B - Les conséquences éventuelles des plantes transgéniques sur l'environnement
Les
conséquences de l'introduction de plantes transgéniques pour
l'environnement sont âprement discutées, au moins sur un plan
théorique dans notre pays. A écouter les uns et les autres, on en
retire le sentiment que celles-ci sont, à l'instar de la langue d'Esope,
à la fois la meilleure et la pire des choses.
Il convient de raison garder et d'essayer de faire la part des avantages et des
inconvénients.
Ces plantes apportent certainement des avantages. Ceux-ci sont
contrebalancés par l'éventualité de certains risques,
notamment ceux liés aux flux de gènes et à l'apparition de
résistances chez les prédateurs qu'il conviendra de s'efforcer
d'évaluer à leur juste niveau.
a - Les progrès représentés par ces plantes
Les
progrès apportés par la culture des plantes transgéniques
auto-résistantes à des prédateurs sont tout à fait
réels.
Le plus grand des avantages de ces plantes est actuellement la
possibilité de réduire l'épandage des divers produits
destinés à lutter contre les populations d'insectes.
L'avantage paraît être double.
Tout d'abord, et c'est une préoccupation qui est parfois curieusement
oubliée, il permet aux agriculteurs, les premiers concernés, de
pouvoir être sensiblement moins exposés aux produits qu'ils
épandent. Ceux-ci sont, sans doute, peu ou prou toxiques à long
terme, même à faibles doses. Il faut aussi tenir compte du fait
qu'un agriculteur manipulera ce type de produits pendant très longtemps,
augmentant ainsi les risques pour sa santé.
L'autre avantage réside dans la sauvegarde de l'environnement en
général et concernera aussi bien les concentrations de ces
produits dans les végétaux qui sont ingérés
in
fine
par les animaux et les êtres humains que dans les nappes
phréatiques, problème dont on connaît l'actualité.
Il faut reconnaître que de ces deux points de vue des progrès
considérables ont été accomplis grâce, notamment,
aux contrôles très sévères effectués avant la
commercialisation des produits phytosanitaires. Il n'en reste pas moins que ces
produits sont potentiellement assez dangereux et que l'ensemble de la
collectivité est à la merci d'un accident ou d'une erreur de
manipulation.
Un certain nombre d'inconvénients doivent cependant être
envisagés.
b - Les flux de gènes
Au
départ, comme le signale M. Pierre Thuriaux dans un article de
l'ouvrage " Les plantes transgénique en agriculture, dix ans
d'expériences de la Commission du génie
biomoléculaire ", dans une population donnée, chaque
gène est représenté par un nombre plus ou moins grand de
formes alléliques différentes qui ont une certaine
probabilité de s'établir dans la population
considérée ou dans l'ensemble de l'espèce. Il rappelle
aussi qu'il faut considérer à la fois les flux
intervariétaux,
a priori
fréquents et les flux
interspécifiques, normalement plus rares car concernant des
espèces considérées comme distinctes avec un faible
degré d'interfertilité.
Il convient de rappeler cependant, comme me l'ont fait remarquer un certain
nombre de mes interlocuteurs, que les flux de gènes sont à la
base de la variabilité végétale qui est plutôt
considérée comme profitable, et ceci depuis des
millénaires.
Je n'entrerai pas dans le détail des flux de gènes, qui est un
mécanisme assez complexe et dépendant d'un nombre important de
paramètres.
On rappellera juste que l'intensité et la rapidité des flux de
gènes au sein d'une population ou d'une espèce donnée fait
intervenir de nombreux paramètres. Un facteur essentiel dans la
diffusion d'un caractère donné est sa compétitivité
en fonction du milieu environnant, traduisant à la fois l'avantage
reproductif qu'il confère à la plante et son
" coût " sélectif dans un environnement donné.
Comme le note M. Pierre Thuriaux dans l'ouvrage cité, les flux de
gènes dépendent aussi beaucoup de la physiologie reproductive de
la plante considérée, trois aspects étant
déterminants de ce point de vue : la probabilité
d'interpollinisation, la vigueur des graines et des plantes hybrides et la
capacité d'introgression génétique.
A la suite de ces quelques remarques, on peut esquisser une typologie du
comportement d'un certain nombre de plantes très couramment
cultivées en France et en Europe en matière de flux de
gènes.
Comme le note M. Antoine Messean dans le numéro de
janvier/février 1996 de la revue
OCL
, le problème ne se
pose pas pour le maïs car il n'y a pas en Europe de possibilités de
croisement avec une plante sauvage. C'est une position unanimement
acceptée.
Concernant par contre le colza, le croisement est possible avec de nombreuses
espèces apparentées comme la moutarde, la ravenelle ou la
roquette bâtarde. Il signale que de nombreux travaux ont montré
que ces hybridations interspécifiques pouvaient donner lieu à une
production non négligeable de semences.
Pour M. Antoine Messean, " en ce qui concerne la betterave, on a
montré que les plantes annuelles venaient en partie du transfert du
gène d'annualité des betteraves sauvages vers la betterave
cultivée dans les régions de production de semences du sud-ouest.
Ces hybrides ont développé des infestations de betteraves
mauvaises herbes dans des parcelles de reproduction de racines [...]. "
M. Antoine Messean conclut donc : " pour le colza ou la
betterave, la question n'est donc plus de savoir si un transgène tel que
la résistance à un herbicide va migrer vers d'autres plantes
adventices de la culture : la réponse est affirmative. "
Ce sont les conséquences qu'il convient d'évaluer.
Pour des plantes telles que le tabac, la pomme de terre, le blé (aucune
variété transgénique n'étant encore au point pour
ce dernier) et le soja, M. Pierre Thuriaux estime d'une part que la
possibilité de flux de gènes vers une variété
spontanée est infime et d'autre part que la formation de
multirésistance aux herbicides par croisement sera probablement
très lente dans le contexte européen.
Il fait cependant après ces considérations une remarque qui me
semble importante. Il estime en effet qu'" il faut [...] rester attentif
à l'internationalisation croissante du commerce semencier [...] "
en évoquant notamment à propos du maïs " [...] la
pratique des croisements pratiqués à contre saison en
Amérique latine, puisqu'on sait que des échanges sont possibles
entre le maïs et un parent sauvage, le téosinte ", un
problème similaire se posant selon lui dans le cas du riz en Asie.
Enfin il faut considérer un autre problème important qui m'a
été signalé par certains de mes interlocuteurs, qui est
celui de la
possible diffusion d'un transgène entre, par exemple, un
maïs transgénique et un maïs non transgénique dans des
champs contigus
. Ce type de problème pourrait sans doute être
résolu par l'adoption de méthodes culturales adéquates,
à l'instar de la réglementation des distances imposée
autour des champs de production de semences.
Cela renvoie notamment à deux problèmes, l'un que nous avons
déjà envisagé, celui du
devenir de l'agriculture
biologique
et l'autre que nous aborderons plus loin, celui des seuils en
produits transgéniques de produits non issus de ce type de culture.
Il convient de souligner que les plantes transgéniques
résistantes à des herbicides actuellement sur le marché ou
en préparation le sont à l'un des deux herbicides totaux
actuellement en production. Or ceux-ci sont généralement
considérés comme " favorables " à
l'environnement dans la mesure où ils s'auto-dégradent rapidement
ne restent donc pas dans les sols. On peut craindre que l'on aboutisse ainsi
à la " perte " de l'un des deux ou même des deux
produits. Ce danger me paraît tout à fait important en terme de
durabilité de l'agriculture.
Enfin il faut s'interroger sur les conséquences de la culture de ces
plantes transgéniques sur la biodiversité.
Je pense que les conséquences ne seront pas
a priori
négatives comme on peut sembler parfois le croire. Dans ce domaine
également, les biotechnologies peuvent favoriser, comme le rappelait
M. Daniel Chevallier dans son rapport paru en 1990, la biodiversité
tout en demeurant cependant prudent. Il ne me semble pas que les
biotechnologies doivent être plus menaçantes pour la
biodiversité que les techniques de sélection classiques.
Ces interrogations ont été parfaitement
appréhendées par le panel de citoyens, quand il déclare
que : " il y a des risques connus de prolifération anarchique
aussi bien en ce qui concerne le pollen que les graines " ou encore :
" par l'empilage de propriétés de résistance obtenues
par l'intermédiaire des gènes introduits, on risque de rendre les
plantes indestructibles et insensibles à tous les désherbants
actuellement connus ".
c - L'apparition de résistances chez les prédateurs
Cette
question s'est posée avec le maïs
Bt
de Novartis
auto-résistant à la pyrale.
Selon un article de Mme Josette Chaufaux et de MM. Vincent Sanchis et
Didier Lereclus paru dans l'ouvrage cité à l'occasion des dix ans
de la C.G.B., il apparaît que " le développement d'une
résistance à une toxine de
Bt
de la part de ravageurs
importants rendrait les traitements classiques réalisés avec un
biopesticide, contenant cette même toxine, inefficaces. Le principal
effet écologique de l'acquisition de cette résistance pourrait
donc être une augmentation de la densité de la population de ces
ravageurs. Il en résulterait une utilisation accrue des autres moyens de
lutte, chimique en particulier, avec pour conséquence les effets
environnementaux indésirables que l'on connaît. "
Ces effets indésirables concernent particulièrement l'utilisation
du biopesticide à base de
Bt
par les agriculteurs biologiques qui
sont particulièrement soucieux de pouvoir continuer à disposer
d'un produit efficace pour lutter contre les ravageurs. Certes les fabricants
de ce maïs, Novartis, m'ont assuré qu'ils avaient
étudié cette face du problème et qu'ils n'avaient pas
constaté de résistance de la part des pyrales après un
grand nombre de générations. Certaines études de
l'I.N.R.A. ont abouti au même constat après vingt-cinq
générations de pyrales.
Cependant, certains de mes interlocuteurs m'ont fait remarquer que
c'étaient là des études de laboratoires et que dans la
nature les phénomènes peuvent être totalement
imprévisibles à la fois en dimension et en rapidité.
Cette argumentation me semble être tout à fait digne d'être
prise en considération mais il ne faut cependant pas oublier que les
prédateurs contre lesquels on lutte par des moyens chimiques finissent
aussi par devenir résistants, selon la loi de l'adaptation. Là
encore, il n'est pas exclu qu'un certain nombre de précautions doivent
sans doute être prises en matière de techniques culturales de
manière à préserver des souches de prédateurs non
résistantes.
Une autre voie pour essayer de retarder au maximum l'apparition de
résistances chez les ravageurs serait d'utiliser des constructions
génétiques comprenant des gènes bi- ou multidirectionnels
codant pour deux ou plusieurs toxines différenciées. C'est
d'ailleurs ce qui se passe quand on pulvérise des aérosols de
bacillus thuringiensis
puisque la bactérie peut fabriquer
plusieurs toxines différentes. Cela compliquerait certainement
très sérieusement la mise en place de mécanismes
d'adaptation des prédateurs.
Les problèmes d'apparition de résistances devraient faire l'objet
de très sérieuses études afin de pouvoir y parer
efficacement dans l'avenir.
Ce sont les techniques de biovigilance qui doivent surveiller ces
phénomènes afin de pouvoir y obvier.
d - La biovigilance
Lorsque
le gouvernement a annoncé le 27 novembre 1997 que serait
autorisée la culture du maïs transgénique de Novartis, il a
fait part de son intention de mettre en place de façon simultanée
un dispositif de biovigilance. Le gouvernement montrait ainsi de façon
positive sa volonté de se tenir à l'écoute des citoyens
qui peuvent manifester des appréhensions à l'égard de la
culture des plantes transgéniques.
Il a donc été annoncé que sera établi un suivi
constant des plantes transgéniques en procédant à un
recueil de paramètres, leur analyse permettant de préciser la
nature des conséquences d'une telle décision.
Cela permettra ainsi de conduire une véritable expérience en
vraie grandeur qui permettra de confirmer ou d'infirmer ce qui reste encore
largement dans le contexte européen et français des
théories. Il a aussi été décidé que les
résultats de cette biovigilance seront de nature à remettre en
cause les autorisations accordées qui ne le sont, concernant le
maïs de Novartis, que pour une durée de trois ans.
Les termes de ce dispositif de biovigilance ont été
précisés par l'arrêté du 5 février 1998.
Les paramètres suivants seront suivis :
- l'évolution de l'efficacité des variétés
considérées contre les populations cibles de ravageurs de
maïs ;
- l'apparition éventuelle de tout effet non intentionnel sur les
populations de ravageurs ou d'auxiliaires hébergés par le
maïs, telle que l'évolution de l'apparition de pyrales
résistantes à la toxine
Bt
;
- les effets éventuels sur l'entomofaune ;
- les effets éventuels sur les populations bactériennes du
sol ;
- les effets éventuels sur l'évolution des populations
bactériennes de la flore digestive des animaux consommant les maïs
issus de ces variétés, en particulier en ce qui concerne le
caractère de résistance à l'ampicilline.
Un comité provisoire de la biovigilance a été
nommé. Il s'est déjà réuni et a commencé
à travailler. Il serait opportun de bien définir son rôle
afin qu'il ne recommence pas le travail réalisé par la Commission
autorisant la mise en culture, et que le Gouvernement précise comment et
par qui ces différents effets seront suivis. Je ferai d'ailleurs un
bilan du dispositif de biovigilance dans la deuxième partie du rapport.