CHAPITRE II
Les interrogations majeures suscitées par les plantes
transgéniques
Au terme des multiples auditions conduites sur ce
thème, il est patent que deux interrogations majeures sont
suscitées par ces plantes. Il est tout à fait nécessaire
de prendre en compte ces inquiétudes, bien légitimes. Le panel
des Citoyens a bien appréhendé ces craintes et ces
interrogations. C'est sans doute cette prise en compte qui conditionnera
l'acceptation des plantes transgéniques par nos
compatriotes.
La première de ces questions concerne la santé humaine et la seconde les conséquences éventuelles sur l'environnement. L'examen de ces deux questions amènera à se demander quelle réglementation appliquer à ces plantes.
A - Santé humaine et plantes transgéniques
Avant d'évoquer les questions qui se posent dans ce domaine, présence de gènes marqueurs de résistance à des antibiotiques, éventuelles toxicité et allergénicité de ces plantes, il convient de noter leurs possibilités très importantes en terme de maintien ou même d'amélioration de la santé humaine. Enfin on examinera la question de la biovigilance dans ce domaine.
a - Des plantes aux très grandes possibilités dans les constructions génétiques de deuxième génération
Les
possibilités des plantes transgéniques pour le maintien ou
l'amélioration de la santé humaine sont de deux ordres. Elles
concernent soit l'obtention d'aliments de meilleure qualité, soit la
possibilité de production de médicaments.
- L'obtention d'aliments de meilleure qualité : du soja fou
au soja miracle ?
Les travaux sur l'amélioration des caractéristiques alimentaires
des plantes sont encore assez récents mais sont certainement porteurs de
leur avenir à long terme.
Il s'agit en effet d'aller bien au delà de conférer une
résistance à des parasites ou même par exemple
d'améliorer la conservation, cette dernière possibilité
étant cependant évidemment loin d'être négligeable
pour accroître les délais de consommation des aliments. Il
convient cependant de noter qu'une plante transformée comme le maïs
Bt
de Novartis, tolérant à la pyrale, présente
déjà des avantages pour les consommateurs dans la mesure
où les perforations des insectes facilitent l'installation de fusarioses
produisant des substances toxiques pour les humains.
Au delà, l'objectif est de modifier la composition même des
plantes afin de leur donner soit une composition nutritionnelle nouvelle, soit
des caractères leur permettant de mieux s'adapter aux transformations
agro-alimentaires.
Si ces développements commencent à être courants concernant
les produits pour l'alimentation animale, ils sont en grande partie encore au
stade de la recherche pour l'alimentation humaine.
On peut néanmoins citer un certain nombre d'exemples de ces plantes.
Ainsi sont actuellement développées par les firmes Monsanto et
AgrEvo des pommes de terre transgéniques dont la teneur en amidon est
plus élevée que la normale et celle en eau plus réduite.
L'intérêt présenté par cette modification
réside dans le fait que pendant la friture, l'huile se substitue
à l'eau pendant la cuisson. Une moindre teneur en eau des légumes
entraînera une moindre absorption d'huile ce qui permet finalement
d'obtenir des pommes de terre frites moins grasses.
De même, j'ai pu me rendre compte lors de ma mission aux Etats-Unis, des
travaux effectuées par la firme Du Pont sur le soja.
Il s'agit dans ce cas d'augmenter la teneur en acides gras monoinsaturés
en la multipliant par quatre environ pour obtenir une proportion de cet acide
supérieure à ce qu'elle est dans l'huile d'olive pourtant
réputée pour ses qualités pour la santé humaine et
de réduire la teneur en acide a-linolénique. Cela permettra
d'éliminer l'indispensable hydrogénation chimique de l'huile
normale, responsable de la production d'acides gras trans, utilisée pour
obtenir un produit moins fluide et moins oxydable. L'ensemble de ces
caractéristiques apparaît très bénéfique pour
les personnes exposées au risque de troubles cardio-vasculaires.
Concernant aussi le soja, cette firme travaille à éliminer
complètement par génie génétique les facteurs
antinutritionnels présents dans cette plante qui perturbent la digestion
humaine. Le soja fou serait-il devenu le soja miracle ?
Du Pont travaille aussi sur le colza afin de produire par
transgénèse une plante qui permettra de produire une huile
enrichie en acide oléique et à faible teneur en acide
a-linolénique pour consommation en tant qu'huile de table et utilisation
par l'industrie agro-alimentaire. Cela signifie que les firmes cherchent
à fabriquer des huiles à meilleures qualités
nutritionnelles.
Les responsables de Du Pont m'ont défini de façon lapidaire mais
significative les objectifs de ces transformations : parvenir par
transgénèse à éliminer tout ce qui dans les plantes
est défavorable à la santé humaine et faire augmenter la
proportion de tous les éléments favorables.
Dans cette voie on fera remarquer que la transgénèse sera
peut-être un moyen de diminuer l'allergénicité d'un
aliment, ce qu'a réalisé, au moins en partie, une équipe
japonaise sur un allergène majeur du riz.
- La production de médicaments par les plantes : de
l'hémoglobine dans le tabac ?
Dans les années récentes l'opinion publique a été,
à juste titre, frappée par les drames occasionnés par la
transmission du virus du sida et des hépatites B et C par des lots de
protéines purifiées élaborées à partir de
sang, de placentas ou de divers tissus humains qui se sont avérés
être contaminés. On se souvient également des
problèmes posés, il y a plus longtemps, par l'insuline
fabriquée à partir d'organes de porcs avant qu'elle ne soit
élaborée par des bactéries recombinées par
génie génétique.
Les plantes transgéniques permettent en effet de synthétiser des
protéines complexes comme l'hémoglobine, celle-ci par exemple
dans des plants de tabac génétiquement modifiés. Des
anticorps monoclonaux pour la lutte anticancéreuse peuvent
également être produits dans des tabacs transgéniques. De
l'albumine est également susceptible d'être exprimée par
des tabacs ou des pommes de terre transgéniques.
En matière de sécurité pour la santé humaine, les
plantes offrent des garanties maximales puisqu'elles sont dépourvues
d'agents pathogènes dangereux pour les êtres humains. Elles
permettent ainsi d'éviter tout risque de contamination par des virus
capables d'entraîner des infections chez l'homme.
Une autre possibilité pourrait s'avérer extrêmement
intéressante, notamment pour les pays en voie de
développement : faire produire des substances vaccinales dans des
légumes ou des fruits pouvant être consommés crus. Cette
possibilité existe déjà pour la banane, le problème
restant à résoudre étant celui du contrôle des doses
absorbées. Il est certain que ces projets n'en sont encore qu'à
leurs premiers balbutiements et qu'ils devront être validés avant
d'être généralisés. Mais la faisabilité
technique de l'incorporation du vaccin dans ce fruit a été
prouvée.
On se rend compte avec ces quelques exemples que les plantes
transgéniques auront certainement un impact positif très fort sur
la santé humaine, tout en ne se cachant point que des questions se
posent actuellement.
b - Le problème posé par la présence de gènes marqueurs de résistance à des antibiotiques
La
présence d'un gène marqueur de résistance à
l'ampicilline dans la première plante autorisée à la
culture en France, le maïs
Bt
de Novartis, a nourri les
interrogations sur une éventuelle transmission de la résistance
à cet antibiotique aux bactéries du tube digestif des animaux et
de l'homme.
Ce problème existe du fait des techniques de modification
génétique des plantes.
En effet, celles-ci comportent plusieurs étapes.
La première est la fabrication par des techniques de biologie
moléculaire du ou des gènes à transférer qui
nécessite l'utilisation d'un agent sélectif pour multiplier dans
des bactéries les plasmides comportant ces gènes. C'est toujours
une résistance à un antibiotique qui est utilisée dans ce
cas. Le gène conférant celle-ci est un gène de type
procaryote sous le contrôle de son propre promoteur qui est incapable de
s'exprimer dans le noyau d'une cellule d'eucaryote animal ou
végétal.
La seconde est l'intégration dans un génome de plante du ou des
gènes ainsi préparés. Celle-ci étant un
phénomène rare, une étape de sélection des plantes
transformées avec élimination des végétaux non
transformés est indispensable. Le faible taux de transformation oblige
à contrôler un grand nombre de plantes, cette vérification
ne pouvant se faire ni par contrôle du phénotype attendu ni par
analyse. Il faudrait alors tester des milliers de végétaux avant
de détecter une plante transformée. Il est donc nécessaire
d'associer au gène d'intérêt un autre gène
permettant d'opérer une sélection précoce. Pour cela on
utilise la résistance à une molécule, en
général un antibiotique ou un herbicide. Le gène
conférant cette résistance devant s'exprimer dans la plante est,
dans ce cas, nécessairement sous le contrôle d'un promoteur de
type eucaryote.
La résistance à un antibiotique peut donc être
utilisée à deux stades bien distincts du processus d'obtention
d'une plante transgénique.
Dans le cas d'un transfert direct, le matériel génétique
introduit dans la plante comporte le plasmide entier, c'est-à-dire non
seulement le ou les gènes destinés à être
exprimés mais également le gène bactérien de
résistance à un antibiotique. Tel est le cas du gène
bla
de résistance à l'ampicilline du maïs
Bt
176 de Novartis.
Dans le cas d'une transformation au moyen d'
Agrobacterium
, seules les
séquences d'A.D.N. situées entre deux régions
particulières, bordures droite et gauche, sont transférées
au noyau de la cellule végétale. Lors de la préparation de
l'A.D.N. à transférer, on s'arrange donc pour que tous les
gènes bactériens soient en dehors de ces bordures. Ces
gènes bactériens ne sont donc pas transférés.
Dans le cas du transfert direct, on sait désormais découper le
plasmide afin de limiter le matériel génétique à
transférer au(x) seul(s) gène(s) d'intérêt. C'est
pourquoi les experts s'accordent à considérer qu'il est
désormais possible de se passer des gènes de résistance
aux antibiotiques. Cela concerne donc les gènes marqués sous
contrôle bactérien et uniquement la première étape
du processus d'obtention des plantes transgéniques.
Par contre, il reste nécessaire de disposer de marqueurs de
sélection des plantes transformées. Comme on l'a
déjà vu, ce peut être une résistance soit à
un antibiotique, par exemple l'ampicilline, soit à un herbicide.
Le gène
blaTEM-1
, présent dans le maïs
Bt
de
Novartis, code pour l'enzyme béta-lactamase qui inactive l'ampicilline.
Les bactéries portant ce gène sont résistantes à
l'ampicilline. Dans le processus de transformation du maïs, ce gène
est indispensable tout au long des étapes d'isolement du gène
Bt
et de la préparation de l'A.D.N. transformant, juste avant
l'introduction dans le génome de la cellule embryonnaire de maïs.
Il permet le repérage et la multiplication à l'identique de la
construction génétique au niveau des bactéries.
Il convient de noter que ce gène
bla
est universellement
employé depuis environ une vingtaine d'années par les chercheurs
en biologie. A ma connaissance, l'utilisation de ce gène n'a pas
entraîné dans ces laboratoires de problèmes particuliers.
D'autres gènes bactériens sont utilisés pour la
modification génétique des plantes. On peut citer par exemple le
gène "
aph3'-2
" conférant la résistance
à la kanamycine et à la néomycine, le gène
"
aph3'-3
" spécifiant la résistance à
l'amikacine, le gène "
aad3''-9
" entraînant,
quant à lui, la résistance à la streptomycine et à
la spectinomycine.
Un débat se focalisant sur le gène
bla
et sur les
conséquences pour l'homme de ces sortes de constructions s'est alors
institué.
Je vais exposer, en les résumant, les thèses en présence
avant de donner mon appréciation sur ce débat.
M. Patrice Courvalin, chef de l'unité des agents
antibactériens de l'Institut Pasteur et responsable du Centre national
de références sur les mécanismes de résistance aux
antibiotiques, a exposé son point de vue à la fois lors des
auditions privées et publiques préparatoires à ce rapport
mais aussi dans un numéro récent du mensuel "
La
Recherche
".
Je rappellerai seulement, en les résumant, les deux circonstances
évoquées par M. Patrice Courvalin au cours desquelles, selon
lui, le passage du gène de résistance aux antibiotiques pourrait
s'effectuer vers des bactéries.
Il évoque d'abord le transfert de ce gène vers les
bactéries du tube digestif des animaux ou de l'être humain.
Dans ce cas, il estime que " la stabilité thermique de l'A.D.N. est
telle que dans un certain nombre de cas, les gènes de résistance
ne seront pas dénaturés par la préparation que subissent
les aliments avant ingestion. " Il indique que " les bactéries
étant en contact très intime les unes avec les autres, le tube
digestif représente un écosystème extrêmement
favorable aux échanges génétiques entre bactéries
appartenant à des genres très différents. Dans ces
conditions, le gène de résistance pourrait être
récupéré par transformation par une bactérie
naturellement compétente, transmis verticalement à sa descendance
lors des divisions cellulaires mais également horizontalement à
d'autres micro-organismes. "
Le second cas de transfert, d'après M. Patrice Courvalin,
" est le passage aux bactéries du sol d'A.D.N. de plantes
transgéniques en décomposition, et notamment de leurs racines.
Cette éventualité est favorisée par le fait que l'A.D.N.,
contrairement aux idées reçues [...], est une molécule
extrêmement stable dans les sols et que certaines espèces
bactériennes telluriques peuvent spontanément et efficacement
incorporer de l'A.D.N. "
A l'opposé, on évoquera l'opinion de M. Patrick Berche,
professeur à l'hôpital Necker (service de bactériologie,
virologie, parasitologie, hygiène) qui a fait le point sur ce
problème lors de la session plénière de la
Conférence de citoyens.
Celui-ci estime que le problème de l'émergence de
bactéries pathogènes résistantes à de nombreux
antibiotiques est préoccupant à la fin du XXème
siècle, les bactéries multirésistantes étant
pratiquement exclusivement observées en milieu hospitalier et dans les
élevages d'animaux.
Il a estimé que les publications scientifiques les plus sérieuses
et les avis de nombreux experts indépendants de l'O.C.D.E., de l'O.M.S.
ou de l'Union européenne ont fait apparaître les faits suivants :
- les gènes de résistance aux antibiotiques utilisés
dans les plantes transgéniques de première
génération sont déjà très largement
répandus dans la nature. A titre d'exemple, le gène
bla
est porté par une souche de colibacilles sur deux. La majorité
des êtres humains porte des colibacilles dans leur tube digestif à
un taux de 10 à 100 millions par gramme, ce qui fait une
excrétion quotidienne de 5 à 50 milliards de colibacilles
porteurs de gène
bla
dans la nature par un individu sur
deux ;
- aucun transfert horizontal de gènes depuis les
végétaux vers les bactéries n'a été
jusqu'ici documenté
dans la nature
d'après l'ensemble de
la bibliographie des travaux publiés :
(1) impossibilité de mettre en évidence des gènes de
résistance transférés aux bactéries du sol à
partir de cultures de plantes transgéniques ;
(2) impossibilité de mettre en évidence un transfert dans le
sol en ajoutant des bactéries hypertransformables dans le sol et de
l'A.D.N. de gènes de résistance ;
- le transfert horizontal de gène de résistance depuis les
végétaux vers les bactéries est théoriquement
possible avec une probabilité très faible et il existe quelques
suggestions indirectes que de tels transferts puissent survenir. Dans les
conditions optimales de laboratoire, la fréquence de transfert peut
être estimée à environ 1 bactérie receveuse sur
10
15
à 10
18
, c'est-à-dire une
probabilité quasi nulle, à quoi il faut ajouter que les
gènes de résistance associés à des plantes
transgéniques ne représentent dans le cas du maïs que
1 gène sur 40 000, soit 1/40 000ème d'A.D.N. ;
- même si le transfert d'un gène de résistance d'une
plante à une bactérie du sol survenait, la très faible
pression de sélection du sol ou chez l'homme en bonne santé fait
que
cette bactérie n'a aucune chance d'être
sélectionnée et de propager ainsi son gène de façon
horizontale à d'autres bactéries
.
Il a donc conclu que les marqueurs de résistance aux antibiotiques ne
présente aucun risque majeur pour la santé.
De même M. Jean-Pierre Zalta, professeur de biologie et de
génétique moléculaires et président de la
Commission de génie génétique (C.G.G.), estime que la
présence de ce gène marqueur de résistance à
l'ampicilline ne pose pas de problème majeur.
Néanmoins M. Antoine Danchin, chef du département de
biochimie et de génétique moléculaire de l'Institut
Pasteur, considère que " la particularité originale des
organismes vivants, ce qui fait qu'ils ont envahi la terre comme
systèmes matériels, c'est qu'ils sont capables, face à un
événement imprévisible, de produire de
l'imprévu ".
Cela devrait nous conduire à suivre l'avis de M. Patrice Courvalin
en refusant toute nouvelle construction incluant des gènes de
résistance à des antibiotiques.
Mais M. Antoine Danchin poursuit son raisonnement en indiquant que " dans
un grand nombre de cas, les manipulations génétiques, qui se font
in vivo
, dans la nature, spontanément, notamment lorsqu'on
utilise un engrais ou un insecticide, ce que l'on fait chaque jour ou, plus
grave, lorsqu'on utilise des antibiotiques en médecine
vétérinaire, sont des manipulations génétiques en
vraie grandeur qui, à mon avis, sont bien plus dangereuses que celles
dont nous discutons, notamment à propos des
végétaux... ". Dans ce débat, les dés
sont pipés. Dans le domaine médical, il n'y a curieusement pas de
crainte et, dans le domaine agronomique, il y a de grandes craintes. Le vrai
problème est donc un rapport risque-bénéfices, dont il
faudrait discuter calmement sans avoir besoin de vedettes qui parlent en
public. "
Il ressort de cette controverse qu'aucune certitude ne peut être
affirmée de façon certaine et irréfutable. Mais je pense
que le risque, si risque il y a, est extrêmement faible.
Rappelons que le risque est le produit d'une dangerosité par une
probabilité comme l'a rappelé M. André Rico,
président de la Commission d'étude de la toxicité des
produits antiparasitaires à usage agricole et substances
assimilées.
Pour se passer de l'utilisation de la résistance aux antibiotiques,
plusieurs voies semblent possibles :
- utiliser la résistance à un herbicide mais avec les
inconvénients qui lui sont liés dans certains cas,
- utiliser de nouveaux marqueurs de sélection, mais aucun n'est
actuellement au point,
- éliminer le marqueur de résistance après
sélection. Deux voies semblent possibles. La première
impliquerait une intégration indépendante des gènes
d'intérêt et de sélection, ce qui permettrait une
séparation dans la descendance après transformation. Mais c'est
un système un peu lourd, peu efficace et non utilisable pour les plantes
à multiplication végétative. La seconde consisterait en
l'excision par un système moléculaire. Mais ces
procédés ne sont pas disponibles et ne le seront pas à
court terme.
Il y a eu un certain accord de la grande majorité de mes interlocuteurs
pour estimer que ces constructions génétiques faisant appel
à des gènes marqueurs de résistance à des
antibiotiques étaient dépassées dans la mesure où
elles étaient représentatives d'une technique assez
" primitive " de transgènése, car datant d'au minimum
une dizaine ou une quinzaine d'années.
Il faudrait également encourager les recherches sur les
différentes voies d'amélioration des techniques de transformation
pour aboutir à terme à la suppression de toute résistance
à un antibiotique.
Cette question prend place dans une situation marquée par la mauvaise
gestion des antibiotiques en médecine humaine depuis trente ans. Lors
des auditions publiques ouvertes à la presse, M. Patrice Courvalin
a rappelé, à titre tout à fait justifié, qu'il
n'était en effet pas nécessaire d'aggraver la situation actuelle
dans ce domaine. Il a estimé en outre qu'il n'était pas utile
d'utiliser des antibiotiques comme supplément dans l'alimentation
animale.
Compte tenu des résistances aux antibiotiques déjà
acquises, de fait de depuis trente ans, je n'ai pas le sentiment que l'on coure
des risques supplémentaires de ce point de vue.
Ces différentes controverses inquiètent le public, ne sachant qui
croire du scientifique qui alarme ou de celui qui rassure. La seule
manière pragmatique de trancher ces débats est de mettre en place
un système de décision collectif, transparent,
pluridisciplinaire, de décider au cas par cas, de rendre public les
avis, y compris ceux qui demeurent minoritaires.
Cependant, compte tenu de l'inquiétude de l'opinion publique sur cette
question et des positions d'un certain nombre de personnes, je recommande :
1) - d'autoriser, au cas par cas, l'utilisation de gènes de
résistance à un antibiotique sous contrôle d'un promoteur
eucaryote. Cette autorisation devrait être réexaminée
régulièrement compte tenu de l'avancement des recherches sur les
techniques alternatives et du bilan de la biovigilance mise en place.
2) - qu'on interdise à l'avenir la culture de plante comportant dans son
génome tout gène de résistance à un antibiotique
sous promoteur bactérien. La justification de cette différence
d'approche pour ces deux cas était la " facilité " de
mobiliser éventuellement ce gène de résistance par une
bactérie.
c - L'éventuelle toxicité des plantes transgéniques
Ainsi
que le remarque M. Pierre Feillet, une substance toxique se
caractérise par les troubles provoqués sur l'organisme quand elle
y pénètre à doses élevées ou à
faibles doses plusieurs fois répétées. Concernant les
plantes génétiquement modifiées, on écarte bien
sûr
a priori
l'insertion volontaire de gènes connus comme
codant pour des substances toxiques.
C'est sans doute la toxicité à long terme qui doit être la
plus redoutée car provoquant des intoxications insidieuses sans
généralement de signaux d'alarme. Des effets cumulatifs à
long terme, à travers plusieurs générations, peuvent
être, en théorie, redoutés dans la mesure où des
lésions apparaissent au niveau de l'A.D.N.
Au cours des auditions privées et publiques, cette éventuelle
toxicité ne m'a pas été démontrée de
façon réellement convaincante. J'incline à penser que ceux
qui, depuis quinze ans maintenant, travaillent sur ces plantes accordent une
attention soutenue à ce problème. Néanmoins il
conviendrait sans doute que des programmes spécifiques de recherche
soient organisés pour mettre en évidence d'éventuels
risques nouveaux liés aux effets secondaires et
pléïotropiques de l'introduction de nouveaux gènes sur la
base d'études toxicologiques adaptées et de profils analytiques.
Il faut, de plus, envisager le cas où l'insertion de nouvelles
séquences d'A.D.N. au sein d'un génome peut
" réveiller " des gènes dormants, c'est-à-dire
qui ne s'expriment pas normalement. Il serait aussi souhaitable que la
recherche porte son attention sur ce type d'effet.
Comme l'estime M. Pierre Feillet, la création accidentelle de
plantes toxiques, bien que peu probable, ne doit cependant pas être
exclue. Mais le danger de l'apparition de substances toxiques faisant suite
à l'insertion de transgènes est difficile à cerner dans la
mesure où ces substances peuvent appartenir à des familles
moléculaires extrêmement variées : protéines,
alcaloïdes... et que l'analyste ignore la nature de la molécule
qu'il devrait alors, en cas de besoin, rechercher.
Lors des auditions publiques, M. André Rico a indiqué qu'en
matière de toxicité le glufosinate venait d'être
examiné et autorisé dans des conditions bien précises avec
des quantités données pour traiter le maïs
transgénique. Compte tenu de la réputation de très grand
sérieux de la Commission présidée par M. André
Rico, on ne peut qu'estimer qu'il n'y a pas de risque toxicologique à ce
niveau. Celui-ci a également indiqué que le problème des
adduits avait certainement été surestimé.
L'utilisation de virus dans la construction de plantes transgéniques
devrait être étudiée avec beaucoup de soin et de
manière très approfondie. Pour un certain nombre de mes
interlocuteurs, il pourrait en ce cas se poser des problèmes de
transcapsidation. Pour d'autres, ce risque ou n'existe pas ou ne pourrait pas
avoir de conséquences fâcheuses dans la mesure où ce
phénomène se passe naturellement sans entraîner de dommages
particuliers.
d - L'éventuelle allergénicité des plantes transgéniques
Selon le
modèle théorique proposé par les Américains, les
protéines présentant un caractère allergène ont un
certain nombre de caractères communs. Ce sont en effet des
protéines glycosylées dont la masse moléculaire est
comprise entre 10 et 70 kDa. Elles sont présentes en grandes
quantités dans les aliments et ont une stabilité
élevée à la chaleur, aux pH et aux protéases. Elles
ont des séquences actives stables en milieu gastrique et intestinal et
présentent des analogies de séquences d'acides aminés. Il
faut noter à cet égard que Mme Anne Moneret-Vautrin a
estimé, lors des auditions publiques, qu'il y avait une réflexion
supplémentaire à mener sur chaque point du modèle
américain.
Il faut bien insister sur le fait que le risque de développement
d'allergies n'est pas, très loin de là, un risque propre aux
plantes génétiquement modifiées. On peut même dire
que dès qu'une protéine est exprimée et
ingérée, un risque allergique peut être couru.
L'exemple très souvent invoqué, et maintenant bien connu, en
matière de potentiel allergénique des plantes
transgéniques est celui de la fameuse intégration de l'albumine
2S, protéine riche en méthionine et en cystéine, de la
noix du Brésil dans un soja. Ayant choisi d'intégrer une
protéine on a tout à fait normalement rendu le soja en question
allergène du fait de la présence de cette protéine.
La conclusion de cette affaire est qu'il n'y avait aucune raison que
l'allergénicité, connue, de cette protéine disparaisse une
fois intégrée dans un soja. allergénique, Cela montre
également que dès que les responsables se sont rendus compte du
résultat, l'affaire n'a pas été poursuivie, ce qui plaide
plutôt en faveur du sens de la responsabilité des industriels.
En fait comme l'a souligné, à maintes reprises,
M. Gérard Pascal, aucun test quelconque
d'allergénicité n'est effectué sur les aliments que l'on
consomme dans nos sociétés. On sait aussi qu'il y a des exemples
célèbres d'aliments, pas le moins du monde transgéniques,
qui occasionnent des réactions allergiques qui peuvent être
très graves chez certaines personnes prédisposées. Ce sont
ainsi les cas bien connus du kiwi et de l'arachide.
Comme l'a noté M. Bernard Kouchner, le problème de
l'allergénicité est une question extrêmement complexe dans
la mesure où l'alimentation, geste très banal, est très
diversifiée. Elle présente de ce fait des risques, dont le risque
" allergie " malgré des manifestations spectaculaires, n'en
constitue qu'un des aspects. Il a rappelé également que la
recherche de ses causes est très difficile à mettre en
évidence.
On peut estimer que les risques allergiques des plantes transgéniques
ont été, au total, tout à fait surévalués.
Comme l'a estimé M. Pierre Louisot, il faudra certainement
surveiller ces produits après leur mise sur le marché. On peut
imaginer la mise en place d'une " allergo-vigilance ", comme l'a
proposé Mme Anne Moneret-Vautrin. Un tel système suppose
cependant une traçabilité maximale des aliments issus des plantes
transgéniques mais je suis persuadé que les consommateurs
pourraient alors se départir de leur réserve à
l'égard de ces technologies s'ils sont effectivement convaincus que des
mécanismes de surveillance efficace sont mis en place.
C'est la question de la biovigilance en matière de santé qui est
donc posée.
e - La biovigilance en matière de santé
Cette
biovigilance en matière de santé est certainement indispensable
pour rassurer les consommateurs et être à même de retirer
des circuits commerciaux un aliment issu d'une plante transgénique en
cas de difficulté.
Il faut noter que la seule biovigilance actuellement formellement prévue
par un texte en matière de plantes transgéniques concerne
uniquement l'environnement.
Il convient de mettre en place un système équivalent en
matière d'aliments.
Lors des auditions publiques, M. Bernard Kouchner, secrétaire
d'Etat à la santé a rappelé que, " [...] notre
dispositif réglementaire ne prévoyait pas jusqu'à
présent, de consultation systématique du ministère de la
santé sur les autorisations délivrées, qu'il s'agisse
d'autorisations de dissémination à des fins de
recherche-développement ou de mise sur le marché. Toutefois,
l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France [...]
placé sous l'autorité du ministère de la santé, est
recueilli si la Commission du génie biomoléculaire signale
l'existence d'un risque éventuel pour la santé publique
lié à la consommation des produits. Cette consultation est
maintenant devenue systématique. "
M. Bernard Kouchner a indiqué ensuite qu'avec la loi relative
à la sécurité sanitaire l'expertise organisée par
les services du ministère chargé de la santé en liaison
avec le Conseil supérieur d'hygiène publique de France sera
transférée à l'Agence de sécurité sanitaire
des aliments.
Il faut sans doute maintenant attendre de ce point de vue l'installation
effective de cette Agence. Il serait peut-être souhaitable qu'une
réflexion s'engage afin de déterminer les modes d'action de cette
biovigilance en matière d'aliments. Ainsi il conviendra par exemple de
déterminer à quel stade il serait nécessaire de faire
porter les éventuelles mesures de sauvegarde : celui des aliments,
des semences ou même de la méthode de transgénèse
utilisée dans les cas qui feraient difficulté.