POURQUOI CETTE ACCÉLÉRATION ?
Partout, grâce aux efforts de recherche et de transfert de technologies accrus, l'économie moderne évolue vite, qu'il s'agisse de l'aérospatial ou de l'optoélectronique pour prendre des exemples qui concernent les réseaux d'inforoutes. Mais l'essentiel est lié à la numérisation et aux prodigieuses percées de l'informatique. On cite souvent un constat sous forme de loi : les capacités doublent en 18 mois, à prix constant. Compte tenu des caractéristiques de la fonction mathématique exponentielle, cela revient à constater que ce qui valait 5 millions il y a quinze ans coúte, en informatique, 5 000 Francs aujourd'hui (et coútera 5 Francs dans quinze ans car rien n'indique l'arrêt proche de la croissance exponentielle).
Un équipement lourd réservé il y a quinze ans aux grandes entreprises est désormais à la disposition des commerçants, des artisans, des PME, des professions libérales, des étudiants... Quelle transformation ! On passe de l'amortissable cher, au consommable bon marché.
En outre, et ceci est plus récent, tout s'organise en réseau ; on passe à un monde où des réseaux universels modifient le type de relations nationales et internationales.
QUELS SONT LES ACTEURS ESSENTIELS DE L'ACCÉLÉRATION ?
· Le monde économique
C'est évidemment, l'industrie qui est le vecteur puissant d'accélération. Nous avons déjà évoqué l'exceptionnelle dynamique des industries et services liés à l'informatique. Il y a dix ans, un constructeur informatique de la Silicon Valley me disait : "Je sais que dans une semaine, une nouvelle puce va être disponible et je pourrais l'intégrer dans mon nouveau modèle de micro-ordinateur, mais cela retarderait d'un mois notre mise sur le marché. Je ne peux me le permettre dans notre industrie concurrentielle, les concurrents risquent d'en profiter et de conquérir des parts de marché à mes dépens".
En informatique matérielle et logicielle, la compétition est vive et conduit à des évolutions accélérées. Chez les acteurs tels que les opérateurs de télécommunications, les constructeurs de satellites, les industriels et éditeurs impliqués dans les contenus audiovisuels et les services, la vitesse de réaction est certes moins grande. Mais la disparition des monopoles, la convergence avec l'informatique, la volonté de s'assurer une emprise sur les marchés mondiaux, conduit les entreprises à se regrouper, s'affronter, se mondialiser. Les capitaux immenses en jeu induisent un nouveau facteur d'accélération, notable aux États-Unis [2] .
· Les pouvoirs publics, collectivités
locales et États
Les pouvoirs publics ont en la matière des pouvoirs de contr™le, d'autorisation, de réglementation, de régulation.
Mais ce sont aussi des consommateurs et des donneurs d'ordres très importants. Des pans entiers de l'activité économique et sociale relèvent de leur responsabilité.
États et collectivités locales, en particulier en Europe, sont très directement concernés par les nouvelles facilités de communication, d'information, de distribution du savoir. Leurs fonctions régaliennes que sont notamment la sécurité, l'information des citoyens, l'aménagement du territoire, l'éducation et la formation continue, le système de santé, sa gestion et son efficacité, la diffusion de la culture, tous ces domaines sont bouleversés par l'irruption de la Société de l'Information.
Aux États-Unis, pays où le r™le des pouvoirs publics par tradition - et presque en vertu d'un dogme - est limité au contr™le et à la régulation, très paradoxalement appara»t une forme nouvelle de coopération "government - industry". Pouvoirs publics et système économique coopèrent pour développer l'entrée dans la Société de l'information. Ceci est vrai, tout particulièrement pour les pouvoirs publics locaux. A San Francisco et à New York, en Caroline du Nord et en Utah, et dans bien d'autres lieux : San Diego, District de Seattle, etc. Une mission (rapport en annexe) a permis à des responsables européens de le constater.
En France, il y a certes des initiatives de la part de collectivités locales et l'on pourra en trouver nombre d'exemples en annexe.
Mais chez nous il semble que les pouvoirs publics aient de grandes difficultés à prendre des décisions rapides. La durée d'une prise de décision et de sa mise en application ne se mesure pas en jours, comme je l'évoquais plus haut pour la Silicon Valley, mais plut™t en années.
Aucune décision politique (et sa mise en oeuvre pratique) n'est effectuée en quelques jours, un délai de l'ordre d'un an, au mieux, est nécessaire.
Quel élu, quel ministre, quel haut fonctionnaire peut agir rapidement ?
Le voudrait-il qu'il ne le pourrait pas. Il ne peut passer que très exceptionnellement un marché public en raccourcissant les délais prévus par le code des marchés publics. Et auparavant, il faudra réunir des commissions ou des comités. Parmi les membres de ces commissions et comités, les prudents, les indécis et ceux qui estiment qu'il est urgent d'attendre, sont nombreux. Alors qu'ils sont les causes profondes de graves dysfonctionnements, leur avis de prudence, leur temporisation sont rarement fustigées par les organismes de contr™le. Ils ne risquent rien et pourtant ce sont souvent ceux qui empêchent la prise de décision qui causent de lourdes pertes, non sanctionnables, dans le cadre du fonctionnement actuel des services publics.
L'inadaptation chronique de l'État et des collectivités locales à des systèmes en évolution où la décision doit être rapide est source d'inquiétude. La réforme de l'État devrait s'en préoccuper [3] .
· Les "Smart Communities"
[4]
ou communautés
réactives
Le monde économique et les pouvoirs publics sont des acteurs bien reconnus. Il n'en va pas de même pour ce qui me para»t être une importante catégorie d'intervenants si peu communs qu'il n'existe pas encore d'équivalent français pour désigner les "Smart Communities".
Il s'agit de groupements comportant des grandes entreprises, des consultants, des entreprises innovantes de très petite taille, des financiers, des utilisateurs de nouvelles technologies concentrées dans certains sites privilégiés, ainsi que, le cas échéant, des institutions telles que chambres de commerce ou collectivités locales, associations, fondations, etc.
Ces communautés réactives, groupes innovants, intelligents et conviviaux, constituent de véritables p™les majeurs et des lieux privilégiés de réflexion, où s'élaborent la concertation et les innovations liées à l'entrée dans la Société de l'Information.
C'est dans ces communautés réactives que se développe l'esprit entrepreneurial qui explique en grande part le dynamisme de l'industrie informatique.
En Amérique du nord, la plus connue est sans doute Smart Valley, la Silicon Valley. Mais il en est bien d'autres : Smart Toronto, Smart San Diego ou Telecom Alley à New York. En Europe, Sophia Antipolis est sans doute l'exemple le plus structuré, grâce à ses nombreux clubs et ses actions en faveur de la fertilisation croisée, caractéristique majeure des Smart Communities.
Ces communautés réactives se rassemblent en réseaux, ce qui leur est naturel : leurs membres sont des familiers des Intranet et Internet. Il s'y développe une complicité de culture entrepreneuriale et télématique. Elles construisent, ensemble, la noosphère de Teilhard de Chardin. Fait intéressant pour qui considère qu'humanisme et modernité vont de pair, elles sont conscientes des problèmes éthiques et spirituels. On en parlera de plus en plus dans un futur proche, et notamment dans le rapport de la Mission Sénatoriale sur l'entrée dans la Société de l'Information.