles et nous verrons ce que cela donnera.

Le contrôle est effectivement très difficile. Il y a bien sûr la traçabilité, mais ce n'est pas tout et les documents ne sont pas toujours suffisants pour prouver un certain nombre de choses.

En cas de contrôle, nous voyons - il y a actuellement quelques problèmes commerciaux entre la France et l'Allemagne sur certains produits - des documents, des certificats montrant que des analyses ont été faites et que la matière première utilisée n'était pas OGM alors qu'un autre laboratoire constate, lui, que la matière première contient de l'ADN transgénique.

Si vous voulez les choses ne sont pas simples, même avec des documents.

Concernant les méthodes d'analyse, nous sommes impliqués dans le cadre d'un réseau de laboratoires pour mettre au point les méthodes d'analyse. Les choses ne sont pas simples et il faut bien voir qu'actuellement il n'existe pas de méthode qui soit validée par des essais inter-laboratoires.

Lorsque des résultats paraissent dans la presse, ils valent ce qu'ils valent et ils ne sont parfois pas confirmés par d'autres laboratoires. Il faut donc être extrêmement prudent lorsqu'on annonce des résultats.

Actuellement un certain nombre d'études sont en cours soit au niveau national entre les laboratoires de la répression des fraudes, de l'INRA, du GEVES et des experts de l'agronomie, soit au plan européen par des essais inter-laboratoires.

L'AFNOR va également se lancer dans ce travail, notamment pour voir un peu pourquoi des laboratoires différents trouvent des résultats différents avec des mêmes échantillons. Si vous voulez les choses ne sont pas simples et lorsqu'on parle de seuil, cela va encore les rendre plus complexes.

Non seulement il faut une méthode qui détecte l'OGM et les produits dérivés s'il y a quelque chose à trouver, mais il faut en plus qu'elle soit quantitative. On rend donc la situation encore plus complexe.

Même si dans deux ou trois mois on fixe des seuils, je ne suis pas sûr qu'on soit déjà en mesure de les identifier, de les mettre en évidence, en tout cas à des coûts acceptables pas seulement pour l'industrie, mais aussi pour les pouvoirs publics dont les budgets sont de plus en plus limités, Monsieur le Député.

Je pense avoir dit à peu près l'essentiel et je reviendrai peut-être dessus s'il y a des questions.

M. le Président - Merci Madame, nous aurons le temps de revenir sur ce que vous avez dit. Comme vous avez finalement arrosé tous azimuts, il y aura sans doute des retours tout à l'heure.

Je donne maintenant la parole à Monsieur Boullet qui représente Nestlé France pour qu'il puisse nous indiquer en cinq minutes sa position initiale.

M. Boullet - Je voudrais donner un peu une image de Nestlé en France et également le poids des matières qui nous intéressent aujourd'hui, c'est-à-dire le soja et les dérivés du soja et du maïs.

En France Nestlé représente 26 milliards de francs, l'entreprise est dans le pays depuis la fin du siècle dernier. Notre première usine a été créée en 1916 et aujourd'hui, hors eau minérale, nous en avons 28 avec 13 000 personnes.

Notre chiffre d'affaires à l'exportation est de 4,5 milliards, c'est une des premières entreprises agro-alimentaires exportatrices en France.

En ce qui concerne les matières premières, nous achetons pour notre marché pour environ 9 milliards de francs. Je ne vais pas vous donner la liste de toutes ces matières premières, mais de celle qui nous intéressent pour faire une comparaison.

Nous achetons :

- 75 000 tonnes de tomates,

- 150 000 tonnes de pommes de terre,

- 600 tonnes de lécithine,

- 500 tonnes d'huile de soja,

- 90 tonnes de protéines végétales dont 46 tonnes de soja.

Dans cette masse, vous voyez que les protéines de soja ne représentent qu'une faible partie d'ingrédients de nos produits.

Concernant les matières premières et les produits, il faut savoir que notre priorité, comme celle de toutes les filiales du Groupe Nestlé, c'est la sécurité et l'information du consommateur.

D'un point de vue concret, nous montrons ces priorités sur nos produits, j'en ai apporté un exemplaire. Chaque produit du Groupe Nestlé a derrière ce qu'on appelle le sceau de garantie. Nous signons nos produits et le consommateur a également l'adresse d'un Service de Consommateurs auquel il peut s'adresser pour toute information.

Concernant les OGM en particulier, je voudrais faire quatre remarques.

En premier, je pense qu'il faut faire la différence entre les OGM et les produits issus d'OGM.

Pour l'instant effectivement, l'étiquetage est obligatoire, seuls les produits dérivés d'OGM sont sur le marché. Cette distinction sera importante lorsqu'il sera nécessaire d'informer le consommateur.

On n'informe pas le consommateur de la même façon lorsqu'il s'agit d'un OGM avec des particularités que ce soit une tomate ou un melon ou qu'il s'agit d'un produit dérivé d'OGM, que ce soit du soja ou du maïs.

En second, concernant l'utilisation d'OGM ou de produits issus d'OGM, Nestlé - qui, je le rappelle, n'est ni producteur ni commerçant d'OGM ou de produits issus d'OGM - est favorable à une utilisation responsable de ces nouvelles technologies dans le strict cadre des lois et règlements.

En troisième, comme toute nouvelle technologie, nous estimons nécessaire que le consommateur ait l'information la plus claire et la plus transparente possible afin de l'aider à faire son choix.

En quatrième, l'étiquetage est un des moyens d'informer, on ne peut pas tout dire sur une étiquette d'autant plus que son intitulé est souvent réglementé.

Parmi ces moyens d'information, il y a bien sûr ces auditions, le rapport, Monsieur le Président, publié par l'Office en 1990 ou 1991 qui, à l'époque, indiquait déjà la nécessité d'un débat sur ces nouvelles technologies et, à mon avis, nous avons pris pas mal de retard dans ce domaine.

Nous avons nous, Nestlé, plusieurs publications disponibles à toute demande. On nous cite également Internet que ce soit au niveau monde ou Nestlé France et vous avez bien sûr les numéros de téléphone Azur où les consommateurs peuvent nous contacter directement.

Au niveau industriel, il y a le serveur 3615 OGM et le propre site de l'Assemblée Nationale.

Je pense que le débat public est nécessaire, pour nous c'est la seule façon par laquelle le consommateur pourra faire son choix.

La Commission de Bruxelles vient de prendre une décision sur les modalités d'étiquetage. Il faut savoir que nous n'avons pas attendu cette décision pour prendre l'engagement vis-à-vis de nos consommateurs et de nos clients que dès lors que les fournisseurs ne peuvent plus garantir - cette garantie est contrôlée par le propre laboratoire de Nestlé - un approvisionnement en ingrédients conventionnels, nous indiquons sur nos produits la présence de plantes génétiquement modifiées.

J'ai avec moi un exemple, celui de cannelloni Findus étiquetés depuis plusieurs semaines.

En restauration hors foyer, nous avons une soixantaine de références et nous avons également tout le département nutrition clinique qui nourrit les malades et sur lequel est clairement indiquée la provenance de protéines issues de soja génétiquement modifié, ce non seulement en France, mais dans tous les pays européens.

Avant de répondre à vos questions, il est important de rappeler que nous sommes aux balbutiements de cette technologie. Pour l'instant elle est au service des plantes et les avantages en sont conséquents pour les agriculteurs et l'environnement.

Nous sommes persuadés que lorsque des produits auront un avantage direct pour le consommateur, comme des qualités nutritionnelles améliorées, la suppression de certains allergènes comme par exemple dans le riz et d'autres aliments, nous sommes persuadés que cette technologie sera acceptée à sa juste valeur par le consommateur.

Le débat pourra avoir lieu et le choix du consommateur pourra se faire également sur des critères qualitatifs et non plus quantitatifs.

M. Edouard-Leclerc - D'un point de vue global, nous avons la même position que les organisations de consommateurs du point de vue des OGM en général, c'est-à-dire ni pour ni contre, n'ayant d'ailleurs pas la compétence pour savoir l'intérêt ou non des OGM.

En revanche, nous avons une position parce que nous avons une pratique et une responsabilité dans la filière.

Je vais vous dire en quoi le débat actuel me laisse perplexe par rapport à un certain nombre de positions adoptées ici et puis revenir peut-être sur un autre débat qui sera construit, probablement aussi à l'initiative de Monsieur Le Déaut dans trois ou quatre ans car nous verrons que le débat d'aujourd'hui sera largement dépassé par le tout OGM.

En premier, dans la filière le distributeur a plusieurs niveaux de responsabilité, chacun reste a sa place, chacun sa responsabilité, nous ne sommes ni producteurs, ni pouvoirs publics, ni médecins, ni scientifiques, nous sommes distributeurs.

En tant que distributeur le premier problème qui s'est posé à nous était de savoir si nous allions ou pas référencer, c'est-à-dire sélectionner des produits affichant le contenu OGM dans nos rayons ou pas. Certains distributeurs ont prétendu ne pas vouloir référencer ces produits, les dirigeants de Carrefour l'ont expressément dit à un certain moment.

Nous ne prendrons pas parti, nous référencerons les produits OGM comme les produits non-OGM. Notre position est la liberté du choix, c'est même un postulat commercial. Nous voulons comme critère commercial jouer sur la possibilité de choix pour les consommateurs.

Nous aurons donc en rayon le choix si tant est que dans dix ans il y aura encore le choix. Nous ne sommes en tout cas pas les censeurs des propositions commerciales des industriels et nous ne ferons pas une pré-censure du choix des consommateurs.

En tant que distributeur, nous référencerons les produits Nestlé comme nous avons référencé les produits Nestlé et Danone ici présents, nous afficherons la couleur. C'est un préalable juridique, ils doivent afficher la couleur et la qualité de l'information, de sa diffusion est une partie importante.

Nous avons aujourd'hui des cercles de discussions entre nos acheteurs, nos services de qualité et leurs vendeurs et leurs services de qualité. Cela se passe plutôt bien et dans l'ensemble aujourd'hui, c'est un chantier qui avance bien des deux côtés.

A la rentrée, nous aurons pratiquement tous les industriels de l'agro-alimentaire européen et multinationaux qui auront ces informations sur les emballages.

La deuxième responsabilité est que nous sommes aussi producteurs par les marques de distributeurs et nous entrons là dans la même problématique que celle énoncée par les producteurs tout à l'heure et nous avons les mêmes difficultés.

Notre méthode n'est pas celle de la recherche protéinique évoquée par certains industriels, mais celle évoquée par Madame Nicoli qui aurait fait une excellente productrice.

Nous partons de l'inventaire comptable des composants des produits et nous adopterons un étiquetage à partir de la présence ou non d'OGM ou de dérivés d'OGM dans nos produits.

Par exemple aujourd'hui nous travaillons sur 300 références alimentaires ce qui correspond à 162 produits différents. Pour 52 d'entre eux il n'y a aucun problème de présence d'OGM ou de dérivés d'OGM. Les autres en revanche sont susceptibles de contenir un certain nombre de dérivés.

Lorsqu'on peut substituer le dérivé d'un produit OGM, on le lui substitue. Par exemple pour les charcuteries, on arrive à changer les protéines végétales de manière à assurer qu'il n'y ait pas de produits dérivés d'OGM, etc. Les autres seront étiquetés : "produits ogéimisés".

Voilà pour notre position en tant que distributeur pur. Les emballages sont en cours d'élaboration, etc.

Par rapport à notre débat, je voudrais insister sur deux choses.

D'abord il ne faut pas faire dire à l'étiquetage ce qui n'est pas de son rôle. Dans notre société française, confondant tous les points de vue et s'en servant de phénoménologie, on est en train de demander aux industriels, aux distributeurs d'assurer la sécurité du consommateur par le système d'étiquetage.

Je voudrais rappeler que chacun doit prendre ses responsabilités. Le problème de la sécurité est d'abord du domaine de la science, des pouvoirs publics, des autorités sanitaires, ce n'est pas le nôtre.

Je suis distributeur et en bout de chaîne, je veux bien, en droit, être co-responsable de la gestion d'une filière car je crois qu'en droit on a retenu cette responsabilité. En revanche d'un point de vue scientifique, il ne faut pas nous le demander.

En plus on ne se rend pas compte que nous sommes des groupes dotés de services de qualité au-delà de notre responsabilité juridique et c'est vrai pour tous les grands distributeurs et autres.

Il faut avoir à l'égard du commerçant la même interrogation qu'à l'égard de n'importe quel commerçant qui n'aurait pas ce service qualité. Ce sont des "plus" que nous apportons, ce ne sont pas des obligations juridiques.

La sécurité doit être assurée par les pouvoirs publics.

En ce qui concerne l'éducation relative aux OGM, tous ces problèmes n'existeraient pas si on disait au consommateur en quoi ces produits sont meilleurs, plus beaux avec les OGM. L'éducation du consommateur au-delà de l'information n'est pas non plus du domaine du distributeur, mais de ceux qui prônent les OGM.

Si on voit bien en termes de productivité l'intérêt des OGM, du point de vue de l'amélioration du produit, on attend des campagnes d'informations, des campagnes qualitatives donnant envie de les acheter. Je vous rappelle que cela ne relève pas non plus de la responsabilité du distributeur.

Vous avez l'exploitation médiatique des peurs de la société. Ce débat n'aurait pas lieu si nous n'étions pas dans une société qui s'autoflagelle, qui aime se faire peur avec une compétition d'acteurs du style : "Plus je te fais peur, plus je passe à la télévision !" . C'est un peu ceci qui se passe en ce moment.

C'est sous cet angle que je souhaiterais qu'on aborde à nouveau les effets de seuil. Si vraiment il y a un problème de seuil, on le comprend très bien du point de vue de la pratique, il y a toujours un doute sur ce qu'il y avait dans le silo.

Mais s'il y a des seuils, c'est qu'il y a des problèmes en-dessous ou au-dessus d'un seuil. Vous êtes d'accord, la société fonctionne ainsi. Le fait même d'évoquer les problèmes de seuil d'un point de vue médiatique, c'est mettre un doute et l'agiter sur le problème de la sécurité.

La deuxième chose est que si d'un point de vue juridique l'effet de seuil garanti l'innocuité pénale d'un conflit, on laisse les professionnels se débattre avec les problèmes de gestion fantasmatique et médiatique de la société.

Regardez ce qui s'est passé depuis deux jours avec la dioxine ! J'ai la capacité d'y répondre d'un point de vue médiatique, mais il faut bien voir que cela peut tomber sur Tartempion qui peut en être mort.

On m'annonce que dans un centre Leclerc de Paris - je n'ai pas de centre Leclerc à Paris - on a trouvé une viande avec un taux de dioxine élevé. Je ne sais toujours pas où c'est, personne ne nous a contacté. On nous dit que c'est très dangereux, mais personne ne me dit de retirer le produit ou de faire une enquête pour regarder d'où vient le produit.

Je ne suis pas producteur de viande, j'en vends comme tout le monde et elle vient de toute la France, label France et la belle France.

On me dit que je ne suis pas coupable, mais c'est quand même moi qu'on cite à la télévision au journal de 20 heures, etc. Je ne suis pas coupable, mais je pourrais quand même faire quelque chose vu mon nom, etc. Ce n'est pas sérieux !

Vu du point de vue de cette non-responsabilité juridique, mais responsabilité médiatique en tout cas par rapport à la marche d'une entreprise ou au marché de la viande, je vous dis tout de suite que je ne veux pas de seuils, je ne sais pas les gérer.

En tout cas sur mes produits, dès qu'il y aura une trace, je mettrai l'étiquetage "OGM". De toute façon après je serai sur la défensive pour justifier. Aujourd'hui, je préfère prendre les devants et dire "OGM".

En fait aujourd'hui dans la liste des produits que je vends, j'ai sans doute peu de produits qui mériteraient d'avoir un étiquetage, mais je vais probablement presque tous les étiqueter pour pouvoir être garanti d'une gestion saine, médiatique et sans retombées commerciales négatives de cette affaire.

C'est une position, je crois qu'il faut en tenir compte. Puisqu'on est dans le domaine de l'irrationnel, à un moment il faut anticiper l'irrationnel dans le plan de marketing d'une entreprise.

En ce qui concerne la traçabilité des filières, oui il faut étiqueter et il faudrait avoir des filières séparées si on veut vraiment le choix.

En fait sur un marché libre et au niveau mondial, compte tenu de ce que viennent de dire les grands approvisionneurs que sont Nestlé et Danone, si les autres ne font pas de la séparation de filières, on aura bien un micro-marché français, peut-être européen, en tout cas français ou régional avec des niches sans OGM.

Je crois que tout ceci restera cependant marginal et que finalement nous nous retrouverons ici dans trois, quatre ans pour discuter non pas de l'étiquetage de produits OGM ou pas, mais des différents types d'étiquetage à l'intérieur d'un marché qui sera devenu quasiment tout OGM.

M. le Président - Le débat est lancé et très largement sur un certain nombre de questions.

Sur le dernier point, puisque vous avez parlé de la question des seuils abordés hier avec Madame Lebranchu dont la position était presque identique à la vôtre même si ce n'est sans doute pas pour les mêmes raisons, on va aller jusqu'à la caricature avec ce système.

Effectivement nous serons tout OGM à partir du moment où nous aurons des techniques.

Madame Zylbermann, en-dehors de la partie crédit dont vous venez de parler, chaque année les parlementaires essayent d'augmenter les crédits de l'administration et c'est toujours très difficile car en contrepartie un certain nombre de libéraux disent qu'on donne beaucoup trop de crédits à l'administration.

Nous sommes donc soumis à un partage très difficile entre la demande non seulement des administrations et des consommateurs d'un côté et celle de ceux qui disent que l'Etat leur coûte trop cher.

Dans ce paradoxe, vous avez raison de dire que les techniques sont actuellement non quantitatives - je l'ai vu dans mes auditions - et qu'elles sont en revanche très sensibles.

Nous avons une amorce d'un gène, nous pouvons très bien avoir une toute petite contamination et nous allons la détecter. C'est possible car nous amplifions cette contamination à condition que nous ayons la séquence de l'amorce technique ce qui est assez difficile.

Ceci fait, Madame, que ce ne sont pas du tout des erreurs de dosage lorsqu'on a des tests différents. Dans l'affaire de Kochko dont je vous ai parlé hier, il y avait des tests et des contre-expertises différentes car c'est l'échantillon qui compte.

Si vous prenez un échantillon de 500 g, d'un point de vue statistique, vous aurez peut-être des plantes modifiées génétiquement, du soja par exemple, alors que vous n'en aurez peut-être pas dans un autre échantillon. Ceci posera donc le problème de l'échantillonnage ce qui est encore plus compliqué.

Nous sommes devant un débat technique compliqué.

Je me félicite, comme Monsieur Marteau, que nous ayons avancé à savoir que nous avons déjà le point de départ. Il y aura de grands problèmes juridiques - et je vois la Fédération Française des Assurances dans la salle - dans ce domaine. Si vous mettez contient et que quelqu'un vous démontre qu'il n'y en avait pas, vous pourrez être attaqué.

M. Edouard-Leclerc - Je préfère perdre un procès en publicité mensongère.

Je suis d'accord avec vous, nous sommes dans un débat où nous devons travailler sur ce qui est rationnel et où l'opérateur doit travailler dans un contexte difficile.

Ce matin dans Libération , on s'étonne que le marché de la viande ne se soit pas effondré après la première alerte d'avant-hier sur le dioxine et on nous cite à nouveau, etc. ; je gère cela.

Je préfère - je le dis, c'est aussi à ceci que sert ce débat auquel vous avez le mérite de nous inviter - perdre un procès en publicité mensongère car j'aurai mis qu'il y a de l'OGM alors qu'il n'y en a pas que d'avoir à mettre en place un mécanisme de défense où la presse me dira que je n'ai pas fait suffisamment attention aux effets de seuil car il y en a, etc. ; c'est plus facilement gérable.

Je ne suis donc pas dans le domaine du juridique, mais dans celui de l'exposition d'une entreprise à un risque dont il faut tenir compte aujourd'hui.

J'ai vécu une chose que j'espère ne pas vous voir vivre : il y a trois ans je suis passé au journal de 20 heures pour une épidémie de listeria dont je cherche toujours les traces. Si j'avais été une PME, je serais mort, maintenant j'ai compris.

M. le Président - Madame Nicoli, j'essaye juste de reposer un certain nombre de questions pour qu'on puisse rebondir, de les poser comme vous les avez tous posées et de voir sur quelles questions nous pouvons avancer.

Au bout du compte et de manière très claire dans le rapport que nous proposerons, il est important que nous allions dans le sens des consommateurs et dans celui de la meilleure clarté possible de la fourche à la fourchette juridique et ceci dans tous les domaines.

En ce qui concerne le seuil, je suis en désaccord avec vous, Monsieur Leclerc, car mettre un seuil ne veut pas dire qu'il y a un problème de sécurité.

Par exemple le sel est un aliment que vous vendez. Si vous mangez 10 kg de sel dans la même journée vous aurez des problèmes très graves.

D'autre part, il est évident que s'il y a le moindre problème de sécurité, il faut interdire ces aliments.

A partir du moment où on les a autorisés, on peut les consommer. Si jamais -- et je rejoins Madame Nicoli - le consommateur veut savoir car, pour des raisons qui le concerne, il ne veut pas manger d'aliments génétiquement modifiés, il a le droit de savoir.

En revanche en ce qui concerne des questions juridiques, je vais vous rappeler l'exemple que j'ai donné hier.

Un agriculteur biologique du Tarn vend un produit biologique. Avec ce soja, on fait du tofu en Allemagne. On trouve dans ce tofu du soja génétiquement modifié et tout le monde lui dit, y compris le semencier, que ce n'est pas vrai. Il se retrouve maintenant avec un procès et une responsabilité et comme il n'est pas centre Leclerc, qu'il n'est pas gros, il risque d'y perdre beaucoup d'argent ce qui est grave.

Ceci veut dire que la notion de seuil ne doit pas être liée avec la notion de sécurité et nous aurons tout à l'heure cette question à régler.

Il est évident que dans les cas où on pense qu'il y a des arguments scientifiques, technologiques suffisants pour dire que la sécurité est en jeu, il ne faut pas vendre ces aliments. Si on pense qu'il n'y a pas de problèmes, on peut les vendre et le consommateur doit avoir le choix.

A partir de cela, je voudrais que vous rebondissiez sur un certain nombre de questions que Madame Nicoli a abordées.

Dans ce cas qui doit payer ?

Il est en effet évident que cela aura un coût pour le consommateur et que nous ignorons lequel.

Vous venez de dire que le consommateur devait avoir des avantages or, pour l'instant, nous n'avons pas vu d'avantages en termes d'OGM. Lorsqu'on a un gène de résistance à la pyrale ou à un herbicide, cela ne se retrouve pas forcément au niveau du prix pour le consommateur, certains d'entre eux me l'ont dit hier.

En revanche il est vrai que dans la nouvelle génération - et je l'ai vu chez Du Pont de Nemours, chez Monsanto, chez un certain nombre de fabricants - nous sommes dans la deuxième génération de fabrication d'aliments avec des qualités nutritionnelles différentes, des taux d'huile modifiés. Ils auront des huiles polysaturées mauvaises à la cuisson, des huiles bonnes pour les problèmes cardio-vasculaires, etc.

En quelque sorte on pourrait dire que pour éviter le terme indiqué de soja fou , ils sont en train d'essayer de préparer le soja miracle . Dans ces domaines, on peut être ou non d'accord, ce sera la deuxième génération de produits.

Comment mettre en place la traçabilité ?

Il est évident que si vous voulez une traçabilité totale, tous les animaux vont manger des aliments, des tourteaux de soja génétiquement modifiés.

Faut-il, Madame Nicoli, qu'il y ait traçabilité, étiquetage et information du consommateur dans ce cas ?

Qui doit payer ?

Ce sont un certain nombre de questions sur lesquelles je voudrais qu'on réagisse d'abord et je voudrais qu'on parle de la forme de l'étiquetage, de la clarté pour le public en termes d'étiquetage.

Mme Nicoli - Dans un tel débat, il ne faut pas avoir l'impression d'être naïf et imbécile, mais lorsqu'on est représentant des consommateurs, il faut quand même ramener les choses à leur juste valeur.

On peut avoir des débats aussi intellectuels que vous voulez, mais par exemple je ne peux pas suivre Michel Edouard-Leclerc dans ses préoccupations de gérer médiatiquement l'alimentation. C'est son problème, mais revenons quand même à la réalité !

L'alimentation est quelque chose que l'on mange tous les jours pour faire pousser des gosses, pour leur permettre d'être bien dans leur peau, pour avoir une bonne santé et pour qu'une fois adulte on puisse vivre correctement.

Nous sommes quand même loin de la gestion de l'alimentation à ce niveau :

"C'est moi, chef d'entreprise, j'ai une image à défendre et, pour mon image, je suis prêt à dire n'importe quoi - c'est ce que vous venez de dire - pourvu que mon image n'en prenne pas un coup !"

Je veux bien, je suis souvent sur la même ligne que vous pour un certain nombre de sujets et votre démarche d'étiqueter est très bien.

Vous le dites très cyniquement et très clairement, parce que vous avez une image, un certain nombre d'enseignes à défendre, vous avez derrière vous tout un ensemble de distributeurs et vous vous devez de donner cette image.

Au-delà de ça, je tiens quand même à dire que même si nous ne sommes pas opposés à ces nouvelles technologies - et je voudrais qu'on en prenne acte - les chimistes, les industriels font leurs affaires entre eux, mais aujourd'hui comme hier et aujourd'hui en particulier, les consommateurs n'ont jamais demandé à avoir une alimentation aussi compliquée, aussi industrialisée et ils n'ont jamais demandé d'OGM.

Les OGM ne viennent pas de l'esprit ou d'un fantasme d'un consommateur. Lorsque vous faites vraiment des enquêtes de terrain, les personnes ont un réflexe ancestral faisant que l'on veut des produits, non pas d'il y a 200 ans, mais des produits identifiés, du terroir, des produits où on n'est pas à stresser totalement lorsqu'on fait un achat au quotidien.

Demain avec les produits allégés, vitaminés, OGM et tout ce que vous voudrez, il sera totalement impossible pour la ménagère normalement constituée et intelligente, de faire un bol alimentaire ou du moins de faire un équilibre alimentaire pour ses enfants ; ce sera terrible.

On va partir faire ses courses en stressant et en se demandant ce qu'on pourra bien rapporter dans son cabas. A vous entendre, on finit par ne plus parler que de molécules, etc.

Je caricature comme Michel Edouard-Leclerc l'a fait, mais tout de même, n'oublions pas que quelque part l'alimentation est un élément convivial qui doit apporter bien-être et santé et non pas stress, maladie et complications intellectuelles.

Il est vrai que nous sommes bien obligés d'avoir de tels débats. Lorsque je travaille par ailleurs sur certains dossiers, je suis bien obligée de discuter de seuils, de problèmes techniques, mais mon rôle ici aujourd'hui, à partir de fantasmes et de délires intellectuels, est de ramener un peu les choses à leur réalité et au terrain.

Même si je parais un peu "bébête" dans ma déclaration, c'est un peu mon rôle de le dire ici ou ailleurs et n'importe où.

M. le Président - Avant de donner la parole à Jean-François Molle, je viens d'avoir l'emballage de ces cannelloni.

Pour illustrer ce que vous dites, même si c'est quand même le consommateur qui demande des plats cuisinés, c'est Findus, je ne fais pas de publicité. Il me dit que c'est bon, je n'en sais rien, je goûterai.

Voici ce que vous trouvez dedans : concentré de tomate reconstitué, eau, semoule de blé dur réhydratée, viande de boeuf cuite 10 %, oignons, huile végétale, carottes, emmental, protéines issues de soja génétiquement modifié 2,5 %, amidon modifié de maïs, lait écrémé en poudre, sel, chapelure, arôme, farine de blé, blanc d'oeuf en poudre, basilic, extrait de céleri, sucre, amidon de maïs, extrait de viande, vin rouge concentré, extrait de paprika ; avec des stabilisants, farine de graine de guar (je ne sais pas ce que c'est), de la gomme de xanthane, des extraits d'ail, d'épices.

Vous voyez que vous mangez un rayon de Leclerc lorsque vous prenez les cannelloni. Et l'image est jolie.

Il est vrai que l'aliment s'est modifié et qu'il faut avoir sa loupe, son ordinateur et être relié à Internet.

Juste avant Monsieur Molle, Madame Zylbermann, vous disiez qu'il y a trois ans notre position n'était pas celle-là. J'ai toujours eu la même position, j'étais contre le susceptible de contenir et je suis heureux que nous avancions.

J'étais sur les positions des consommateurs et je suis heureux que nous avancions, y compris au gouvernement. Puisque vous avez dit tout à l'heure que l'administration ne faisait qu'appliquer des règlements, c'est donc au Parlement de discuter des règlements et de la législation.

Je souhaiterais que l'on fasse cela à partir du moment où il y a deux filières.

Vous avez là une purée de tomates anglaise, à partir du moment où elle est génétiquement modifiée, c'est en jaune sur fond rouge. Cela se voit et de manière claire le consommateur peut savoir et choisir.

Tant qu'on n'arrivera pas à la clarté car lorsque vous lisez ce qui est noté sur la boîte Findus...

Et les Américains c'est encore pire, chez eux vous trouvez tout ce qu'il y a comme avantage nutritionnel éventuel. Ils ne veulent pas mettre cela, mais ils en mettent déjà beaucoup. Il faudra qu'un Bottin entoure les aliments que nous consommerons dans les prochains temps.

Monsieur Molle, vous avez la parole, par ailleurs la forme de l'étiquetage m'apparaît également importante.

M. Molle - Je voudrais répondre à Marie-Josée Nicoli qui, en gros, nous a dit :

"Vos formules industrielles sont extraordinairement compliquées, bourrées de chimie, notre bol alimentaire devient terrorisant."

Pour le coup, plus que pour Michel Edouard-Leclerc, je pencherai avec Marie-Josée Nicoli en tant que quelqu'un du marketing d'une société de Danone. Il est vrai qu'ils sont inquiets, qu'il ne sont pas techniciens, ils entendent tout ceci.

Si nous à l'avenir, à cause des inquiétudes des consommateurs, on ne met pas d'OGM, que nos vaches ne mangent pas d'hormones de croissance, qu'on n'utilise pas d'ingrédients irradiés mais des ingrédients agricoles sur lesquels il n'y aura pas de boue de station d'épuration épandues, qui ne seront pas cultivés près d'une route ou d'une autoroute, où il n'y aura pas de résidus de pesticides, enfin toutes ces choses qui représentent un progrès mais inquiètent les consommateurs, à part l'eau minérale et encore, je ne vois pas ce que nous vendrons.

Le consommateur n'a pas demandé, mais le consommateur demande tous les jours. Tous les jours nous faisons des innovations et tous les jours des innovations sont rejetées.

En ce qui concerne la conséquence du bol alimentaire, je vous garantis que si par rapport à la sécurité des aliments, nous faisions une photo avant guerre et maintenant, il suffit d'aller dans quelques pays lointains du sud pour voir ce que cela pourrait être, c'est terrorisant.

Nous avons fait d'énormes progrès en sécurité, en nutrition et surtout d'énormes progrès économiques. Avant guerre la moitié du pouvoir d'achat des Français, qui pourtant autoproduisaient une grande partie de leur nourriture, était consacré au panier de la ménagère alors qu'aujourd'hui il ne représente plus que 17 ou 18 %.

Pourquoi ? Parce que les loisirs, la santé, etc. se sont développés. Derrière cela il y a de l'hygiène industrielle, de la rationalisation industrielle, de l'étude de formules, des travaux de tous les jours pour optimiser les formules. Oui c'est vrai que cela devient compliqué !

M. le Président - Merci, Monsieur Molle. Monsieur Boullet a demandé la parole.

Essayez peut-être de répondre à la question : qui doit payer ? Faut-il un seuil ? Et dans l'affirmative à quel niveau ?

Ceci fera avancer un peu l'état de nos réflexions.

M. Boullet - De toute façon que ce soit dans l'alimentaire ou dans tout autre procédé, toute autre industrie, le consommateur est toujours le payeur final.

Que ce soit dans l'industrie pharmaceutique, n'importe où, dans l'industrie automobile, lorsque des normes de sécurité sont imposées à l'automobile et à juste raison, c'est effectivement le consommateur final qui paye. Il paye directement pour l'automobile ou en tant que citoyen en normes de pollution, etc.

De toute façon le consommateur final payera, et c'est le principe même de la TVA, une taxe sur la valeur ajoutée, c'est ce principe inventé en France. Il paye et chaque niveau de la chaîne paye un peu.

M. le Président - S'il y a deux filières, laquelle paye ?

M. Boullet - Le consommateur paye la filière qu'il choisit. Je ne vois pas qui pourrait payer, c'est le choix du consommateur.

M. le Président - Actuellement il n'y a pas d'OGM ou très peu, cela veut dire qu'il n'y a pas de surcoût. S'il y a deux filières, il y aura des surcoûts, il y en aura un pour la séparation des filières.

Etes-vous capables à tous les niveaux du producteur jusqu'au distributeur, de séparer les filières ?

M. Marteau - Oui.

M. le Président - Vous avez dit oui, êtes-vous capable de bien le faire et quel sera le surcoût ?

M. Boullet - Je voudrais rappeler qu'il y a deux sortes d'OGM.

Il y a les OGM et vous avez montré une purée de tomates anglaise où la tomate est génétiquement modifiée. Non seulement elle est clairement identifiée sur la boîte, mais c'est un acte commercial du marketing du producteur et du distributeur de dire que cette tomate est génétiquement modifiée.

Lorsqu'il y aura des produits génétiquement modifiés avec un avantage direct pour le consommateur, vous verrez une campagne de communication de marketing où le consommateur sera clairement informé et il choisira ce produit pour cet avantage, ceci quel qu'il soit.

Là nous sommes dans le cadre de produits dérivés d'OGM et d'un point de vue légal, l'information du consommateur doit figurer sur l'étiquette ainsi que par tout autre mode d'information.

Quant au financement des filières, il est trop tôt actuellement pour que les économies réalisées par les agriculteurs et les transformateurs sur ce produit, soient transmises au consommateur. Soyons rassurés, dès qu'il y aura un avantage concurrentiel sur le coût, il sera retransmis automatiquement au consommateur.

Les filières OGM deviendront moins chères et le consommateur en bénéficiera par le prix.

M. Edouard-Leclerc - Au risque d'apparaître comme le provocateur de service, mais peut-être aussi en disant ce que d'autres disent en privé et pas en public, y compris les industriels qui sont ici, je crois qu'il faut arrêter d'être hypocrite.

Sur un marché ouvert à l'échange mondial, il ne peut y avoir séparation des filières que si en amont comme en aval, l'ensemble des opérateurs qui échange, respecte cette distinction.

Je crois que sur le marché français, il peut y avoir une double filière, sachant que l'une sera un micro-marché, une niche au même titre que le bio, d'accord.

Mais étant donné l'internationalisation de l'échange, la présence de sociétés transnationales sur les marchés européens, s'approvisionnant de par le monde entier sur les marchés ouverts, étant donné qu'en amont en Chine - on parle toujours de Américains, mais les centres de production des matières premières aujourd'hui sont l'Afrique du Sud, l'Australie, le Canada - les Chinois se moquent éperdument de l'étiquetage des OGM.

Dans les plaines de Pologne, en Ukraine, ce sont les Américains, les internationaux qui investissent, etc., donc à partir du moment où on va vers la mise en exploitation de 26 millions d'hectares en produits OGM, et ce sera exponentiel - ce n'est pas moi qui le dis, ils le disent cyniquement aussi eux -, pour le consommateur il ne faut pas se leurrer, le double étiquetage peut donner l'impression du libre choix.

Il n'y a cependant libre choix que s'il y a deux filières et la réalité me fait penser qu'il y aura du tout OGM avec peut-être du tout OGM différencié, avec des segmentations dans le tout OGM et des marchés marginaux, des niches.

A ce moment-là - il faut aussi savoir le dire et ce n'est pas un plaidoyer car j'en tire les conclusions - les consommateurs qui voudront avoir accès à ce marché, payeront plus cher que les autres car ils n'auront pas les effets de seuils économiques, d'échelle, etc. Ce sera au même titre que le vrai bio est à un prix plus élevé que le marché non bio.

Il faut tirer les conclusions de ceci et ne pas simplement recevoir la chose factuellement. Il ne faut surtout pas faire semblant de dire qu'il y aura deux marchés dans dix ans et que le consommateur pourra choisir au même prix l'un ou l'autre, je n'y crois pas.

M. Marteau - Un certain nombre de choses viennent d'être dites.

En premier, il faut avoir un bon de commande clair car il y a une confusion totale. Monsieur Leclerc, je salue votre position, ceci dit c'est la première fois que je l'entends et si j'écoute Carrefour on est quasiment en opposition.

Pour nous, dans la filière, il faudra quand même savoir ce qu'on veut, c'est clair. Ce débat est un bon moyen, je le trouve important même si on n'est pas d'accord, il a au moins le mérite d'exister et de faire attention à ce que souhaite le consommateur citoyen, même si parfois on lui fait dire des choses, en tout cas il faut qu'on réponde à ses attentes.

D'autre part j'ai écouté tout à l'heure Madame Nicoli qui nous dit que de toute façon on ne nous laisse pas le choix. Si l'an prochain nous ne séparons pas, elle appelle au boycott et encore une fois, on montrera du doigt les producteurs.

Nous avons suffisamment l'expérience de choses qui viennent de nous tomber sur le coin de la figure, pour lesquelles nous ne sommes pas responsables (dioxine, boues, etc.), pour que nous ne fassions pas attention.

Nous avancerons en marchant, si on prend simplement les agriculteurs solution facile, nous sommes capables d'isoler. Ce n'est pas difficile puisque, de toute façon, nous isolons déjà. Lorsque je fais du blé, j'en ai cinq qualités différentes, cela ne pose pas de problèmes, je peux continuer demain avec du maïs excepté qu'il y a un séchage et que c'est un peu plus délicat.

Cela dit, nous sommes capables de le faire et nous sommes prêts, en tout cas et je m'engage au niveau de la profession agricole, nous ferons tout pour, dans un premier temps et je dis bien dans un premier temps, isoler la production en 1998.

Qui peut faire le plus peut faire le moins, à partir du moment où nous aurons isolé, si nous voulons mélanger après, ce sera toujours possible, le contraire étant quand même un peu délicat.

Là aussi il faut avancer tranquillement sans faire de démagogie. Je veux bien qu'on fasse des effets d'annonce, mais il faudra gérer le quotidien.

Je vais rappeler que nous avons en permanence des débats avec l'ensemble de la profession et que la semaine dernière nous nous demandions qui consommerait le millier de tonnes que nous produisons en OGM. Aucun industriel ne veut nous acheter le maïs que nous avons semé. Pourtant il n'y en a pas beaucoup puisqu'il n'y en a que 2 000 ha.

Il faut aussi dire la réalité des choses. Je veux bien prendre mes responsabilités au niveau de la profession agricole, travailler comme nous avons essayé de le faire en y associant toute la chaîne et pas seulement un maillon.

Mais il faut qu'on nous dise clairement, que nous sentions clairement ce que l'on veut sans faire de démagogie et sans tomber un peu dans un débat facile.

M. le Président - Juste une question pour rebondir là-dessus.

Il est vrai qu'un certain nombre de fabricants de semoule nous ont dit qu'ils avaient demandé du maïs non OGM, Monsieur Marteau vient de poser cette question, Nestlé, allez-vous en acheter ?

M. Boullet - En ce qui concerne le maïs, l'utilisation par Nestlé ainsi que tous les industriels, toutes les industries de transformation confondues, nos achats de maïs, en particulier d'amidon non raffiné, représentent 3 % de la production. Quel est leur poids ?

M. Edouard-Leclerc - En gros pouvez-vous répondre à l'inverse ?

Si je vous commande les mêmes tonnages aujourd'hui sans étiquetage et que je vous demande une garantie sur deux, trois ans, de non-présence d'OGM ou de produits dérivés d'OGM dans ce que vous allez me vendre, allez-vous pouvoir le garantir ?

M. Boullet - Non, parce que je n'achète pas à l'agriculteur.

M. Edouard-Leclerc - Ce n'est pas un reproche, mais une réalité, un fait, donc où va la double filière là-dedans ?

M. le Président - La double filière est difficile car effectivement ceux qui achètent aux agriculteurs cette année ont tous pris leurs précautions et n'ont pas voulu se mouiller.

Cette année je ne sais pas qui les achètera car tout le monde dit qu'il ne le fera pas.

M. Marteau - Nous sommes en train d'y réfléchir. Ce qui est le plus important dans la finalité, la question de fond est : quelle information apporte-t-on au consommateur ?

Nous avons d'ailleurs vu avec les exemples que vous venez de citer, que deux informations sont possibles. Il y a une information claire, visible et une information confondue dans un ensemble de définitions.

Là aussi je crois qu'il faut être très prudent. Je rappelle et je crois que certains consommateurs exigent une certaine qualité, une certaine particularité. Pour cette raison nous nous orientons vers une filière qui coûtera évidemment plus cher, une filière garantissant le non OGM, la pureté du non OGM.

Cette filière n'existera peut-être plus dans dix ans, mais dans un premier temps, elle doit pouvoir répondre à cette attente du consommateur et après, à l'intérieur du reste, vous avez ce qui est clairement OGM et ce qui l'est peut-être un peu moins : c'est le problème du seuil.

Je vois que tout le monde n'est pas d'accord, je pensais pourtant que c'était pourtant une solution à étudier.

Mme Nicoli - Nous partons sur des principes que l'on veut imposer, rendre généraux alors qu'aujourd'hui nous ne discutons que sur deux produits, c'est-à-dire le soja et le maïs. C'est d'autant plus difficile pour des consommateurs, et plusieurs l'ont dit que, aujourd'hui, cela n'a aucun intérêt pour eux.

On aurait commencé à parler d'OGM ou de filière OGM ou non-OGM à partir de tomates par exemple, non pas la Calgene qui est très mauvaise, mais on aurait commencé par prendre une bonne variété de tomates Marmande ou encore mieux, on lui aurait ajouté un gène pour la récolter mûre et qu'elle soit formidable pour le consommateur, c'est-à-dire pas celles que nous mangeons aujourd'hui aqueuses, farineuses, sans goût, etc, le débat serait totalement différent.

Il n'est pas question et je n'adhère pas au discours consistant à dire que nous allons faire des petites filières, des niches qui seront très chères et sans OGM, ce n'est pas vrai. Demain nous pouvons avoir une filière OGM, comme par exemple la tomate en question, qui sera plébiscitée par tous les consommateurs qu'il payera peu cher et il se détournera de la filière non-OGM car la tomate est très mauvaise.

Aujourd'hui, avoir un discours général pour tous les OGM alors que demain arriveront des OGM qui auront un intérêt par exemple nutritionnel ou organoleptique pour le consommateur et vous verrez qu'à ce moment-là votre raisonnement sera complètement inversé. Le consommateur sera d'accord pour manger ces produits et se détournera des produits non-OGM.

Aujourd'hui, c'est normal, il ne voit aucun intérêt, ce ne sont que des dérivés. En fin de compte, on dit que les produits OGM doivent être étiquetés.

Or à part Novartis et Monsanto qui, eux, peuvent clairement étiqueter leurs semences lorsqu'ils les vendent aux agriculteurs, après lorsqu'on arrive au niveau des coopératives, Monsieur Marteau, qui quelque part sont quand même gérées par les agriculteurs et pas simplement par des technocrates, ce sont elles qui, demain, devront nous dire où est passé ce maïs transgénique.

Si Monsieur Michel Edouard-Leclerc veut des produits non-OGM, donc des produits avec de l'amidon non-OGM, il faudra que ces 12 000 tonnes ou je ne sais combien de tonnes soient mises à part.

C'est en effet irrationnel et déraisonnable d'avoir 2 000 ha de maïs qui pollueront dans la tête des personnes, tout le maïs traditionnel alors que cette année nous pouvons encore en avoir puisque nous en sommes producteurs et que nous pourrions même être autosuffisants.

Nous sommes dans une année d'expérimentation, il faut prendre ces 2 000 ha comme une expérimentation et les mettre quelque part.

Cela veut-il dire que Danone, Nestlé ou Leclerc doivent se dévouer pour avoir dans leur linéaire des produits garantis OGM pour voir comment réagira le consommateur ?

Autrement que se passera-t-il ? Ce sera mélangé dans les coopératives et je peux vous dire qu'on vous culpabilisera au maximum, de toute façon on ne pourra pas faire autrement car c'est le seul argument qui nous restera.

La deuxième solution qu'à mon avis vous utiliserez, c'est que vous donnerez ceci à manger à vos cochons, à vos boeufs parce que la traçabilité et le consommateur passant par la viande, on est dupé. Demander d'avoir du boeuf élevé sans produits OGM cela devient ridicule aujourd'hui.

Par rapport à la dioxine, Monsieur Michel Edouard-Leclerc a fait allusion tout à l'heure à une enquête sur la viande, ce n'est pas nous qui l'avons faite, mais demain nous avons une enquête qui sortira sur le lait maternel qui est un bon marqueur pour l'être humain.

Il y a une quantité de dioxine effarante dans le lait maternel. Nous ne parlons pas du bébé qui, après, arrive à l'éliminer, donc ça ne le met pas en danger. Cela veut dire quelque part, que vous, moi, nous avons dans nos graisses que nous portons tous les jours avec nous, un taux de dioxine, mais aussi de très nombreuses autres choses.

Monsieur Molle disait tout à l'heure que ça allait bien, nous vivons plus vieux, c'est formidable, la science, etc., ils sont les bienfaiteurs de l'humanité. Si on prend nos graisses pour voir ce qu'il y a dedans, je peux vous dire que c'est peut-être la cause d'un certain nombre de maladies qui sont de nouvelles maladies de notre société.

Essayons de faire un juste milieu et de ne pas devenir dithyrambique dans un sens comme dans l'autre. Mais il est très difficile de tenir une position raisonnable lorsqu'on est représentant des consommateurs.

M. le Président - Vous et nous, vivons avec en plus une colonie de 100 000 milliards de bactéries. Si vous saviez avec qui on vit...

M. Molle - Il faut poser la question plus clairement sur la double filière et sur qui paye.

Finalement que disent les consommateurs assez largement en Europe ?

Nous n'avons pas demandé les OGM, nous n'en voulons pas parce que nous pensons que ce n'est pas sûr. Nous voudrions bien acheter du non-OGM et c'est quand même fort de café, c'est nous qui n'avons pas demandé l'OGM et qui voulons consommer des produits non-OGM, qui allons payer plus cher le produit.

La demande est celle-là, ils ne veulent donc pas payer pour l'OGM.

Quelle est l'idée derrière ? Vous avez l'idée qu'on pourrait faire imposer par les pouvoirs publics qui, en principe, ne font ce genre de choses que pour des raisons de sécurité alimentaire, la double filière, voire taxer les OGM pour soutenir la filière non-OGM à la limite si on pousse le raisonnement.

En fait le marché ne fonctionne pas comme cela. Si les pouvoirs publics le décident, cela fonctionnera ainsi sur le marché français et ce sera assez amusant au point de vue du marché international.

En fait le marché, lui, en face de la demande des consommateurs, ne fonctionne pas ainsi, il s'adapte, il a une certaine souplesse. La meilleure preuve sont les 1 000 ha cette année de Novartis en maïs.

Si nous avions été l'Arkansas, avec le démarrage du maïs à surface égale, nous aurions fait cette année 30 000 ha. Pourquoi ? Les agriculteurs ont des antennes partout et savent bien que les industriels ne se bousculeront pas au portillon...

M. le Président - Nous avons des lettres qui seront dans le rapport.

M. Molle - Bien sûr ! Je peux tout à fait expliquer pourquoi les industriels ont écrit ces lettres et pourquoi ils sont prudents.

Le meilleur exemple pour montrer que le marché s'adapte est qu'il n'y a que 1 000 ha.

Il existe aussi une demande d'OGM, il faut qu'elle soit rigoureuse. Il ne faut pas qu'un produit offert au consommateur soit non-OGM sur un ingrédient et OGM par ailleurs.

Les personnes opposées aux OGM le sont pour des raisons philosophiques, religieuses ou autres et il faut que ce soit la globalité du produit.

A quoi cela ressemblerait que pour le yaourt par exemple chez Danone, on dise : "Mon fruit n'est pas OGM, mais la vache a mangé du tourteau de soja ou du corn gluten feed OGM." ?

Je pense qu'il faut être rigoureux, c'est d'ailleurs la demande du Conseil national de l'Alimentation. Si un produit clame qu'il est non OGM, il est vraiment non-OGM. C'est comme le halal ou le kasher, vous n'êtes pas en partie halal ou kasher, vous l'êtes tout à fait.

Il y a une demande non-OGM et avant qu'on ne mette des OGM dans des aliments pour bébés en Allemagne, en Autriche, dans ces pays, il se passera du temps.

Que se passera-t-il par rapport à la double filière de production imposée par les pouvoirs publics ?

Le marché s'adaptera. Oui, il y aura des offres d'ingrédients agricoles non-OGM. Oui, elle sera plus chère. Oui, certains industriels estimeront que sur leur marché, leur image, etc., l'attente du consommateur justifie que leurs produits soient plus chers et d'acheter dans cette filière non-OGM.

Cela marchera ainsi et pas autrement, tout le reste c'est de la littérature.

M. le Président - Il reste encore cinq minutes, j'ai deux questions dans la salle, vous les posez, certains y répondent et après je voudrais encore poser une question à Madame Zylbermann.

M. Kerckhove (Agir pour l'Environnement) - Nous avons mené une campagne contre les OGM et pour un moratoire.

Nous entendons dire depuis hier que c'était par idéologie ou par passion, nous pensons plutôt que c'est par pragmatisme, par honnêteté vis-à-vis des consommateurs. Là on est en train d'affirmer une loi, une mesure législative mensongère.

On mettra trois mots sur des produits "ne contient pas" alors qu'ils en contiendront, moins de 3 %, il y a un effet de seuil dont nous sommes en train de parler, mais c'est mensonger.

La question est : comment mentir le moins possible ? Comment réduire l'effet de seuil ? La réponse est qu'il faut développer les filières séparées.

Là où je m'inscris totalement en faux avec Monsieur Marteau c'est qu'on ne développera pas la filière non-OGM car, pour l'instant, elle existe. La filière OGM ne représente que 2 000 ha donc c'est à eux de payer les silos, les transports.

A une époque on pensait que les OGM n'apportaient rien aux consommateurs, là ils apporteront quelque chose qui est un surcoût s'ils doivent construire leurs silos et développer leur filière de transport.

J'aimerais savoir qui payera depuis le début.

Mme Roger (Agence AGRA) - J'ai une question pour les industriels qui est peut-être un peu naïve. Je me demande comment des importateurs qui ont un tel pouvoir sur le marché international n'ont pas réussi à imposer une séparation des lots.

Mme Dron (Cellule prospective, Ministère de l'Environnement) - Les OGM potentiels sont très divers, ils ont des avantages, des inconvénients très divers aussi bien pour le consommateur que pour l'environnement.

En pratique dans une formulation, la mention modifié s'appliquera ou non à chaque composant. Je me demande pourquoi la gestion du sujet devrait se borner à une dichotomie OGM, non-OGM.

Avec cette approche, on risque de supprimer des possibilités de choix sur tous les composants sur lesquels il y aura possibilité de choix et des balances avantages/inconvénients différentes sous prétexte, par exemple, que le soja n'est pas triable.

M. Edouard-Leclerc - Ce n'est pas qu'ils ne le peuvent pas. Je le répète, il faut sortir de l'hypocrisie, si cette séparation n'existe pas, c'est que les trois-quarts des acteurs sur le marché ne le veulent pas.

L'industriel a vu son intérêt en termes de productivité, le pays, l'état-nation dans les PVD, etc., est soumis à des contraintes météo, insectes, les OGM les intéressent. De nombreuses personnes sont intéressées, les laboratoires, etc.

Rien n'est mis en place pour cette distinction car il y a une sorte de consensus, un non-dit public pour diffuser les OGM. Le problème aujourd'hui, à mon sens, n'est pas la séparation.

Les OGM apportent-ils quelque chose au consommateur, oui, non ? Je ne suis pas compétent, mais qu'on en parle, qu'ils défendent leurs arguments.

D'autre part est-ce dangereux ou non pour la santé publique ?

Après si c'est bon et que ce n'est pas dangereux, on rentrera dans la banalisation de l'OGM. En revanche si nous avons toutes ces interrogations, c'est bien que la réponse n'est pas claire.

Mme Verdier (La Croix) - Je me demande comment on peut se poser la question de deux filières ce qui supposerait au départ que les champs soient hermétiques et confinés tous à des kilomètres de distance pour qu'il n'y ait aucune fertilisation croisée.

La question me semble complètement absurde lorsqu'on parle de millions d'hectares déjà cultivés, il y a forcément des fertilisations entre les champs et c'est déjà le cas.

M. le Président - Je l'ai déjà dit tout à l'heure, cela existe quand même pour les semences avec des arrêtés préfectoraux, il y a des distances qui sont nécessaires ; cela existe pour les produits bio.

Ce sera compliqué et c'est très compliqué, vous avez raison de poser la question, mais cela existe déjà dans deux secteurs. Cela peut exister.

Maintenant vous avez ces questions et vous allez essayer d'y répondre en conclusion avec, Madame Zylbermann, la question qui a été posée par Monsieur Kerckhove.

Existe-t-il déjà aujourd'hui en vente et quels produits sont déjà des produits OGM ? Même s'ils ne sont pas marqués qu'est-ce qui existe déjà ?

Mme Zylbermann - J'ai dit tout à l'heure qu'une enquête était en cours.

Comme les remontées sont en cours, je n'ai pas de liste de produits. De toute façon même si je l'avais, dans la mesure où il y aurait éventuellement des poursuites, je ne peux pas vous donner des noms.

Soit les produits sont étiquetés comme ceux de Nestlé, soit ils ne le sont pas et à ce moment-là, nous devrons donner des suites judiciaires et nous verrons ce que les tribunaux diront.

Dans ce cas, même si j'avais apporté ici des copies des procès-verbaux, je ne pourrais pas vous les donner. Vous comprenez bien que, par mon statut, je suis tenue à une certaine discrétion professionnelle.

M. le Président - Aujourd'hui, oui. En tout cas, je les demanderai au Ministre.

Mme Zylbermann - Vous les demanderez au Ministre, vous en avez parfaitement le droit, mais devant un public, je ne peux pas donner ce type d'information.

Une intervenante - Il faudra les donner aux organisations de consommateurs.

Mme Zylbermann - Oui, nous avons l'habitude de le faire, Madame.

M. le Président - Vous répondez aux questions qui ont été posées.

M. Marteau - Concernant le seuil et la tolérance, je rappelle que sur les produits bio, le seuil de tolérance est de l'ordre de 5 % aujourd'hui alors qu'au départ il était de l'ordre de 30 %. C'est un seuil de mélange tolérable qui se réduit ce qui est de bon augure.

Concernant le maïs, ce n'est pas un problème, c'est un épiphénomène, c'est le cas de le dire et sans jeu de mots.

Le problème se pose pour le soja. Aujourd'hui je vous rappelle que nous importons 70 % de la consommation et de nos besoins et que le mélange est systématiquement réalisé au niveau des importations. Je ne vois pas pourquoi nous traiterions différemment ce qui est produit sur notre sol et ce qui est importé.

D'autre part, il y a une demande du consommateur et ce n'est pas de gaieté de coeur que nous nous imposerons une filière différente. Il y a une demande et si elle est réelle, justifiée, nous y répondrons.

Je rappelle que l'agriculture est là pour répondre aux demandes du consommateur. A mon avis, le débat va dans le bon sens, il faut que l'on s'explique et que le bon de commande soit clair.

M. le Président - Monsieur Molle, la réponse aux industriels.

M. Molle - Notre puissance d'achat sur le marché mondial, d'accord...

On parle de soja et de maïs et, pour les industriels de l'alimentaire, ces produits sont utilisés en tant qu'additifs en très faible quantité et font l'objet de transformations industrielles dans des usines importantes.

Puisque, contrairement à ce que vous pensez, nous sommes de faibles acheteurs de soja - je parle de l'industrie alimentaire - nous n'avons aucun poids par rapport à l'association américaine de production de soja.

En revanche, et c'est l'histoire des 1 000 ha de maïs en France, si les chaînes de transformation sont plus courtes, nous avons des possibilités d'obtenir des lots non-OGM, mais nous avons également ces possibilités sur les chaînes longues.

C'est comme si on disait que le bio n'est pas possible. Le maïs Waxy aux Etats-Unis est récolté de façon très précautionneuse, de façon séparée car il a une composition particulièrement intéressante pour un marché très particulier, très rémunérateur. Il est possible de le ramasser de façon séparée, d'avoir des filières séparées.

Le problème est que cela a un coût. Est-ce que le marché, est-ce que demain le produit X vendu Y % plus cher sera acheté sous prétexte qu'il pourra dire qu'il est non-OGM ?

C'est à chaque industriel de prendre sa décision.

le Président - Nous sommes malheureusement obligés de conclure.

Pour la presse qui est là, cette discussion était très intéressante car nous voyons qu'à partir de la réglementation adoptée, beaucoup de nouvelles questions sont en train de se poser. Elles n'ont pas toutes été abordées au fond ce matin, elles ont été effleurées.

Je signale qu'à l'Assemblée Nationale, nous avons un forum sur Internet. Si vous pouviez l'annoncer, ce serait la meilleure manière d'avoir un débat public. Je vous le redonne, vous tapez www.assemblee-nat.fr et vous avez ce forum.

Si on peut l'annoncer sur ces questions, je crois que pour les consommateurs c'est très important, annoncer ce forum est un autre moyen de débat.

Par ailleurs il y aura la Conférence de Citoyens dont j'ai parlé hier et il y a les auditions ici qui sont publiques, ouvertes, contradictoires.

Il y aura également ce forum qui nous permettra d'avoir vos avis car ces sujets sont très compliqués, notamment l'avantage pour le consommateur qui est un vrai sujet. Le problème des seuils en est un aussi de même que les responsabilités, la traçabilité, la séparation des filières.

Sur toutes ces questions, je serai obligé de donner mon avis dans mon rapport et je souhaiterais avoir l'avis d'un maximum de personnes.

Table ronde V : Avantages et risques des organismes génétiquement modifiés TABLE RONDE V : AVANTAGES ET RISQUES DES ORGANISMES GENETIQUEMENT MODIFIES EN MATIERE D'ENVIRONNEMENTen matière d'environnement

M. le Président - Comme nous avons un peu débordé, nous terminerons avec un peu de retard.

Nous abordons donc la cinquième table ronde. Son thème est naturellement de première importance, compte tenu de la montée des légitimes préoccupations en matière d'environnement dans notre société. Nous aurons d'ailleurs l'occasion ce soir d'entendre Madame Dominique Voynet, Ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire.

Ce thème est d'autant plus important que l'agriculture n'est pas restée à l'écart des questions que la société se pose à cet égard.

Le débat sur les effets éventuels des organismes génétiquement modifiés à l'égard de l'environnement est certainement un des thèmes centraux des interrogations que nous nous posons tous. Des études ont déjà été faites, vos débats y feront sans doute allusion.

Vous allez débattre du problème des flux de gènes, thème qui n'est évidemment pas propre aux organismes génétiquement modifiés. De tout temps en effet, les plantes cultivées se sont croisées avec les mauvaises herbes voisines. Antoine Danchin disait hier que la biologie était la science et l'art de l'imprévu.

Bien entendu le problème se pose aussi avec les relations des plantes génétiquement transformées avec la faune et spécialement avec les prédateurs.

Là encore ce n'est pas une difficulté spécifique des organismes génétiquement modifiés dans la mesure où, et les agriculteurs le savent bien, les prédateurs finissent tôt ou tard par s'adapter aux produits destinés à les combattre. Nous aurons donc à traiter des problèmes de résistance.

Avec les risques concernant la santé, cette menace est certainement une de celles qui a le plus grand retentissement parmi le public et, dans le débat, c'est sans doute le problème de l'environnement qui est le plus posé.

Il convient donc de traiter ce problème avec le plus grand sérieux car il faudra naturellement éviter autant que faire ce peut, que les qualités de ces plantes, qualités au sens du transfert d'un gène, ne se transfèrent à leur environnement, ce qui poserait par la suite des problèmes redoutables aux agriculteurs.

Nous aborderons le problème de toutes les plantes, les problèmes ne sont pas identiques suivant les plantes et vous nous l'expliquerez. Vous nous expliquerez que si des croisements sont possibles avec des adventices sauvages, nous ne sommes pas dans la même situation que s'il n'y a pas de croisements interspécifiques.

Certains cherchent même des gènes de stérilité ce qui aurait un avantage en matière d'environnement, mais des désavantages en matière de ce que nous disions hier, c'est-à-dire des désavantages économiques de liaison entre celui qui fabrique la semence et celui qui la cultive.

Les problèmes d'environnement se posent également dans la dimension transfert vers les pays du sud où nous pourrions là aussi avoir des problèmes plus importants que ceux que nous avons dans nos propres pays, où les mêmes systèmes de vigilances n'existent pas forcément et ne sont pas forcément non plus mis en place.

Nous abordons donc là un problème très important et pour en débattre, j'ai à partir de ma gauche, c'est-à-dire de votre droite :

- Monsieur Mark Tepfer du laboratoire de biologie cellulaire de l'INRA de Versailles,

- Monsieur Bernard Convent, directeur général de PGS, du Groupe Agrevo,

- Monsieur Arnaud Apoteker, chargé de mission à Greenpeace France,

- Monsieur Pierre-Henri Gouyon, professeur de biologie à l'université de Paris XI,

- Monsieur Philippe Tillous-Borde, directeur général de la Fédération des oléoprotéagineux,

- Monsieur Michel Vincent de la Confédération générale des planteurs de betteraves.

Vous avez à la fois des producteurs, des associations de protection de l'environnement, des chercheurs et des industriels autour de cette table pour débattre comme dans les autres cas de manière animée, mais en respectant en même temps les règles du jeu qui sont fixées.

Qui souhaite commencer ?

Monsieur Bernard Convent, directeur général de PGS.

M. Convent - Permettez-moi tout d'abord, Monsieur le Président, de vous remercier de m'avoir invité à participer à cette table ronde et de me permettre ainsi d'appuyer votre démarche pour améliorer la transparence et l'information au sujet des OGM. Ce sont d'ailleurs également les objectifs de notre Groupe Agrevo-PGS.

En préambule, je voudrais partager avec vous mon adhésion aux propos tenus hier soir par le Ministre de l'Agriculture lorsqu'il disait que l'application des biotechnologies à l'agriculture s'inscrivait dans le prolongement de l'activité de l'amélioration des plantes qui a débuté avec l'activité agricole elle-même il y a plusieurs milliers d'années.

Aussi je propose que nous parlions dorénavant d'organismes génétiquement améliorés car si la modification ne s'accompagne pas d'un réel bénéfice pour la société et l'environnement, il n'y a pas lieu de développer de tels organismes.

Néanmoins je pense également et je suis particulièrement à l'aise car le caractère contradictoire du débat auquel vous nous invitez m'autorise à vous le dire, je suis consterné également par les propos du même Monsieur Le Pensec lorsqu'il nous disait hier soir, d'une façon relativement arrêtée, de ne pas considérer les améliorations au niveau de l'utilisation des herbicides, la problématique du désherbage et éventuellement les améliorations de rendement, comme étant un bienfait des apports des biotechnologies.

Or précisément, ces deux points ainsi que la résistance aux maladies et l'amélioration de la qualité des produits ont toujours fait l'objet de l'amélioration des plantes, de la sélection des plantes. Pour exemple je peux citer ce qui s'est passé avec le blé.

Il n'y a pas si longtemps, une soixantaine d'années, les sélectionneurs essayaient de trouver du blé poussant d'une façon très haute pour dominer les mauvaises herbes, seul moyen pour avoir une récolte.

Parallèlement, avec la venue des herbicides, les sélectionneurs se sont mis à cultiver du blé très court, non plus pour dominer les mauvaises herbes, mais pour améliorer les rendements, c'est-à-dire l'indice de récolte, la conversion de la biomasse, pour en retirer davantage de grains que de paille.

D'autre part, le phénomène de l'étude de la tolérance aux herbicides n'est pas d'hier puisqu'elle a également été pratiquée pour le blé. Aujourd'hui la plupart des blés sont tolérants aux herbicides issus de la famille des urae substituae , ce qui n'était pas le cas il y a vingt ans.

Les méthodes utilisées, c'est-à-dire des méthodes traditionnelles, ont déjà abordé les problèmes dont nous allons discuter maintenant dans le cadre des OGM.

Je puis dire que si nous n'avions pas ou que si nous avions découragé les sélectionneurs à cette époque d'améliorer le blé, il aurait fallu en France, aujourd'hui, trois fois plus de cultures de terres arables pour produire la même quantité de blé.

Ceci voudrait dire que nous devrions procéder à une déforestation de la plupart des forêts restant en France ce qui n'est pas sans conséquences pour l'environnement.

Dissocier la productivité de l'environnement ou des bienfaits pour l'environnement me semble être un point sur lequel je voudrais prendre la parole.

Venons-en au sujet de notre table ronde qui s'intéresse davantage aux avantages et désavantages des OGM. Jusqu'à présent nous avons plutôt parlé des risques que des avantages et je voudrais en noter quelques-uns.

Je reprends l'exemple de la maîtrise et de la façon raisonnée de pouvoir désherber nos cultures.

Mettre à la disposition des agriculteurs des herbicides respectueux de l'environnement, de post-émergence, qui n'ont peu ou pas d'effets résiduels, permet à l'agriculteur de gérer sa flore adventice et de ne traiter qu'en cas de nécessité, lorsqu'un seuil de nuisibilité est atteint.

Cela permet, pensons-nous, de diminuer jusqu'à 30 % les intrants en matière d'herbicide pour ces cultures. C'est un autre bienfait qui peut également être considérable pour l'environnement.

De même en ce qui concerne les cultures tolérantes ou résistantes à certains insectes ravageurs, nous assistons à un véritable progrès en matière de lutte raisonnée puisque, cette fois-ci, l'agriculteur ne touche que les insectes qui viennent se nourrir de sa culture et uniquement ceux-là.

Ceci permet également de diminuer l'application des insecticides qui, fatalement, alors qu'ils sont tous autorisés et acceptés parce que les risques pour l'environnement sont moindres par rapport aux bénéfices qu'ils peuvent procurer pour la société et l'environnement, sont néanmoins moins ciblés que ces approches de transgénoses avec des toxines éventuellement comme celles de Bt.

En ce qui concerne les facteurs d'amélioration de rendement, je voudrais citer un exemple concernant l'hybridation. Nous pouvons penser et je crois que Monsieur le Ministre de la Santé parlait du phénomène du maïs lui-même par rapport au maïs sauvage.

Si nous n'avions pas aujourd'hui le maïs hybride, il faudrait également trois ou quatre fois les surfaces disponibles de terre arable pour produire la même quantité de maïs.

Pour le colza c'est la même chose. Aujourd'hui le colza hybride permet des productions plus importantes et la possibilité existe de réduire de 20 % les surfaces arables nécessaires pour produire la même quantité ou de produire plus de colza avec les mêmes emblavements.

Lorsqu'on sait que les huiles de colza sont particulièrement intéressantes et bénéfiques pour la santé même par rapport aux autres huiles, on a affaire à des bénéfices qui doivent également être considérés dans le débat.

Enfin je voudrais dire qu'Agrevo est également conscient des différents risques qui accompagnent éventuellement ces nouvelles technologies.

Agrevo est tout à fait déterminer à travailler de concert avec l'INRA et les instituts scientifiques, en tenant informé le public et en formant la profession et les agriculteurs à manier ces nouvelles technologies. C'est pour cela que nous sommes heureux d'être ici parmi vous.

M. le Président - Merci beaucoup. Qui souhaite intervenir en second ?

M. Vincent - Je représente ici 40 000 agriculteurs concernés par la culture de la betterave, aussi bien sous forme de racine que de semence.

Avant tout, je voudrais rappeler que la France est aujourd'hui le huitième producteur mondial de sucre, de saccharose, le premier producteur mondial et le premier exportateur mondial de sucre de betterave.

Il est bon de dire que cela contribue à un solde positif qui dépasse régulièrement 5 milliards de francs pour notre balance commerciale.

L'alcool ayant pour origine la betterave représente également les deux tiers de l'alcool agricole produit en France.

Le niveau de cette performance est dû à une maîtrise de plus en plus poussée de la technique. On peut dire que depuis vingt ans, et c'est reconnu, l'augmentation des rendements est de 2 % par an.

On peut dire aussi que la culture betteravière maîtrise parfaitement les applications de produits phytosanitaires, que cette efficacité technique a apporté une diminution spectaculaire des intrants puisque, aujourd'hui, on produit davantage de sucre avec 30 % de moins d'azote qu'il y a vingt ans.

C'est donc de très longue date que les planteurs français de betteraves ont pris conscience que la gestion des objectifs devait également prendre en compte les exigences des citoyens pour le respect de l'environnement et ses aspirations pour une agriculture durable.

Pour cette raison les planteurs de betteraves sont ouverts aux variétés génétiquement modifiées du moment qu'elles leur apportent des retombées positives d'abord en matière d'amélioration végétale et ensuite en matière de gestion du désherbage, domaine technique très important.

Le désherbage se fait d'ailleurs par voie chimique dans tous les pays du monde où l'on cultive de la betterave.

Les planteurs attendent du désherbage quelque chose :

- de plus efficace avec un spectre élargi,

- de plus simple, moins de matière active et moins de traitement,

- de moins phytotoxique, c'est évident, ce qui, entre autres, permet d'espérer un meilleur rendement même si ce n'est pas la finalité,

- indiscutablement de plus respectueux de l'environnement.

Il apparaît clairement aussi que cet aspect du désherbage n'est que la première pierre d'un chemin qui nous amènera à des variétés capables de résister à des maladies, à des stress, à la montée en graine, à la salinité des sols, etc. Ce sont également d'autres manières de diminuer les apports de produits phytosanitaires.

Le gouvernement a exprimé sa préoccupation à l'égard des risques courus du fait du passage d'un transgène vers des plantes interfertiles. Cela fait non seulement l'objet de l'attention des planteurs, mais également de l'Institut technique de la Betterave.

On doit dire ici dans le cadre de notre table ronde que l'expérience accumulée, et notamment les expérimentations déjà conduites depuis 1995 sur des plates-formes inter-instituts, démontrent que les conséquences de ce passage sont facilement maîtrisables par le biais de pratiques culturales bien identifiées.

A l'appui de cette certitude, des propositions techniques ont déjà été faites pour un suivi de biovigilance efficace. Ceci permettrait, au cas où des dérives apparaîtraient, de modifier voire d'en arrêter la culture.

Par ailleurs l'organisation actuelle de la filière, son cadre réglementaire et, je tiens à le dire, avec la contribution active et appréciée des pouvoirs publics, son encadrement sur le terrain, nous permettent d'assurer un développement raisonné et sûr de la nouvelle technologie liée aux OGM.

Sommes-nous favorables aux variétés génétiquement modifiées ? Pas à n'importe quel prix. Encore faut-il préserver non pas l'environnement, mais les environnements.

L'environnement économique est en effet un aspect non directement biologique, mais aussi vital. En matière d'économie aussi, à ne pas défendre son territoire, un pays est vite envahi.

Si le consommateur français venait à se détourner du saccharose issue de betteraves génétiquement modifiées en faveur du sucre de canne ou de n'importe quel autre édulcorant, la perte du potentiel français serait irréversible aussi bien en termes agricoles qu'en termes industriels.

Les planteurs de betteraves ne s'engagent donc à cultiver des variétés génétiquement modifiées que s'ils ont l'accord des industriels et lorsque ce risque sera suffisamment maîtrisé vis-à-vis du consommateur sachant qu'il n'y a rigoureusement scientifiquement aucune différence entre le saccharose issu d'une betterave transgénique et celui produit par une betterave traditionnelle.

Ceci pose d'ailleurs le problème de l'étiquetage auquel nous nous opposons puisqu'il n'y a pas de différence.

En conclusion, sous réserve que cette technologie soit positive pour la filière, compte tenu des engagements déjà pris par les producteurs de racines aussi bien que par les producteurs de semences, en prenant en compte la mise en place d'un système de biovigilance efficace, sous réserve de l'acceptation des OGM par le consommateur et du non étiquetage, nous disons oui aux variétés génétiquement modifiées.

M. le Président - Merci. Monsieur Gouyon va donner l'avis des chercheurs sur ce point.

M. Gouyon - Je ne pense pas pouvoir donner l'avis des chercheurs, mais celui d'un petit groupe de personnes auquel j'appartiens. Je pense que l'avis des chercheurs diffère beaucoup comme dans toute classe de la société.

Etant donné les deux exposés précédents, je voudrais vous dire qu'en tant que chercheurs nous avons commencé à travailler sur ces questions il y a une dizaine d'années. Nous nous sommes rendu compte qu'il y avait clairement des avantages et des inconvénients.

En tant que laboratoire d'écologie du CNRS, nous allions chercher à voir quels étaient les risques pour l'environnement de la culture de ces OGM et essayer de travailler éventuellement avec les industriels. Nous avons d'ailleurs eu un programme commun européen avec PGS. Il y a donc une certaine concertation.

Les risques qui ont pu être identifiés vis-à-vis de l'environnement sont extrêmement multiples, divers et difficiles à généraliser.

Evidemment il y a des problèmes concernant la santé publique comme les résistances aux antibiotiques qui, actuellement, font quelque chose comme 10 000 morts par an en France et certaines personnes pensent qu'il serait bon de décider qu'on ne joue plus avec les antibiotiques.

Ce n'est certainement pas le fait qu'un maïs porte un gène de résistance à un antibiotique qui créera un problème majeur. Il y a bien plus grave dans le fait qu'on met des antibiotiques dans la nourriture du bétail en quantités effroyables et j'espère que cela s'arrêtera progressivement.

On pourrait dire qu'on ne joue plus avec les antibiotiques et, alors qu'il suffisait d'attendre un tout petit peu plus, il est regrettable que les sociétés aient créé un maïs avec une résistance aux antibiotiques car quelques années après, elles auraient pu faire autrement.

C'est un type de question qui peut se poser, je n'en discuterai pas davantage.

Pour l'environnement agricole lui-même, nous pouvons dire que, pour le moment, les firmes qui font des plantes transgéniques mettent les mêmes gènes de résistance dans la plupart des plantes. De ce fait nous ne voyons pas très bien comment elles sont en train de réfléchir à la manière dont l'agriculteur gérera ses assolements dans la suite des opérations. Là aussi je ne veux pas discuter davantage.

En plus vous avez ces quelques résistances qui existent actuellement sur le marché par le biais des croisements entre plantes cultivées.

On parle beaucoup des croisements entre plantes cultivées et plantes sauvages, mais les croisements entre plantes cultivées vont fabriquer des plantes avec des résistances multiples qui seront de plus en plus difficiles à gérer dans les champs.

Lorsque vous vous promenez au bord des routes, vous voyez du colza partout car le colza se ressème tout seul ce qui n'est pas le cas du maïs. Un colza résistant en même temps à de nombreux herbicides, peut devenir un problème réel dans les champs.

Ceci dit, au voisinage des champs il y a aussi des mauvaises herbes. Dans un premier temps nous pensions que les transferts de gènes seraient extrêmement rares et nous nous sommes rendu compte que cela arrivait pour le colza et que des mauvaises herbes recevaient des gènes de colza. Si jamais ce sont des gènes de résistance à un herbicide, cela risque de rendre ce dernier inopérant.

Pour d'autres plantes comme la betterave, c'est pire que tout. Dans les zones de production de semences, on a pu montrer que pratiquement les betteraves mauvaises herbes qu'on trouvait dans les champs de betteraves plutôt dans le nord de la France, qui venaient des semences produites dans le sud de la France, ces mauvaises herbes étaient en fait les filles des betteraves cultivées pour faire de la semence dans le sud.

C'est quelque chose que tout le monde savait plus ou moins, mais maintenant que cela a vraiment été montré par des méthodes de marquage moléculaire, on s'est rendu compte qu'il y avait là un problème. On ne peut pas espérer mettre un gène de résistance à un herbicide dans une plante cultivée sans le retrouver très rapidement dans les plantes sauvages.

Il faut savoir qu'une graine de betterave sauvage peut quand même durer plus d'une dizaine d'années dans le sol. Si jamais des betteraves sauvages deviennent résistantes à des herbicides majeurs, cela veut dire que dans les champs où elles seront, il sera difficile de s'en débarrasser pour la culture de betteraves.

Je passe sur ces problèmes d'herbicides, mais j'y reviendrai un tout petit peu tout à l'heure.

Le dernier point pour l'environnement porte sur le fait que lorsqu'on fait des résistances à des insectes, on ne sait pas comment on perturbera l'entomofaune, c'est-à-dire la faune des insectes existant autour de ces champs et en particulier les insectes qui, naturellement, étaient des agents de contrôle des insectes contre lesquels on veut lutter.

Cela posera-t-il des problèmes ? Je pense que cela nécessite des recherches.

Ces recherches sont lancées maintenant pour le maïs actuellement accepté à la commercialisation. Il sera très intéressant de voir ce qui se passera pour estimer les risques que nous courons. Il est clair que comme malheureusement beaucoup de ces risques sont à long terme, nous serons obligés sans doute d'attendre assez longtemps pour voir l'effet de ces cultures.

En ce qui concerne l'environnement agricole, pourquoi tout ceci peut poser des problèmes graves ?

Cela a déjà été dit, il y a effectivement des risques économiques divers.

Le risque économique de se faire distancer par les voisins est ennuyeux, de ce point de vue il est normal de dire qu'il faut défendre les OGM. Si les autres pays développent des OGM et pas nous, qu'y perdrons-nous ?

D'un autre côté, il est vrai que le fait de développer les OGM comme cela se passe actuellement contribue, dans le domaine agricole, à la centralisation du pouvoir de décision de quelques grosses firmes.

En conséquence on aimerait être sûr que ces quelques grosses firmes obéissent à une logique qui soit une logique d'agriculture durable. Et c'est ce qu'on ne voit pas tellement dans la manière dont elles nous répondent lorsque nous leur parlons de gestion des assolements par exemple.

Le dernier point, pour l'environnement en général, est qu'il faut savoir qu'il n'existe que deux herbicides totaux à l'heure actuelle pour lesquels on ne connaît pas de résistance naturelle des plantes.

Le jour où nous aurons transféré ces gènes de résistance dans des plantes cultivées, ces herbicides ne seront plus des herbicides totaux puisqu'il y aura des résistances et ce sera vrai peut-être à moyen terme pour les plantes sauvages apparentées, colza ou betteraves.

Je voudrais juste vous dire un mot sur le fait qu'il existe des problèmes auxquels nous ne pensons pas trop actuellement. Il s'agit du fait que les espèces sauvages apparentées vont recevoir des gènes de ces plantes.

C'est vrai pour les gènes de résistances aux insectes et cela risque de faire que la plante sauvage sera franchement avantagée puisqu'elle résistera aussi aux insectes à l'extérieur, donc qu'elle modifiera ce qui se passe à l'extérieur.

C'est vrai encore plus et ce sera peut-être encore pire pour les plantes sauvages qui sont très précieuses. Je conclurai là-dessus et je voudrais vous dire que je trouve ce problème très difficile à résoudre.

Les maïs viennent d'un ancêtre, le téosinte, plante qui pousse en Amérique Centrale.

Cette plante constitue une sorte de patrimoine pour l'humanité puisqu'elle contient la réserve de diversité génétique de l'espèce du maïs. On s'en sert actuellement pour essayer de réintroduire de la diversité dans le maïs. Si jamais on perdait cette espèce, ce serait très grave.

Evidemment, ce n'est pas en cultivant du maïs en France qu'on risque de faire du mal à l'espèce téosinte en Amérique centrale.

Mais si nous produisons un maïs qui a certaines particularités, comment éviterons-nous qu'il soit cultivé au Mexique ?

Pouvons-nous dire à un pays du sud que nous lui prenons sa plante, c'est-à-dire le maïs qui vient de chez lui, des ressources génétiques qui viennent du téosinte, nous améliorons tout ceci, faisons un peu de transgénèse, quelque chose qui marche très bien, mais il ne faut surtout pas qu'ils le cultivent chez eux ?

Là nous tombons sur un problème de politique internationale tout à fait hors de mes compétences. Si jamais nos activités nous amenaient à perdre le téosinte, je pense que ce serait très grave.

J'ai juste essayé de vous montrer la diversité des problèmes que peut se poser un laboratoire de recherche écologique sur ces questions et maintenant je préfère participer à la discussion que de continuer.

M. le Président - La parole est à M. Apoteker.

M. Apoteker - Merci, Monsieur le Président. De nombreuses choses que je voulais dire ont déjà été évoquées.

Je voudrais dire mon opposition à ce qu'a dit mon voisin de PGS. Pour ma part la transgénèse, le génie génétique sont des techniques radicalement différentes de tous les procédés d'amélioration des plantes depuis que l'agriculture existe.

Il est vrai que le but, l'amélioration des plantes, est quelque chose d'ancien, mais cette technique est radicalement nouvelle. Le fait de prendre des gènes de n'importe quelle espèce pour les introduire dans une plante est extrêmement différent de tous les croisements que nous avons pu faire jusqu'à maintenant.

C'est différent tout simplement parce que nous nous affranchissons de la barrière entre espèces qui est le résultat de quatre milliards d'années d'évolution de la vie sur la planète.

Nous créons ainsi de nouveaux organismes vivant que la nature n'aurait jamais pu créer qui n'ont pas de passé évolutif, de prédateurs naturels et dont le comportement dans les écosystèmes est largement inconnu.

C'est donc une technologie complexe et très nouvelle qui pose des risques inédits. La seule analogie que nous pouvons voir avec des phénomènes déjà documentés viendrait, à mon sens, de l'introduction intentionnelle ou accidentelle d'espèces exotiques dans des écosystèmes.

Dans bien des cas ces introductions se sont soldées par ces catastrophes écologiques, par la disparition de nombreuses espèces endémiques ou tout au moins par des dommages économiques considérables.

Je donne juste un exemple. Des cténophores qui sont des micro-organismes marins, ont été introduits dans la Mer Noire en 1982 par les eaux de ballast d'un navire venant de l'Atlantique. Cette espèce est devenue aujourd'hui l'espèce dominante en Mer Noire et représente 95 % de la biomasse.

A mon sens également, les expériences faites, les disséminations d'OGM en plein champ à titre expérimental ne nous donnent qu'une image inadéquate de ce qui se pourrait se passer dans l'environnement.

D'une part ces disséminations sont extrêmement contrôlées puisque nous voulons essayer d'évaluer les effets qu'elles auront et c'est tout à fait à l'opposé de ce qui va se passer ou se passera lors des disséminations commerciales.

D'autre part l'effet de taille est tout à fait primordial concernant les conséquences écologiques des introductions que nous pouvons réaliser.

Il est évident que si des populations d'insectes, de ravageurs ou de butineurs peuvent éviter de consommer des plantes qui seraient toxiques pour elles sur des petites surfaces, elles ne le peuvent pas sur des hectares ou des centaines d'hectares.

Même ces disséminations expérimentales nous ont montré quelques problèmes écologiques qui pourraient se produire - certains ont déjà été évoqués - et qui pourraient nous inciter à la prudence avant de nous lancer tête baissée dans l'aventure de la transgénèse commerciale.

Il n'est pas possible de faire en cinq minutes le tour des risques écologiques liés aux OGM car ils dépendent de la plante transformée, du transgène qui y est introduit et de l'écosystème dans lequel cette plante sera introduite.

Ceci dit, les études réalisées au cas par cas car nous ne pouvons pas généraliser ces problèmes, ne tiennent pas compte du fait que les effets écologiques d'une plante transgénique dépendront aussi des introductions précédentes. C'est ce qu'on a un peu expliqué avec la résistance aux herbicides.

Eviter les résistances croisées à des herbicides totaux nécessite lorsque nous évaluons une plante résistante à un herbicide total, de savoir ce qui a été fait auparavant. Cela posera effectivement des problèmes de gestion du territoire agricole assez complexes.

En général, et vous l'avez mentionné, Monsieur le Président, nous pensons aux problèmes des flux de gènes. A priori cela paraît être la caractéristique principale des plantes transgéniques.

Ces flux de gènes représentent ce que nous pourrions appeler une pollution génétique qui, à la différence de la pollution chimique ou radioactive que nous avons déjà malheureusement connue depuis un certain nombre d'années, est totalement irréversible.

C'est ce point qui me paraît particulièrement important dans l'application du principe de précaution : c'est l'irréversibilité de la pollution génétique.

Les plantes transgéniques, les organismes génétiquement manipulés sont des organismes vivants qui se reproduisent, se multiplient et deviennent néfastes. Si le gène est effectivement transféré à des espèces apparentées, il n'est plus possible de le rapporter au laboratoire.

A l'heure actuelle les conséquences en chaîne de ce flux de gènes sur les écosystèmes sont extrêmement mal évaluées et je crois que c'est pour cette raison qu'il ne faut pas disséminer aujourd'hui sur de grands espaces.

L'exemple américain avec des millions d'hectares déjà semés n'est pas un bon exemple pour parler de l'absence de dangers ou de conséquences écologiques graves car ces conséquences écologiques se produisent sur des dizaines, voire des vingtaines ou trentaines d'années alors que l'application commerciale des OGM aux Etats-Unis ne date que de trois à quatre ans.

Nous pouvons parler également des problèmes en chaîne qui ne sont pas liés aux flux de gènes, mais simplement à la pratique agricole qui sera transformée par les plantes résistant aux herbicides ou celles résistant aux insectes qui représentent la grande majorité aujourd'hui des plantes transgéniques.

Nous y reviendrons peut-être dans le débat, mais il est vrai que si une plante Bt résistant aux insectes transmet son gène à des espèces apparentées, non seulement ces espèces pourront devenir invasives comme cela a été mentionné, mais cela accélérera très fortement la résistance des insectes.

Je crois que je vais m'arrêter là, mais je pourrais continuer...

M. le Président - Il y a huit minutes de moyenne pour les quatre premiers.

M. Apoteker - Je vais m'arrêter là, merci.

M. Tepfer - Je vous parlerai de plantes transgéniques résistantes aux maladies virales et des risques éventuels qui peuvent leur être associés.

Nous travaillons sur ce sujet au laboratoire. Depuis environ douze ans nous étudions différentes stratégies de création de gènes de résistance aux virus et depuis un peu moins longtemps nous étudions des risques potentiels.

L'intitulé de cette table ronde comportant aussi un volet avantages, je vais également en parler.

Lorsque nous parlons de résistance aux virus, nous parlons de plusieurs sortes d'avantages dont certains que nous négligeons un peu.

Il est clair qu'il existe des cas où un des avantages très importants est ce que nous a dit hier le Ministre, c'est-à-dire une augmentation du rendement de certaines cultures.

Même si en Europe nous sommes dans une situation de large suffisance de production agronomique, ce n'est pas forcément le cas au niveau mondial. Il ne faut pas oublier qu'il existe des maladies virales chez le manioc et d'autres espèces très importantes dans les pays en voie de développement avec des augmentations de population à prévoir dans les décennies à venir.

Cela fait que nous ne pouvons pas négliger l'outil transgénique pour apporter, si nécessaire, des augmentations de rendement au niveau mondial.

Par ailleurs en ce qui concerne les intérêts commerciaux des semenciers français, si la France veut continuer à jouer un rôle dans les semences au niveau international, nous ne pouvons pas négliger les outils et les questions de rendement.

Il y a aussi des phénomènes de qualité. Des maladies virales peuvent affecter la qualité des produits, ce qui est un problème tout à fait réel en Europe.

Un autre point souvent soulevé est que nous utilisons des pesticides pour éliminer les vecteurs de virose chez les plantes. Si nous pouvions créer des plantes résistantes, cela permettrait de diminuer l'utilisation de certains pesticides particulièrement nocifs.

Je reviendrai à la fin de mon exposé sur cette question précise.

Lorsque nous parlons de plantes transgéniques résistant aux maladies virales, nous parlons essentiellement de plantes qui expriment un segment de génome viral. Le plus souvent ce sont des gènes qui codent pour la protéine de la coque virale, la protéine de capside et c'est quelque chose de très important.

Il faut dire aussi que les gènes de résistance capside sont très efficaces. Nous avons pu créer dans différents laboratoires partout dans le monde de très nombreux gènes de résistance aux maladies virales qui marchent très bien. L'avenir potentiel de ces résistances est très important.

Quels sont les risques que nous évoquons lorsque nous parlons des gènes viraux dans les plantes, les gènes de résistance aux maladies virales ?

Celui qui semble poser le plus de problème est le potentiel de recombinaison et je vais développer un peu ce point précis.

La question est toute simple. Puisque la plante transgénique résistante exprime un segment de génome viral, lorsqu'elle est infectée par un virus, peut-il y avoir, à partir du transgène, échange d'informations génétiques des gènes qui seraient introduits, dont le virus infectant ?

Nous intégrerions des informations génétiques dans un génome viral ce qui permettrait éventuellement la création de nouveaux virus.

Cette question est tout à fait intéressante et, en tant que tel, le phénomène a pu être démontré en laboratoire.

Sans entrer dans les détails, pour les chercheurs actuellement, la question réellement importante aujourd'hui n'est pas tant de savoir si la combinaison peut avoir lieu dans les plantes transgéniques, mais quel pourrait être son impact.

En fait la recombinaison entre génomes viraux est un phénomène naturel, les plantes sont très souvent infectées par plusieurs virus en même temps. Toutes les études des évolutions des génomes viraux qui se font actuellement, montrent que la recombinaison est un phénomène extrêmement fréquent.

Les virus dont nous connaissons la séquence génomique sont quasiment toujours plus ou moins recombinés, dérivés d'autres génomes viraux plus ou moins apparentés.

La question est donc de savoir si les recombinaisons qui peuvent avoir lieu dans une plante transgénique se font à une fréquence différente de ce qui existe déjà dans la nature ou si elles peuvent être de nature différente. C'est là que la question doit réellement se situer.

Pour terminer je voudrais juste donner un exemple qui peut nous concerner tous. Lorsque nous parlons de risques, dès que nous admettons qu'il peut y avoir un risque, la tendance chez certains est de pousser des hauts cris et de dire que s'il y a des risques ils n'en veulent pas.

Il faut citer quelques exemples concernant la France et pour lesquels les Français ne réagiraient pas forcément de cette manière. Un des exemples les plus parlants est celui d'une maladie très grave de la vigne causée par un virus.

Ce virus est actuellement contrôlé essentiellement par l'utilisation d'un hématicide qui tue le vecteur, c'est-à-dire un petit ver dans le sol des vignes. Cet hématicide est très toxique et il est prévu de ne plus s'en servir dans quelques années, je crois que c'est déjà décidé au niveau européen.

D'une certaine façon pour les vignes françaises, nous avons le choix entre trois possibilités :

- nous continuons à utiliser l'hématicide qui est toxique et risque de contaminer les nappes phréatiques,

- nous utilisons des vignes transgéniques qui résistent au virus en question, c'est en cours de développement dans quelques laboratoires,

- nous acceptons d'arrêter l'utilisation du pesticide et nous ne voulons pas de vignes transgéniques.

En fait il faut assumer les conséquences de notre choix, quelles sont-elles ?

D'une part une perte de quantité de production de raisins très importante, mais également une perte de qualité qui est plus ou moins catastrophique. Les vins produits à partir de vigne atteinte par ce virus ne sont pas bons.

Je crois que même pour le Français moyen, le choix entre ces différentes possibilités est très compliqué et je vous laisse voter à l'heure du déjeuner pour l'une de ces trois possibilités.

M. le Président - Très bien, nous verrons cette question avec le vin tout à l'heure.

Monsieur Tillous-Borde, de la Fédération des oléoprotéagineux, est le dernier intervenant.

M. Tillous-Borde - Merci, Monsieur le Président, de m'avoir invité à cette table ronde.

Bien entendu, en tant que représentant des producteurs d'oléagineux et de protéagineux, c'est la conscience du producteur qui est interrogée, mais bien entendu aussi par rapport au citoyen qui l'entoure.

Par rapport à ce qui a été dit, le producteur de protéagineux est quand même dans une situation un peu particulière en Europe puisque c'est le seul grand secteur déficitaire : nous importons pratiquement 80 % de nos besoins en protéines végétales.

Sur les 50 millions de tonnes d'importation de produits agricoles, une bonne trentaine de millions proviennent des sojas ou autres produits venant des Amériques du Nord ou du Sud.

Compte tenu de ce contexte économique c'est un problème particulièrement important qui nous est posé aujourd'hui.

Par rapport au débat posé, le producteur n'a jamais été fermé à l'innovation, mais a toujours eu une attitude mesurée par rapport à elle.

Aujourd'hui il réfléchit à ce qu'on lui propose à la fois par rapport au problème économique, au problème de la qualité des produits qu'il serait capable de produire et bien entendu par rapport au problème de la pollution. Il est souvent la cible et il doit voir ce que cela peut apporter par rapport au problème de pollution.

J'ai trois remarques à faire.

Nous avons évoqué le problème de la dissémination et, effectivement pour certaines espèces, je crois qu'il ne faut pas nier les flux de gènes. Cela existe, c'est un phénomène naturel, heureusement, c'est ce qui fait un peu la richesse de notre patrimoine génétique. Mais ce n'est pas quelque chose de spécifique aux OGM. Qu'il y ait gènes ou transgènes, le problème est le même.

Sur ce plan, je pense qu'il ne faut pas avoir une attitude généralisée, mais une attitude au cas par cas. Ce n'est pas la même chose de parler d'OGM, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, Monsieur le Président, de deuxième génération qui sont amenés à améliorer la qualité des produits, par exemple modifier le spectre d'acides gras de certains oléagineux qui répondront ainsi mieux aux besoins alimentaires.

S'il y a effectivement dissémination, ce n'est pas une contrainte en soi. D'ailleurs nous avons déjà été amenés dans le passé à traiter ce genre de problèmes, lorsque, dans les années 80, il a fallu réduire les colzas riches en acide gras érucique pour diverses raisons et que nous sommes passés à des colzas dits "double zéro".

Nous avons su faire, nous avons fait et cela n'a posé ni de problèmes d'éthiques ni de problèmes majeurs par rapport à l'environnement.

Nous avons parlé du problème de résistance aux herbicides. Je dirais qu'effectivement, dans les conditions extrêmement particulières de forçage, l'INRA a montré qu'il pouvait y avoir un transfert de pollen vers des plantes, des composites mâles stériles. Ce sont des conditions très particulières, il ne faut pas le nier.

Nous nous apercevons aussi que, dans les champs, dans des expérimentations qui existent aujourd'hui, il n'y a pas la pression génétique, il n'y a pas, pour l'instant, de transfert apparent de ces points.

De toute façon que cela se produise ou non, le problème - et cela a été souligné par plusieurs intervenants - est un problème de gestion agronomique de la sole. Le problème est de savoir si nous n'agissons pas inutilement lorsque nous utilisions des semences de ce type.

Normalement cela part d'un bon sentiment, il s'agit d'utiliser moins de pesticides. Nous reviendrions un peu à la case de départ si ceci était démontré et nous serions obligés de réutiliser ce qu'on appelle des pesticides spécifiques au cas où des repousses ou des adventices auraient reçu cette résistance.

Il y a un problème de gestion plutôt de patrimoine agricole, donc de soles. C'est un cas à traiter sans doute à part, pour lequel il faut sans doute approfondir les connaissances et qui n'est pas non plus grave en soi.

Le problème des insectes qui est un autre cas a déjà été envisagé, je ne reviendrai pas dessus.

Une réflexion que nous pouvons aussi avoir, est de savoir ce que nous pouvons apporter à l'environnement. Cela peut aussi lui apporter de bonnes choses.

Lorsque nous prenons en compte les nouvelles plantes qui, par exemple, maîtriseraient mieux l'assimilation de l'azote nitrique du sol et permettraient ainsi de mettre moins d'engrais ou encore permettraient à la plante de l'absorber au bon moment, nous voyons bien que c'est un élément favorable dans la maîtrise de l'environnement. Nous ne pouvons donc pas nier ce que cela peut apporter.

Il en est de même lorsque je parlais de qualité de produits tout à l'heure. Nous envisageons, et c'est pour demain, des produits oléagineux à spectre d'acides aminés également modifiés. Ces produits permettraient d'avoir une nutrition plus adaptée aux besoins des animaux, c'est-à-dire produisant moins d'excréments.

C'est peut-être aussi une manière intelligente de traiter les problèmes de l'environnement. Il ne faut pas nier ceux-ci mais les considérer.

Vous voyez plusieurs aspects entre la dissémination et l'apport à l'environnement. Je pense que c'est un problème assez important.

Une troisième réflexion que je ferai pour conclure est que c'est un problème mondial.

Ces problèmes ne se posent pas uniquement au niveau de l'Hexagone. S'il y a des disséminations en France, elles existent en Pologne, au Canada, dans des zones équivalentes de production.

Nous avons dit aussi : commerce international, le produit bouge, c'est une responsabilité de l'ensemble des scientifiques. Je pense qu'à ce sujet nous devons vaincre nos peurs, faire confiance aux scientifiques.

Il y a encore énormément de travail à faire, mais attention, nous étions le pays vraisemblablement le plus riche en patrimoine génétique dans le monde. Il ne faudrait pas qu'en laissant faire les autres, nous perdions notre valeur et que notre agriculture en pâtisse.

M. le Président - Nous voyons qu'en matière d'environnement vous avez des opinions tranchées. Ce n'est pas du tout comme dans le débat sur les consommateurs tout à l'heure qui était pourtant animé.

Certains d'entre vous disent que finalement les OGM apporteront des risques très forts en matière d'environnement. Il faut que le principe de précaution s'applique, il faut le moratoire, il faut étudier parce que nous n'avons pas suffisamment de recul même avec des expérimentations en champs ouverts.

D'autres disent que tout ceci est réglé, il s'agit de techniques culturales, ce ne sont pas des problèmes d'environnement. Nous avions les problèmes d'environnement, nous les avons dans les conditions classiques de culture, nous avons donc déjà ces problèmes et nous les avons déjà gérés ce qui n'est pas toujours vrai ou ce qui n'a pas toujours été fait de la même manière.

Je caricature pour bien montrer et pour que vous puissiez répondre à certaines questions.

Première question : effectivement Monsieur Tepfer donne un bon exemple qui est celui des herbicides et des pesticides qui existent actuellement.

Nous pouvons le regretter, nous avons modifié les législations européennes avec les taux d'atrazine et de cimazine, cela contamine les nappes phréatiques, l'eau, plusieurs problèmes se posent.

D'ailleurs au niveau des peurs psychologiques, je vous donne le sondage réalisé sur le consommateur européen car je n'ai pas celui sur le consommateur français. Ce qui vient en deuxième position dans les peurs, ce sont les résidus de pesticides, 79 % des consommateurs en ont peur pour en moyenne contre 44 % pour le génie génétique aujourd'hui.

Cela peut évoluer car de nombreuses personnes ne savent pas ce que c'est. Je vous l'ai déjà dit hier et je vous ai donné des exemples.

Est-ce aujourd'hui une alternative plutôt meilleure ? Vous avez parlé de la vigne, avec des gestions qui seront difficiles. Cela peut-il venir en remplacement des pesticides ou des herbicides ?

Il y a des problèmes, Monsieur Gouyon et Monsieur Tepfer l'indiquaient, les industriels un peu moins, mais il y a des problèmes bien ciblés, bien identifiés.

Finalement devons-nous nous poser cette question ainsi ?

Au contraire, devons-nous nous dire que nous avons les pesticides et les herbicides, et que nous les avons acceptés parce que nous avons admis en fin de compte que l'agriculture devait être compétitive. Nous admettons cela, mais n'admettrons-nous rien de plus, rien de nouveau ?

Je voudrais que vous répondiez d'abord à cette question.

M. Gouyon - Je voudrais vous dire qu'en ce qui concerne tous ces produits qui sont plus ou moins indésirables dans l'environnement, tous ces pesticides, je pense qu'il s'agit de molécules dont nous avons besoin, dont nous nous servons. Certaines sont toxiques et nous aimerions les remplacer par des moins toxiques.

Il faut savoir que lorsqu'une mauvaise herbe commence à se montrer résistante à un herbicide, les agriculteurs ne l'abandonnent pas, ils commencent par augmenter les doses et si cela ne marche pas, ils le mélangent avec d'autres.

En fin de compte le fait que des plantes, des mauvaises herbes ou des cultures indésirables dans le champ en question deviennent résistantes à un herbicide, amène effectivement une augmentation générale de la pollution par ces pesticides.

Cela dit, je ne suis pas du tout pour l'interdiction des OGM, mais je trouve que nous devrions réellement raisonner sur la façon dont nous devons les utiliser.

A l'heure actuelle, je comprends très bien que pour des raisons économiques les industriels soient pressés de sortir des produits et de prendre pied sur le marché. Je pense que c'est une difficulté et que si nous les empêchions totalement de le faire, cela pourrait nous coûter cher.

D'un autre côté cependant, nous avons un peu l'impression qu'à l'heure actuelle, les produits proposés au niveau OGM, sont presque des prototypes. On essaye de nous faire prendre les vieux Bréguet pour des avions de ligne modernes et là, il y a quand même une précaution supplémentaire à prendre.

Ce n'est donc pas un principe de précaution absolue, mais il s'agit juste de demander d'attendre que nous sortions des produits un peu plus élaborés. Nous sommes tous capables de dire ce que nous aimerions qu'un maïs ou un colza fasse par rapport à ce qu'ils font actuellement et nous savons que c'est faisable.

A quel moment est-ce que cela sera acceptable ? C'est là que la question se pose.

M. le Président - Une question complémentaire, Monsieur Gouyon. Il y a plusieurs produits actuellement dans les "tuyaux" à Bruxelles.

Vous seriez dans les commissions d'accréditation, accepteriez-vous tous ces produits ? Ce sont surtout des maïs, mais il y a un colza. Diriez-vous au contraire qu'il est nécessaire de faire des études complémentaires ?

M. Gouyon - Je vous avoue très sincèrement que dans l'état actuel des choses, je ne suis pas très favorable au fait que nous mettions des résistances aux deux herbicides précieux (Basta et Roundup) dans le colza. Là, je peux vous répondre assez facilement.

Concernant les nouveaux maïs qui sortent, ceux-ci n'ont plus la résistance aux antibiotiques, c'est déjà un progrès. En revanche nous pouvons regretter qu'ils produisent de façon constitutive la toxine du bacillus thuringiensis qui tue les insectes et ceci constamment.

Les producteurs, les grandes entreprises industrielles sont en train de chercher à faire des productions inductibles. Pour moi l'OGM propre sera celui qui n'exprimera la toxine que lorsque nous le lui demanderons.

Faut-il attendre que cela existe pour accepter ce genre de maïs ou pas ? Je ne pense pas avoir les compétences pour vous dire s'il faut accepter ou non ce maïs, je ne connais pas les éléments économiques réels en jeu.

Je peux dire que si cela ne coûte pas trop cher au plan économique, je préférerais que nous attendions des produits un peu plus élaborés.

M. le Président - Un industriel veut-il donner un avis sur les mêmes questions ?

M. Convent - Il est indéniable que des progrès se feront. Nous l'avons également dit hier lorsque nous avons présenté la discussion sur l'étude du génome et de toutes les connaissances qui pourront être développées à ce moment-là.

En revanche, ne pas considérer aujourd'hui les produits qui sont disponibles sur la liste autorisée à Bruxelles et dans d'autres pays pour faire davantage progresser les connaissances de cette nouvelle approche qui pourra donner beaucoup d'avantages ultérieurement, serait retarder considérablement cette nouvelle progression.

En effet l'utilisation de ces plantes tolérantes aux herbicides permet d'étudier très pratiquement les conséquences de la gestion et les conséquences sur les croisements qui pourraient éventuellement exister entre cultures.

Ce serait vraiment retarder, je crois, le progrès.

Maintenant en ce qui concerne l'introduction de ces plantes tolérantes, nous sommes tout à fait d'accord de la faire d'une façon encadrée, de les mettre en place avec les systèmes de biovigilance nécessaires et ensuite d'apprendre et de continuer à chercher les meilleures solutions.

M. le Président - En complément de ceci, finalement il y a quand même dix ans que c'est en champ et trente commissions ont donné des avis positifs.

Il y a dix ans que vous faites de la recherche sur ce sujet. Il est vrai que le chercheur a toujours tendance - et je l'étais - à demander l'étude de ces sujets de recherche car ce sont des crédits qui arrivent. Je connais ceci et c'est fort légitime.

Cela dit, cela fait dix ans qu'il y a de la recherche. J'ai entendu Monsieur Apoteker dire qu'il y a d'énormes dangers pour les écosystèmes. Finalement, n'avons-nous aucune expérience au bout de ces dix ans ce qui voudrait dire que nous n'en avons pas eu du tout ?

Avons-nous déjà une expérience sur ces dix ans ? Pouvons-nous dire que des problèmes d'écosystèmes se sont déjà posés ?

Pouvez-vous dire aujourd'hui que des vrais problèmes se sont posés ? Dans l'affirmative lesquels ?

Monsieur Gouyon d'abord, puis Monsieur Apoteker et éventuellement une autre personne.

M. Gouyon - Je voudrais vous rassurer tout de suite pour ce qui concerne la recherche.

Malheureusement ces questions n'étant pas du tout reconnues comme majeures par les organismes de recherche, nous ne recevons à peu près rien lorsque nous travaillons sur ces sujets.

M. le Président - Nous le dirons au ministre, M. Allègre, ce soir.

M. Gouyon - Il est assez difficile de caser des étudiants qui ont été formés sur ce genre de sujet. Je voudrais que vous le sachiez, à l'heure actuelle nous sommes obligés de les faire se reconvertir dans d'autres domaines pour qu'ils trouvent du travail.

C'est plutôt de l'altruisme de travailler sur de tels sujets dans les laboratoires de recherche.

M. le Président - Hier les ministres ont tous dit qu'ils allaient le faire.

M. Gouyon - Cela fait des années qu'ils le disent. A part cela, depuis dix ans que nous travaillons sur ces questions, qu'avons-nous pu faire ?

Nous avons pu essayer de regarder des choses qui ressemblaient à des OGM sans en être, par exemple des résistances à des herbicides qui n'étaient pas OGM et voir comment elles se répandaient.

C'est très curieux, mais actuellement il est vrai que nous ne sommes pas capables de prédire la manière dont se répandra une résistance.

Sur une petite plante, le son, est apparue la résistance à l'atrazine en Champagne. Cette résistance est descendue toute la vallée du Rhône et a envahi les vignobles du sud de la France. C'est le même gène qui s'est transmis ainsi. Or il n'est jamais monté de chaque côté de la vallée du Rhône et surtout il n'est jamais parti ni vers le nord, ni vers l'est, ni vers l'ouest à partir de son point de départ en Champagne.

A l'heure actuelle, nous sommes incapables de comprendre pourquoi cela s'est fait ainsi. Nous sommes en train de travailler là-dessus.

M. le Président - Ceci veut dire que pour l'atrazine, pesticide que nous n'avons pas hésité à utiliser, nous avons vu une résistance non-OGM et là nous le traitons en technique culturale.

M. Gouyon - Tout à fait. Cela veut dire que nous avons augmenté les doses, fait des cocktails. L'atrazine n'était pas un herbicide total dès le départ car certaines plantes y résistent naturellement, c'est la différence avec les deux herbicides Basta et Roundup.

M. le Président - Pour que ce soit clair pour tous, y compris pour le Parlement lorsque nous aurons cette question à poser, cela veut dire que les OGM ne posent pas de problème nouveau par rapport à l'utilisation des pesticides ou des herbicides.

M. Gouyon - Si parce qu'ils s'attaquent à deux herbicides pour lesquels il n'y avait pas de résistance avant.

M. le Président - Excepté les totaux.

M. Gouyon - Oui, mais pour le moment il n'y a que ceux-là.

M. le Président - Je pose la question sur tous les herbicides.

M. Gouyon - Excepté les totaux. Si nous reprenions un gène qui existe déjà et que nous le mettions dans une plante, cela ne poserait pas le même problème.

Evidemment nous n'avons pas pu voir de problèmes avec les OGM dans la mesure où, jusqu'à maintenant, ils n'étaient pas disséminés, mais nous avons vu des problèmes qui y ressemblaient et qui se sont effectivement posés.

Nous pouvons dire que comme les choses se produisent naturellement, ce n'est pas très grave si nous les induisons par notre activité. D'un autre côté cependant comme de nombreuses catastrophes s'induisent naturellement, nous n'avons pas envie d'en augmenter la proportion par notre activité.

Même si des phénomènes de diffusion de résistance à des herbicides se produisent naturellement, ce n'est pas une raison pour faire exprès qu'il y en ait encore plus. Au contraire, par notre activité, nous devrions essayer de faire en sorte que cela arrive le moins souvent possible.

M. Apoteker - Je voudrais rebondir sur ce que vous avez dit.

Vous avez mentionné ces dix ans de recherche. Encore une fois, dix ans pour ce qui est des effets sur les écosystèmes, c'est extrêmement peu. Si nous voyions en dix ans des effets extrêmement grave sur un écosystème, il faudrait immédiatement tout arrêter.

En ce qui concerne les introductions d'espèces exotiques, nous avons commencé à voir les effets au bout de quinze, vingt ans.

Cela ne paraît donc pas significatif et je dirai qu'à l'inverse, nous n'avons pas vu de gros problèmes écologiques, mais qu'au fur et à mesure de la recherche, nous voyons une somme de petits problèmes inquiétants qui n'étaient pas forcément soupçonnés au départ.

Nous avons parlé par exemple des disséminations de gènes chez le colza, nous avons vu les différents articles qui parlaient de la distance de dissémination.

Initialement nous pensions que cette distance était extrêmement faible, voire inexistante, puis nous avons parlé de 80 m autour des parcelles, après de 500 m. Maintenant nous voyons des croisements qui ont lieu à 2,5 km autour de parcelles expérimentales.

Je crois que nous avons suffisamment d'éléments et si aucun n'est absolument catastrophique aujourd'hui, ils devraient quand même nous inciter à la prudence.

Je voudrais aussi répondre très rapidement au problème des alternatives.

Aujourd'hui nous nous rendons compte que la pollution par les insecticides et les herbicides est un problème extrêmement important, que ce soit au niveau des nappes phréatiques, des sols ou même à celui des résidus de pesticides dans les plantes.

Je crois que l'alternative ne se résume pas uniquement à : "biotechnologie ou utilisation de pesticides".

D'une part les augmentations de résistance aussi bien des insectes que des mauvaises herbes à des herbicides montrent que cette alternative n'est au mieux que provisoire et non à long terme.

D'autre part, et cela a déjà été souligné, nous voulons essayer de nous orienter - ce sera un des thèmes de la loi d'orientation agricole - vers une agriculture plus durable. Les ressources considérables mises dans la recherche sur les OGM pourraient être utilement orientées vers des alternatives qui iraient davantage dans le sens d'une agriculture durable.

Je pense entre autres à la lutte biologique. A cet égard, concernant l'exemple du maïs Bt qui vient juste d'être autorisé en France, vous avez sans doute tous vu que nous avons parlé récemment de la lutte biologique avec le trichogramme qui donne peut-être des résultats un peu moins bons que les OGM, mais encore une fois la pyrale du maïs n'est responsable que de la perte de 7 % des récoltes, soit un différentiel assez faible.

A mon avis, nous pourrions essayer de développer utilement des alternatives de lutte biologique aux alternatives biotechnologiques.

M. le Président - J'ai une question pour les industriels qui va dans le sens de ce qui vient d'être dit.

Aujourd'hui nous sommes dans un débat sur des gènes de résistance à des herbicides totaux et je crois qu'un vrai problème vient d'être posé par plusieurs intervenants.

Vous indiquez qu'il est finalement très important de développer les OGM parce que nous sommes dépendants économiquement d'importations de soja dont les acides aminés sont indispensables. Dans l'alimentation du bétail il faut de la lysine et de la méthionine, c'est-à-dire qu'il faut trouver des plantes qui ont des taux importants en lysine et en méthionine.

Pourquoi dans les programmes de recherche n'avez-vous pas commencé à fabriquer des plantes riches en lysine ou en méthionine voire même, puisque vous parliez de gestion des assolements tout à l'heure, à fabriquer du pois dans les gestions d'assolement de manière traditionnelle et du pois où ces composants auraient été augmentés ?

C'est un peu comme les problèmes nutritionnels abordés dans la table ronde précédemment. Pourquoi n'avons-nous pas pris les bons produits ?

Sans doute ce sont les produits les plus rentables qui ont été commercialisés en premier, cela dépendant d'ailleurs pour qui... ?

M. Tillous-Borde - Ce sont les plus faciles.

M. le Président - Les plus faciles et pas forcément les meilleurs produits ?

M. Tillous-Borde - C'est plutôt à Monsieur Convent de répondre car il est un spécialiste en la matière.

C'est sans doute effectivement parce qu'il était plus facile, au départ, de faire de la transgénèse sur la résistance à des herbicides - le marché était probablement également plus important - que simplement répondre à des problèmes de modifications technologiques ou qualitatives de la plante.

Encore une fois, je voudrais revenir sur le fait que, pour l'instant à ce stade et en vraie grandeur, cette dissémination - vous avez parlé tout à l'heure du colza et du colza ravenelle - n'a pas été démontrée alors qu'elle est étudiée.

Je ne nie cependant pas qu'il y a forcément des flux de gènes dans la nature, il serait ridicule de dire l'inverse.

Bien évidement pour l'agriculteur, tout ce débat existe dans la mesure où cela peut lui apporter quelque chose. Si nous ne lui démontrons pas que cela lui apporte quelque chose et que cela apporte également une qualité du produit aux consommateurs, je ne vois pas pourquoi il utiliserait ces produits. Ce n'est pas un stakhanoviste de l'utilisation des produits OGM.

Par ailleurs vous parlez de rotation, en l'occurrence, si nous parlons d'oléagineux, ce sont des têtes d'assolement.

J'ai bien souligné tout à l'heure que la résistance aux herbicides n'est pas un problème de dissémination à travers la totalité de notre écosystème, mais vraiment beaucoup plus un problème agronomique de culture de la plante.

Dans la rotation, nous passons après à une céréale. Ce n'est plus le même produit de traitement, nous réutilisons un produit spécifique. Il n'y a donc pas de grand danger en soi. Au niveau agricole, nous sommes vraisemblablement capables de maîtriser les choses.

Encore une fois, y a-t-il bien intérêt, est-ce bien démontré ? Là c'est aussi aux conseillers scientifiques de bien nous apporter les preuves.

En revanche, permettez-moi d'insister sur le fait que lorsque nous parlons d'amélioration de la qualité des graines comme je l'ai mentionné tout à l'heure, il serait vraiment effectivement monstrueux de fermer cette possibilité dans la mesure où cela répondrait à un besoin pour l'ensemble de notre population et à une meilleure efficacité de l'utilisation des produits transformés.

De toute façon, il faut faire attention au fait que ces produits viennent librement de l'extérieur. Que ce soit en termes d'utilisation alimentaire ou en termes du problème de cette table ronde qui est plus environnement, le produit rentre librement par le commerce.

C'est donc bien un problème de conscience mondiale et pas uniquement un problème de conscience hexagonale.

M. le Président - Les problèmes d'environnement ne sont pas forcément les mêmes dans un pays que dans un autre, il faut donc les traiter différemment.

M. Tillous-Borde - Ils sont très voisins. Au Canada ce n'est pas forcément la même adventice, mais le phénomène existe de la même manière. En Pologne c'en est encore une autre.

M. le Président - Monsieur Convent, il faut essayer d'avancer car les points de vue sont diamétralement opposés.

M. Convent - Je voudrais revenir un peu sur ce que mon voisin a dit il y a quelques instants.

Il dit que nous n'avons pas d'expérience et que lorsque les expériences sont courtes, par exemple une dizaine d'années, ce n'est peut-être pas suffisant en milieu d'environnement.

En revanche, il faut quand même convenir que les augmentations spectaculaires des surfaces de colza qui ont eu lieu en France ne datent pas d'il y a cent ans, mais d'il y a vingt, trente ans.

S'il y avait eu un flux de gènes très important par rapport aux herbes sauvages (ravenelle, cinapis ardensis , etc.), nous aurions pu constater des effets autrement importants vu la pression de pollen qui existe. Le pollen voyage à 3 km car il est transféré par les abeilles qui butinent dans un rayon de 3 km.

Cela dit, je pense qu'il faut intégrer les expériences ultérieures que nous avons eues dans le domaine. Peu importe si ce gène est présent par une technique d'amélioration ou une technique de génie biomoléculaire.

Lorsque l'INRA introduit une résistance à une maladie dans le colza, s'il y avait des risques de flux importants de gènes, nous conférerions théoriquement un avantage de sélection aux ravenelles et autres mauvaises herbes.

Tous ces éléments peuvent être intégrés dans l'expérience que nous avons acquise. Je vous rappelle que PGS est une société issue de l'université de Gand qui est un exemple de ce que, demain, nous devrions davantage créer en France, cela a été dit à la table ronde sur le génome, pour pouvoir progresser, maîtriser les connaissances et les appliquer.

Il y a dix ans, les connaissances permettant de connaître le métabolisme complexe de la production de certaines huiles ou autres éléments organoleptiques dont nous avons parlé ce matin, n'étaient pas disponibles de la façon dont elles le deviennent maintenant. Il a donc fallu commencer avec des choses traçables également pour les expériences, les sélections, etc.

Le marqueur est un outil remarquablement utilisé dans ce domaine et qui a fait énormément progresser la science dans le domaine de la biogénétique.

M. le Président - Quand avez-vous planté de manière expérimentale votre premier colza en Europe ?

M. Convent - A l'époque j'étais responsable de recherche pour la division agrochimique de Roussel Uclaf et nous avons fait, Roussel Uclaf et l'INRA, les premiers essais en 1987 ou 1986.

M. le Président - Il y a onze ans.

M. Tepfer - J'ai un point de vue un peu intermédiaire. Je pense que les dix années d'expérimentation avec les plantes transgéniques nous ont permis d'avancer énormément dans notre compréhension du flux de gènes chez certaines espèces, le colza et notamment la betterave.

Je pense que c'est loin d'être négligeable et il ne faut pas non plus perdre de vue que si nous admettons qu'il peut y avoir des flux de gènes, même si des preuves formelles sur la rapidité de ces flux ne sont pas encore disponibles, la question importante porte sur les conséquences.

C'est ce qu'il faut tenter d'examiner au plus près car dans le cas des résistances aux herbicides, les conséquences potentielles sont l'existence de mauvaises herbes résistant aux seuls herbicides totaux qui existent. Nous savons à peu près comment le gérer, nous pouvons imaginer certaines choses.

Lorsqu'il s'agit de transgènes qui peuvent conférer des avantages sélectifs d'ordre biologique, que ce soit une résistance à un pathogène, au froid ou encore à la sécheresse, il faut à nouveau se poser la question des conséquences.

Cela ne veut pas dire que les conséquences sont toujours néfastes. Par exemple pour le foma, les parents sauvages du colza sont-ils déjà résistants ou y sont-ils sensibles ?

Je ne sais pas car ce n'est pas mon domaine d'expertise personnel. Si les parents sauvages sont déjà résistants, le transfert n'aura aucun impact écologique.

Il faut donc vraiment examiner chaque exemple au cas par cas car les conséquences ne sont pas du tout semblables.

M. le Président - Monsieur Vincent, vous avez été fortement mis en cause tout à l'heure sur la betterave par Monsieur Gouyon et vous n'avez pas répondu.

Qu'avez-vous à répondre à Monsieur Gouyon qui dit que c'est au niveau de la betterave qu'il peut y avoir le plus de problème ?

Ce n'est pas exactement ce qu'on m'a dit lors des auditions. Un certain nombre de chercheurs ont énormément relativisé le risque chez les betteraves sauvages. Je souhaiterais que nous puissions avoir ce débat et que vous répondiez à Monsieur Gouyon.

M. Vincent - Il y a plusieurs risques pour différents types de population de betteraves, il y a la betterave racine cultivée dans le tiers nord de la France.

Les populations en danger sont de deux natures.

La première est la betta vulgaris subspecies maritima . C'est la betterave botanique qui pousse sur une bande de quelques mètres le long du littoral. Cela concerne le littoral allant de la frontière belge à la plaine de Caen puisqu'on ne cultive pas de betteraves au-delà du Calvados.

Les autres populations concernées sont les populations de betteraves adventices que nous trouvons dans les champs de betteraves racines. Ce sont des dérivés amenés par les betteraves cultivées, introduites par l'homme depuis qu'il cultive de la betterave dans ces régions. Elles n'appartiennent donc pas à la flore naturelle des régions où nous cultivons des betteraves racines.

Premier point : détruire ces betteraves adventices par le système de betteraves résistantes est une manière d'atteindre notre but consistant à dépolluer la flore naturelle de ces betteraves adventices. C'est le premier cas de figure.

Supposons que ces betteraves adventices qui sont des parasites, acquièrent le caractère de résistance. A ce moment-là nous retombons dans le cas de figure actuel. Les betteraves qui, aujourd'hui sont adventices, sont par définition résistantes au désherbage puisque nous n'arrivons pas à les éliminer par les méthodes classiques.

En l'occurrence en matière de betterave racine, en culture industrielle, ce type de pollution ou la mesure du risque lié à ce type d'environnement artificiellement créé par l'homme est insignifiant.

Revenons à la betta maritima qui pousse sur les quelques mètres de littoral. Je dis bien quelques mètres car je pense que d'un point de vue botanique, cela ne va pas plus loin même si cette betterave peut vivre dix ans. Ce n'est pas une plante annuelle ou bisannuelle, mais une plante pérenne.

Les observations et les études faites n'ont jamais aujourd'hui mis en évidence une rétroversion de la part de la betterave cultivée vers la population de betterave sauvage ; cela n'a jamais été mis en évidence.

Deuxième point : si cela devait être le cas avec le caractère de résistance, ce caractère serait conféré à une betta maritima qui n'en a pas besoin et que de toute façon nous ne combattons ni d'une manière ni d'une autre puisque c'est une plante sauvage qui n'a pas besoin d'être désherbée.

Cette plante est naturelle, elle fait partie du paysage et en l'occurrence, elle n'est menacée ni par le gène que nous lui apportons ni par les façons culturales l'entourant.

Supposons néanmoins - et je conçois votre trouble en qualité de spécialiste et de botaniste - que nous ayons apporté un gène nouveau, que nous ayons modifié la betta maritima , que nous lui ayons apporté un gène de résistance au glyphosate ou à quelque chose d'autre, sans vouloir vous provoquer, je vous demande : et alors ?

Ce gène en question ne pénalise pas la plante, il représente même un coût biologique pour la plante, il ne lui apporte ni une quelconque supériorité sur le reste de sa population ni une faiblesse par rapport à celle-ci. Il apporte un coût biologique qui, en l'occurrence, étant inutile, ne se perpétuera pas d'une manière apte à modifier les équilibres biodynamiques.

M. le Président - Monsieur Gouyon en réponse, j'ai quelques autres questions après.

M. Gouyon - Il y a plusieurs points.

En premier vous nous dites : depuis dix ans que savez-vous ? On nous dit que depuis dix ans nous n'avons rien vu, il ne se passe rien. Depuis le temps que nous cultivons du colza "double zéro", cela n'a rien changé dans les populations adventices.

Mais nous n'en savons rien, l'étude des populations adventices n'a pas été faite !

Lorsque je vous disais qu'il n'y avait pas de moyens pour la recherche, comprenez bien que trois petites équipes travaillent là-dessus en France depuis dix ans. Il y en avait une quatrième à Lille qui a abandonné faute de moyens.

Ce sont des groupes de deux, trois personnes isolées dans un laboratoire. Mon laboratoire compte cent personnes, il y en a deux qui travaillent sur cette question : un chercheur et un étudiant.

Aussi ne croyez pas qu'en dix ans nous avons pu accumuler des sommes fantastiques de résultats avec des effectifs pareils ! Cela n'a rien à voir avec le nombre de personnes qui travaillent à la production de plantes transgéniques.

Le résultat est que très récemment, avec le CETIOM entre autres, un nouveau laboratoire de mathématiques de l'INRA commence à étudier ces questions et nous avons commencé à essayer de regarder ce qui se passait pour le colza et les adventices.

Nous ne savons tellement rien que cela prendra du temps avant de savoir quelque chose : il faut repérer les populations adventices, aller les chercher, voir si nous pouvons trouver des traces de gènes des populations cultivées dedans.

Il faut regarder les colzas sur les bords des routes et se demander d'où ils viennent. Personne ne sait d'où viennent les colzas qui ne sont pas dans les champs. Personne ne sait s'ils sont directement issus des graines de culture de l'année d'avant ou s'ils arrivent à se maintenir tout seuls dans la nature, nous n'en savons rien.

Nous ne savons presque rien sur toutes ces questions et vu nos effectifs, nous commencerons peut-être à avoir des réponses dans dix ans, mais n'espérez pas que nous en ayons dans six mois, ce n'est pas possible !

Qu'on ne dise pas que les cultures de colza n'ont rien fait sur les mauvaises herbes ! Comme personne n'a jamais regardé ce problème, nous ne connaissons pas la réponse.

M. le Président - Cela a-t-il posé des problèmes ?

M. Gouyon - Je n'en sais rien. Nous ne voyons pas comment le fait que la ravenelle devienne "double zéro" pourrait poser des problèmes.

M. le Président - C'est davantage sélectif.

M. Gouyon - Effectivement comme le fait de ne plus produire d'acide érucique pour une ravenelle ne changerait rien, nous ne le verrions pas et cela ne poserait pas de problèmes.

En revanche le fait de devenir résistante à un herbicide conférerait un avantage dans les champs à cette mauvaise herbe où là nous verrions le gène se répandre très vite.

Il suffit de l'arrivée d'un gène de résistance qui marche bien dans une mauvaise herbe pour que ce gène se répande à une vitesse extraordinaire. La première année vous n'avez qu'une seule plante qui résiste, elle fait des graines et l'année d'après ce sont toutes les autres.

M. le Président - Cela se voit vite quand même.

M. Gouyon - Les résistances aux herbicides se voient vite.

M. le Président - Cela peut se combattre.

M. Gouyon - Non. Ce sont des problèmes que nous avons eus avec l'atrazine, il y a des taches de résistance aux atrazines dans toute une série de mauvaises herbes.

Une fois que les graines existent, les mauvaises herbes sont des plantes vraiment bien fabriquées par la sélection naturelle agissant dans le milieu agricole, pour savoir résister à tout ce que nous savons leur faire. Elles ont des graines qui tiennent longtemps dans le sol, qui se disséminent bien. Nous ne les éliminerons pas, et une fois que nous le voyons, c'est trop tard !

Si l'agriculteur avait l'intelligence de dire que comme cette plante est résistante, il faut qu'il la désherbe à la main, ce serait parfait. Mais nous ne pouvons pas lui demander de passer son temps à arracher toutes les plantes qui sont là malgré le désherbage et qui ne sont pas nécessairement résistantes.

M. le Président - Il faut mettre en place la biovigilance, les ministres l'ont indiqué et vous avez parlé de la gestion des OGM demain.

Comment voyez-vous cela Monsieur Gouyon ?

M. Gouyon - Je répondrai d'abord sur la betterave.

Je suis tout à fait d'accord avec betta maritima des bords de la Manche, ce n'est pas elle qui nous pose problème pour le moment. En revanche, que se passe-t-il ?

On nous dit qu'on va mettre une résistance aux herbicides dans les betteraves cultivées et que de cette manière on se débarrassera des betteraves sauvages puisque c'est essentiellement d'elles qu'il s'agit.

Evidemment, comme les betteraves cultivées et les betteraves sauvages dans le sud de la France s'hybrident - il n'y a des betta maritima qu'au bord de la Manche, mais il y a de très nombreuses betteraves sauvages près des champs de production de semences dans le sud-ouest - cela veut dire que des graines qui sont des hybrides entre betteraves cultivées et sauvages et qui se comportent comme des betteraves sauvages, vont aller dans les champs et être semées dans les champs du nord de la France.

Que se passera-t-il ? Ces mauvaises herbes, donc betteraves, seront instantanément résistantes à l'herbicide, cela prendra au maximum deux ou trois ans.

On nous répond que ce n'est pas grave, qu'on sera revenu à la situation d'avant où on ne savait déjà pas les désherber. Il ne faut pas exagérer. D'accord nous ne saurons toujours pas les désherber, mais en plus elles seront résistantes à nos herbicides précieux.

Si dans quelque temps nous trouvions un moyen de rendre les plantes cultivées résistantes à l'herbicide avec en plus quelque chose qui empêche que cela passe à la mauvaise herbe, ce sera perdu. Nous aurons beau avoir trouvé ce moyen, comme les mauvaises herbes seront déjà résistantes, nous ne pourrons plus le faire.

Je trouve que c'est quand même une drôle de mentalité de dire que ce n'est pas très grave, le gène de résistance traînera, nous aurons gagné pendant deux ans et cela nous suffira à être rentable. Je trouve que là c'est un manque de responsabilité sur le long terme.

M. le Président - Je pense que c'est un point important.

Si jamais dans tous les cas c'est ce qui se passe au Canada ou dans d'autres pays même pas européen, par les semences n'arriverons-nous pas à la même situation ?

M. Gouyon - Si jamais nous importons des semences où il y a eu des hybridations... Je vous avoue que je n'ai pas étudié la question.

Y a-t-il des betteraves sauvages qui s'hybrident avec des betteraves cultivées au Canada ? J'avoue que je n'en sais rien et je ne peux pas vous répondre.

M. le Président - D'une manière générale même si nous mettons en place un système de protection au niveau de l'environnement, si jamais il n'y a pas le même système de protection au niveau mondial, nous aurons des risques de contamination par les semences.

M. Gouyon - Il y a des risques indéniables. Cela étant, comme le disait Arnaud Apoteker, c'est déjà arrivé et cela a donné des catastrophes.

Il faut quand même que vous sachiez qu'il n'y a plus un seul oiseau originel des îles Hawaii, ils ont tous été éliminés par les introductions que nous avons pu faire, etc. Je ne vous parle même pas des lapins et de la myxomatose en Australie.

Bien sûr de telles catastrophes ont déjà eu lieu et la question est de savoir comment minimiser les risques que cela se produise avec nos nouvelles technologies.

Vous m'aviez demandé : quel type de gestion ?

J'ai l'impression qu'à l'heure actuelle nous avons demandé à des personnes extrêmement compétentes dans un domaine de prendre progressivement des décisions de plus en plus larges.

La Commission de Génie Biomoléculaire a réalisé des études extrêmement utiles et progressivement elle s'est trouvée débordée par la masse de toutes les questions auxquelles elle devait répondre.

Je pense qu'aucune commission à elle toute seule, ne pourra peser complètement le pour et le contre dans ces débats. Il serait sain que des personnes travaillent sur les risques, que d'autres travaillent sur les avantages économiques, etc. et qu'un débat politique ait lieu après à partir de ces évaluations.

Ceci me rendrait un peu confiance. Si jamais des techniciens, dont je fais partie, devaient donner des avis à eux tout seuls, je n'aurais pas confiance dans leurs avis.

M. le Président - C'est une bonne suggestion qui a déjà été indiquée hier dans le cadre de la Commission réglementaire et je crois que c'est effectivement une très bonne suggestion.

Monsieur Vincent, voulez-vous la parole ?

M. Vincent - Je souhaite répliquer à Monsieur Gouyon.

M. le Président - Vous dites qu'il ne faut pas étiqueter...

M. Vincent - Ne vous méprenez pas, ne portez pas de jugement sur ce que je vous dis !

En réponse à Monsieur Gouyon, je voudrais insister sur le fait que cette notion d'hybridation dans les champs de production de semences dans le sud-ouest est un problème que nous prétendons maîtriser. Je m'explique.

Plusieurs personnes ici dans cette salle savent de quoi je parle puisqu'elles ont visité, participé, étudié, écrit, réfléchi sur les techniques de production de semences hybrides dans le sud-ouest.

Sachant que la betterave est une plante anémophile, c'est-à-dire à pollen baladeur et à fécondation croisée, il y a une certaine vulnérabilité pour que des flux de gènes s'échappent. Cette vulnérabilité est plus qu'un danger, c'est une réalité, il y a un risque, le risque existe.

Quelle est la taille du risque ? L'enjeu de notre réunion est de connaître la taille du risque par rapport à l'environnement.

Risque il y a, oui, je le reconnais. Maintenant en matière de production de semences hybrides, en utilisant la stérilité mâle, des diploïdes, des triploïdes, des tétraploïdes, nous arrivons à maîtriser la pureté variétale des hybrides produits à moins de un pour mille d'impuretés.

A l'échelle de Darwin, il est sûr que c'est gigantesque. Maintenant reste à savoir quel est l'ordre, mais c'est un autre débat que nous pourrons aborder.

Quel est le coefficient que nous donnons à ces priorités dans notre débat de société ?

Nous maîtrisons parfaitement les isolements puisqu'il y a :

- 300 m d'isolement entre deux parcelles différentes,

- 600 m d'isolement entre deux parcelles qui utilisent un pollinisateur différent,

- 1 000 m d'isolement entre des parcelles qui utilisent des betteraves d'origine différentes.

Il y a une réglementation officielle, une interprofession qui gère, observe, surveille et sanctionne la production. 3 000 planteurs vivent cela en interprofession.

Je peux vous dire pour l'avoir vécu que nous organisons des battues non pas avec un fusil, mais avec une binette où nous ratissons les fossés, les cimetières, les cours de gendarmerie - je tiens à le dire, ce n'est pas une plaisanterie - de manière à éliminer tout type de betterave qui pourrait potentiellement émettre du pollen.

Par ailleurs si un incident ou une observation venait à être formulée, l'agriculteur en danger, menacé par sa faute ou pas, est mis en demeure de retourner sa culture. Et cela se fait et je l'ai vécu.

C'est sérieux, même s'il y a un risque que je reconnais, ce n'est pas du bricolage !

Je voudrais dire également que dans cet accord, ce travail que nous faisons avec le service officiel de contrôle, nous en sommes même arrivé à faire adopter une loi qui contraigne, dans la gestion des jachères, les agriculteurs responsables d'un champ en jachère de la propreté de leur champ pendant la jachère. Si nous trouvons la présence de betterave de quelque nature que ce soit dans leur jachère, la prime de jachère leur est supprimée.

Ceci veut dire qu'il y a une prise en charge. Nous ne pouvons pas aller jusqu'au bout, mais j'ai un cahier des charges extrêmement sévère - je l'ai ici à votre disposition - pour vous démontrer que toutes les précautions sont prises pour éviter qu'il n'y ait des transferts de gènes vers les populations indésirées.

La population de betta maritima concernée qui pousse dans la région est déjà sur le littoral à plusieurs dizaines de kilomètres.

M. le Président - Nous en avons déjà assez parlé sauf si vous avez quelque chose de nouveau à dire, mais il y a d'autres questions.

M. Vincent - Je conclus. Le risque est là, je ne le nie pas, je suis d'accord avec vous. Je ne veux pas faire preuve d'irresponsabilité en disant que j'accepte ce risque.

Ceci dit, en termes de débat de société il faut savoir quel est le coefficient de priorité que nous donnons aux différents paramètres qui attirent notre attention.

M. Roqueplo - Je voudrais relever ce point car cela me paraît très important dans le débat.

Cela prouve que l'introduction de végétaux génétiquement modifiés oblige à une surveillance jusque et y compris des jachères, d'où ma question.

Avec la généralisation des végétaux génétiquement modifiés, ne faudra-t-il pas avoir un double cadastre dont un tiendra en permanence les modes de culture chaque année ?

Cela veut dire que nous aurons un système de contrôle, une sorte de doublure de la culture dans tous les chefs-lieux de cantons pour savoir que la parcelle A et autre qui est à 1 km ont un risque ou non... C'est vertigineux !

M. Vincent - Cela se fait déjà pour les semences, ce n'est pas l'OGM en soi.

M. le Président - Ces distances sont édictées par des arrêtés préfectoraux. Cela se fait donc déjà sans aucune référence aux OGM.

M. Tepfer - Nous avons énormément parlé de betterave et de colza, mais ce sont deux espèces parmi X qui ont été transmises à différents laboratoires, qui sont en cours de mise sur le marché dans différents pays.

La question de flux de gènes en Europe, par exemple pour le maïs, les tomates, les melons, n'est pas un problème.

S'il existe en Europe deux ou trois ou quatre espèces cultivées pour lesquelles les questions de flux de gènes se posent, comment allons-nous le gérer ?

Mais pour les autres espèces, n'oubliez pas que les OGM existent là aussi et qu'ils seront proposés très rapidement à la mise sur le marché.

M. le Président - J'ai une autre question. Nous avons beaucoup parlé d'un sujet ce qui est bien puisque nous avons été jusqu'au fond sans que les points de vue ne se rapprochent.

Ma question porte sur les virus. Vous avez indiqué les avantages en termes d'insertion de gènes de capsides virales, vous avez parlé de certains risques.

Pendant mes auditions un certain nombre de personnes ont dit que nous jouions avec le feu en insérant des gènes de capside virale dans certaines plantes car il pouvait y avoir un certain nombre de risques de transcapsidation. A un moment donné, en insérant des gènes viraux, par des mutations, nous pourrions avoir certains types de modifications.

Je ne suis pas virologue, j'aimerais que vous nous indiquiez si, oui ou non, il y a un risque effectif en matière virale.

M. Tepfer - La question est assez vaste, je n'entrerai pas dans les détails.

Concernant l'hétéro-capsidation, les risques potentiels associés à ce phénomène que nous connaissons, veulent dire que la protéine de capside synthétisée à partir du transgène peut être impliquée dans des particules virales de l'autre virus qui a infecté la plante en question ; cela peut avoir quelques conséquences.

Ce qui a été déjà été fait dans certains laboratoires, a été de modifier les gènes capsides pour éliminer les potentiels néfastes dus à l'hétéro-capsidation.

Cela permet de vous signaler qu'un des éléments du travail qui est réalisé actuellement, est de diminuer les risques potentiels. C'est un exemple où la question de transmission de virus éventuellement possible via l'hétéro-capsidation est quelque chose, à mon avis, en cours de résolution.

Pour ce qui est des problèmes dont nous discutons depuis dix ans concernant les gènes viraux, il est clair que le plus important et le plus difficile est le problème du potentiel de la recombinaison.

Aujourd'hui je crois que nous avons très peu de moyens. Je ne veux pas aussi aller trop loin dans le sens de Pierre-Henri Gouyon, mais les possibilités de recherche en ce qui concerne l'étude de la recombinaison chez les plantes transgéniques sont infimes par rapport à la nature du problème.

Nous avons néanmoins pu voir que nous avons pu créer des recombinants en laboratoire. Une des questions importantes est de savoir si nous pouvons ou non créer des virus recombinants pires que les souches parentales.

M. Fauquet - Je peux vous donner quelques informations complémentaires. Je suis également virologue pour les plantes et je travaille avec des virus qui sont dans les pays tropicaux, les géminivirus.

Nous venons de découvrir dans la dernière année que, dans la nature et ce n'est pas une question d'organismes génétiquement modifiés, ces géminivirus recombinent constamment dans les plantes entre des espèces de virus carrément différentes.

Nous l'avons découvert car, dans le monde, il y a un certain nombre d'endroits où il y a émergence de nouvelles maladies causant des dégâts dramatiques au coton, au manioc, aux tomates, etc.

Comme Mark Tepfer l'a dit, c'est un phénomène tout à fait naturel qui existe déjà. Il y a déjà des conséquences essentiellement dues à l'homme qui transfère des virus, des insectes, des plantes du fait de tous les échanges commerciaux qui existent et sont déjà en place.

Cela rejoint aussi ce que disait Monsieur Gouyon tout à l'heure, dans de nombreux cas, nous ne connaissons pas ou méconnaissons ce qui existe déjà dans la nature.

L'existence des OGM nous permettra en partie de développer un certain nombre d'études qui nous montreront que ces phénomènes tout à fait naturels, qui ont déjà eu de nombreuses conséquences de par l'impact de l'homme, de la civilisation de l'homme, de son développement et de son commerce, sont déjà en place.

A mon avis, en ce qui concerne ces virus-là, le fait d'avoir un gène supplémentaire ne changera pas la situation par rapport à ce qui existe déjà.

M. Tepfer - Je voudrais juste abonder dans le sens de Claude Fauquet. Il est nécessaire que nous approfondissions nos connaissances fondamentales sur les virus des plantes.

Concernant la recombinaison par exemple, il y a deux ou trois ans nous croyions qu'un des groupes les plus importants, les petits virus, ne présentaient pratiquement jamais de recombinants naturels.

Lorsque nous avons disposé de suffisamment de données de séquences, il est apparu qu'au contraire, nous n'avions pas vu les recombinants car ils recombinaient tellement fréquemment que les génomes étaient composés de tout petits morceaux de différents éléments d'origine.

Ce sont des fréquences que nous ne pouvons pas quantifier donc si la recombinaison a lieu dans la nature entre virus, elle aura certainement lieu dans les plantes transgéniques, c'est clair.

La question qui se pose est celle des conséquences. Là aussi je pense qu'il faut avoir davantage de données avant de pouvoir se prononcer entièrement.

Pour répondre un peu à une question sous-jacente, que faut-il faire aujourd'hui ?

Il faut faire de la recherche, pour moi c'est clair et nous nous y employons un peu dans la mesure de nos moyens. Je pense aussi qu'il faut évaluer au cas par cas les avantages et inconvénients potentiels de tel ou tel type de gènes et résistances, son origine, la manière dont cela fonctionne et ce qui se passe si nous ne nous en servons pas.

Je pense qu'il faut faire ce genre d'analyse très générale pour savoir si nous devons assumer les risques. Ceux-ci ne seront jamais nuls, il n'existe aucun cas de risque zéro ni dans la nature ni dans la technologie.

Quel est le bon équilibre entre le fait d'assumer certains risques et le fait d'envisager certaines pertes au niveau agronomique ?

M. le Président - Je vais maintenant poser une question un peu ennuyeuse. Je l'ai posée en privé à Monsieur Apoteker et je vais la poser en public car nous avons posé toutes les questions. Nous l'avons eue en privé, mais il est important de la poser en public.

Les Etats-Unis sont le pays qui développe le plus les plantes transgéniques avec 16 millions d'hectares en 1998. Finalement Greenpeace est une organisation internationale, or Greenpeace fait des actions spectaculaires en Europe, notamment en France et je crois que nous avons discuté de manière très positive avec Monsieur Apoteker, mais je suis obligé de poser la question.

Pourquoi n'y a-t-il pas d'action de votre organisation aux Etats-Unis et pourquoi y en a-t-il en Europe ?

Nous avons quand même un peu l'impression vu d'ici, et cela m'a été dit dix fois dans les auditions, que finalement il y a une focalisation sur l'Europe où il n'y a pas de culture alors qu'aux endroits où il y a des cultures, pratiquement aucune action n'est menée par les mêmes organisations.

M. Apoteker - Je vous remercie de me poser la question et je suis très content qu'elle me soit posée en public.

Je crois qu'il y a une question d'échos médiatiques de ce que nous faisons en Europe ou ailleurs.

En réalité nous avons également fait des actions spectaculaires aux Etats-Unis sur le problème des plantes transgéniques, nous les avons même faites avant de les faire en Europe, en particulier sur des champs de soja transgénique résistant au Roundup.

Nous avons également mené des actions sur les barges qui descendaient le Mississippi depuis la compagnie Monsanto.

L'autre chose qu'il faut bien préciser est que c'est beaucoup plus difficile et nous l'avons vu dans les autres tables rondes.

Je crois qu'il y a une question culturelle aux Etats-Unis, dans la vision du progrès technologique et dans l'alimentation faisant que le public américain est beaucoup moins réceptif pour l'instant aux dangers que nous essayons de lui faire voir.

M. le Président - C'est un retour sur investissement.

M. Apoteker - C'est cela. Je veux quand même signaler qu'un de nos espoirs est que cette opposition des consommateurs et d'un grand nombre de citoyens en Europe, aura un effet aux Etats-Unis.

Si les exportateurs américains se rendent compte qu'ici nous n'en voulons pas, s'ils réalisent que les consommateurs européens et français en particulier ne veulent pas de ces produits, peut-être qu'ils se poseront aussi des questions sur le type d'alimentation qu'ils consomment.

M. le Président - Merci, Monsieur Apoteker, vous m'aviez fait la même réponse et il était bien que tout le monde l'entende.

Monsieur Gouyon, une dernière question. Tout à l'heure vous avez parlé du maïs du Mexique en donnant l'exemple de ce que Bernard Kouchner disait hier soir. Il disait qu'il était aussi petit que la phalange de son petit doigt et qu'il était maintenant devenu gros comme son appendicum, son avant-bras, et il a joint le geste à la parole.

Vous avez dit que c'était grave car s'il y avait un maïs transgénique nous ne pourrions pas l'interdire au Mexique et s'il venait à être cultivé là-bas, il pourrait transférer un certain nombre de gènes. C'est déjà la même chose au niveau des maïs hybrides tels que cultivés aujourd'hui.

C'est une question à laquelle, à mon avis, vous n'avez pas répondu de façon suffisamment claire car j'ai toujours des interrogations après ce débat. Pour certaines c'est plus clair alors que pour d'autres j'en ai toujours car nous n'avons sans doute pas assez étudié le problème de l'environnement.

Vous avez sans doute raison, nous le dirons à Monsieur Allègre ce soir et je défendrai les chercheurs et notamment ceux dans le domaine de l'environnement.

Finalement ne dramatisons-nous pas les questions de flux de gènes avec les plantes transgéniques alors que c'est un phénomène qui a toujours existé et que nous n'avons pas suffisamment étudié ?

M. Gouyon - Je vais commencer par dire que cela dépend du couple gène/plante.

Je pense que si effectivement un gène améliorait la teneur en huile d'une plante, etc., il y a assez peu de risques qu'il aille faire des dégâts dans les populations naturelles.

Si jamais j'ai parlé de risques et que nous nous sommes concentrés sur la betterave, le colza, les gènes de résistance aux herbicides, c'est que là il y a un problème facile à identifier. Je pense qu'il existe de nombreux couples transgènes/plantes qui ne poseront pas de problèmes.

Pour ce qui concerne le maïs, j'ai voulu donner des exemples très larges au début sans les développer pour ne pas dépasser les huit minutes tacitement accordées, la plupart des gènes que nous mettons dans le maïs à l'heure actuelle, ne mettront pas le téosinte en danger.

En revanche, et c'est encore pire que tout car c'est pour des raisons que je trouve très bonnes, certaines personnes essayent de développer des gènes de résistance asexués chez le maïs appelés l'apomixie.

Si nous réussissions à faire marcher ce gène dans un maïs diploïde ce qui n'est pas le cas actuellement, personnellement j'ai des inquiétudes sur le fait que ce gène puisse se transmette au téosinte, le conduise à perdre totalement sa reproduction sexuée et à terme à s'éteindre.

Ceci est valable pour un gène particulier. La plupart des gènes que nous pouvons mettre dans le maïs ne poseront pas de problèmes au téosinte, mais pour celui-là je serais extrêmement inquiet si jamais il était cultivé dans les zones mexicaines ou d'Amérique Centrale.

M. le Président - Merci beaucoup, je crois que nous allons nous arrêter là. Merci à vous tous d'être venus ce matin.

TABLE RONDE VI : Avantages et risques en matière de santé

Allergies, résistance aux antibiotiques, métabolites, aliments fonctionnels... TABLE RONDE VI : AVANTAGES ET RISQUES EN TERME DE SANTE (allergies, résistance aux antibiotiques, métabolites, aliments fonctionnels...)

M. le Président -
Nous allons reprendre la dernière des quatre demi-journées d'audition en vous remerciant, Madame et Messieurs, d'être venus participer à cette sixième table ronde.

Hier M. Bernard Kouchner a été auditionné avant la table ronde et ce sera l'inverse pour la recherche ; ce sont un peu les hasards des calendriers.

Je voudrais vous dire que les risques éventuels en matière de santé sont bien entendu ceux qui, potentiellement, inquiètent le plus nos concitoyens.

Trois grandes catégories de questions sont posées ici :

- le problème des constructions génétiques faisant appel à un gène marqueur de résistance à un antibiotique, c'est le cas du maïs Bt de Novartis dont la culture a été autorisée en France ; la question de l'avenir concernera l'utilisation de virus ou de rétrovirus dans ces constructions ;

- le problème de l'éventuelle allergénicité des aliments produits à partir des plantes génétiquement modifiées ;

- l'éventualité de possibilités de mutations génétiques.

De même qu'en matière d'environnement les opinions sont très divergentes, cette table ronde nous permettra peut-être de nous faire une idée un peu plus précise de la réponse à apporter à cette interrogation.

Il ne faut certainement pas oublier qu'un aliment peut être allergénique pour certaines personnes sans être le moins du monde transgénique.

Nous l'avons vu notamment en visitant Pioneer aux Etats-Unis qui avait inséré le gène d'une protéine de noix du Brésil dans le soja. A la suite de cette opération, le soja était devenu allergisant. Il peut en être de même des arachides, du kiwi, d'un certain nombre d'autres plantes.

Il n'y a pas que des risques dans ce domaine, nous pouvons tout à fait penser que la transgénèse pourrait permettre de créer des aliments meilleurs pour la santé humaine. Cela a déjà été discuté ce matin.

En ce qui concerne les avantages éventuels nutritionnels des plantes transgéniques, nous pouvons évoquer des huiles à haute teneur en acide oléique fabriquées à partir de colza transgénique et déjà étudiées par Du Pont de Nemours aux Etats-Unis ou par Monsanto.

Lorsque nous assistons aux conférences d'un certain nombre de firmes, c'est la deuxième génération des produits qu'ils veulent sortir.

Enfin un problème qui inquiète également et dont Monsieur Séralini a déjà parlé, est celui de la toxicité d'un certain nombre de métabolites avec des modifications de métabolisme à partir du moment où des gènes ont été insérés dans certaines plantes.

Pour ce débat nous avons réuni autour de cette table un certain nombre d'experts qui connaissent tous ces problèmes, ces avantages et ces risques en matière de santé, que ce soit les problèmes de résistance aux antibiotiques, de métabolites, d'allergies ou encore d'aliments fonctionnels.

Sur votre droite, c'est-à-dire à ma gauche vous avez :

- Monsieur Patrice Courvalin, directeur de l'unité des agents antibactériens à l'Institut Pasteur, qui vient d'écrire un article dans "La Recherche" à ce sujet et que vous avez dû lire. Cet article est paru entre l'audition dans mon bureau à l'Assemblée Nationale et cette audition publique ouverte à la presse ;

- Monsieur Philippe Gay, directeur des biotechnologies de Novartis ;

- Monsieur Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen, qui a signé un appel des scientifiques pour un moratoire ;

- Madame Anne Moneret-Vautrin, professeur à la faculté de médecine de Nancy qui est une spécialiste reconnue des allergies en France ;

- Monsieur André Rico, président de la Commission d'Etude de la Toxicité des Produits antiparasitaires à usage agricole et substances assimilées.

Ce sont nos intervenants, je vais leur demander comme dans toutes les tables rondes que nous puissions avoir un temps après pour le débat.

Un certain nombre de questions m'ont déjà été indiquées dans ces domaines lors des 200 heures d'auditions privées sur le sujet.

Je vais vous demander d'être assez concis dans vos exposés liminaires, étant entendu que vous pourrez reprendre la parole lors du débat qui s'instaurera.

La parole est à Monsieur Gay.

M. Gay - Parmi les avancées permises par les plantes transgéniques, la résistance aux insectes est essentielle dans la mesure où il n'existe pas de gènes de résistance efficaces dans le génome de nombreuses plantes cultivées.

Les insectes posent deux types de problèmes au niveau de la santé publique.

Le premier est qu'ils prélèvent une part non négligeable des ressources alimentaires et qu'à un terme relativement proche ces ressources pourraient manquer.

Le deuxième est que les insectes sont vecteurs de maladies et plus particulièrement de maladies fongiques. Or les plus fréquents de ces pathogènes ( Aspergillus, Fusarium ) sécrètent des mycotoxines (nous connaissons l'aflatoxine, les zéaralénones, les patulines), toutes responsables de pathologies variées allant de l'induction de cancers à des troubles de croissance et de fertilité chez les animaux.

Les premières études conduites aux Etats-Unis sur le maïs transgénique montrent clairement que la présence des ces mycotoxines est diminuée de façon très significative chez les plantes rendues résistantes aux insectes par transgénèse.

Il est important de dire qu'avant l'avènement des plantes transgéniques, il n'est de denrée alimentaire qui n'ait été soumise à des enquêtes aussi approfondies quant à leurs conséquences sur le plan de la santé des hommes et des animaux domestiques.

Pour ce qui est du maïs de Novartis, plus de trente comités d'experts dans le monde se sont penchés sur le dossier et ont conclu à l'innocuité du produit. Cette constatation a été logiquement suivie d'une autorisation de mise sur le marché.

Ces comités se sont prononcés clairement sur des questions reprises aujourd'hui par les média. Les principaux points traités concernent deux domaines principaux :

- toxicologie et allergologie d'une part,

- transferts horizontaux de gènes d'autre part.

Dans le premier domaine, celui de la toxicologie et de l'allergologie, il s'agit des effets directs des nouvelles protéines synthétisées et des effets indirects sur le métabolisme.

L'analyse des plantes a été facilitée par le fait que les protéines en question sont empruntées à des organismes déjà présents dans notre environnement.

Nous pouvons citer deux exemples à ce sujet.

Les delta endotoxines de Bacillus thuringiensis qui sont la base de certaines préparations insecticides utilisées depuis plus de trente ans.

Tant les agriculteurs qui les épandent que les employés des usines qui les fabriquent ont été exposés à de très fortes doses de ces protéines. A notre connaissance, aucune pathologie n'a été détectée dans ces groupes, qui puisse être attribuée aux protéines Bt.

A l'inverse, les investigations associées à une tentative d'amélioration de la composition protéique du soja - il y a été fait référence il y a une minute par Monsieur Le Déaut - ont permis d'identifier l'allergène jusqu'alors inconnu de ce fruit.

Le produit n'a pas été développé, n'a pas dépassé le stade expérimental. Ceci montre que les garde-fous dans ce domaine sont efficaces.

Le deuxième domaine soumis aux investigations est celui des gènes marqueurs et leur éventuelle dissémination horizontale, c'est-à-dire leur transfert à d'autres espèces par des voies non sexuées.

Les gènes marqueurs sont des gènes dont la présence dans le produit final est une trace de la technologie employée tant pour les étapes de clonage que pour celle de la transformation des plantes. Ils ne sont pas forcément nécessaires au produit fini.

Parmi eux, vous avez des gènes de résistance à certains antibiotiques dont le gène bla (bêta lactamase) TEM1 présent dans le maïs de Novartis.

Il serait hors de propos de juger à ce sujet du bien fondé de la technique mise en oeuvre pour créer ce maïs, je m'explique.

Toute semence transgénique commercialisée aujourd'hui est le fruit de techniques qui l'ont précédée de dix ans. En ce sens la technologie présente dans un produit sera toujours en retard sur l'état présent des connaissances.

A l'inverse, il faut souligner que l'évaluation de la sécurité biologique bénéficie, elle, des développements les plus récents des connaissances. C'est ce que nous allons faire aujourd'hui.

Pour en revenir au gène bla TEM1 , la question a été posée de la contribution éventuelle du maïs à la dissémination de la résistance à l'ampicilline dans des micro-organismes tant du sol que du tube digestif.

Je suppose que nous reviendrons sur ce thème dans la discussion et je voudrais simplement le résumer.

D'abord aucun transfert de ce gène de la plante vers les micro-organismes n'a été démontré expérimentalement.

Ensuite, pour autant qu'elle soit possible, la fréquence de ce transfert potentiel serait au moins des dizaines de milliards de fois inférieur à celle des transferts naturels qui, eux, sont bien connus.

Ce sont là des arguments retenus par les comités scientifiques de la Communauté Européenne pour conclure que le transfert en retour du gène bla du maïs vers des micro-organismes est virtuellement impossible et ne serait, s'il se produisait, pas significatif sur le plan clinique.

La résistance aux antibiotiques est aujourd'hui un grave problème de santé publique. Il serait regrettable qu'à ce sujet, le public soit troublé par des amalgames ou des assertions trop spectaculaires.

Néanmoins les progrès de la technologie font que ce type de marqueur ne sera probablement plus présent dans les nouvelles générations de plantes transgéniques. Ceci contribuera certainement à éliminer le trouble que ces marqueurs ont causé dans l'opinion.

Je vous remercie de votre attention.

M. le Président - Merci beaucoup. La parole est à Monsieur Séralini.

M. Séralini - Ma conviction est que les OGM peuvent contribuer à l'amélioration de la santé de l'humanité, mais qu'aujourd'hui, par bien des aspects, nous fonçons dans le brouillard.

Bien que nous soyons dans un aspect analytique rapide de chaque groupe de questions, j'insiste dès le départ sur le fait que la synthèse des zones de non accord sur chaque question pose un réel problème pour la mise en place des OGM sans avoir un moratoire de recherche pour favoriser encore un certain nombre de contrôles et de mises en place des filières.

L'innocuité à long terme ne repose sur aucune base scientifique suffisamment sérieuse à notre avis comme à celui d'un certain nombre de scientifiques qui ont signé cette demande de moratoire.

Sur les points non résolus, je voudrais dire que dans la majorité des plantes génétiquement modifiées cultivées aujourd'hui ou en instance de culture et à visées alimentaires, trois groupes de gènes étrangers à leurs espèces hôtes ont été insérés.

Tout d'abord, comme vient de vous le rappeler Monsieur Gay, les gènes de résistance aux antibiotiques, puis ceux de résistance aux insectes et enfin ceux de tolérance aux herbicides. Chacun de ces points comporte des certitudes et des incertitudes.

Pour les gènes de résistance aux antibiotiques, les certitudes sont qu'il n'y a pas d'utilité agronomique dans le champ de l'agriculteur et que nous pourrions nous en passer, nous venons de l'entendre.

Ils pourront aussi sans doute se transférer dans le milieu. En tout cas ils seront déposés dans le sol à la dégradation de chaque plante qui comporte des dizaines de milliards de cellules. Il peut donc y avoir une rémanence de ces gènes dans le sol.

Le débat porte sur l'impact de ce transfert soit aux bactéries soit dans le tube digestif des mammifères qui consomment ces plantes.

Une autre certitude est que la résistance aux antibiotiques est devenue un problème important de santé publique.

Les incertitudes sont l'impact du transfert, c'est en cours d'étude par les comités qui ont été formés. A notre avis, ce point est suffisant pour avoir un moratoire de manière à ce que nous ayons le temps de développer des variétés sans ce gène.

En ce qui concerne les gènes de résistance aux insectes, il y a des certitudes.

Une certitude est qu'un insecticide est produit dans une plante alimentaire. Une autre certitude est que les dérivés de ces plantes ne sont pas étiquetés aujourd'hui en France.

Les incertitudes portent aussi sur l'impact sur la santé humaine et l'écosystème non évaluable à long terme. Si ces dérivés ne sont pas étiquetés, n'y aura-t-il pas d'effets secondaires imprévus ?

Dans ce cas, nous ne pourrons ni tracer ni retirer les lots du marché si bien que des filières entières de maïs et de soja auraient des problèmes.

Pour les gènes de tolérance aux herbicides, en disant cela je ne nie pas le bénéfice de l'utilisation des insecticides, mais je dis qu'il y a encore des problèmes et que ceux-ci justifient un moratoire.

Pour les gènes de tolérance aux herbicides, il y a des certitudes : nous allons augmenter la consommation des herbicides auxquels les plantes ont été rendues tolérantes. Il faut donc être très prudent dans les affirmations disant que nous aurons un bénéfice environnemental. Apparemment en effet ces herbicides ont une rémanence moins grande.

Une autre certitude cependant est que des effets secondaires sur la santé ont été publiés tant pour les deux principaux herbicides dit totaux, qui ne le sont plus maintenant puisque ces plantes y sont tolérantes. Il s'agit du glyphosate, principe actif du Roundup et du glufosinate, principe actif du Basta ou du Liberty .

Ces effets ont été publiés pour le Roundup avec des effets négatifs sur la fertilité, la mutagenèse. Récemment des dérivés du Roundup ont été trouvés liés sur l'ADN de foie d'animaux en ayant consommé.

Vous avez également la neurotoxicité pour les embryons et les bébés de mammifères.

Les incertitudes portent sur les métabolites de ces herbicides, pas seulement de leur principe actif, mais des adjuvants utilisés avec dans l'herbicide, qui pourraient s'accumuler dans la chaîne alimentaire comme nous l'avons déjà vu pour d'autres insecticides comme le DDT ou l'atrazine.

Même si ces herbicides sont moins rémanents, il peut y avoir des adjuvants ou des dérivés de ces herbicides qui peuvent être toxiques alors que nous ne l'avions pas prévu.

Il faut être prudent en donnant l'information que c'est un bénéfice environnemental. Il y a un bénéfice partiel, mais il faut, à notre avis, que le public soit informé qu'il y a aussi des inconvénients partiels et que nous ne pouvons pas dire que c'est tout beau.

A priori, il faut à notre avis, davantage de recherche pour étudier cela sur les mammifères.

Pour lever ces incertitudes et favoriser à long terme toutes les parties concernées, y compris les contrôles de qualité des entreprises qui pourront ensuite exporter des produits de qualité contrôlée et dûment vérifiée, il faut leur donner du temps.

Nous faisons évidemment des contrôles aujourd'hui et nous faisons toute confiance aux commissions qui les ont réalisés. Nous disons que c'est pour cette raison que nous voulons leur donner du temps, pour qu'elles puissent faire des contrôles sur le long terme.

Je suis donc favorable à un moratoire de cinq ans sur la commercialisation dans l'alimentation des OGM et des dérivés. Cela permettrait d'apporter des réponses plus précises à ces questions.

Merci.

M. le Président - La parole est à Monsieur Courvalin.

M. Courvalin - Je vais me concentrer sur les gènes de résistance aux antibiotiques puisque je suis là en tant que chef d'une unité à l'Institut Pasteur de Paris. Nous travaillons maintenant depuis plus de vingt ans sur les transferts de gènes dans les conditions naturelles ce qui est exactement le problème du jour.

Je suis également responsable du Centre national de Référence des Antibiotiques qui dépend du Ministère de la Santé, de la DGS et qui étudie les mécanismes de résistance aux antibiotiques.

Le problème tel que posé par les deux orateurs précédents est la possibilité d'un retour vers les bactéries des gènes de résistance utilisés au cours de la transgénèse puisque ce sont les gènes bactériens qui ont été introduits dans les plantes.

Comme il a déjà été dit, ce sont des gènes parfaitement inutiles dans les plantes, ils ne s'expriment pas. Comme l'a dit Philippe Gay, ce sont des vestiges des constructions intermédiaires qui sont vraiment tout à fait inutiles.

Les critères de choix, car il y a de très nombreux gènes de résistance aux antibiotiques, utilisés par les scientifiques pour les sélectionner c'est d'une part leur incidence élevée dans la nature et d'autre part le fait qu'ils conféraient de la résistance à de vieux antibiotiques qui ne sont plus utilisés en clinique humaine.

En fait il faut bien comprendre qu'il n'y a pas de gènes de résistance anodins ou ubiquistes et, à mon avis, ces choix ont été assez malheureux.

En ce qui concerne le gène bla qui confère la résistance à l'ampicilline, mentionné par Philippe Gay, il faut se souvenir que ce gène confère la résistance aux pénicillines et que celles-ci sont une des familles majeures d'antibiotiques utilisés tant en thérapeutique humaine qu'animale.

Ce qui est extrêmement important c'est que des mutations ponctuelles dans ce gène, c'est-à-dire le plus petit événement génétique que vous puissiez imaginer, le changement d'une seule paire de base, convertit ces pénicillinases en des céphalosporinases.

Une enzyme va non seulement inactiver toutes les pénicillines mais toutes les céphalosporines, c'est-à-dire les molécules les plus récentes. Une seule mutation va abolir quinze ans de recherche de toute l'industrie pharmaceutique.

Un autre type de mutation confère la résistance à un autre type de produit qui sont des inhibiteurs de pénicillinases. Dans l'arsenal thérapeutique, nous avons des molécules qui inhibent ces pénicillinases, qui rendent les bactéries à nouveau sensibles aux pénicillines et si nous les associons avec des pénicillines, nous pouvons traiter les bactéries.

Là encore une mutation ponctuelle peut conférer la résistance aux inhibiteurs de pénicillinases. Ce gène qui, apparemment, est banal, peut évoluer très facilement vers la résistance aux molécules humaines.

La deuxième chose est sa prévalence chez les bactéries pathogènes responsables de diarrhées. Nous avons dit que c'était un gène abondant, en fait c'est tout à fait erroné car s'il est présent dans les bactéries saprophytes, dans les bactéries commensales du tube digestif, il est beaucoup moins fréquent dans les pathogènes qui sont responsables de diarrhées comme les salmonelles, les shigelles, Escherichia coli ou les Vibriae cholerae .

La fréquence varie selon les espèces, mais elle est seulement de quelques pour-cent. C'est notamment un gène absent chez l'entérocoque, bactérie opportuniste qui donne des infections nosocomiales, c'est-à-dire acquises à l'hôpital. Ce gène est totalement absent chez cette bactérie qui est de plus en plus fréquente en clinique.

Un autre gène, le gène aph3'-2 confère la résistance à la kanamycine, à la néomycine. Il est vrai que ce sont des antibiotiques très peu utilisés, mais là encore une mutation ponctuelle peut conférer la résistance à l'amikacine.

L'amikacine est l'antibiotique le plus utilisé dans les unités de soins intensifs pour le traitement des infections acquises à l'hôpital. C'est également un antibiotique qui connaît un regain d'intérêt dans le traitement de la tuberculose du fait de la multirésistance aux antibiotiques de cette maladie.

Un troisième gène confère la résistance à la streptomycine, là encore un vieil antibiotique qui, lui aussi, connaît un regain d'intérêt car les bactéries sont devenues résistantes à la gentamicine et aux antibiotiques apparentés.

La streptomycine est le seul antibiotique de cette famille qui n'a pas de résistance croisée avec la gentamicine. Cela veut dire que les souches résistantes à la gentamicine restent sensibles à la streptomycine.

Là encore la streptomycine, en dépit de ses actions secondaires (sa douleur au point d'injection, sa toxicité), est de plus en plus utilisée dans le traitement des infections sévères chez l'homme, notamment l'endocardite, ceci à cause de la multirésistance.

Je crois que ces choix de gènes ne sont pas bons et de toute façon il n'y a pas de gènes anodins de résistance aux antibiotiques.

Maintenant il y a le problème du rétrotransfert, ce que Philippe Gay appelait le transfert horizontal d'informations génétiques, c'est-à-dire le retransfert du gène chez la bactérie.

C'est un domaine où nos notions sont extrêmement fluctuantes et cela rejoint les préoccupations de l'orateur précédent. C'est un domaine dans lequel nous nous apercevons qu'il y a des transferts de gènes qui se produisent dans la nature entre des règnes - non plus des espèces ou des genres - qui ont divergé il y a très longtemps.

Nous nous sommes notamment aperçus qu'il y avait des transferts des bactéries aux cellules de mammifères, des mammifères aux bactéries. Dans le dernier numéro de Current Biology , il y a un très bel article sur un gène de résistance aux antibiotiques chez une bactérie qui proviendrait des cellules de mammifères.

C'est un domaine extrêmement fluctuant dans lequel il faut être très prudent.

Nous arrivons vers cette notion de transfert horizontal d'informations génétiques entre des organismes qui ont divergé il y a des milliards d'années. Il faut donc être extrêmement humble et prudent en ce qui concerne ces transferts de gènes.

Comme je l'ai dit, il y a deux exemples très bien documentés : celui qui vient d'arriver de transfert des cellules de mammifères aux bactéries.

Comme l'a dit Philippe Gay, des plantes aux bactéries, le transfert n'a pas encore été démontré, mais il faut bien savoir que ce domaine a été très peu étudié. Ce n'est pas en faisant ce genre de manipulation que vous aurez le prix Nobel, il y a très peu de chercheurs.

Comme cela n'a pas été démontré et pas non plus été tellement étudié, ce n'est pas très probant et de toute façon, en ce qui concerne un résultat négatif en recherche, ce n'est pas parce que cela n'a pas été observé que cela n'existe pas.

Encore une fois il y a une évolution de la notion sur les transferts horizontaux de gènes parce que très récemment nous avons eu des démonstrations que ces transferts se produisaient dans la nature.

Les constructions réalisées jusqu'ici - ce que dit Philippe Gay est vrai, la technologie à cette époque n'est pas du tout celle de maintenant -, de mon point de vue comme de celui de nombreux collègues, sont des constructions génétiques extrêmement grossières qui accumulent toutes les structures pour que le gène puisse revenir chez les bactéries.

Les gènes ne s'expriment pas chez la plante, mais sont sous le contrôle de signaux d'expression qui seront d'emblée opérationnels chez les bactéries. Et ils sont flanqués de grandes portions d'ADN bactérien qui facilite sa réintégration dans la bactérie. S'il est retransféré dans la bactérie, il pourra se restabiliser beaucoup plus facilement parce qu'il est entouré de régions flanquantes.

Comme il a également été dit, les techniques actuelles permettent de se passer de résistance. Des constructions de ce type sont d'ailleurs déjà soumises pour approbation.

Enfin il faut bien penser que la propagation à de très nombreuses copies de ces gènes favorisera leur dissémination et leur évolution par mutation ponctuelle vers des résistances encore plus grandes.

Nous pourrions penser qu'il aurait été de bon sens d'appliquer le principe de précaution à des constructions qui, comme l'a dit Philippe Gay, sont de première génération. Elles ont certainement fait progresser la technologie et nos notions dans ce domaine, mais nous pouvons penser qu'elles sont inadéquates pour être utilisées sur le terrain.

En plus, il faut bien réaliser que le système de biovigilance sera incapable d'évaluer la contribution de ces gènes de résistance à l'évolution vers la multirésistance des bactéries. Ces gènes n'ont pas été marqués, aucun signe spécifique ne leur est associé.

Si ces gènes repassent vers les bactéries, nous ne pourrons jamais les détecter, les différencier des gènes dont Philippe Gay a dit à juste titre, qu'ils se transféraient à très haute fréquence entre bactéries.

Nous avons donc créé délibérément un risque parfaitement inutile que nous sommes incapables d'évaluer ce qui, d'un point de vue intellectuel, est quand même extrêmement impressionnant.

Enfin je voudrais dire qu'en autorisant un gène nous créons un précédent qui risque fort de faire jurisprudence et après nous nous empêtrerons dans les demandes concernant d'autres gènes de résistance.

Pour terminer je voudrais dire qu'il faut garder présent à l'esprit que depuis plus de vingt ans maintenant, aucune nouvelle famille d'antibiotiques n'a été introduite en thérapeutique nouvelle.

D'un côté les bactéries évoluent vers la résistance, de l'autre nous n'avons aucun antibiotique nouveau et sans vouloir être alarmiste, le problème de la multirésistance aux antibiotiques chez les bactéries est un authentique problème de santé publique.

M. le Président - La parole est à Monsieur Rico.

M. Rico - Je suis vétérinaire et toxicologue. Je me suis plus particulièrement intéressé aux problèmes de pesticides puisque je préside une commission qui donne un avis au Ministre de l'Agriculture pour éventuellement les enregistrer.

Je vais surtout m'attacher à ces problèmes toxicologiques.

Comme cela a été signalé, il existe des OGM qui ont la propriété de tolérer certains herbicides, en l'occurrence deux ont été cités et sont effectivement sur la sellette.

S'ils les tolèrent ce n'est pas parce qu'ils sont capables de les accumuler, mais parce que la construction génétique mise en place leur permet de les détoxiquer, c'est-à-dire de les dégrader de façon à les rendre inoffensifs tout au moins pour la plante.

En particulier pour les deux précédents, ce sont des phénomènes d'acétylation faisant qu'ils deviennent pratiquement tolérants, donc plus toxiques pour la plante.

Or ces processus d'acétylation qui sont des processus de détoxication ne sont pas spécifiques à la plante, ils sont connus chez les mammifères, chez l'homme. L'acétylation est un processus de biotransformation tout à fait classique.

Nous parlons de pesticides et, en lisant un certain nombre de papiers, j'ai l'impression qu'on ne sait pas très bien comment sont enregistrés les pesticides en France.

L'enregistrement des pesticides en France est une affaire sérieuse qui repose sur des textes et des structures.

Le texte actuellement en vigueur est un texte européen, la directive n° 91-414 de 1991, qui est amendée au fur et mesure du développement. Ce texte est très précis. Il demande toute une série d'informations très complètes sur le produit lui-même et sur ses formulations.

Nous avons toute une série d'informations à notre disposition, des toxicités à court terme, à long terme, des mutagenèses, des cancérogenèses, des tératogenèses. Nous avons des informations sur le métabolisme de la plante, sur le métabolisme du produit dans la plante, dans le sol, chez les animaux.

Nous avons des informations éventuellement sur l'allergénicité.

Je pense qu'il ne faut pas laisser dire que nous ne connaissons rien sur les pesticides, que nous enregistrons et laissons passer des pesticides sans avoir d'informations sur leur toxicité à long terme ou disons sur d'autres aspects.

D'autre part les tests réalisés actuellement le sont dans des conditions extrêmement précises, dans des laboratoires avec des techniques parfaitement codifiées aux niveaux européen et mondial. En fait nous avons une foule d'informations à notre disposition pour pouvoir juger.

Quel est l'objectif de cette commission ?

Il est de préciser la sécurité d'emploi des pesticides comme de préciser éventuellement la sécurité d'emploi d'utilisation de plantes transgéniques, c'est-à-dire de définir les risques et nous essayons de les définir dans trois domaines :

- pour le consommateur au travers des résidus,

- pour le manipulateur, il ne faut pas oublier que des personnes manipulent ces produits, les paysans,

- pour l'environnement.

Le deuxième point que je voudrais développer est la notion de risque. Il ne faut pas confondre risque et danger. Ce sont deux concepts qui sont forcément associés, mais pas totalement.

Le danger sont les caractéristiques toxicologiques d'un composé. Vous analysez un produit, vous caractérisez sa toxicité, s'il est toxique à long terme, s'il a une toxicité aiguë, etc. C'est le danger et vous avez des substances plus ou moins dangereuses.

Le risque intègre un autre élément très important qui est l'exposition, c'est-à-dire la quantité de substance à laquelle vous risquez d'être soumis. Il ne faut pas oublier qu'en toxicologie, il existe une règle qui a été confirmée depuis fort longtemps : la dose fait le poison.

Par conséquent il existe pratiquement dans tous les domaines des doses sous lesquelles les effets toxiques ne se manifestent pas.

La notion de risque est donc une notion qui doit tenir compte de la notion d'exposition. Une substance peut être à haut danger, mais si l'exposition est quasiment nulle, le risque est quasiment nul. En revanche une substance peut être à faible danger, mais si son exposition est importante vous avez des accidents.

Comme je suis vétérinaire je connais bien les intoxications par le chlorure de sodium, c'est-à-dire le sel chez les porcs et les poussins.

Lorsque l'on donne une alimentation un peu riche en chlorure de sodium à ces animaux, surtout s'ils n'ont pas à leur disposition un abreuvement suffisant, les porcs meurent très facilement de méningite toxique, le chlorure de sodium passera dans le cerveau, y entraînera des oedèmes et les fera mourir. Les poussins, eux, mourront de diarrhées extrêmement profuses et très rapidement.

Le chlorure de sodium est toxique pour ces animaux, il le serait de même pour l'homme s'il en ingérait des quantités importantes.

Lorsque nous parlons de dose, nous parlons aussi de concentration. Je voudrais rappeler qu'en ce qui concerne les pesticides, ceux-ci ne sont présents dans l'alimentation ou dans l'eau qu'à des doses quand même extrêmement faibles. Il ne faut quand même pas penser que nous avons dans l'alimentation des quantités absolument astronomiques de ces composés.

Nous utilisons des unités tout à fait classiques, tout au moins pour les toxicologues, qui sont des unités de concentration :

- la PPM est une très grosse unité, c'est le milligramme par kilo,

- la PPB est mille fois plus petite, c'est le microgramme par kilo,

- la PPT est mille fois encore plus petite, c'est le nanogramme par kilo,

- la PPQ dont nous parlons maintenant, c'est-à-dire le picogramme par kilo ; un picogramme c'est mille milliardième de gramme, c'est-à-dire quelque chose d'extrêmement faible.

Pour illustrer un peu mon propos, je dirais que, par exemple, la PPT est une pièce de 50 centimes perdue dans la ville de Paris. Il se trouve qu'effectivement les chimistes sont maintenant capables de la trouver. Je disais à mes étudiants que ce n'est pas parce que je trouve une pièce de 50 centimes que je serai riche.

Nous identifions une substance dans un milieu, elle présente forcément un caractère toxique. Comme il y a toujours des petits astucieux, un jour un étudiant m'a dit : "Mais si c'était un diamant ?" Je lui ai dit que c'était une très bonne remarque et que dans ces conditions je serais extrêmement riche.

La probabilité que je trouve un diamant comme une pièce de 50 centimes dans la ville de Paris est très différente. D'autre part, cela montre bien que le risque nul n'existe pas car le risque nul est une utopie.

Je pense que vivre est risquer sa vie et je suis persuadé d'ailleurs que, pour mes enfants et petits-enfants, je ne voudrais pas une vie sans risque. D'abord cela n'existe pas et le risque c'est un peu le sel, c'est le piment, le miel, les bulles de l'existence. Imaginez une existence sans risque, elle serait absolument invivable.

Je viens de vous dire que le risque, c'est effectivement risquer sa vie, la preuve est que de toute manière nous finirons tous par mourir. Ceci pour une raison fort simple, c'est que nous pouvons définir la vie d'une manière un peu anecdotique, mais quand même avec un certain fond de vérité.

Qu'est-ce que la vie ?

C'est une maladie universelle, une maladie inguérissable, une maladie toujours mortelle. Le seul avantage qu'elle a pour les hommes et les femmes c'est qu'elle est sexuellement transmissible. Merci.

M. le Président - Madame Moneret-Vautrin va nous ramener à des problèmes d'allergénicité. C'est un des sujets évoqués en matière de santé. Vous avez quelques minutes pour le présenter.

Mme Moneret-Vautrin - La préoccupation des risques allergiques des OGM vient de deux types de données :

- la prévalence des allergies alimentaires a considérablement augmenté depuis quinze ans, c'est donc une préoccupation du grand public ;

- cette augmentation de prévalence est partiellement liée aux modifications de l'alimentation et les OGM étant le dernier avatar de ces modifications, il est légitime de s'intéresser à ce risque.

En 1992 la FDA a avalisé toute une série de recommandations pour l'étude du risque allergique qui venait de l'Organisme des Biotechnologies alimentaires américain et de l'Institut d'Allergologie et d'Immunologie.

Ces directives sont parfaitement claires et intéressantes à connaître. Elles font la part des choses entre un transfert de protéines d'une plante déjà connue comme ayant donné des allergies alimentaires. Le deuxième cas de figure est celui de protéines venant d'un organisme qui, jusqu'ici, n'a pas provoqué d'allergies alimentaires.

Dans le premier cas, il faudra disposer de patients ayant l'allergie alimentaire à la plante donneuse de façon qu'avec leur sérum et leur peau, par le biais de tests cutanés, nous puissions rechercher si la protéine une fois transférée dans la plante accueil présente effectivement des risques allergiques particuliers.

Tout à l'heure nous avons fait allusion à cette albumine 2S de la noix du Brésil qui s'est révélée parfaitement capable de donner des allergies dans le soja modifié si le sujet allergique à la noix du Brésil consommait ce soja.

Par ailleurs il ne faut pas oublier que lorsque nous avons transféré une protéine, nous connaissons par définition parfaitement sa séquence linéaire d'acides aminés. Il est donc possible de regarder dans les banques de données des séquences de tous les allergènes connus s'il y a une homologie, une ressemblance et de savoir s'il y a un risque quelconque d'allergénicité.

Cela dit, soyons humbles, il y a certainement des dizaines de milliers d'allergènes et nous n'en connaissons parfaitement actuellement dans les banques de données qu'environ 2 à 300.

Si la plante d'origine de la protéine n'est pas connue comme donnant une allergénicité ou si cette protéine vient d'une bactérie - nous avons évoqué le problème de la protéine de résistance aux herbicides, elle vient d'une bactérie - dans ce cas, nous limiterons surtout les études d'abord à la recherche éventuelle d'une homologie, mais nous nous intéresserons également à sa fragilité dans des milieux de digestion artificielle.

Il est certain que les allergènes majeurs que nous connaissons résistent 30 mn à 1 h 30 dans des modèles de digestion artificielle. Jusqu'ici les protéines transférées dans des OGM ne résistent pas plus de 15 secondes. Il est certain que cet argument paraît très intéressant même si pour des raisons que je ne peux pas développer, il est tout de même un peu insuffisant.

Lorsque nous avons fait ainsi le tour de toutes ces évaluations avant en quelque sorte commercialisation, nous ne pouvons qu'être frappés d'une chose. Si chaque élément choisi n'offre pas une sécurité à 100 % ce qui est impossible, l'ensemble, la conjonction de tous ces tests permet déjà de serrer une sécurité sanitaire importante.

Toutefois la seconde chose que nous devons absolument dire est que nous ne pouvons nous référer qu'aux allergènes connus. Nous ne pouvons pas assurer que cette protéine introduite dans l'alimentation humaine n'aura pas un jour ou l'autre ce qu'on appelle une caractéristique d'immunogénicité, c'est-à-dire qu'elle ne sera pas capable de faire se développer une sensibilisation qui n'avait jamais existé.

Dans la mesure où ces aliments nouveaux, ces OGM, sont soumis à des études de l'ordre de celles que l'on impose aux médicaments, il paraît tout à fait logique de transposer ce que nous faisons dans le domaine du médicament.

Lorsque nous commercialisons un médicament, nous savons parfaitement qu'il y a tout de même un risque qui ne peut pas être détecté avant commercialisation et nous faisons ce qu'on appelle une surveillance post-marketing . C'est un système que tout le monde connaît qui s'appelle un système de pharmacovigilance.

Pour cette raison, je pense que si réellement les OGM envahissent l'alimentation, il faut qu'il y ait une surveillance post-marketing .

Ceci veut dire qu'il faut un réseau national d'allergo-vigilance et que ce réseau doit être structuré et coordonné par un bureau de veille sanitaire du risque allergique qui serait, en somme, une sous-direction de la prochaine agence de sécurité sanitaire de l'alimentation.

Moyennant ceci, nous pouvons espérer, non pas atteindre un risque zéro, mais en tout cas le contrôler efficacement.

Je voudrais faire remarquer qu'autrefois, nous ne nous préoccupions pas de ces problèmes. Lorsque nous avons introduit le riz en Camargue, nous ne nous sommes pas préoccupés de savoir si la variété de riz était hypo- ou hyperallergénique. L'expérience montre que, par chance, nous avons choisi une variété hypoallergénique par rapport au riz japonais qui est très allergisant, mais cela aurait pu être le contraire.

Il ne faut pas en quelque sorte imputer aux nouvelles technologies des risques nouveaux dont nous nous serions occupés auparavant. En fait ce sont les connaissances qui font naître la préoccupation de risques.

A mon avis, il est possible, grâce à une surveillance d'allergo-vigilance post-marketing , de pouvoir veiller au risque. Restent à fixer les transmissions, les nécessités d'informations des allergologues et de dispositions pour les centres d'allergologies spécialisés de ces fameuses protéines transgéniques de façon à pouvoir éventuellement un jour ou l'autre dépister un risque de sensibilisation.

Je suis persuadée qu'avec ce système il doit être possible d'envisager tout de même à mon point de vue d'allergologue alimentaire, les OGM avec une relative confiance.

M. le Président - Merci beaucoup, Madame.

Comme dans le débat sur l'environnement ce matin, en-dehors de ce que vous venez de dire sur l'allergénicité et son risque et sur les autres dangers éventuels en matière de santé, nous avons des positions très opposées.

Là encore, le travail politique sera de prendre des décisions politiquement dures sur des certitudes scientifiques molles.

Lorsque je vous entends, c'est comme pour l'environnement, j'ai l'impression de voir - pas sur l'allergie, mais sur les autres sujets - ou tout blanc ou tout noir, il faut essayer de clarifier cela.

Si Monsieur Séralini dit qu'il y a des risques de génotoxicité, un certain nombre de risques en matière de cancérisation - nous parlerons des antibiotiques tout à l'heure - et de toxicité, cela veut dire que les commissions chargées d'examiner cela, ne font pas leur travail.

Nous avions une commission et comme nous en avons discuté hier dans la partie réglementaire, je crois que tout le monde est convenu de dire qu'il fallait faire évoluer les choses. Avoir pour la Commission du Génie Biomoléculaire, un système d'experts techniques qui font le contrôle ce n'est pas bon.

Nous arrivons pratiquement tous à une unanimité de la décision, à côté de ce système de ceux qui feront l'expertise technique, il faudra un système de vigilance ou de veille et de contrôle du risque de personnes venant de la société civile, des associations, du milieu de la recherche. Il faut que ces personnes viennent de différents milieux et qu'elles puissent effectivement donner un autre avis que l'avis scientifique pur.

Ce matin, lors de la table ronde sur la consommation, nous avons parlé de la notion de seuil comme si les OGM avaient déjà envahi nos étalages. Michel Edouard-Leclerc ne nous disait que cela et il demandait qu'il n'y ait pas de seuil car s'il y en avait un il étiquetterait tout OGM, ainsi ce serait classique et classé.

Ce matin nous n'étions pas du tout dans le débat qui est celui de cet après-midi, nous avions l'impression que tout ceci était déjà classé. Or il y a des décisions à prendre en matière de santé, qu'il y ait seuil ou pas. Si un produit OGM présente un risque sérieux en matière de santé, il faut l'interdire.

Si j'entends Monsieur Séralini sur un certain nombre de points sur lesquels nous reviendrons, il faut interdire un certain nombre d'OGM. Si j'entends Monsieur Gay ou Monsieur Rico, au contraire, il faut aller plus vite ou développer la totalité des OGM car il n'y a pas de risques.

Il faut donc cerner cette question et puisque les OGM se sont développés dans un certain nombre de pays du monde, je vais vous poser une première question. Je rappelais hier les chiffres qui sont impressionnants :

- 26 millions d'hectares dans le monde,

- 16 millions d'hectares aux Etats-Unis en 1998,

- 10 millions d'hectares dans trois pays principaux (Canada, Argentine, Chine),

- cela se développe un peu en Australie et c'est en train de se développer dans d'autres pays.

Ces études n'ont-elles pas été faites de manière sérieuse ?

Les risques potentiels indiqués par Monsieur Courvalin - je suis très sensible à la partie " antibiotiques " dont nous avions déjà eu l'occasion de parler lorsque j'ai auditionné Monsieur Courvalin - présentent-ils un réel danger ? Cette possibilité est-elle réelle ?

Monsieur Séralini je vous pose aussi cette question.

Pour vous, en l'état actuel des choses, faut-il tout interdire, y compris les OGM qui existent déjà, puisque vous dites qu'il y a risque en matière de santé ?

Au contraire, les probabilités de risque sont-elles si faibles qu'il n'est pas plus fort que pour des aliments classiques ?

Madame Moneret-Vautrin vient de dire qu'en matière d'allergies finalement les connaissances de la science faisaient qu'il y avait sans doute des risques nouveaux à étudier, ceux-ci n'étant cependant pas supérieurs à ceux que nous aurions eus sans l'existence des plantes OGM.

Faisons-nous supporter aux OGM tous les risques de l'alimentation ou faut-il aussi faire porter la suspicion sur la totalité des aliments ? C'est en quelque sorte ce que disait Monsieur Courvalin tout à l'heure.

Finalement est-ce la gestion des antibiotiques aujourd'hui qui est en cause ou les OGM en tant que tels ?

Je dis ceci en sachant qu'il faudra supprimer les constructions dont vous parliez tout à l'heure, Bernard Kouchner en étant d'accord comme il l'a dit hier soir ici.

Il faudra supprimer les constructions qui ont eu des résistances à des antibiotiques. Comme nous sommes capables de faire autrement, nous ne sommes pas obligés de les avoir et d'ajouter un risque supplémentaire à cette mauvaise gestion des antibiotiques que nous avons depuis 50 ans.

Je souhaiterais que vous puissiez vous exprimer sur ces sujets, avec des pour, des contre comme ce matin, que vous essayiez d'avancer dans le débat, non pas en parlant du risque potentiel, mais en parlant du risque pour les OGM.

Y a-t-il un risque nouveau du fait de l'apparition des OGM ?

M. Courvalin - Je n'ai pu venir ni hier ni ce matin, mais d'après ce que vous dites, le problème des gènes de résistance aux antibiotiques a l'air à peu près réglé dans les esprits.

Lorsque nous entendons Philippe Gay, finalement il n'y a pas tellement de différence. Evidemment les approches sont distinctes, mais nous sommes d'accord tous les deux pour dire que ces gènes sont parfaitement inutiles dans les constructions, ne serait-ce que parce qu'ils ne s'expriment pas dans la plante.

Nous sommes également d'accord sur le fait qu'il y a un risque potentiel de retour vers les bactéries. Il est sans doute faible, mais j'attire votre attention sur le fait que nous sommes incapables de l'évaluer. Encore une fois nous l'avons délibérément créé, il est inutile et nous sommes totalement incapable de l'évaluer ce qui est extrêmement gênant.

Nous sommes d'accord tous les deux sur le fait que ce sont des gènes inutiles, que c'est un danger potentiel.

Le fait qu'il n'ait pas été démontré est un argument très faible pour moi. Comme je l'ai dit cela n'a pas été beaucoup étudié et en plus, d'avoir travaillé pendant vingt ans sur les transferts de gènes dans les conditions naturelles, nous a appris beaucoup d'humilité.

Il est en effet extrêmement difficile de faire des expériences de reconstruction. Nous avons observé des transferts sur certains critères, nous étions sûrs qu'ils s'étaient produits dans la nature et nous avons eu beaucoup de mal à les reproduire en laboratoire alors que nous nous mettions dans les conditions que nous estimions les plus favorables.

En fait c'est sous-estimer les très nombreuses occasions d'échange d'ADN dans la nature. Dans le tube digestif, il y a des milliards de bactéries qui peuvent être en état de compétence, c'est-à-dire d'incorporer de l'ADN, d'autres lyses le relarguant.

Il y a en fait beaucoup plus d'occasions dans la nature de transferts de gènes que ce que nous arrivons à reproduire en laboratoire. Il y a même des manipulations que nous sommes encore incapables de refaire.

Comme je l'ai dit, ces notions évoluent très rapidement et les échéances au laboratoire, surtout lorsqu'elles sont négatives, ne sont absolument pas informatives. Le fait de ne pas avoir réussi à le refaire ne prouve pas que cela n'existe pas, il faut se méfier de ce genre d'argument que j'ai lu dans un papier en France : "Comme on ne l'a pas démontré, cela n'existe pas !". C'est en effet tout à fait anti-scientifique.

Je crois qu'il y a moins de divergences à ce niveau et qu'apparemment le problème a l'air réglé, les personnes ont compris quand même que...

M. le Président - ... Sauf que les personnes que j'ai vues après vous à qui je donnais vos arguments, me disaient que vous aviez raison au niveau scientifique, mais que la probabilité la plus forte de transfert de gènes est la conjugaison entre des bactéries.

Il est évident - et vous l'avez dit dans votre exposé liminaire - que même s'il y a peu de gènes de résistance dans des bactéries pathogènes du tube digestif qui sont en faible nombre, c'est là qu'existe déjà la probabilité de transfert.

Ceci est malheureusement dû au fait que de nombreuses bactéries, y compris des bactéries non pathogènes existent déjà avec des gènes de résistances multiples dans le tube digestif. Ne parlons pas des staphylocoques dorés pour lesquels certains citaient ce matin le chiffre de 10 000 morts dues aux infections hospitalières nosocomiales en France du fait de bactéries qui ont la totalité des gènes de résistance.

Le contre-argument donné sur un problème sur lequel personnellement je me suis fait une religion en tout cas pour l'avenir, la vraie question est : quand ?

Bernard Kouchner l'a dit hier soir, là-dessus je ferai cette proposition, mais quand faut-il la faire ?

Un certain nombre de constructions existent aujourd'hui dans notre pays. D'après toutes les auditions effectuées, si la probabilité d'acquisition de la résistance aux antibiotiques est faible, elle existe déjà malheureusement aujourd'hui du fait non pas des plantes transgéniques, mais de la mauvaise gestion de ces produits.

Il n'est pas du tout impossible qu'il y ait effectivement un jour un certain nombre de problèmes supplémentaires en termes de résistance à des antibiotiques.

Nous sommes d'accord là-dessus, mais que répondez-vous à l'argument scientifique qui m'a été rapporté ?

M. Courvalin - Encore une fois je l'ai écrit et rappelé au début de mon exposé et j'ai confirmé ce qu'avait dit Philippe Gay.

Il est vrai que les mécanismes développés par les bactéries pour transférer les gènes de résistance sont extrêmement efficaces dans la nature, très opérationnels, notamment dans le tube digestif. Il faut bien comprendre que le tube digestif est un écosystème extrêmement favorable aux échanges génétiques.

M. le Président - Combien de bactéries y a-t-il dans un tube digestif ?

M. Courvalin - Comme plus de 90 % ne sont pas cultivables, c'est difficile à quantifier, mais il y a des milliards de bactéries dans le tube digestif. Cependant l'immense majorité des espèces ne sont pas connues parce que nous n'arrivons pas à les cultiver.

Nous sommes tous d'accord sur le fait que la résistance aux antibiotiques est un problème majeur à l'heure actuelle.

Comme je l'ai dit, il n'y a absolument aucun nouvel antibiotique en perspective actuellement. Comme il faut dix à quinze ans pour en développer un, nous pouvons anticiper le fait que dans les dix prochaines années, la situation ne fera que se détériorer puisque les bactéries évoluent constamment vers la résistance, c'est un cas particulier de leur évolution.

Encore une fois, les systèmes développés par les bactéries pour transférer les gènes de résistance sont extrêmement efficaces.

Compte tenu de l'ampleur du problème, du fait que nous n'avons pas d'antibiotiques nouveaux, je crois qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter un risque potentiel que nous sommes incapables d'évaluer, ceci même si sa fréquence est faible.

Pour moi ce n'est pas une excuse de dire que parce que les gènes sont là, qu'ils transfèrent etc., que nous ne pouvons en ajouter. Pour moi c'est un argument extrêmement faible. Cet argument est tenu par des personnes partisanes de mettre des antibiotiques comme suppléments dans l'alimentation animale. Elles le font en disant :

"Vous avez vu dans les unités de soins intensifs, c'est tragique, les hôpitaux, les infections nosocomiales et tout, qu'est-ce que cela peut faire de rajouter des antibiotiques dans l'alimentation animale ?"

C'est également un facteur d'évolution vers la dissémination de la résistance qui doit être pris en compte, qui est certainement plus important que ce que nous discutons aujourd'hui dans la dissémination de la résistance.

Là encore, en considérant le problème de santé publique posé, je crois qu'il ne faut pas surajouter à la mauvaise utilisation des antibiotiques en médecine humaine mentionnée par le président au début de cette session, des gènes de résistance dans les plantes transgéniques et ne pas utiliser d'antibiotiques comme suppléments dans l'alimentation animale.

M. Gay - Je voudrais éviter l'association "antibiotiques dans la nourriture animale et plantes transgéniques" et je vais me limiter à ces dernières.

Je suis un peu gêné d'entendre parler de risques que nous sommes incapables d'évaluer. Est-ce qu'un risque que nous sommes incapables d'évaluer en est un ?

Il faut faire très attention car il y a une sorte de dérive de la notion de risque. Tout d'un coup nous ne savons plus de quoi nous parlons, je prie Monsieur Courvalin de m'excuser, mais je n'aime pas cette faute logique qui, à la limite, va conduire les personnes un peu nulle part.

C'est introduire dans le public, une angoisse épouvantable : " il y a des risques que nous sommes incapables d'évaluer ", franchement qu'est-ce que cela veut dire ?

Le deuxième point sera plus technique. Comme j'ai déjà posé la question à Monsieur Courvalin, il pourra éventuellement revenir dessus.

Le généticien que je suis s'est posé la question de la résistance des bactéries d'une autre façon. A la limite, étant donné le taux de mutation très élevé des bactéries vers la résistance, un taux de mutation de l'ordre de 10 puissance moins 7 à 10 puissance moins 9 est un taux très élevé puisque la moindre population bactérienne atteint 10 puissance 9 par millilitres de culture où une colonie bactérienne représente déjà un nombre important de bactéries.

Pourquoi étant donné ce taux de mutation élevé, étant donné ces taux de transferts extrêmement élevés par conjugaison, c'est-à-dire par contact direct dans le milieu intestinal, toutes les bactéries ne sont pas résistantes ?

Que voyons-nous ? Nous nous apercevons en fait que les populations - je tiens l'information de Monsieur Courvalin, si jamais je me trompe, il me démentira immédiatement - tendent vers une sorte d'équilibre.

Qui dit équilibre dit que la proportion de ce qui cesse d'être résistant et de ce qui le devient, s'équilibre. Ces équilibres sont fonction non pas de la fréquence de mutation ou de transfert, mais essentiellement de la pression de sélection à laquelle sont soumises ces populations bactériennes, c'est-à-dire l'utilisation ou non d'antibiotiques dans le milieu.

Je crois que c'est très important car il est impossible de comprendre le phénomène de résistance aux antibiotiques si nous n'allons pas plus loin dans l'analyse que simplement une analyse ponctuelle des phénomènes de transfert. A mon avis arguer de possibles phénomènes de transferts n'est pas pertinent.

Le troisième point est qu'il y a des ordres de grandeur, on a cité des milliards de cellules de maïs. Je me suis livré à un petit calcul, si tout le maïs du monde était le maïs 176 de Novartis, il y aurait 10 puissance 24 copies du gène " ampicilline " de plus sur la planète.

Nous avons essayé de transférer ces copies qui sont présentes dans l'ADN de maïs, par transformation du colibacille et nous n'avons pas réussi. A l'inverse lorsque nous avons pris les plasmides entiers, nous sommes arrivés à des taux de transformation de 20 %.

Cela veut dire que des plasmides entiers tels ceux présents dans les corps bactériens dans les fèces, dans les bactéries cultivées dans les laboratoires, ces plasmides ont des taux de transfert, des taux potentiels de dissémination dans le système de transformation de colibacille, 10 puissance 10 fois au moins supérieurs à celui du maïs.

Cela veut dire que 10 ml de culture faits par un étudiant classique à l'université voisine a probablement un pouvoir de dissémination de résistance aux antibiotiques dans les colibacilles ou coliformes supérieur à l'ensemble de la culture du maïs si nous arrivions à prendre la totalité du marché mondial.

Je crois qu'il importe que nous fassions attention à ces ordres de grandeur pour ne pas, encore une fois, tromper l'opinion et transformer une souris voire un microbe en une montagne. C'est très important car le jour où la montagne arrivera, il s'agira de la voir, mais on la manquera peut-être car nous nous serons occupés par autre chose.

M. le Président - Nous allons peut-être juste terminer sur une question encore là-dessus car nous évoluons quand même vers un système où, y compris des fabricants jusqu'aux chercheurs, tout le monde dit que ce n'est pas souhaitable d'avoir ce type de construction.

La discussion est pour les plantes qui ont déjà été faites et l'argument qui consiste à dire qu'il ne faut pas en rajouter, même s'il y a des échelles de risques entre le risque par OGM avec le risque dans l'alimentation animale et l'utilisation des antibiotiques dans les hôpitaux.

Aux Etats-Unis j'ai vu Madame Saliers qui est une des grandes spécialistes de microbiologie et je lui ai posé la même question. Elle a organisé un colloque à Talloires - dont j'ai le compte rendu - et finalement la plupart des chercheurs ont conclu un peu sur l'opinion qui vient d'être indiquée.

Ils disent que le risque est pratiquement nul et elle m'a développé cela. Madame Saliers est professeur à l'université de l'Illinois et fait référence au niveau international.

Elle m'a dit qu'à son avis il faut les retirer - c'est la même position - mais que le risque potentiel est très faible dans la mesure où finalement les passages du végétal vers des bactéries du sol sont certes possibles, mais que la fréquence en est peut-être de 10 puissance moins 15.

Elle m'a également indiqué que les passages éventuels de cette bactérie du sol vers des bactéries intestinales bovines, puis humaines se font également à la même fréquence. Celle-ci est très faible par rapport à toutes les autres possibilités de conjugaison qui existent dans la nature.

Nous allons peut-être clore cette partie qui est plus scientifique que décisionnelle. Un certain nombre d'arguments ont été donnés et il y a également eu des arguments politiques. Il faut bien entendu essayer d'éviter au maximum les risques potentiels.

Nous allons aborder les toxiques.

Même si cela a été dit de façon plaisante, même si cela a été le plus tranché possible des deux côtés, il y a eu des arguments opposés les uns aux autres. Je souhaiterais que nous allions un peu plus avant.

Après votre audition, Monsieur Séralini, j'ai interrogé un certain nombre de chercheurs qui m'ont exprimé leur point de vue sur ce que vous indiquiez.

Non seulement la CGB, mais aussi le Comité supérieur d'hygiène française et la Commission des toxiques, ont étudié ces questions. Les accumulations - vous compariez au DDT - ne peuvent pas se faire, de nombreux pesticides ne s'accumulant pas. Un certain nombre de risques que vous indiquez avec des plantes transgéniques n'existent pas réellement.

Je souhaiterais que d'un côté et de l'autre vous puissiez éventuellement apporter des précisions en vous appuyant sur des travaux de recherche pour nous indiquer à tous ce qui est réel et que vous puissiez dire, Monsieur Rico, puisque vous êtes président de la Commission des Toxiques, si vous travaillez bien ou non.

Comme vous avez des avis opposés, cela signifie-t-il que toutes ces commissions travaillent mal ?

M. Séralini - Je voudrais dire un mot sur les faibles risques de transferts de gènes.

Il est vrai que le risque peut être faible, mais cela ne veut pas dire grand chose s'il y a une pression de sélection derrière. Nous pouvons travailler avec de faibles risques de transferts et réussir à cloner des choses très rares au laboratoire de cette manière.

Aujourd'hui, pour moi, le problème de la résistance aux antibiotiques n'est pas résolu dans la mesure où la variété cultivée en ce moment ou en train d'être plantée a ce gène de résistance.

M. le Président - J'ai posé la question importante : quand ? Le problème est là.

M. Courvalin - Comme vous l'avez dit, nous ne pouvons être experts et décideurs, ce n'est pas le genre de question à nous poser. Nous pouvons dire ce que nous pensons, mais c'est à vous de décider.

M. Séralini - Aujourd'hui le problème se pose, même si dans les intentions, il ne se posera plus dans l'avenir.

J'ai bien apprécié ce qu'a dit Madame Moneret-Vautrin sur la mise en place d'un réseau. Cela me semble tout à fait judicieux pour surveiller les allergénicités possibles de certains produits. Pour aider ce réseau, il serait absolument nécessaire qu'il y ait une traçabilité et un étiquetage des produits.

Aujourd'hui encore, les produits importés, ne sont pas clairement identifiés. En ce moment le problème se pose, cela me permettant de rebondir sur votre dernière question : les commissions travaillent-elles mal ?

Je crois que la question est très mal posée. Il me semble que les commissions travaillent bien, je leur fais confiance a priori. Mais, à ma connaissance, elles n'ont pas été sollicitées pour homologuer des herbicides aujourd'hui sur des plantes transgéniques puisque celles-ci nous arrivent par l'importation.

Monsieur Rico ne peut donc être mis en cause à ce niveau et je ne vois pas pourquoi vous posez la question en ces termes.

Monsieur Rico nous a parlé de dégradation d'un herbicide par la plante, c'est vrai. Il faut savoir aussi que les produits de dégradation des cancérogènes sont des cancérogènes activés.

Les enzymes qui, justement, dégradent les acétylations, les hydroxylations qui font partie des activités des enzymes cytochromes P450 que nous étudions au laboratoire et qui sont impliqués dans les dégradations de certains procancérogènes, les transforment aussi quelquefois en cancérogènes activés.

Ensuite nous avons parlé de seuil au-dessous duquel une exposition ou un effet ne se manifeste pas. Evidemment c'est lié là au problème du long terme. Monsieur Rico et moi-même avons parlé de long terme.

Le long terme pour les commissions est de 30 et 90 jours, de quelques mois pour les rats et de 20 à 40 ans pour un homme. A ce moment-là il est exposé non pas à un dérivé d'herbicide ou de pesticide de manière bien contrôlée, mais à une foule de substances qui viennent sur les mêmes enzymes de détoxication dans son foie.

Je crois qu'il faut être très prudent dans la mesure où un cancérogène peut ne pas avoir de seuil, être actif et conférer une mutagénécité. A ce moment-là il n'y a pas de seuil admissible qui puisse être pris en compte sinon au niveau statistique. Le fait est cependant que la statistique ne représente rien pour un individu vivant.

Je crois que le problème est le même pour les herbicides et les résistances aux antibiotiques. Vous me demandez de m'appuyer sur des références, je l'ai fait dans un texte que je vous ai envoyé.

Effectivement il y a des risques qui ne sont pas évaluables en l'état actuel de nos connaissances, Monsieur Gay, parce que tout simplement dire qu'il n'y a pas de publication sur un sujet ne veut pas dire que le risque est éliminé. Comme l'a dit Monsieur Courvalin, je crois qu'il est anti-scientifique d'estimer que c'est alors vrai, un risque pouvant ne pas être évaluable en l'état actuel des connaissances.

D'autre part je crois que ce serait un leurre de ne pas se servir de l'amélioration des connaissances sur les contrôles, y compris, puisque nous voulons être techniques, de la mesure du poste des adduits, du Roundup par exemple sur l'ADN des foies des animaux consommant ce produit à travers les plantes ou leur alimentation.

Ce genre de test évolue assez vite, mais les commissions ne changent pas leurs tests tous les jours. Lorsqu'un produit nouveau arrive, il est bon de réaliser de nouveaux tests.

Ces produits nouveaux sont susceptibles d'accumuler des herbicides dans leurs cellules puisque cela avait même empêché un soja de bien pousser, si je me réfère au rapport des dix ans d'expérience de la Commission du Génie Biomoléculaire. Ce soja accumulait du Roundup dans ses méristèmes, dans les parties de la plante en développement.

A mon avis le problème des faibles doses est tout à fait important surtout lorsqu'elles sont combinées entre plusieurs herbicides ou pesticides. Il ne peut être balayé d'un revers de main et il faut faire ces expériences.

Pour cette raison, nous demandons un moratoire et je fais tout à fait confiance aux commissions pour faire ces expériences ou les faire faire à condition qu'elles soient saisies du problème et qu'elles aient le temps de travailler dessus.

Il ne s'agit pas pour moi de mettre en cause les commissions, mais de dire qu'il faut faire de nouveaux contrôles. Nous ne pouvons pas dire qu'il y a des publications sur ces nouveaux contrôles puisqu'ils ne sont pas faits. Toute une série de contrôles est faite, mais il y en a aussi qui ne sont pas faits.

Cela dit, je ne considère pas que la vie est une maladie, mais que la vie c'est la santé et quelque chose de merveilleux. Il faut la maintenir et, pour cela, apporter au public le degré de sécurité que nous avons dans nos connaissances.

M. le Président - Je voudrais poser une question à Monsieur Rico. Il y a une Commission des Toxiques et Monsieur Séralini vient de dire qu'un certain nombre de contrôles nouveaux ne sont pas faits.

Quels sont les contrôles réalisés aujourd'hui dans notre pays ?

Est-ce qu'on étudie les problèmes de toxicité posés par de nouveaux produits dans la mesure il y a effectivement des métabolismes qui sont changés du fait de l'apparition d'un gène de résistance ?

Madame Moneret-Vautrin a dit que les produits des plantes transgéniques sont étudiés de la même manière que des médicaments. Ces études sont-elles effectivement faites ou non ?

M. Rico - Le glufosinate et le glyphosate ne sont pas des herbicides récents. Ils sont sur le marché, en particulier le glyphosate, depuis fort longtemps.

Effectivement dans le papier de Monsieur Séralini il est fait état pour le glyphosate de la formation d'adduits dans le foie du rat. D'abord la technique utilisée, le postmarquage au phosphore 32, est très difficile d'application et surtout d'interprétation.

C'est une technique que j'ai utilisée moi-même dans mon laboratoire à une certaine période. La difficulté est que lorsque vous prenez des animaux qui n'ont pas été traités, c'est-à-dire qui n'ont rien reçu, et que vous faites une recherche d'adduits sur un foie d'animal, il y en a toute une série qui apparaissent.

Vous avez un bruit de fond d'adduits dus aux produits que nous pouvons consommer et il est particulièrement difficile de faire la différence. Cette technique n'a d'ailleurs pas encore été validée.

Vous avez dit que les longs termes c'était disons trois mois. Je ne suis pas d'accord car nous avons des longs termes maintenant systématiquement de deux ans pour le rat, de dix-huit mois chez la souris, soit la période complète de vie pour les pesticides.

Contrairement à ce qui se dit, cela veut dire que nous avons des informations sur la toxicité à long terme.

La génotoxicité est étudiée au travers de toute une série de tests. C'est un ensemble de manifestations : mutation, aberrations chromosomiques, modifications de transfert de l'ADN, etc. Les tests sont maintenant codifiés au niveau de la Commission européenne. Ils ont été validés avec des protocoles parfaitement décrits.

Il ne faut pas dire que nous n'avons pas d'informations, ce n'est pas vrai.

M. Séralini - Je n'ai pas dit cela.

M. Rico - Nous avons ce type d'informations et nous l'analysons en toute bonne foi.

Contrairement à ce que vous avez dit, Monsieur le Président, je ne suis pas pour une libéralisation de tous les OGM, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Si vous avez compris mon intervention comme cela, c'est une erreur.

Je dis simplement que nous avons des estimations de risques à faire et que celles-ci dépendent d'un certain nombre de facteurs. Dans la commission que je préside depuis huit ans et qui l'était avant par Monsieur Truaud, également bon toxicologue, nous travaillons depuis de nombreuses années.

Cette commission sera renouvelée. Elle comprendra 50 personnes dont 36 toxicologues de spécialités différentes. Il y aura des toxicologues de l'environnement, des spécialistes de la génotoxicité, de la cancérogenèse, etc. Aussi lorsque nous donnons des avis, je pense que ce sont des avis.

M. le Président - Le glyphosate et le glufosinate ont-ils été étudiés avec leurs produits de dégradation par votre commission ?

M. Rico - Le glyphosate ne l'a pas été pour l'instant, puisqu'il n'a pas été enregistré pour être utilisé sur les plantes transgéniques.

Le glufosinate vient d'être autorisé, contrairement à ce que dit M. Séralini, il n'y a pas longtemps et nous l'avons examiné. Le métabolisme du glufosinate a été étudié au niveau des plantes.

Il y a un métabolite qui n'est pas particulier mais en plus grande quantité d'acétylation qui est connu. Ce métabolite a été testé au plan toxicologique, c'est-à-dire en toxicité et nous avons tous ces types d'informations.

Le glufosinate est utilisé dans des conditions bien précises avec des quantités bien données pour traiter le maïs transgénique. C'est une décision que nous avons prise très récemment.

M. le Président - Vous avez indiqué que les aliments qui viennent de l'étranger n'ont pas pu avoir été étudiés.

Les aliments qui proviennent de plantes transgéniques sont soumis à autorisation et nous savons éventuellement quel a été le transgène. Les avez-vous étudiés ?

M. Rico - Non, nous ne nous occupons pas de transgènes.

M. le Président - Avez-vous étudié l'effet du toxique qui correspond à ce transgène ? Lorsque vous avez un gène de résistance à un herbicide, étudiez-vous celui-ci ?

M. Rico - Oui, lorsque le gène de résistance a pour objectif de transformer le métabolisme de la plante, pour en fait transformer le produit.

Nous avons déjà fait les évaluations de toxicologie pour le glyphosate. Il y a longtemps qu'il est enregistré aux Etats-Unis. En France il a été étudié au niveau de l'OMS, etc.

Nous avons étudié les produits de transformation du produit sur la plante non modifiée, fait des évaluations, donné des limites maximales de résidus dans les denrées en fonction de toutes les informations que nous avions.

Si nous avons une plante nouvelle qui entraîne des modifications, c'est-à-dire une plante transgénique, le métabolisme de la plante nouvelle est étudié avec le produit.

M. le Président - Y compris si elle a été fabriquée à l'étranger ?

M. Rico - Un maïs transgénique a été fabriqué de la même façon en France ou aux Etats-Unis, c'est la même construction. Nous avons les études qui sont réalisées en France.

M. le Président - Le glyphosate n'est pas forcément construit de la même façon, est-ce cela que vous vouliez dire, Monsieur Séralini ?

M. Séralini - Nous parlons du Roundup, le glyphosate est un des composants du Roundup. Il y a peut-être des composants non identifiés.

En plus il est vrai qu'il peut y avoir des métabolites majoritaires, mais aussi des métabolites qui se lient à l'ADN et qui sont difficiles à extraire. Cela complique le travail des commissions et le long terme pour l'homme, c'est de 20 à 40 ans avec des expositions multiples.

Une chose qui peut être préoccupante est le fait que nous développons une politique d'utilisation de ces herbicides au besoin sur des plantes alimentaires. Le Roundup a-t-il été homologué pour le soja ?

M. Rico - Pour l'instant le Roundup n'a pas encore été autorisé en France.

M. Séralini - Mais nous importons du soja qui est traité au Roundup. Ce type de question peut se poser.

Nous sommes dans le même cas pour les allergies, pour les herbicides ou les antibiotiques. Il est difficile d'estimer le risque et il faut prendre des avis.

Pour les antibiotiques étant donné que c'est un problème de santé publique, nous disons non. Pour les herbicides le problème est différent puisque nous avons un bénéfice sur d'autres herbicides que nous utilisons moins. Il vaut mieux surveiller les herbicides qui seront davantage vendus. Il faut donc faire également un réseau de biovigilance, cela veut dire une traçabilité.

Par exemple pouvons-nous mesurer les résidus du Roundup dans le soja transgénique importé ? Non parce qu'il est mélangé au reste. Cela complique donc les études que nous pourrions faire a priori.

M. le Président - Cela veut-il dire que les études de toxicologie ayant été faites par les Américains et lorsqu'il y a importation, en aucun cas ces études ne sont faites au niveau européen ?

M. Rico - Lorsque nous avons des dossiers d'enregistrement de produits, ce sont des produits internationaux.

Nous avons effectivement les firmes Novartis, Bayer ou autres qui nous fournissent un dossier toxicologique comprenant toute une série d'éléments ; la liste est longue. Tous les tests réalisés l'ont été dans des laboratoires qui peuvent être américains, suisses, éventuellement français si c'est par exemple Rhône-Poulenc.

Tous ces tests réalisés l'ont été dans différents pays. Si l'EPA a donné une autorisation pour du soja qui est en fait du soja transgénique, il est évident qu'en termes de résidus, l'EPA a étudié les problèmes de résidus de soja.

Je suis tout à fait sûr que l'EPA - je la connais bien, elle fonctionne comme nous - a demandé ce type d'information. Par conséquent si cela a été autorisé, c'est que les conclusions des toxicologues qui se sont penchés sur ce dossier ont donné une définition de risques faisant que nous connaissons les métabolites et que nous pouvons les apprécier.

On me dit que nous ne connaissons pas tous les métabolites. Effectivement, nous ne les connaissons pas tous, mais certains sont quand même mineurs.

D'autre part nous avons dit aussi qu'il fallait faire attention, les enzymes étaient sollicités. Il faut faire très attention lorsque nous parlons de sollicitation d'enzymes là aussi en fonction des doses.

Les systèmes mis en place au niveau hépatique sont des systèmes qui ne s'appliquent pas aux substances hydrosolubles. Les systèmes P450 sont des substances fixant tout ce qui est liposoluble, il n'y a pas de spécificité.

Les capacités de biotransformation peuvent être dépassées si vous donnez des doses considérablement importantes. Si vous donnez des doses trop importantes, les processus de détoxication sont saturés et vous n'obtenez pas les mêmes résultats expérimentaux que ceux que vous avez.

La notion de dose est une notion très importante. Il faut savoir que nous ingérons journellement une quantité astronomique de xénobiotiques. Il ne faut pas croire que dans notre alimentation il n'y en a pas. On nous dit que ce sont des xénobiotiques naturels.

Je suis désolé mais ces xénobiotiques naturels ont les mêmes caractéristiques toxicologiques que ceux de synthèse. Une publication d'un certain Monsieur Hems vient de sortir, il est une référence en matière toxicologique, c'est lui qui a mis au point le test d'Hems pour faire la recherche.

Il vous dit que si vous mesurez dans une tasse de café la quantité de xénobiotiques qui s'y trouve, dont 19 produits naturels ont montré des propriétés cancérogènes sur la souris ou le rat et se sont donc révélés cancérogènes dans des tests à long terme, cette quantité correspond à un an d'ingestion de résidus de pesticides aux Etats-Unis.

J'ai la publication ici, je peux vous la montrer.

Il ne faut pas faire le distinguo entre naturel et non naturel. Les cytochromes P450 sont là pour trier voir ce qui vient, ce qui est naturel et ce qui ne l'est pas.

L'alimentation des individus comme celle des animaux varie avec le temps. C'est pour cette raison que ce système s'est progressivement adapté. L'alimentation de nos ancêtres n'était pas la même que celle que nous avons aujourd'hui.

Les bovins consomment des quantités de plantes dans lesquelles se trouvent de nombreux produits toxiques. Ils ont mis au point un certain nombre de systèmes de défense. Il ne faut pas oublier que les processus de détoxication sont quand même faits pour défendre les individus contre les toxiques qu'ils peuvent trouver dans leur alimentation.

M. le Président - C'est un cours de toxicologie très intéressant, néanmoins il est intéressant d'avoir de temps en temps des discussions techniques.

Monsieur Gay voulait dire un mot à ce sujet, je voudrais ensuite donner la parole à Madame Moneret-Vautrin qui a eu beaucoup de patience et puis peut-être poser une question complémentaire.

M. Gay - Je pensais pendant un moment que Monsieur Rico était un peu humble dans sa façon de présenter sa compétence et ce qu'il sait sur la toxicologie et concernant entre autres tous les processus sur lesquels j'ai pris un cours interne chez Novartis.

Pour tout ce qui est des propriétés cancérogènes, des métabolites secondaires, tout un travail est réalisé par les commissions des toxiques. Des études de carcinogenèse sont faites sur ces substances et sur ces substances activées, ce que Monsieur Séralini ignore ou ne citait pas.

A part cela, nous avons eu un petit cours de toxicologie et je vais arrêter, merci.

M. le Président - Madame Moneret-Vautrin vous avez tout à l'heure fait une proposition d'un système de biovigilance en matière d'allergie qui pourrait être relié au système de veille.

Le ministre est-il favorable à cela ? Nous l'avons auditionné hier soir et il n'en a pas parlé. Qu'en savez-vous ? Etes-vous soutenue dans ce projet ?

Pensez-vous de manière plus générale, cela a été le débat - et Monsieur Séralini, Monsieur Courvalin et Monsieur Rico en ont parlé - que tout le système de biovigilance en matière de plantes transgéniques par rapport à la santé humaine est bien organisé en France ? Comment faudrait-il l'organiser ?

Mme Moneret-Vautrin - Je pense que cette idée d'allergo-vigilance est effectivement une idée que je lance après réflexion.

Je vois en effet l'intérêt d'un système bien organisé comme le réseau "grippe" qui fait remonter des informations sur un laboratoire spécialisé, comme celui de pharmacovigilance qui, à mon avis, est moins bien organisé sur le territoire national avec cette fois une structure centrale de pharmacovigilance qui l'est parfaitement.

Dans une structure centrale d'agence de sécurité sanitaire, il faudra prévoir un bureau de risques allergiques qui sera fondé sur un réseau d'allergo-vigilance qui, lui-même, comportera aussi bien des laboratoires que des allergologues des centres spécialisés éventuellement en allergologie élémentaire, mais également des allergologues tous azimuts qui pourront dépister les nouveaux risques.

Non, le système n'est absolument pas organisé actuellement et je crois qu'en matière d'allergo-vigilance, nous n'avons pas de leçon à prendre de la FDA et nous n'avons pas à avaler leurs modèles tout crus.

Il faut vous dire que Monsanto a envoyé des experts, - ceux qui écrivent tous les articles sur le risque allergique et le dépistage de ce risque et de l'allergénicité - à de nombreux allergologues un peu spécialisés comme moi il y a un an. Il y a eu un véritable tour de démarchage psychologique de ce que nous sommes en droit d'appeler des "leaders d'opinion".

C'est très intéressant de voir, il faut le savoir, que toutes les personnes qui ont publié là-dessus sont des scientifiques affiliés à Monsanto. Mes collègues renommés pédiatres, allergologues comme Sampson, etc., ont tous fait partie justement à la fois des discussions du schéma de base de la surveillance et également ensuite des résultats.

Ce qui m'a frappée en étudiant de très près ce qui a été fait, est d'une part le caractère extrêmement satisfaisant théorique du modèle, mais en même temps les questions qui se posent à chaque moyen d'étude proposé.

Ce qui attire mon attention, et je trouve honnête de le dire, c'est que dans les articles toutes les questions qu'ils se sont forcément posées comme j'ai pu me les poser, sont éludées. C'est un magnifique schéma où nous avons l'impression que chaque moyen est suffisant pour parfaitement voir le problème.

Je n'ai pas grand chose à dire sur l'état actuel des OGM de première génération où nous sommes en train de nous battre beaucoup sur le problème des gènes de résistance aux antibiotiques et évidemment des gènes de résistance qui codent pour la protéine résistante à l'herbicide.

La raison en est très simple, ce sont des protéines exprimées de façon très faible, 0,4 % de l'ensemble des protéines du soja pour le soja résistant au Roundup. Il est vrai que 0,4 % de l'ensemble des protéines du soja, c'est infinitésimal pour un allergologue. C'est déjà un argument puissant de dire que le risque de sensibilisation pourrait être faible.

Ils ont également démontré que c'était détruit par un modèle de digestion gastrique en 15 secondes. Il faut savoir que certains allergènes majeurs des aliments sont parfaitement détruits par la digestion gastrique, mais que lorsque nous avons la curiosité d'analyser des fragments de ces allergènes majeurs, curieusement ils ne le sont pas.

Il faudrait peut-être avoir des modèles un peu plus étudiés de digestion intestinale. Dans les articles ils développent beaucoup les modèles de digestion gastrique et pratiquement pas les modèles de digestion intestinale.

Nous voyons bien qu'à chaque point du modèle américain, il y a une réflexion supplémentaire à apporter. Je pense qu'avaler tout cru le modèle américain risque tout de même d'être un peu dangereux pour les OGM de deuxième génération.

Ne nous faisons pas d'illusions, ces OGM de deuxième génération sont surtout les OGM à visée nutritionnelle. Lorsque nous parlons d'enrichir un aliment à visée nutritionnelle, ce ne sera pas du 0,4 % de protéines, mais du 4 à 6 %.

Lorsque nous savons qu'actuellement en Australie, nous avons un lupin transgénique qui, paraît-il marche admirablement bien pour la croissance des veaux avec une albumine d'une autre espèce et que bientôt dans l'alimentation humaine, la farine de lupin arrivera couramment, nous nous disons que dans dix ans cette fameuse farine de lupin transgénique des veaux risque bien d'être proposée à l'homme.

Indéniablement il faut prendre des précautions et je trouve qu'il doit y avoir une discussion sur un modèle européen ou français, je n'en sais rien, je ne suis pas du tout dans les sphères dirigeantes. En tant qu'allergologue clinicienne, je représente un point de vue qui manifestement peut être utile dans la réflexion sur les moyens d'étude à appliquer.

En ce qui concerne le modèle américain, à chaque niveau, des questions sont posées.

M. le Président - Merci, Madame, je crois que votre suggestion est importante.

M. Rico - Je partage tout à fait l'avis de Madame Moneret-Vautrin en ce qui concerne les deuxièmes générations car un problème majeur se posera vraiment.

Je partage tout à fait son avis, nous ne suivons pas nous, systématiquement les visions de l'EPA. Il m'est arrivé de "jeter" violemment des toxicologues américains il y a quelques années.

Ces toxicologues venaient me dire que comme l'EPA leur avait donné cette autorisation, ils ne comprenaient pas qu'en France nous ne la leur donnions pas. Je leur ai dit que nous n'étions pas Américains et que nous avions des techniques différentes.

Je voudrais dire qu'il existe une toxico-vigilance agricole qui s'est mise en place dans différentes régions, qui vise à surveiller en particulier les agriculteurs.

Dans le fond si nous réfléchissions bien, quelles sont les personnes véritablement exposées aux pesticides ?

Est-ce que ce sont les consommateurs ? Personnellement je ne le pense pas, car les concentrations sont faibles et que toutes les études faites aussi bien aux Etats-Unis qu'en France sur les mesures de résidus dans les denrées montrent que les limites maximales de résidus ne sont pratiquement jamais dépassées.

D'autre part c'est fait sur des produits frais, c'est-à-dire qui n'ont été ni lavés, ni épluchés. Lorsque nous dosons les pesticides sur une banane, nous les dosons sur la banane entière, donc lorsque vous enlevez la peau, certains partent, etc.

En revanche je pense et suis persuadé que les agriculteurs sont soumis à des agressions importantes par les pesticides. Par conséquent ce sont des témoins, des cibles qu'il faut particulièrement surveiller pour pouvoir mettre en évidence des effets toxiques qui ne sont pratiquement pas apparus sur les consommateurs.

M. le Président - Monsieur Séralini, vous souhaitiez répondre à ce qu'avait dit Monsieur Rico tout à l'heure.

M. Séralini - Aux Etats-Unis on admet que le Roundup est toxique pour les agriculteurs, c'est la troisième cause de maladie liée aux pesticides pour une université américaine.

Encore une fois je dis que tous les problèmes ne sont pas résolus. Parler du problème des faibles doses en disant que c'est la millionième ou milliardième partie d'un kilo, c'est aussi à ces doses qu'une hormone agit dans l'organisme. Parler d'une pièce de 50 centimes dans la ville de Paris, il est vrai que c'est également à cette dose qu'une hormone peut agir dans l'organisme.

Je comprends le souci du réseau de toxico-vigilance agricole auquel fait allusion Monsieur Rico et je crois que c'est très bien. Des consommateurs peuvent être cependant aussi exposés aux pesticides.

Nier le fait que les pesticides aient un effet sur la santé est une chose à laquelle je n'adhère pas. Les pesticides, surtout les liposolubles, peuvent également s'accumuler dans la chaîne alimentaire et il y a des pesticides homologués qui ont été ensuite interdits, y compris dans certains pays comme l'Allemagne.

Je crois qu'il faut être prudent et mettre en place un réseau de surveillance pour, une fois que nous avons fait les cultures, une fois que les produits sont là, doser de toute manière les résidus de tous ces produits que nous avons aujourd'hui à notre disposition dans les plantes et aussi dans les animaux qui les ont consommées.

Il me semble que c'est quelque chose qui pourrait très bien être mis en place, ne serait-ce qu'à travers le Comité de Biovigilance, le matériel est là pour le faire.

Il y a des précautions à prendre et je suis favorable à ce qu'on les prenne.

M. Courvalin - A propos de la biovigilance, je voulais indiquer l'expérience que nous avons eue de l'émergence de la résistance aux antibiotiques chez les bactéries.

Chaque fois qu'un nouveau mécanisme de résistance émerge, c'est ce qu'on appelle la théorie du périscope. Lorsque vous voyez un périscope c'est qu'en général il y a un sous-marin dessous. Lorsque nous détectons un gène de résistance c'est qu'il est déjà extrêmement répandu dans la nature.

Depuis vingt ans cela a toujours été le cas. Lorsque nous l'avons décrit, il l'était souvent aux Etats-Unis quelques mois plus tard. Le système de surveillance biologique est donc toujours extrêmement en retard sur ce qui se passe, c'est souvent beaucoup trop tard.

Par ailleurs à propos de la réunion de Talloires, vous avez cité Abigaël Saliers, cette réunion était organisée par l'université à Boston et était financée par Novartis ou Roche, entreprise suisse qui fait des transgènes. Ceci ne veut pas dire que les conclusions sont fausses, mais je crois qu'il faut le dire.

M. le Président - C'était Antoine Danchin qui la présidait.

M. Courvalin - Oui, il était là.

Enfin Philippe Gay disait qu'un étudiant qui fait une culture de 20 ml au laboratoire générait plus de gènes que...

M. Gay - ...de potentiel de dissémination.

M. Courvalin - ...plus de potentiel de dissémination que le maïs.

Il faut bien savoir que dans les laboratoires nous sommes tenus de stériliser nos cultures avant de les jeter. Tout passe à l'autoclave alors que là ce sont des gènes qui sont disséminés dans la nature. Il y a donc gènes et gènes et il faut absolument comparer l'environnement et l'utilisation que nous faisons des gènes.

Je voudrais poser une question au président.

Je ne suis pas député de l'actuelle majorité, personne n'est parfait, je ne suis pas non plus député de l'opposition, personne n'est totalement imparfait...

M. le Président - Cela peut venir.

M. Courvalin - Je ne sais pas comment je dois le prendre.

Il est strictement interdit aux chercheurs académiques de mettre un gène de résistance dans une espèce qui ne le possède pas. Je voudrais savoir pourquoi les chercheurs de l'industrie étrangère ont le droit de faire ce genre de manipulation et pourquoi les lois de la République ne s'appliquent pas également aux chercheurs académiques et à ceux de l'industrie.

M. Gay - J'ai lu une référence dans l'article de Monsieur Courvalin dans "La Recherche" que je vous conseille de lire car il contient toute l'argumentation pour et contre. Il suffit de le lire vraiment sérieusement car cet article contient beaucoup d'informations.

Dans cet article, il est fait référence à une publication sur un acinetobacter . J'ai mis mon nez dans cette publication et j'ai vu que nous avions construit une souche d' acinetobacter contenant le gène de résistance à la kanamycine par conjugaison avec un plasmide d'une autre bactérie.

Attention, certaines personnes enfreignent la loi, Monsieur Courvalin !

M. Courvalin - La résistance à la kanamycine a été décrite chez un acinetobacter , ce n'est donc pas un nouveau gène que nous mettons dans une bactérie qui était toujours sensible.

Par exemple, nous n'avons absolument pas le droit de mettre une pénicillinase chez le pneumocoque ou d'autres choses du même genre car l'espèce est toujours sensible. Dans le cas de l' acinetobacter , la résistance à la kanamycine est banale, il n'y a donc pas eu introduction d'un gène nouveau dans une espèce qui était constamment sensible.

La question que je pose est la suivante : comment se fait-il que les chercheurs industriels aient le droit d'introduire un gène dans une espèce qui ne l'a jamais possédé ?

M. le Président - L'introduction se fait suivant la loi des différents pays où cela a été introduit. L'introduction de ces gènes ensuite se fait après avis de commissions nationales.

M. Courvalin - La loi n'est pas la même !

M. le Président - Là l'introduction était déjà faite et ensuite la Commission du Génie Biomoléculaire a autorisé effectivement l'introduction de ces gènes.

M. Courvalin - C'est une loi à deux vitesses.

M. le Président - Pour toute introduction, vous êtes soumis à autorisation.

M. Courvalin - J'ai été dans la Commission de Génie Génétique pendant plus de dix ans, pour nous c'est strictement codifié. Par exemple je ne peux pas mettre la résistance à la vancomycine chez le pneumocoque. C'est très codifié.

D'un point de vue conceptuel, mettre un gène de résistance à l'ampicilline dans le maïs ou à la kanamycine dans la tomate ou le coton, c'est pareil, c'est introduire un gène de résistance dans une espèce qui en a toujours été dépourvue.

C'est en ceci que je dis encore une fois ce n'est pas de la bactériologie et c'est pour cela que je plaisantais sur le fait que je ne suis pas député de la majorité, je sors de mon domaine, mais cela a attiré mon attention en tant que chercheur.

M. le Président - C'est une bonne question mais nous n'allons peut-être pas la poser maintenant car M. Claude Allègre est déjà là.

Merci beaucoup en tout cas, Madame et Messieurs, pour cette table ronde, après les auditions des ministres tout à l'heure nous essayerons de faire le bilan de ces six tables rondes, je crois que cela a été très intéressant.

Audition de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie



M. le Président -
Je voudrais remercier Claude Allègre d'être venu en audition devant l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix scientifiques et technologiques pour un rapport de l'Office qui est attendu par le gouvernement sur les organismes génétiquement modifiés, les plantes transgéniques.

Plusieurs ministres sont venus hier, c'est un sujet qui suscite la passion, nous l'avons vu dans les tables rondes.

Après avoir fait plus de 200 heures d'audition depuis maintenant six mois, nous sommes passés dans une phase d'audition des responsables politiques et nous avons eu six tables rondes dont la dernière vient de se tenir, avec un certain nombre de spécialistes de ces questions sur :

- les enjeux en agriculture et dans l'agro-alimentaire,

- la recherche,

- la réglementation, l'organisation du contrôle et de l'expertise,

- les enjeux en matière de santé,

- les enjeux en matière d'environnement,

- les problèmes qui se posent en matière de consommation pour le consommateur.

C'est un peu l'organisation des tables rondes à cinq ou six personnes au cours desquelles un certain nombre de questions ont été posées.

Dans cette table ronde sur la recherche plusieurs chercheurs français ont participé dont :

- le directeur de l'INRA,

- Antoine Danchin de l'Institut Pasteur,

- Daniel Cohen de Genset,

- Claude Fauquet de l'ORSTOM qui dirige en Californie le laboratoire de l'ILTAB,

et nous vous auditionnons ce soir pour essayer de mieux cerner les enjeux du développement, des biotechnologies et du développement de la génomique avec un certain nombre de techniques nouvelles.

Certains chercheurs ont eu des mots hier pour dire que si dans un certain nombre de domaines cela allait mieux pour essayer de favoriser le transfert de technologie, ils ont regretté l'insuffisance de brevets. Ils ont indiqué que finalement - et les chiffres ont été donnés - en France nous publions beaucoup, mais nous brevetons peu.

Ils ont également indiqué qu'il y avait des blocages au niveau de l'administration et Daniel Cohen a demandé :

"Notre administration est-elle prête à favoriser le transfert public-privé, bloqué par les énarques ?" , je répète ses mots.

Les chercheurs ont dit que les moyens étaient bons dans ces domaines et qu'ils avaient augmenté. Néanmoins certains ont dit qu'en génomique, nous n'avions peut-être pas pris la dimension totale et qu'il fallait faire plus et plus vite.

Certains en revanche ont regretté qu'il n'y ait que la création du Centre d'Evry. Cela aurait été mieux si cela avait été au moins plusieurs centres au niveau du territoire.

D'autres ont demandé que les crédits de l'INSERM se développent et ce matin, chacun prenant conscience de la nécessité de travailler sur l'environnement, a parlé de la recherche nécessaire entre OGM et environnement.

Ce sont plusieurs sujets posés, je vais, Monsieur le Ministre, vous laisser exposer globalement votre position sur ces sujets majeurs. Vous avez d'ailleurs été interrogé à l'Office sur cette question.

Là nous sommes dans le cadre d'un rapport et il y aura une dimension recherche dans ce rapport.

M. Allègre - Je ne sais pas exactement ce qu'il faut que je vous dise compte tenu du calendrier gouvernemental.

Ce matin j'ai fait un exposé devant mes collègues ministres sur la politique française de la recherche et nous aurons à la fin juin un Conseil Interministériel sur la recherche dans lequel nous fixerons la manière dont les priorités ou l'organisation de la recherche se fera.

Nous aurons ensuite un deuxième Conseil interministériel en septembre pour fixer les priorités de la recherche scientifique française pour les quatre prochaines années.

Comme vous vous en doutez, je ne vais pas ici par avance vous déflorer ce sujet pour deux raisons.

La première raison est que je tiens absolument que l'ensemble de ces décisions ne soient pas des décisions venant du Ministre chargé de l'enseignement, de l'éducation, de la recherche et des technologies, mais que ce soit une décision collective du gouvernement.

La deuxième raison est que si nous avons tel ou tel projet, tant qu'il n'a pas été validé au niveau gouvernemental, il ne vaut rien.

A l'intérieur de ce cadre qui est relativement contraignant, je voudrais faire quelques petites remarques préliminaires et ensuite être plus spécifique sur les questions, Monsieur le Président, que vous avez soulevées.

La première question est que d'une manière générale, grâce aux efforts faits depuis de nombreuses années dans ce pays, aujourd'hui la France dépense environ 2,3, 2,4 % de son PIB pour la recherche scientifique. Il faut noter que certains pays dépensent moins et ont de meilleures performances, je veux parler de la Grande-Bretagne, et d'autres dépensent plus et ont de moins bonnes performances, je citerai la Suède.

Il faut cesser de discuter de problèmes de recherche scientifique en France à la seule aune de la dépense qui est faite. Si la recherche scientifique française que nous pouvons qualifier de bonne est suivant les disciplines entre la troisième et la cinquième du monde, parfois même la deuxième, il faut essayer de penser en termes de structure, d'état d'esprit et de dynamisation.

Le premier problème, à mon avis, le plus grave, est celui du vieillissement des chercheurs et par là-même se pose la question fondamentale : doit-on être chercheur à vie dans un même organisme comme c'est le cas en France encore aujourd'hui ?

L'âge moyen des chercheurs au CNRS est de 47 ans, l'INSERM n'est pas loin, le CEA est un peu meilleur avec 43 ans, mais ce n'est pas la prime jeunesse. Le vieillissement des chercheurs est un véritable problème.

Le deuxième point est qu'au cours des dix dernières années, l'autonomie scientifique donnée aux jeunes chercheurs s'est graduellement restreinte.

Lorsque nous interrogeons les chercheurs français sur la raison pour laquelle ils restent par exemple aux Etats-Unis, la réponse est uniformément la même : aux Etats-Unis, lorsqu'ils ont fini leur post-doctorat et qu'ils sont assistants-professeurs, ils sont maîtres de faire une "proposal" et d'avoir leur budget, leurs techniciens, leur programme.

En France, la structure pyramidale des laboratoires ne donne pas assez tôt des responsabilités à de jeunes chercheurs.

Ceci réagit également sur la création d'entreprise. Lorsque nous regardons les créations d'entreprises dans des grands centres comme la Silicon Valley ou la Route 128, nous voyons que de nombreuses personnes créent des entreprises dans les deux, trois années suivant leur thèse.

En France, les capitaux à risque pour les jeunes chercheurs ne sont pas suffisamment développés et les facilités ne sont pas non plus suffisamment mises en pratique.

Vous savez qu'à la suite des Assises de l'Innovation, nous avons Dominique Strauss-Kahn et moi-même, annoncé un certain nombre de mesures dans ce sens. Il s'agit de mesures fiscales, mais également d'une loi qui sera présentée par moi-même à la fin de l'année au Parlement.

Ceci a pour but de faciliter pour les chercheurs la création d'entreprises, la participation au conseil d'administration des entreprises et d'une manière plus générale la modification du statut des chercheurs car actuellement nous sommes dans une situation absurde.

Sous prétexte que les chercheurs sont fonctionnaires, lorsque dans certains organismes on utilise des lettres de recommandation de l'étranger pour une promotion de chercheurs, on se trouve à la limite de la légalité ce qui fait évidemment sourire le monde entier.

Voilà une deuxième série de remarques.

Quant au problème qui vous préoccupe plus spécifiquement, je crois que c'est un problème très sérieux et je regrette que ce problème n'ait pas été traité avec toute la réflexion nécessaire dans les ministères jusqu'à maintenant.

Pour ma part je me réjouis que l'Office Parlementaire ait pris l'initiative de faire un rapport, d'avoir un débat, de consulter de nombreuses personnes dans ce domaine.

Il y a deux attitudes qui sont également non adaptées.

La première attitude que nous voyons sous la plume de certains chercheurs de temps en temps, consiste à dire : "Laissez faire les chercheurs, il n'y a pas de risques, tout se passe bien, laissez-nous faire, laissez-nous bricoler le génome, de toute manière nous sommes conscients de tout, etc. !"

Cette attitude a, je le crains, un double désavantage.

Le premier point est qu'elle fait preuve d'un optimisme exagéré sur ce que nous connaissons sur les mécanismes et les conséquences que peuvent avoir telle ou telle manipulation génétique.

Le deuxième point est que sur le plan psychologique vis-à-vis des populations, elle a un effet absolument désastreux et conduit à renforcer l'idée que les scientifiques sont des apprentis sorciers qui veulent monopoliser le pouvoir.

Cette attitude n'est donc pas la bonne.

La deuxième attitude est l'attitude inverse et consiste à dire que tout ce qui manipule le génome est mauvais et diabolique, qu'il faut tout laisser à la nature et par conséquent interdire toute manipulation génétique.

Je pense que cette deuxième attitude condamnerait la France à devenir rapidement un pays sous-développé.

Le premier point est qu'il faut essayer de définir une attitude moyenne qui soit consciente des potentialités scientifiques considérables que les manipulations génétiques peuvent apporter et, là-dessus il ne faut pas être naïf, j'y reviendrai dans quelques minutes.

Le deuxième point est de penser qu'un certain nombre de manipulations peuvent avoir des conséquences que nous ne mesurons pas au moment où nous les pratiquons. Il peut s'agir de conséquences sur le plan directement médical concernant tous les produits ingérés ou de conséquences écologiques absolument effroyables.

Imaginons un produit génétiquement modifié qui tuerait une certaine catégorie d'insectes et qui déséquilibrerait ainsi la pollinisation de tout un territoire.

Il faut être prudent et traiter les problèmes au cas par cas car c'est ainsi qu'ils se traitent. Si à l'évidence certaines manipulations ne sont pas dangereuses, certaines autres le sont.

Au moment du débat sur le maïs transgénique, nous avons vu que les positions étaient passionnelles et que, naturellement, les questions de tel ou tel étaient souvent davantage soit guidées par l'idéologie soit par des intérêts économiques.

Je souhaite donc que, dans ce domaine, la France ait une opinion équilibrée. En ce qui concerne le Ministère, de toute manière, nous organiserons nous aussi, un débat non pas de même type, mais avec des scientifiques européens pour discuter très à fond de ce problème.

Lorsque je parlais de naïveté tout à l'heure, je vais donner un exemple. Nous avons, la France a décidé de faire un centre de séquençage à Evry.

Cette décision n'a pas du tout été prise à l'unanimité. A l'époque certains chercheurs considéraient que ce centre de séquençage n'était pas nécessaire. Il n'y avait qu'à laisser faire les Anglais, très allants dans ce domaine, et les Américains ainsi que d'autres et il valait mieux consacrer nos moyens à manger les marrons plutôt qu'à les tirer du feu.

La décision a cependant été prise, je fais un simple rappel. Là-dessus, dans ce domaine du génome humain, à la suite de la conférence des Bermudes, la décision a été prise de mettre tous les séquençages une fois obtenus sur Internet afin que tout le monde en profite.

Nous nous sommes ensuite rendu compte que les Américains, toujours très friands de grandes décisions éthiques mais ayant la tête près du bonnet d'autant plus qu'aujourd'hui la plupart des grands scientifiques américains sont plus ou moins liés financièrement à une grande société pharmaceutique ou de produits alimentaires, ont fait adopter l'amendement suivant.

Comme les Américains sont des personnes sérieuses, avant de mettre leurs informations sur le web, il devaient se donner six mois pour vérifier si les informations de séquençage étaient correctes.

Moyennant quoi tout le monde sait que pendant ces six mois, on essaye d'identifier ce qui, dans ces séquences, pourrait donner lieu à brevet, on les brevette et ensuite on les dépose sur le web. Et on brevette même des séquençages faits par les Européens.

Il y a eu un incident extrêmement violent en Allemagne Fédérale il y a quelques mois et le Ministre de la Recherche d'Allemagne Fédérale m'a contacté il y a quelques semaines pour me demander de déposer avec l'Allemagne Fédérale une demande de directive à Bruxelles pour donner l'autorisation aux Européens d'avoir six mois avant de mettre leurs séquences sur le web de manière à faire exactement la même chose que les Américains. Nous allons obtempérer car cette méthode me semble très bien.

Je cite simplement cet exemple pour montrer que nous sommes toujours d'accord pour de la transparence, des marchés ouverts, un certain nombre de choses, mais qu'en fait dans la pratique, les choses ne sont pas tout à fait aussi simples.

Les incidents en Allemagne ont même été verbalement assez graves. Un ancien prix Nobel américain très célèbre a même été jusqu'à prononcer des paroles qui, naturellement, blessent énormément les biologistes allemands contemporains car ils n'ont rien à voir avec leurs devanciers de triste mémoire. Je vous dis ceci pour vous montrer que cette compétition est difficile.

Nous voyons aussi l'évolution des opinions. A tel moment, telle communauté paysanne est fanatique pour faire tel ou tel produit transgénique, puis elle s'aperçoit que si nous étiquetons la vente sera plus ou moins bonne et elle devient de ce fait plus réticente, etc.

Je voudrais, et c'est le travail du Ministère de la Recherche, que nous puissions donner un certain nombre d'analyses qui sont difficiles car nous sommes dans l'incertitude.

Je ne fais pas partie des défenseurs et je ne suis pas un scientifique béat qui considère que la science est bonne par définition et que de toute manière tout va bien dans le meilleur des mondes possible.

Je ne suis bien sûr pas non plus quelqu'un qui considère qu'il faut arrêter le progrès scientifique au nom d'un certain naturalisme dépassé. Ceux qui défendent cette idée n'ont qu'à retourner dans les cavernes faire du feu au lieu de se préoccuper de condamner toute forme d'énergie, toute forme de progrès.

Je crois cependant qu'il faut faire très attention. Nous sommes maintenant dans une époque historique où, pour la première fois, nous pouvons manipuler le génome des êtres vivants et donc également le génome humain, en tout cas s'en approcher si ce n'est le manipuler lui-même. Par conséquent nous risquons d'être véritablement des apprentis-sorciers si nous n'y faisons pas attention.

C'est ce que je voulais vous dire en propos préliminaires.

L'attitude du Ministère de la Recherche et de la Technologie est une attitude pragmatique, mais vigilante.

Ceci étant dit, je répondrais, si je le peux, aux questions que vous serez amenés à me poser, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs.

M. le Président - Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, de cet exposé liminaire qui fait le point et traduit les interrogations qui se sont révélées au cours de ces deux journées au terme desquelles nous arrivons.

Tous les problèmes que pose le développement d'une technologie nouvelle et de ses applications dans le domaine de la santé et dans le domaine de l'agro-alimentaire ont été étudiés, évalués, soupesés. Dans un certain nombre de cas, nous avons eu des discussion véhémentes, des avis divergents. Je crois cependant que cela s'est bien passé de l'avis de tous ceux qui sont ici et notamment de nombreux représentants de la presse.

Nous avons parlé de la recherche et je voudrais très rapidement faire un résumé.

Bien que nous soyons dans un calendrier où les décisions ne sont pas prises, néanmoins nous travaillons dans le domaine du développement de la recherche dans les biotechnologies et de l'incidence du développement des techniques d'analyse du génome.

Il y a cependant une difficulté car nous sommes dans un débat public qui n'a pas eu lieu dans notre pays sur l'utilisation des plantes transgéniques et sur l'utilisation des aliments issus de ces plantes.

Nous avons le débat public que nous sommes en train d'essayer de lancer après un certain nombre de décisions ce qui nous a d'ailleurs été reproché, néanmoins, nous avons un débat ce qui est très important.

Nous avons le débat ici avec des experts et le gouvernement et nous aurons la première Conférence de citoyens française les 21 et 22 juin qui se déroulera dans cette salle avec un panel de citoyens de quinze personnes, de quinze "candides" qui donneront leur avis sur le sujet.

Au bout du compte, le Parlement et son rapporteur, confrontera l'avis des experts, celui des citoyens et celui de tous ceux qui se seront exprimés sur ce sujet pour donner un avis.

Nous sommes dans un paradoxe car il y a le débat et d'un autre côté les enjeux dont l'un est la recherche avec une décision prise du Centre de séquençage d'Evry qui, je crois, est une bonne décision. En tout cas, tout le monde l'a dit et indiqué ici hier et ceci, quels que soient les domaines de recherche auxquels appartenaient les personnes qui se sont exprimées.

Néanmoins, tous demandaient si le développement de la génomique, c'est-à-dire qui est le futur de la génétique, fait toujours partie des priorités de votre action.

Concernant le Centre de séquençage, j'ai une petite question avec notamment une intervention de Daniel Cohen à ce sujet, puisque le Génoscope vient d'être créé avec l'ancien directeur des sciences de la vie du CNRS pour s'en occuper.

Ne serait-il pas bon d'avoir quelques pôles satellites à côté du Centre d'Evry pour développer dans deux ou trois autres villes des recherches dans ce domaine car ce sont des points importants ?

Il s'agirait notamment des recherches concernant les puces à A.D.N., question que nous avons également abordée. Et il faudrait peut-être un centre de technologie vers les pays du Sud.

Monsieur Fauquet, ici présent, qui dirige le laboratoire de l'ILTAB en Californie, laboratoire mixte de l'ORSTOM, a beaucoup parlé de ces problèmes de coopération. A New-York j'ai vu Monsieur Serageldin, vice-président de la Banque mondiale sur ces questions.

Quelles sont vos positions sur la génomique, un peu le futur de la génétique ? Y aura-t-il un soutien accru dans ce domaine ?

Ceci bien sûr sans vouloir déflorer le projet sur les priorités de la recherche qui sera dévoilé en septembre.

M. Allègre - Je vais vous répondre de manière un peu vague et je vous prie de m'en excuser.

Je crois que le Centre d'Evry existe et que cela a été une bonne décision. En tout cas je n'ai pas l'intention de le remettre en question.

La question qui se pose me paraît être de deux ordres.

Le première chose est qu'il doit être utilisé pleinement par l'ensemble des organismes qui s'occupent de biologie. L'un des problèmes français est que quatre ou cinq organismes font de la biologie sans beaucoup de coordination. Je peux vous dire que nous allons créer un comité de coordination des sciences du vivant pour que l'ensemble des personnes se parlent et donc que ce centre soit pleinement utilisé.

La deuxième chose est qu'il y a effectivement un certain nombre de satellites dans ce centre. Il y en aura un sur les puces à A.D.N. qui se fera en liaison avec le CEA et qui devrait voir le jour assez rapidement.

La troisième chose est qu'assez rapidement nous devons déborder tout ceci pour aller vers la création de PME/PMI innovantes.

C'est un travail qui est une priorité. Je vous ai dit que nous allions faire une loi sur l'essaimage, plus largement d'ailleurs sur ce problème, mais nous allons essayer de provoquer des créations de PME/PMI innovantes en faisant très attention au fait que, dans ce domaine, la situation industrielle française est très particulière.

Nous avons une industrie des médicaments en chute libre. Il y a quelques années, nous étions le deuxième pays du monde pour les prises de brevets sur les médicaments, nous sommes devenus le septième, avec à l'inverse une industrie agro-alimentaire extrêmement active et une industrie de l'environnement, notamment dans le traitement de l'eau, qui est la meilleure du monde.

Le problème de savoir dans quel domaine, vers quel débouché, les biotechnologies peuvent se développer est extrêmement important et fera l'objet d'une étude très approfondie avant de décider, de regarder quelles orientations elles prendront.

C'est ce que je peux vous répondre dans l'état actuel des choses.

Ne faut-il pas fabriquer un réseau plutôt qu'un centre ?

La réponse est a priori oui, mais il faut voir. De toute manière l'existence de centre faisant du séquençage ou travaillant sur le génome dans différents pays, dans différentes régions de France est effectif. Sur la partie des plantes, le Centre de Montpellier fera des recherches, les personnes de Strasbourg en font également de même que Grenoble.

Je ne crois pas qu'un monopole se situera à Evry. Il faut considérer Evry comme un grand instrument, une sorte de télescope pour un astronome qui doit être utilisé par telle ou telle personne qui veut séquencer la betterave, le radis noir ou la mouche tsé-tsé.

M. le Président - L'autre point est beaucoup plus précis et ponctuel.

Un certain nombre de problèmes ont été abordés, notamment en matière d'environnement. Un certain nombre de personnes présentes - et je me fais leur interprète - disaient que les crédits consacrés par le privé - pourtant il devrait le faire puisque la crédibilité éventuellement de la culture de plantes transgéniques passe par des études de la culture de ces plantes sur l'environnement ou la santé - étaient trop faibles.

En matière d'environnement d'une part ou de santé d'autre part dans les domaines concernant les impacts des biotechnologies, y aura-t-il des demandes à l'INSERM, l'INRA ou au CNRS aux sciences du vivant ?

En quelque sorte la recherche doit-elle se mettre au service de la société lorsque celle-ci a une demande qui est une demande forte ?

M. Allègre - Cela dépend, mais sûrement pas en fixant les priorités si nous n'avons pas les hommes qualifiés pour mener ces recherches.

Tant que je serai ministre de la recherche, il y aura une rupture avec les méthodes que nous avons connues consistant à fixer des priorités, à inonder certains laboratoires de médiocres et de crédits alors que d'autres de grande valeur dans d'autres domaines se serrent la ceinture.

Je ne suis donc pas un fanatique de la priorité budgétaire forcée.

En premier, je crois que nous avons une déficience de chercheurs dans un certain nombres de domaines, en écologie par exemple et je dirai même surtout dans un élément qui est maintenant un élément essentiel, celui que nous appelons l'écologie biochimique qui consiste à voir comment dans un biotope donné, les diverses transformations biochimiques se font et se propagent.

Nous avons sûrement à réévaluer les choses, mais là nous entrons dans un débat que j'aurais probablement l'occasion de venir exposer devant l'Office des choix technologiques du Parlement. C'est un débat très difficile car il s'agit de la fixation des priorités et ce débat a été mal résolu dans ce pays.

Les priorités ne peuvent être fixées par les chercheurs. Nous le faisons depuis un certain nombre d'années et cela conduit par définition à une reproduction homothétique.

En fait, nous nous apercevons que les grandes priorités scientifiques de la France ont été fixées par le Général de Gaulle avec un souci essentiel d'indépendances nationale et énergétique et que les équilibres budgétaires ont été établis à ce moment-là et quasiment poursuivis au cours du temps. Je ne vous ferai pas de graphiques, mais cela a été le fait.

Une fois l'indépendance énergétique et stratégique de la France assurée, alors qu'il aurait fallu basculer une bonne partie des crédits sur les sciences du vivant et sur celles de la communication et de l'information, nous n'avons pas su le faire.

Je suis décidé à le faire, mais à le faire avec un certain nombre de précautions, non pas tout seul, mais avec l'aval complet et le support de l'ensemble du gouvernement. C'est de ceci dont nous avons abondamment parlé ce matin. A ce sujet, le témoignage de l'ancien Ministre de la Recherche et fort dynamique Jean-Pierre Chevènement a été très intéressant.

Là il y a beaucoup de choses à dire, mais il n'est pas normal que, vu de la qualité de la recherche française, elle crée aussi peu d'entreprises, de PME/PMI innovantes. Lorsque nous pensons qu'à lui tout seul, le MIT a créé 4 000 entreprises dans sa périphérie au cours des trois dernières années, alors qu'il n'y a que 10 000 étudiants, nous voyons quand même que nous avons quelques problèmes.

Je sais bien que nous sommes pour la plupart les descendants de ceux qui n'ont pas traversé l'Atlantique et que le goût du risque et des aventures à travers les grands espaces n'est pas forcément dans notre culture, mais je crois que nous pouvons le changer.

Je vois ce qui vient de se passer en Allemagne où un changement à 90° a été opéré il y a deux ans pour le financement de la recherche. Abandonnant cette habitude européenne de financer les grands groupes comme nous l'avons fait, ils se sont décidés à faire une priorité pour les start up et ils sont en train d'en réaliser d'une manière tout à fait remarquable.

Je souhaite aussi en ce qui concerne les collectivités territoriales qui ont pris l'habitude d'aimer la recherche dans ce pays et de payer des appareils à Untel ou Untel suivant des critères qui ne sont pas toujours des critères scientifiques, qu'au lieu de s'occuper de ce problème qui n'est pas le leur, elles se préoccupent davantage précisément du capital-risque dans les créations d'entreprises, de l'essaimage, de l'aide aux jeunes chercheurs qui veulent démarrer.

Je crois que nous devrons avoir un effort coordonné dans ce domaine et naturellement au premier plan sont les biotechnologies.

Vous avez raison de dire que les biotechnologies appliquées à l'environnement, que ce soit dans le traitement des déchets ou de la purification d'eau, sont quelque chose de tout à fait remarquable et qu'il ne faut pas penser biotechnologie uniquement en termes de médicaments même si c'est un problème tout à fait éminent et important.

M. le Président - Ce sujet est important et nous sommes en phase totale.

Je reviens des Etats-Unis où j'ai visité plusieurs universités. Dans l'Iowa State University ils ont maintenant 5 ou 6 000 emplois qui sont directement liés à leur université et, alors que l'Iowa est dans le Middle West, ils doivent maintenant importer des chercheurs ou des personnes formées à la recherche ou l'industrie pour venir travailler dans leur petite université initiale.

C'est une politique qui est importante aux deux conditions que vous avez indiquées.

La première est que nous rééquilibrions par rapport aux grandes masses budgétaires qui étaient les grands programmes des années 60 car certaines disciplines sont en train d'émerger dans le secteur général des sciences du vivant.

Deuxièmement il faudra supprimer les blocages administratifs qui existent quand même. Il en existe et j'espère que dans la loi nous arriverons à le mettre en place avec les collectivités locales et territoriales, qui sont prêtes à le faire en tout cas dans un certain nombre de secteurs de notre pays, en débloquant un certain nombre de verrous et de freins administratifs qui existent et qui ont particulièrement été montrés du doigt lors de la table ronde consacrée à la recherche hier.

M. Allègre - Les verrous administratifs sont importants, nous allons essayer si ce n'est de les faire sauter, du moins d'en diminuer les effets de blocage en ce qui concerne les chercheurs, mais les problèmes psychologiques sont eux aussi fort importants.

Je me souviens que lorsque nous avons discuté la loi de Jean-Pierre Chevènement et que nous avons pris la décision de transformer les chercheurs en fonctionnaires, l'argument n° 1 soulevé par des personnes tout à fait éminentes a consisté à dire que cela aiderait la mobilité. Une fois fonctionnaire, le chercheur étant rassuré sur son avenir, il pourrait bouger.

Je voudrais vous donner un chiffre, l'an dernier sur 22 000 chercheurs du CNRS, 8 sont passés dans l'industrie. Les chiffres sont quand même assez accablants.

Cette année nous venons de mettre 100 postes de transfert pour les chercheurs qui veulent devenir professeur d'université et pour ces 100 postes nous avons péniblement 125 candidats.

Concernant l'idée de la mobilité, je ne vous cache pas que la question posée est de savoir si, dans ce pays qui est le seul pays du monde à admettre ceci, nous devons considérer qu'on est chercheur à vie sans avoir à un moment donné l'obligation de faire une mobilité quelconque hors de son laboratoire ou de son organisme.

Je crois que, pendant ce gouvernement ou un autre, ce pays devra se poser un jour réellement cette question. Lorsque nous voyons que l'âge moyen des chercheurs est de 47 ans et qu'il augmente de quatre mois tous les ans, il y a là une vraie question.

Vous pouvez d'ailleurs vous amuser à faire un petit calcul et dire que vous allez tripler le nombre d'entrants dans l'organisme pendant dix ans en prenant des jeunes et vous verrez que vous ne modifierez pas beaucoup l'âge moyen.

L'âge moyen est un paramètre statistique extraordinairement robuste et le seul moyen pour le modifier est d'évacuer les personnes à partir d'un certain âge vers le haut.

Il y a quelques années, le Commissariat à l'Energie Atomique a adopté une méthode drastique qui lui a permis de faire mieux que le CNRS puisqu'il est à 42 ans. Il a mis à la retraite tous ceux qui avaient plus de 60 ans.

Nous pourrions aussi nous amuser à mettre à la retraite tous ceux qui ont plus de 55 ans. Malheureusement même si sur le plan statistique ce serait une technique facile, outre le fait que naturellement nous aurions des hurlements qui seraient des Montagnier multipliés par cinquante, un deuxième problème se poserait.

Je ne veux pas faire de polémique politique, mais la période Pompidou-Giscard a été une période particulièrement désastreuse en ce qui concerne le recrutement des chercheurs et si nous prenions cette mesure, nous enlèverions quasiment les seuls leaders dans un certain nombre de domaines sans avoir de remplacement. Sur le plan scientifique, nous ne pouvons donc même pas envisager une telle mesure.

La seule mesure qui reste est de favoriser ces transferts vers l'enseignement supérieur ou vers l'industrie. Mais comment le faire ? Faudra-t-il une loi ?

Il faut dire que comme les chercheurs qui font grève et défilent dans la rue, cela ne dérange pas beaucoup de monde, c'est moins que l'EDF ou que les chauffeurs routiers, il faut se lancer dans une telle bataille frontale, mais nous allons affaiblir la recherche scientifique ce qui ne sera pas très bon d'un autre côté.

Tout le monde dit qu'il faut faire preuve de conviction, mais je pense que mes prédécesseurs n'ont pas été inactifs dans ce domaine. Ils ont multiplié les mesures, mais il faut bien reconnaître que le succès de la mobilité est très limité. Et je vous avoue que je suis extrêmement perplexe, que je n'ai pas beaucoup de solutions.

M. le Président - J'ai une autre question qui touche les biotechnologies, qui est une question générale.

Depuis une quinzaine d'années, nous avons essayé de favoriser les rapports entre le public et le privé au niveau de la recherche, je crois que c'est une bonne chose. Vous avez même indiqué qu'il est souhaitable qu'il y ait une certaine mobilité.

Aux Etats-Unis nous observons un phénomène qui devient inquiétant, c'est-à-dire la privatisation totale du savoir. Non seulement les produits, mais aussi les techniques d'expérience sont soumises à redevance.

Finalement, c'est ce que m'a dit le vice-président de la Banque Mondiale, les pays du sud ont de plus en plus de difficultés à obtenir des transferts de technologie. Même si cela se fait dans un certain nombre d'instituts, cette privatisation totale du savoir dans les universités américaines devient inquiétante.

Y a-t-il ce risque éventuel en France ? Dans l'affirmative, comment pouvons-nous essayer d'y remédier et essayer de favoriser le transfert ?

M. Allègre - D'abord, nous ne sommes pas du tout dans ce risque car nous n'avons pas le mouvement de création d'entreprises, etc. que nous voyons aux Etats-Unis.

M. le Président - Pas seulement création.

M. Allègre - Oui, mais nous ne sommes pas du tout dans ce risque, de prise de brevet forcenée, etc..

Aux Etats-Unis il faut voir que la biologie est un exemple typique, la chimie l'a été et l'est encore. A l'intérieur même d'un laboratoire les différents élèves ne se parlent pas car chacun ou les groupes sont sur un sujet qui donnera lieu à un brevet, par conséquent il ne faut pas qu'il y ait de fuites.

Cela devient épouvantable dans certains endroits. Il a par exemple fallu au MIT qu'il y ait une décision de son président pour forcer certains professeurs à faire des séminaires. Ils se refusaient à en faire, car ils considéraient qu'il ne fallait pas ébruiter leurs recherches chez les collègues. Dans certaines universités, certains universitaires sont partis pour ces raisons.

Aux Etats-Unis, il est vrai que dans le domaine de la biologie, cela a atteint des limites très inquiétantes.

Il en est de même dans le domaine de l'informatique. Lorsque vous dirigez une thèse, le problème est de savoir à qui appartient ce que la personne écrit dans la thèse. Il y a des procès célèbres à propos de langages informatiques. Ces langages informatiques ont été écrits par des élèves qui ont pris un brevet. Le professeur qui dirigeait la thèse a dit qu'il s'agissait de ses idées, qu'il lui a dit ce qu'il fallait faire.

Maintenant lorsque vous passez par exemple une thèse au California Institute of Technology, vous signez un papier comme quoi la propriété de ce que vous faites appartient à l'université.

Il est vrai que cela prend des allures qui ne sont pas très plaisantes sur le plan universitaire. Nous n'en sommes pas du tout là en France, mais je ne dis pas que cela ne viendra pas. Même en Europe, nous ne sommes pas dans ce domaine.

L'aide vis-à-vis des pays sous-développés se fait. Mais le problème est que les technologies évoluent à une telle vitesse, que concernant cette idée un peu élitiste que nous avons, nous autres Européens, de dire que nous sommes développés intellectuellement et qu'il y a les pays sous-développés, etc., les pays dits sous-développés envoient une escouade d'étudiants aux Etats-Unis dans des laboratoires bien choisis et cinq ans après ils ont un laboratoire compétitif sur le plan international.

Actuellement les laboratoires indiens sont compétitifs sur le plan international. L'Inde n'est pas un pays sous-développé, elle est maintenant de plain-pied dans la compétition internationale. Cela commence à être aussi vrai pour la Corée, pour le Brésil et pour un certain nombre de pays.

Je dirai même plus, dans certains cas, ces pays n'étant pas bloqués par des traditions universitaires sclérosantes, les nouvelles disciplines sont enseignées tout à fait naturellement dans le cursus et plus vite que dans un certain nombre de pays développés.

Par conséquent il faut faire très attention avec cette distinction. L'idée consistant à dire que nous fabriquons des choses de grande qualité et que les pays sous-développés font de la manufacture, etc. est totalement en train de s'estomper.

La compétition intellectuelle est une compétition mondiale. Si vous lisez le palmarès des prix internationaux des dix dernières années, lorsque vous identifiez les personnes, si indépendamment de leur nationalité, vous regardez d'où elles viennent, y compris dans les prix Nobel américains, vous voyez des Pakistanais, des Coréens, des Chinois, des Argentins. Et si vous regardez leur cursus, ils n'ont pas forcément fait leurs études aux Etats-Unis.

Un prix Nobel indien a fait toute sa carrière en Inde et a juste été aux Etats-Unis deux ans avant d'avoir le prix Nobel.

Je vais vous dire parfois l'affection et l'intérêt idéologique que j'ai pour les pays sous-développés. Actuellement je me fais beaucoup de souci pour la France, c'est ma préoccupation n° 1 ainsi que pour l'Europe.

Ce qui me soucie est d'essayer d'organiser notre recherche scientifique pour faire face à cette offensive. Notre technique de financement de la recherche qui a consisté pendant des années à donner de l'argent aux grands groupes - rappelez-vous ce que dit le rapport Guillaume, 86 % du financement de la recherche se répartit entre six groupes en France - ce financement qui est le reste du Colbertisme n'est pas adapté aux nouvelles technologies, aux biotechnologies, aux technologies de l'information.

Ce n'est pas là que se font les choses, par conséquent il nous faut rompre avec cette habitude. Ce n'est pas facile car les grands groupes sont bien organisés, leur pouvoir de pression est très fort. Souvent ce sont les mêmes personnes qui sont des deux côtés de la barrière, elles appartiennent aux mêmes familles intellectuelles et administratives.

Par conséquent, briser ce fonctionnement du financement de la recherche pour les grands groupes est difficile. Les Allemands avaient exactement le même problème et ils l'ont cassé il y a deux ans sur le programme de biotechnologie en faisant un programme extrêmement simple qui a été un appel d'offres à idées. Sans s'occuper des laboratoires, il y avait un jugement sur les idées.

Les jeunes chercheurs touchaient de l'argent avec, vous y faisiez allusions tout à l'heure, le principe du cofinancement. Les Länder se sont engagés dans ce programme. Lorsqu'une équipe dépendant de leur Land avait de l'argent fédéral, ils doublaient l'argent au niveau des Länder. C'est ce qui a permis de développer cela.

Actuellement l'Allemagne dépense dans ce fonds de développement de biotechnologie pour les créations d'entreprises nouvelles, 2,5 milliards de francs. Ils sont partis avec 500 millions de francs et dépensent maintenant 2,5 milliards de francs avec des fonds des Länder, des fonds privés, des fonds divers. L'amorçage s'est fait avec 500 MF et maintenant ils en sont là.

Inutile de vous dire que nous sommes en train de regarder de près la manière dont cela se passe, j'ai beaucoup parlé avec mon collègue allemand pour essayer de voir ce mécanisme. Nous ne sommes donc pas en train de nous endormir sur nos affaires dans ce domaine.

Je voudrais revenir à ce que j'ai dit au début.

Ces jours derniers, j'ai été extrêmement frappé car, avant de venir à cette audition, j'ai consulté un certain nombre de scientifiques que je connais depuis longtemps. J'ai été très frappé de voir qu'un bon nombre d'entre eux qui sont des sommités scientifiques françaises n'avaient pas participé à un débat sur l'éthique biologique depuis des années.

Ils me disaient que c'était des sujets de conversation de congrès, mais ils n'avaient pas participé à un vrai débat.

Je pense que, sur ces problèmes d'éthiques, nous avons besoin d'avoir dans chaque organisme de recherche et pas seulement à telle ou telle occasion, des débats entre les chercheurs de manière à ce qu'ils prennent conscience de ces problèmes, qu'ils débattent, discutent de manière contradictoire sur cette question car c'est une question très importante.

M. le Président - Merci beaucoup, M. le Ministre, je crois que cette suggestion est excellente de savoir que la biologie puisse se faire en même temps qu'une réflexion sur les conséquences, son avenir et son développement.

Audition de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

AUDITION DE MADAME DOMINIQUE VOYNET, MINISTRE DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE L'ENVIRONNEMENT

M. le Président -
Je suis très heureux d'accueillir Dominique Voynet au terme de ces deux journées marathon, où nous avons tenu les délais, d'audition sur les organismes génétiquement modifiés.

Ces journées nous ont permis d'avoir six tables rondes :

- une sur les enjeux agricoles et ceux de l'agro-alimentaire,

- une sur les enjeux en matière de recherche,

- une sur la réglementation de l'expertise et du contrôle,

- une sur les OGM et l'environnement, nous allons en parler

- une sur les OGM et la santé,

- une sur les problèmes de la consommation et du consommateur.

Nous avons eu également l'audition de cinq ministres. Madame la Ministre, vous êtes la cinquième et vous allez clôturer ces travaux.

En parallèle avec cette confrontation collective contradictoire d'experts, de ces auditions de ministres., nous préparons la conférence de citoyens avec les deux week-ends de formation. Nous avons intégré de nombreux conseils qui nous ont été donnés par ceux qui souhaitaient donner leur avis sur cette organisation.

A côté de l'avis des experts, nous allons également demander à un groupe de citoyens son avis sur ce sujet complexe, passionné, passionnel dans notre pays, nous l'avons vu au cours de ces deux jours.

Je rendrai au Parlement, mais je le transmettrai immédiatement au gouvernement, un rapport le 30 juin.

Ce qui nous intéresse, c'est-à-dire l'environnement, a été au centre de nos travaux au cours de cette journée. Un certain nombre de problèmes ont été posés et nous avons vu le paradoxe qui existait.

Les organismes génétiquement modifiés sont un enjeu pour notre pays en termes d'agriculture, d'agro-alimentaire, de recherche. Leur développement pose un certain nombre de problèmes en termes d'environnement, peut en poser en termes de santé et en termes de développement durable de notre agriculture.

Cela a été bien exprimé par plusieurs intervenants, il y a la volonté de développer la recherche, ces technologies dans un certain nombre de cas, mais de bien l'encadrer.

Le terme de l'organisation de la biovigilance a été très nettement indiqué, mais plus que la biovigilance, un certain nombre d'intervenants ont pensé que, et c'est un peu comme dans le nucléaire, notre système de contrôle et d'expertise n'était peut-être pas satisfaisant.

A côté des experts qui doivent donner des avis techniques, par l'intermédiaire d'un certain nombre de ses représentants, la société doit également donner son avis sur un certain nombre de risques qui peuvent exister dans le développement de ces techniques.

Enfin en fonction de la partie technique et expertise en matière de risques, le gouvernement doit prendre un certain nombre de décisions.

Votre prédécesseur est venu dans une des tables rondes commenter les décisions de 1997, celles de février comme celles de novembre. Nous avons parlé très largement des incidences en termes d'environnement. Les problèmes, aussi bien d'apparition de résistance chez des insectes, de flux de gènes, tout a été abordé et aucune question n'a été éludée.

En fonction des responsabilités qui sont les vôtres, des décisions prises, nous souhaiterions que vous nous indiquiez, Madame la Ministre, vos positions sur ce sujet et que vous nous fassiez part de vos remarques.

Ensuite je vous poserai un certain nombre de questions complémentaires ainsi qu'un certain nombre de personnes. Celles qui veulent poser des questions doivent, c'est la règle lorsque les ministres viennent, les poser par écrit pour que nous puissions les regrouper.

Mme Voynet - Merci, Monsieur le Président.

J'imagine que l'exercice sera pour vous un peu fastidieux, plus en tout cas que pour moi, puisque vous avez assisté à deux journées d'échange d'arguments et que je serai forcément amenée à redire certaines choses.

En tout cas c'est pour moi la première occasion depuis bien longtemps de préciser de quelle façon j'aborde la question des plantes génétiquement modifiées et je commencerai par les points qui concernent plus directement mon domaine de compétence ministérielle.

Ma responsabilité est en effet de veiller que les variétés cultivées en France ne présentent pas de risques pour l'environnement.

A cet égard la situation diffère selon l'espèce concernée, le transgène introduit, comme l'a analysé le Comité de Prévention et de Précaution lors du débat qu'il a tenu sur les OGM le 5 septembre 1997.

Je rappelle que ce Comité de Prévention et de Précaution a été saisi au cours de l'été par moi-même. Il a considéré nécessaire de répondre vite comme je l'en avais prié et il a relativisé la qualité et l'ampleur du travail qu'il pouvait fournir dans un laps de temps aussi réduit.

Pour compléter son travail, nous avions souhaité solliciter par écrit un certain nombre d'organisations (associations, syndicats) qui, en quelques lignes ou sous forme de volumineux apport, ont contribué aussi à éclairer l'avis de ce Comité et ont été très utiles.

En ce qui concerne les espèces tout d'abord, certaines présentent des risques avérés de fertilisation croisée avec des espèces non cultivées et donc de dissémination indésirable des transgènes. C'est le cas de la betterave, identique à l'espèce sauvage betta maritima présente dans certaines régions de France, mais aussi du colza qui peut fertiliser des crucifères sauvages comme la ravenelle. En revanche le maïs ne présente pas ce problème en France.

En ce qui concerne les transgènes introduits, ceux qui permettent la sécrétion de toxines destinés à détruire des ravageurs sont a priori susceptibles de sélectionner des souches de résistance à cette toxine. De même ils risquent de détruire d'autres espèces que les espèces cibles.

Ces questions ne sont d'ailleurs pas à proprement parler spécifiques aux plantes génétiquement modifiées, elles se posent pour tout produit phytosanitaire. Toutefois, elles sont accrues pour les OGM par le caractère systématique de la production de la toxine par la plante alors que les traitements phytosanitaires peuvent être adaptés à la présence effective des ravageurs.

Il est donc indispensable qu'un dispositif de biovigilance permette de déceler le plus tôt possible l'apparition éventuelle de ce type d'impacts indésirables. Pour être crédible, un tel dispositif doit pouvoir conduire au retrait immédiat des semences en cas de nécessité.

Ce n'est cependant pas toujours possible, c'est concevable pour les variétés cultivées de maïs qui, non seulement ne repoussent pas, mais qui également en tant qu'hybrides, ne peuvent être ressemées par l'agriculteur lui-même. Ça l'est beaucoup moins pour les autres espèces qui disséminent.

Au-delà de ces préoccupations strictement environnementales, en tant que médecin, en tant que consommatrice, je ne saurais rester indifférente aux risques éventuels pour la santé publique, sur lesquels vous avez entendu mon collègue Bernard Kouchner.

Le problème le plus discuté actuellement concerne la dissémination de gènes de résistance à des antibiotiques.

Ces gènes ont été largement utilisés comme marqueurs des lignées transgéniques, ils ne sont en rien indispensables à ces lignées. Or il y a suffisamment de doutes parmi les experts sur les conséquences d'une telle dissémination pour la santé publique pour que l'utilisation de ces marqueurs soit proscrite.

Le Comité de Prévention et de Précaution s'est d'ailleurs prononcé sans ambiguïté sur ce point et le gouvernement a décidé de ne plus autoriser de tels OGM à l'avenir.

D'autres inquiétudes sanitaires sont également soulevées par divers experts, sur lesquelles je ne dispose pas d'assez d'éléments pour me prononcer, mais qui me paraissent devoir être analysées. Je pense en particulier aux effets allergènes des aliments issus d'OGM.

Si vous me le permettez, je souhaite maintenant aller au-delà de ces considérations très techniques pour aborder des questions plus fondamentales que ce dossier des OGM me paraît soulever.

Une proportion importante de la population de notre pays fait part actuellement de grandes réticences - c'est un euphémisme - pour consommer des aliments génétiquement modifiés.

Les raisons peuvent en être nombreuses et je vais essayer d'en lister quelques-unes. Après les avoir listées, je pense que nous serons d'accord pour dire que nous ne faisons pas pour autant le tour du problème.

L'essentiel en la matière ne me paraît pas être de nature technique. Le problème est avant tout un problème d'éthique, de société, c'est un problème politique au sens noble du terme.

En la matière il ne s'agit pas simplement de considérer que les citoyens sont mal informés, qu'il faut développer des efforts pédagogiques, leur expliquer, etc. Les arguments d'autorité ne tiennent pas, il faut bien en être conscient.

C'est d'ailleurs un problème important pour des ministres qui ne sont pas des experts. La tentation est grande d'objectiver le problème et de trancher sur la base d'avis autorisés d'experts reconnus.

Une partie de notre travail est de résister à la tentation de trancher sur la base de ces seuls avis et en quelque sorte d'avoir une approche d'honnête homme, au sens des Lumières, ou d'honnête femme si nous pouvons élargir ce concept à l'autre moitié de l'humanité, pour prendre en compte l'ensemble des arguments qui s'expriment au sein de la société.

Quels sont ces arguments ?

Vous avez des arguments :

- d'ordre éthique, d'abord, partant d'un refus a priori de toute manipulation du vivant qui relèverait d'une science sans contrôle jouant à l'apprenti sorcier.

- découlant d'une inquiétude générale sur la perte de lien direct entre les produits théoriquement sains que notre agriculture traditionnelle était censée fournir et ce que nous retrouvons dans nos assiettes.

Nos concitoyens ne savent plus ce qu'ils mangent et la crise de la vache folle ayant dès lors agi comme révélateur, les citoyens sont inquiets et ont besoin d'avoir des éléments de plus en plus clairs et objectifs sur ce qu'il y a vraiment dans leur assiette.

- D'ordre économique et social, ces arguments paraissent tout à fait valides et en tant que citoyenne et personne politiquement engagée depuis longtemps, j'ai envie de les placer au premier plan de mes préoccupations.

La généralisation des plantes génétiquement modifiées relève d'un modèle agricole intensif qui vise à maximiser les rendements, qui conduit en outre à une perte accrue d'indépendance des agriculteurs par rapport aux grands groupes de l'agro-industrie qui leur vendent les semences, les produits phytosanitaires, etc. De nombreux agriculteurs refusent cette évolution.

La question est également posée de savoir si la solution préconisée par les grands groupes de l'agro-alimentaire est une solution qui ne risque pas de s'imposer de façon tout à fait naturelle au détriment de l'examen d'alternatives moins coûteuses, plus raisonnables pour l'environnement et plus rassurantes pour la santé publique.

Ces alternatives plus modestes ont-elles la moindre chance d'être seulement portées à la connaissance du public et des pouvoirs publics lorsqu'une solution, celle des OGM, aussi largement médiatisée est portée et occupe la totalité du débat ?

- D'absence d'utilité des OGM dans nos pays : si aucune démonstration convaincante de leur intérêt pour le consommateur n'est apportée, pourquoi celui-ci devrait-il accepter de courir le moindre risque, aussi faible soit-il ?

Vu l'ampleur de ces réticences, il me semble que le moins que puisse faire un Etat démocratique comme la France est de faire en sorte que les éléments d'un choix aussi rationnel que possible soit débattu. Il est aussi de laisser le choix à ses habitants de déterminer dans la plus parfaite transparence s'ils souhaitent ou non consommer des produits issus d'OGM.

Cela passe en particulier par un étiquetage clair et exhaustif. A cet égard, la présence dans nos supermarchés depuis plusieurs mois de produits issus d'OGM non étiquetés est très dommageable.

Cette situation résulte pour une large part du temps considérable qu'il a fallu aux pays membres de l'Union Européenne pour se mettre d'accord sur les modalités d'étiquetage et je vois que vous en avez déjà largement discuté aujourd'hui.

Cette lacune est maintenant comblée grâce aux efforts de la présidence britannique qui ont permis de dégager un compromis moins mauvais que la proposition initiale de la Commission en évitant une mention peut contenir qui voulait à la fois tout dire et rien dire.

Pour le moment, ce compromis est satisfaisant : la liste négative qu'il instaure de produits non soumis à obligation d'étiquetage est vide ! Il faudra rester vigilant pour que les produits qui pourraient s'inscrire dans cette liste soient les moins nombreux et les moins contestables possible...

Je voudrais à cet égard en dire un peu plus et vous m'arrêterez si ces éléments avaient déjà été apportés au cours de la journée.

Il faut peut-être revenir sur les modalités de décision au niveau de l'Union Européenne. En effet, la France a été amenée à se rallier à la proposition de compromis de la présidence britannique pour éviter l'effet pervers des modalités de décision au niveau communautaire.

Il faut savoir en effet que si une majorité qualifiée n'avait pas été réunie sur le compromis de la présidence, par défaut la proposition de la Commission se serait appliquée de fait, sans forcément que nous ne soyons obligés de réunir une majorité sur cette proposition.

La proposition de la Commission était effectivement plus mauvaise, celle de la présidence britannique l'est un peu moins. Je déplore pour ma part que les produits qui ne seraient pas soumis à obligation d'étiquetage dans la liste négative, soient présumés sans OGM.

Il me paraîtrait normal que nous présumions les produits non soumis à obligation d'étiquetage comme étant des produits pouvant en contenir puisque nous ne pouvons pas démontrer qu'il n'y en pas, cela me paraîtrait plus logique.

En même temps il n'y a aucun espace pour que des positions subtiles soient débattues à ce stade : si nous ne votons pas pour le compromis de la présidence britannique, c'est la proposition de la Commission qui est adoptée.

Au-delà même de cette question d'étiquetage, la transparence dans la prise des décisions publiques est une nécessité absolue pour un tel sujet aussi fondamentalement de société.

Comme je l'ai déjà dit, nous devons sortir du mécanisme technocratique où seuls les experts parlent, les pouvoirs publics déduisant de leur expertise des normes censées garantir à une population confiante l'absence de risque.

A l'évidence ce modèle ne fonctionne plus. Nous en avons déjà parlé avec Jean-Yves Le Déaut à propos d'autres sujets sur lesquels il devra effectivement nous éclairer peu de jours après avoir terminé ce rapport d'étape sur les OGM.

Les crises de l'amiante, du sang contaminé, de la vache folle, mais aussi, nous l'avons vu ces derniers jours, de la dioxine, de la fissure de Civeaux, etc. ont contribué à engendrer une méfiance profonde de l'opinion envers la parole des experts et les décisions des pouvoirs publics.

Le risque nul n'existe pas. La question de fond est donc de mettre en place des mécanismes de décision permettant la définition du niveau de risque socialement acceptable compte tenu des avantages apportés par les techniques et les produits en cause.

Cet objectif guide en particulier la réflexion que mon ministère a entreprise sur la notion d'utilité publique et la réforme des procédures en la matière.

En ce qui concerne les OGM, le débat que vous organisez s'inscrit parfaitement dans un tel cadre.

Je souhaite qu'il aide à mettre en place des structures consultatives d'aide à la décision aussi ouvertes que possible et permettant un dialogue vrai entre les spécialistes du domaine et les relais d'opinion que peuvent être, par exemple les associations. Nous pourrions également prolonger notre réflexion sur la place que doivent jouer les média.

Un sujet est-il plus grave, plus pressant plus urgent lorsque les média s'en emparent ?

Je reprends l'exemple des dioxines dont on a beaucoup parlé ces derniers jours et mon ministère a travaillé sur ce sujet de façon considérable ces dernières semaines.

Ce n'est pas le jour où les média en prennent conscience que la décision doit être prise. Nous devons simplement s'assurer qu'une démarche large, réfléchie, concertée globale de réflexion puis ensuite de décision est menée avec ensemble des partenaires concernés. Cela se fait rarement sous la pression d'un micro tendu.

Ce souci de transparence devra également être intégré dans la révision de la directive 90/220/CEE en cours d'étude.

Pour conclure, c'est à mon sens bien évidemment le principe de précaution qui doit nous guider en la matière. Notre responsabilité est de ne pas prendre de risques avec l'environnement et la santé, a fortiori s'il n'y a pas de bénéfice pour les citoyens ou peu de bénéfices ou encore des bénéfices limités pour une partie extrêmement limitée du corps social.

J'en ai terminé avec mes propos liminaires et me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le Président - Merci, Mme la Ministre de cet exposé clair qui rappelle un certain nombre de nécessités dans ce débat.

Il est vrai qu'il y a un progrès dans l'étiquetage par rapport à la situation qui était bloquée avec le susceptible de contenir qui en aucun ne permettait d'informer le citoyen.

Les associations de consommateurs ont dit de manière très claire au cours de ces deux jours qu'il était nécessaire de savoir et qu'il fallait avoir le droit de choisir.

Le droit de choisir est effectivement d'avoir une transparence totale, ce n'était pas encore toujours le cas dans d'anciennes étiquettes. Il y avait des appositions comme Nestlé Suisse où figurait "Produit par des biotechnologies modernes" . J'ai vu que cela a changé et je vous montre un produit de la même société en France.

Ce pain en revanche est commercialisé en Suisse, il n'a pas moisi depuis deux mois.

Le deuxième point, pour les cannelloni, figure : Protéines issues de soja génétiquement modifié , c'est plus clair, mais c'est tout petit. Il vaut mieux en arriver au système anglais où en noir sur fond jaune, nous voyons un étiquetage qui est très clair.

Ma première question porte sur cette clarification en termes d'étiquetage avec la liste vide dont vous venez de parler, c'est-à-dire qu'un certain nombre de produits, liste négative, n'auront pas besoin d'étiquetage. C'est le cas aujourd'hui d'un certain nombre d'additifs, d'enzymes produits par des méthodes de génie génétique.

Si jamais nous arrivons à cet étiquetage, que pensez-vous de l'obligation d'un seuil si nous mettons contient et ne contient pas ?

Nous avons abordé cette question très longuement hier avec les différents ministres et également ce matin pendant cette table ronde et c'est un vrai problème.

Au-delà du problème qu'il pourrait y avoir en matière de santé, je pense que s'il y a un risque en matière de santé, il ne faut pas autoriser, c'est très clair dans votre déclaration et tout le monde est d'accord à ce sujet.

Si jamais, comme aujourd'hui, après cette décision contient ou ne contient pas , des contaminations arrivent, - malheureusement, nous l'avons vu dans l'affaire de l'agriculture biologique du sud de la France que vous connaissez bien - il y aura des procès et des responsabilités juridiques seront effectivement mises en jeu ou en cause.

Aujourd'hui, lorsque des champs seront cultivés avec des produits génétiquement modifiés à côté de champs de plantations sans modifications génétiques, il y aura immanquablement des flux de pollen avec des grains dans le cas du maïs ou d'autres plantes, avec des mélanges même s'ils sont faibles.

Deuxièmement la séparation des filières est un vrai problème, nous en avons parlé ce matin et les personnes de cette table ronde n'ont pas répondu à mes questions sur la séparation des filières. Elles sont toutes prêtes à le faire, mais n'ont pas l'air très fanatiques pour l'organiser car cela pose un certain nombre de questions.

Elles pensent plutôt que si de l'eau passe sous les ponts de la Seine d'ici quelques années, elles n'auront pas forcément à l'organiser, c'est un peu l'avis que j'ai eu après avoir posé ces questions restées sans réponse de la part d'un certain nombre de responsables.

Si la séparation des filières ne se fait pas, avec la dizaine d'étapes qui va de la fourche, c'est-à-dire du champ, à la fourchette, il y aura des mélanges et un tout petit peu de contaminants y compris dans des filières sans OGM.

Mon avis est qu'il faut fixer un seuil qui soit sans doute assez bas, mais il en faut obligatoirement un. Il faut le dire clairement, le seuil n'est pas fait pour essayer de masquer une réalité, mais pour que d'un point de vue juridique nous ayons quelque chose qui se tienne.

Sans seuil en effet, il aura de gros problèmes juridiques et je souhaite avoir votre avis à ce sujet, Mme la Ministre.

Mme Voynet - Je vais forcément vous décevoir beaucoup car j'ai peu travaillé sur cet aspect.

Comme vous l'avez fait, j'ai écouté Marylise Lebranchu, ses doutes, ses difficultés à cet égard car cela relève directement de sa responsabilité. Pour avoir vécu dans une autre vie, une expérience en apparence assez différente de celle-ci, j'éprouve les plus grands doutes sur le fait que tout étiquetage quel qu'il soit puisse apporter des garanties suffisantes au consommateur.

Il y a quelques années, j'ai eu l'occasion d'avoir sous les yeux un rapport fait par la Commission du Contrôle budgétaire du Parlement Européen qui montrait comment après de multiples aventures les céréales contaminées par la radioactivité de la région de Tchernobyl, s'étaient retrouvées étiquetées céréales d'origine communautaire - je ne citerai pas le pays responsable car cela présente peu d'intérêt, il était du sud de l'Europe.

Ceci tendait à montrer que nous éprouvions d'énormes difficultés à garder la trace d'un produit qui passait des frontières, était vendu, revendu sur des marchés plus ou moins opaques, etc.

Il me semble qu'à travers tous les circuits de l'alimentation du bétail, tous les circuits en provenance d'Europe de l'Est, etc., il est quasiment impossible d'apporter la moindre garantie et très vite des fabricants de bonne foi, pourraient être tentés d'inscrire sur des produits alimentaires "Ne contient pas d'OGM" alors qu'ils seraient de fait hors d'état de le garantir, une fois la tête sur le billot.

M. le Président - De nombreuses questions sont posées sur la prise de décision du 27 novembre, il y a eu une décision collective.

Vous venez d'en parler en disant - et c'était indiqué dans le compte rendu du Comité de Prévention et de Précaution - que vous n'étiez plus favorable à l'avenir à l'autorisation de telles constructions.

Quelle sera votre position à ce sujet ? Comment expliquez-vous que nous ayons pris une décision alors qu'un certain nombre de problèmes comme ceux des gènes de résistance aux antibiotiques ont été posées aujourd'hui sans passion ?

Nous avons dit que la probabilité restait faible, mais que tout pouvait exister au niveau de la nature. Un certain nombre de transferts de gènes peut se faire, plusieurs chercheurs l'ont dit, car la nature peut tout faire, notamment dans le domaine des conjugaisons bactériennes et du transfert de gènes.

Pouvez-vous commenter cela ? Qu'est-ce que cela veut dire pour les décisions futures ? Quelle sera la position du Ministère de l'Environnement à ce sujet ?

Mme Voynet - Il n'y a pas de mystère particulier.

Il est évident que dans une telle réunion, un ministre doit à la fois porter la position du gouvernement définie en interministériel et en même temps garder la liberté d'exprimer un avis plus particulier.

Je n'éprouve aucune difficulté à expliquer à nouveau ma position du 27 novembre. De notoriété publique, je n'étais pas favorable à l'autorisation donnée au maïs Novartis. Mais en même temps, je soutiens complètement la position dégagée en interministériel.

Il me semble en effet que le compromis auquel nous avons abouti après plusieurs heures de discussions, tient compte de l'ensemble des aspects du problème, notamment du contexte communautaire, des décisions prises de façon préalable par le gouvernement précédent, dont je suis forcée de rappeler qu'elles manquaient de cohérence.

C'est la France qui avait demandé la mise sur le marché et la mise en culture de ce maïs, qui avait émis un avis favorable et qui, ensuite, avait adopté une position un peu ambiguë avec d'une part l'autorisation de commercialisation et d'autre part le refus de mise en culture. Paradoxalement c'est peut-être pour le maïs que le problème de mise en culture était le plus modeste.

Il nous a semblé indispensable de tenir compte du contexte communautaire, des gestes posés par la France et par le gouvernement précédent et en même temps de nous doter des moyens de ne pas renouveler ce genre de problème en mettant en place d'une part un dispositif de biovigilance, d'autre part un moratoire.

Etait associé à ce moratoire l'organisation d'un vaste débat public.

Ensuite il y avait la modification de la position française au niveau communautaire puisque, à plusieurs reprises, nous avons été amenés à faire état de notre volonté de ne pas soutenir la Commission dans sa démarche à l'égard de l'Autriche et du Luxembourg.

Enfin vous aviez notre position concernant d'autres demandes pour des maïs et des colza, au cours de la durée de cette consultation publique.

Aujourd'hui je dirais que j'attends beaucoup du travail auquel vous êtes en train de vous livrer et de ces auditions publiques. J'attends beaucoup de la consultation des citoyens et je sais que de nombreuses réserves ont été émises sur les conditions de l'organisation de cette Conférence.

C'est un concept avec lequel nous ne sommes pas familiers en France, mais il me semble que les précautions prises par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, même si elles ne rassurent pas complètement les personnes les plus méfiantes, sont de nature à faire en sorte que cette Conférence de citoyens se déroule dans de bonnes conditions et permette vraiment de poser toutes les questions de la façon la plus ouverte possible.

Voilà la manière dont cela s'est passé. Faut-il en dire davantage ? Je suis tout à fait disponible si vous le souhaitez.

M. le Président - Non, j'ai relaté un certain nombre de questions. Il y a également une question sur le bénéfice pour le citoyen à laquelle vous avez déjà répondu.

Finalement faut-il lier l'autorisation d'un certain nombre de cultures à un bénéfice réel pour le citoyen et le consommateur ?

Vous y avez déjà répondu tout à l'heure, mais c'est une autre question qui est également posée.

Mme Voynet - Il est difficile de trancher car les intérêts des différentes catégories de citoyens ne sont pas forcément les mêmes en la matière.

Un des éléments qui contribue à nourrir ma réticence est la distorsion qui existe entre les modalités de mise sur le marché d'un produit que je considère comme relativement faciles, simples et les grandes difficultés que nous éprouvons ensuite à en décider le retrait.

Nous le voyons par exemple avec le débat sur l'éventuelle responsabilité du "gaucho" dans la modification du comportement des abeilles. C'est aux personnes qui se plaignent des effets secondaires d'un produit, de rassembler les éléments de la preuve. Je pense que c'est horriblement lourd, très long, etc.

Il me semble que c'est un point sur lequel nous devrions également nous pencher d'une façon plus générale. On met sur le marché des centaines, des milliers de produits chaque année, avec des moyens sans doutes insuffisants pour évaluer complètement les avantages, les inconvénients et approcher de façon fine le rapport coût/bénéfice de tous ces produits.

Comment faire pour réserver la mise sur le marché aux seuls produits constituant des avancées pour la société dans son ensemble ? Je crois que nous ne sommes pas en mesure de trancher cette discussion.

M. le Président - Dans le domaine des plantes transgéniques, le processus d'autorisation est quand même long. Nous avons parlé hier de la mise sur le marché, de la réglementation et toute la procédure, CGB et Europe, est très longue.

En revanche et cela sera la transition vers la question suivante que vous avez également abordée - vous avez abordé de nombreuses questions - et qui concerne l'articulation entre l'expertise scientifique et la décision politique.

Des associations, notamment des associations de protection de l'environnement doivent-elles être associées au contrôle avant la décision ?

Dans l'affirmative, cela doit-il se faire dans le cadre de l'ancienne Commission du Génie Biomoléculaire ou plutôt dans une autre ?

Je disais tout à l'heure que cela posait un certain nombre de problèmes. Si nous mélangeons des experts avec des représentants d'associations de protection de l'environnement, très souvent ils ont du mal à argumenter de manière technique, à avoir un débat équilibré.

Ne vaudrait-il pas mieux avoir quelque chose à côté permettant de donner un conseil avant la prise de décision politique ?

Pour vous qui doit faire partie de ce type de commission ?

Mme Voynet - Je tiens beaucoup et à l'indépendance de l'expertise et à la responsabilité politique assumée lors de la phase de contrôle et je pense qu'il ne faut pas mélanger les genres.

Simplement qu'est-ce qu'un expert ? Allons-nous considérer comme expert seulement des ingénieurs agronomes, des généticiens, des biologistes ? Allons-nous considérer aussi que l'ensemble des domaines des sciences peut être mis à contribution ?

D'autre part, nous restons un peu infirmes en ce qui concerne le lien entre science et société, entre santé et environnement. Sans doute de nouveaux types d'experts habitués à manier et des sciences exactes et des sciences sociales devront aussi être sollicités au cours des mois à venir sur des sujets dont la composante éthique, d'acceptabilité sociale est majeure.

Par exemple le sujet des déchets nucléaires est aussi un sujet comme celui-là.

Au Canada en ce moment, le gouvernement est en train de dresser un constat de relative impossibilité de stockage de déchets nucléaires dans les couches géologiques profondes au motif d'une inacceptabilité sociale et de problèmes éthiques. C'est tout à fait inattendu compte tenu des discussions qui étaient en cours dans ce pays, il y a encore quelques mois.

Nous devrons reparler de ceci qui n'est qu'en apparence hors sujet. Nous ne pouvons pas opposer les arguments techniques aux arguments de société car c'est intimement lié.

Je voudrais renvoyer dos à dos les associations qui ont du mal à argumenter sur le terrain technique comme vous dites et les experts qui ont tellement tendance à faire usage d'arguments d'autorité et à asséner des éléments déconnectés de la réalité sociale.

Quelque part c'est aussi la responsabilité des politiques d'être à la frontière des deux, de faire l'effort d'entendre les uns et les autres et de trancher, d'assumer les choix. En tout cas c'est ainsi que je vois ma responsabilité de ministre.

Dans le domaine des OGM comme dans d'autres domaines, je ne crois pas aux hautes autorités indépendantes assumant à la fois l'expertise et le contrôle, je crois vraiment qu'il relève de la responsabilité de l'Etat d'assumer le contrôle, de trancher politiquement, de rendre des comptes et que ce n'est pas celle des experts.

J'ai dû partir de la question et oublier la deuxième partie. Pouvez-vous m'aider ?

M. le Président - Comment les associations de protection de l'environnement se situeront dans le dispositif ?

Mme Voynet - Le moment est-il venu de parler de la réforme de la Commission du Génie Biomoléculaire ? En avez-vous déjà parlé ?

M. le Président - Non, je serais très heureux d'avoir votre avis car ce sera un des points sur lesquels je n'aurai pas à trancher. Je ne suis qu'un parlementaire et j'aurai à faire des propositions que le gouvernement suivra ou non.

Mme Voynet - Aujourd'hui nous avons longuement discuté de la façon dont nous allions rénover la Commission du Génie Biomoléculaire.

Comme cette Commission n'a plus de président depuis février 1997, elle n'a pu ni se réunir ni être réunie sur la base antérieure. Nous ressentons le besoin d'ouvrir une telle structure à d'autres personnes que des experts reconnus d'un point de vue scientifique.

Deux idées ont été débattues.

La première consistait à dire que nous élargissions de façon très importante cette Commission à l'ensemble des acteurs de la société concernés par ce genre de sujets. Nous donnions en outre à cette structure très large la possibilité de faire appel à des experts pour éclairer ses choix sur le plan technique.

La deuxième solution consistait à garder une Commission du Génie Biomoléculaire essentiellement composée d'experts et de techniciens et de mettre en place à côté, une structure plus représentative des différentes attentes de la société.

Aujourd'hui la discussion n'est pas complètement tranchée. Pour ma part, je préférerais de beaucoup que nous séparions les deux aspects et que nous clarifions les modalités de la discussion entre ces deux structures, la décision finale devant, à mon sens, revenir à la structure qui tiendrait compte des différentes préoccupations sociétales.

D'autre part je l'ai apporté ici et je le remets solennellement au président de l'Office qui l'a déjà, ce sera également l'occasion de faire part de mon souhait, qu'il soit peut-être largement rendu public et distribué aux personnes assistant à cette audition.

Je suis très impressionnée par la façon dont a travaillé le Comité de Prévention et de Précaution, je ne le suis pas par les moyens dont il a disposé car il a un bureau dans mon ministère et une personne à temps plein pour lui permettre de relayer son travail sur le plan du secrétariat.

Ce Comité associe des médecins, des chercheurs, des universitaires, mais aussi des sociologues, des associatifs, des personnalités du monde des sciences sociales, je crois même qu'il y a un psychiatre dedans.

En quelques mois, il s'est chargé d'émettre des avis extrêmement rigoureux d'un point de vue scientifique et complet du point de vue des préoccupations de la société sur l'impact du gas-oil sur la santé, les dioxines, les solvants, etc., sur les OGM.

Je pense que de telles structures très souples, très légères d'écoute des préoccupations de la société, capables de s'autosaisir, dotées de la plus large autonomie possible par rapport à des mises de tutelles, sont extrêmement précieuses et que nous devrions nous en servir pour d'autres structures.

Je voudrais aussi donner l'exemple de la Commission nationale du Débat public mise en place récemment.

Là encore, l'idée est d'avoir des personnalités extrêmement variées pour que l'approche multidisciplinaire soit garantie, capables d'animer un débat où le citoyen a une très grande place et où il est considéré comme porteur de préoccupations dépassant sa capacité à formuler des avis d'une façon technocratique ou experte.

M. le Président - J'ai reçu le président du Comité de Prévention et de Précaution, nous avons parlé d'un certain nombre de points et il souhaitait effectivement avoir davantage de moyens pour pouvoir avoir des études peut-être mieux argumentées.

Sur un certain nombre de points, il y a eu des contestations lors des auditions. Nous avons notamment parlé de l'allergie tout à l'heure, avec le Docteur Moneret-Vautrin, toujours présente dans la salle, pour laquelle ils ont eu une position très alarmiste.

Autant il faut mettre en place, peut-être un système d'allergo-vigilance autant ce qui était dit là était considéré comme un tableau un peu sombre par rapport à ce que des experts ont pu nous dire soit dans les auditions, soit aujourd'hui.

Il est important de continuer, il faut donner des moyens à ces groupes si nous voulons que les avis ne soit ni contestés ni contestables.

Cela ne correspond sans doute pas à ce que je dirai dans mon rapport car les experts que j'ai entendus n'ont pas dit, pratiquement à l'unanimité, la même chose. Il n'y avait peut-être pas eu ce jour-là de spécialiste de cette question.

C'est un des points, sur d'autres points ils ont posé de vraies questions et il faut faire fonctionner ces comités auprès des ministres qui ont une grande importance.

Mme Voynet - En fait ils n'affirment pas qu'il y a un risque allergique, ils disent que le risque ne doit être pris que si le bénéfice attendu est supérieur aux risques.

Je me souviens que lors de cette réunion du Comité de Prévention et de Précaution, il avait été discuté de ce problème à partir d'un article américain faisant état de la possibilité de problèmes allergiques lors de l'utilisation de soja dont une protéine avait été modifiée avec une protéine de noix du Brésil.

Nous savons que de nombreuses personnes allergiques utilisent le soja traditionnellement.

M. le Président - C'est un vrai faux problème. Lorsque vous transférez une protéine allergique de la noix du Brésil dans un autre organisme, elle restera allergique.

Mme Voynet - C'est exactement ce qu'a dit le Comité de Prévention et de Précaution.

Il a simplement souligné que les personnes souffrant d'allergies utilisaient en général le soja sans se poser de questions et avec beaucoup de confiance, notamment comme substitut à des allergènes notoires. Je pense par exemple au lait de soja utilisé en substitution au lait de vache par certains.

M. le Président - Votre ministère est impliqué dans la mise en place de la Commission de Biovigilance, quelle est votre appréciation sur son fonctionnement ?

Quelle politique vont mener les représentants du Ministère de l'Environnement dans cette Commission de Biovigilance ?

Là aussi, elle a été appelée de tous les voeux à condition que cela fonctionne, qu'il y ait des moyens, que nous sachions qui aura ses responsabilités et que les responsabilités et les missions de cette commission soient bien clarifiées par rapport à celles du Génie Biomoléculaire.

Si nous demandons en aval de faire la même chose que ce qui a déjà été fait en amont, nous arriverons à un système d'expertise mauvais. Il faudra bien le clarifier, mais je crois que c'est une bonne chose.

Comment le Ministère de l'Environnement s'y impliquera ?

En complément, pensez-vous que la prise en compte de l'environnement est le maillon faible - je pose volontairement la question - de l'expertise sur les OGM en France ?

Il y a eu un débat fort ce matin à ce sujet.

Mme Voynet - Je ne suis pas sûre d'avoir compris les enjeux.

M. le Président - D'abord il y a la Commission de Biovigilance.

Ensuite les problèmes d'environnement - le terme maillon - ne sont-ils pas ceux qui ont été sous-estimés ?

Cela ne veut pas dire que le Ministre de l'Environnement n'a pas travaillé, au contraire, vous avez posé les questions. Mais n'est-ce pas là qu'il y a le plus de problèmes dans le domaine des OGM ?

Vous en avez parlé en exposé introductif, mais je voudrais que vous le reprécisiez un peu.

Mme Voynet - Je ferai le parallèle entre l'édifice proposé pour les OGM et celui proposé pour les médicaments, où personne ne confond les procédures d'autorisation de mise sur le marché avec les dispositifs de vigilance permettant de faire remonter les accidents thérapeutiques, etc. et de mettre en place les stratégies pour les prévenir ou éventuellement retirer les produits qui en seraient responsables.

Il nous appartient de bien préciser la place relative de la Commission du Génie Biomoléculaire et de la Commission de Biovigilance.

L'une doit instruire des dossiers, donner un avis sur les nombreuses demandes d'autorisation qui ne concernent d'ailleurs pas toutes des OGM, je crois qu'il y a de nombreuses demandes pour des médicaments ou pour des filières de production dans le domaine de la santé.

L'autre aura pour tâche de mettre en place les modalités de suivi sur le terrain et de faire remonter éventuellement les événements indésirables qui pourraient être constatés.

Je ne suis pas très inquiète sur le fonctionnement de ce comité au niveau central. La diversité de ses partenaires, la qualité des discussions au sein de ce comité très ouvert peuvent garantir la rigueur de ce qui sera proposé, en revanche je suis plus inquiète par ce qui peut se passer sur le terrain.

Sommes-nous totalement certains que toutes les parcelles mises en culture sont connues des pouvoirs publics ?

Sommes-nous sûrs que nous disposons de tous les moyens pour assurer le respect des préconisations qui seront faites par ce Comité de Biovigilance dans chaque point du territoire ? Aujourd'hui je n'en suis pas sûre.

D'autre part, mon ministère a effectivement posé un certain nombre de questions concernant l'impact environnemental des OGM. Il ne dispose pas des moyens de mettre en place les programmes de recherche qui lui permettrait de répondre lui-même à ces questions.

M. le Président - J'ai posé cette question.

Mme Voynet - Qu'il s'agisse de la faiblesse du budget civil de recherche et de développement du Ministère de l'Environnement ou de sa capacité à influencer les grands programmes menés ailleurs, par l'INRA par exemple, notre responsabilité est de poser des questions et de nous assurer en concertation avec les autres ministères que nous allons nous doter des moyens d'y répondre.

Ce n'est cependant pas ce ministère qui pourra le faire, je crois que les choses sont claires.

M. le Président - J'ai posé la question à Claude Allègre tout à l'heure. Il a indiqué qu'il comptait développer des programmes de recherche, notamment dans ces domaines qui touchent au rapport entre les sciences du vivant et l'environnement.

Dans la salle - Il a dit cela ?

M. le Président - Oui, il a dit qu'il fallait développer l'écologie.

Dans la salle - L'écologie ?

M. le Président - Oui, l'écologie est une relation entre les sciences du vivant et l'environnement.

Mme Voynet - Un problème est posé et rejoint celui que j'évoquais tout à l'heure en parlant de la possibilité d'examiner les alternatives possibles à telle ou telle solution préconisée par de grands groupes.

Si je fais le parallèle avec ce qui se passe dans le domaine des transports, la loi d'orientation des transports intérieurs préconise que lorsqu'on propose une grande infrastructure de transports, on doit dans le même dossier évaluer la possibilité de réaliser des alternatives au moins aussi utiles et si possible moins coûteuses pour répondre à la question à laquelle souhaite répondre l'infrastructure.

Dans le domaine de la recherche en agriculture et de l'environnement, cette possibilité n'existe pas et les moyens de la recherche publique ne sont évidemment pas à la hauteur de ce que peuvent consacrer les grands groupes de l'agro-alimentaire.

J'aurais envie de dire que même avec un fort soutien de Claude Allègre, nous consacrerons quelques dizaines de millions à des programmes de recherche là où les grands groupes agro-alimentaires peuvent consacrer des milliards.

Pourrons-nous répondre à toutes les questions qui nous serons posées ? Je ne sais pas.

M. le Président - Dans un processus d'autorisation, il est évident que lorsqu'il y a un dossier industriel, il peut y avoir des études d'impacts en termes de conséquences sur l'environnement. C'est celui qui présente le dossier qui doit avoir précédemment fait les études.

Cela apparaît important. En tout cas c'est un des points importants pour nous, nous demanderons que les recherches soient développées.

Pour être plus précis, Claude Allègre a dit qu'il manquait de personnes formées dans un certain nombre de domaines. Il ne tient qu'à nous de développer ces formations ce qui a été le message d'un certain nombre de chercheurs ici. La CGB avait proposé cette Commission de Biovigilance depuis quelques temps.

J'ai quand même un souci après ce que vous venez de nous dire. La CGB a fait un travail important, on va la réformer, vous en avez parlé. Mais si on la réforme, dans l'état de mes réflexions, je suis plutôt aujourd'hui pour deux commissions séparées. Nous allons donc dans le même sens.

Avant que cela ne se mette en place, il se passera du temps. Ma position est personnelle, mais puisque nous avons abordé cela, il faudrait que pour une période transitoire, on nomme une CGB qui aura son travail à faire car, aujourd'hui et c'est vous qui l'avez dit, elle est paralysée.

Si jamais nous continuons à la paralyser, nous arriverons à un blocage du fait de son non fonctionnement.

Ma position personnelle - et si cela n'a pas été tranché au moment de la parution de mon rapport, je le dirai - est que peut-être pour six, huit mois ou moins, le temps qu'il faudra au gouvernement pour proposer une réforme, il faudrait nommer une CGB provisoire.

Mme Voynet - Mes conseillers vont être furieux car ce genre de "petite cuisine" ne devrait jamais être avoué publiquement.

Figurez-vous qu'il y a eu de nombreuses discussions sur cette question depuis des mois dans les ministères. La discussion ne bloque pas sur les concepts, les contenus, les missions, il faut le savoir.

Aujourd'hui ce qui bloque, c'est que nous n'arrivons pas à trouver un président à la CGB car il n'y a que des coups à prendre dans une telle structure.

Monsieur Le Déaut, je sais que ce genre de chose ne se dit pas, mais quand même... Il faut savoir aussi que c'est un sujet difficile et que bien des nobles personnalités pressenties sont aussi conscientes du fait qu'il y a des attentes sociales très lourdes à assumer et que ce sera difficile.

M. le Président - J'ai entendu parler de cela et je sais que la CGB ne s'occupe pas seulement de plantes transgéniques, mais également de thérapie génique.

Cette commission a un rôle très important et, aujourd'hui, on est en train de bloquer un certain nombre de dossiers.

Un président cela se trouve, on en trouve toujours et la France est le pays où il y en a le plus.

Merci de cette franchise ! Je crois que ce n'était pas un exercice facile, toutes les questions ont été posées. Merci de vos réponses. Ce sera certainement très utile car je crois que nous sommes en phase sur un certain nombre de points.

.Début table M.

.Fin table M.




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