CONCLUSION GÉNÉRALE

" Nous ne sommes jamais tout à fait contemporains de notre présent. L'histoire s'avance masquée : elle entre en scène avec le masque de la scène précédente et nous ne reconnaissons plus rien à la pièce. "

Régis DEBRAY

La révolution dans la révolution , Maspéro 1969

Le verbe conclure a de multiples sens ; le plus fréquent, achever, terminer, ne peut être celui de cette présentation d'un paysage naissant sous l'irruption des nouvelles techniques d'information et de communication : il est encore trop en devenir ; il serait prétentieux, maladroit d'en fixer des propositions au lieu d'en dégager des perspectives, de mettre en évidence des questions accompagnées de suggestions. Ce serait, surtout, négliger le souci premier de l'Office parlementaire de fournir des éléments de choix pour les législateurs.

Conclure, c'est aussi déduire, " tirer des leçons ", faire apparaître des éventualités.

C'est le contenu de cette conclusion, au terme de ce rapport, espérant contribuer à éviter une entrée à reculons, le regard fixé sur le passé, dans le deuxième millénaire de l'histoire des hommes ; c'est une façon d'éviter les pièges mis en évidence par Régis DEBRAY.

Deux enseignements émergent, dominent toutes les possibilités offertes par les NTIC ; il faut en prendre la mesure d'autant que leurs relations sont étroites, que l'un conditionne le devenir de l'autre.

Le premier concerne l'Éducation et l'Instruction ; l'autre les rouages et les responsables d'une vie démocratique que chacun déclare vouloir citoyenne.

Ces conclusions n'ont pas d'intentions conclusives ; elles se veulent seulement inductives.

Les nouvelles techniques d'information et de communication ont fait leur entrée dans la vie quotidienne de chacun. Depuis peu, les hommes politiques se sont, à leur tour, saisi, de cette question. En la matière, l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques fait figure de précurseur. Après une première réflexion publiée en 1995 [146] , ce second rapport est une nouvelle saisine datant de mars 1996. En juin de la même année, le Sénat décidait de créer une mission commune d'information chargée d'étudier les conditions de la contribution des nouvelles technologies de l'information au développement économique, social et culturel de la France. Le précédent gouvernement nomma ensuite trois parlementaires en mission sur des sujets voisins : MM. Patrice MARTIN-LALANDE, député, Alain GÉRARD et René TRÉGOUËT, sénateurs.

La saisine de l'Office présente l'originalité d'être plus large que chacune de ces missions. Il s'agit de mesurer la nature des investissements nécessaires pour faciliter à tous, et, à tout le moins, au plus grand nombre, l'accès et la compréhension des outils techniques nouveaux aujourd'hui disponibles ou qui le deviendront bientôt, d'en apprécier les impacts sur l'éducation et sur la citoyenneté. Les incidences de cette évolution sur l'univers professionnel, malgré leur importance, n'ont pas été abordées faute de temps.

L'originalité de ce rapport réside également dans une de ses conditions d'élaboration : pour la première fois en France, un forum a été lancé par une assemblée parlementaire. Hébergé sur le site Internet du Sénat et relayé par des annonces faites par le réseau auprès de plusieurs listes de diffusion, il a permis, à un grand nombre de praticiens ou de simples citoyens, de faire part directement de leurs réflexions. La richesse des contributions dans le domaine de l'éducation a complété les informations recueillies par des moyens plus classiques (visites, auditions, lectures...).

Dans le domaine de la citoyenneté, les contributions ont été moins nombreuses, à l'instar des sites Web peu nombreux eux aussi. Les partis politiques, sollicités à la fois par ce biais mais aussi par courriers adressés personnellement à leurs présidents ou secrétaires nationaux, n'ont pas, sauf rares exceptions, répondu à notre appel : la campagne électorale leur offrait pourtant une splendide occasion de le faire !

Dernière condition d'élaboration et de réflexion : ce rapport comporte seulement un état des lieux à la fin juin 1997. Tout ne peut être évoqué ou étudié dans un rapport si fouillé soit-il... d'autant que beaucoup est encore à venir.

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Un vecteur nouveau, dit " numérique ", transforme profondément les moyens d'accès aux connaissances et les conditions de leur acquisition du fait même de ses caractéristiques. Face à l'irruption de ce nouvel outil aux possibilités qui semblent sans limite, il faut éviter de retomber dans les erreurs commises lors de l'avènement de l'imprimerie : l'ignorer, s'y opposer, laisser une minorité avertie se l'approprier. Certains pays ont déjà pris toute la mesure des implications de cette révolution. Pour des raisons à la fois géographiques et culturelles, Suède et Finlande n'éprouvent pas de difficulté à concevoir leur avenir au sein de la société de l'information. Bien au contraire, l'insertion dans ce monde nouveau, qui se met en place est conçue comme un nouveau défi. Le projet des gouvernements de ces pays consiste à accroître leur présence économique dans ce secteur ; l'importance donnée à la formation aux nouvelles techniques n'est qu'un sous-produit de cette politique.

Par rapport à ces pays, la France paraît présenter un retard non négligeable. Le développement des technologies de la micro-informatique domestique commence seulement à avoir un impact sur les modes de vie des Français. Vie professionnelle comme vie privée sont influencées par de nouvelles possibilités qui suscitent un intérêt croissant. Plus d'un tiers des Français imaginent désormais pouvoir faire plus de choses à domicile dans les prochaines années avec l'informatique et ses nouveaux moyens. Le désir de consommer depuis le domicile arrive nettement en tête des activités qu'ils pensent pouvoir réaliser de chez eux grâce à l'informatique : 44 % le citent contre 34 % pour la communication et l'information et 23 % pour l'instruction et l'accès à des documentations.

La connaissance d'Internet et de ses possibilités reste vague dans l'opinion : 12 % des consommateurs avouent ne rien connaître du réseau et de ses possibilités et 41 % déclarent ne pas savoir quels services ils souhaiteraient voir s'y développer. Seuls 15 % des ménages disposent d'un micro-ordinateur. C'est dire si au-delà de la vague médiatique autour d'Internet et du multimédia, les conséquences de la diffusion accélérée des nouvelles technologies de l'information et de la communication restent mal appréhendées.

Or les NTIC ne peuvent être assimilées à des technologies parmi d'autres : elles interviennent partout où les hommes manipulent et échangent des signes (textes, images, sons, données). Elles concernent donc tout le monde tout le temps. En modifiant profondément la façon de communiquer des hommes, elles bouleversent leur manière de vivre et, surtout, de vivre ensemble, de s'organiser, de produire. Il faut s'interroger sur l'utilisation de ces nouveaux outils dans leurs deux fonctions :

- fonction non communicante : le micro-ordinateur est utilisé pour des applications de traitement de texte, tableur, interrogation de bases de données, usage de cédéroms ;

- fonction communicante, grâce à l'utilisation d'un modem permettant l'accès au réseau téléphonique et, par conséquent, à Internet, à des babillards, au courrier électronique.

Il faut avoir usage de ces outils pour les utiliser à des fins éducatives et citoyennes.

ÉDUCATION : STUPÉFIANTE CONTRADICTION

Les NTIC portent des possibilités d'apprendre ; par rapport aux livres, à l'écriture à la plume ou à la machine, elles sont aussi bouleversantes pour nos habitudes que ceux-ci le furent pour la parole. La lecture et l'écriture ne l'ont, pourtant, pas fait disparaître. Les NTIC ne feront disparaître ni livres ni porte-plume, crayons, stylos et papier ; elles apportent, sans contestation, des moyens décuplés, de chances et de risques, d'accéder aux connaissances, à la culture.

Deux réponses, en conditionnant d'autres, invitent à chercher, à imaginer, à généraliser :

- la place et les fonctions de l'ordinateur et ses accessoires, l'accès et le rôle des réseaux, dans les activités ordinaires dans tous les parcours scolaires ;

- les rôles et relations respectives entre les autorités ministérielles et les enseignants en action. Entre un concept colbertiste unifiant et une originalité d'initiative spontanée dispersante, une nouvelle conception des rapports de l'État et des collectivités enseignantes ou des collectivités locales mériterait d'être envisagée.

La situation de l'Éducation nationale reste trop inégale : les porteurs de projets, les enseignants qui prennent des initiatives dans ce domaine ne se sentent ni soutenus ni reconnus. Les inégalités se creusent au gré des bonnes volontés locales et des financements obtenus de collectivités locales réceptives ou pas. Chacun définit sa propre voie selon les moyens dont il dispose et en fonction des objectifs qu'il s'est lui-même fixés.

Et pourtant, le ministère de l'Éducation nationale a pris quelques initiatives. Renater constitue un réseau reconnu : aucune définition précise de la pédagogie relative à l'introduction et à l'utilisation des NTIC à l'école n'est engagée. L'action entreprise reste parcellaire ; elle laisse de côté la question essentielle de la formation des enseignants et des personnels d'encadrement de l'Éducation nationale.

Il est sans doute difficile de concevoir une norme générale d'utilisation des nouvelles technologies, même si certains usages (le courrier électronique par exemple) portent plus de promesses collectives que d'autres : il devrait être possible de dégager quelques pratiques de base essentielles à la familiarisation des enfants, dès leur plus jeune âge, avec ces nouvelles techniques. Il ne s'agit pas de tout apprendre tout de suite ; le parcours doit être progressif. Simplement, les enfants français ne peuvent plus ignorer ce que les autres connaissent.

La contradiction est manifeste, entre les textes et les actes : le bulletin officiel de l'Éducation nationale du 1er mai 1997 fournit des éléments de réflexion et d'action jusque dans le détail pour contribuer au développement des technologies d'information et de communication, dans l'enseignement supérieur, comme dans l'enseignement élémentaire et secondaire. Ces textes semblent marquer une volonté clairement affichée. La nécessité d'offrir à tous les étudiants l'accès aux NTIC est affirmée ; l'objectif de transformation du système éducatif pour préparer les futurs citoyens à l'entrée dans la société de l'information est précisé.

Partager des objectifs ne signifie pas que les choses avancent sur le terrain. Le discours euphorique sur les réseaux, illustré également par M. François FILLON, ministre délégué aux Postes et Télécommunications jusqu'en juin 1997 (" l'objectif, c'est d'être capable en 1997 de proposer avec les collectivités locales et les industriels un plan de raccordement complet de l'ensemble des écoles françaises à Internet. Notre deuxième objectif sera de faire en sorte que le nombre d'ordinateurs disponibles par élève, qui est aujourd'hui de 1 pour 43-45 élèves, passe à 1 pour 20. Ce qui n'est qu'une étape vers un objectif plus lointain qui serait qu'un jour chaque élève puisse avoir un ordinateur à sa disposition " [147] ) s'attache plus aux conditions d'équipement des établissements qu'aux contenus et à l'indispensable formation des enseignants.

Même faiblesse et même frilosité dans la partie consacrée à l'informatique et la formation des personnels : des voeux pieux et peu de propositions concrètes ayant une réelle chance d'aboutir ou des aveux " l'existence de ces modules semble n'avoir infléchi que de façon limitée les pratiques d'enseignement ". Le texte laisse de côté l'évolution des programmes, ne présente pas une politique globale volontariste permettant de passer de l'expérimentation à la généralisation de l'intégration des NTIC à l'école.