4. La formation des chercheurs aux images
Cet énoncé, "former les chercheurs aux images",
paraît,
a priori
, paradoxal. S'il semble logique, voire
nécessaire, d'envisager une formation des consommateurs d'images, s'il
semble utile d'insister sur la responsabilité des diffuseurs grand
public, il peut paraître surprenant d'évoquer ces mêmes
thèmes pour les scientifiques et les chercheurs, concepteurs des outils.
Pourtant, la formation et la responsabilité s'appliquent naturellement
aux chercheurs comme à toute autre personne, ou peut être
même plus encore qu'aux autres, tant leur rôle dans la construction
de la société de demain est important. C'est dans cette
perspective qu'il faut envisager la formation aux images des chercheurs
eux-mêmes.
Encadré n° 27
LA FORMATION AUX IMAGES DES CHERCHEURS
" L'ordinateur, considéré pendant
longtemps comme une machine à calculer, devient, chaque jour davantage,
le collaborateur de l'homme et le miroir de son
esprit
1
. ".
L'ordinateur s'impose avec
évidence, dès lors que les nombres à traiter se comptent
par millions. Mais l'homme, partant de ces possibilités, a cru pouvoir
passer du calcul à la prévision, du modèle à
l'expérimentation virtuelle, sans toujours prendre toutes les garanties
scientifiques...
Face à cette puissance de l'ordinateur, le chercheur ne devrait jamais
cesser de s'interroger sur son activité, afin de prendre garde à
ne jamais remplacer
" Je pense donc je suis "
par
" Je
calcule -ou je fais calculer- donc je suis "
. Pas plus que tout
autre
outil, le couple ordinateur/écran qui se traduit par l'image de
synthèse n'est neutre. De nombreuses erreurs peuvent s'introduire
à différents niveaux.
Les erreurs de modélisation
. Une expérience
virtuelle signifie d'abord de concevoir le modèle de l'objet
étudié (l'"objet" doit ici être interprété
dans son sens large). Dès cette étape, de nombreuses erreurs
peuvent s'immiscer. Ainsi, peut-on croire en certaines évidences qui,
par la suite, s'avéreront fausses, ou inverser, par inadvertance, le
signe d'une expression...
Les erreurs de calcul
. L'ordinateur exécute avec
précision et sans erreur les opérations de calcul. Mais ces
opérations, elles, ne sont pas toujours précises. Il y a des
erreurs qui, en l'état actuel de nos connaissances, sont
inévitables. Il s'agit tout simplement des erreurs d'arrondis (calcul de
par exemple). Lorsqu'une opération est répétée des
milliers de fois, les erreurs d'arrondis sont naturellement accentuées.
L'image de synthèse traduit cette approximation et peut conduire
à des erreurs d'analyse graves. Lors d'une étude portant sur
l'évolution du climat terrestre, un calcul de mouvement a
été effectué par trois ordinateurs différents,
chacun ayant sa règle d'arrondis particulière. A partir de 5000
rotations, les arrondis ont donné des représentations graphiques
totalement différentes, sans que l'on puisse déterminer laquelle
était juste. Dans tous les cas, l'interprétation du
phénomène était entachée d'un grave risque d'erreur.
Les erreurs de représentation
. Elles viennent, pour
l'essentiel, de l'utilisation des couleurs qui sont très largement
conventionnelles. Lorsque telle ou telle couleur est associée à
une grandeur ou à une caractéristique (exemple rouge pour le
chaud, bleu pour le froid), l'image produite dans ce contexte est, pour une
part, arbitraire et peut, elle aussi, induire en erreur car d'autres couleurs
auraient donné un résultat différent et suscité
d'autres interprétations
2
.
Ces trois exemples montrent les limites évidentes, mais oubliées,
des techniques d'imagerie.
" Le chemin qui mène de l'idée
de l'expérience virtuelle à sa réalisation est semé
d'embûches. Celles-ci ne doivent, en aucun cas, limiter cette nouvelle
approche scientifique, mais elles demandent malgré tout qu'une
information soit faite impérativement au niveau des chercheurs, des
étudiants.
(...)
L'expérimentation virtuelle n'en est
qu'à ses balbutiements. Il est donc essentiel que les bases les plus
solides lui soient données. "
__________
1
Les exemples et les italiques sont tirés d'un article de M.
Jean-François Colona,
Expériences virtuelles et
virtualités expérimentales
, paru dans la revue du CNET
Réseaux
n° 61, octobre 1993.
2
Les représentations par des couleurs sont largement
conventionnelles. Lorsque les couleurs changent, l'homme ne reconnaît
plus rien. L'expérience a été faite sur une
représentation d'une carte géographique, où les fleuves et
la mer sont traditionnellement représentés en bleu, les
forêts en vert... ; en changeant les couleurs, la carte était
devenue incompréhensible.
Autre exemple encore plus simple : il suffit d'inverser les pastilles de
couleur sur les robinets d'eau chaude et d'eau froide. Même s'il est
prévenu, l'utilisateur a toutes les chances de se tromper très
rapidement.