3) une politique de précaution
Sur le dossier des fibres de substitution, les incertitudes
sont aujourd'hui beaucoup plus grandes que pour l'amiante. Les études et
recherches devront être poursuivies et encouragées. Une expertise
collective a été demandée à l'INSERM mais, en
attendant les résultats de cette expertise, il convient de prendre le
maximum de précaution pour assurer la protection des travailleurs.
Avec le recul donné par l'expérience du dossier amiante, il nous
apparaît qu'il faudra mener une politique plus offensive qu'en
matière d'amiante, afin d'éviter l'émergence d'un
problème similaire : autrement dit, même en l'absence de
certitudes sur la nocivité de ces fibres, il faut, en cas de
présomptions suffisantes, mener une
politique de
précaution
visant à : cerner au mieux le problème,
éviter une large diffusion dans le public d'une fibre potentiellement
cancérogène et en limiter l'usage à des utilisations
industrielles bien délimitées et contrôlables.
a) les fibres céramiques réfractaires
Les fibres céramiques sont, parmi les fibres de
substitution, celles dont la nocivité est la plus probable. Bien que
l'on ne dispose pas encore d'études épidémiologiques
approfondies, les études expérimentales chez l'animal font
apparaître des cancers pulmonaires et des mésothéliomes. Il
est donc inquiétant de constater que c'est précisément
pour ces fibres céramiques réfractaires que les valeurs
réelles d'exposition constatées sur les lieux de travail ont
été les plus élevées.
Les fibres céramiques réfractaires sont encore d'utilisation peu
courante, essentiellement pour l'isolation à haute température
des fourneaux et de fours. Limité à des utilisations
industrielles précises, l'emploi de ces fibres est tolérable,
parce que l'on peut penser que le risque pourra en être
maîtrisé. Il n'est en revanche pas admissible que ce produit
puisse sortir d'une telle utilisation restrictive. Ce produit ne doit pas
être retrouvé entre les mains de travailleurs non
spécialisés, ni a fortiori aux mains du grand public. Avec
l'interdiction de l'amiante, le risque est grand aujourd'hui d'une diffusion
plus large de ce produit. A ce sujet, nous avons été
sensibilisés à l'
utilisation de fibres céramiques pour
l'isolation de chauffe-eau domestiques
. Une telle utilisation doit,
à notre sens, être impérativement interdite, car l'on
risque de se retrouver, un jour prochain, avec les mêmes problèmes
que pour l'amiante : la diffusion incontrôlable d'un produit
cancérogène.
Il faudrait donc établir une liste limitative de l'utilisation
industrielle des fibres céramiques réfractaires.
b) inciter par précaution à produire des fibres d'un diamètre minimum élevé
Comme nous l'avons vu, les fibres fines sont potentiellement
les plus toxiques. Elles sont aussi malheureusement celles qui sont les plus
performantes d'un point de vue acoustique, ce qui pousse les industriels
à réduire de plus en plus les diamètres de leurs fibres.
Dans la mesure où les industriels ont la possibilité de composer
leurs fibres artificielles, il nous paraît souhaitable, d'un point de vue
de santé publique, de les inciter par précaution à
produire des fibres d'un diamètre minimum, dans le but de réduire
l'effet toxique de la fibre.
c) une biopersistance plus faible
Les données disponibles vont dans le sens d'une
augmentation de la toxicité avec la biopersistance ; de plus, cette
relation ne prend pas en compte le risque toxique lié à la
présence de substances chimiques qui, une fois solubilisées,
deviendraient toxiques.
Il n'y a cependant pas de consensus pour établir une valeur limite
à partir de laquelle une fibre ne serait plus cancérogène.
La preuve par expérimentation animale risque d'être coûteuse
et longue.
C'est pourquoi, les différents pays de l'Union Européenne
essaient de se mettre d'accord préalablement sur des critères
standardisés de toxicité des fibres minérales
artificielles. La prise en compte de la seule biopersistance ne leur paraissant
pas satisfaisantes, les experts européens estiment que toute
dérogation à la classification de cancérogène
(catégorie 3) basée sur la biopersistance ou le KI
(11(
*
))
ne saurait être acceptée
que pour un temps limité (3 à 5 ans), pendant lequel les
fabricants devront réaliser un essai complémentaire (essai de 90
jours par inhalation). La Commission espère proposer un projet de
directive en ce sens pour l'automne 1997.
En attendant cette réglementation européenne, qui est en
gestation depuis de trop longues années, l'Allemagne a pris l'initiative
de définir une norme, le KI, qui n'est pas une norme de
biopersistance mais qui se réfère à la composition
chimique du produit (laquelle fournit indirectement un renseignement sur sa
biopersistance). Ce KI doit être supérieur à 40 pour que la
fibre soit présumée non cancérogène. S'il est
inférieur à ce taux, il appartient à l'industriel de
démontrer que son produit n'est pas cancérogène.
Cette réglementation est en application aujourd'hui en Allemagne. La
société française Saint-Gobain produit ainsi des fibres
dont le KI est supérieur à 40 pour le marché allemand. Sur
le marché français, puisqu'aucune réglementation ne lui
est imposée, cette société ne produit pas de telles fibres
moins biopersistantes. Cette situation est surprenante, si véritablement
les fibres moins biopersistantes sont moins dangereuses. On s'aperçoit
là encore, comme nous l'avons vu pour l'amiante, que
les industriels
n'agissent pas d'eux-mêmes dans le sens d'une meilleure prise en compte
de la santé publique, mais qu'il leur faut l'aiguillon d'une nouvelle
réglementation pour faire évoluer leur fabrication
.
C'est pourquoi, si la réglementation européenne tarde encore
à être adoptée, il faudra que la France adopte une norme
identique à celle de l'Allemagne. Elle rendra dès lors les
produits d'isolation inattaquables sur un plan de santé publique.