E - Le devenir de l'agriculture
Même si mes interlocuteurs se sont partagés sur le
point de savoir si l'avènement des plantes transgéniques
constituaient une révolution ou seulement une innovation
supplémentaire dans la chaîne multi-millénaire de
l'amélioration des plantes, il ne fait cependant aucun doute que
l'agriculture risque d'être assez profondément modifiée.
Une question importante est de savoir
quelle sera dans le futur la place
relative des agriculteurs et de l'industrie agrochimique
. Celle-ci
devrait sans doute prendre encore plus d'importance dans l'avenir et ce,
d'autant plus, que la brevetabilité croissante des techniques et des
constructions génétiques " verrouillera " encore
davantage la situation. On peut penser que l'agriculteur, par contraste,
devrait voir encore se rétrécir sa marge de liberté et
d'initiative, ayant par contre en compensation, à fournir moins de
travail et en obtenant de meilleurs résultats financiers, à moins
qu'un nouvel équilibre à la baisse des prix mondiaux ne
s'institue, ce qui aurait comme seule conséquence de favoriser
l'agriculture intensive.
L'arrivée des plantes transgéniques, spécialement celles
résistantes à un herbicide ou à un prédateur,
devrait entraîner une augmentation de la productivité. On doit en
effet être conscient des pertes infligées aux récoltes par
les prédateurs, comme le montre ce tableau communiqué par
Rhône-Poulenc comportant des données également
citées par le dernier rapport de l'I.N.R.A. sur ce sujet :
Cette tendance risque de se heurter, au moins en Europe, aux nouvelles
orientations qui pourraient être assignées à l'agriculture,
c'est-à-dire une moindre vocation productiviste que par le passé.
A cet égard, le ministre de l'agriculture, M. Louis Le Pensec, a
estimé lors des auditions publiques, que " la simple
résistance de futures plantes transgéniques à un herbicide
n'était pas un avantage suffisant ".
L'arrivée des plantes transgéniques devrait également
avoir tendance à rendre plus difficile l'existence de l'agriculture
biologique compte tenu notamment des problèmes de flux de gènes
que nous examinerons plus loin. Mais le problème devrait aussi se poser
en matière de fourniture de graines à destination de cette forme
d'agriculture.
Il deviendra en effet difficile de garantir le caractère non
transgénique compte tenu de ces flux de gènes et aussi des
problèmes de transport, comme la mésaventure de deux agriculteurs
du sud-ouest de la France me l'a montré.
Ceux-ci sont des agriculteurs produisant du soja selon le cahier des charges de
l'agriculture biologique. Ces personnes ont exporté leur soja en
République fédérale d'Allemagne où il a
été transformé en tofu. La législation en vigueur
dans ce pays impose l'absence de produits transgéniques dans les
produits " bio ". Or il est arrivé qu'une analyse utilisant la
technique de PCR a révélé la présence d'A.D.N.
modifié dans ce tofu. Il a donc été refusé, les
deux agriculteurs devant reprendre la marchandise et payer les frais de toutes
les analyses et contre-analyses effectuées sans préjudice
d'autres frais. Il semble dans cette affaire que les semences
américaines qui leur ont été vendues à l'origine
devaient comporter, à l'insu de tous les échelons commerciaux, un
très petit nombre d'éléments transgéniques mais
suffisant pour être détecté par les contrôles.
Cette affaire pose le problème de la responsabilité des
obtenteurs et des utilisateurs d'organismes génétiquement
modifiés lorsque, au delà de l'affaire de ce soja, les cultures
de semences et de plantes ne sont pas isolées et peuvent donner lieu
à des croisements non recherchés.
Le projet de loi d'orientation agricole devra trancher sur la place des
organismes génétiquement modifiés dans " une
agriculture sur tout le territoire, plus soucieuse de l'environnement qui doit
produire les matières premières
compétitives
et de
qualité
pour les filières alimentaires et non
alimentaires ".